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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 16 - Témoignages du 3 février 2011


OTTAWA, le jeudi 3 février 2011

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel est renvoyé le projet de loi S-206, Loi visant à assurer la parité de genre dans le conseil d'administration de certaines personnes morales, institutions financières et sociétés d'État mères, se réunit aujourd'hui à 10 h 38 pour en faire l'étude.

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, bonjour; bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m'appelle Michael Meighen. Je suis président du comité et sénateur de l'Ontario.

Avant d'entamer nos travaux, je tiens à vous présenter les membres du comité ici présents. La vice-présidente de votre comité est le sénateur Hervieux-Payette, du Québec.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette est, bien entendu, de la province de Québec. À ma droite également, il y a le sénateur Gerstein de l'Ontario et le sénateur Ataullajhan de l'Ontario.

[Traduction]

Sont également présents, le sénateur Greene, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Frum, de l'Ontario; le sénateur Mockler, du Nouveau-Brunswick et le sénateur Oliver, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

À ma gauche, vous avez le sénateur Ringuette du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Il y a, en outre, le sénateur Moore, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Poy, de l'Ontario et le sénateur Massicotte, du Québec.

Chers collègues, nous reprenons aujourd'hui notre examen du projet de loi S-206.

[Français]

Ce projet de loi exige que certaines sociétés et institutions financières assurent la parité homme/femme dans leur conseil d'administration. Parmi les entités visées, mentionnons les sociétés cotées en bourse actives au Canada, les banques, les sociétés d'assurance, les sociétés de fiducie et de prêt, les associations coopératives de crédit et les sociétés d'État mère fédérales mentionnées à l'annexe II de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Le projet de loi S-206 a été déposé au cours de la deuxième session de la 40e législature (S-238). Il a été débattu à l'étape de la deuxième lecture et est resté en plan au Feuilleton lorsque la législature a été prorogée.

[Traduction]

Honorables sénateurs, c'est la quatrième séance que nous consacrons à l'examen de ce projet de loi. Vous conviendrez tous, je pense, de l'intérêt qu'ont jusqu'ici revêtu nos délibérations et je suis convaincu qu'il en ira de même de nos travaux d'aujourd'hui.

Il se peut que ce soit la dernière séance que nous consacrions à l'étude de ce texte et je saisis par conséquent l'occasion de remercier le sénateur Hervieux-Payette du travail qu'elle a accompli dans le cadre de ce projet de loi. Les efforts qu'elle y a consacrés constituent un excellent exemple des moyens qu'ont les sénateurs d'engager un débat sur des questions qui doivent retenir notre intérêt.

Avant de procéder à l'étude du texte article par article, nous allons entendre l'unique témoin que nous accueillions aujourd'hui. Il s'agit de Mme Judy Cotte, conseillère générale et directrice de développement politique, de la Coalition canadienne pour une saine gouvernance.

Bienvenue devant le comité. Si vous avez préparé un exposé en vue de cette séance, je vous demanderais de bien vouloir commencer en nous le présentant. J'espère qu'après cela, vous voudrez bien répondre aux questions que les sénateurs souhaiteraient vous poser.

Judy Cotte, conseillère générale et directrice de développement politique, Coalition canadienne pour une saine gouvernance : Très volontiers. Je tiens, pour commencer, à remercier le comité de l'occasion qui nous est ainsi donnée de comparaître devant lui aujourd'hui et d'exposer quel est le point de vue de la coalition à l'égard de ce projet de loi. J'ai fait parvenir au comité un mémoire qui est en fait une version plus détaillée des observations dont je voudrais vous faire part ce matin.

Permettez-moi, au cas où vous n'auriez pas encore eu l'occasion d'en prendre connaissance, de vous dire quelques mots au sujet de l'organisation au nom de laquelle je prends la parole devant vous. La Coalition canadienne pour une saine gouvernance, la CCGG, regroupe la plupart des grands investisseurs institutionnels du Canada. Notre coalition s'est fixé comme mission d'améliorer la gouvernance des sociétés cotées en bourse et de promouvoir l'efficacité des marchés financiers canadiens.

Pris dans leur ensemble, nos adhérents gèrent des fonds de pension totalisant environ 1,5 billion de dollars, soit environ la moitié de l'épargne-retraite des Canadiens. Disons, d'une manière générale, que nos adhérents possèdent entre 20 et 25 p. 100 du capital des principales entreprises du Canada.

Notre mémoire est une étude détaillée de l'importance que la saine gouvernance revêt pour les entreprises canadiennes faisant appel à l'épargne. Nos membres considèrent en effet qu'une saine gouvernance contribue à une utilisation plus efficace des capitaux, améliore le rendement du capital investi et abaisse le niveau de risque.

En tant que garants de la bonne gestion et du succès des stratégies à long terme mises en œuvre par les entreprises, les administrateurs sont la pierre angulaire d'une saine gouvernance. Pour être bien dirigée, une entreprise doit en effet avoir un conseil d'administration composé de gens possédant toutes les compétences voulues. Ces compétences ne sauraient faire l'objet d'une définition a priori, mais il est clair qu'il faut, à tout le moins, que les administrateurs aient l'intégrité nécessaire et aussi la connaissance voulue tant des affaires en général que du secteur particulier d'activité de l'entreprise. Il faut pour cela des personnes qui n'hésitent pas à remettre en question les hypothèses retenues par la direction, les stratégies qu'elle propose de mettre en œuvre, et à interpeler les dirigeants sur les risques qui pourraient en découler.

Nous convenons tous qu'il faut pour cela que le conseil d'administration ait une composition suffisamment diverse. En ce qui concerne plus particulièrement la question de la parité hommes-femmes, nous sommes conscients des travaux de recherche qui démontrent l'existence d'une corrélation entre de meilleurs résultats financiers et une augmentation du nombre de femmes siégeant aux conseils d'administration.

Ces travaux portent en outre à penser que les groupes où règne la mixité obtiennent de meilleurs résultats dans l'accomplissement de tâches complexes. Nous estimons, par conséquent, qu'une augmentation du nombre de femmes dans les conseils d'administration d'entreprises canadiennes ne pourrait qu'influencer de manière positive l'action des entreprises.

Nous n'estimons pas, en revanche, que la question de la parité de genre puisse être envisagée isolément, car la parité ne saurait à elle seule garantir la qualité d'un conseil d'administration. Il convient aussi, en effet, de parvenir à une certaine diversité fonctionnelle afin que les conseils d'administration regroupent en leur sein des personnes d'horizons très divers, capables de contribuer à la mission de surveillance qu'ils exercent et assurer la diversité des points de vue.

Permettez-moi de citer un rapport dont je n'ai pu prendre connaissance qu'après vous avoir fait parvenir notre mémoire. Je pourrais, si vous le voulez, vous en laisser un exemplaire.

Ce rapport, intitulé Diversifying the American Board, a été rédigé après que le Deloitte Center for Corporate Governance, le Millstein Center for Corporate Governance and Performance de la Yale School of Management et la Financial Women's Association eurent réuni 22 dirigeants d'entreprises et de responsables du gouvernement d'entreprise, dont des investisseurs, des dirigeants d'entreprises, des membres de conseils d'administration et des conseillers. Ces personnes se sont réunies en mai 2010 pour examiner les moyens de diversifier davantage les conseils d'administration des entreprises. Dans leur rapport, ces responsables concluent, comme nous le faisons nous-mêmes, que la question de la diversité ne peut pas être envisagée isolément. Lors de la constitution d'un conseil d'administration, l'essentiel est de parvenir à regrouper les aptitudes dont le conseil aura besoin à un moment donné.

D'après nous, le manque de mixité et la faible diversité des conseils actuels sont surtout dus au fait que lorsqu'un conseil décide de recruter d'autres membres, il s'adresse en général à des gens qu'il connaît, soit socialement, soit dans le cadre de relations d'affaires. La tendance est ainsi de nommer des personnes ayant des antécédents et des points de vue similaires, du même sexe et des mêmes origines ethniques que les membres du conseil déjà en place. Si les conseils d'administration étaient tenus d'opter pour un processus de recrutement professionnel, et de sélectionner des personnes ayant des acquis différenciés, il est probable qu'on parviendrait, sur tous les plans à une beaucoup plus grande diversité dans la composition des conseils.

J'aimerais, après vous avoir présenté la position qui est la nôtre vis-à-vis du texte de ce projet de loi, évoquer les moyens de favoriser le recours à un processus de recrutement professionnel.

En ce qui concerne le texte de ce projet de loi, il est clair que nous sommes tout à fait favorables à ce qui pourrait être fait afin d'améliorer la parité dans les conseils d'administration, mais, selon nous, les dispositions envisagées dans ce texte ne sont pas le bon moyen de procéder. Nous estimons, en effet, que le contingentement est un moyen trop brutal qui, sur le plan pratique, risque d'entraîner pour les conseils un certain nombre de difficultés.

Permettez-moi de citer à cet égard un exemple tiré de notre mémoire. Prenez le cas d'un conseil d'administration constitué à 50 p. 100 de femmes. À supposer que l'une d'entre elles démissionne et que le conseil ait repéré un remplaçant idéal qui possède toutes les aptitudes et l'expérience dont le conseil a besoin. Or, il se trouve que le candidat en question est un homme. Le conseil va-t-il devoir écarter sa candidature simplement afin de préserver l'équilibre des sexes au sein du conseil?

Nous estimons pour notre part que cela ne serait conforme ni à l'intérêt de la compagnie ni à celui de ses actionnaires. Le rapport Deloitte, évoqué tout à l'heure, se penche sur la question du contingentement des sièges au sein d'un conseil, mais rejette le recours à une telle méthode, en partie parce que les responsables qui ont été sondés estiment que les qualités et compétences requises au sein d'un conseil varient nécessairement d'une entreprise à l'autre, et changent avec le temps.

Ce qui nous inquiète dans les dispositions envisagées, c'est non seulement qu'elles restreindraient les choix qui se présentent au niveau des candidatures, mais également le fait que les changements radicaux et relativement rapides qu'elles exigeraient gêneraient les membres du conseil dans l'exercice de leur mission de surveillance vis-à-vis la direction de l'entreprise et de ses orientations stratégiques. Étant donné qu'à l'heure actuelle, peu de femmes siègent aux conseils d'administration, de nombreuses entreprises, sinon toutes, se verraient, aux termes des dispositions envisagées, tenues de remplacer la moitié de leurs administrateurs. Or, même en prévoyant une période de transition de trois ans, cela risque d'entraîner de sérieux problèmes.

Je tiens à insister sur le fait que, selon nous, les entreprises canadiennes cotées en bourse n'auraient aucun mal à recruter le nombre voulu de femmes parfaitement aptes à occuper les fonctions d'administrateurs. Nous pensons, cela dit, que les entreprises doivent se voir accorder le temps nécessaire, d'abord pour les recruter, puis pour les intégrer au conseil d'administration.

J'ajoute que nos membres ne sont pas, par principe, favorables au contingentement. L'expérience démontre en effet que cela peut entraîner des conséquences imprévisibles, dont la stigmatisation des groupes dont on cherchait, justement, à assurer la promotion.

Il n'y a, selon nous, aucune pénurie de candidates parfaitement qualifiées pour occuper des postes d'administrateurs, mais nous estimons que la stigmatisation que risque d'entraîner le caractère obligatoire des mesures envisagées ne serait guère compensée par les avantages escomptés. Il y a, d'après nous, de meilleurs moyens de procéder à cet égard.

Il y a, en effet, pour augmenter le nombre de femmes siégeant aux conseils d'administration, trois solutions qui nous paraissent préférables. Elles sont exposées en détail dans le mémoire que nous avons rédigé. La première solution consiste à reconnaître aux actionnaires le pouvoir d'élire et de destituer les administrateurs. Je rappelle qu'au Canada, les actionnaires ne peuvent pas, actuellement, voter contre un administrateur; ils peuvent, en effet, soit voter pour, soit refuser de voter. Or, le non-vote est, juridiquement, sans le moindre effet pratique. Cela étant, un administrateur peut parfaitement être élu avec une seule voix; et s'il est actionnaire, ce qui est invariablement le cas, le vote exprimé en sa faveur pourrait très bien être le sien. Si une majorité des actionnaires, ou même 99 p. 100 d'entre eux décident de ne pas accorder leurs suffrages à un candidat au conseil d'administration, l'intéressé sera élu néanmoins ou, s'il fait déjà partie du conseil, il conservera son siège.

Nous nous attachons, depuis de nombreuses années, à trouver le moyen de changer le mode d'élection des administrateurs. Les règles juridiques actuelles permettent en effet aux administrateurs de se retrancher dans leurs fonctions et cela constitue un obstacle à la diversité. Si, donc, les actionnaires se voyaient reconnaître le pouvoir de voter contre un administrateur, ils seraient à même de se prononcer non seulement sur la compétence des administrateurs, mais également sur la question de la diversité au sein du conseil. C'est ainsi qu'ils pourraient alors voter contre les administrateurs qui doivent leur siège simplement à leurs connaissances mondaines et qui ne contribuent guère aux délibérations du conseil. Les actionnaires pourraient également voter contre le président ou les membres du comité des candidatures si celui-ci refuse de présenter des candidates.

La CCGG a persuadé 130 des compagnies canadiennes les plus importantes d'adopter le scrutin majoritaire afin, justement, d'éviter les inconvénients des règles actuelles. Cette nouvelle politique en matière d'élection aux conseils, impose la démission aux administrateurs en faveur desquels les actionnaires ne se sont pas prononcés à la majorité. Cependant, nous ne connaissons pas les limites de cette solution étant donné qu'elle n'a été retenue que par 130 entreprises. Je précise, par ailleurs, qu'aux termes des politiques adoptées sur ce point, un conseil d'administration peut refuser la démission d'un de ses membres.

La seconde solution possible consiste à fournir aux actionnaires ce qu'on pourrait appeler une passerelle d'accès. Le fait de reconnaître aux actionnaires le pouvoir de présenter leurs propres candidats à l'élection au conseil d'administration serait un moyen encore plus efficace d'y accroître le nombre de femmes. Nous estimons que ceux qui détiennent de longue date une participation importante dans une entreprise, devraient pouvoir, eux aussi, proposer des candidats et voir leur liste de candidats figurer sur la circulaire sollicitant des procurations, que la direction envoie chaque année aux actionnaires avant la tenue de la réunion générale.

Au Canada, les actionnaires sont déjà, dans une certaine mesure, à même de présenter des candidatures aux conseils d'administration, mais cela est soumis à des règles de droit tellement lourdes et compliquées que leur emploi entraîne des coûts prohibitifs, même pour les grands actionnaires institutionnels.

Le troisième moyen qui permettrait, selon nous, d'accroître le nombre de femmes siégeant aux conseils d'administration consisterait à exiger des entreprises qu'elles fournissent davantage de détails concernant la mixité au sein des conseils d'administration et les pratiques de l'entreprise en matière de recrutement. Ainsi que nous l'expliquons dans notre mémoire, ce problème ne devrait pas être laissé à la seule initiative des actionnaires. Si toutes les entreprises canadiennes cotées en bourse étaient tenues de fournir davantage de détails sur leur manière de recruter de nouveaux administrateurs, et sur leur prise en compte du principe de mixité dans leurs efforts de recrutement, on constaterait sans doute une amélioration sur les deux plans. Comme se plaisait à dire le juge Brandeis, un des membres les plus éminents de la Cour suprême des États-Unis, le meilleur désinfectant est la lumière du jour. L'expérience démontre que les règles prônant une divulgation plus large ont un effet certain sur le comportement des entreprises.

Une plus large divulgation des politiques des entreprises en matière de recrutement et de mixité au sein du conseil d'administration est également prônée par le rapport Deloitte, que j'ai évoqué tout à l'heure.

Je précise donc, pour terminer, que nous convenons entièrement que les conseils d'administration d'entreprises canadiennes cotées en bourse doivent se diversifier. Cela dit, nous ne pensons pas que les mesures envisagées dans ce projet de loi soient le bon moyen d'y parvenir. Nous craignons en effet que le contingentement des places d'administrateurs perturbe le fonctionnement des entreprises et entraîne des conséquences imprévisibles.

Il serait, selon nous, de très loin préférable de reconnaître aux actionnaires, qui sont, en fait, les véritables propriétaires de l'entreprise, le pouvoir de nommer leurs propres administrateurs, de les tenir responsables de leurs actes et, si besoin est, de les destituer. Les actionnaires pourraient ainsi faire en sorte que les entreprises constituent des conseils d'administration marqués par la compétence et la diversité d'administrateurs possédant toutes les qualités requises pour exercer correctement leur mission de surveillance.

Les entreprises seraient en outre tenues de fournir davantage de renseignements sur leurs pratiques en matière de recrutement et de mixité au sein du conseil, afin que les actionnaires aient toutes les informations nécessaires pour appuyer l'action des divers administrateurs et soient en mesure d'évaluer correctement l'action du conseil.

D'après moi, une telle solution aurait en outre l'avantage de s'appliquer à l'ensemble des entreprises canadiennes faisant appel à l'épargne et non simplement à celles qu'envisage actuellement le projet de loi.

C'est très volontiers que je répondrai à vos questions.

Le président : Madame Cotte, je vous remercie de votre exposé, et aussi de l'excellent mémoire que vous nous avez fait parvenir. Tout cela va nous être des plus utiles.

Le sénateur Gerstein : Je vous remercie de paraître devant le comité avec un rapport aussi complet sur la question qui retient actuellement notre attention.

Il y a 40 ou 50 ans, au Canada, un dirigeant d'entreprise renommé a dit que la principale qualité d'un bon administrateur serait « d'être un gentleman ». J'ai moi-même été appelé à siéger à plusieurs conseils d'administration. Certains d'entre nous siègent au conseil de la bourse de New York, d'autres au conseil de la bourse de Toronto.

J'ai trouvé très intéressant ce que vous avez dit au sujet d'un processus de recrutement professionnel. Au cours des quelques dernières années, j'ai participé, dans diverses entreprises, à la recherche, justement, de nouveaux membres pour le conseil d'administration. Cela s'est produit à trois reprises, et par deux fois c'est la candidature d'une femme qui a été retenue. Je précise immédiatement qu'aucun des administrateurs que nous avons recrutés n'était connu auparavant des membres du conseil, car le choix s'est fait dans le cadre d'un processus de recrutement professionnel. Nous avions retenu les services d'un cabinet indépendant pour dresser la liste des candidats.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce point? Est-ce effectivement comme cela que les choses devraient, selon vous, se passer?

Mme Cotte : C'est un point important, car je pense, en effet, qu'une grande partie des changements souhaités découlerait d'un changement dans la manière dont sont traditionnellement recrutés les membres du conseil d'administration. C'est là l'essentiel. Ce que vous venez de dire me paraît important, car une des recommandations formulées dans le cadre du rapport Deloitte est justement de faire en sorte qu'au moins certains des candidats à un poste d'administrateur ne soient pas connus des membres en exercice. Cela me paraît important.

Il convient de faire appel à des cabinets de recrutement, car cela permet d'élargir le champ des recherches. Plus le champ de recherche est large, moins on va s'en tenir à d'anciens présidents-directeurs généraux, et plus on va envisager la candidature de femmes, de membres issus des diverses minorités et de personnes provenant d'horizons différents.

Ajoutons qu'en faisant appel à des cabinets de recrutement, on supprime de l'équation l'influence du président- directeur général de l'entreprise. Nombreux sont les praticiens qui vous diront qu'en matière de recrutement, c'est, en coulisse, le P.D.G. qui mène la danse. D'après nous, les choses ne devraient pas se passer ainsi. Le recours à des spécialistes du recrutement contribuerait donc à une amélioration de la situation.

Le sénateur Oliver : Je vous remercie de votre excellent rapport. Je suis tout à fait partisan de la Coalition canadienne pour une saine gouvernance qui, d'après moi, fait de l'excellent travail. Je suis d'accord, en outre, avec les principes qui sont à la base de ce que vous nous avez dit aujourd'hui et j'estime que les conclusions que vous avancez sont les bonnes.

Je m'intéresse vivement aux trois solutions que vous avancez. Jusqu'ici, les résultats cependant ne sont guère concluants. Je m'intéresse particulièrement à la troisième, c'est-à-dire à l'obligation de fournir davantage de détails au sujet des pratiques mises en œuvre par l'entreprise en matière de recrutement et de diversification. Pourriez-vous nous dire en quelques mots quelles sont les mesures que vous avez prises en ce sens, et les résultats obtenus. Comment procédez-vous? Écrivez-vous une lettre à un P.D.G. pour lui dire « Je souhaiterais que, lors de votre prochaine réunion annuelle, vous procédiez de la manière suivante »? Comment vous y prenez-vous, qu'avez-vous fait jusqu'ici, et quels sont les résultats auxquels vous êtes parvenus?

Mme Cotte : Il y a, d'après moi, deux niveaux d'intervention possible : le premier consiste à modifier la législation applicable, et le second consiste à encourager individuellement chaque entreprise à modifier ses pratiques. En ce qui concerne la législation, je dois dire que le Canada a pris un certain retard au niveau des règles exigeant une plus grande transparence quant aux pratiques en matière de recrutement et de diversité. L'année dernière, la SEC américaine, l'organisme chargé de gendarmer le marché des valeurs mobilières et les bourses, a resserré les règles en matière de divulgation et exige dorénavant des conseils d'administration qu'ils précisent dans quelle mesure ils tiennent compte, dans le cadre de leurs efforts de recrutement, du principe de mixité, si tant est qu'ils en tiennent compte, et qu'ils indiquent comment ils procèdent, et comment aussi, ils évaluent l'efficacité de leurs nouvelles mesures.

Au Canada, en matière de transparence, la réglementation est moins exigeante. On ne parle en effet que très peu de mixité. Selon les lignes directrices des Autorités canadiennes en valeurs mobilières, les ACVM, les conseils d'administration doivent notamment se demander dans quelle mesure l'expérience, les antécédents et l'optique des candidats à un poste d'administrateur peuvent contribuer à la diversité voulue. Cela répond en partie aux problèmes qui existent à cet égard, mais en partie seulement.

Nous estimons, pour notre part, que les ACVM devraient prôner une plus grande transparence à cet égard.

Le sénateur Oliver : Quelle a été sur ce plan l'action de la coalition?

Mme Cotte : Il y a plusieurs années, les ACVM ont songé à modifier les lignes directrices sur le gouvernement d'entreprise et les ont effectivement refondues. Nous ne sommes pas, pour notre part, partisans de la méthode retenue alors, car cela tend, d'après nous, à relâcher les règles de gouvernance. Ils ont, depuis lors, repensé le problème sans cependant envisager de revoir à nouveau les actuelles lignes directrices sur le gouvernement d'entreprise.

Ils viennent de constater, à l'issue d'une étude sur le degré d'observation des pratiques en matière de divulgation, que les entreprises ne respectent pas vraiment les exigences actuelles. Nous les encourageons à suivre de près la situation et à obtenir au moins des entreprises qu'elles respectent, en matière de divulgation, les règles actuellement en vigueur.

Nous contactons individuellement les diverses entreprises canadiennes cotées en bourse et nous nous réunissons avec les membres de leurs conseils d'administration. Nous avons entamé nos efforts en ce sens il y a deux ans, avec une rencontre auprès de 10 entreprises; l'année suivante, nous nous sommes réunis avec les responsables de 30 entreprises et cette année nous allons organiser des rencontres avec une cinquantaine d'autres.

Le sénateur Oliver : Lors de ces rencontres, soulevez-vous la question?

Mme Cotte : Nous soulevons bien sûr la question de la transparence, et nous insistons particulièrement sur le besoin de recourir à des professionnels du recrutement.

Le sénateur Oliver : Les entreprises se montrent-elles réceptives?

Mme Cotte : Je ne suis pas encore en mesure de dire à quel point cela a permis d'améliorer les choses. Nos efforts en ce sens sont relativement récents, mais je peux vous dire que nous évoquons effectivement la question avec eux. Lors de nos rencontres avec les conseils d'administration, la qualité des administrateurs est toujours un point essentiel de nos entretiens.

Le sénateur Ringuette : Je vous remercie de votre exposé. Je vous demande d'excuser l'insuffisance de mes informations, mais cette Coalition canadienne pour une saine gouvernance est un organisme dont je n'ai pas encore connaissance. Depuis combien de temps êtes-vous en activité?

Mme Cotte : La coalition a été créée en 2003, regroupant alors huit grands investisseurs. Nous nous sommes développés depuis lors et la coalition regroupe actuellement 45 investisseurs institutionnels.

Le sénateur Ringuette : Dans le cadre de votre exposé, vous avez employé, je pense à trois ou à quatre reprises, l'expression souvent employée devant le comité par des banquiers, qui nous mettent en effet en garde contre les conséquences imprévisibles. J'ai donc été portée à consulter la liste de vos membres et je constate que la plupart des banques canadiennes font partie de votre coalition.

Mme Cotte : C'est-à-dire que nous comptons en effet parmi nos adhérents les fonds d'investissement appartenant à des banques. Les banques elles-mêmes ne font pas partie de notre coalition. Elles comptent, justement, parmi les entreprises auprès desquelles nous agissons et que nous incitons à davantage de transparence. Mais, oui, font partie de notre coalition des fonds d'investissement appartenant aux banques.

Le sénateur Ringuette : En ce qui concerne la liste de vos adhérents, et les trois solutions que vous avez évoquées tout à l'heure — l'élargissement du droit de vote reconnu aux actionnaires, une plus large divulgation, et cetera — parmi vos membres, combien sont ceux qui souscrivent à ces trois recommandations?

Mme Cotte : Tous nos membres sont partisans d'une élection à la majorité, tous sont d'accord pour accorder aux actionnaires le droit de voter pour ou contre un administrateur; tous sont favorables à l'idée d'une passerelle d'accès donnant aux actionnaires la possibilité de nommer certains administrateurs, et pour une plus grande transparence au niveau des pratiques en matière de recrutement et de diversité.

Le sénateur Ringuette : Je ne vous demande pas dans quelle mesure ces entreprises sont partisanes de cela — elles devraient naturellement l'être, étant donné qu'il s'agit de solutions que vous mettez vous-mêmes en avant. Ce que j'aurais voulu savoir c'est si, non seulement elles sont partisanes de ces mesures, mais si elles les ont effectivement mises en œuvre au sein de leurs conseils d'administration.

Mme Cotte : Les conseils d'administration des fonds d'investissement?

Le sénateur Ringuette : J'entends par cela les membres de votre coalition qui prônent l'adoption de ces trois mesures. Vos adhérents les ont-ils eux-mêmes mises en œuvre ou tout cela reste-t-il pour l'instant théorique?

Mme Cotte : Notre action en tant que coalition concerne la gouvernance des entreprises canadiennes cotées en bourse.

Le sénateur Ringuette : Je veux bien, mais votre coalition regroupe des entreprises canadiennes cotées en bourse et j'aimerais par conséquent savoir si celles-ci mettent en pratique ces solutions dont elles prônent elles-mêmes l'adoption?

Mme Cotte : En tant que coalition, nous n'intervenons pas dans la gouvernance interne de nos adhérents. Dans la mesure où il ne s'agit pas d'entreprises cotées en bourse, la question du vote majoritaire ou de la passerelle d'accès ne se pose même pas. Cela dit, nos adhérents s'attachent à une saine gouvernance et à la divulgation des renseignements dont peuvent avoir besoin les personnes qui investissent dans les fonds en questions. Il était clair que c'est, pour l'ensemble de nos adhérents, quelque chose de très important.

Le sénateur Ringuette : Vous ne pouvez donc pas affirmer que vos adhérents ont eux-mêmes mis en œuvre les trois solutions que vous nous demandez d'examiner.

Nous sommes en outre persuadés qu'au Canada, comme dans les autres pays, la question de la responsabilité sociale des entreprises, et de leur bonne gestion se pose. Avez-vous pris contact avec le gouvernement du Canada en vue de l'adoption de nouvelles règles législatives sur le gouvernement d'entreprise et, plus particulièrement, concernant les trois solutions que vous avez évoquées tout à l'heure?

Mme Cotte : Oui, en effet. La Loi canadienne sur les sociétés par actions, la LCSA, fait actuellement l'objet de la révision qui est prévue dans son texte même. Nous avons pris la parole devant le comité parlementaire, et avons formulé 10 recommandations, y compris sur le vote majoritaire et la passerelle d'accès. Nous n'avons pas évoqué la question des règles concernant une divulgation plus détaillée, car nous avons abordé le sujet sous un angle plus général.

En juin 2010, le comité parlementaire a recommandé au gouvernement d'étudier plus avant nos recommandations et nous continuons de collaborer avec des fonctionnaires fédéraux ainsi qu'avec les gens du ministère de l'Industrie pour les inciter à réviser les dispositions de la LCSA. Nous entretenons en outre un dialogue permanent avec les organismes de réglementation du commerce des valeurs mobilières, les encourageant à apporter, sur de nombreux points, des modifications à la législation applicable. Nous allons, par exemple, présenter sous peu un mémoire sur la transparence en matière de rémunération des dirigeants d'entreprise. Nous entretenons une collaboration régulière avec le législateur pour tenter d'obtenir la modification des textes applicables afin de donner aux actionnaires davantage de moyens d'effectuer des changements au sein de l'entreprise.

Le sénateur Ringuette : Cela comprend-il la modernisation des conseils d'administration des entreprises canadiennes, à la fois dans leur fonctionnement et dans la manière dont ils assurent le recrutement de leurs membres afin, justement, de recourir pour cela à des cabinets de recrutement comme vous le disiez tout à l'heure?

Mme Cotte : En effet.

Le sénateur Ringuette : Vos efforts en ce sens ont-ils abouti?

Mme Cotte : Nous avons, il est clair, obtenu un certain nombre de résultats. La modification des textes applicables est bien sûr un travail de longue haleine. Cela dit, nous avons le sentiment que les règles ayant trait à la transparence au niveau de la rémunération des dirigeants d'entreprise se sont améliorées depuis que, de concert avec les ACVM, nous nous attachons à les faire évoluer.

L'évolution de la législation procède lentement. C'est ainsi, par exemple, que nous ne sommes pas parvenus à faire inscrire dans la législation canadienne le principe du vote majoritaire. Cela dit, dans le cadre de nos rencontres avec les conseils d'administration, en persuadant leurs membres de l'importance du principe de la responsabilité envers les actionnaires, en leur expliquant combien les actionnaires y sont eux-mêmes attachés, nous avons pu convaincre 130 des plus importantes entreprises canadiennes de l'adopter.

En matière de rémunération des dirigeants, le principe de transparence n'est pas encore inscrit dans la législation canadienne, mais nous sommes jusqu'ici parvenus à convaincre 45 grandes entreprises de l'adopter et d'utiliser pour cela notre résolution type.

Nous essayons constamment d'avancer sur deux fronts. Nous nous attachons, ainsi, à obtenir la modification des textes en vigueur, car cela nous semble être le seul moyen d'aboutir à une solution applicable à l'ensemble des entreprises cotées en bourse. Lorsque la loi évolue trop lentement, cependant, ou pas du tout, nous engageons le dialogue avec les conseils d'administration des diverses entreprises pour tenter de les convaincre de modifier leur manière de faire.

Le sénateur Ringuette : Pourriez-vous me dire quels sont, parmi vos adhérents, ceux qui appliquent le principe de transparence à la grille de rémunération des administrateurs et du P.D.G., comme vous proposez que cela se fasse?

Mme Cotte : On peut difficilement comparer, car les entreprises membres de notre coalition ne sont pas cotées en bourse. Cela étant, on voit mal comment ces entreprises pourraient opter pour un régime de vote majoritaire. Je précise par ailleurs qu'en matière de transparence, bon nombre de nos adhérents sont soumis à des règles beaucoup plus strictes. C'est ainsi, par exemple, que les fonds communs de placement sont, aux termes des dispositions régissant la vente de valeurs mobilières, tenus de fournir de plus en plus de renseignements.

Il est clair que nos membres, qui consacrent tant d'argent et de temps à la saine gouvernance, estiment tous qu'ils sont eux-mêmes bien gouvernés. Cela dit, bon nombre de recommandations que nous formulons à l'intention des entreprises cotées en bourse ne s'appliqueraient guère à eux. Ce n'est pas à cela que notre coalition consacre ses efforts, puisque nous nous intéressons essentiellement au bon gouvernement des entreprises canadiennes cotées en bourse.

Le sénateur Ringuette : J'imagine que toutes les entreprises canadiennes s'estiment bien gouvernées, mais, pourtant, selon certaines de nos informations, cela ne serait pas le cas. J'ai sous les yeux un document publié par la Société financière internationale, la SFI, qui relève du Groupe de la Banque mondiale. Il s'agit d'un document remis ce matin même aux membres du comité.

Le président : Je précise que, comme me l'a fait remarquer le sénateur Hervieux-Payette, ce document provient de Washington et il n'existe donc qu'en version anglaise. J'espère que vous accepterez néanmoins qu'on s'y réfère et qu'on le distribue.

Le sénateur Hervieux-Payette : Permettez-moi d'ajouter que la présidente de cet organisme est ce matin même arrivée par avion de Washington, amenant ce document avec elle.

J'en profite pour souhaiter la bienvenue à Mme Natividad. Elle est ici en visite dans sa famille et je l'ai invitée à assister à la séance de ce matin. C'est elle qui nous a remis cette étude qui porte sur l'ensemble des régions du monde. Il s'agit d'une vaste enquête et je la remercie de nous en avoir fait part. N'étant pas une publication canadienne, elle n'a, bien sûr, pas été rédigée dans les deux langues officielles.

Le président : Je tenais tout de même à le préciser.

Madame Natividad, nous vous remercions d'avoir accepté de vous joindre à nous ce matin. Soyez la bienvenue. J'espère qu'à la frontière on ne vous a pas demandé si vous veniez ici pour travailler, comme il est fréquent qu'on nous le demande lorsque nous nous rendons aux États-Unis. L'expérience nous a appris que la réponse qui s'impose est « non ».

Le sénateur Ringuette : J'imagine qu'on vient tout juste de vous remettre ce rapport. Je vois, en le feuilletant, qu'il indique dans quelle mesure, selon le pays, des femmes compétentes sont susceptibles d'être nommées à des conseils d'administration. Hier, et avant Noël, lorsque les témoins ont commencé à comparaître devant notre comité, nous avons pu constater à quel point nous nous trouvons en présence d'une sorte de réseaux de copinage.

Comment parvenez-vous, par l'intermédiaire des membres de votre coalition, à briser la force de ces réseaux? Comment faites-vous pour faire en sorte que dans les conseils d'administration, les femmes soient mieux représentées, ainsi que les personnes de diverses origines ethniques?

Il n'y a pas longtemps, au Canada, nous encouragions les entreprises canadiennes à engager des gens de diverses origines ethniques afin d'élargir la connaissance que l'entreprise pouvait avoir de sa clientèle. Pourquoi ces arguments ne vaudraient-ils pas pour les conseils d'administration des entreprises, qui pourraient ainsi améliorer la connaissance qu'elles ont des investisseurs et de leurs clientèles?

Mme Cotte : Nous sommes parfaitement d'accord qu'il faut, pour résoudre le problème, entamer l'influence des réseaux de copinage. Cela dit, le meilleur moyen de s'y prendre serait d'adopter les trois solutions que nous avons mises en avant. Donner aux actionnaires le pouvoir de voter contre les administrateurs qui ne donnent pas satisfaction et qui, parfois, siègent depuis trop longtemps au sein du conseil d'administration.

Il y a également, en effet, la question du nécessaire renouvellement des conseils d'administration et nous évoquons le problème lors de nos rencontres. Lorsque nous constatons que certains administrateurs siègent au conseil depuis longtemps, nous soulevons la question de savoir s'il ne serait pas temps d'y introduire de nouvelles idées et de procéder à un renouvellement.

D'abord, donc, accorder aux actionnaires, à l'égard des administrateurs, un pouvoir de nomination et de destitution afin que les actionnaires eux-mêmes puissent élargir le champ des candidatures et ne pas avoir pour cela à attendre que le conseil d'administration se décide à le faire. Et puis, il faut en outre renforcer l'information des actionnaires afin qu'ils soient davantage en mesure de se prononcer sur l'action des administrateurs.

Les règles imposant une plus grande transparence — et la législation sur les valeurs mobilières en contient de nombreuses — agissent sur le comportement des entreprises. Lorsque celles-ci sont dans l'obligation de révéler la manière dont elles procèdent, ou ne procèdent pas, lorsqu'il s'agit de recruter un nouveau membre du conseil d'administration, aucun dirigeant d'entreprise ne voudra admettre qu'il a simplement contacté ses camarades de golf. Les règles de transparence influencent les comportements.

D'après nous, le meilleur moyen de procéder reste encore les trois moyens évoqués tout à l'heure.

Le sénateur Ringuette : Quelles sont les conséquences imprévisibles auxquelles vous songiez lorsqu'il a été question, tout à l'heure, de rendre cela obligatoire? Entendez-vous par « obligatoire » le fait de légiférer en ce sens?

Mme Cotte : Non. Il peut y avoir de très nombreuses conséquences imprévisibles. Je ne suis pas sociologue, et nullement experte en matière de contingents, mais je sais que de très nombreux travaux de recherche en sciences sociales font ressortir les effets pervers du contingentement.

Une chose qui me vient immédiatement à l'esprit est le risque de stigmatisation des personnes nommées en vertu d'un contingent. À cet égard, on pourrait citer les résultats contestés des programmes de discrimination positive aux États-Unis. Étant donné le grand nombre de femmes compétentes et le fait que les conseils d'administration n'auraient aucune difficulté à en recruter, nous sommes portés à penser que les risques de stigmatisation seraient aucunement compensés par les avantages escomptés d'une telle mesure.

Le sénateur Frum : Je m'aventure un peu ici dans le domaine des sciences sociales et je ne voudrais pas sombrer dans le purement anecdotique, mais je m'interroge tout de même sur cette transition culturelle à laquelle nous assistons actuellement. Je m'intéresse particulièrement au changement radical qu'éprouve présentement la population estudiantine.

Lorsque vous envisagez les moyens de contrer l'influence des réseaux de copinage, je pense à l'un de nos collaborateurs qui me disait hier qu'à la faculté de droit, 70 p. 100 de ses camarades de classe sont des femmes, contre 30 p. 100 d'hommes. C'est dire que même si les conseils d'administration continuent à recruter parmi les gens qu'ils connaissent, ils finiront bien par recruter des femmes, car leur montée en puissance est indéniable.

Ne diriez-vous pas que même sur le plan culturel, hormis les autres facteurs qui entrent en jeu, on constate la montée d'une génération nouvelle?

Mme Cotte : Je ne peux, à cet égard, que vous répondre de mon point de vue personnel. Je ne m'exprime donc pas au nom de la coalition, lorsque je vous réponds que l'on constate effectivement l'entrée en scène d'une nouvelle génération. Je ne parle pas nécessairement de la mienne, mais je pense à la génération suivante qui est encore meilleure que la mienne. Cette génération va grandir et acquérir de l'expérience. Cela va permettre en effet de résoudre en partie le problème, mais je ne pense pas que cela suffise. Il faut, d'après moi, pour surmonter ces obstacles, que le droit évolue dans le sens dont nous avons parlé tout à l'heure. Cela dit, je pense, personnellement, qu'avec le temps, la situation va s'améliorer.

Le sénateur Frum : Je suis d'accord avec le sénateur Oliver pour dire que les mesures que vous proposez sont très énergiques. Ajoutons à cela le poids de la réalité démographique, car les compétences vont de plus en plus se retrouver du côté des femmes.

Mme Cotte : Je pense, personnellement, que c'est vrai et que le bassin des compétences ne va faire qu'augmenter. Cela dit, il faut bien constater que le bassin des compétences existe déjà, mais que c'est trop rarement qu'on y puise. Je suis pour ma part convaincue que le niveau de la femme va s'élever de plus en plus.

Le sénateur Oliver : J'aimerais obtenir une copie du rapport Deloitte.

Mme Cotte : C'est très volontiers que j'en remettrai un exemplaire à la greffière du comité.

Le sénateur Oliver : Nous sommes un comité parlementaire, un comité du Parlement du Canada. Hormis la modification de la Loi sur les valeurs mobilières, y aurait-il quelque chose que nous puissions faire pour accroître la transparence et favoriser le recours aux trois solutions que vous évoquiez tout à l'heure?

Que pouvez-vous nous dire du degré de diversité qui caractérise le conseil d'administration de votre coalition?

Depuis plus de 20 ans, je m'attache à obtenir que de plus en plus de membres de quatre populations cibles soient en mesure de siéger aux conseils d'administration de nos grandes entreprises. J'entends par cela les peuples autochtones, les personnes ayant un handicap, les membres de minorités visibles et les femmes. Je me suis entretenu à cet égard avec certains des principaux cabinets de recrutement du pays.

On m'a confié en privé, des récits horrifiants de ce qui se passe parfois lorsque quelqu'un propose au comité de nomination la candidature d'une femme éminente, d'un membre éminent d'une minorité visible ou d'un éminent autochtone. Il est arrivé que la personne en question soit effectivement le meilleur candidat, mais qu'elle soit néanmoins rejetée par le conseil qui s'est parfois d'ailleurs vu pour cela actionner en justice.

Qu'êtes-vous en mesure de nous dire à cet égard? Il arrive ainsi qu'un cabinet de recrutement fasse son travail, mais que ses propositions soient rejetées, quitte pour le conseil de s'attirer une action en justice.

Voilà les quatre points que je souhaitais soulever.

Mme Cotte : En ce qui concerne ce qui relève de l'action d'un comité parlementaire, il faudrait en fait que le principe du vote majoritaire et l'instauration d'une passerelle d'accès soient consacrés par la législation sur les sociétés, c'est-à- dire, inscrits dans la LCSA. Cette loi étant actuellement en cours de révision, les changements qui y seraient introduits en ce sens pourraient être bien accueillis par les acteurs du secteur. Nous nous y attachons.

Il pourrait en effet être utile que le législateur donne aux ACVM une indication de l'importance qu'il attache à une telle mesure, même s'il sait que cela ne règle pas entièrement le problème, car nous insistons continuellement auprès des ACVM sur l'importance de cela et sur le fait que la situation appelle un changement des règles applicables.

Votre deuxième question portait, je crois, sur le conseil d'administration de notre coalition. Celui-ci est composé de 10 membres. Pendant des années, notre conseil d'administration comprenait deux femmes, y compris la vice- présidente, qui devait, cette année, assumer la présidence. Elle a pris sa retraite, hélas, et il ne reste au conseil d'administration qu'une seule femme.

Le sénateur Oliver : Sur un conseil d'administration de 10 membres?

Mme Cotte : C'est exact. Il convient cependant d'ajouter que, tel que nous l'avons conçu dès le départ, notre conseil d'administration est uniquement constitué de P.D.G. des fonds d'investissement et qu'il s'écarte donc en cela du modèle habituel. Seuls des dirigeants des fonds d'investissement siègent à notre conseil d'administration. C'est exactement l'argument que nous tentons de faire valoir auprès du conseil d'administration d'entreprises cotées en bourse, leur expliquant qu'il n'est pas nécessaire d'accueillir uniquement au sein de leur conseil d'anciens P.D.G.. Il est vrai, cependant, qu'en raison de la structure que nous avons imprimée à notre propre conseil d'administration, celui-ci n'accueille que des P.D.G. de fonds d'investissement.

En ce qui concerne maintenant la question des candidats de diverses origines écartés par le conseil d'administration, je pense qu'avec le renouvellement progressif des administrateurs, et l'entrée dans les conseils de nouveaux administrateurs provenant de différents horizons, la situation est appelée à évoluer. Malheureusement, il n'existe, je pense, aucune solution dans l'immédiat. Au fur et à mesure que les conseils d'administration se renouvellent et accueillent de nouveaux membres, dont des femmes et des membres issus des diverses minorités, les conseils d'administration devraient être de plus en plus portés à accueillir des candidats autres que ceux qu'on trouvait traditionnellement au sein des conseils.

Le fait, également, d'exiger des conseils d'administration qu'ils fassent savoir quelle est leur politique en matière de diversité, comment ils envisagent la question et comment aussi ils s'y prennent pour évaluer les résultats de leurs politiques en ce domaine devrait, là encore, influencer les comportements. Les actionnaires ne se contenteront pas en effet de savoir que le conseil d'administration a adopté, en matière de diversité, une excellente politique dans la mesure où il ne retient, pour élection au conseil, aucun candidat venu d'un autre horizon. La transparence entraîne un changement de comportement.

Le sénateur Poy : Est-ce à dire que pour l'instant votre organisation cherche surtout à convaincre, mais que si l'on veut mettre en œuvre les trois mesures dont nous avons parlé, il faudra les inscrire dans un texte de loi?

Mme Cotte : C'est exact.

Le sénateur Poy : C'est dire également que les entreprises qui font partie de votre coalition n'ont pas elles-mêmes nécessairement mis en œuvre les mesures en question?

Mme Cotte : Je tiens à rappeler que nos adhérents ne sont pas des entreprises canadiennes cotées en bourse et que, par conséquent, les mesures en question ne s'appliquent pas nécessairement à elles. On ne peut en effet comparer que ce qui est comparable et je ne vois pas vraiment comment répondre autrement à la question.

Notre coalition œuvre pour une amélioration du gouvernement des entreprises canadiennes faisant appel à l'épargne. C'est à cela que nous nous attachons.

Le sénateur Poy : Bon. Vous avez, à plusieurs reprises prononcé le mot « diversité » et le sénateur Oliver vient lui- même d'en parler. Or, selon moi, la diversité implique davantage que la parité de genre; j'entends, en effet, par diversité un éventail de personnes de différentes origines ethniques.

La société canadienne contemporaine comprend de nombreuses personnes provenant d'autres pays. Je crois pouvoir affirmer qu'un habitant sur cinq est né hors du Canada. Pour que les entreprises canadiennes cotées en bourse soient en mesure d'agir correctement au regard des besoins de notre pays, et même des besoins du marché international, il faut qu'elles soient administrées par des conseils qui, dans leur composition même, reflètent la diversité de notre population. Votre organisation a-t-elle défini une politique mettant également l'accent sur la diversité du point de vue des origines ethniques?

Mme Cotte : Nous insistons bien, dans notre mémoire, sur le fait que notre conception de la diversité embrasse ces divers aspects. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles nous ne sommes pas partisans des mesures envisagées dans le cadre de ce projet de loi. D'après nous, la parité de genre est, certes, un facteur de l'équation, mais ce n'est pas le seul.

Ce qui retient surtout notre attention, c'est la diversité des points de vue, des antécédents et de l'expérience, c'est-à- dire tout ce qui est pertinent au niveau de la compétence des administrateurs. Si l'on envisage la question avec sérieux, et que l'on s'attache effectivement à la diversité des antécédents, des points de vue et de l'expérience, il est fort probable que l'on retienne la candidature de personnes d'horizons très divers. On obtiendra ainsi des conseils d'administration comprenant des femmes, en effet, mais également des personnes issues des diverses minorités et, aussi, de divers milieux économiques. Il est selon nous important d'attirer des personnes qui, ayant des points de vue différents, sont capables d'interpeller la direction de l'entreprise et c'est pour cela qu'on ne peut pas simplement se contenter d'un conseil d'administration homogène. Pour nous, la parité de genre est un facteur parmi d'autres.

Le sénateur Ringuette : Si j'ai bien compris, vous avez dit, en réponse à la question que vous posait le sénateur Oliver, qu'il n'y actuellement qu'une seule femme au conseil d'administration de la coalition?

Mme Cotte : C'est actuellement le cas.

Le sénateur Ringuette : Une seule femme dans un conseil d'administration de combien de membres?

Mme Cotte : Dix.

Le sénateur Ringuette : Et sur ces 10 membres, combien sont de diverses origines ethniques?

Mme Cotte : La réponse dépend bien sûr de la manière dont vous définissez origine ethnique. Je ne vois pas très bien comment vous répondre sur ce point.

Le sénateur Ringuette : Selon la définition que le sénateur Oliver en a donné tout à l'heure.

Mme Cotte : Aucun membre de notre conseil d'administration n'est actuellement issu d'une minorité visible.

Le sénateur Ringuette : C'est donc zéro membre sur un conseil d'administration qui en comporte 10. Je vous remercie.

Mme Cotte : Permettez-moi, cependant, deux précisions. D'abord, ainsi que je le disais tout à l'heure, pendant de nombreuses années deux femmes siégeaient à notre conseil, y compris notre vice-présidente qui était appelée à assumer la présidence. Elle a pris sa retraite cette année, et n'a par conséquent pas pu assumer la présidence. Il faut, en second lieu, se rappeler la structure particulière de notre conseil d'administration. En effet, si le conseil est constitué de P.D.G. des fonds d'investissement c'est essentiellement en raison de l'importance du travail qu'ils y effectuent.

Le manque de parité hommes-femmes entre les sexes au sein des conseils d'administration d'entreprises faisant appel à l'épargne est en partie dû au fait qu'on cherche en général à recruter d'anciens ou d'actuels P.D.G. Or, selon nous, cela n'a pas lieu d'être et l'on ne doit pas uniquement chercher à recruter les membres d'un conseil d'administration parmi une seule catégorie de personnes.

En ce qui concerne notre propre conseil d'administration, qui n'est pas, je le rappelle, le conseil d'une entreprise cotée en bourse, étant donné l'importance du travail que nous accomplissons, et le fait que nous menons notre action au nom des fonds d'investissement représentés au sein de notre coalition, les membres de notre conseil d'administration doivent nécessairement être des hauts dirigeants des fonds en question. J'estime pour cela que la comparaison n'est pas vraiment valable.

Le président : J'ai un peu de mal à comprendre. Je croyais qu'il fallait être P.D.G. pour siéger au conseil.

Mme Cotte : Si j'ai dit cela c'est parce qu'ils sont tous P.D.G., sauf un qui est, néanmoins, un très haut dirigeant.

Le président : Je vois. C'est-à-dire qu'ils siègent au conseil d'administration en vertu des fonctions qu'ils occupent.

Mme Cotte : C'est exact.

Le président : D'après vous, donc, le problème, si, effectivement, il y a un problème, se pose au niveau des entreprises, mais pas au niveau de votre propre organisation.

Mme Cotte : C'est en effet cela, étant donné que nous ne sommes pas une entreprise cotée en bourse. C'est pour cela que la comparaison ne me paraît pas valable. Le problème est qu'au sein des conseils d'administration d'entreprises faisant appel à l'épargne, on a traditionnellement cherché à recruter uniquement d'anciens P.D.G.

Le sénateur Gerstein : Il y a trois volets à mon intervention : d'abord, une observation; puis, une clarification et, en troisième lieu, une question.

Je tiens à dire, d'abord, que je suis heureux de vous entendre insister sur le besoin de limiter la durée des mandats d'administrateurs. Je constate qu'il y a, autour de cette table, un accord général sur ce point, ce qui me porte à conclure que nous sommes parvenus à recruter un certain nombre de personnes favorables à l'idée de limiter la durée du mandat des sénateurs, ce qui me fait grand plaisir, car c'est en parfait accord avec les idées qui ont été exprimées sur ces diverses questions.

Je vais maintenant vous demander une petite précision. Vous avez bien dit que les membres de votre coalition ne sont pas des entreprises cotées en bourse?

Mme Cotte : C'est exact. Il s'agit d'investisseurs institutionnels.

Le sénateur Gerstein : De grands investisseurs donc. Je consulte la liste de vos adhérents et je me demande, le conseil d'administration de l'Université York est-il diversifié? Je ne dispose à cet égard d'aucun élément d'information précis, mais j'imagine que c'est bien le cas. Sans doute est-ce également le cas des autres institutions figurant sur cette liste. Certaines d'entre elles sont par contre des investisseurs institutionnels à capital fermé et dans leur cas, c'est moins certain.

Est-ce à dire que, lorsque vous avez nommé votre conseil d'administration, vous n'avez pas vraiment eu la possibilité de faire un effort de recrutement en bonne et due forme afin, justement, d'assurer la parité de genre, et la diversité d'ensemble. Et cela, serait dû à la nature même des organisations regroupées au sein de votre coalition. Je connais mieux ce qu'il pourrait en être de l'Université York. Je sais que son conseil d'administration est très diversifié. Que l'université se fasse, au sein de votre conseil, représenter par un homme, par une femme ou par quelqu'un issu d'une minorité visible, cela ne dépend aucunement de vous. Est-ce exact?

Mme Cotte : C'est exact. Notre organisation dépend essentiellement de ses membres. Nous recrutons des adhérents et puis nous demandons s'il y a parmi eux des bénévoles qui accepteraient de siéger à notre conseil d'administration. Ce sont, en général, les présidents-directeurs généraux des fonds ayant adhéré à notre coalition.

Le sénateur Gerstein : L'expression « pouvoir » de persuasion, a déjà été employée. D'après ce que j'ai pu constater en siégeant à des conseils d'administration, le pouvoir de persuasion de la Coalition canadienne pour une saine gouvernance est très fort. Selon moi, toute entreprise canadienne cotée en bourse qui refuse — et je n'entends pas dire par cela qu'il leur faille immédiatement mettre en œuvre tout ce qui est proposé par la coalition — de tenir compte, dirais-je donc, de l'action menée par la coalition prend de sérieux risques.

Pourriez-vous, étant donné que vous vous intéressez de très près à la manière dont est organisé le vote lors de l'assemblée générale des actionnaires, ainsi qu'à la manière dont sont nommés les administrateurs, et cetera, pourriez- vous, donc, nous dire quelque chose des résultats que vous êtes parvenu à obtenir par l'exercice, justement, de ce pouvoir de persuasion?

Mme Cotte : La question est à la fois vaste et intéressante. Nos efforts de persuasion s'exercent à deux niveaux. Le premier est, si vous voulez, le niveau global.

J'entends par cela nos notes sur les pratiques exemplaires, nos livres blancs tel celui que nous avons publié en 2010, sous le titre Building High Performance Boards. Nous en avons joint un exemplaire à notre mémoire. Il contient des lignes directrices détaillées sur la constitution d'un conseil d'administration efficace et équilibré. Nous publions donc ces livres blancs, ces exposés de pratiques exemplaires et, lors de nos rencontres, mais aussi de manière générale, nous incitons les entreprises à les adopter.

Outre ce travail, disons, de grande envergure, nous menons également une action plus ciblée auprès de diverses entreprises. Nous nous livrons à un examen approfondi de leurs politiques et de leurs pratiques en matière de divulgation de diverses catégories de renseignements. Nos analystes rédigent alors un rapport sur la qualité de ce qui est fait à cet égard par l'entreprise. Nous nous réunissons ensuite avec le conseil d'administration pour expliquer à la fois les points forts et les faiblesses que nous avons relevés au niveau de la transparence. Notre action s'exerce ainsi sur ces deux plans.

L'année dernière, nous nous sommes surtout intéressés à la question de la transparence au niveau de la rémunération des dirigeants de l'entreprise, la plupart des renseignements fournis étant en effet quasiment incompréhensibles, même pour le lecteur averti. Nous avons constaté que les entreprises s'en tiennent certes aux exigences que leur impose la loi, mais que les informations communiquées ne permettent guère de s'y retrouver. Lors de nos rencontres, nous incitons par conséquent les entreprises à user, envers leurs actionnaires, d'un langage clair et de nous expliquer à quels objectifs répond la structure des rémunérations de l'entreprise et comment cette grille de rémunération est de nature à inciter les dirigeants à réaliser les objectifs de l'entreprise.

Cette année, nous avons constaté une amélioration radicale de la transparence en ce qui a trait à la rémunération des dirigeants. Les grandes banques, notamment, ont fait de gros efforts pour expliquer en langage clair à quoi répond leur grille de rémunération et comment celle-ci contribue à la réalisation des objectifs de l'entreprise.

Il ne s'agit pas là d'un changement décrété par la loi, mais simplement de quelque chose que nous avons proposé aux divers conseils d'administration et nous estimons avoir été entendus. Voilà donc un exemple de la manière dont la simple persuasion permet parfois d'obtenir, en une année, des résultats incontestables.

Le sénateur Gerstein : Félicitations!

[Français]

Le président : Suivant la tradition, la vice-présidente du comité a toujours le droit, si elle le veut, d'avoir le dernier mot. Je passe donc la parole au sénateur Hervieux-Payette. On va donc accorder la parole au sénateur Massicotte, suivi du sénateur Hervieux-Payette pour ses questions. Et je souligne à vous deux le mot « question ».

[Traduction]

Le sénateur Massicotte : Je m'intéresse, depuis un certain temps déjà, à l'action de votre organisation et je sais que vous regroupez bon nombre d'actionnaires importants. Je tiens moi-même à vous féliciter de cet excellent travail. Vous vous êtes chargés d'une tâche d'autant plus importante que, comme vous le disiez tout à l'heure, nous n'avons guère mis en place, au Canada, de règles législatives en ce domaine. Je vous encourage donc à continuer, car je constate que vos efforts aboutissent à de bons résultats. Félicitations!

[Français]

Le président : Merci de vos commentaires, sénateur Massicotte. Vous donnez un mauvais exemple à la vice- présidente.

[Traduction]

Le sénateur Hervieux-Payette : C'est également mon avis, car je pense, moi aussi, que vous faites là de l'excellent travail.

Je voudrais revenir un petit peu sur ce que vous disiez tout à l'heure. Selon vous, il y a, au Canada, suffisamment de femmes ayant toutes les qualités requises pour siéger au conseil d'administration d'entreprises cotées en bourse. Vous avez ensuite évoqué la question du contingentement et des difficultés pratiques qui peuvent en naître. Tout découle, en fait, de la difficulté qu'il y aurait à voir nommer aux conseils d'administration des femmes possédant par ailleurs toutes les qualités nécessaires.

À supposer qu'on retire simplement d'un curriculum vitae le nom de la candidate, y laissant tous les renseignements concernant les qualités que le conseil estime nécessaires, l'expérience, par exemple, dans les domaines de l'environnement, des communications ou de la finance, pourquoi serait-il difficile de présenter à un conseil d'administration, un curriculum vitae qui correspond en tous points aux besoins de l'entreprise?

Mme Cotte : Je ne crois pas avoir parlé des difficultés d'ordre pratique liées au contingentement des places d'administrateur. Je parlais des effets pervers qui risquaient d'en découler. Sur le plan pratique, d'après moi, les difficultés résident essentiellement dans le fait que les membres des conseils d'administration hésitent à étendre leurs efforts de recrutement au-delà du cercle de leurs connaissances. J'estime que, c'est là que se situe le problème. Si, donc, les conseils d'administration étaient tenus de suivre, en matière de recrutement, une procédure professionnelle, ils ne souhaiteraient certes pas que soit mise à jour la manière dont ils procèdent actuellement. Comme je le disais tout à l'heure, la plupart d'entre eux ne voudront pas admettre qu'ils ont simplement retenu la candidature de monsieur X, leur camarade de golf.

Les règles de transparence ont donc une influence sur le comportement des entreprises. S'il existe actuellement des obstacles pratiques à l'évolution souhaitée de la situation, c'est essentiellement parce que les conseils d'administration ont tendance à prendre racine et à se reproduire par cooptation.

Le sénateur Hervieux-Payette : Je voudrais apporter une petite précision. C'est peut-être parce que je suis francophone, mais, pour moi, le mot « parité » n'a rien à voir avec l'idée de contingentement. Il s'agit plutôt du principe, inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés, garantissant l'égalité des hommes et des femmes. Je trouve assez offensant l'idée voulant qu'on entende par diversité, les femmes, les peuples autochtones, les minorités visibles et les personnes atteintes d'un handicap. D'après moi, la parité veut dire répartition moitié-moitié. Il est certain que l'on compte parmi les femmes, des femmes issues de minorités visibles, des femmes autochtones ainsi que des femmes atteintes d'un handicap. D'après moi, le concept de parité n'est pas équivalent à celui de diversité.

Je suis entièrement favorable à la diversité, et je ne trouve aucune contradiction entre ce terme-là et l'idée de parité. Lorsqu'on parle d'une répartition moitié-moitié, il est clair que cela s'entend autant des femmes que des hommes. Je suis également d'accord avec les efforts de votre organisation en faveur de la diversité et de la diversification du recrutement. Lorsque vous vous adressez à un cabinet de recrutement, les responsables connaissent parfaitement l'identité des divers candidats. À supposer que le sénateur Oliver et le sénateur Poy soient inscrits sur la liste des candidats, il est clair qu'on serait en présence d'un candidat et d'une candidate, mais je ne vois là aucune contradiction.

La chose me paraît parfaitement évidente. J'aimerais donc qu'on m'explique pourquoi c'est ce mot-là qui a été retenu. J'y vois une certaine confusion de langage et je souhaiterais obtenir votre point de vue sur cela, étant donné que vous entendez poursuivre vos recherches, prôner une plus grande transparence au niveau du recrutement et insister sur l'importance de la diversité. Pensez-vous pouvoir faire en sorte que votre organisation ne confonde plus parité et diversité?

Mme Cotte : Je vais leur en faire part. Je dois dire, cependant, que dans l'optique de nos adhérents, la diversité, quelle qu'en soit la forme, ne peut pas être envisagée isolément. Le principal souci est de nommer des administrateurs qui ont le courage d'interpeller la direction de l'entreprise, qui sont à même d'exercer correctement leur mission de surveillance et qui possèdent les aptitudes et les connaissances dont le conseil d'administration a besoin à une époque donnée.

Il y a tout un éventail de personnes qui possèdent les connaissances nécessaires, mais j'insiste bien sur l'idée que dans le cadre du processus de recrutement, le facteur le plus important est la qualité de l'administrateur. Cela dit, il est clair que les entreprises devraient diversifier leurs efforts de recrutement afin de choisir, parmi les candidats ayant les aptitudes requises, ceux qui sont en mesure de contribuer de nouveaux points de vue à la mission de surveillance. Nous convenons que cette diversité de points de vue et d'expériences améliorent l'exercice de la mission de surveillance et qu'un conseil d'administration diversifié est mieux à même d'évaluer l'action des dirigeants de l'entreprise.

Ce qui nous inquiète, dans le texte de ce projet de loi, qu'il s'agisse de « parité » ou de contingentement...

Le sénateur Hervieux-Payette : Ce n'est pas la même chose. Permettez-moi d'insister sur cela.

Mme Cotte : Quel que soit le nom par lequel on désigne la chose, nous craignons qu'en exigeant à tout instant la parité intégrale, on pose aux conseils d'administration des problèmes d'ordre tout à fait pratique.

Prenez l'exemple suivant : Le conseil d'administration est composé de 50 p. 100 d'hommes et de 50 p. 100 de femmes, la parité intégrale, donc. Une des femmes décide de démissionner, et le conseil parvient à trouver, parmi les divers candidats, celui qui répond parfaitement aux besoins du conseil. Or, c'est un homme. Aux termes des dispositions inscrites dans ce texte, le conseil va être obligé d'écarter ce candidat. D'après nous, cela impose à l'action des conseils une trop grande restriction.

Le sénateur Hervieux-Payette : Compte tenu des trois solutions que vous avez avancées, mais surtout des deux premières, c'est-à-dire le vote des actionnaires et la passerelle d'accès, pourquoi ne pas adopter de nouvelles règles législatives concernant les femmes, plutôt que les actionnaires ou les procurations de vote?

Je sens bien que, selon vous, l'état actuel de la législation n'encourage pas la démocratisation de nos entreprises. Ainsi, par exemple, lorsqu'on me donne une procuration pour l'élection d'un administrateur, je ne peux pas inscrire un autre nom; je ne peux pas avancer un autre candidat; je ne peux même pas dire que tel ou tel candidat est mieux qualifié que celui pour lequel on me demande de voter. Il se peut que j'aie l'occasion de voter par procuration, car je possède effectivement des actions, mais si ma participation est seulement indirecte, c'est-à-dire que je ne détiens une participation dans l'entreprise que par l'intermédiaire d'un fonds de placement, qu'il s'agisse d'un fonds de pension ou d'un autre type de fonds d'investissement, il ne me sera jamais donné de voter.

Pensez-vous que nous nous trouvions en présence d'un problème fondamental dans la mesure où, selon le principe à l'origine de la LCSA, ce sont les actionnaires qui sont censés choisir les membres du conseil d'administration?

Mme Cotte : Il est clair qu'il existe à cet égard un problème de structure. C'est bien la raison d'être des deux réformes que nous prônons. Il ne faut pas en effet perdre de vue l'idée que les véritables propriétaires de l'entreprise sont les actionnaires. Ce sont eux qui fournissent les capitaux nécessaires. Ils élisent les membres du conseil d'administration qui sont censés, en leur nom, encadrer la direction de l'entreprise. Depuis longtemps, il y a eu, si vous voulez, inversion de la pyramide, la direction de l'entreprise faisant savoir au conseil d'administration ce qu'elle entend faire, les actionnaires étant dans tout cela réduits à la portion congrue. Notre action consiste à essayer de rétablir l'ordre des choses, c'est-à-dire de revenir au principe juridique traditionnel du droit des entreprises selon lequel les actionnaires élisent les membres du conseil d'administration qui sont ainsi chargés de veiller à leurs intérêts et d'encadrer l'action de la direction.

Mais pour rétablir cette structure, il faudrait que les membres du conseil d'administration soient effectivement responsables devant les actionnaires. Or, selon nous, le seul moyen d'obtenir cela est d'accorder aux actionnaires un pouvoir de destitution et de leur donner, en outre, la possibilité de présenter des candidats lors des élections au conseil d'administration. Pourquoi, même, ne pas reconnaître aux actionnaires le monopole des nominations aux postes d'administrateurs? Seuls pourraient alors siéger au conseil d'administration les candidats élus par une majorité des actionnaires.

Le sénateur Hervieux-Payette : Les actions étant pour la plupart détenues par des fonds de pension, même si je possède des actions, je n'ai aucun droit de vote car ce droit a été cédé au fonds de placement. Si vous entendez instaurer les changements nécessaires en rendant aux actionnaires leur droit de vote, ne pensez-vous pas que, dans la mesure où les femmes constituent 50 p. 100 de la population active cotisant à ces fonds de pension, elles devraient avoir leurs propres représentants au sein des conseils d'administration?

Mme Cotte : Parfaitement, nous sommes entièrement d'accord que davantage de femmes devraient siéger aux conseils d'administration. Je tiens à ajouter que les détenteurs de parts que sont nos adhérents ne constituent pas du tout une catégorie homogène; il y a des fonds de pension, mais aussi des fonds communs de placement et la plupart de nos adhérents, sinon tous, ont mis en place, en matière de vote par procuration, des lignes directrices qui sont connues de tous. Le vote s'effectue conformément à ces lignes directrices. Davantage de femmes devraient siéger au sein des conseils d'administration, mais la question est de savoir s'il y a lieu d'imposer la parité intégrale. Ce n'est pas en ce qui concerne une mesure à laquelle nous puissions souscrire.

Le président : Nous avons épuisé la liste de ceux et de celles qui avaient des questions à poser. Avant de suspendre la séance, je tiens, madame Cotte, à vous remercier très sincèrement d'être venue prendre la parole ce matin devant le comité. Nous avons pris un vif intérêt à ce que vous nous avez dit, ainsi qu'à l'excellent mémoire que vous nous avez transmis. Tout cela nous sera de la plus grande utilité.

Chers collègues, nous allons maintenant suspendre pendant quelques instants la séance afin de permettre à notre témoin de se retirer. Nous reprendrons alors nos délibérations afin de procéder à l'étude article par article du texte du projet de loi.

Les membres du comité sont-ils prêts à entamer l'étude article par article du projet de loi S-206?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Frum : Je propose que nous ne procédions pas pour l'instant à l'étude article par article du texte, mais que nous discutions à huis clos de la question du rapport provisoire.

Le président : Une motion a été présentée. Entendez-vous en débattre?

Le sénateur Ringuette : L'ordre du jour prévoit l'étude article par article. J'estime que nous devrions nous en tenir à notre ordre du jour.

Le président : Sénateur Ringuette, le comité est maître de son ordre du jour, et c'est au comité qu'il appartient de décider. Le sénateur Frum a présenté une motion. Je vais la mettre aux voix et nous aviserons.

Le sénateur Massicotte : Pourriez-vous nous expliquer l'objet de votre motion?

Le sénateur Frum : Je souhaite présenter au comité un rapport provisoire sur les suites qu'il nous convient de donner à ce projet de loi, et j'aimerais procéder à huis clos.

Le sénateur Hervieux-Payette : Non, nous voudrions que vous nous expliquiez pourquoi nous devrions voter dans un sens ou dans l'autre. Nous n'avons pas encore vu le rapport, et nous ne savons pas pourquoi vous ne souhaitez pas procéder à l'étude du projet de loi. J'estime que vous devriez à tout le moins nous dire pourquoi.

Le sénateur Frum : Une motion a été présentée et il ne tient qu'à vous de l'adopter ou de la rejeter. Je propose pour ma part que nous passions maintenant à l'étude du rapport provisoire.

Le président : Entendu.

Le sénateur Ringuette : Je n'ai pas suffisamment de renseignements. Je n'ai connaissance d'aucune motion présentée par écrit dans l'une ou l'autre des langues officielles.

Le président : Nous allons en distribuer le texte.

Le sénateur Ringuette : Monsieur le président, cela pose la question de la transparence, principe auquel je suis particulièrement attachée. Le contribuable canadien est, lui aussi, très attaché à la transparence et à la responsabilisation. En ce qui concerne la motion tendant à ce que la séance se poursuive à huis clos, je dois dire que je ne suis guère favorable à tout ce qui porte atteinte à la transparence et à la responsabilisation de l'action parlementaire.

Le président : Vos avis sont pris en compte. Le fait est que le comité peut voter le huis clos. Il arrive à tous les comités sénatoriaux de poursuivre de temps à autre à huis clos. Il appartient au comité de dire si nous souhaitons effectivement entamer à huis clos la discussion sur le projet provisoire que le sénateur Frum souhaite présenter au comité. Je vais mettre la motion aux voix et m'en remettre à la décision du comité.

Je demande à ceux qui sont pour la motion du sénateur Frum de ne pas entamer l'étude article par article, mais d'entreprendre à huis clos l'examen du rapport provisoire de bien vouloir lever la main.

Line Gravel, greffière du comité : Est-ce un vote par appel nominal?

Le président : Honorables sénateurs, nous allons procéder à un vote par appel nominal. Notre greffière va procéder à l'appel, en commençant par le nom du président puis, par ordre alphabétique, celui des membres du comité. Je demande aux sénateurs d'indiquer verbalement s'ils sont pour, contre, ou s'ils s'abstiennent. Notre greffière annoncera ensuite les résultats du scrutin et il m'appartiendra, en tant que président, de dire si la motion est adoptée ou rejetée.

[Français]

Mme Gravel : L'honorable sénateur Meighen.

Le sénateur Meighen : Pour.

Mme Gravel : L'honorable sénateur Ataullahjan.

[Traduction]

Le sénateur Ataullahjan : Oui.

Mme Gravel : L'honorable sénateur Frum.

Le sénateur Frum : Pour.

Mme Gravel : L'honorable sénateur Gerstein.

Le sénateur Gerstein : Pour.

[Français]

Mme Gravel : L'honorable sénateur Hervieux-Payette.

Le sénateur Hervieux-Payette : Contre.

[Traduction]

Mme Gravel : L'honorable sénateur Kochhar.

Le sénateur Kochhar : Oui.

[Français]

Mme Gravel : L'honorable sénateur Massicotte.

Le sénateur Massicotte : Contre.

Mme Gravel : L'honorable sénateur Mockler?

Le sénateur Mockler : Pour.

[Traduction]

Mme Gravel : L'honorable sénateur Moore.

Le sénateur Moore : Contre.

Mme Gravel : L'honorable sénateur Oliver.

Le sénateur Oliver : Pour.

Mme Gravel : L'honorable sénateur Poy.

Le sénateur Poy : Contre.

[Français]

Mme Gravel : L'honorable sénateur Ringuette?

Le sénateur Ringuette : Contre.

[Traduction]

Mme Gravel : Sept voix pour, cinq contre.

Le président : La motion est adoptée.

(Le comité poursuit ses travaux.)

——————

(Le comité reprend en séance publique.)

Le sénateur Frum : Je propose que le comité adopte le rapport provisoire sur le projet de loi S-206.

Le président : Cela prête-t-il à discussion?

Le sénateur Massicotte : J'ai fait une lecture rapide du rapport provisoire étant donné que nous venons tout juste de le recevoir. J'estime devoir expliquer les observations que j'ai faites au sujet de ce rapport, et plus précisément au sujet du projet de loi. J'espère parvenir à vous convaincre tous de vous rendre à mes arguments. Je ne suis guère optimiste sur ce point, cependant, et je ne serai pas trop déçu si je ne parviens pas à vous persuader.

Permettez-moi de reprendre certaines des idées dont vous discutez dans le rapport provisoire. Le texte du projet de loi concerne, manifestement, les entreprises. J'admets volontiers que la vie des entreprises revêt, pour tout pays, une très grande importance, et c'est assurément le cas d'un pays tel que le nôtre. Les entreprises sont la principale source de richesse du Canada. Elles sont la principale source de rentrées fiscales, et créent la majeure partie des emplois. C'est grâce à elles si nous sommes parvenus à notre actuel niveau de vie. Je n'ai aucun mal à reconnaître leur importance et je sais qu'il faut procéder avec doigté lorsque, par souci de justice sociale, on entend leur imposer le respect de certaines normes. On ne veut pas en effet mettre en péril les leviers essentiels de notre économie. Tout cela, je le reconnais sans mal.

De nombreux arguments ont été avancés quant au rôle des conseils d'administration. Certains souhaitent que la population y soit mieux représentée, avec des conseils constitués à 50 ou 51 p. 100 de femmes. D'autres estiment qu'ils devraient avoir leur mot à dire au sujet des régimes de pension des actionnaires. Je dois dire que je ne comprends pas très bien. Les conseils d'administration ont essentiellement pour mission d'encadrer l'action du P.D.G., d'exercer auprès de lui les fonctions, on pourrait dire, d'un entraîneur et de veiller à ce que la direction agisse au mieux des intérêts de l'entreprise et, de manière indirecte, dans l'intérêt du pays.

J'admets votre argument lorsque vous dites qu'il s'agit en l'occurrence de puissantes institutions, mais il nous faut faire très attention aux mesures que nous décrétons à l'égard de ces entreprises et de leurs conseils d'administration. Il importe de faire en sorte que les membres du conseil d'administration possèdent toutes les qualités requises pour veiller à ce que l'entreprise soit pilotée correctement dans l'intérêt même du pays.

Je suis pour l'essentiel d'accord avec vous sur ce point. Je suis un ferme partisan de l'économie de marché et, en tant qu'homme d'affaires, je reconnais le bien-fondé de vos arguments à cet égard. J'hésite donc beaucoup à imposer quoi que ce soit aux entreprises et à m'immiscer dans leurs activités.

Prenez la société dans son ensemble; remontez dans l'histoire et consultez les ouvrages consacrés par exemple à l'histoire des Noirs aux États-Unis, et à celle des femmes dans notre propre pays. Hier soir, je me suis mis à lire un livre sur la notion de coup de coude, que quelqu'un m'avait recommandé. Nous avons, en tant que société, énormément de mal à changer notre manière de faire. Le statu quo pèse lourdement et nous accueillons difficilement le changement. Nous sommes partagés entre la logique, et le côté social, naturel, voire pathologique de notre être qui nous porte à résister au changement.

Il faut bien reconnaître que tout au long de notre histoire, la société a tout fait pour freiner l'avancement de la femme. Nous avons tardé à reconnaître ses droits, et nous tardons maintenant à reconnaître les droits des diverses minorités.

Je reconnais que ce n'est pas, en ce domaine, la logique qui dicte notre action. De nombreuses études démontrent les avantages que procurerait la diversification des conseils d'administration. Ces travaux de recherche ne démontrent pas nécessairement que cela entraînerait une amélioration des résultats financiers, mais il est difficile de nier l'importance de la diversité au sein des conseils d'administration, ne serait-ce qu'en raison de la plus grande qualité des conseils que cela permet de donner à la direction de l'entreprise.

Je suis, certes, partisan de l'économie de marché, mais, en même temps, je reconnais qu'il existe en cela un problème de société et je constate que nous répugnons au changement.

Je ne suis pas pour cela persuadé que la justice sociale exige qu'il y ait, au sein des conseils d'administration, exactement autant de femmes que d'hommes, car il faut, selon moi, admettre en ce domaine un large pouvoir de discrétion. Cela dit, je reconnais qu'en ce qui concerne la diversification des conseils d'administration, notre société a du mal à évoluer.

À titre individuel, j'admets les mesures destinées à faire avancer les choses en élargissant la place à laquelle peuvent légitimement prétendre les femmes. Je ne pense pas, cependant, qu'il nous faille décréter au sein des conseils d'administration la parité intégrale car je n'admets pas l'idée de contingentement, l'idée que chaque conseil d'administration doive être, par exemple, à 11 p. 100 constitué d'administrateurs d'origine chinoise, étant donné que la population du Canada est à 11 p. 100 d'origine chinoise. Je n'en admets pas le principe. Il nous faut, je pense, reconnaître aux entreprises le nécessaire pouvoir d'appréciation pour se comporter comme il se doit, certes, mais conformément aussi à leurs intérêts propres.

Je reconnais qu'en tant que parlementaires, il nous appartient de favoriser l'évolution et de reconnaître aux femmes la place qui leur revient. Nombreux, certes, sont ceux qui hésitent à le faire.

Si nous avions procédé à l'étude article par article du texte du projet de loi, j'aurais proposé d'y apporter un amendement, car la parité à 50 p. 100 me paraît être une mesure pas trop radicale. La prescription d'un tel contingentement imprimerait à la législation sur les entreprises une rigidité qui ne me paraît pas souhaitable. J'aurais recommandé que cette proportion de 50 p. 100 soit ramenée à un tiers, ou à 35 p. 100. Le recrutement, pour siéger à un conseil d'administration, des administrateurs les mieux qualifiés doit relever d'un large pouvoir de discrétion. On inciterait fortement les entreprises à admettre le principe, et il y aurait peut-être en outre eu lieu d'inscrire dans le texte une clause d'extinction prévoyant, par exemple, que la disposition s'éteindrait 10 ans après son entrée en vigueur.

Quoi qu'il en soit, je vous aurais encouragés à faire avancer les choses et à favoriser un plus grand esprit d'ouverture sans imposer cependant la parité intégrale, car je ne parviens pas à en admettre le principe. Dans l'intérêt même de notre société, tant dans celui des femmes que dans celui des entreprises, le mouvement aurait été amorcé. Dans une société, le sentiment de mouvement est quelque chose de très important et je pense que nous serions ainsi parvenus à obtenir des conseils d'administration mieux équilibrés, reflétant davantage nos réalités sociales sans pour autant nuire au pouvoir de décision des entreprises et à la mission exercée par les conseils d'administration. Voilà comment j'aurais entendu procéder.

J'espère vous persuader que ce que je propose est préférable au fait de ne rien faire du tout. J'aurais, en outre, donné davantage de temps aux entreprises, leur accordant un délai de 6 ans. Il faut, en effet, laisser à la société le temps d'évoluer. Songez au mouvement environnemental. On est surpris de voir combien les choses peuvent évoluer à partir du moment où le mouvement est lancé. En tant que parlementaires, il nous appartient parfois de donner un coup de coude afin de faire bouger les choses. Songez à la situation des droits civiques aux États-Unis et à leur difficile évolution malgré la législation qui avait été mise en place. La constitution était parfaitement claire sur ce point, mais la société a pris presque 100 ans pour y arriver.

Il nous appartient donc, en tant que parlementaires, de favoriser le mouvement.

Le sénateur Oliver : Je suis en accord avec une grande partie de ce que le sénateur Massicotte vient de nous dire. Comme d'habitude, ses propos vont dans le sens de la raison. Selon le dernier témoin que nous avons accueilli aujourd'hui, cependant, la diversité n'est pas simplement question de parité entre les hommes et les femmes. La question ne dépend pas, selon elle, uniquement du genre des administrateurs. Comme le sénateur Poy, j'estime qu'il y a lieu de prendre aussi en compte la situation d'autres groupes que les dispositions du texte passent cependant sous silence. J'entends par cela les peuples autochtones, les membres des minorités visibles, les personnes atteintes de divers handicaps ainsi que les membres d'autres groupes qui, au Canada, peuvent légitimement prétendre à des postes d'administrateur. J'y vois là encore un grave défaut du texte.

En ce qui concerne les autres arguments que vous avez développés pour parvenir à cette part de 35 p. 100, je suis d'accord. Je ne peux néanmoins pas vous suivre sur ce point, car ce que vous dites a pour effet d'exclure un trop grand nombre de personnes appartenant à des groupes spécifiques.

Le président : Chers collègues, je vous remercie. Le sénateur Frum a présenté une motion.

Je demande à tous ceux qui sont pour la motion du sénateur Frum de s'exprimer.

Des voix : D'accord.

Le président : Contre?

Le sénateur Massicotte : Avec dissidence.

Le président : Avec dissidence.

Chers collègues, je vous remercie. Voilà qui met fin à notre séance. Je suis désolé que bon nombre de nos collègues aient choisi de partir. C'est évidemment leur droit. J'espère, cependant, qu'à l'avenir les choses se passeront différemment.

Le sénateur Mockler : Que cela soit consigné ou non au compte rendu, ils ont la faculté néanmoins de rédiger un rapport minoritaire.

Le président : Sénateur Mockler, je vous sais gré de cette précision. Chers collègues, je vous remercie.

(La séance est levée.)


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