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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 4 - Témoignages du 26 octobre 2011


OTTAWA, le mercredi 26 octobre 2011

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, afin d'examiner, pour en faire rapport, les faits nouveaux en matière de politique et d'économie au Brésil et les répercussions sur les politiques et intérêts du Canada dans la région, et d'autres sujets connexes.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Nous allons continuer d'examiner, pour en faire rapport, les faits nouveaux en matière de politique et d'économie au Brésil et les répercussions sur les politiques et intérêts du Canada dans la région, et d'autres sujets connexes.

F. W. Orde Morton va témoigner par vidéoconférence. M. Morton a pris sa retraite de la Banque de Montréal, dont il a été vice-président de 1996 à 2000. Auparavant, il a travaillé à Brascan Limited qui est maintenant, comme chacun sait, Brookfield Asset Management. Il a enseigné l'histoire de l'Amérique latine à l'Université de Calgary et à la Universidade Federal Fluminense, à Rio de Janeiro, et il a fait partie du corps diplomatique canadien à Rio de Janeiro, sans oublier des affectations à Ottawa.

Nous recevons, en personne, João Augusto de Castro Neves, conseiller politique indépendant — Politiques brésiliennes. Il est rédacteur en chef en matière politique de Brazilian Economy, un journal publié par la Getulio Vargas Foundation au Brésil. Il est également analyste politique à BrazilPolitics, organisme établi à Washington, D.C. Nous souhaitons la bienvenue à nos deux témoins.

F. W. Orde Morton, à titre personnel : Merci. Ma déclaration sera très brève. Comme vous le savez, je vous ai remis, il y a environ trois mois, un mémoire écrit qui contient à peu près tout ce que j'ai à dire.

Je voudrais toutefois, si vous le permettez, faire une observation au sujet des témoignages que votre comité a reçus la semaine dernière. J'en ai lu la transcription. J'ai trouvé très encourageant de voir le réalisme et les connaissances que vos témoins ont manifestés au sujet du Brésil. Certaines remarques que j'ai formulées dans mon mémoire écrit ne sont donc plus tout à fait pertinentes car nous avions l'impression, au Canada, que nous faisions une faveur aux Brésiliens en nous intéressant à eux. C'était une attitude regrettable et improductive et je me réjouis donc qu'elle semble avoir disparu.

Si vous le permettez, je voudrais contester une chose qui a été dite la semaine dernière. Un des témoins, du service d'immigration, a déclaré qu'il y avait 100 millions de personnes extrêmement pauvres au Brésil. C'est très exagéré. Le chiffre officiel, comme Mme Fortin l'a dit le lendemain, est de 60 millions. C'est peut-être un peu optimiste, mais c'est certainement beaucoup plus proche de la réalité que le chiffre de 100 millions. La chose qui est sans doute la plus importante à retenir au sujet du Brésil est qu'aujourd'hui la majeure partie de la population fait partie de la classe moyenne. Elle n'est pas indigente. D'après ce que j'ai moi-même constaté et ce que j'ai lu, je dirais que la plupart des Brésiliens qui viennent ou qui souhaitent venir au Canada font partie de la classe moyenne.

Je voudrais aussi confirmer une chose que M. Haynal a dite, à savoir que le Brésil est non seulement un grand pays, mais un pays extrêmement autosuffisant. En fait, on peut dire que le Brésil est le pays le plus autosuffisant au monde. Il n'a pas vraiment besoin d'importer quoi que ce soit maintenant qu'il a ses propres ressources pétrolières, qu'il produit son propre blé et qu'il peut fabriquer à peu près tout ce que les autres pays fabriquent. Autrement dit, le Brésil n'est pas un pays auquel il est facile de vendre quelque chose et cela d'autant plus qu'il a une longue tradition d'autosuffisance. Pendant de nombreuses années, tel a été non seulement l'objectif de la politique gouvernementale, mais également un but jugé intellectuellement respectable par la Commission économique des Nations Unies pour l'Amérique latine, qui était dominée par des gens qui croyaient à l'autosuffisance. Cette mentalité a un peu changé au cours des 20 à 25 dernières années, mais elle n'a certainement pas disparu. Il n'est pas facile de convaincre les Brésiliens d'acheter, à l'étranger, quelque chose qu'ils peuvent facilement produire eux-mêmes. Encore une fois, au cours des témoignages de la semaine dernière, j'ai constaté avec plaisir que les gens étaient conscients de la nécessité d'avoir un bon produit pour pouvoir vendre quoi que ce soit aux Brésiliens, des produits avec une valeur ajoutée évidente.

C'est tout ce qui me vient à l'esprit, mais je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur Morton.

João Augusto de Castro Neves, conseiller politique indépendant — Politiques brésiliennes, à titre personnel : C'est un plaisir d'être ici et aussi un défi d'avoir à parler du Brésil et expliquer un peu ce qui s'y passe en cinq minutes. Je vais vous donner un bref aperçu général du passé récent du Brésil et essayer d'expliquer les facteurs qui sont en train de faire du Brésil une puissance émergente comme tout le monde semble le dire aujourd'hui, non seulement à propos du Brésil, mais aussi de pays comme la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud, le fameux BRIC.

Dans le cas du Brésil, lorsque vous étudiez les relations internationales, il ne faut pas oublier que les « puissances émergentes » et les « puissances régionales » peuvent être éphémères. Au début des années 1970, on parlait du Brésil comme d'une puissance émergente, non seulement dans le milieu des relations internationales, mais au Brésil même. C'était au début des années 1970. Le Brésil connaissait une période, qu'il a qualifiée de miracle économique, caractérisée par une croissance annuelle de 15 p. 100, pendant une période qui a duré cinq ou six ans. Puis il y a eu deux crises pétrolières, la guerre du Vietnam, la crise de la dette dans les années 1980 et il n'était plus question de puissance émergente. Lorsqu'on parle de puissances émergentes, il est très important d'être prudent. À quel point l'émergence du Brésil est-elle durable? Je dirais que cette émergence repose maintenant sur des bases plus solides. Je parlerai seulement de deux séries de facteurs.

Le premier est la stabilité politique. Au cours des 25 dernières années, le Brésil s'est engagé sur la voie de la démocratie. Ce pays, qui a eu un régime militaire de 1964 à 1985, est devenu une démocratie dynamique à compter de 1985. Nous avons adopté une nouvelle Constitution et nous avons même destitué le premier président élu par le peuple depuis des décennies sans que cela n'entraîne l'effondrement des institutions. Tout s'est déroulé conformément à l'état de droit. La réélection d'un président a également été approuvée. Lorsque le président Lula a été élu en 2002, c'était symbolique, car c'était la dernière grande force politique à prendre le pouvoir au Brésil. Cela a mis fin à un cycle. Chacun des principaux partis politiques du Brésil a été au pouvoir à un moment donné au cours des 25 dernières années. Par conséquent, il n'y a pas de groupes radicaux qui soient vraiment importants au Brésil. En fait, c'est un signe de stabilité politique qui explique en partie la maturité politique ou la vigueur politique dont le Brésil a fait preuve dernièrement.

Les autres facteurs sont d'ordre économique. Depuis les années 1990, le Brésil a commencé à s'ouvrir au monde : Il avait eu jusque-là une économie très fermée. Le processus de libéralisation graduel de l'économie a commencé dans les années 1990. Au milieu de cette décennie, nous avions également un grand plan de macrostabilisation. Le Brésil était non seulement le champion du soccer, mais aussi de l'hyperinflation depuis des décennies. Cette tendance a pris fin dans les années 1990 grâce au plan real et à l'adoption d'une nouvelle monnaie.

En ce qui concerne la réforme des institutions publiques et la privatisation, l'appareil étatique très important est devenu plus efficient grâce aux réformes entreprises par le président Cardoso. Malgré un discours différent, Lula a maintenu en place la plupart de ces bonnes politiques économiques. Aujourd'hui, et depuis une quinzaine d'années, il y a un consensus politique assez fort au sujet des principaux enjeux économiques, surtout pour combattre l'inflation, par exemple.

Ces facteurs sont venus s'ajouter à un contexte international favorable jusqu'en 2008, ainsi qu'aux bonnes politiques sociales dont la mise en place avait également commencé sous le gouvernement Cardoso, dans les années 1990 et au début des années 2000, mais que le président Lula a améliorées grâce à des mesures comme la bolsa familia s'inscrivant dans le cadre d'un important programme de protection sociale.

Comme l'a mentionné le témoin précédent, pour la première fois de l'histoire du Brésil, la principale classe sociale du pays est la classe moyenne. Elle représente 100 millions de personnes sur un total de 190 millions. C'est un exploit pour un pays très inégal. Cela crée un important marché de consommation. C'est l'un des facteurs de la croissance économique au Brésil. Le Brésil dépend beaucoup de la Chine comme bien d'autres pays. À l'heure actuelle, la Chine est le principal partenaire économique du Brésil, mais le pays a également une classe moyenne florissante qui contribue à son expansion économique.

Nous assistons aussi à l'internationalisation de sociétés brésiliennes comme Embraer, Vale et d'autres grandes sociétés. C'est aussi, en partie, le résultat des deux processus politiques et économiques simultanés des 15 ou 20 dernières années.

Ce n'était qu'un aperçu général du passé récent du Brésil qui cherchait à mettre en lumière les facteurs ou les moteurs de l'émergence de ce pays. Je vais m'arrêter là pour pouvoir répondre à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur de Castro Neves.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Monsieur Morton, j'ai vraiment été impressionnée par la profondeur du mémoire que vous nous avez soumis il y a trois mois. C'était un mémoire bien articulé. Vous avez un esprit d'analyse qui vous honore.

Le Brésil a renoué avec une forte croissance ces deux dernières années et ce, grâce aux performances du secteur exportateur et au réveil de la demande interne. Le revers de la médaille, quand on parle de l'afflux de capitaux étrangers, c'est que cela a contribué à l'emballement du crédit qui, à son tour, a fait des pressions inflationnistes. L'activiste de la banque centrale a procédé à des hausses de taux d'intérêts et à l'augmentation du ratio des réserves obligatoires, mais tout cela n'est pas parvenu à freiner le crédit domestique en raison du faible coût du capital importé. La demande interne a fini par infléchir sa croissance, mais le crédit poursuit son expansion.

Selon vous, dans cet environnement inflationniste, la Banque centrale a-t-elle pris un pari en réduisant son taux directeur sur la base d'un affaiblissement de la croissance économique mondiale et des prix des matières premières?

[Traduction]

M. Morton : Je dirais que oui. Comme bien des gens, j'ai été très étonné quand le Brésil a abaissé son taux d'intérêt, il y a environ un mois, je crois. Les raisons que vous suggérez, sénateur, sont simplement les plus évidentes; c'est parce qu'on s'attend à une réduction de la croissance, tant au Brésil que sur le plan international.

Je mentionnerais également que le réal, la monnaie brésilienne dont la valeur s'était accrue par rapport au dollar pendant une longue période, a commencé à retomber il y a quelques mois. Il continue de perdre lentement du terrain par rapport au dollar, ce qui modère les pressions inflationnistes.

Le gouvernement brésilien est dans une situation très délicate sur ce plan-là et je me réjouis de ne pas avoir à prendre les décisions. C'est un gouvernement qui est déterminé à améliorer le sort de la majorité des Brésiliens. Il est plutôt à gauche et a beaucoup fait pour améliorer le niveau de vie de la plupart des Brésiliens, ce qui l'oblige inévitablement à dépenser de l'argent et à favoriser la disponibilité du crédit. En même temps, bien entendu, de puissants arguments militent en faveur d'une limitation de la demande. Si je savais comment résoudre ce dilemme, je ferais sans doute autre chose.

Pour répondre à votre question, sénateur, vous avez sans doute raison, ce sont probablement les raisons que la banque centrale a invoquées. Il est possible qu'elle ait fait l'objet de fortes pressions politiques pour qu'elle ne rationne pas trop le crédit. En réalité, je serais très étonné si elle adoptait cette politique. Cela répond-il à votre question?

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Oui.

J'aurais une autre question à vous poser, plus brève celle-là.

Cette baisse est-elle l'amorce d'un mouvement baissier et pourrait-on aussi observer d'autres baisses d'ici la fin de l'année?

[Traduction]

M. Morton : Désolé, madame le sénateur, mais je ne pense pas pouvoir vous répondre dans un sens ou dans l'autre. Bien entendu, si la situation économique mondiale devient plus périlleuse, il est probable que la banque centrale n'hésitera pas à abaisser les taux d'intérêt, car le risque d'importer de l'inflation sera beaucoup moins grand.

Par contre, pour dépasser un peu le cadre de votre question, j'aimerais souligner que les pressions inflationnistes font pratiquement partie intégrante de la société et de la politique brésiliennes. Les politiques sont démocratiques, mais c'est un pays avec une société fondée sur le clientélisme et un régime démocratique parlementaire qui ne contribuent, ni l'un ni l'autre, à une modération des dépenses publiques. Pour pouvoir former une majorité au Congrès, il faut recourir à des moyens qui ne prévoient jamais une compression des dépenses.

Par conséquent, des pressions permanentes s'exercent sur la banque centrale pour qu'elle maintienne des taux d'intérêt qui sont élevés par rapport aux normes mondiales, et je suppose que cela continuera pendant longtemps.

La présidente : Monsieur de Castro Neves, voulez-vous ajouter quelque chose ou poser une question?

M. de Castro Neves : Je pourrais compléter la réponse qui vient d'être donnée et avec laquelle je suis d'accord. La banque centrale a abaissé les taux d'intérêt à deux reprises. La dernière fois, le marché avait parié que la banque centrale allait abaisser les taux plus qu'elle ne l'a fait. Selon les derniers chiffres de la banque centrale, l'inflation s'est rapprochée de la marge supérieure de la cible d'inflation qui va de 4,5 p. 100 à 5 p. 100. Aujourd'hui, le taux d'inflation est d'environ 7 p. 100 au Brésil. On croit qu'avec le gouvernement Rousseff au pouvoir, la banque centrale parie sur un ralentissement de la croissance économique. Au début de la crise, en 2008, on a eu le sentiment qu'elle n'avait pas suffisamment baissé les taux d'intérêt. Elle essaie maintenant d'y remédier.

Comme on l'a déjà dit, de constantes pressions inflationnistes et autres s'exercent constamment sur la banque centrale du Brésil. La banque centrale n'est pas autonome. Ce n'est pas ce que prévoit la loi, même si depuis une dizaine d'années, ses gouverneurs ont eu l'appui du président. À l'heure actuelle, les gouverneurs de la banque centrale brésilienne n'ont plus autant d'influence politique que leurs prédécesseurs, et cela pour la première fois. C'est une des différences et on ne sait pas exactement ce qui se passera au cours des prochains mois.

À mon avis, il y a des limites aux risques que la banque centrale du Brésil acceptera de prendre. En fin de compte, la cote de popularité de la présidente et sa réélection en dépendront.

Le sénateur Johnson : Je voudrais poser à M. de Castro Neves une question concernant la présidente, qui est en poste depuis moins d'un an. Mme Rousseff a dû relever de nombreux défis en raison de l'inflation, de l'appréciation de la monnaie et des démissions de personnalités politiques éminentes suite à des allégations de corruption. Sur le plan de la politique étrangère, elle a rendu des visites d'État à l'Argentine et à la Chine, elle a pris la parole devant les Nations Unies en septembre, elle a annoncé son soutien à la Palestine et elle a soutenu, au Conseil des Nations Unies pour les droits de l'homme, la proposition américaine de surveiller les droits de l'homme en Iran.

Je voudrais d'abord savoir ce que vous pensez de son administration en ce qui concerne ses politiques économiques et étrangères afin de nous aider à préparer notre voyage au Brésil.

M. de Castro Neves : Oui. Ce matin, un sixième membre de son Cabinet a démissionné. Ce ministre était responsable des sports, y compris de la Coupe mondiale et des Jeux olympiques.

Le sénateur Johnson : C'est une grosse perte.

M. de Castro Neves : Oui. Le Brésil a un régime présidentiel, mais il fonctionne à peu près de la même façon qu'un régime parlementaire. C'est une présidence de coalition. La coalition du gouvernement regroupe une dizaine de partis qui doivent se partager le pouvoir. Il y a 40 postes de ministres au Cabinet. Mme Rousseff doit partager ces postes avec une dizaine de partis, et cela ne tient pas compte des autres postes.

Néanmoins, cette tension, qui résulte de la formation de vastes coalitions, est la norme, en politique brésilienne, depuis les années 1980. Oui, le fait qu'elle a été choisie par son prédécesseur comme candidate et qu'elle n'ait pas la même expérience politique que les deux présidents précédents suscite davantage de doutes ou d'incertitude quant à sa capacité à faire face à cette coalition. Pourra-t-elle abriter son gouvernement des scandales comme son prédécesseur l'a fait avec brio? L'ancien président Lula a été confronté à de graves scandales et des accusations d'achat de votes en 2005. Pourtant, il a terminé son mandat en tant que président le plus populaire de l'histoire du Brésil. Par conséquent, tout est possible.

En ce qui concerne la politique étrangère, l'histoire personnelle de Mme Rousseff est très importante parce qu'elle a été persécutée par le régime militaire. Un des principaux nuages qui planaient au-dessus de la politique étrangère de l'ancien président Lula était ses rapports étroits avec des dictateurs. Depuis le départ, Mme Rousseff a fait des gestes positifs à cet égard. Par exemple, elle a décidé d'accorder sa première interview à un journal américain, le Washington Post. Dans son discours, elle a insisté sur les droits de la personne. Elle est présidente depuis près de 11 mois. Son discours ne s'est pas encore traduit par beaucoup de changements concrets, car de nombreuses contraintes structurelles pèsent sur la politique étrangère du Brésil. Même si vous changez les acteurs, vous ne pouvez pas changer facilement les politiques. Par exemple, le Brésil aime projeter l'image de chef de file bienveillant de l'Amérique du Sud. Étant donné que le Brésil a des excédents commerciaux avec tous ses voisins d'Amérique du Sud depuis une dizaine d'années, sauf dans le cas de la Bolivie, ce discours bienveillant semble quelque peu hypocrite.

Même si Mme Rousseff désire apporter des changements à la politique étrangère, les changements prennent du temps.

La diplomatie présidentielle était chose fréquente sous le gouvernement Lula. Certains diront que c'était une diplomatie présidentielle hyperactive. Le fait que la présidente Rousseff n'aime pas beaucoup la diplomatie, qu'elle ne s'occupe pas directement des affaires étrangères, confère au ministère des Affaires étrangères davantage d'autonomie pour s'occuper de ces questions. Le ministère des Affaires étrangères brésilien est, par tradition, plus conservateur. Il hésite beaucoup à prendre des risques. Ce n'était pas le cas dans un passé récent parce que le Brésil avait un président très populaire qui l'a mis à l'abri des critiques internationales et intérieures.

Généralement, si vous examinez l'histoire des institutions diplomatiques brésiliennes, elles sont très compétentes, très conservatrices et elles hésitent beaucoup à prendre des risques.

Le sénateur Johnson : Cela va se répercuter sur son rôle et ses aspirations aux niveaux régional et mondial, n'est-ce pas? Est-il trop tôt pour le dire?

M. de Castro Neves : Je crois qu'il est trop tôt pour le dire. Intentionnellement ou non, la croissance économique du Brésil se répercute dans la région. Qu'il le veuille ou non, le Brésil exerce plus d'influence sur ses voisins en raison de sa taille. L'asymétrie entre le Brésil et le reste de l'Amérique du Sud, même l'Amérique latine diront certains, s'est accentuée au cours des 20 dernières années. La croissance du Brésil a été assez extraordinaire depuis 10 ans.

Même si le Brésil ne cherche pas à être le chef de file, c'est ce qu'il est. Je crois toutefois qu'il doit expliquer ce qu'il veut à ses voisins. Le Brésil veut-il le rôle de leader? Veut-il mettre en commun leur souveraineté pour renforcer les institutions régionales et déléguer une souveraineté et des pouvoirs à ces institutions? Le Brésil veut-il définir ou contrôler l'agenda régional? Ce n'est pas clair, je crois.

Le sénateur Johnson : Ce sont de très bonnes observations.

Compte tenu de ce qui se passe actuellement là-bas, quelles possibilités ou quels défis cela pourrait représenter, selon vous, pour l'avenir des relations Canada-Brésil?

M. de Castro Neves : Je m'étonne toujours de voir que deux des plus grands pays de l'hémisphère semblent assez distants l'un de l'autre. Ils sont très semblables à bien des égards, sur le plan de la superficie et des ressources naturelles. Les tendances des années 1990 ont accentué la séparation entre ces pays. À l'époque, le Brésil créait le Mercosur, l'union douanière du marché du Sud, tandis que le Canada faisait partie de l'ALENA. Des années 1990 au début de 2000, le Brésil a résisté énormément à l'idée de négocier un accord de libre-échange avec les États-Unis, croyant que ce serait un élargissement de l'ALENA. D'autre part, le Brésil voit comme une menace la série d'accords de libre-échange lancée par le gouvernement Bush avec le Chili, la Colombie — accord qui a récemment été ratifié — le Pérou et l'Amérique centrale. « Menace » est un mot trop fort, mais le Brésil se méfie des initiatives de libre-échange des États- Unis.

Je n'en suis pas certain, mais cela pourrait expliquer, selon moi, pourquoi le Brésil et le Canada n'ont pas eu de rapports plus directs. Cela pourrait changer car, par exemple, un des objectifs du Canada est de devenir l'un des principaux fournisseurs de ressources énergétiques des États-Unis. Je crois que le Brésil pourrait le faire aussi. Le Brésil et les États-Unis ont un protocole d'entente concernant l'éthanol et le Brésil a découvert du pétrole en mer.

Les deux pays ont beaucoup de potentiel, surtout dans le secteur de l'énergie, pour améliorer leurs relations.

La présidente : Monsieur Morton, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Morton : Seulement quelques mots au sujet de la politique étrangère de Lula. J'ai trouvé qu'elle était très habile. La coalition de Lula, dont Dilma a hérité, repose sur son propre parti, le Parti des travailleurs. C'était un groupe assez représentatif des opinions de la gauche, qui comprenait également certaines personnes très à gauche. Cela incluait aussi le Parti communiste brésilien, qui bien entendu, a perdu beaucoup de son mordant, mais qui reste bien ancré à gauche.

J'ai trouvé qu'en s'associant autant à Cuba et dans une moindre mesure, à Chavez au Venezuela, Lula jetait un os, si vous voulez, à la gauche brésilienne. C'était des gestes de conciliation. Ils n'ont pas eu d'influence sur l'orientation de la politique étrangère ou économique du Brésil. Quand est venu le moment d'agir, le Brésil a continué à importer des capitaux, à exporter des dividendes et à se comporter, de façon générale, comme un membre responsable et en règle de l'économie mondiale.

Toutefois, comme je l'ai dit, il avait une base de gauche à laquelle il devait penser. J'ai bien peur qu'au Brésil comme dans de nombreux autres pays, une bonne façon d'améliorer sa cote de popularité, c'est de faire quelque chose qui agace les États-Unis.

La présidente : Nous avons commencé à remarquer le Brésil dans des tribunes internationales où nous ne l'avions pas vu avant, en partie parce qu'il a, comme vous l'avez dit, une diplomatie de carrière qui semble très discrète. Cette diplomatie s'est manifestée, mais elle a aussi changé. Elle est devenue omniprésente pour de nombreuses questions internationales à tel point qu'il est maintenant très difficile de faire quoi que ce soit dans le monde sans tenir compte du Brésil et de sa coalition avec l'Afrique du Sud, l'Inde, la Russie et la Chine. Ces pays ne sont pas toujours ensemble, mais ils forment leurs propres coalitions. Ils ont leurs propres tribunes et elles s'élargissent. Par exemple, le Brésil ouvre beaucoup plus de missions étrangères en Afrique, utilise ses anciennes colonies maintenant que l'Angola est plus solide et que le Mozambique progresse.

Vous dites, je suppose, que c'était attribuable à la forte personnalité de Lula. Cette tendance semble aller plus loin. Le Brésil semble vouloir se tourner vers l'extérieur et prendre la place qui lui revient en raison de sa taille et des possibilités qui peuvent maintenant s'offrir à lui. Cela crée un contexte totalement différent. Avant, si vous regardiez vers le nord, vous aviez les États-Unis contre qui il fallait se défendre. Maintenant, on semble moins se soucier des États-Unis et chercher davantage à compter sur la scène mondiale. De nombreux pays semblent se tourner vers le Brésil, et pas seulement dans la région. Êtes-vous d'accord ou non avec moi?

M. de Castro Neves : Je suis d'accord avec votre analyse, mais je pense que cela va bien au-delà d'une forte personnalité. Je pense que le président Lula a joué un rôle dans cette évolution. Cependant, comme je l'ai mentionné, dans les années 1980, le Brésil était en train de faire la transition vers la démocratie et c'était le chaos sur le plan économique. Dans les années 1990, le Brésil était replié sur lui-même et cherchait à stabiliser son économie. Tout le travail qui a été accompli a ouvert la voie à la montée du Brésil au cours de la dernière décennie. Si le pays avait eu un autre président que Lula, je crois qu'il serait quand même devenu une puissance émergente. Cela s'applique spécifiquement au Brésil.

Si vous prenez les pays émergents comme ceux du BRIC ou tout autre acronyme comme IBSA — Inde, Brésil, Afrique du Sud ou BASIC, c'est-à-dire sans la Russie pour les négociations sur les changements climatiques — la montée de ces pays est également reliée au déclin d'autres pays et la crise financière des trois dernières années a accéléré le processus. Le processus est devenu beaucoup plus rapide depuis trois ou quatre ans. Par conséquent, la partie est légèrement plus équilibrée aujourd'hui.

Néanmoins, si les pays du BRIC ou ces puissances émergentes veulent un ordre mondial plus juste, quelle que soit l'idée qu'on s'en fait, cela ne veut pas forcément dire qu'ils partagent la même conception de cet ordre mondial. Je veux dire que le Brésil, la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud et d'autres puissances émergentes ont des intérêts communs, mais que c'est également limité. Si vous prenez le Brésil, il a lancé une des grandes initiatives avec l'Inde et l'Afrique du Sud, car ce sont les trois plus grandes démocraties en développement au monde, mais quand vous réunissez le BRIC, cela ne correspond pas tout à fait au discours.

À mon avis, le Brésil s'est toujours gardé de s'enfermer dans des ententes ou des alliances. Le Brésil est un observateur du mouvement des pays non alignés. Le Brésil ne s'est pas aligné avec les pays non alignés pendant la guerre froide. Il a pu le faire quand personne ne lui prêtait attention, mais maintenant qu'il a plus de visibilité internationale, cette ambigüité peut devenir un signe de contradiction ou d'absence de position sur des enjeux très controversés. Cela pourrait poser un problème.

M. Morton : Je suis d'accord avec ce que cela sous-entend, à savoir que le phénomène du BRIC est défini par ce que ces pays font plutôt que ce qu'ils ont, c'est-à-dire la capacité d'agir indépendamment de tout groupe important et surtout, de tout groupe dirigé par les États-Unis.

Si vous regardez les choses d'un peu plus près, vous pouvez voir qu'à bien des égards, ces pays sont très différents et ont des intérêts nationaux très différents. Cela ne veut pas dire qu'ils ne peuvent pas agir ensemble lorsque leurs intérêts communs l'exigent. Ils l'ont fait et je suis sûr qu'ils continueront de le faire. C'est une simple supposition, bien entendu, mais j'ai l'impression que dans 10 ans, nous entendrons moins parler du BRIC. C'est un phénomène de notre temps.

Je voudrais ajouter une chose, si vous le permettez, au sujet de la diplomatie brésilienne. Le ministère des Affaires étrangères du Brésil est une institution d'élites. Les conditions d'accès sont très exigeantes et ses membres sont des gens de très haute qualité. Il a une longue tradition de diplomatie dans le monde où il compte beaucoup plus de missions que le Canada. Il a un esprit de corps très développé et s'appuie sur une longue tradition. Comme l'a laissé entendre M. de Castro Neves, sans être tout à fait conservateur, il constitue certainement une force de stabilisation de la politique étrangère brésilienne. Toute idée audacieuse ou même nouvelle doit passer par le ministère des Affaires étrangères et en ressort sous une forme moins radicale. C'est un organisme très professionnel dont la qualité rivalise avec celle des autres pays. Il va probablement prendre la plupart des décisions concernant la politique étrangère du Brésil au cours des années à venir.

Le sénateur Nolin : Je voudrais revenir sur un sujet différent et la politique interne du Brésil. Il y a près de deux ans, le président Lula avait lancé la Commission de vérité et réconciliation. Je voudrais que vous nous disiez tous les deux ce que vous pensez de cette commission. Quels en sont les résultats et où en sont les choses?

M. de Castro Neves : La commission a été annoncée il y a deux ans, comme vous l'avez mentionné, mais elle n'a pas encore commencé ses travaux. Ils doivent débuter cette année. Elle a été officiellement établie par le Congrès il y a un mois ou deux, je pense. C'est une question très controversée au Brésil. Si vous comparez l'histoire du Brésil avec celle de certains de ses voisins comme le Chili et l'Argentine, le Brésil n'a pas du tout fait sa transition vers la démocratie de la même façon que ces deux autres pays. Il y a eu une amnistie générale au Brésil et non seulement une amnistie, mais tout simplement l'élimination de tous les documents concernant la dictature militaire. Certains disent nient même l'existence de ces documents.

La discussion est biaisée. Les gens pensent que s'ils essayaient de fouiller dans ces documents, d'ouvrir les documents du régime militaire, il n'y aura plus d'amnistie, ce qui est une erreur. Voilà pourquoi cela suscite cette énorme controverse au Brésil. Le président Lula n'a pas voulu s'y attaquer directement et il a donc laissé à la présidente Rousseff le soin de prendre une décision au sujet de la Commission de vérité. Tout le monde pensait qu'elle se prononcerait très clairement à ce sujet parce qu'elle a été persécutée par le régime militaire. La commission va maintenant commencer ses travaux, mais jusqu'ici, cela n'a donné aucun résultat. Ce sera intéressant à suivre étant donné la vive opposition que cela suscite au Brésil entre le régime militaire, qui a peur que cela ne lui nuise et que les gens l'accusent, et les mouvements de gauche dont de nombreux membres ont été torturés sous le régime militaire et qui veulent sanctionner ou punir les coupables.

Le sénateur Nolin : Monsieur Morton, qu'est-ce qui a incité le président Lula à entamer ce processus 30 ans après la loi d'amnistie? Quelle en a été la raison?

M. Morton : Sénateur, j'aimerais le savoir. J'ai été très étonné quand il l'a fait. À mon avis, cela ne peut apporter pratiquement que des inconvénients et aucun avantage au gouvernement. À ma connaissance, le public ne le réclamait pas. Comme l'a dit mon collègue, il y a eu, en fait, une entente selon laquelle les militaires céderaient la place aux civils en 1985 si les civils ne recherchaient pas les squelettes dans le placard des militaires.

Le sénateur Nolin : Ils ne le voulaient probablement pas.

M. Morton : J'en suis sûr. Des choses terribles ont été commises sous le régime militaire, en particulier au début des années 1970. Par souci de vérité et de justice, il serait certainement bon de les mettre au jour et de punir les responsables s'ils sont encore vivants. Cela fait presque 40 ans. J'imagine mal l'armée coopérer. On peut penser qu'il est dommage de les contrarier car, pour la première fois en 100 ans ou plus, le Brésil a établi de bonnes relations entre les civils et les militaires, les civils étant résolument aux manettes. Si la commission devait bouleverser cette situation, je ne suis pas sûr que ce serait un gain net pour le Brésil ou la démocratie brésilienne.

Comme ça a été dit, Lula a en fait laissé à sa successeur un cadeau empoisonné et je ne sais pas comment elle va s'y prendre ni comment la commission va agir, mais je prédis qu'elle aura à faire face à de grandes difficultés. M. de Castro Neves en a du d'ailleurs mentionné quelques-unes en disant que de nombreux dossiers avaient été détruits. Voilà ce que je voulais dire.

M. de Castro Neves : Il y a eu des pressions de l'étranger, de la Cour interaméricaine, selon laquelle il ne saurait y avoir d'amnistie pour les crimes de torture. On a demandé à la Cour suprême brésilienne de voir s'il était possible de réviser la loi d'amnistie brésilienne et c'est une des questions qui ont donné lieu à ce débat. La Cour suprême brésilienne a déclaré que la loi sur l'amnistie ne pouvait être révisée.

Puis des pressions se sont exercées au sujet des documents; il faut donc étudier ce qui s'est passé sous le régime militaire. Voilà en partie ce qui s'est passé.

Hier, le Sénat brésilien a approuvé une nouvelle loi qui permet de divulguer des documents publics car, jusqu'à présent, le Brésil n'avait pas de loi à ce sujet. On peut garder un document confidentiel pour toujours au Brésil. La nuit dernière, le Sénat a approuvé le changement, je pense que c'est pour 25 ou 30 ans.

Le sénateur Nolin : Ma question est arrivée à point nommé.

La présidente : Je crois comprendre que le Brésil a été l'un des premiers pays d'Amérique du Sud, sinon le premier, à signer le statut de création de la Cour pénale internationale. Il y a eu un grand débat public pour savoir s'il devait le faire. Le Brésil a ensuite ratifié des textes sur les amnisties et les questions d'impunité. Il y a eu un débat sain sur toute cette question, non seulement au Congrès, mais ailleurs aussi. Je peux comprendre que l'ancien président Lula ait dit qu'il fallait faire connaître la vérité et en arriver à une réconciliation pour aller de l'avant. Il a souligné que la CPI était seulement un outil pour l'avenir et n'avait rien à voir avec le passé et que la seule façon d'aborder le passé était par la vérité et la réconciliation.

Ne pensez-vous pas qu'il est possible d'exprimer certains griefs et de faire avancer le processus, en s'inspirant de ce qui s'est passé en Afrique du Sud, sans tenir les militaires directement responsables dans le cadre d'un processus pénal?

M. de Castro Neves : Il est très difficile de maintenir cet équilibre du fait que l'armée a gardé tous ces documents jusqu'à maintenant. Il y avait trois ou quatre ministères militaires et chacun avait ses propres archives. Les chercheurs se plaignent d'avoir vu des gens brûler des documents relatifs au régime militaire. Je ne sais pas ce que l'on peut encore apprendre 30 ans plus tard.

Les cas sud-africain et chilien étaient beaucoup plus graves que le cas brésilien, aussi grave qu'il ait été. Il sera difficile de maintenir l'équilibre entre savoir ce qui s'est passé et ne pas succomber aux pressions en faveur de punitions.

Le président : Monsieur Morton, vouliez-vous ajouter quelque chose?

M. Morton : Il est tout à fait impossible de séparer le rôle des militaires car une chose est absolument évidente concernant l'époque de la répression : Elle a été largement le fait des militaires. Cela dit, sur les trois armes, c'est la marine qui avait particulièrement mauvaise réputation, mais c'était difficile pour tout le monde. Il est tout simplement irréaliste de demander à la commission de trouver des faits importants sans tenir compte du rôle des militaires. C'est impossible, voilà tout.

Le sénateur Downe : Vous avez mentionné le rôle de la Chine s'agissant du Brésil. Ce pays vise-t-il à s'éloigner de l'influence des États-Unis en recherchant d'autres alliés puissants? Quels sont les niveaux de coopération entre les États-Unis et le Brésil et la Chine et le Brésil?

M. de Castro Neves : Traditionnellement, le Brésil a toujours essayé de projeter une image de nation commerçante internationale indépendante de tout grand partenaire. Il existe un équilibre entre les principaux partenaires commerciaux du Brésil. Il y a 10 ans, 20 à 25 p. 100 des échanges commerciaux se faisaient avec les États-Unis, 25 p. 100 avec l'Union européenne, 25 p. 100 avec l'Amérique latine et 25 p. 100 avec le reste du monde. Depuis 10 ans, la Chine occupe une plus grande place et est devenue pour la première fois l'année dernière le principal partenaire commercial du Brésil devant les États-Unis et l'Argentine.

Pour certains, le gouvernement du Parti travailliste de Lula, qui est maintenant le gouvernement de la présidente Rousseff, a été le seul parti du Brésil à avoir adopté une politique étrangère de gauche claire. Oui, le gouvernement du Parti travailliste a certains liens avec le Parti communiste chinois et le Parti communiste cubain. Certains ont vu dans l'alliance avec la Chine une posture anti-américaine, mais il s'agissait d'une rhétorique exagérée au Brésil et très limitée au sein de la coalition au pouvoir.

À l'autre extrême, les industries de Sao Paulo se plaignent de la concurrence accrue de la Chine, tout comme ce que l'on entend aux États-Unis et en Europe. Le Brésil essaie de jouer avec la Chine, mais pas avec l'idée de créer un triangle comme celui des États-Unis, de la Chine et du Brésil. L'influence croissante en Amérique latine ne veut pas dire nécessairement une diminution de l'influence des États-Unis. Ce point de vue a l'air de vouloir dire que l'Amérique latine est naturellement une épine dans la politique étrangère américaine. Cela a pu être vrai pendant la guerre froide à certains égards. Fondamentalement, après le 11 septembre, l'administration américaine n'a plus eu de politique latino- américaine, ce qui a créé un vide. Le président Bush a bien signé des accords bilatéraux de libre-échange dans la région, mais sans avoir de politique étrangère globale. Il serait difficile d'en avoir une car l'Amérique latine n'est plus ce qu'elle était il y a 20 ans. Il n'y a pas une Amérique latine, mais il y a une Amérique du Nord, une Amérique centrale et une Amérique du Sud qui ont des motivations et des intérêts différents.

Je ne pense pas le Brésil cherche avec la Chine à établir un équilibre dans ses relations avec les États-Unis, même si certains ont tenté de faire valoir cette idée. Je pense que le Brésil essaie de maintenir une relation équilibrée avec la Chine. Le Brésil aime à dire que les relations entre le Brésil, la Chine et les pays BRIC sont une coopération Sud-Sud de deux pays émergents, mais le commerce entre les deux pays est en fait Nord-Sud. En réalité, 90 p. 100 des exportations du Brésil vers la Chine sont des produits primaires, tels que l'huile, le soja et le minerai de fer, et 90 p. 100 des importations du Brésil en provenance de Chine sont des produits manufacturés. Il s'agit d'une relation commerciale très déséquilibrée. Dire que le Brésil a beaucoup plus en commun avec la Chine qu'elle n'en a avec les États-Unis est difficile à défendre.

Notre relation avec les États-Unis depuis 10 ans a été décrite comme une bienveillante indifférence. Le Brésil se plaint, que les États-Unis s'intéressent à lui ou pas. Il n'y a pas eu de question de politiques importante entre les deux pays depuis 10 ans. Il n'y a pas eu de négociation commerciale importante entre le Brésil et les États-Unis et aucun accord de défense important. Parmi les pays BRIC, le Brésil est celui qui est le plus proche des États-Unis sur le plan géographique, mais qui en est le plus éloigné politiquement sur de nombreuses questions en raison d'un manque d'intérêt de part et d'autre.

Il est difficile d'imaginer le Brésil essayant de trouver un équilibre entre les deux. Il faut aussi introduire l'Union européenne dans l'équation car le Brésil a toujours tenté d'éviter de dépendre d'une seule grande puissance. Tout au long du XXe siècle, la diplomatie du Brésil a consisté à tenter d'équilibrer les relations avec les États-Unis avec l'arbitrage de l'Union européenne. Dans les années 1990, tout en négociant le libre-échange avec les Américains, nous étions en train de négocier également le Mercosur et un accord commercial avec l'Union européenne pour montrer aux États-Unis que nous ne dépendions pas uniquement d'eux.

Avec la Chine, les choses sont un peu différentes, mais le Brésil pourrait éventuellement jouer le même jeu.

De nombreuses questions pourraient nous tenir éloignés de la Chine, comme les droits de la personne et le changement climatique. À mesure que les relations s'intensifient entre les deux pays, je pense que ces contradictions deviendront évidentes.

Le président : Monsieur Morton, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Morton : Non, je suis d'accord pour l'essentiel. Je ne pense pas qu'il est juste de dire que la politique étrangère brésilienne est dirigée contre les États-Unis ou leur est hostile. Le pays veut simplement se sentir libre de prendre ses propres décisions dans son propre intérêt.

Je pense que le grand changement depuis 10 ans est le fait que le Brésil sent enfin qu'il n'est plus dans l'ombre des États-Unis. Par conséquent, comme l'a dit mon collègue, il n'y a plus de réels problèmes en suspens, rien à résoudre ni de sujets de débat. Le Brésil veut simplement être libre de suivre son propre chemin sans être considéré comme un satellite des États-Unis.

Le sénateur Johnson : Sur un tout autre registre, une société spécialisée en éducation, appelée Quacquarelli Symonds, a publié un classement des universités en Amérique latine. L'Université de Sao Paulo, l'USP, est arrivée en tête des 200 ayant fait l'objet de l'enquête. Elle a également reçu un bon classement dans le supplément du Times Higher Education, en Angleterre. Cette amélioration est attribuée au financement privé, à la coopération internationale et à la reconnaissance. Elle devient un leader mondial — ce que je ne savais pas du tout — en médecine tropicale, en parasitologie et en biocarburants. En quoi cela rend-il compte du système éducatif brésilien dans son ensemble? Fait-on davantage d'effort pour instruire la population, en particulier dans l'enseignement supérieur.

M. de Castro Neves : Il existe des îlots d'excellence au Brésil. Le service extérieur en est un exemple, tout comme le système éducatif. J'ai obtenu mon doctorat de l'USP, c'est pourquoi je ne vais pas en vanter les mérites car ce serait me vanter moi-même. Le Brésil a énormément évolué dans certains domaines de la technologie, notamment la biotechnologie et l'agriculture. Ce n'est pas seulement l'USP, mais, comme je l'ai dit auparavant, il existe une société de recherche d'État appelée EMBRAPA qui travaille avec les agriculteurs et adapte les cultures aux nombreuses régions du pays. Nous exportons également la technologie vers d'autres pays d'Amérique latine et vers des pays africains.

Il existe des îlots d'excellence au Brésil en matière d'enseignement supérieur et de sciences appliquées, mais, globalement, la qualité de l'éducation pose un grave problème dans le pays. Je ne dirais pas que l'enseignement supérieur soit la principale source de préoccupation. Il s'agit plutôt de la base de la pyramide. Au Brésil, la plupart des gens, classe moyenne et classe supérieure, doivent payer pour suivre des études primaires et secondaires. Une fois que l'on arrive à l'université, les études sont gratuites. Les meilleures universités au Brésil sont gratuites.

Le sénateur Johnson : C'est tout l'inverse de notre système.

M. de Castro Neves : Exactement. C'est un système plutôt injuste. L'Université de Sao Paulo est une université publique. Les études y sont gratuites.

Le sénateur Johnson : Combien d'étudiants y sont inscrits actuellement?

M. de Castro Neves : Il existe de nombreux campus à Sao Paulo dispersés dans l'ensemble de l'État. Il s'agit d'une université d'État et non d'une université fédérale. Je dirais qu'il y a entre 30 000 et 50 000 étudiants. C'est une des plus grandes universités publiques du Brésil.

Le Brésil compte 50 ou 60 universités fédérales, une à Brasilia et trois ou quatre à Rio, y compris l'UFF, où mon collègue témoin a enseigné. Les meilleures universités du Brésil sont les universités du secteur public.

C'est un système très injuste car ceux qui atteignent le niveau universitaire sont ceux qui ont été en mesure de payer 20 années de scolarité. Cette question n'a pas encore été abordée, mais, oui, il existe des îlots d'excellence au Brésil, comme en témoigne le fait que l'USP se classe 33e ou 32e parmi les meilleures universités.

Le sénateur Johnson : Dans ma recherche, on ne mentionnait pas qu'il fallait payer pour les études primaires et secondaires, et c'est effectivement un problème.

M. de Castro Neves : Nous avons des écoles publiques au Brésil, mais les gens qui vont dans des écoles publiques dès le début ont beaucoup de mal à entrer dans les meilleures universités. Pour eux, c'est le contraire : ils commencent par l'école gratuite, mais doivent s'inscrire dans une université privée qui n'est pas aussi bonne qu'une université publique.

M. Morton : Ce qui vient d'être dit est tout à fait exact. Il faut que le Brésil augmente considérablement le financement et la qualité de l'enseignement primaire et secondaire public.

La semaine dernière, un témoin a dit qu'il existait actuellement 345 instituts fédéraux d'enseignement. Je ne suis pas sûr que ce soit nécessairement une bonne nouvelle. Je pense que l'argent pourrait être dépensé beaucoup plus judicieusement à un niveau inférieur, notamment parce que, comme cela a été dit à juste titre, les universités fédérales représentent en fait une énorme subvention en faveur de la classe moyenne. Vous pouvez envoyer votre enfant dans une bonne école secondaire privée et, à partir de là, tout est gratuit. Cela contribue évidemment à perpétuer les inégalités notoires dans les revenus et le statut au Brésil. À mon avis, il sera fondamental que le gouvernement de Dilma s'attaque vraiment à ce problème. Elle devrait commencer au niveau le plus bas, aussi près que possible de la maternelle.

La présidente : Monsieur de Castro Neves et monsieur Morton, vous avez beaucoup contribué à notre rapport et à nos études et vous nous avez également montré toute la complexité du Brésil. Nous devons en tenir compte. Je pense que lorsque nous avons commencé, nous avons parlé des différents Brésils et des nombreuses couches dans ce pays; et il y a une histoire dont il faut tenir compte également.

Merci de votre contribution aujourd'hui. Nous espérons que notre rapport s'en fera l'écho et nous ferons peut-être appel à vous à une date ultérieure.

Honorables sénateurs, au cours de nos discussions avec les témoins précédents, certains d'entre vous ont dit qu'ils aimeraient savoir ce que le ministère de la Défense nationale avait à dire sur les questions de sécurité, tant au Brésil que dans la région, et sur les implications pour le Canada dans notre hémisphère. Nous avons devant nous Mme Jill Sinclair, sous-ministre adjointe, Politiques.

Certains ont également exprimé un intérêt au sujet de nos activités en Amérique du Sud, en particulier dans le Brésil nouveau. Nous devons savoir quelles sont les répercussions sur l'ACDI dans la région, comment vous avez changé vos programmes, si vous travaillez au niveau régional et comment l'ACDI collabore avec le Brésil et travaille dans la région. Nous avons devant nous M. Tobias Nussbaum, directeur général, Direction des politiques stratégiques, Direction générale des politiques stratégiques et du rendement, et Mme Hélène Giroux, directrice générale, Direction du développement humain.

Bienvenue au comité. Je crois comprendre que vous avez convenu que Mme Sinclair commencerait, suivie de M. Nussbaum, et que Mme Giroux répondrait aux questions ou à des points précis. J'ai dit que nous aimerions de courtes déclarations sur certains des points les plus importants. Nous avons quelques documents à distribuer. Ensuite, nous aimerions passer aux questions. J'ai déjà une liste de plus en plus longue. Bienvenue au comité

Jill Sinclair, sous-ministre adjointe (Politiques), ministère de la Défense nationale : Merci. D'abord, je suis désolée d'avoir tant tardé à me présenter devant le comité. Ce sont des raisons de santé qui m'ont tenue éloignée de vous. Je suis ravie d'être ici et, dans l'esprit de votre demande, je ne vais pas du tout utiliser mes points de discussion. Vous les avez là.

Je dirai deux choses. Premièrement, notre engagement avec le Brésil s'inscrit bien évidemment dans la stratégie pour les Amériques. Je pense que vous avez suffisamment d'information à ce sujet et je ne vais donc pas aborder ce point.

Le Brésil est un partenaire relativement nouveau en ce qui concerne la coopération avec le Canada en matière de défense. Les questions qui nous intéressent sont notamment les questions hémisphériques et les problèmes de sécurité qui vont en gros de l'Arctique à l'Amazone. Cela s'inscrit dans le contexte de nos priorités concernant la poursuite d'un processus durable de développement démocratique et de gouvernance dans la région. Le hasard fait que nous avons tenu notre dernière série d'entretiens avec les Brésiliens hier et avant hier. Une bonne partie de ces discussions portent sur le contrôle civil du pouvoir militaire, et les Brésiliens souhaitent véritablement s'inspirer du Canada à cet égard.

En ce qui concerne nos priorités dans la région, elles sont également liées à nos relations avec le Brésil. Il s'agit de contribuer au développement démocratique et à tout ce qu'il implique : sécurité régionale, renforcement des capacités, formation et gouvernance en matière de défense. Voilà les principaux points sur lesquels nous nous sommes concentrés.

Au cours de notre discussion, je pourrai vous donner plus de détails sur ce que nous faisons. Il s'agit d'un engagement considérable dans le contexte des réels changements intervenus dans la structure militaire brésilienne à la suite du Livre blanc de 2008, du mouvement de démocratisation au Brésil où l'armée a finalement été placée sous contrôle civil en la personne d'un ministre civil de la Défense.

C'est un travail qui va se poursuivre. Il s'agit d'une nouvelle relation. Je serai ravie de répondre à vos questions.

Tobias Nussbaum, directeur général, Direction des politiques stratégiques, Direction générale des politiques stratégiques et du rendement, Agence canadienne de développement international (ACDI) : Permettez-moi de dire quelques mots, dans le même ordre d'idées, afin de souligner certains des points clés que nous voulions présenter. Je pense que les sénateurs ont des copies d'une déclaration plus longue que vous êtes invités à lire.

Madame la présidente a parlé dans sa déclaration liminaire de l'évolution des relations de l'ACDI avec le Brésil et c'est en effet une bonne façon de les décrire. Je dirais qu'il y a eu trois étapes. D'abord, le Brésil a été un bénéficiaire d'aide. Dès les débuts de l'ACDI en 1968, nous avons mis en place un programme avec le pays. Au cours des 40 années suivantes, nous avons déboursé environ 188 millions de dollars. Nous avons décidé de mettre fin au programme en 2004.

Durant ces années, nous avons eu un programme actif sur les questions de santé, de gouvernance et de marché du travail aux niveaux de l'État, de la région et de la municipalité. Par exemple, la campagne de vaccination dont nous savons qu'elle a touché 420 000 enfants de moins de cinq ans au cours de cette période. Nous avons également travaillé en étroite collaboration avec des instituts de la fonction publique du Brésil pour former des fonctionnaires. Nous pourrons parler plus en détail de ces programmes plus tard.

En 2004, nous avons mis fin au programme à la suite de notre évaluation de la position du pays en termes économiques et politiques. Cela dit, même si nous avons mis fin au programme en 2004, les fonds de notre programme bilatéral qui restaient ont été dépensés plus tôt cette année

Par ailleurs, dans le cadre de notre programme Partenariat avec les Canadiens, les Brésiliens bénéficient encore de petits montants d'environ 1,7 million de dollars en 2009-2010, notamment par le financement que l'ACDI fournit aux partenaires canadiens comme les universités, les groupes religieux, les organisations de développement, et cetera.

Troisièmement, le Brésil bénéficie d'une contribution provenant de notre financement d'organisations multilatérales telles que le groupe de la Banque mondiale, le groupe de l'ONU, les fonds mondiaux de lutte contre le sida, la tuberculose, le paludisme et quelques autres.

Le programme canadien est terminé, mais j'aimerais dire qu'en ce qui concerne l'APD en général, ou l'aide publique au développement, le Brésil en reçoit 338 millions de dollars. Ce sont les chiffres de 2009.

Passons maintenant au deuxième aspect, c'est-à-dire l'émergence du pays en tant que donateur d'aide. C'est un élément important car le Brésil fait partie d'un groupe de pays qui au cours des dernières années sont devenus eux- mêmes de grands donateurs d'aide, et cela est important pour nous pour plusieurs raisons. La première est la plus grande influence qu'ils ont en tant que donateurs et la deuxième est l'occasion qui est donnée au Canada d'influencer leurs approches et d'apprendre de leurs réussites. C'est un peu difficile à évaluer, mais les chiffres récents indiquent que le Brésil donne environ 400 millions par an, dont la plus grande partie passe par les voies multilatérales.

Enfin, j'aimerais parler de la dernière étape des relations que nous entretenons avec les Brésiliens, à savoir comme partenaires en développement. L'été dernier, le Premier ministre s'est rendu là-bas pour signer un protocole d'entente entre l'ACDI et l'agence de développement du Brésil qui constituera un cadre important pour une future coopération par un dialogue élargi sur la politique de développement, de nouvelles initiatives de recherche stratégique, l'amélioration des relations institutionnelles et la possibilité d'une coopération dans des pays tiers.

Nous sommes particulièrement satisfaits de cette dernière étape. Nous pensons maintenant à la suite. Nous allons probablement tenir des réunions bilatérales avec nos homologues dans les quatre ou cinq prochains mois pour affiner ce protocole d'entente.

En conclusion, je dirais que la relation a évolué de donateur et bénéficiaire à partenaires en développement. Je répondrai maintenant à vos questions

La présidente : Merci. Vos interventions ont été courtes; nous sommes heureux de votre présence.

Le sénateur Nolin : Madame Sinclair, vous avez mentionné le mot « Arctique » dans la même phrase avec « coopération avec le Brésil ». Je suis curieux de savoir plus précisément comment le Brésil peut nous aider à assumer notre souveraineté dans l'Arctique.

Mme Sinclair : Il ne peut pas nous aider à assumer notre souveraineté dans l'Arctique. C'est le fait d'avoir placé les deux mots dans la même phrase qui a pu conduire à cette conclusion.

L'Amazonie couvre 45 p. 100 du Brésil. Il s'agit d'une zone totalement éloignée qui cause de nombreux problèmes de souveraineté. Les Brésiliens veulent savoir comment le Canada affirme sa souveraineté dans le vaste Arctique. Ils s'intéressent beaucoup à notre programme des rangers, par exemple, à la façon dont nous avons réussi à travailler avec nos peuples autochtones, et cetera. Nous ne voulons pas de leur aide et ils ne l'offrent pas non plus, mais je dois dire que certains de nos officiers des Forces canadiennes sont allés en Amazonie pour suivre une formation sur la guerre de jungle. Je suis désolée de vous avoir induite en erreur.

Le sénateur Nolin : Maintenant je comprends. Les deux chefs de gouvernement se sont rencontrés et ont émis un communiqué en août. Je cite :

Ils ont pris note des progrès dans le dialogue bilatéral et la coopération sur les questions de défense. Dans ce contexte, ils ont salué la réalisation des prochains pourparlers politico-militaires, qui auront lieu plus tard cette année, ainsi que la négociation actuelle d'un instrument juridique destiné à fournir un cadre pour la coopération Brésil-Canada sur la défense.

Voilà une bien longue phrase. On pourrait la découper en plusieurs sous-questions. Voyons d'abord le résultat des pourparlers politico-militaires.

Mme Sinclair : Les pourparlers politico-militaires ont commencé il y a deux ans. Le Brésil n'avait pas vraiment voulu nous parler en détail des questions politico-militaires jusque là. Comme je l'ai dit, cela correspond au changement dont nous avons été témoin depuis 2008, date de la publication du nouveau Livre blanc sur la défense et de la décision du gouvernement de placer l'armée sous contrôle civil. Un des premiers pays vers lequel ils se sont tournés a été le Canada car nous avons un quartier général civil et militaire intégré et l'excellente réputation de posséder une armée très professionnelle.

Nous en sommes actuellement à notre troisième série de pourparlers politico-militaires. En fait, nous venons juste de terminer les discussions au cours des deux derniers jours. Nous avons reçu une délégation dirigée par un général brésilien quatre étoiles accompagné d'un amiral et d'un haut fonctionnaire de leur ministère des Affaires étrangères, ce qui est nouveau. Ce ministère fait désormais partie des discussions sur la défense, ce qui représente un virage par rapport à l'époque où les militaires étaient les seuls à en parler.

Les discussions sont allées de sujets concrets de coopération à la dynamique de l'hémisphère, en passant par notre coopération au Conseil de défense interaméricain, où le Brésil a fortement appuyé le programme de réformes que nous proposons et encourage les liens avec l'Organisation des États américains. Nous les avons interrogés sur leurs accords de défense avec les pays du Cône sud. Nous avons discuté de toute sorte de sujets, sans restrictions, notamment de la gouvernance, des femmes canadiennes dans l'armée, de notre système juridique et des secteurs éventuels coopération pratique.

Le sénateur Downe : Dans votre déclaration, vous avez dit que l'ACDI a décidé d'éliminer progressivement le programme en 2004, mais des fonds ont continué à être versés pendant encore sept ans. Pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour y mettre fin? Existait-il des engagements à long terme?

Hélène Giroux, directrice générale, Direction du développement humain, (DGPC), Agence canadienne de développement international (ACDI) : Je suis ici aujourd'hui en qualité de directrice générale, Division de l'Amérique du Sud, Programmes bilatéraux, mon poste précédent.

Lorsque la décision a été prise de fermer le programme bilatéral avec le Brésil, nous savions qu'il faudrait du temps. Le développement est un peu comme un grand navire qu'il est difficile de faire virer de bord rapidement. Il y a eu une période de transition avant de mettre fin à l'ensemble de nos activités bilatérales avec le Brésil. Cette période de transition comprenait notre programme bilatéral ECPE — échange de connaissances pour la promotion de l'équité — avec le Brésil, dont le budget s'élevait à 20 millions de dollars jusqu'en 2010-2011. Ce programme appuyait les partenariats Canada-Brésil dans les domaines du travail, de la gouvernance et de la santé. Lorsque la décision a été prise, il était entendu qu'il y aurait encore cette période finale de transition

Le sénateur Downe : En 2004, le gouvernement a annoncé qu'il mettait fin au programme d'aide. Votre note indique qu'entre 1968 et 2011, un total de 188 millions de dollars a été versé au titre de l'aide. Sur ces 188 millions, combien allait de 2004, date à laquelle le gouvernement a annoncé la résiliation, à 2011? Si vous n'avez pas les chiffres, vous pouvez nous les envoyer

Mme Giroux : Comme je l'ai dit, le PECPE avait un budget d'environ 20 millions de dollars. Il doit être bien entendu que notre programme bilatéral avec le Brésil a pris fin. La Direction générale des partenariats avec les Canadiens, comme M. Nussbaum l'a souligné, se poursuit, ainsi que certaines contributions multilatérales.

Comme je l'ai dit, le PECEP s'élevait à environ 20 millions de dollars. Le financement au titre du Programme des partenariats avec les Canadiens a été d'un peu plus d'un million de dollars par an de sorte qu'un petit pourcentage seulement des 188 millions de dollars a été versé au cours des dernières années.

Le sénateur Downe : Vous avez également mentionné la coopération ciblée de 1,7 million en 2009-2010. Quels critères ont été utilisés pour établir les cibles?

M. Nussbaum : Il est préférable de parler non pas tant des critères, mais de la nature des programmes. La plupart des programmes que finance le montant de 1,7 million de dollars sont des programmes exécutés en Amérique latine pour lesquels il y avait une composante brésilienne. Ce n'est pas nécessairement qu'un groupe recevait un financement pour des programmes exclusifs à ce pays. Laissez-moi vous donner un exemple.

Une partie du 1,7 million de dollars a financé un programme de l'AUCC, un programme d'échange éducatif donnant à des étudiants au Canada l'occasion de travailler en Amérique latine et à des étudiants d'Amérique latine la possibilité de venir au Canada. Le Brésil était un élément de ce programme, mais pas le seul. Pour ce qui est des critères, je ne sais pas comment ils ont été établis par rapport au projet, mais ils n'auraient pas visé uniquement l'élément brésilien. Ils auraient tenu compte de l'intégrité et de l'efficacité des objectifs proposés et des réalisations en général.

Le sénateur Downe : Pouvez-vous fournir au comité une ventilation des 1,7 million de dollars pour que nous sachions quel montant a été consacré au Brésil?

M. Nussbaum : Il s'agit du montant total dépensé dans le pays. Je peux vous donner un exemple. L'AUCC avait un programme étalé sur cinq ans, je crois, d'un montant de 7 millions de dollars, répartis sur un certain nombre de pays. Sur ces 7 millions de dollars, au cours de la période de cinq ans, 1,4 million de dollars a été dépensé au Brésil. C'est un exemple qui montre que le quart environ de ce programme a été consacré au Brésil. Le chiffre que je vous donne est le montant qui a été dépensé dans le pays.

Le sénateur Downe : Le chiffre pour 2009-2010 était de 1,7 million de dollars pour le Brésil.

M. Nussbaum : C'est exact.

Le sénateur Downe : Quel est le montant pour l'exercice en cours?

M. Nussbaum : Pour 2010-2011, j'ai un nouveau chiffre de 1,9 million de dollars. Je n'ai pas les chiffres pour 2011- 2012.

Le sénateur Mahovlich : Le programme canadien d'aide bilatérale avec la Russie a pris fin en 2010, est-il prévu de mettre fin également aux programmes d'aide bilatérale du Canada avec la Chine et l'Inde?

M. Nussbaum : Sénateur, je ne suis pas vraiment en mesure de parler d'autres programmes bilatéraux. Je ne dispose pas de suffisamment d'informations sur ce type de programmes. Je ne savais même pas que nous avions des programmes en Inde. Je sais que nous avons des programmes en Chine, mais je n'ai pas avec moi aujourd'hui de données sur l'avenir de ces programmes ni de détails particuliers.

Madame la présidente, nous pouvons certainement fournir cette information au comité.

La présidente : Oui. Je pense que des témoins nous ont dit, dans le cadre de nos études précédentes, que nous avions encore quelques programmes en Chine, mais que nous étions en train de les éliminer là aussi. Vous pourrez fournir ces renseignements à une date ultérieure

Le sénateur Wallin : J'ai une ou deux questions pour Mme Sinclair. Je vais les poser et vous pourrez ensuite répondre.

Du fait que nous offrons une formation, tenons des négociations et des discussions et que nous sommes considérés comme un exemple, le Canada a-t-il une opinion sur le service obligatoire? Avez-vous l'impression qu'ils s'en éloignent et qu'ils pourraient prendre des mesures en ce sens?

Deuxièmement, nous connaissons tous la situation économique mondiale. L'armée brésilienne est énorme. Il est difficile d'imaginer ici 1,3 million de réservistes, et plus de 300 000 personnes en service actif; une grande armée, mais sous-financée. Cela pourrait-il changer?

Prenons l'exemple du rôle du Brésil en Haïti. On a beaucoup parlé de la rapidité avec laquelle les Brésiliens sont arrivés sur place et de leur capacité. Est-ce quelque chose de nouveau et de différent? Ils ont participé à des opérations de maintien de la paix au fil des ans. Ont-ils fait quelque chose de différent ou sont-ils arrivés rapidement? Qu'est-ce qui a surpris?

Mme Sinclair : En ce qui concerne le service obligatoire, nous nous gardons généralement d'émettre des opinions sur la structure des forces armées d'autres pays, mais nous croyons que l'approche volontaire fonctionne assez bien; nous avons d'excellents antécédents et nous n'avons pas peur de nous en vanter. Diriger par l'exemple est un concept bien intégré par l'armée brésilienne qui est intéressée aux questions que j'appellerais de gouvernance dans la défense. Cela inclut tout, du système de justice militaire aux méthodes de recrutement en passant par le maintien des effectifs et la façon de s'en occuper. Évidemment, les Brésiliens tiennent compte de tous les aspects de cette question, ce qui va un peu au-delà de mes attributions, mais étant donné le travail de votre comité, vous pouvez imaginer les défis économiques, les défis en matière d'emplois et les considérations relatives à la population de jeunes auxquels ils doivent songer à l'heure où ils se demandent ce qu'ils vont faire de leur armée. Comme vous l'avez dit, sénateur, il y a environ 320 000 soldats d'active en plus des 1,3 million de réservistes. En quelque sorte, ça devient aussi une source d'emplois pour le pays. Le Brésil pense à beaucoup de dimensions différentes et évidemment au coût de l'adoption d'une force entièrement volontaire. Comme je l'ai dit, nous constituons pour lui un bon exemple et nous sommes disposés à lui dispenser de bons conseils quand il le voudra.

En ce qui a trait à la situation économique internationale, il est intéressant de noter que le budget de défense du Brésil l'an dernier était de 34 milliards de dollars. On dirait un montant élevé. Je crois que les dépenses militaires globales représentent environ 50 p. 100 du PIB, mais le gouvernement a dit à l'armée qu'en 2011 le budget sera réduit de 8 p. 100. La réalité financière internationale commence à se faire sentir et je ne crois pas que l'armée et l'établissement de la défense aient déjà été pleinement touchés. Cependant, il ne fait aucun doute que le budget des forces armées rétrécit, même si celles-ci tentent de se moderniser. Les Brésiliens doivent encore se moderniser. Ils veulent remplacer les chasseurs et ils ont fait beaucoup d'autres choses. Je pense que le Brésil devra sérieusement examiner ses dépenses en matière de défense par rapport à l'une de ses vraies priorités, l'Amazonie, dont j'ai parlé plus tôt.

Fait intéressant, l'armée est beaucoup plus déployée dans ses régions éloignées pour traiter de toutes sortes de défis allant de l'anarchie à la criminalité organisée transnationale. Le Brésil est un pays intéressant, comme vous le savez tous, et les seuls pays avec lesquels il ne partage pas de frontière en Amérique latine sont le Chili et l'Équateur. Il est en quelque sorte entouré de nombreux problèmes.

Pour répondre à votre dernière question sur ce qu'il y a de nouveau et de différent en Haïti, je dirais que c'est un bon exemple du genre de changement que vit le Brésil, le pays passant du statut de bénéficiaire de services de sécurité à celui de prestataire. Il a 2 200 soldats sur le terrain, ce qui lui a permis de réagir rapidement, puisqu'il était toujours in situ. Cela veut aussi dire qu'il a été durement frappé parce que nombre de soldats ont péri dans le tremblement de terre. Je pense que nous étions les premiers à venir leur porter secours de si loin, alors je dois faire un peu de publicité pour ce que le Canada a fait par l'intermédiaire des FC qui ont agi rapidement et qui ont été immédiatement déployées. Franchement, nous avons aidé les Brésiliens.

Qu'est ce qui est nouveau et différent? Le Brésil veut être un leader régional. Il a fait un travail extraordinaire. Si vous vous souvenez bien, il y a quelques années, on ne pouvait pas aller dans la Cité Soleil. Ce sont les forces brésiliennes de la MINUSTAH qui y sont entrées et, ce faisait, qui y ont apporté de l'ordre.

Le Brésil joue un rôle de puissance locale, mais de puissance locale responsable. Il ne déploie jamais ses troupes à l'étranger si ce n'est en vertu d'un mandat du Conseil de sécurité de l'ONU. Ce qu'il a fait de différent concerne également, je pense, ce dont parlait M. Nussbaum. Il y a également un aspect de développement en quelque sorte à tout cela. C'est une approche un peu plus exhaustive. Je vois tout simplement une approche conjointe plus sophistiquée par rapport à ce que le Brésil fait avec son armée en Haïti.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Bienvenue à nos témoins. Ma question s'adresse à M. Nussbaum. La Banque nationale de développement du Brésil a multiplié par sept, en 10 ans, ses prêts aux pays voisins d'Amérique latine. Je crois que c'est un moyen d'étendre son influence dans la région et d'assurer de nouveaux débouchés aux exportations brésiliennes. Quant aux crédits octroyés par la Banque nationale de développement du Brésil à l'Amérique latine, 80 p. 100 d'entre eux étaient destinés aux infrastructures et 20 p. 100 aux importateurs de produits brésiliens. Cette année, ils seront sept fois plus importants qu'en 2002.

La banque pose comme condition à ses prêts la participation des entreprises brésiliennes aux travaux de construction ou encore l'exportation des biens et des services.

On s'aperçoit que la Banque nationale de développement du Brésil gagne du terrain face à d'autres institutions financières en Amérique latine. En 2011, elle aura débloqué 1,5 milliard de dollars dans la région, soit 20 p. 100 de plus qu'en 2010, tandis que la Banque interaméricaine de développement — qui était la créancière traditionnelle — va débloquer 2,2 milliards de dollars, soit un recul de 28 p. 100 par rapport à 2010.

Selon vous, le Brésil, maintenant considéré comme un pays donateur — vous l'avez mentionné tout à l'heure dans votre intervention — cherche-t-il à obtenir le monopole des marchés latino-américains et l'accès aux ressources naturelles de ces pays? Et croyez-vous que cette stratégie sera bonne pour les pays receveurs? Est-ce qu'ils vont y gagner? Quelle est votre opinion à ce sujet?

M. Nussbaum : Merci beaucoup de votre question.

[Traduction]

Il est difficile pour moi d'émettre un avis sur les détails de ces projets sans avoir les informations sous les yeux. Je vais répondre en faisant quelques commentaires généraux au sujet du développement et de l'infrastructure en particulier. Que Mme Giroux se sente libre d'ajouter quelque chose d'après son expérience.

Nous nous réjouissons du rôle actif que joue le Brésil en tant que protagoniste et donateur dans le secteur du développement dans la région. C'est très important. Nous parlons beaucoup de partage des obligations à l'échelle internationale, ce qui inclut l'arrivée de protagonistes émergents dans ce genre de rôles et de responsabilités. De façon générale, ce type d'inclusion, de participation et d'engagement dans la région devrait être bien accueilli.

En outre, quand on songe à ce qui a été en partie accompli par le groupe de travail du G20 sur le développement au cours de la dernière année, vous verrez qu'on s'est concentré sur l'infrastructure et sur la stimulation de la participation du secteur privé. Tout le monde dans le secteur du développement vous dira que vous ne réussirez pas et que vous n'éliminerez pas la pauvreté par la seule entremise de l'APD. Il est important de catalyser d'autres protagonistes tels que les banques et autres dans le secteur privé. Les prêts sont très importants.

On constate une complexité, une multiplication des partenaires engagés dans le développement économique des pays en développement, et je pense qu'il est de bonne guerre de dire que nous devons nous en réjouir. Il faut reconnaître que le commerce, l'investissement et l'infrastructure occupent un rôle prépondérant et que l'APD ne peut tout faire. Encore une fois, je dis cela seulement pour répondre à votre question au sujet du type de mobilisation que fait le Brésil. Ça fait beaucoup penser aux tendances constatées à l'échelle internationale.

Je m'arrêterai là. Peut-être que Mme Giroux aimerait ajouter quelque chose d'après son expérience en Amérique latine. Il est tout à fait vrai que les Brésiliens jouent un rôle de très grande envergure comme puissance locale.

[Français]

Mme Giroux : La seule chose que j'ajouterais, c'est que, dans le contexte de la coopération trilatérale, pour appuyer la réponse à la question précédente qui demandait ce « qui est nouveau et ce qui est différent ». Entre autres, le Brésil a été très actif pour lancer ce concept de collaboration trilatérale en Haïti, en immunisation, par exemple, ainsi que pour revitaliser des communautés très pauvres et marginalisées.

Je souligne cet exemple pour démontrer qu'en coopération, le Brésil est un pays qui veut vraiment contribuer à l'essor économique et social de la région. Selon mon expérience, il le fait, je crois, avec un respect très sensible et respectueux de la souveraineté de ces pays. C'est ce que je voulais ajouter.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je vous remercie beaucoup. J'aimerais vous l'entendre dire parce que j'ai vu tout à l'heure que peut-être vous baisseriez les fonds.

Maintenant que le Brésil est un pays donateur, j'imagine que le Canada n'a plus à être un pays donateur, mais que ses relations avec le Brésil évoluent vers une collaboration d'égal à égal?

[Traduction]

M. Nussbaum : Absolument. Je suis d'accord avec cela.

[Français]

Mme Giroux : Et je pense que ce que M. Nussbaum disait à propos du protocole d'entente signé entre le premier ministre du Canada et le président du Brésil cet été est une preuve de cette nouvelle collaboration d'égal à égal.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Johnson : En août, notre premier ministre et la présidente Rousseff ont signé un protocole d'entente pour la coopération en matière de développement international. Pouvez-vous nous parler de la nature des consultations et des réunions entre l'ACDI et l'ABC qui ont mené à ce protocole d'entente? Aussi, quels en sont les paramètres?

M. Nussbaum : Je vais vous répondre avec plaisir.

Il faut, à bien des égards, percevoir le protocole d'entente comme le début de la relation. Il décrit le type de coopération que les deux pays pourraient vouloir explorer. Je vous les répète rapidement : approfondir le dialogue sur le développement; envisager davantage d'initiatives de recherche stratégique; améliorer les relations institutionnelles, comme des échanges de personnel; et explorer les activités de coopération dans des pays tiers, ce que l'on appelle la coopération trilatérale.

En fait, les négociations du protocole d'entente ont été facilitées par notre ambassade à Brasilia. Aucun pourparler antérieur n'y a mené. Nous avons participé là-bas à des discussions pour lesquelles nous avons offerts nos bons offices. En fait, nous sommes en train de planifier un retour au Brésil dans quelques mois, et il est probable que j'y prenne part pour essayer, comme je l'ai dit, de donner corps à l'entente.

L'ABC, l'équivalent de l'ACDI au Brésil, est une agence relativement nouvelle, et en ce moment même, on est en train de la bâtir, de trouver du personnel et de l'établir. Elle en est à ses balbutiements. Elle veut travailler avec nous et envisage avec enthousiasme de passer à la prochaine étape. Comme je l'ai dit, je m'attends à ce que cela se produise dans les deux ou trois prochains mois.

Le sénateur Johnson : Votre voyage marquera-t-il le début de la mise sur pied?

M. Nussbaum : Oui. On pourrait mieux décrire le tout comme l'exécution du protocole d'entente.

Le sénateur Johnson : Notre but est-il seulement d'être des partenaires pour le développement? Allons-nous continuer à dépenser de l'argent sur des programmes au Brésil? Pourquoi est-ce que nous continuerions de le faire?

M. Nussbaum : Le protocole d'entente ne sera pas un véhicule pour fournir du financement aux Brésiliens. C'est clair.

Le sénateur Johnson : Y en a-t-il d'autres que nous allons suivre, qui ne sont pas parachevés ou qui en sont aux dernières étapes, maintenant que nous sommes des partenaires égaux?

M. Nussbaum : Je ne suis pas certain que c'est ce que vous cherchez comme réponse, mais je dirais, en règle générale, que nous voyons ce groupe de protagonistes émergents comme un groupe avec qui nous devons entrer en contact; nous devons encourager ce type de dialogue stratégique avec eux pour les raisons que j'ai énoncées plus tôt. Tout d'abord, nous voulons avoir une certaine influence, et le Brésil cherche une aide dans l'évolution de ses propres agences de développement. Ensuite...

Le sénateur Johnson : Voilà ce que j'essaie de dire, et je ne voulais pas vous interrompre. Il s'agit vraiment de fournir une assistance dans un domaine pendant que le Brésil évolue pour devenir un partenaire pour le Canada et pour d'autres pays également.

M. Nussbaum : Je pense que c'est vrai, mais je pense que nous pouvons apprendre du Brésil aussi puisqu'il fait déjà de la coopération intéressante de façon indépendante, et il y a quelques exemples où nous travaillons déjà avec eux dans des troisièmes pays.

Le sénateur Johnson : Alors l'ACDI ne fera plus que ça désormais? Il n'y aura plus d'aide, c'est fini? C'est ça?

M. Nussbaum : Pas d'aide par le biais du protocole d'entente, mais, comme je l'ai dit, il y a toujours de l'argent dépensé là-bas grâce au partenariat de programmes canadiens. J'ai donné l'exemple de l'AUCC plus tôt.

La présidente : Permettez-moi d'enchaîner sur un autre sujet avant de terminer. Le Brésil a nettement accru sa présence en Afrique, capitalisant sur la stabilité actuelle de l'Angola et sur les progrès au Mozambique. Il est devenu un important protagoniste sur le continent africain. Envisagez-vous des ententes trilatérales — et si oui, comment — avec l'Afrique, puisque le Canada a une présence anglophone et francophone de longue date en Afrique, et moins dans les pays lusophones?

M. Nussbaum : Oui. Nous pouvons certainement déjà donner un exemple de collaboration avec les Brésiliens au Mozambique, un des pays sur lesquels se concentre l'ACDI. Grâce à ce protocole d'entente, nous nous attendons à envisager la possibilité d'élargir la coopération à d'autres pays où l'ACDI travaille.

La présidente : Le Brésil s'est engagé avec l'UA dans le cadre d'initiatives de développement en Afrique qui sont, à ma connaissance, ouverts aux soumissions. Il s'articule autour d'une philosophie de développement sud-sud, mais il y a beaucoup d'argent en jeu. Je comprends que ça aidera aussi le Brésil à développer sa philosophie et à faire son entrée en Afrique comme donateur d'aide. Sommes-nous au courant de cela? Est-ce que nous parlons avec les Brésiliens de ce qu'il va falloir coordonner?

Je pose cette question parce que nous avons étudié les pays BRIC et constaté que la Chine a une importante présence en Afrique. Je pense qu'on n'a pas assez rapidement pris cela en compte et qu'on n'a pas compris les conséquences de la présence de la Chine, pas seulement du point du vue économique, mais également dans le domaine des bailleurs de fonds. Je me demande ce que nous faisons pour nous assurer que nous coopérons maintenant avec les Brésiliens dans le cadre de leurs initiatives en Afrique, et que nous coordonnons nos activités.

M. Nussbaum : Simplement que, grâce au protocole d'entente, nous aurons maintenant un mécanisme de coopération plus officiel.

Rapidement, en ce qui a trait au contexte, vous avez tout à fait raison, madame la présidente, de signaler que ce qu'on appelle la coopération sud-sud prend rapidement de l'expansion, et vous avez bien sûr mentionné les activités des Brésiliens en Afrique, des Chinois et d'autres protagonistes émergents. C'est clairement une réalité. Je pense que le Canada peut y participer en travaillant avec des partenaires volontaires en Afrique par l'entremise de ce type de mécanismes.

La présidente : Nous avons des ONG qui s'intéressent beaucoup à l'Afrique. Sont-elles au courant de ces changements dans l'aide au développement? Les prennent-elles en considération dans leur travail? Certes, d'après mon expérience personnelle, nous prenions toujours en considération ce que faisaient les Européens, que ce soit les Suédois ou les Français. La donne est nouvelle maintenant, la réponse de l'Afrique est différente et tout le champ d'activité est différent. Vous dites que vous êtes au courant de cela. Tous vos acteurs au Canada sont-ils au courant de ces changements dans le domaine et de la rapidité avec laquelle ils surviennent?

M. Nussbaum : J'ose penser que oui parce que, comme vous l'avez dit à juste titre, c'est une importante tendance. C'est un domaine qui voit une expansion incroyable et de plus en plus d'activités. Il serait difficile de ne pas remarquer cela en tant qu'organisation œuvrant dans le domaine.

Je pense que, en tant que donateur établi, nous devons essayer de travailler en étroite collaboration avec eux, parce qu'il existe maintenant une tradition de principes établis pour l'efficacité de l'aide. On peut affirmer, je pense, que nous espérons que les protagonistes émergents travailleront avec nous pour pérenniser les progrès que nous avons réalisés dans ce domaine. À la fin novembre, une importante réunion sur l'efficacité de l'aide se tiendra à Pusan, Corée du Sud. Je m'attends à ce que cette question de rassemblement des protagonistes émergents, en vue de leur donner la possibilité de parler de nombreux enjeux, soit une priorité majeure et un objectif de la réunion.

Mme Giroux : Dans le poste que j'occupe depuis un peu plus d'un mois au sein de la Direction générale des partenariats avec les Canadiens, je rencontre un large éventail d'organisations de la société civile canadienne : des ONG, des universités, des fondations et ainsi de suite. Cela s'inscrit dans leur discours concernant les nouveaux partenariats dans le domaine de la coopération pour le développement, dans lequel ils expliquent comment prendre position et le type de paramètres qui encadrent ces nouveaux partenariats. Cela fait absolument partie du discours.

La présidente : Madame Sinclair, le Brésil a un long littoral et vous avez soulevé un certain nombre de choses au sujet de la sécurité. Est-ce que, d'après vos discussions, nous coopérons d'une façon ou d'une autre et maximisons notre expérience navale et portuaire avec le Brésil, en ce qui concerne les possibilités économiques et de défense?

Mme Sinclair : Oui. Encore une fois, nous venons de discuter de cette question au cours des derniers jours et le chef d'état-major de la Marine royale canadienne a tenu des pourparlers avec ses homologues lors de réunions régionales. Les Brésiliens se trouvent face aux mêmes défis que nous — un très long littoral, comme vous l'avez dit, et donc la piraterie, le crime organisé transnational, des considérations environnementales, toutes sortes de problèmes. Cela fait tout à fait partie des discussions que nous avons et figure au programme pour aller de l'avant avec le Brésil.

Le sénateur Nolin : Madame Sinclair, je ne sais pas si vous étiez ici lorsque j'ai posé une question au groupe de témoins précédent au sujet de la commission vérité et réconciliation créée par le président Lula il y a deux ans. En êtes- vous au courant?

Mme Sinclair : Oui.

Le sénateur Nolin : Dans quelle mesure est-ce que cela assombri notre relation de qualité avec l'armée au Brésil?

Mme Sinclair : La commission se penche sur des allégations de 1964 à 1985, si je ne m'abuse, ainsi que sur le rôle de l'armée dans une période très sombre de l'histoire du Brésil. Tout ce que nous avons à dire, c'est que nous sommes heureux que le Brésil tienne ce débat. En ce qui à trait à notre dialogue avec les forces armées brésiliennes en ce moment, comme je l'ai dit, une grande partie de nos discussions concerne la façon d'assurer le contrôle civil des forces, la façon de gérer les questions de gouvernance et la définition des liens hiérarchiques. L'armée brésilienne s'habitue encore à un ministre civil de la Défense, mais elle a eu deux personnes très compétentes : le ministre Jobim, qui vient d'être remplacé par le ministre Amorim, ancien ministre des Affaires étrangères. Les Brésiliens eux-mêmes doivent se faire à l'idée. Nous ferons tout pour les aider à se professionnaliser et voilà la raison d'être d'un grand nombre de nos programmes de formation.

Le sénateur Nolin : Je vous ai posé la question parce que je ne peux m'empêcher de faire la comparaison, et je suis certain que vous avez des renseignements à ce sujet, avec la façon dont le Canada gère toujours ses relations avec l'Europe orientale. Nous avons conservé de l'information et des renseignements sur ce qui s'est passé en Europe de l'Est il y a 20 ans, et nous sommes toujours assez bien informés de l'évolution de la démocratie dans cette parie du monde. Si on compare cela à ce qui se passe au Brésil, j'y vois une espèce de parallèle. Voilà pourquoi je pose ces questions. Je suis certain que vous maintenez des informations et des renseignements solides sur certaines personnes et sur les répercussions possibles sur notre relation avec le Brésil.

Mme Sinclair : Sénateur, je ne peux vous confirmer que nous maintenons des renseignements et de l'information sur ces personnes. Je sais cependant que nous avons une assez bonne idée des personnes avec lesquelles nous traitons et nous surveillons les progrès de la démocratisation, qui n'ont pas encore abouti au Brésil. Cela ne fait aucun doute et les Brésiliens seront les premiers à l'affirmer. Nous tentons de faciliter la transition. C'est une question de primauté du droit et de démocratie. Quand on parle avec des Brésiliens, militaires ou civils, il est difficile de prononcer une phrase sans que ces enjeux ne ressortent. En ce qui a trait à sa commission de vérité et de réconciliation, le pays doit évidemment y donner suite en tant que famille brésilienne.

Votre exemple de l'Europe orientale est intéressant. J'ai travaillé dans cette partie du monde un certain temps. Après que l'OTAN eut établi le partenariat pour la paix il a fallu longtemps pour que les armées et les gouvernements de l'Europe orientale soit en mesure de répondre aux critères d'adhésion à l'OTAN, qui est une alliance de pays démocratiques de droit, dotés de tous les mécanismes de reddition de comptes. On ne voit pas cette même dynamique au Brésil qui ne cherche pas à se joindre une alliance.

Le sénateur Nolin : Il essaie d'avoir une alliance avec nous.

Mme Sinclair : Non, pas une alliance, pas du tout. Il aimerait avoir une entente. J'avais l'intention de vous en parler après si on n'avait pas pu revenir sur la question de l'entente de coopération en matière de défense mentionnée dans le compte rendu de visite du premier ministre au mois d'août. C'est une entente-cadre dont le Brésil a besoin. Nous sommes beaucoup plus flexibles. Le Canada est disposé à s'engager dans des relations qui lui permettent d'être plus fonctionnel. En d'autres mots, s'il y a de la coopération pratique et un partenaire qui répond à ses critères, et s'il y a des choses qu'il veut accomplir, le Canada coopèrera avec d'autres de façon mesurée par le truchement de protocoles d'entente. Un grand nombre de pays, y compris le Brésil, ont une tradition juridique.

Ensuite, leur congrès a une fonction de surveillance claire. Puisque le Brésil a pour tradition de ne pas s'ingérer dans les affaires internes d'autres pays, il ne voulait pas que l'armée ou l'établissement de la défense traite avec un pays si le congrès n'avait pas eu la chance de voir ce qui se passait. L'entente de coopération en matière de défense est quelque chose que le Brésil aimerait vraiment avoir, et nous commençons tout juste maintenant à façonner les ententes. Ce n'est en aucun cas une alliance.

Le sénateur Nolin : On veut être des amis.

Mme Sinclair : On veut être des amis. On aimerait être des partenaires. Nous y avons consenti, mais nous avons des conditions.

Le sénateur Nolin : Il est important de bien connaître ses amis.

Mme Sinclair : Exactement, et c'est bel et bien le cas.

Senator Downe : Vous avez mentionné l'avenir du travail avec le Brésil concernant les questions de défense. Projetons-nous dans l'avenir. Où le Canada voit-il le Brésil dans le futur? Sera-t-il la puissance locale en Amérique du Sud et je pense qu'il l'est déjà dans le contexte militaire. Cependant, pensons-nous qu'il sera un pays à même d'intervenir si les choses tournaient mal dans un pays d'Amérique du Sud ou d'Amérique centrale, ou est-ce nous nous attendrions à ce que les États-Unis fassent la part du lion?

Je m'intéresse aussi à la production militaire intérieure. Estime-t-on que le Brésil va accroître sa production militaire au cours des prochaines années en produisant beaucoup plus d'armes qu'il pourrait non seulement utiliser à l'échelle locale, mais également vendre à d'autres pays?

Le sénateur Nolin a parlé d'alliances. Le Brésil ne s'intéresse évidemment pas à se joindre à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, mais est-il intéressé à d'autres alliances avec des pays, disons, non-alignés?

Mme Sinclair : Comme vous l'avez dit, le Brésil est, par définition, une puissance locale quant à son poids économique, sa population, sa puissance militaire et j'ajouterais quant à l'opinion qu'il se fait de sa présence dans la région. C'est une évidence, et étant donné l'orientation du Brésil avec sa transition démocratique et tout le reste, c'est quelque chose dont nous nous réjouissons. Évidemment, nous voulons aider à façonner le Brésil et être un bon partenaire et ami, mais c'est quelque chose dont nous nous réjouissons.

En ce qui concerne son engagement dans la région, encore une fois vous étudiez le Brésil et les Amériques depuis un certain temps alors vous savez sûrement que sa politique de non-ingérence, son objectif ultime en matière de souveraineté et la dignité de l'état souverain sont pour lui des points de départ ou plutôt un aboutissement dans la manière dont il s'inscrit dans tout cela.

Chose intéressante, si vous vous souvenez bien, le président Lula a lancé l'UNASUR qui inclut une composante de défense, la coopération de défense de l'Amérique du Sud. C'est un cadre. Les ministres de la défense se sont réunis deux fois pour plus ou moins discuter de questions régionales. À la façon dont en parle le Brésil — et je ne pense pas qu'il s'agisse de sa seule interprétation parce que nous avons parlé à certains partenaires de l'organisation — il est question d'instaurer la confiance et de nouer le dialogue là où il n'y en a pas encore. Il est question de renforcer la sécurité et la stabilité de la région.

Comme je l'ai dit, mais je vais faire vite, l'armée brésilienne n'a pas le droit de se projeter à l'extérieur des frontières du pays si ce n'est en vertu d'une résolution du Conseil de sécurité de L'ONU. Je ne vois aucun engagement proactif de l'armée.

Le Brésil a cherché à aider à la médiation du côté plus politique de certains différends frontaliers entre et parmi ses voisins. Il a peut-être eu un effet positif. Son modèle seul et son désir de stabilité est un développement extrêmement important.

Vous avez demandé si les États-Unis s'adjugeraient la part du lion dans la région. En ce qui a trait au rôle des États- Unis et des Amériques, le Canada joue un rôle dans les Amériques. C'est maintenant une région beaucoup plus variée avec une plus grande diversité de partenariats, y compris avec des pays comme le Canada qui n'a aucun programme particulier à part celui de bâtir la démocratie et la prospérité.

En matière de production militaire intérieure, je n'ai pas beaucoup d'information. Je peux simplement vous dire que le Brésil s'est en quelque sorte fixé pour objectif stratégique de miser sur le nationalisme de sa population et sur l'idée qu'elle se fait du pays, ce qui se retrouvait un peu dans la question sur le rôle de la banque et de la banque de développement. Si, dans le cadre de sa politique d'approvisionnement militaire intérieur, l'État peut acheter un produit brésilien et qu'il peut le produire au Brésil, la préférence sera donnée au Brésil. Cela ne veut pas dire qu'il n'est pas en train de s'ouvrir aux autres, mais il faut établir un partenariat avec une entreprise brésilienne si on veut prendre part aux marchés de l'État.

Enfin, en ce qui a trait aux alliances, je pense que le Brésil est toujours en quelque sorte en mode non-aligné. Je ne pense pas qu'il cherche une alliance avec qui que ce soit, surtout pas une alliance officielle, parce que cela mène à toutes sortes de contraintes compliquées, mais il va chercher à exercer son influence de différentes façons et à conclure des partenariats avec des pays membres d'autres alliances.

Nous avons la Commission interaméricaine de défense, la Conférence des ministres de la Défense des Amériques et l'Organisation des États américains. C'est en quelque sorte le plus près d'un accord que nous pouvons être et je vous assure qu'il s'agit d'ententes assez libres. Ça reflète les dynamiques de la région.

La présidente : Merci.

Vos remarques liminaires étaient brèves, mais nous avons obtenu le contenu que nous recherchions grâce aux questions. Ce fut très utile. Il s'agissait de deux thèmes intéressants pour l'élaboration de notre rapport et pour nos propres opinions sur les possibilités entre le Canada et le Brésil, alors je vous remercie d'être venus et de nous avoir fourni ces informations. Si vous voulez ajouter quelque chose, veuillez vous adresser à la greffière. Encore une fois, je vous remercie au nom du comité pour votre témoignage.

(La séance est levée.)


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