Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 5 - Témoignages du 4 mai 2010
OTTAWA, le mardi 4 mai 2010
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 17 h 9 pour étudier l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada (y compris les énergies de remplacement).
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir, chers collègues. Je salue également ceux qui nous écoutent sur la chaîne CPAC et sur le web. Bienvenue à nos deux invités.
Ce soir, au cours de cette réunion officielle du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, nous poursuivons notre étude sur l'élaboration d'une stratégie pour une politique nationale de l'énergie au Canada.
Je suis heureux d'accueillir mon ami et ancien collègue Perrin Beatty ainsi que son adjointe, Shirley-Anne George, de la Chambre de commerce du Canada. M. Beatty a eu une carrière remarquable. De 1984 à 1993, il a été le titulaire de presque tous les ministères dont je me souviens. En sa qualité de président-directeur général de la Chambre de commerce du Canada, qui compte 175 000 membres, ce qui en fait l'association nationale de gens d'affaires la plus représentative et la plus nombreuse du Canada, M. Beatty est le principal porte-parole et défenseur des positions stratégiques des très nombreux membres de son association auprès du gouvernement fédéral, d'organisations internationales, des médias et du grand public. C'est un groupe important de parties prenantes.
Je sais que vous avez fait une étude, qui nous intéresse beaucoup, sur la durabilité de l'énergie et sur toute la question entourant le sujet avec lequel nous nous colletons, c'est-à-dire trouver une façon de repenser les méthodes de production, de transport et de consommation de l'énergie au Canada, en tenant compte de toutes les considérations économiques et écologiques.
M. Beatty est accompagné de Mme Shirley-Anne George, qui s'est jointe à la Chambre de commerce en mai 2005 et qui, désormais, dirige l'équipe chargée de la politique qui constitue la principale raison d'être de la Chambre. Cela semble en être l'alpha et l'oméga. Nous accueillons les deux premiers dirigeants de la Chambre de commerce. Je sais que vous deux avez des engagements très urgents dans environ une heure. Nous espérons donc pouvoir vous entendre et même vous poser quelques questions.
L'honorable Perrin Beatty, C.P., président et chef de la direction, Chambre de commerce du Canada : Merci, monsieur le président et merci au comité pour son hospitalité et votre aimable présentation. Nous sommes heureux de rencontrer certains sénateurs pour la première fois et tout aussi heureux de revoir des amis de longue date et de renouer connaissance.
Sénateur, j'ai pensé que nous pourrions prendre quelques minutes pour formuler des remarques liminaires et que, ensuite, nous aurions le plaisir peut-être de dialoguer avec les membres du comité. Si, au moment de vous quitter, la Chambre de commerce est en mesure de vous fournir plus de renseignements, pour vos travaux, nous serons également heureux de vous les communiquer.
Permettez-moi, d'abord, de vous dire avec quel plaisir nous accueillons l'initiative que le comité a prise. Il s'agit d'une question de première importance pour les Canadiens, une question qui façonnera notre avenir de tant de façons, économiquement, socialement et environnementalement. En réfléchissant très sérieusement à l'élaboration d'une stratégie énergétique canadienne, le Sénat peut apporter une contribution majeure. Nous sommes privilégiés d'y participer.
Le président : Toutes mes excuses, monsieur Beatty. Je vous en ai fait la remarque plus tôt, et il semble que vous et moi soyons d'accord, un certain nombre d'autres groupes, au Canada, répondent activement, à nos yeux, au défi d'une politique nationale de l'énergie — et non d'un programme national de l'énergie des années 1970. Nous avons manifesté notre intérêt pour la méthodologie et l'approche employées par certains d'entre eux, pour éviter que chacun fasse le même travail et pour plutôt travailler à une sorte de conclusion commune. Peut-être sommes-nous mieux placés, en fin de compte, pour faire passer le message aux décideurs finaux.
J'espère que cette interruption ne vous a pas dérangé, mais je pensais que vous et moi étions d'accord, et je tenais à le dire.
M. Beatty : Votre travail est complémentaire au nôtre. Je me préparais à expliquer que, de par la nature des activités de la Chambre de commerce, mes fonctions m'ont fait parcourir le Canada pour visiter différentes communautés, rencontrer des dirigeants d'entreprise et échanger sur des enjeux qui sont importants pour nous et pour le bien-être de notre pays. Le rôle exceptionnel que je vois jouer par la Chambre de commerce dans ce domaine vient précisément de la diversité de ces questions. Elles revêtent tant d'importance pour les Canadiens qu'il nous incombe d'élaborer une politique qui soit aussi participative que possible et à laquelle les Canadiens de tous les secteurs de l'économie, les producteurs, les consommateurs, toutes les régions du Canada, ont une chance de participer. Voilà certainement le rôle que nous nous attribuons, et nous le considérons comme complémentaire au vôtre.
À la faveur de mes déplacements au Canada, je suis frappé par la grande diversité de notre pays mais, en même temps, par la communauté de nos craintes et de nos aspirations. C'est dans nos discussions sur la sécurité énergétique dans notre environnement commun qu'elle devrait être le plus évidente.
Le secteur de l'énergie est la pierre angulaire de notre prospérité. Il joue un rôle crucial pour le Canada en répondant aux besoins en énergie des citoyens et en générant d'importants revenus grâce aux exportations. Presque tous les pays nous envient notre richesse en énergie.
Cette année, la Chambre de commerce a décidé de faire de l'industrie de l'énergie et de son impact sur l'économie canadienne l'un de ses domaines de recherche prioritaires. L'année dernière, nous avons publié le rapport Relancer la prospérité canadienne, qui est le résultat de consultations que nous avons menées auprès de nos membres aux quatre coins du pays. Dans ce rapport, nous demandons à tous les ordres de gouvernement de faire équipe avec les intervenants, y compris le milieu des affaires, afin d'élaborer une stratégie d'énergie durable au Canada qui garantira la force et le dynamisme continus de l'industrie canadienne de l'énergie. C'est grâce à cette industrie que notre économie pourra croître et répondre aux besoins en énergie de demain.
Ce que nous visons ce n'est pas une politique fédérale que l'on imposerait aux régions, mais une vraie stratégie nationale dans laquelle toutes les régions sont partenaires à part entière. Il ne s'agit pas non plus simplement de transférer des ressources d'une région à une autre, mais de respecter notre Constitution et de reconnaître que l'accroissement de la prospérité d'une région engendrera des possibilités pour les autres. Ayant représenté une circonscription du Sud de l'Ontario au Parlement pendant 21 ans, je ne peux pas trouver de meilleur exemple que le secteur manufacturier du Centre du Canada. Ce secteur a subi de grosses pertes, mais il profitera énormément de son statut de fournisseur de l'industrie des sables bitumineux dans l'Ouest canadien.
En préparant notre rapport, nous avons consulté nos membres et avons pris connaissance de la situation actuelle du secteur de l'énergie, du besoin de collaborer pour traiter les nombreux défis complexes que notre pays doit relever en matière d'énergie, et des principes de base qui doivent nous guider. Surtout, nos membres nous ont informés des coûts énormes de l'inaction, comme les occasions manquées, les pertes d'emplois, la prospérité détruite.
Voici quelques chiffres. Le secteur canadien de l'énergie représente 70 milliards de dollars de notre produit intérieur brut. Il dépense chaque année 68,9 milliards en réparations et en remplacement d'immobilisations, ce qui représente 35 p. 100 des investissements totaux du secteur privé. En outre, il emploie plus de 372 000 personnes et génère des centaines de milliers d'autres emplois dans des industries liées.
Contrairement aux États-Unis et aux autres pays du G8, nous avons l'avantage de produire plus d'énergie que nous en consommons. Cette position enviable est une bénédiction, mais elle vient aussi avec des responsabilités. Nous devons nous assurer de tirer davantage parti de nos ressources tout en en assurant que les méthodes utilisées sont durables. Il nous est facile, au Canada, de céder à la complaisance et de tenir pour acquis ce que nous avons. Mais agir ainsi est très risqué.
Le secteur canadien de l'énergie doit aujourd'hui relever d'importants défis, et beaucoup d'autres poignent à l'horizon. J'aimerais prendre quelques minutes pour vous en parler. Je vous ferai ensuite part de ce que peuvent faire la Chambre de commerce et d'autres membres du milieu canadien des affaires pour améliorer la situation.
Le premier défi du Canada consiste à répondre à l'augmentation de la demande des consommateurs en matière d'efficacité énergétique, tout en tenant compte des changements climatiques et en suivant les meilleures pratiques environnementales. Les gens veulent pouvoir faire des choix meilleurs et plus durables. L'économie du Canada, qui repose sur ses nombreuses ressources en énergie, doit permettre l'élaboration et la mise en œuvre de nouvelles technologies et stratégies grâce auxquelles nous relèveront les défis en matière de protection de notre environnement.
Le deuxième défi du Canada a trait à la technologie. Nous devons davantage tirer parti de la richesse de nos ressources naturelles. Le secteur de l'énergie doit donc concevoir et mettre en œuvre des innovations qui lui profiteront. Nous sommes actuellement vus comme un chef de file dans ce domaine, mais il ne sera pas facile de maintenir cette position.
Nos efforts accusent actuellement du retard à cet égard. Selon une étude publiée par l'Université de la Colombie- Britannique, les fonds publics versés par le Canada pour la recherche dans le domaine de l'énergie n'ont jamais été aussi bas depuis 30 ans. Par ailleurs, selon une étude fédérale réalisée en 2009 par le Conseil des sciences, de la technologie et de l'innovation, le Canada s'est retrouvé à l'avant-dernier rang au chapitre des montants que les entreprises affectent à la R-D par rapport au produit intérieur brut. On y mentionne que la recherche sur l'énergie est un des principaux secteurs où l'on devra investir.
Le troisième défi que je veux porter à votre attention touche les pays dont l'économie est en pleine croissance, comme la Chine. Nous adaptons-nous à la pression concurrentielle qu'exerce la Chine sur le marché mondial? Tirons- nous le maximum des nouveaux débouchés commerciaux? Pour répondre à ces questions, penchons-nous un peu sur la situation commerciale actuelle de la Chine.
Le Financial Post a résumé le problème dans l'un de ses articles, publié à l'automne 2009 :
[...] la Chine semble avoir fait d'importants investissements dans le pétrole et le gaz partout, sauf au Canada, alors que le Canada semble avoir constaté que tous les pays, sauf la Chine, ont augmenté leurs investissements de taille dans son énergie au cours des dernières années.
En avril, la situation a peut-être changé, Sinopec, deuxième producteur de pétrole et premier raffineur de Chine ayant acheté pour plus de 4 milliards de dollars la participation de ConocoPhillips dans Syncrude. On devrait encourager les investissements étrangers qui sont conformes aux règles canadiennes.
La Chine est un pays en développement, une superpuissance en devenir, et on prévoit que sa demande en énergie augmentera. Fait tout aussi important, elle est une concurrente redoutable, dotée d'une main-d'œuvre bon marché et nombreuse, qui développe de nouvelles technologies environnementales et énergétiques à une vitesse remarquable. Nous ne pouvons pas sous-estimer les défis et les possibilités que nous apportera ce partenaire commercial, parmi les autres économies en développement.
Ceux qui ont visité la Chine, ces dernières années, auront été frappés par l'omniprésence des contrastes. Le goût de la pollution causée par les générateurs à charbon qu'on utilise pour produire l'électricité vous reste dans la bouche. Un brouillard obstrue tout le ciel. Sa couleur est simplement un peu plus pâle là où on pourrait s'attendre de trouver le soleil. On a devant les yeux beaucoup de techniques primitives dont on ne tolèrerait pas l'existence une seule minute ici au Canada. Il faut également se rendre compte que la Chine consacre des investissements remarquables dans de nouvelles techniques vertes, à la fine pointe de l'innovation.
Je ne sais pas si le gouvernement chinois croit en l'existence du changement climatique et du réchauffement planétaire, mais il croit dans les possibilités économiques qui découleront du fait de répondre aux besoins qu'auront les pays, à l'avenir, pour s'attaquer au problème du réchauffement planétaire. Il se dépêche de mettre ces nouvelles techniques au point grâce à la recherche, à l'investissement et au développement.
Des occasions s'offrent au Canada, mais nous devons reconnaître que nous devons agir rapidement pour en profiter et que des pays tels que la Chine représentent à la fois un marché important pour nos produits et un concurrent dangereux si nous ne nous hâtons pas.
Le quatrième défi, monsieur le président, consiste à trouver l'argent nécessaire au financement d'une stratégie nationale de l'énergie et de l'environnement. Développer et commercialiser de nouvelles sources d'énergie coûteront extrêmement cher, et les sommes nécessaires pour réagir aux changements climatiques seront faramineuses. Ce sera sans aucun doute le plus gros investissement que notre pays n'aura jamais fait, mais les citoyens et les gouvernements du monde entier veulent clairement que des mesures soient prises.
En juillet dernier, j'ai passé une semaine en Grande-Bretagne pour examiner la façon dont la question des changements climatiques y était abordée. Cette expérience fascinante s'est révélée aussi encourageante qu'inquiétante. Voici quelques points que j'ai retenus. Tout d'abord, la force du consensus sur l'urgence d'agir au sujet des changements climatiques est frappante. La question d'agir ou non ne se pose plus, il s'agit d'une nécessité. Le milieu des affaires ne se demande plus s'il faut adopter des mesures, mais il s'interroge plutôt sur la forme que ces mesures devraient prendre. Le parti conservateur, largement en avance dans les sondages, reproche au gouvernement travailliste de ne pas avoir suffisamment agi. On n'a aucune raison de craindre que l'engagement de la Grande- Bretagne s'affaiblisse à la suite d'un changement de gouvernement.
Mon homologue de la Confederation of British Industry était ici, au Canada, la semaine dernière, au Sommet des affaires du G8 et du G20. Je lui ai dit que, pendant la semaine que j'avais passée en Grande-Bretagne, j'avais sondé des gens d'affaires pour voir si leur milieu menait un combat d'arrière-garde contre la nécessité d'agir contre le changement climatique. Elle m'a confirmé qu'il n'y en avait pas. Le consensus est très fort. Essentiellement, le besoin d'agir ne divise plus le pays, il est maintenant généralement accepté dans la société.
En soi, cette situation diffère tout à fait de celle du Canada, aujourd'hui, et elle conditionne la réponse que le gouvernement et l'entreprise sont en mesure d'appliquer.
Ensuite, le débat qui a lieu en Grande-Bretagne au sujet des changements climatiques a probablement au moins trois ans d'avance sur celui du Canada. Les Britanniques ont conclu qu'ils devaient aborder les changements climatiques comme une question économique : peu importe les dépenses engagées pour agir, celles qui découlent de l'inaction seront beaucoup plus élevées. Comme un représentant d'ONG l'a fait remarquer, le fait de diffuser des images d'ours blancs ne suffit pas à convaincre les gens d'adopter des changements majeurs : il faut démontrer en quoi les collectivités et les familles seront touchées.
Également, le gouvernement britannique a beaucoup d'avance dans l'élaboration de ses stratégies. Lors de mon passage, il venait d'annoncer l'équivalent d'une stratégie industrielle pour les changements climatiques. On y indiquait les domaines dans lesquels le gouvernement national investirait, la façon dont il espérait maximiser les ressources du secteur privé, et les domaines où les entreprises britanniques ont le plus de chances de concurrencer les pays qui sont déjà passés à l'action. Le gouvernement a aussi élaboré un plan pour que, entre-temps, il n'y ait pas pénurie d'électricité.
Cependant, la Grande-Bretagne continuera de dépendre du gaz naturel russe, ce qui est pour le moins inquiétant, puisque la volonté des Russes d'ouvrir ou de fermer le robinet dépend de leur appréciation des politiques de leurs clients.
Un autre élément important de la stratégie de la Grande-Bretagne est son engagement envers le nucléaire. Quand j'ai rencontré des représentants d'ONG, j'ai constaté avec intérêt que, contrairement à bon nombre de leurs homologues canadiens, ils voyaient l'énergie nucléaire comme un élément important de l'équation, ou, du moins, ils avaient décidé de ne pas s'opposer au gouvernement sur ce point.
Je les ai sondés pour connaître leurs intentions derrière leurs déclarations liminaires. Je voulais savoir s'ils acceptaient vraiment la stratégie du gouvernement, c'est-à-dire compter sur le nucléaire pour un apport sûr en électricité, tout en l'utilisant de manière responsable pour l'environnement. Certains m'ont avoué qu'ils l'acceptaient. Les autres ont dit avoir choisi de ne pas contester le gouvernement sur cette question et qu'ils se proposaient essentiellement de la mettre de côté et de ne pas s'opposer à l'ensemble de la stratégie en raison des craintes qu'ils pouvaient entretenir à l'égard du nucléaire. Encore une fois, c'est une situation très différente du débat que l'on pourrait avoir aujourd'hui au Canada.
Enfin, il m'est apparu évident que la Grande-Bretagne, même si elle a des plans extrêmement ambitieux, ne pourra atteindre ses objectifs que si elle a beaucoup de chance. D'ailleurs, je ne crois pas que les gouvernements aient suffisamment mentionné au public à quel point le processus coûterait cher.
On entend encore dire que les emplois créés au cours des prochaines années seront plus nombreux que ceux qui seront perdus et que toutes les mesures prises seront rentables. Je ne doute pas que des occasions d'affaires surviendront, notamment au chapitre du développement et du déploiement de nouvelles technologies ainsi que des gains d'efficience que les entreprises feront en diminuant leur production de gaz carbonique. Mais j'ai de la difficulté à voir ce qu'il faudra faire, à part procéder à un important transfert intergénérationnel. Si les citoyens finissent par croire que leurs dirigeants les ont induits en erreur, leur volonté d'agir sur les changements climatiques fondra plus rapidement que la couverture de glace de l'Arctique.
Quelles sont les conséquences pour le Canada? La plus évidente pour moi est que pour régler les questions de changement de l'environnement et du climat, et pour développer et commercialiser nos ressources énergétiques, il nous faudra nous améliorer sur ces deux plans simultanément. En un mot, le public canadien et nos clients s'attendent à ce que nous soyons des gestionnaires responsables de l'environnement. Cependant, pour faire de grands progrès en la matière, nous aurons besoin d'une stratégie garantissant la sécurité actuelle et future de notre économie et de notre énergie.
Je conviens que nous devrons travailler en étroite collaboration avec les États-Unis, puisque nos économies sont intimement liées. Mais nous ne pouvons pas permettre d'attendre qu'ils aient mis en place leurs propres stratégies avant d'élaborer les nôtres. Soit nous négocierons l'établissement des règles, soit nous serons informés de leur adoption après coup. Nous ne devons pas croire un seul instant que les autres pays ne tenteront pas d'édicter des règles qui les avantageront ou d'être les premiers à tirer parti des avantages qui en découleront.
Il ne suffit pas de souhaiter des changements. Nos solutions à ces problématiques reposeront en grande partie sur les technologies et, dans de nombreux cas, sur des technologies qui n'existent pas encore. Nous devrons trouver des moyens d'investir judicieusement dans le secteur de l'énergie, sans nuire aux importantes recettes fiscales qu'il génère actuellement, ni aux dizaines de milliers d'emplois qu'il crée.
Ces défis sont de taille, comme vous pouvez le constater. Malgré tout, le Canada n'a toujours pas de stratégie cohérente. Pis encore, certains de nos dirigeants politiques ont parfois pris des mesures qui ont eu pour effet de créer des rivalités entre des régions du Canada. Certaines déclarations faites par des Canadiens à Copenhague au sujet de l'Alberta ne peuvent qu'exacerber les tensions régionales qui ébranlent si souvent l'unité de notre pays. Quand j'étais membre du Cabinet, le premier ministre, un jour, a lancé qu'il n'y avait rien de plus simple que de faire approuver par neuf provinces une politique mise en place aux dépens de la dixième, mais que rien n'était plus compliqué que d'obtenir l'accord de toutes les provinces. Il sera peut être difficile de convenir d'une stratégie nationale sur l'énergie qui fera l'unanimité au pays, mais une stratégie qui ne tient pas compte des besoins et des aspirations de chaque région ne fonctionnera jamais.
Je suis d'accord avec le premier ministre Harper lorsqu'il dit que le Canada pourrait devenir une superpuissance énergétique, mais, selon nos recherches, il ne s'agit encore que d'un vœu pieux. Quel est le plan du Canada? Quels sont ses objectifs dans le domaine de l'énergie? Nous nous retrouvons aujourd'hui devant des défis et des occasions si importants que nous devons être en mesure de répondre clairement à ces questions.
Nous avons besoin d'un plan. Ce plan doit être souple et axé sur le marché, de manière à promouvoir tant les énergies classiques que les énergies de remplacement. Il doit être en mesure d'offrir au Canada une énergie stable, sûre et abordable. Il doit être appuyé par des règlements qui permettront de réaliser rapidement et de façon prévisible des projets dans le domaine de l'énergie tout en uniformisant les règles pour toutes les sources. Cela exige une coordination et une coopération évidentes entre le gouvernement fédéral, les provinces ainsi que nos Premières nations.
Nous avons besoin d'un plan de développement équilibré qui permettra de réaliser les bons projets rapidement et de façon prévisible, qui assurera la protection de l'environnement et qui traitera les questions entourant les changements climatiques.
Il est tout aussi essentiel d'investir massivement dans la R-D de nouvelles technologies pour relever nos défis, uniques en ce sens que nous sommes un important producteur d'énergie en croissance constante. Nous devons également miser sur notre grande richesse énergétique afin de profiter de toutes les occasions pour créer des technologies dérivées et des produits à valeur ajoutée. C'est le sujet d'une étude que la Chambre canadienne de commerce publiera dans les mois à venir.
Notre plan doit comprendre des mesures visant à moderniser et à développer l'infrastructure énergétique du Canada, y compris les réseaux électriques, les oléoducs et les gazoducs ainsi que les installations portuaires. Il doit faire en sorte que les États-Unis continuent de nous considérer comme une source d'énergie très précieuse et très fiable, mais, également, nous permettre d'élargir nos horizons en ouvrant de nouveaux marchés d'exportation pour notre énergie.
Enfin, nous devons mettre un terme à l'incertitude entourant la survie de l'industrie nucléaire canadienne. Nous avons massivement investi dans cette industrie, la majorité de notre production d'électricité en dépend et elle sera désormais essentielle à notre sécurité énergétique.
Il est temps de faire ce qui s'impose. Nous devrions être capables de relever les défis complexes que j'ai énumérés, mais nous ne pourrons réussir que si nous disposons d'une stratégie exhaustive.
J'aimerais maintenant vous parler des énormes avantages d'agir immédiatement, et des risques considérables liés à l'inaction.
Comme pour toute question de politique publique, nous devons faire des choix. Et nous savons tous que quand il y a des choix à faire, il y a invariablement des divergences d'opinions entre les citoyens. Il sera donc important de débattre de manière franche et honnête de la forme que nous voulons donner à notre stratégie d'énergie durable. L'ouverture et la transparence du processus seront la clé de la réussite de cette politique. Je ne saurais trop insister là-dessus ni sur le fait que je suis heureux de l'effort que vous entreprenez et que je constate la complémentarité de nos actions. Le processus fait lui- même partie du produit. C'est une question controversée qui pourrait diviser profondément les Canadiens. C'est pourquoi le processus doit sembler transparent et pourquoi les Canadiens doivent s'approprier l'élaboration des politiques qui seront adoptées en fin de compte, s'ils veulent parvenir à établir le consensus social qui est nécessaire pour aller de l'avant.
Adopter une stratégie nationale et investir dans l'innovation et dans les ressources humaines peuvent nous aider grandement à gérer nos relations commerciales et à commercialiser nos exportations. Voilà des occasions de développer des technologies dérivées.
Cela permettra aussi au Canada de se trouver dans une position plus concurrentielle. Nous devons faire davantage pour ne plus être simplement vus comme un pays fournisseur de matières premières. Il est temps de nous forger, dans le marché mondial, une réputation de société axée sur le savoir et dont les idées constituent le moteur de l'économie. Profitons donc de chaque occasion de tirer parti des avantages qui s'offrent au Canada, pour qu'il nous soit plus facile de développer des produits pour les marchés émergents et de les y commercialiser. Voyons maintenant ce qui risque d'arriver si nous n'agissons pas immédiatement.
Nous avons déjà pris du retard, et la situation ne s'améliorera pas tant que nous n'aurons pas de plan multipartite bien réfléchi. Par complaisance, le Canada n'a pas suffisamment exploité ses matières premières pour créer des emplois à valeur ajoutée. Nous avons tenu pour acquis que les États-Unis achèteraient tout ce que nous voudrions leur vendre. Nous avons été pris au dépourvu et nous n'avons pas pu réagir adéquatement aux allégations selon lesquelles les sables bitumineux produisent du « pétrole sale ». Nous devons développer nos ressources de façon responsable et nous défendre beaucoup mieux chez nous et à l'étranger.
Le monde veut des sources d'énergie sûres et fiables, et nous n'avons tout simplement pas fait ce que nous devions pour que notre infrastructure ouvre les portes des marchés mondiaux à l'énergie canadienne.
Je ne saurais trop insister sur le fait qu'il s'agit également d'une question de sécurité mondiale. À mesure que les pays industrialisés dépendent de plus en plus de réseaux d'approvisionnements qui s'étendent dans le monde entier dans des zones politiquement instables, la sécurité et la fiabilité de l'approvisionnement en énergie offert par le Canada sont plus précieuses que jamais, non seulement pour assurer le fonctionnement continu de l'industrie dans le monde industrialisé, mais aussi pour garantir notre sécurité. Si nous sommes incapables d'assurer les approvisionnements en énergie qui sont indispensables aux pays industrialisés de l'Ouest, cela risque de devenir, littéralement, une question de guerre et de paix. En conséquence, le Canada a un rôle crucial à jouer.
J'ai mentionné plus tôt que l'industrie de l'énergie n'est pas l'unique enjeu. Dans un pays produisant autant d'énergie, il est tout simplement inacceptable qu'autant d'employeurs craignent pour la viabilité à long terme de leurs activités au Canada parce qu'ils se demandent s'ils pourront continuer à être approvisionnés en énergie d'un prix abordable. Il est tout aussi inacceptable que des producteurs d'énergie de l'Ouest canadien se demandent si le pays a besoin d'eux.
Toutes ces lacunes mettent aujourd'hui en péril des dizaines de milliers d'emplois, et bien plus encore à l'avenir. Il ne s'agit pas de simples concepts théoriques. Les risques sont réels pour les propriétaires d'entreprise, les professions libérales, les travailleurs et les citoyens du Canada. C'est notre économie qui est en jeu.
Pour qu'une politique énergétique d'une grande portée puisse voir le jour, nous devons en parler dans nos salles de conférence, nos entreprises, nos cuisines, nos écoles et nos boutiques. La Chambre de commerce du Canada, avec son réseau de chambres de commerce locales, met tout en œuvre pour que de telles discussions aient lieu. Nous encourageons les entreprises à examiner leurs besoins en énergie et à se demander comment elles peuvent contribuer à la stratégie canadienne, notamment en collaborant à des innovations qui profiteront tant aux producteurs d'énergie qu'aux consommateurs. Nous demandons aussi au gouvernement fédéral ainsi qu'aux gouvernements provinciaux et territoriaux du Canada de travailler en partenariat avec l'industrie, les entreprises, les consommateurs, les groupes communautaires et les Premières nations afin d'élaborer et de mettre en œuvre une stratégie d'énergie durable qui profitera à tous les Canadiens.
Le président : Vous avez oublié de préciser qu'ils devraient également collaborer les uns avec les autres.
M. Beatty : En effet. L'avenir énergétique du Canada est entre nos mains, et c'est maintenant le temps d'agir. Nous serons très heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Beatty. C'était un exposé qui donne en quelque sorte à réfléchir.
Avant de céder la parole à mes collègues, je tiens à signaler que, relativement à la volonté du premier ministre Harper de hisser le pays au rang d'une superpuissance énergétique, je crois que la politique du gouvernement, du premier ministre comme du ministre de l'Environnement Prentice, consiste à faire du pays une superpuissance de l'énergie propre. Comme je suis convaincu que vous choisissez avec soin les mots que vous utilisez, j'aimerais savoir pourquoi vous n'avez pas insisté sur le caractère propre de l'énergie ni mis davantage en relief les mots « renouvelabilité » ou « durabilité » dans vos remarques.
Vous avez mentionné que vous avez réalisé une étude de la durabilité, il y a quelques années, et qu'une publication sur le sujet devrait paraître dans deux ou trois mois.
Quelle méthode utilisez-vous pour préparer ces publications et aboutir à ces constatations?
M. Beatty : Je demanderai à Mme George de répondre sur nos publications et sur la place qu'elles occupent.
Comme vous l'avez dit, dans vos remarques liminaires, un certain nombre d'organisations, y compris de gens d'affaires, participent à différents éléments de l'élaboration d'une politique de l'énergie. Nous essayons de coordonner notre activité avec celle d'autres organisations pour nous assurer de ne pas, chacun de notre côté, réinventer la roue.
Nous voulons également nous assurer de commencer par les principes qui ont été exposés dans notre rapport, qui semblent faire l'objet d'un large consensus. Comme nous travaillons à partir de là, nous ne voulons pas présenter au gouvernement 15 points de vue différents de l'industrie, mais bien une série de propositions coordonnées, cohérentes et tout simplement sensées que l'industrie peut appuyer. Cela vous éviterait la cacophonie de voix qu'il y aurait autrement. Je vais certainement me pencher là-dessus.
Concernant la première partie de votre question, je n'insisterai jamais assez sur l'importance de l'énergie propre et renouvelable. Notre rapport tente essentiellement de faire valoir que nous ne réussirons à développer nos ressources énergétiques au Canada que si l'on considère qu'elles sont développées de façon responsable. En d'autres termes, il faut investir et axer nos efforts sur les énergies renouvelables en utilisant toutes les formes d'énergie, et ce, dans le respect des besoins de l'environnement et d'autres besoins de politique sociale également. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons demandé la tenue d'une vaste discussion sur la participation de toutes les parties intéressées.
Les deux éléments sont étroitement liés; nous ne réussirons pas à développer notre richesse énergétique au Canada, si nous ne le faisons pas de façon responsable. Honnêtement, nous ne réussirons pas à faire face à des problèmes comme les changements climatiques à moins que les Canadiens ne soient convaincus que notre économie continuera de croître et que nous pourrons continuer d'avoir de l'électricité.
Il est intéressant de constater que, depuis la récession, l'opinion publique a changé sur l'importance de l'environnement et des changements climatiques par rapport à l'économie. L'essentiel pour nous, c'est que nous pouvons avoir les deux, si nous le faisons de façon responsable et si nous avons assez d'imagination.
Shirley-Ann George, première vice-présidente, Politiques, Chambre de commerce du Canada : Merci de cette question. En élaborant ce rapport, nous cherchions à produire un document-cadre qui examine les questions de la façon la plus globale possible, en incluant non seulement de gros producteurs de bon nombre de différents types d'énergie que le Canada a la chance d'avoir, mais également les usagers.
Au cours de l'élaboration du rapport, l'idée qui nous est apparue la plus claire, c'était qu'on ne peut pas examiner toutes les questions qui doivent être réglées sans comprendre rapidement le recoupement entre les questions, leur caractère complémentaire, et le besoin essentiel d'avoir une stratégie. Les étudier individuellement n'a aucun sens. Ainsi, ce document-cadre expose un certain nombre d'autres questions sur lesquelles il faut se pencher. Depuis, nous avons consulté nos membres de nouveau et leur avons demandé par laquelle de ces questions nous devons commencer, selon eux. Nous n'avions pas encore terminé d'annoncer le document-cadre que des gens se précipitaient pour nous demander d'examiner de façon plus approfondie la question de la production à valeur ajoutée et de la deuxième transformation.
Le Canada incarne la réussite dans le secteur des sables pétrolifères, où nous avons réalisé un gain technologie important en transformant ce que beaucoup d'entre nous appelaient les sables bitumeux lorsque nous étions jeunes, car c'est essentiellement ce qu'ils étaient. Il s'agit maintenant d'une industrie très importante pour le Canada. Il faut miser sur cette réussite et sur l'ingéniosité dont nous avons fait preuve et ajouter de la valeur à notre production.
À l'extérieur d'Edmonton, le traitement de produits chimiques suscite un grand intérêt, par exemple en ce qui a trait à la formation d'un groupe qui étudierait la question. D'autres possibilités se présentent dans d'autres secteurs de l'énergie, comme celui de l'énergie nucléaire.
Également, l'étude de réseaux intelligents suscite beaucoup d'intérêt chez nos membres. Il nous faut examiner ce qu'il est possible de faire à partir de l'infrastructure existante, qui a été construite avec des moyens de fortune et dont les morceaux ont été collés ensemble. En l'examinant rigoureusement, nous sommes parfois stupéfiés de constater à quel point nous sommes chanceux d'avoir un approvisionnement énergétique aussi solide. Que faut-il faire et que peut-on faire pour rendre le réseau plus intelligent? Nous ne démolirons pas tout pour ensuite recommencer à zéro. Comment rendre le réseau actuel plus intelligent et plus efficace? Et lorsque nous commencerons à remplacer et à construire des choses, quelles seront nos possibilités?
Cette année, nous rédigerons un rapport sur les Premières nations. On ne peut parler des Premières nations et de la façon dont elles et le monde des affaires sont liés sans parler des conséquences du secteur de l'énergie.
Nous envisageons également de rédiger un rapport sur les questions démographiques. Le secteur de l'énergie, comme les autres secteurs, est confronté au problème très sérieux du vieillissement des travailleurs. Quelles seront les conséquences pour eux? Encore une fois, l'énergie jouera un rôle.
À bien y penser, il est difficile d'imaginer une question importante dans l'industrie énergétique et dans l'ensemble du Canada qui n'a pas de composante énergétique.
Le sénateur Mitchell : Merci à vous deux. C'était un très bon exposé, et très stimulant.
Je pense que tous s'entendent pour dire qu'il faut mettre un prix sur les émissions carboniques. La question est de savoir comment, et je vous pose la question à tous; vous ne faites pas exception. Devrait-on opter pour une taxe sur le carbone ou sur un système de plafonnement et échange?
M. Beatty : Lors de notre conférence, j'ai posé la même question à Rick George, de Suncor Énergie. M. George a dit qu'il préfère une taxe sur le carbone à un système de plafonnement et d'échange. Je lui ai ensuite demandé si nous aurions le choix, si jamais les Américains allaient de l'avant avec le système de plafonnement et d'échange. Il m'a répondu que non. Je suis porté à être d'accord.
La plupart des économistes diraient que, si l'on partait de zéro, une taxe sur le carbone serait le moyen le plus souhaitable de mettre un prix sur le carbone. En fait, nos économies sont tellement profondément intégrées en Amérique du Nord, que si les Américains allaient de l'avant avec le système de plafonnement et d'échange, je ne crois pas que nous aurions le choix de faire ce que nous voulons.
Le sénateur Mitchell : Ne pourrait-il pas y avoir une marge de manœuvre si, en fin de compte, on impose un prix sur le carbone d'une façon ou d'une autre? Ne pourrions-nous pas faire valoir que nos prix pourraient faire concurrence aux leurs?
Je ne propose pas d'une façon ou d'une autre que le Canada puisse concurrencer avec eux en établissant une taxe sur le carbone et épargner tout l'argent nécessaire pour gérer le système de plafonnement et d'échange, et être plus concurrentiel par la suite.
M. Beatty : Cela devient difficile à faire si l'on a deux systèmes qui sont incompatibles, avec une économie nord- américaine qui est profondément intégrée, avec une entreprise qui mène des activités des deux côtés de la frontière, et avec des entreprises qui s'approvisionnent l'une l'autre avec une si grande partie du commerce à l'intérieur de l'entreprise. Le degré de cohérence et de compatibilité de nos systèmes devrait être le facteur décisif pour nous.
Dans mes remarques, j'ai dit qu'il nous faut établir un lien entre ce que nous faisons et ce que les États-Unis font et être très au fait de l'élaboration de leur politique. Toutefois, j'ai pris le soin de préciser que nous ne devrions pas attendre les Américains avant de discuter de la politique et d'examiner nos besoins. Tout d'abord, les éléments de la stratégie énergétique et environnementale canadienne ne peuvent pas tous être conçus à Washington, et ce ne devrait pas être le cas non plus. Des éléments sont conçus convenablement ici. De plus, pendant que les Américains conçoivent les leurs, nous devrions avoir une idée de ce que nous voulons et le défendre, également.
Le sénateur Mitchell : Voulez-vous dire que ce n'est pas ce que nous faisons? Le savez-vous?
M. Beatty : Le travail est en cours; nous n'avons pas cette stratégie. Ce que nous faisons et ce que nous demandons, également, en fait, c'est une politique énergétique nationale qui n'existe pas aujourd'hui.
Le sénateur Mitchell : Nous espérons que le gouvernement ne se contentera pas de simplement mettre un prix aux émissions de carbone. Aux États-Unis, on déploie beaucoup d'efforts pour appuyer et utiliser des mesures qui visent à aider le développement de l'énergie renouvelable, par exemple.
En tant que représentant du monde des affaires, quel type d'initiatives gouvernementales de soutien avez-vous envisagé et, si vous étiez le premier ministre du Canada, laquelle choisiriez-vous pour aider les gens du monde des affaires à faire une suggestion?
M. Beatty : C'est peut-être l'un des secteurs pour lesquels nous irons plus loin. Nous avons constaté qu'il faut stimuler la R-D dans ce secteur. Nous misons sur des technologies qui n'existent pas aujourd'hui. Des possibilités s'offrent au Canada.
Si je devais répondre à votre question plus directement, je crois que je dirais que la certitude est la chose la plus importante en affaires. Pour faire des milliards de dollars d'investissements, dans certaines situations, il faut connaître les règles.
L'avantage que l'industrie britannique a par rapport à nous aujourd'hui, c'est que les Britanniques ont une idée de ce que seront les règles. Elle collabore avec le gouvernement pour déterminer où les investissements stratégiques du gouvernement britannique auront lieu et où il y a des possibilités avantageuses pour l'industrie britannique. Le gouvernement britannique décide de ce qu'il n'appuiera pas. Il dit qu'il investira l'argent des contribuables dans la capture et le stockage de carbone à l'étranger, mais pas chez lui, car il croit que cela correspond mieux aux besoins des Britanniques et qu'il y a de meilleures occasions commerciales ici pour l'industrie britannique.
Notre problème au Canada aujourd'hui, c'est que sans la politique dont nous avons discuté, le monde des affaires se trouve dans une position difficile; nous savons qu'il faut faire des investissements majeurs, mais nous ne connaissons pas les règles qui les régiront.
On m'a dit que ce qui s'est produit en Grande-Bretagne il y a quelques années, c'est que la Confederation of British Industry avait essentiellement participé aux discussions sur les changements climatiques. Ses membres se sont penchés sur la question et ont dit qu'ils n'étaient pas des scientifiques; qu'ils n'apporteraient pas leur contribution dans la science du changement climatique, mais qu'ils considèrent inévitable que le public et les gouvernements partout au monde s'attendent à ce que des mesures soient prises.
Cela dit, l'industrie britannique a besoin de certitudes pour prendre des décisions d'investissement importantes. Cela a changé toute la nature du débat en Grande-Bretagne. Les Britanniques sont allés de l'avant et les certitudes sont bien plus grandes aujourd'hui, tant pour ce qui est des aspects sur lesquels le gouvernement axe ses efforts qu'en ce qui a trait aux possibilités des gens d'affaires.
Notre gouvernement s'est engagé à s'attaquer aux changements climatiques, comme bien des gouvernements partout au monde. Il y aura de la réglementation à ce sujet. Les décisions prises auront des conséquences sur les activités du monde des affaires. Il nous faut seulement connaître les règles, et elles doivent être sensées. Il faut travailler ensemble à la manière de les concevoir de façon à ce qu'elles ne minent pas la compétitivité des entreprises canadiennes.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Je suis plutôt d'accord avec votre rapport. Vous suggérez de laisser le marché dicter les règles, que cela donnera la confiance dont les gens d'affaires ont tellement besoin. Vous dites également que le gouvernement ne devrait pas favoriser un secteur en particulier et qu'il devrait laisser le champ libre à tous les différents secteurs d'énergie, que de cette façon, la meilleure solution se présentera.
Cependant, en tant qu'homme d'affaires et ancien membre de votre conseil d'administration, je suis toujours un peu cynique quand quelqu'un demande des certitudes et — selon le titre de votre page 11 — « à bon prix ». Les gens d'affaires veulent des certitudes, mais sont-ils prêts à payer 100 $ la tonne pour entreposer le carbone, par exemple?
Vous parlez de besoins en recherche et développement, en infrastructure, en lignes électriques et autres, et vous prévoyez que le marché ne dictera aucune subvention gouvernementale, aucun intérêt financier du gouvernement et autres?
[Traduction]
M. Beatty : Non, nous ne proposons certainement pas cela. Lorsque je parle de certitude, c'est que nous tenons pour acquis que des mesures seront prises. Les gouvernements fédéral et provinciaux établiront des politiques qui auront des conséquences sur la conduite des affaires. Nous ne pouvons pas avoir de certitudes sans cela.
Ce que nous disons, c'est qu'après l'établissement de règles justes, prenons du recul et laissons le marché, dans le cadre de ces règles, déterminer où des investissements seront faits. Ne laissons pas le gouvernement intervenir constamment dans une série de différents secteurs.
Cela se produirait-il spontanément sans l'intervention des gouvernements, tant au Canada qu'ailleurs dans le monde? Non, car il n'y pas de stimulant économique pour cela.
Il faut établir les règles, le faire d'une façon transparente, selon une démarche qui est axée sur la collaboration et qui encourage les gens d'affaires canadiens dans le monde concurrentiel, et ensuite prendre du recul et laisser le marché agir dans le respect de ces règles.
Le sénateur Massicotte : Dans votre rapport, vous avez également indiqué qu'il faut laisser le marché déterminer et affecter les ressources. En même temps, vous parlez d'infrastructure.
Si c'est le cas, il est facile d'y souscrire, mais vous semblez indiquer également que le gouvernement devrait affecter des fonds aux infrastructures ou accorder des subventions d'une façon ou d'une autre à certains secteurs. Lorsque c'est le cas — que ce soit pour l'électricité ou la capture de dioxyde de carbone —, on a essentiellement choisi des gagnants et des perdants. On affecte alors des ressources à l'un plutôt qu'à l'autre. Vous avez parlé d'énergie nucléaire un peu plus tôt. Si l'on veut vraiment que le marché décide, il ne faut subventionner aucun secteur et il faut laisser le marché affecter ces ressources. Que répondriez-vous à cela?
M. Beatty : Si l'on retirait complètement le gouvernement du secteur nucléaire et qu'on prétendait qu'il appartient à l'Ontario Power Generation de tout privatiser, c'est à celle-ci qu'il incomberait de décider de l'origine des ressources. Même dans cette situation, le gouvernement aurait toujours à prendre des décisions, même en ce qui a trait à l'octroi des licences. Le gouvernement entre inévitablement en jeu.
Le sénateur Massicotte : Il est certain que le gouvernement doit jouer un rôle, mais faut-il qu'il subventionne des secteurs? Est-il nécessaire qu'il affecte ses propres ressources financières à des secteurs? Pourquoi ne pas laisser le marché tout dicter?
M. Beatty : Il y a des cas où le gouvernement intervient déjà. Par exemple, pour ce qui est des sociétés d'État, il intervient déjà.
Ce que nous disons, c'est que nous reconnaissons qu'il ne s'agit pas d'un marché parfaitement libre. Les gouvernements doivent prendre des décisions. Dans certaines situations, cela se traduira par la répartition de l'argent des contribuables dans un secteur ou dans l'autre. Cela devrait se faire le moins possible. Une fois que les règles sont établies, il faut maintenir un maximum de souplesse au sein du libre marché.
Dans le cas du gouvernement de l'Ontario, on peut prétendre que le charbon propre n'existe pas, qu'il n'y a aucun moyen d'utiliser le charbon sans qu'il soit dommageable pour l'environnement et, donc, qu'on en interdira simplement l'utilisation et qu'on n'envisagera pas de l'utiliser de quelque façon que ce soit.
Il faudrait établir des normes environnementales et dire qu'on devrait permettre tous les moyens de production qui respectent les normes environnementales et sociales qui ont été atteintes et les normes économiques qui ont été établies. Toutefois, simplement exclure un type de production et dire qu'il ne sera pas accepté est une distorsion du marché qui, à notre avis, est insensée.
Le président : On nous a dit que d'ici 2020, 90 p. 100 de la production d'électricité ne se fera pas au charbon. On nous a dit aussi qu'au moment de concevoir le type de politique énergétique globale que vous avez décrit, il ne faut pas répéter les erreurs du passé. Nous devons agir avec prudence. Cela pourrait prendre jusqu'à 20 ans, mais nous devons faire les choses correctement. Il faut un leader et c'est le gouvernement qui s'impose comme leader. C'est ce que certaines personnes nous ont dit.
Le sénateur McCoy : Le sénateur Lang et moi avons une solide expérience régionale et nous nous demandons comment le gouvernement fédéral peut dire à l'Ontario ce qu'elle doit faire de ses propres ressources.
Je veux vous poser la question. Cela représente un idéal, nous avons compris. Ce n'est pas une mauvaise aspiration.
Je me réjouis de vos propos et je suis particulièrement d'accord avec vous, car nous soutenons avec enthousiasme votre idée de collaboration, de faire participer toutes les parties intéressées et toutes les compétences — par des discussions constantes — pour atteindre un consensus sur une stratégie énergétique nationale. Je crois que ce serait très utile. Si nous pouvons nous engager avec vous sur ce terrain, je pense que nous aurons tous rendu un grand service à notre pays.
Votre appel à un plan me plaît. J'ai été encouragée de vous voir, de vous entendre parler du premier défi, celui de la consommation. J'avais hâte de voir ce que vous aviez exposé dans votre cadre, comme vous nous en parlez ce soir. J'ai été déçue d'apprendre que tous les détails formulés dans votre plan concernent la production, la vente sur le marché, les emplois à valeur ajoutée ou l'environnement propre, et qu'aucun ne concerne la consommation.
Pourtant, il y a 10 ans, vous et moi étions les invités du haut-commissaire de Grande-Bretagne et avons appris que l'entreprise Marks & Spencer — le pendant britannique de la Compagnie de la Baie d'Hudson, je suppose, mais qui investit aussi dans l'énergie —, lançait son judicieux programme de ressources. Elle s'attendait à devoir consacrer 40 millions de livres sterling sur cinq ans au programme et a fait 50 millions de livres sterling en deux ans. Elle a donc fait de l'argent en deux ans, bien qu'elle s'attendait à en dépenser pendant cinq ans.
Je suis curieuse de savoir si vous avez des idées sur la façon dont vos membres pourraient accroître la productivité — étant donné que vous répétez sans cesse qu'ils devraient le faire — améliorer leur position concurrentielle — et profiter d'une stratégie énergétique axée sur la réduction de la consommation.
M. Beatty : Bien sûr. Je m'excuse de ne pas avoir couvert tous les aspects que vous vouliez. J'ai l'impression que si je l'avais fait, vous n'auriez pas disposé de quatre minutes pour cet échange.
La réduction de la consommation est absolument essentielle. C'est sensé sur le plan économique, abstraction faite de tout le reste. Je vais faire valoir un point de vue économique. C'est très simple, car je représente le monde des affaires. Toutefois, si vous examinez le Canada, quelles sont les deux choses qui nous désavantagent plus que toutes autres à cause de notre situation? La première, c'est le climat froid, et la deuxième, c'est le vaste territoire très peu peuplé. Si nous améliorons l'efficacité de l'utilisation de nos hydrocarbures, nous pouvons réduire nettement nos coûts de production, d'approvisionnement et de services dans ce pays, ce qui nous donne un avantage concurrentiel dans le processus.
Vous avez parlé de Marks & Spencer. Vous voyez une industrie partout dans le pays qui se voue à l'établissement de programmes dont le but est d'améliorer la gestion des ressources et d'utiliser l'énergie avec beaucoup plus de mesure, parce qu'elle est déjà fortement encouragée à le faire. Il y a certainement des choses que le gouvernement peut faire pour encourager cela encore mieux, mais en ce moment, en particulier en raison de la hausse du coût de l'énergie au Canada, la motivation de trouver des façons d'économiser l'énergie plus efficacement se renforce tous les jours, et c'est puissant. Cela améliore notre compétitivité.
Le sénateur Seidman : Le quatrième défi portait quelque peu sur la nécessité d'être franc avec les Canadiens et de leur dire des vérités difficiles à entendre sur les dépenses importantes liées à ce processus. Lorsque nous parlons de dépenses, nous parlons non seulement de coûts monétaires, mais également de coûts sociaux et environnementaux.
Pourriez-vous nous parler un peu de la façon dont nous allons répondre aux préoccupations que les collectivités peuvent avoir sur bon nombre de ces développements? Le gouvernement peut réglementer, mais il se peut aussi que les sociétés aient à aborder différemment leur façon de communiquer leurs projets aux diverses collectivités. Par exemple, ce matin, un article à la une du journal The Gazette de Montréal portait sur l'énorme insatisfaction et le conflit au Québec concernant un projet d'éoliennes qui n'avait pas fait l'objet de consultations convenables auprès des collectivités. Elles en sont vraiment indignées. Pourrions-nous parler un peu de cette question?
M. Beatty : J'y ai fait allusion dans ma déclaration préliminaire, quand j'ai parlé des sables bitumineux et du fait que nous devons dire les choses de façon beaucoup plus efficace. En fait, nous sommes peut-être tout simplement meilleurs dans la production et dans la prestation d'un service que dans la consultation, l'explication et l'aide à l'information des gens. Pour réussir, pour être en mesure d'utiliser les richesses naturelles incroyables que nous avons dans ce pays, nous aurons besoin de l'appui du public. Ce ne sera pas possible si le public s'y oppose. Il faudra le faire avec son appui. Très souvent, les préoccupations des gens sont légitimes, qu'elles portent sur le bruit ou sur les répercussions environnementales des parcs éoliens. Il est irresponsable de balayer leurs préoccupations du revers de la main. Il faut se pencher sur des points importants de l'exploitation des sables bitumineux et c'est la même chose pour l'énergie nucléaire. Il en est de même pour l'aménagement de nouvelles lignes de transport de l'hydroélectricité. Il faut aborder ces aspects de façon transparente et ouverte, et les promoteurs de projets doivent dire les choses de façon ouverte, honnête et instructive. Voici le corollaire : il nous faut un processus qui permet la prise de décisions. L'opposition à un projet d'aménagement ne justifie pas l'interruption des travaux. Quelqu'un doit être en mesure de décider ce qui est dans l'intérêt du public. Il est clair qu'il est dans l'intérêt du public de veiller à ce que les lumières restent allumées, que les foyers soient chauffés, que nous soyons capables de nous rendre au travail, de produire des choses et de nourrir nos familles. Le gouvernement, peu importe le palier, doit défaire ce nœud gordien et prendre une décision. Vous me demandiez si les gens d'affaires peuvent dire les choses d'une meilleure façon. Il le faut, car sinon, nous ne réussirons pas.
Le sénateur Lang : Monsieur Beatty, je suis heureux de vous voir, et je suis heureux que vous connaissiez la différence entre compétence fédérale et compétence provinciale, parce qu'à certains égards, c'est ce qui nous pose problème. Nous cherchons à savoir ce que le gouvernement peut faire en collaboration avec les provinces et à savoir ce qui est notre responsabilité.
Ma première question a trait au processus environnemental. Vous en avez parlé très brièvement au cours de votre déclaration préliminaire. Nous avons tous vécu avec le processus d'évaluation du pipeline du Mackenzie, qui a été amorcé presque avant ma naissance, et nous arriverons à un point culminant dans un avenir rapproché.
M. Beatty : Je m'en souviens certainement; j'étais alors un jeune député.
Le sénateur Lang : Votre organisme a-t-il étudié les processus en place et, si oui, quels changements recommanderiez-vous pour rendre le processus plus rapide et plus professionnel, de façon à ce que des décisions soient prises?
Mme George : C'est une question très importante. Le pipeline du Mackenzie est, malheureusement, l'exemple parfait d'un échec en matière de réglementation, non pas par manque de bonne volonté, mais tout simplement parce qu'il ne faut pas autant de temps pour réaliser toutes les études nécessaires. Le fait d'avoir 1 700 groupes — et n'importe lequel d'entre eux peut s'opposer — n'a aucun sens.
Nous croyons fermement que c'est l'occasion rêvée d'établir une meilleure collaboration entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Dans de nombreux cas, il n'est pas nécessaire de faire les mêmes études deux fois, avec des questions légèrement différentes. Pour l'essentiel, il s'agit du même travail. Nous avons entendu dire qu'il y a eu des retards importants et, souvent, c'est parce que le gouvernement fédéral n'est pas en mesure de travailler aussi rapidement.
À cet égard, le Bureau de gestion des grands projets a fait un excellent travail en ce qui concerne les projets d'infrastructures, par exemple. Les responsables ont cherché à savoir dans quelles circonstances le gouvernement fédéral peut accepter l'évaluation d'un gouvernement provincial. Les responsables se sont rendu compte que dans de nombreux cas, ils peuvent le faire tout en s'acquittant de leurs importantes responsabilités législatives. Ce n'est qu'un domaine. Cela suffirait à faire nettement avancer de grands projets en tous genres.
M. Beatty : Il n'en est pas ainsi seulement dans le secteur de l'énergie, monsieur le sénateur. Un autre exemple, que le sénateur Runciman connaît très bien, concerne le domaine du transport et le passage frontalier Detroit-Windsor. Le fait qu'il a fallu tant de temps pour aménager un nouveau passage entre Detroit et Windsor, le passage frontalier le plus important en Amérique du Nord, est tout simplement ahurissant. Nous avons construit le pont-jetée vers l'Île-du- Prince-Édouard — ou pensez à d'autres projets majeurs qui ont été réalisés et dont les répercussions environnementales étaient nettement plus graves — en beaucoup moins de temps. Nous devons avoir un processus équitable, ouvert, transparent et fonctionnel, particulièrement quand des questions de sécurité nationale sont en jeu, que ce soit en matière de sécurité énergétique ou de sécurité économique.
Le sénateur Lang : Dans le cadre du processus dont vous avez parlé plus tôt, il fallait, à la table de négociation, la présence de tous les intervenants — que ce soit les gouvernements provinciaux, les Premières nations, les organisations non gouvernementales ou les organismes environnementaux. Il y a un processus en cours. J'aimerais savoir comment vous pensez que cela va se terminer, pour qu'on en arrive à des décisions. Comme nous et d'autres organismes, vous êtes en train de faire un certain nombre d'études. D'après vous, dans combien de temps nous réunirons-nous pour faire certains des choix difficiles qui sont pourtant nécessaires? Parlons-nous d'un an, de deux ans? Y avez-vous pensé?
M. Beatty : Dans certains cas, nous n'avons pas le loisir de remettre les décisions à plus tard, mais en ce qui concerne la mise en place d'une stratégie, le processus lui-même est primordial. Il faut qu'il soit transparent et fait en collaboration, mais vous devez le mener à terme. Si je ne me trompe pas, vous avez dit qu'il vous faudrait une autre année avant de compléter votre travail. Je ne pense pas que ce soit injustifié du tout. Cependant, nous devons être capables d'avancer, et le gouvernement doit être en mesure de dire : « Écoutez, de nombreux processus ont été mis en place pour permettre à tous d'avoir voix au chapitre. Nous avons eu des recommandations. Maintenant, il est temps de prendre une décision. » Par la suite, accordez-nous la latitude nécessaire.
Après cela, notre grand défi sera de maintenir pendant toute une génération la volonté nécessaire à la réalisation de ce dont nous parlons. Ce n'est pas une chose pour laquelle nous avons connu beaucoup de succès au Canada en temps de paix. Nous devons être en mesure de mettre en œuvre la politique dans le cadre d'un bon processus, nous devons prendre des décisions que nous devrons maintenir par la suite.
Le sénateur Peterson : J'ai aimé lire votre rapport intitulé Relancer la prospérité canadienne. Dans le rapport, vous favorisez l'adoption d'un nouveau cadre réglementaire en matière de gaz à effet de serre dont les objectifs seraient réalisables. En ce moment, nous avons prévu une réduction, d'ici 2020, de 17 p. 100 par rapport à 2005. Premièrement, pensez-vous que c'est atteignable? Deuxièmement, appelleriez-vous cela un objectif ou un plan?
M. Beatty : C'est un objectif. Nous pouvons l'atteindre, mais sans plan, ce sera difficile.
Le sénateur Peterson : En ce qui concerne le prix de l'énergie, votre organisme est-il pour une stratégie d'augmentation des prix à la consommation pendant une période de quatre ou cinq ans pour qu'ils correspondent davantage aux coûts?
M. Beatty : C'est déjà commencé. Nous constatons une augmentation du prix de l'énergie en fonction des forces du marché. Il ne fait aucun doute qu'en ce moment, cela a une incidence sur les décisions des entreprises.
Le sénateur Peterson : Cependant, les consommateurs ont-ils aussi à faire face à cela? Si ce n'est pas le cas, ils ne nous aideront pas à atteindre nos objectifs. Pour diverses raisons, beaucoup de secteurs sont subventionnés.
M. Beatty : Prenez cette province, par exemple. Nous constatons que le prix de l'électricité est en hausse.
Le président : Vous voulez dire l'Ontario?
M. Beatty : Oui, l'Ontario, monsieur le président. Nous constatons aussi une augmentation du prix de l'essence.
Les consommateurs sont conscients du fait que nous vivons à une époque où les prix de l'énergie vont continuer à augmenter. Évidemment, plus ils augmentent rapidement, plus les gens sont incités à réagir rapidement. Cependant, très peu de gens prévoient une chute des prix de l'énergie. Quand ils prennent des décisions, par exemple, celle d'acheter une nouvelle maison, ils cherchent à s'assurer qu'elle est bien isolée, dans le but de réduire le coût de l'électricité. On constate une incidence sur le type de véhicule que les gens choisissent. On peut très certainement voir que les décisions de l'industrie ont pour objectif la réduction du coût de l'énergie par la consommation d'une moins grande quantité d'énergie.
Mme George : Nous n'atteindrons jamais les objectifs si les consommateurs ne représentent pas une très importante partie de l'équation.
Le sénateur Peterson : C'est ce que je dis. Nous devons avoir une stratégie en ce sens. Les objectifs ne suffisent pas.
M. Beatty : Cela ne se fera pas spontanément, mais le mécanisme le plus important, c'est le mécanisme des prix. Nous voyons une augmentation des prix.
L'autre chose qui se produit quand les prix augmentent, c'est que les technologies de remplacement deviennent plus abordables. On commence à développer un marché où ces technologies peuvent être concurrentielles et où on peut les mettre en marché. Ce n'est pas le cas de nombreuses sources d'énergie de remplacement parce qu'elles ne sont pas concurrentielles sur le plan économique.
Le sénateur Runciman : C'est un sujet fascinant. Cela me fait presque souhaiter être un membre du comité. Comme on dit au sujet d'un certain politicien, je ne suis que de passage.
Premièrement, en ce qui concerne vos commentaires au sujet de l'industrie nucléaire — et de la dérive et de la confusion —, nous savons que le gouvernement étudie les offres en ce qui concerne le côté commercial de ce secteur. J'aimerais savoir ce que vous proposez précisément. Avez-vous pris position sur le fait que l'Ontario a décidé de reporter sa décision, après avoir donné espoir aux demandeurs pendant 18 mois, au coût de millions et de millions de dollars? C'est un sujet qui m'intéresse.
Vous avez parlé de marché et, encore une fois, je me concentre sur l'Ontario. En ce qui concerne les prix des producteurs d'énergie de remplacement, nous savons que les prix des énergies solaire et éolienne sont environ quatre à cinq fois plus élevés, au kilowatt/heure, que le prix que les abonnés résidentiels payent en ce moment. Je ne suis pas certain de ce que cela représente, non seulement pour les résidants, mais aussi pour les entreprises qui y font des affaires.
Je sais qu'en Espagne, en raison de la situation économique, les responsables cherchent désespérément à renégocier les contrats avec des personnes qui ont signé ce genre d'engagements importants il y a un certain nombre d'années.
M. Beatty : Je vais esquiver, jusqu'à un certain point, votre question sur le nucléaire. Je me contenterai de dire, cependant, que pour l'avenir, le nucléaire doit être une partie importante de l'équation énergétique. Nous ne serons pas en mesure d'atteindre nos objectifs de lutte contre les changements climatiques et de garder les lumières allumées sans une forte dépendance au nucléaire. Nous en avons besoin aujourd'hui, nous en aurons besoin à l'avenir.
Pour pouvoir planifier, nous devons d'abord avoir une bonne idée de la façon dont le gouvernement fédéral voit l'avenir de l'énergie nucléaire au Canada et, ensuite, nous devons connaître les décisions des responsables provinciaux en ce qui concerne l'identité des fournisseurs. Nous allons soit développer ces technologies nous-mêmes ou nous allons les acheter. Vous pouvez probablement en déduire que, si j'ai une préférence, c'est pour que nous les développions nous-mêmes. Cependant, plus que tout, nous avons besoin de clarté. S'il y a dérive, vous avez le pire des scénarios. Quelle était votre autre question?
Le sénateur Runciman : C'était la question sur la décision de l'Ontario, mais vous ne voulez peut-être pas y répondre.
M. Beatty : J'ai pensé que je m'en étais rapproché aussi près que j'étais disposé à aller.
Le sénateur Runciman : L'autre question était celle des coûts abordables. Nous parlons des consommateurs qui doivent comprendre que les prix vont augmenter, mais quand il y a une si grande différence...
M. Beatty : La question est de savoir à quel rythme les prix augmentent.
Le sénateur Runciman : Oui, et cela pourrait avoir un effet négatif en ce qui concerne l'acceptation de la direction que vous voudriez que cela prenne.
M. Beatty : Tout à fait. Si vous constatez que, soudainement, les emplois sur lesquels ils comptent pour payer leur hypothèque disparaissent, cela signifie que l'appui aux politiques qui causent ces pertes d'emploi disparaîtra aussi.
Nous admettons que le coût de l'énergie va augmenter, mais la question est de savoir à quel rythme nous le ferons. Ce doit être un rythme qui ne fait pas trop souffrir les personnes à faible revenu, par exemple, autrement, il faut trouver des moyens de les protéger des répercussions.
Deuxièmement, nous devons nous assurer que nous ne plaçons pas nos industries en position de désavantage concurrentiel, ce qui, encore une fois, nous ramène à la question du moment de la décision. Ce que je dis, c'est que nous devons prendre des décisions difficiles et que les gens vont en discuter longuement, mais nous devons mettre en place un mécanisme qui mène à une stratégie le plus tôt possible, par opposition à plus tard, pour que nous sachions à quoi nous en tenir.
Le président : Monsieur Beatty, nous avons atteint votre limite de temps. Avez-vous un peu plus de temps? Je sais que vous devez vous rendre à une réunion importante.
M. Beatty : Malheureusement, ce soir, nous sommes les hôtes du ministre des Transports et d'un certain nombre de personnes de partout au pays.
Le président : Assurez-vous de dire à M. Baird qu'ils représentent 28 p. 100 des consommateurs d'énergie de ce pays, qu'ils doivent réduire leur consommation et cela ne pourra qu'être plus propre par la suite.
M. Beatty : Je vais lui transmettre vos bons vœux, monsieur le président.
Le président : Chers collègues, je crois que nous devons tous remercier sincèrement M. Beatty et Mme George pour leurs commentaires de ce soir. Nous pourrons peut-être lire entre les lignes et voir là un présage d'une volonté de travailler avec nous pendant que nous allons de l'avant. Vous avez de nombreux appuis importants qui ne nous viennent pas naturellement. Vous pourriez peut-être penser à nous quand vous avez de telles réunions, et nous penserons à vous.
Ceci est fondamental et le temps nous est compté. J'aurais aimé avoir plus de temps pour parler avec vous des mots inquiétants que vous avez murmuré quand vous avez dit que vous n'insisteriez jamais assez sur vos préoccupations à l'égard de la Chine, et vous avez même cité le titre d'un ouvrage célèbre, Guerre et paix. Voilà des paroles mesurées; nous devrons donc tous réfléchir longuement avant d'aller plus loin.
À Copenhague, où j'ai eu la chance d'être présent, les Chinois ont indiqué qu'ils étaient prêts à s'asseoir à la table des négociations et à fixer des objectifs. Ils sont prêts à discuter de ces questions avec le Brésil, la Russie, l'Inde, les États-Unis et le Canada. Je crois que c'est ce que vous en déduisez aussi.
M. Beatty : J'espère que c'est le cas, mais votre commentaire, monsieur le sénateur, me rappelle celui du Président Reagan à l'époque des négociations avec les Soviétiques, où il a parlé de « faire confiance, mais vérifier ». Je voudrais qu'on s'assure que dans toute entente, nous avons la capacité de vérifier que tous les intervenants font ce qu'ils ont à faire.
Le président : Le Président Obama a été très clair à ce sujet lors des négociations de Copenhague. Je pense qu'il est important que nous comprenions ce qui se passe et que nous les regardions en face et que nous travaillions avec eux. Comme quelqu'un l'a dit, il n'y a qu'une atmosphère, ici. Elle n'a pas de bannière étoilée ou d'unifolié. Le sénateur Mitchell a fait remarquer qu'apparemment, ils inaugurent une centrale au charbon presque tous les jours. Est-ce exact, sénateur Mitchell?
Le sénateur Mitchell : Toutes les semaines.
Le président : Cela fait très peur. La pollution et les émissions de carbone de ces centrales au charbon viennent ici. Il est dans notre intérêt de nous asseoir à la table et de travailler avec eux. Sans plus tarder, je vous remercie beaucoup.
Chers collègues, nous reprendrons nos travaux jeudi matin à 8 heures. Nous accueillerons des gens de l'Académie canadienne du génie. Aussi, le comité de direction vous fera une mise à jour au sujet de notre rapport sur la conférence GLOBE, de notre rapport intérimaire sur la phase un et des témoins pour les réunions à venir.
Le sénateur Massicotte : Monsieur le président, merci de ne pas avoir mis un autre témoin à l'ordre du jour. La partie de hockey commence dans une demi-heure.
Le président : Je pense que M. Beatty a eu son mot à dire à ce sujet. C'est un homme très compréhensif. Madame George, je ne peux donner un coup de maillet sans avoir fait taire la rumeur qui dit que vous êtes l'épouse de Rick George.
Mme George : Non, je ne le suis pas.
Le président : Merci à tous.
(La séance est levée.)