Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 7 - Témoignages du 16 février 2012
OTTAWA, le jeudi 16 février 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier, pour en faire rapport, la politique étrangère canadienne relative à l'Iran, ses implications et d'autres questions connexes.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit son étude sur la politique étrangère canadienne relative à l'Iran, ses implications et d'autres questions connexes.
Nous sommes ravis d'accueillir ce matin deux professeurs qui viennent de loin. Merci de vous être déplacés. Nous entendrons Mojtaba Mahdavi, professeur adjoint au Département des sciences politiques de l'Université de l'Alberta; et James Devine, professeur adjoint à l'Université Mount Allison.
Nous avons pris l'initiative de raccourcir le mot de bienvenue pour vous accorder plus de temps. Nous sommes au courant de vos antécédents et de vos champs d'intérêt. Merci de nous aider à comprendre la situation actuelle en Iran.
Nous demandons généralement aux témoins de faire un bref exposé pour stimuler les échanges qui suivront avec les sénateurs.
Avez-vous convenu de l'ordre de parole? Autrement, nous suivrons l'ordre dans lequel vous m'avez été présentés.
Mojtaba Mahdavi, professeur adjoint, Département des sciences politiques, Université de l'Alberta, à titre personnel : Madame la présidente et honorables sénateurs, merci beaucoup de m'avoir invité aujourd'hui pour vous parler de la politique étrangère du Canada relativement à l'Iran.
Le Canada n'est pas une superpuissance. Cependant, il peut jouer un rôle unique et faire une différence positive au Moyen-Orient, y compris en Iran, s'il suit ses principes traditionnels. Le Canada n'a jamais eu de colonies au Moyen-Orient. La perception selon laquelle le Canada respecte le multiculturalisme, la diversité, le dialogue, la médiation constructive et la diplomatie constitue d'importants avantages politiques pour le Canada. Ces éléments sont ce qu'on appelle les « pouvoirs de convaincre » du Canada en ce qui a trait aux relations internationales, et le Canada devrait tout faire pour ne pas perdre ces sources inestimables de crédibilité.
Je n'essaie pas de peindre en rose la politique étrangère du Canada; je sous-entends simplement que c'est possible et souhaitable que le Canada poursuive une politique étrangère à la fois constante et pragmatique et fondée sur des principes. La dernière chose dont le Canada a besoin, c'est d'une politique étrangère à caractère idéologique. À cet égard, j'aimerais brièvement dire quelques mots sur quatre enjeux relatifs aux relations entre le Canada et l'Iran.
Premièrement, les déclarations incendiaires, idéologiques et polémiques de certains représentants canadiens sur la question nucléaire en Iran n'aident en rien la cause. Nous avons récemment entendu des gens prétendre que l'Iran est la plus grande menace qui pèse sur la paix mondiale, parce que les autorités iraniennes n'hésiteraient en aucun temps à avoir recours à l'arme nucléaire. On a aussi comparé l'Iran à l'Allemagne nazie.
Selon moi, la politique étrangère canadienne relativement à l'Iran devrait plutôt mettre l'accent sur les violations des droits de la personne par le régime iranien que sur la politique nucléaire iranienne. Des déclarations idéologiques, comme celles que je viens de mentionner, alimentent le feu de la guerre et servent les intérêts des tenants de la ligne dure qui veulent déclencher une guerre, et elles sont clairement contraires à la position fondée sur des principes du Canada.
La guerre n'est pas une solution pour améliorer la situation des droits de la personne en Iran. Il s'agit d'une violation des droits de la personne. Une guerre mettrait fin au mouvement prodémocratique en Iran. Les masses se rallieraient derrière le régime. Cela alimenterait la colère et l'hostilité envers l'Occident, y compris le Canada. Une guerre n'arrêterait probablement pas le programme nucléaire iranien; elle ne ferait que le retarder. Une guerre ne risque fort probablement pas d'instaurer la démocratie en Iran; ce serait surtout illégal et contraire à l'éthique.
Deuxièmement, nous devons placer la politique nucléaire de l'Iran dans son contexte. Je ne vais pas aborder ce point dans mon exposé, mais je serais heureux de vous en parler au cours des séries de questions. Le point principal à retenir est ce que nous appelons « l'option japonaise » relativement aux questions nucléaires. Cela signifie de ne pas fabriquer de bombes, tout en ayant les connaissances et la capacité de le faire. À mon avis, le Canada fait partie de « l'option japonaise », et je crois comprendre que l'Iran risque fort probablement de suivre cette voie. Nous pourrions en parler au cours des séries de questions.
Troisièmement, il y a les sanctions économiques, y compris les soi-disant sanctions ciblées et débilitantes. Je crois que les sanctions économiques ne sont pas la solution pour prévenir une guerre, contrairement à la croyance populaire. Il s'agit en fait de la dernière étape avant d'en déclencher une, et le cas de l'Irak en est un bon exemple. Selon moi, les sanctions économiques s'avèrent une situation perdante-perdante pour le peuple iranien et leur lutte pour la démocratie et les droits de la personne. Si les sanctions ne fonctionnent pas, cet échec servira d'excuse pour les partisans de la guerre, et cette option se veut une situation perdante pour le peuple iranien. Si les sanctions fonctionnent, ce sera encore une fois une situation perdante, parce que nous punirons ainsi davantage les victimes, soit le peuple iranien, que le régime de Téhéran; ces sanctions affaibliront la classe moyenne qui se veut le moteur du mouvement démocratique et du mouvement vert. De plus, les sanctions intensifieront la corruption, la contrebande et le marché noir, ce qui profitera au régime et à ses proches collaborateurs. De telles sanctions feront augmenter la haine envers l'Occident, y compris le Canada. Enfin, de mon point de vue, c'est tout à fait contraire à l'éthique, c'est immoral, et il s'agit d'une violation des droits de la personne.
Les sanctions économiques se veulent une situation gagnante-gagnante pour les partisans de la guerre en Iran et les tenants de la ligne dure aux États-Unis et en Israël. Si elles fonctionnent, ils sont gagnants. Si elles ne fonctionnent pas, ils sont tout de même gagnants, parce que cela devient une excuse pour déclencher une guerre, affaiblit la nation et érode peut-être le territoire national de l'Iran en soutenant des groupes séparatistes.
Le Canada ne veut pas s'associer à ce camp; il n'en fait pas partie. À mon avis, le Canada fait partie de ceux qui perdraient des suites de l'adoption de telles sanctions économiques.
Quatrièmement, ni le déclenchement d'une guerre, ni l'adoption de sanctions économiques ne sont la solution. La question nucléaire ne devrait pas être une politique prioritaire. Les droits de la personne sont l'enjeu principal, même si je crois que même la défense des droits de la personne ne devrait pas servir d'excuse au déclenchement d'une guerre ou à l'imposition de sanctions économiques. Cela devrait tout simplement servir les gens et leur cause. Cela devrait donner un coup de main aux mouvements, y compris bien entendu au présent mouvement démocratique.
N'oublions pas que le mouvement vert iranien a débuté en 2009 à une époque où il n'y avait aucune menace externe, guerre ou sanction économique. Le peuple iranien est capable de changer la donne de l'intérieur. Faisons-leur confiance et croyons en eux. Les Iraniens se trouvent déjà pris entre le marteau et l'enclume. À l'interne, le pays est dirigé par un régime autoritaire, tandis qu'à l'externe des tenants de la ligne dure aux États-Unis et en Israël menacent le pays.
Le Canada ne fait pas partie de ce camp. Il peut jouer un rôle positif et constructif en ne se faisant pas l'écho des partisans de la guerre à tout prix. Nous devrions défendre nos principes et soutenir le peuple et leur mouvement.
Plus particulièrement, le Canada peut parrainer un lot de mesures diplomatiques par l'entremise de l'ONU en vue, notamment, de faciliter la tenue d'élections libres et justes en Iran, de faire libérer des prisonniers politiques en Iran, de faire cesser l'assignation à résidence de personnalités publiques du mouvement vert et de soutenir les réfugiés politiques qui viennent au Canada.
Voilà le Canada que nous connaissons et chérissons. Merci beaucoup.
James Devine, professeur adjoint, Université Mount Allison, à titre personnel : Madame la présidente et honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de votre invitation.
En cette période où les tensions semblent atteindre leur paroxysme, j'aimerais utiliser mon temps de parole pour vous convaincre qu'il faut que le Canada et l'Occident continuent de s'engager à négocier avec l'Iran pour résoudre leurs différends, au lieu d'avoir recours à la force militaire ou aux contraintes. Je vais appuyer mes recommandations sur les quatre points suivants.
Premièrement, en dépit de ce qui a été diffusé dans les médias et de la façon dont la situation a été présentée, les plus récentes évaluations du service américain de renseignement laissent entendre que des négociations sont encore possibles. Tout récemment, soit le 31 janvier dernier, James Clapper, le directeur du service américain de renseignement, a affirmé que les Américains ne pensent pas que les autorités iraniennes aient décidé de se doter de l'arme nucléaire. Il a renchéri en disant que même si l'Iran a développé la capacité de le faire, il n'a pas encore décidé de le faire.
De plus, il prétend que la décision des autorités iraniennes ne se fonde actuellement pas sur la technologie. Les Iraniens ont accès à une telle technologie, et ils ont fait les progrès nécessaires au cours des dernières années. Cette décision repose davantage sur la volonté politique de le faire.
Il poursuit en soutenant que, selon l'Iran, il ne s'agit pas d'un enjeu idéologique, mais bien d'une question d'analyse coûts-avantages, ce qui sous-entend que les autorités iraniennes abordent cet enjeu de manière rationnelle. Cette évaluation semble dire qu'il est encore possible de convaincre le régime de Téhéran que ce n'est pas dans ses intérêts de fabriquer une bombe nucléaire.
Deuxièmement, j'aimerais faire valoir que les résultats sont très mitigés en matière d'affaires étrangères lorsqu'on impose uniquement des sanctions. Les États réagissent très rarement aux menaces militaires, même lorsqu'elles sont crédibles. Prenons tout simplement l'exemple de l'Irak en 1991 et en 2003. De plus, les analyses à ce sujet semblent dire qu'en imposant uniquement des sanctions on réussit très rarement, voire jamais, à atteindre les objectifs, surtout si ces objectifs sont de forcer un État à modifier ses politiques concernant une question primordiale de sécurité nationale.
Dans ce contexte, nous ne pouvons nous fier à outrance uniquement à l'imposition de sanctions pour convaincre l'Iran de ne pas se doter de l'arme nucléaire; cela risque d'avoir l'effet inverse et de les convaincre de la nécessité d'en fabriquer une.
Troisièmement, nous n'avons pas vraiment raison de croire que le régime risque de s'écrouler, en raison des sanctions ou de l'effet domino du printemps arabe.
Il y a encore beaucoup de grogne par rapport au monde politique en Iran, en raison, notamment, des élections de 2009. Par contre, le mouvement vert n'a pas été en mesure de traduire cette grogne populaire en force politique efficace, et il serait imprudent, selon moi, pour les Occidentaux de penser qu'ils peuvent régler leurs différends avec l'Iran en essayant de soutenir de l'intérieur un changement de régime. J'irais même jusqu'à dire que cette option a peu de chances de réussir. Ce ne serait pas plus prudent pour nous de faire preuve de laisser-aller et d'espérer que nos problèmes avec l'Iran seraient balayés par les manifestations, comme ce fût le cas en Égypte et en Tunisie.
Quatrièmement, les coûts d'une guerre en supplantent les avantages. Même si l'Iran a été affaibli à certains égards par le printemps arabe, les dissensions internes et les sanctions, l'État dispose encore de la capacité de faire des ravages au Moyen-Orient. Il s'agit d'une période particulièrement critique pour la région. Pour la première fois de mémoire d'homme, nous pouvons véritablement espérer démocratiser cette région. Nous sommes incertains de l'effet qu'une autre guerre régionale aurait sur les fragiles transitions démocratiques qui se déroulent en Égypte, en Tunisie et en Libye.
Pour toutes ces raisons, je crois que c'est important de continuer d'avoir recours aux négociations pour nous aider à résoudre nos différends avec l'Iran. Cependant, il faut être réaliste en ce qui a trait aux résultats. Étant donné la fragmentation politique du régime de Téhéran, ce serait fort peu probablement de conclure une entente à tout casser, c'est-à-dire une entente qui répondrait aux préoccupations de l'Occident concernant l'Iran. Nous devons, au contraire, avoir des attentes plus posées. Ce serait même fort peu probable que l'Occident obtienne des autorités iraniennes qu'elles abandonnent leur programme d'enrichissement de l'uranium. Il s'agit d'un enjeu qui reçoit beaucoup trop de soutien au sein du pays pour que le gouvernement ou les dirigeants politiques à Téhéran plient l'échine à cet égard.
Cependant, avec un peu de chance, si nous continuons de négocier, nous réussirons à convaincre les Iraniens qu'ils n'ont pas besoin d'aller de l'avant avec la fabrication d'armes et d'accomplir les dernières étapes.
La présidente : Merci. J'ai une liste de sénateurs qui aimeraient vous poser des questions. Allons-y.
Le sénateur Finley : Vous nous avez fait un résumé très intéressant et très approfondi. J'ai un dilemme; je ne sais pas par où commencer.
Les gens ont comparé les sanctions, par exemple, à celles imposées dans le cas de l'Afrique du Sud. Je ne crois pas du tout qu'il soit question de la même situation. À mon avis, nous avons deux éléments fondamentaux. D'un côté, nous avons l'armement possible de l'Iran; de l'autre, nous avons de graves violations des droits de la personne et la privation du moyen de subsistance et de la liberté des gens. Je crois que ce dernier enjeu préoccupe grandement bon nombre de sénateurs.
Voici ma question. Selon ce que j'en comprends, vous semblez dire qu'il s'agit d'un dilemme à l'intérieur d'une énigme, le tout enrobé d'un mystère. D'un côté, nous disons de ne pas recourir à la guerre, parce que personne ne saura tirer profit de cette option. De l'autre, nous disons de ne pas essayer de renverser le régime de l'intérieur. Bref, imposons les sanctions nécessaires. Par contre, j'ai lu aujourd'hui que l'Iran menaçait de couper l'approvisionnement en pétrole de la France, de l'Espagne, de l'Italie, des Pays-Bas, de la Grèce et du Portugal, et je me demande pendant combien de temps ces États maintiendraient leurs sanctions s'ils n'avaient plus de pétrole.
Vous nous retirez toutes les armes, diplomatiques ou autres, à notre disposition. Vous nous dites qu'elles ne fonctionneront pas. C'est l'impression que j'en ai eue. Nous pouvons négocier jour et nuit, mais nous ne conclurons jamais d'entente à tout casser.
Quel message essayez-vous de transmettre au Sénat? Que devrions-nous recommander? Serait-ce en fait de ne rien faire? Le Canada devrait-il jouer le rôle de l'intermédiaire passif?
J'ai un problème. Vous dites de ne pas prendre les armes, de ne pas soutenir la révolte à l'interne et de ne pas brandir le sabre. Vous dites que nous avons « l'option japonaise », mais cela pourrait prendre des années, et qu'il ne faut pas y aller de propos polémiques, notamment, en ce qui concerne l'utilisation de l'énergie nucléaire. Si je puis me permettre, que voulez-vous que nous fassions?
M. Devine : Vous soulevez des points valides.
Nous pouvons faire deux ou trois choses. Je ne propose pas de nous croiser les bras et de ne rien faire. À mon avis, ce serait une très grave erreur.
Une diplomatie efficace se composera de carottes et de bâtons.
Par contre, nous devons faire quelques éléments. Premièrement, nous devons être prêts à en faire autant. L'Iran a déjà posé des gestes de bonne volonté. Les autorités iraniennes sont souvent bornées et ancrées dans la rhétorique, mais elles ont déjà posé des gestes de bonne volonté à l'endroit du Canada et de l'Occident en général. Nous devons être prêts à accepter leurs offres. Jusqu'à présent, nous disons que l'Iran ne fait pas preuve de bonne volonté dans les négociations et que les autorités essayent seulement de gagner du temps. Nous avons fait la sourde oreille aux occasions qui se sont présentées. Il faut saisir les occasions qui se présentent et voir ce que nous pouvons en tirer.
Deuxièmement, nous n'avons pas nécessairement besoin d'arrêter de brandir le sabre ou de faire des discours belliqueux, mais il faut le faire avec plus de prudence. Il faut nous assurer que le message que nous envoyons aux autorités iraniennes est bien compris. En Iran, la perception n'est pas que l'Occident essaye de faire abandonner l'idée des armes nucléaires aux Iraniens ou de modifier leur comportement. Le message est que nous voulons un changement de régime. Tant que nous affirmerons que l'Iran est la plus importante menace dans le monde, que nous regrouperons tous nos problèmes relativement à l'Iran, que nous semblerons avoir un problème avec tout le régime en place et que nous ne serons pas prêts à faire preuve de tolérance à leur égard, les Iraniens aborderont cette situation comme s'il s'agissait d'une menace existentielle et ils se camperont davantage sur leurs positions, au lieu de négocier.
Le sénateur Finley : Le Canada a choisi les « chatouilles » au lieu de la matraque. Croyez-vous que l'Iran est ouvert aux suggestions? Vous affirmez qu'il en a fait. Selon moi, le pire élément du régime iranien actuel est qu'il est question de violations des droits de la personne au sein du pays, mais aussi qu'il a en fait aussi exporté cette vision pour tuer des gens ailleurs dans le monde — les terroristes ou peu importe le nom que vous leur donnez. Les autorités iraniennes exportent le climat de terreur qui règne sur leur territoire et ont des cibles très précises. À mon avis, ce ne serait pas déraisonnable de dire qu'Israël en est une.
J'aimerais que vous m'expliquiez pourquoi, d'un côté, vous dites que les Iraniens nous demandent de venir négocier avec eux et de les chatouiller et que, de l'autre, ils nous disent : « Si cela ne vous fait rien, nous allons brutaliser quelques personnes au large de nos côtes. Nous allons les faire sauter, leur lancer des grenades et faire tout ce qui nous chante. » Pourriez-vous me l'expliquer? Je ne comprends pas.
M. Mahdavi : Je crois que depuis l'élection présidentielle de 2009 la donne a notamment changé en ce qui a trait aux négociations avec le régime iranien, en raison de la crise de légitimité dans le pays. Depuis 2009, les politiques iraniennes ont considérablement changé comparativement à celles d'avant l'élection présidentielle de 2009. Voilà un élément.
Je souhaiterais que ce soit possible de négocier une entente complète à tout casser, ce qui avait en fait été offert au cours de la présidence de Mohammed Khatami, quand lui et le président George Bush étaient en poste. Nous pouvons nous imaginer que la situation aurait peut-être été différente si le président avait été Obama.
J'imagine que M. Devine parlera des négociations. D'un autre côté, mon document portait sur le fait de se ranger du côté du peuple. Par « peuple », j'entends le mouvement vert et le mouvement prodémocratique en Iran. Mon argument était que la guerre et les sanctions économiques ne sont pas efficaces. Ces mesures sont en fait contre-productives. Elles vont vraiment à l'encontre des droits de la personne et de la démocratie; bref, elles affaiblissent le peuple.
Je ne sous-entends pas que nous devrions rester les bras croisés. L'inaction n'est pas une option. J'ai proposé quelques gestes que le Canada pourrait poser par l'entremise de l'ONU, y compris d'aider à la tenue d'élections libres et justes en Iran, de faire pression sur Téhéran pour faire libérer des prisonniers politiques et faire cesser les assignations à domicile en vigueur concernant des figures publiques du mouvement vert iranien. Voilà des moyens efficaces que pratiquement tout le monde appuie.
En ce qui concerne la question de la terreur, malheureusement, nous avons entendu entre les branches — du moins, l'Iran l'a sous-entendu, tout comme des représentants américains l'ont fait la semaine dernière — qu'Israël serait derrière l'assassinat des scientifiques iraniens. Voilà le type de menaces que nous pouvons constater. Évidemment, il y a une certaine guerre froide qui fait rage actuellement entre Israël et l'Iran par l'entremise de différentes mesures.
Bref, il faut comprendre la situation dans un contexte très large, entendre les deux côtés de la médaille et bien entendu soutenir le mouvement iranien bien établi. Le Canada peut faire bien d'autres choses, au lieu de déclencher une guerre ou d'imposer des sanctions économiques.
M. Devine : En ce qui concerne votre question sur l'utilisation de subversion ou l'exportation de la révolution, je crois qu'il est important de comprendre comment cela s'inscrit dans les politiques et la stratégie de Téhéran. Au lieu de s'en servir à des fins idéologiques ou messianiques, l'Iran a recours à de telles tactiques de manière stratégique et déterminante. Les autorités iraniennes ont essayé de se doter d'une capacité de dissuasion asymétrique; elles ne disposent pas de l'arme nucléaire et ne possèdent pas la capacité militaire de répliquer, mais elles ont développé leur capacité de répliquer à l'Occident en créant de l'instabilité dans la région.
Ce n'est peut-être pas fait aussi prudemment qu'il le faudrait, mais c'est fait en suivant une certaine logique. Selon moi, les Iraniens et nous jouons le même jeu à mesure que nous approchons du dénouement de la question nucléaire. Nous faisons pression sur eux pour les forcer à négocier selon nos termes; ils essaient de faire pression sur nous pour nous prouver qu'ils ne se laisseront pas intimider et essayer de faire pencher les négociations en leur faveur.
Il s'agit d'une pratique qui se veut plus stratégique qu'idéologique, et c'est ainsi que nous devons l'aborder.
Le sénateur Finley : Je crois qu'il s'agit d'un paradoxe d'un point de vue pratique. Je vais attendre la deuxième série de questions.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Messieurs les professeurs, merci d'être venus nous rencontrer et de nous faire part de vos mémoires intéressants.
Ma question s'adresse au professeur Devine. Vous avez mentionné, professeur, dans un de vos commentaires, qu'on ne peut pas savoir quelles seront les conséquences de cette guerre dans cette région. Il se passe des choses quand même assez étranges. M. Dmitri Rogozine, le vice-premier ministre et représentant spécial du président russe pour la coopération avec l'OTAN, pour la défense antimissile a dit que si quelque chose arrivait à l'Iran, s'il se trouve impliqué dans des hostilités, « il s'agira d'une menace directe pour notre sécurité ». Il a dit que l'Iran avait le droit de vivre en sécurité et tout cela. Cela veut dire qu'eux seraient peut-être prêts à faire la guerre avec l'Iran si jamais cela dégénérait en guerre.
Vous avez mentionné que votre spécialité était l'étude de la région et vous en savez beaucoup sur tout ce qui se passe là-bas. Pourriez-vous nous en dire plus sur le rôle et l'influence que l'Iran a dans la région? Quelles sont les alliances qui existent entre l'Iran et ses voisins? Quelles alliances l'Iran a conclues avec des groupes de militants non étatiques dans la région?
Au deuxième tour, j'aurai une question pour M. Mahdavi.
[Traduction]
M. Devine : L'influence de l'Iran s'est érodée dans la région au fil des ans. Il y a quelques années, l'Iran semblait en croissance dans la région en ce qui a trait à son pouvoir de convaincre, principalement en raison de la guerre de 2006 au Liban. L'Iran était perçu comme l'un des seuls États à tenir tête à l'Occident et aux Israéliens.
Pour ce qui est de son pouvoir de convaincre, l'influence de Téhéran a diminué depuis le printemps arabe, parce que l'opinion publique met maintenant l'accent sur la démocratisation et le respect des droits de la personne et que l'Iran n'est pas perçu comme en étant un ardent défenseur. À cet égard, l'Iran a perdu une grande partie de son pouvoir de convaincre.
Si l'Iran était attaqué par les États-Unis ou Israël, particulièrement par Israël, le vent tournerait considérablement. L'Iran ne serait plus perçu comme un pays qui tyrannise son peuple; il serait de nouveau vu comme une victime de la violence israélienne.
L'Iran entretient des relations très complexes avec les groupes non étatiques dans la région. Comme nous le savons, le régime iranien a des liens avec le Hezbollah. Il a beaucoup d'influence grâce à la communauté chiite, ainsi que dans les régions kurdes du nord où l'Iran joue un rôle important dans les politiques kurdes grâce à l'utilisation d'argent et à l'infiltration par le biais de ses propres agents.
On pourrait, en gros, dire la même chose du côté de l'Afghanistan. Dans la région du golfe Persique, l'Iran entretient des liens depuis longtemps avec les groupes d'opposants chiites. Ce point est particulièrement important. Par le passé, l'Iran entretenait des liens forts avec le Hezbollah-Al-Hejaz, soit la version saoudienne du Hezbollah. Lorsqu'ils en sont venus à certains accommodements politiques avec les Saoudiens à la fin des années 1990, les Iraniens étaient prêts à mettre un terme à cette relation, à arrêter de soutenir ces groupes et à ne plus mettre leur nez, de façon générale, dans les politiques saoudiennes. Cela semble se détériorer de nouveau, mais c'est principalement un comportement de circonstance. Il ne s'agit pas d'une croisade idéologique; les Iraniens se servent de tels groupes de manière déterminante. Lorsqu'on fait pression sur eux, ils réagissent, mais on a déjà eu la preuve que l'Iran peut être un joueur plus responsable dans la région lorsqu'il ne se sent pas menacé.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Étant donné que l'Union européenne appuie les sanctions, ont-ils des alliés au sein des pays de l'Union européenne ou sont-ils vraiment isolés avec les groupes que vous venez de nous décrire?
[Traduction]
M. Devine : Je suis désolé. Voulez-vous savoir si l'Iran est isolé?
Le sénateur Nolin : Les Iraniens avaient-ils des alliés au sein des pays de l'UE?
M. Devine : Actuellement, leur relation avec l'UE n'a jamais été aussi mauvaise. Le régime iranien a réussi à maintenir des relations avec certains pays européens, particulièrement l'Allemagne, mais à mesure que nous nous approchons de la fin des négociations et du processus diplomatique en ce qui a trait à la question du nucléaire, cette relation s'effrite en raison des violations des droits de la personne et d'un lot d'autres éléments. L'Iran n'a probablement jamais été aussi isolé depuis les années 1980.
Le sénateur Downe : Monsieur Devine, vous avez dit que les sanctions fonctionnent rarement. Pourriez-vous nous en parler davantage? Je lisais sur les sanctions qui ont déjà été imposées, et il semble que des pays comme le Brésil et la Turquie ne collaborent tout simplement pas et continuent d'avoir des échanges commerciaux normaux.
Selon vos recherches et votre expérience, pourriez-vous nous expliquer pourquoi les sanctions n'atteignent pas l'objectif pour lequel elles ont été adoptées?
M. Devine : Certainement. L'imposition de sanctions inclut divers problèmes. Comme vous l'avez noté, le premier problème est qu'il est pratiquement impossible d'isoler un pays dans un régime de sanctions étanche. Il y aura toujours des États qui feront fi des sanctions pour des raisons économiques ou politiques. Je dirais que les sanctions imposées contre l'Irak au cours de la crise du Koweït ont été les plus sévères de l'histoire. Or, l'Irak avait tout de même réussi à trouver le moyen de contourner les sanctions, à vendre du pétrole, à faire rentrer de l'argent au pays et à maintenir le régime à flot.
Le deuxième problème avec les sanctions est que les véritables conséquences des sanctions sont rarement ressenties par le gouvernement. Au lieu que ce soit le gouvernement qui fasse les frais des sanctions, c'est le peuple qui en subit les conséquences. À moins que la population en général dispose d'un mécanisme pour renverser le gouvernement, ce qui n'était pas le cas en Irak, et je ne crois pas non plus que ce le soit en Iran, tout ce que font les sanctions, c'est de punir le peuple.
Le sénateur Downe : Le cas échéant, quelles mesures la communauté internationale prend-elle à l'endroit des pays qui violent les sanctions et qui ne collaborent pas? J'ai mentionné le Brésil et la Turquie. Je crois comprendre que l'Allemagne, qui aurait conclu une entente verbale avec l'Iran, continue d'avoir beaucoup d'échanges commerciaux. Imposons-nous des sanctions contre les pays qui n'appliquent pas les sanctions?
M. Devine : Dans certains cas, c'est possible, mais je ne vois pas comment nous pourrions imposer des sanctions contre un pays comme l'Allemagne. Nous pourrions signifier aux Allemands notre désaccord grâce à la filière diplomatique ou dénoncer publiquement la pratique, mais c'est peu probable que cela influe sur leurs politiques. C'est la même situation qui prévaut au Brésil. La Turquie devient de plus en plus un joueur régional important au Moyen-Orient. Il ne serait pas non plus possible d'imposer des sanctions contre les Turcs pour les pousser à modifier leurs politiques.
Le sénateur Johnson : Je veux parler un peu des développements internes et régionaux. Comme nous le savons tous, des élections se tiendront au cours des deux prochaines années. On veut évidemment éviter que les conflits et les problèmes qui ont eu lieu en 2009 se reproduisent. Quelles sont vos préoccupations quant aux régimes politique et parlementaire de l'Iran, dans quelle mesure sont-ils représentatifs, quels groupes ont de l'influence et lesquels sont marginaux?
M. Mahdavi : Je crois qu'il n'y a aucune chance que les réformistes participent aux élections, non seulement aux élections présidentielles, mais aussi aux élections législatives qui auront lieu dans deux semaines. Il y aura une bataille entre les conservateurs purs et durs de droite, les partisans de M. Ahmadinejad, et les conservateurs traditionnels, mais pour l'essentiel, les conservateurs du pays seront divisés.
Ce seront les principaux rivaux, si je peux m'exprimer ainsi.
Comme vous le savez peut-être, il y a des tensions entre le président Ahmadinejad et le chef à l'heure actuelle. Dans une certaine mesure, je suppose que la lune de miel est terminée. Le chef critique le président Ahmadinejad et, comme vous le savez, le président veut présenter des gens de son entourage aux prochaines élections présidentielles.
C'est entre les différents clans conservateurs, le président Ahmadinejad et certains de ses partisans, et le centre et la droite traditionnelle des conservateurs et le leader que se créeront les véritables tensions. Je ne crois pas que nous verrons une bataille aux prochaines élections, et les réformistes n'y participeront pas.
Le sénateur Johnson : Quelles répercussions les élections auront-elles sur la situation politique en Iran, compte tenu des conditions actuelles et de la façon dont le ton a monté, au point où hier, le monde entier a pu voir à la télévision les dernières barres des Iraniens pour leurs réacteurs nucléaires? Les personnes qui se présentent aux élections sont-elles toutes sur la même longueur d'onde, mis à part le mouvement démocratique, qui est toujours réprimé?
M. Mahdavi : Je crois comprendre que depuis les élections présidentielles de 2009, peu de gens attendent les élections avec beaucoup d'intérêt, car ils ne font pas confiance au régime. Ils pensent que le régime politique ne tient pas parole.
Toutefois, nous savons que le régime a besoin d'élections pour légitimer son autorité, essentiellement. Des élections seront déclenchées, mais je ne pense pas que la participation sera très grande. Cependant, bien des choses peuvent se produire, et il nous faut attendre de voir ce qui se passera.
Le sénateur Johnson : Qu'en est-il de l'aspect démocratique de la campagne? On ne peut pas le dire à ce moment-ci, pour ce qui est du mouvement. Appuiera-t-il l'un des partis qui se présentent, le pouvoir, ou protestera-t-il encore?
M. Mahdavi : Les deux principales figures du mouvement vert, M. Moussavi et M. Karoubi, sont assignées à résidence. L'ancien président Khatami et les partisans des réformistes n'ont pas boycotté les élections, mais ils disent qu'ils n'y participeront pas.
Bien sûr, des figures très marginales du camp réformiste participeront aux élections législatives, mais je crois comprendre qu'il n'en sera pas de même pour le bloc principal du mouvement réformiste et prodémocratie.
Le sénateur Johnson : Y a-t-il des femmes qui se présentent pour des rôles de premier plan ou secondaires?
M. Mahdavi : Oui. Il y a eu des femmes parlementaires dans le passé, et même à l'heure actuelle, il y a des femmes dans le camp conservateur, oui.
Le sénateur Nolin : J'ai une question qui fait suite à celle du sénateur Finley. Concernant le problème de l'exportation du terrorisme, le Canada tente de trouver une solution par le processus législatif. Permettez-moi de vous l'expliquer. Je vous pose la question parce qu'hier soir, l'un de vos collègues, le professeur Braun, de l'Université de Toronto, nous a parlé du projet de loi C-10, dont nous sommes saisis présentement. Je ne sais pas si vous connaissez ce projet de loi.
Il s'agit d'un projet de loi omnibus sur la criminalité, dont l'une des dispositions vise à modifier la Loi sur l'immunité des États pour permettre à une victime d'un acte terroriste d'intenter des poursuites contre les auteurs et les acteurs qui les soutiennent. Pour l'essentiel, cela veut dire qu'il sera possible de poursuivre l'Iran si on le souhaite. Le projet de loi lèvera l'immunité des États, et il y aura une liste de pays et des acteurs qui les soutiennent.
Avez-vous des observations ou des recommandations à faire à ce sujet?
M. Devine : Évidemment, il faut mettre des mesures en place pour les victimes de terrorisme. Je ne sais pas si celle-là est efficace. Je ne sais pas si nous avons les mécanismes en place pour l'appliquer et, en fait, si les causes du terrorisme parrainé par l'État sont politiques plutôt qu'idéologiques. Il faut trouver une solution politique pour ce qui est des liens que nous entretenons avec ces régimes. Si nous voulons régler les problèmes, c'est la voie à suivre; il ne s'agit pas nécessairement d'adopter des mesures législatives.
Le sénateur Nolin : Professeur Mahdavi, vous parliez de l'efficacité des négociations : essayons et montrons-nous ouverts à la négociation, comme vous l'avez dit tous les deux. Si nous faisons une telle modification, si nous levons l'immunité de l'Iran, allons-nous nuire à la petite possibilité que nous arrivions à mener des négociations fructueuses avec le pays?
M. Mahdavi : S'il y a des efforts sérieux en ce sens et qu'ensuite, pendant les négociations, nous pouvons dire exactement quelles sont nos attentes et écouter ce qu'ils ont à dire; je crois que c'est possible, oui.
Le sénateur Nolin : J'ai une dernière question, qui porte sur la connaissance que le gouvernement du Canada a de la culture en Iran. Si je vous pose la question, c'est que lors de la dernière séance du comité de la défense, le général Bouchard était l'un des témoins. Comme vous le savez, il était à la tête des opérations de l'OTAN en Libye. Certains États arabes ont joué un rôle en raison de la coalition, et le général Bouchard a tenté, entre autres, de comprendre la culture des Libyens. Il a profité de l'intervention de bon nombre d'États arabes pour ce faire.
Avec la même intention de comprendre ce qui se passe en Iran, le gouvernement canadien devrait-il faire appel à des gens comme vous et des membres de la communauté iranienne au Canada pour mieux connaître l'essence de la culture iranienne, qui semble parfois obscure?
M. Mahdavi : Dans la mesure où ce genre de discussion n'est pas un prétexte pour déclencher une guerre ou pour intervenir, cela me va. J'ai bien dit qu'à mon avis, il n'est pas moral ou productif de faire la guerre ou d'intervenir.
En ce qui concerne la culture, il y a différentes cultures. Nous ne pouvons pas parler d'une forme abstraite de culture iranienne en particulier. Il y a différentes formes de culture, par exemple, la culture du régime, celle de la classe moyenne et celle de la classe supérieure, mais en général, le nationalisme est fort en Iran en raison de son histoire et de la fierté que les Iraniens en ont, et c'est vraiment le cas. C'est pourquoi un gouvernement qui envisagerait de recourir à une intervention militaire devrait considérer son intention comme un mouvement en faveur d'une réaction brutale.
Par ailleurs, la culture iranienne, si je peux m'exprimer ainsi, de façon générale, n'a pas un caractère interventionniste, malgré ce que nous entendons de la part d'une partie de la classe politique. Elle est ouverte et accueillante, et au cours des 200 dernières années, l'Iran n'a pas envahi de pays. Il s'agit donc d'un pays ouvert, accueillant et conciliant. Selon moi, pour parler de culture, il nous faut situer le concept dans un contexte précis.
M. Devine : Nous devons être quelque peu prudents lorsque nous tentons de faire participer les communautés de la diaspora. Il nous faut tenir compte du fait qu'elles sont souvent politisées. Cela dit, je trouve que l'idée d'accroître notre compréhension de la culture et de la civilisation iraniennes est très bonne, car ce faisant, nous commencerons à comprendre la façon dont les Iraniens perçoivent l'Occident, leurs inquiétudes à son égard, et nous en aurons une image plus humaine, par opposition aux images véhiculées dans les médias sur lesquelles on les voit scander « mort à l'Amérique ».
La présidente : On nous a dit que les sanctions sont un moyen radical. Pour des raisons internes et externes, il est difficile de les infliger. Il est souvent difficile de les établir. Il est vrai que, même pour la situation en Afrique du Sud, les sanctions constituent un moyen radical qui cause peut-être du tort aux plus vulnérables, mais on peut juger qu'au bout du compte, c'est pour le bien commun.
Cela étant dit, je ne crois pas qu'infliger des sanctions soit la première option pour quelconque pays dans le cadre de ses relations diplomatiques. On a recours à ce moyen lorsque toutes les autres possibilités ont été utilisées, et peut-être que l'intervention militaire est la seule option qu'il reste par la suite.
Monsieur Mahdavi, vous dites que nous devrions axer nos efforts sur les droits de la personne. Je crois que c'est ce que fait la communauté internationale. Ces efforts ont été contrecarrés pour chaque situation dans laquelle l'ONU est intervenue, de façon bilatérale, à l'échelle régionale, et cetera. Que pouvons-nous faire en matière de protection des droits de la personne, à part dénoncer, recourir à des mesures à l'échelle internationale, et autrement que dans le cadre des Nations Unies et d'autres organismes qui font avancer les droits de la personne? Il est facile de dire que nous devons axer nos efforts sur les droits de la personne, mais que voulez-vous que nous fassions? Si l'on est contre l'application de sanctions et l'intervention militaire — je crois que nous nous entendons à ce sujet — alors que faire?
Je le dis, car vous dites que les Iraniens négocieront. Eh bien, il semble que ce n'est pas ce que croient les Américains, et il en est de même pour les Canadiens, pour les Européens et, de plus en plus, pour les États arabes. Qu'est-ce qui nous montre qu'ils négocieront? Ils se disent prêts à négocier, mais aux yeux de n'importe qui, rien ne le prouve. Il en est de même pour l'AIEA. Ils disent qu'ils feront preuve d'ouverture, mais il suffit de lire le dernier rapport pour mettre cela en doute.
Quelle mesure nous recommandez-vous, qui n'a jamais été essayée et n'a donc jamais échoué? La dernière, ce sont les sanctions, que nous semblons tenter d'établir, même avec les Allemands, je dirais.
Je suis ravie que votre témoignage ait été un peu argumentatif, mais j'aimerais obtenir des réponses précises.
M. Mahdavi : C'est une question difficile, et je comprends.
En fait, je pense que la communauté internationale se concentre beaucoup sur la question nucléaire, et dans une moindre mesure, sur les droits de la personne. Lorsqu'on regarde les priorités qui sont établies au sujet de l'Iran, elles concernent presque toutes la question nucléaire. Je ne peux pas vraiment me rappeler de bonnes négociations à l'échelle internationale où l'on préconise d'abord et avant tout d'exercer des pressions sur l'Iran pour qu'il tienne des élections libres et justes et qu'il respecte les droits de la personne. Nous parlons toujours de la question nucléaire et de l'Iran comme menace à la paix dans le monde et à la sécurité internationale, et c'est exactement ce que le gouvernement iranien souhaite, car il ne veut pas qu'on le critique sur la question des droits de la personne; il est plus facile pour lui de se faire critiquer sur la question nucléaire. De cette façon, nous jouons sur le terrain des autorités ou du régime iraniens. Je ne crois pas que ce soit constructif ou que cela fonctionne.
En toute honnêteté, infliger des sanctions économiques constitue malheureusement la dernière étape avant de faire une guerre, et je ne vois pas vraiment comment des sanctions économiques et une guerre peuvent faire progresser les droits de la personne. Si nous disons que les droits de la personne et la démocratie, le mouvement démocratique, sont les premières préoccupations du Canada et de la communauté internationale, je ne vois pas vraiment comment nous pouvons faire progresser les droits de la personne et la démocratie en faisant une guerre et en infligeant des sanctions économiques.
Comme je l'ai dit, en 2009, les Iraniens ont montré qu'ils étaient capables de s'affirmer et de s'opposer sans qu'il n'y ait de menace extérieure, de guerre et de sanctions économiques.
Pour répondre à votre question difficile et complexe, je dirais qu'il nous faut parler clairement des questions liées aux droits de la personne et prendre des mesures diplomatiques avec l'aide de l'ONU et de ses organismes pour exercer des pressions au sujet de ces questions, et proposer qu'avec telle ou telle condition, nous voulons vraiment qu'un délai soit établi pour la tenue d'élections libres et justes, et cetera. C'est ma façon de voir les choses.
Dans l'idéal, nous aurions négocié à fond avant 2009. Mais les autorités iraniennes et, bien sûr, les pays occidentaux n'ont pas saisi cette occasion.
La présidente : Je comprends et je suis d'accord avec vous, mais le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a employé tous les leviers et les outils disponibles. La communauté internationale n'a pas ignoré l'Iran. Ses efforts étaient contrecarrés en Iran ou dans les pays voisins. Vous serez sans doute d'accord pour dire que c'est la seule chose qui a changé depuis le Printemps arabe, que vous appelez peut-être autrement. L'Iran nous empêchait tout simplement d'appliquer les résolutions. Compte tenu des changements en Tunisie et, peut-être, en Égypte et en Syrie, la communauté internationale pourrait disposer de plus de moyens de pression à l'ONU, mais comment réagiraient la Russie et la Chine?
M. Mahdavi : Ces pays ne sont bien sûr pas de grands défenseurs des droits de la personne. Le véto qu'ils viennent d'imposer concernant la Syrie en est la preuve. Par contre, les États-Unis imposent aussi leur véto pour ce qui est de la violation des droits de la personne en Palestine et en Israël depuis une soixantaine d'années. En politique internationale, c'est deux poids deux mesures. Les gens dans ces régions sont assez brillants pour le comprendre. Je partage votre préoccupation et je sais que la question est très difficile, mais je ne vois pas comment nous pouvons améliorer le respect des droits de la personne et la démocratie par la guerre et les sanctions économiques. Je ne le comprends pas et je sais que c'est très complexe.
La présidente : C'est une énigme.
Le sénateur De Bané : À la question sur la culture posée par mon collègue, le sénateur Nolin, vous avez dit qu'il ne fallait pas confondre les divers groupes. Il y a plusieurs années, j'ai assisté à la conférence donnée à Ottawa par un ambassadeur canadien en Iran qui venait de prendre sa retraite après sa dernière affectation. Je me souviens très bien qu'il nous a affirmé que ce qui distinguait le gouvernement de l'Iran, c'est qu'il aimait la confrontation. Cet ambassadeur n'avait jamais vu une telle attitude dans d'autres pays.
Lorsque nous lui avons demandé un exemple, l'ambassadeur nous a répondu que, s'il rencontrait le ministre des Affaires étrangères de l'Iran pour demander quelque chose au nom du gouvernement du Canada, si ce que le ministre lui offrait était tout à fait inacceptable, et si l'ambassadeur indiquait que c'était insatisfait, le ministre présentait alors une deuxième offre en deçà de la première. C'est la preuve que le gouvernement de l'Iran adore la confrontation, selon l'ambassadeur.
Messieurs Devine et Mahdavi, êtes-vous d'accord sur le fait que le gouvernement actuel de l'Iran aime la confrontation? Un ambassadeur canadien qui venait de prendre sa retraite l'a affirmé, ajoutant qu'il n'avait jamais vu ça ailleurs.
M. Devine : Je suis d'accord avec vous et l'ambassadeur dans une certaine mesure. Le régime s'est servi de la confrontation et des tensions avec l'Occident pour légitimer son rôle. La confrontation accrue lui permet de dire à ses partisans qu'il les protège contre l'impérialisme occidental. Elle profite à bien des gens dans le régime.
Toutefois, le niveau de confrontation a changé au fil du temps. Même si, dans nos discussions, les gens au pouvoir en Iran lorsque Mohammad Khatami était président n'étaient pas tendres concernant les négociations et les relations avec l'Occident, ils étaient beaucoup plus conciliants. J'ai passé un certain temps en Iran depuis qu'Ahmadinejad est président et j'ai constaté que les autorités versaient beaucoup plus dans la confrontation et l'emploi de la force.
La confrontation fait partie du discours que le régime tient devant les Iraniens et de sa façon de percevoir l'Occident. Les plus radicaux du régime pensent que l'Occident cherche aussi la confrontation par nature. Toutes nos actions sont filtrées à travers ce prisme, et les autorités iraniennes réagissent en conséquence. La confrontation fait partie de la dynamique entre l'Occident et l'Iran, mais ce n'est pas une fatalité. Nous pouvons changer cet état de fait.
M. Mahdavi : L'ONU a déclaré que 2001 était l'Année pour le dialogue entre les civilisations, à la suggestion du président Mohammad Khatami. C'est contraire au choc des civilisations dont certains parlent.
Cependant, les autorités actuelles se servent de l'Occident pour se justifier. Au fond, l'Iran a besoin d'un ennemi. C'est ce qui est arrivé sous le président George W. Bush, aux États-Unis. Vous avez raison, mais l'Iran n'est pas un cas unique au monde. D'autres pays ont une position semblable.
Le sénateur D. Smith : Concernant les élections qui approchent, je veux parler un peu de la bonne foi qu'il pourrait y avoir selon nos normes, parce que c'est une question que je trouve frustrante lorsque je discute avec les nombreux Iraniens expatriés en Europe ou en Amérique du Nord. Je pense qu'il y a 500 000 Iraniens seulement à Los Angeles; c'est énorme. Aucun des groupes politiques qu'ils peuvent appuyer et qui défendent les droits de la personne, les élections libres et la démocratie ne sera représenté aux élections, parce qu'ils ne recevront pas l'approbation nécessaire du conseil formé de personnes nommées par l'ayatollah.
Je suis allé à deux ou trois reprises à la conférence annuelle de Paris, qui donne lieu à un grand rassemblement. J'y ai vu jusqu'à 70 000 personnes, surtout des expatriés iraniens, mais aussi des députés britanniques, des lords, des Allemands et des Français. L'an dernier, il y avait quelques membres du Congrès. La conférence est coordonnée par le Conseil national de Résistance, mais le principal groupe participant, c'est l'Organisation des moudjahiddines du peuple iranien, l'OMPI, déclarée groupe terroriste il y a 15 ans. On m'a dit que c'était lorsque Bill Clinton cherchait à établir un dialogue constructif et qu'il était peut-être arrivé quelque chose lié au camp Ashraf 10 ou 15 ans plus tôt. L'OMPI est donc désignée comme groupe terroriste, 25 ans plus tard.
Au Royaume-Uni, le jugement rendu dans trois affaires était assez tranché, et l'OMPI a été retiré de la liste des groupes terroristes. Au Conseil européen, des jugements en faveur de l'OMPI ont été prononcés dans quatre affaires.
Après notre réunion d'hier, j'ai parlé seul à seul avec M. Aurel Braun. Je lui ai dit que j'étais très frustré de voir que les groupes qui défendent les droits de la personne et la démocratie — je suis allé à deux ou trois de leurs rassemblements — sont déclarés groupes terroristes. Y a-t-il une raison au maintien de ce statut après autant d'années? Je ne pense pas que des preuves solides justifient la présence de l'OMPI sur la liste des groupes terroristes.
Connaissez-vous bien la question et qu'en pensez-vous? Après les États-Unis, certains pays occidentaux comme le Canada ont ajouté l'OMPI à la liste. Les Européens et les Britanniques sont revenus sur leur position, mais pas nous. Je pense que nous devons le faire et j'aimerais vous entendre là-dessus.
M. Mahdavi : L'OMPI est une vieille organisation, fondée durant le régime du Chah dans les années 1960. Elle a participé à la violence et à la terreur politiques, peut-être à l'assassinat des représentants du Chah, et à des activités terroristes après la révolution. Récemment, certains responsables américains ont avancé que l'OMPI a pris part avec le Mossad d'Israël à l'assassinat des spécialistes du nucléaire iraniens, ce qui n'est pas confirmé. L'OMPI a nié ce qu'elle qualifie de simple allégation. L'organisation a un passé terroriste, mais ses responsables ont bien sûr rejeté l'accusation et soutiennent qu'elle a changé...
Le sénateur D. Smith : Les allégations et le passé, c'est différent.
M. Mahdavi : Des preuves donnent bien sûr à penser que l'OMPI était impliquée par le passé dans des activités terroristes. Cette organisation indique qu'elle a changé sa politique depuis 2003, lorsque les États-Unis sont allés en Irak et qu'elle est devenue surtout un groupe politique.
Compte tenu des pressions exercées par les autorités iraniennes et le gouvernement de l'Irak, l'OMPI a dû passer du camp Ashraf au camp Liberty, et elle peut s'établir dans les pays européens, si ses responsables le souhaitent.
Le cas de l'OMPI est très complexe. Selon ce que je comprends de la politique intérieure en Iran, étant donné que l'OMPI a collaboré avec le régime de Saddam Hussein contre l'Iran durant la guerre entre l'Irak et l'Iran...
Le sénateur D. Smith : Les États-Unis aussi ont collaboré avec Saddam Hussein.
M. Mahdavi : Oui, mais l'OMPI est composée d'Iraniens qui ne sont bien sûr pas très populaires en Iran. Toutefois, ça ne signifie pas que nous ne devons pas protéger leurs droits. Ces gens sont comme tous les êtres humains : ils ont des droits que nous devons défendre.
Le sénateur D. Smith : C'est ironique de constater entre autres que la présidente du Conseil national de Résistance, qui n'est pas classé comme groupe terroriste, dirige aussi l'OMPI. Avant elle, c'était son mari, qui se cache maintenant, parce qu'on présume qu'il serait...
La présidente : Je pense que vous commencez à vous comporter comme un témoin. Je vous demanderais donc de revenir à la question...
Le sénateur D. Smith : Je vais laisser tomber.
La présidente : Merci. M. Devine veut apporter des précisions.
M. Devine : C'est très difficile de faire la différence entre les allégations et le passé sur de telles questions, car on trouve très rarement des preuves irréfutables; c'est le cas en Iran. On fait bien des allégations, qui ne sont pas toujours faciles à prouver. Ça ne signifie pas pour autant que l'Iran n'est pas associé au terrorisme. Même si nous ne détenons pas de preuves incontestables, nous pouvons nous fonder sur les faits pour affirmer que l'Iran a favorisé la subversion dans différentes régions du monde.
On peut en dire autant de l'OMPI. Toutes mes lectures et tous ceux à qui j'ai parlé indiquent que cette organisation était impliquée dans des activités terroristes par le passé. L'OMPI a peut-être changé, mais peut-être pas. C'est une question ouverte, mais le passé de l'organisation est très problématique.
Le sénateur D. Smith : Ce n'est pas ce que les tribunaux ont conclu.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Nous avons entendu des témoins nous dire que, au sein de l'Iran et pour les institutions contrôlées par l'Iran, certaines luttes de pouvoir ont lieu et visent à obtenir davantage d'influence et contrôler la population. Au sein d'autres instances, il s'agit de luttes en ce qui a trait au partage de la richesse et il y a même de la corruption.
Les élections prochaines vont-elles faire ressortir ces différences concernant ces luttes de pouvoir et concernant le partage de la richesse? Cela pourrait-il affaiblir le pouvoir du gouvernement sur la population iranienne?
[Traduction]
M. Devine : Je ne pense pas que les élections imminentes vont accorder une place importante à la population en général et à ses revendications démocratiques. Cependant, comme vous le laissez entendre, ces élections seront très importantes en ce qui a trait à la lutte de pouvoir qui sévit actuellement au sein du gouvernement.
C'est difficile de dire si cette lutte va affaiblir ou non le gouvernement à long terme, mais je dirais que, depuis la révolution de 1979, nous avons souvent pensé que les querelles intestines du régime allaient faire tomber le gouvernement. Dans les années 1980, lorsque l'ayatollah Khomeini est mort en 1989 et qu'on a choisi un nouveau leader, de même qu'à la prise du pouvoir par Mohammad Khatami, nous pensions que les divisions internes allaient déchirer le régime, mais ce n'est pas arrivé. Pour diverses raisons, le régime s'est montré très résilient. Les divisions finiront peut-être par causer la chute du régime, mais à mon avis, rien n'indique que ça va arriver dans un avenir immédiat.
M. Mahdavi : Malgré tout ce qui a été dit par le gouvernement de M. Ahamadinajad pour affirmer son intégrité, selon les réformistes iraniens, le gouvernement actuel de l'Iran post-révolutionnaire est le plus corrompu du pays. En fait, la discorde règne parmi les membres de la droite conservatrice, la droite traditionnelle, et certains députés du Parlement qui sont contre Ahamadinajad, et les partisans de M. Ahamadinajad; en effet, ils s'accusent les uns les autres d'être corrompus. Il est très probable que M. Ahamadinajad sera invité au Parlement pour répondre aux questions des députés. La discorde règne, et la corruption est à l'avant-plan, mais je ne pense pas que cela aura de grandes répercussions en ce qui concerne l'effondrement du régime.
Le sénateur Finley : J'ai une brève question qui touche peut-être plus à la fantaisie qu'à la réalité. Je suis un homme d'affaires, et non un diplomate, mais habituellement, dans la plupart des horizons de la vie, lorsqu'on se retrouve dans une impasse — et c'est clairement le cas ici —, il existe une issue; je pense que dans les milieux diplomatiques, on parle d'une navette diplomatique qui sert de réseau de communication entre les deux groupes. Y a-t-on recours en ce moment, ou y aura-t-on potentiellement recours? Quel type de navette diplomatique fonctionnerait le mieux dans cette situation?
M. Devine : Malgré la position officielle selon laquelle les gouvernements iranien et américain n'engageraient pas la discussion — qui a manifestement été modifiée, puisqu'ils ont maintenant entrepris des négociations face à face —, des contacts ont toujours existé entre les deux pays depuis les années 1980. Je pense que c'est probablement la seule façon dont on se sortira de cette impasse. La politique intérieure est trop importante, tant aux États-Unis qu'en Iran, pour que les choses soient résolues publiquement, car les deux parties perdront trop d'avantages politiques s'ils font des concessions.
Cela dit, le même problème semble se poser tant du côté de la diplomatie officieuse que de celui de la diplomatie publique; les deux parties ne se font aucunement confiance. Elles interprètent chaque geste comme un signe d'hostilité ou de ruse. C'est un problème difficile à surmonter. En 1989, lorsque les premières vraies négociations ont semblé s'amorcer entre les deux côtés afin de régler les problèmes, on a multiplié les attentes déçues, de la crise du Koweït, en 1991, à la situation en Afghanistan, en 2001. À l'époque du conflit afghan, j'ai demandé à un diplomate s'il était possible de régler la situation. Il a répondu : « Ce sont les Américains; ils ont besoin de nous maintenant, alors ils sont gentils. Par contre, dès qu'ils n'auront plus besoin de nous, ils reviendront à leur ancien comportement. La même chose s'est produite avec le Koweït; ils voulaient qu'on les aide avec Saddam Hussein, en 1991. Dès qu'ils n'ont plus eu besoin de nous, les choses sont revenues comme avant. »
Je ne dis pas que c'est la faute des Américains. Ce n'est pas du tout ce que je dis, mais c'est la façon dont l'Iran perçoit la situation, et ce manque de confiance se répand partout dans le régime; il ne sera pas facile de l'éviter, même en passant par la diplomatie officieuse.
Le sénateur Finley : Il y a deux intervenants principaux dans ce cas-ci, c'est-à-dire l'Iran et les États-Unis, évidemment. Ma question cherchait plutôt à découvrir s'il existait une tierce partie — et je ne parle pas des Nations Unies — qui pourrait jouer un rôle dans cette histoire. Existe-t-il un intermédiaire auquel les Iraniens et les Américains pourraient faire confiance?
M. Devine : On a déjà sous-entendu que le Canada pourrait jouer ce rôle. J'aimerais croire que c'est réalisable, mais je suis sceptique. Au bout du compte, les deux parties ne feront pas confiance à l'intermédiaire; les Américains ne lui feront pas confiance en ce qui concerne les promesses iraniennes, et les Iraniens ne penseront pas qu'il pourra faire en sorte que les Américains tiennent leurs promesses. Je pense qu'il s'agit de quelque chose qu'il leur faudra régler directement entre eux.
M. Mahdavi : C'est ce qui s'est produit lors des négociations entre les Iraniens et les pays européens, et ces négociations n'ont pas abouti.
La question fondamentale, c'est qu'il existe un manque de confiance. Voici, simplifié, l'argument de l'ayatollah Khamenei : « Nous ne faisons pas vraiment confiance aux États-Unis d'Amérique à cause de cela. Si vous voulez vraiment résoudre les tensions entre l'Iran et les États-Unis, pourquoi ne levez-vous pas ces sanctions? Lorsque vous nous parlez et que nous amorçons les négociations, pourquoi appuyez-vous en même temps les mouvements séparatistes et les groupes terroristes? » Cela préoccupe beaucoup les dirigeants iraniens, et ils croient que s'ils répondent favorablement à une seule demande des États-Unis, ils devront ensuite leur céder à chaque point. Ils pensent aussi que s'ils parlent de la question nucléaire, ils devront résoudre la question des droits de la personne. En gros, le manque de confiance est l'élément le plus important, en ce moment.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Ma question s'adresse au professeur Mahdavi. Vous avez mentionné qu'il était important d'encourager les partis d'opposition, et qu'ensuite il faut faire tout en notre pouvoir pour faire en sorte que les droits de la personne soient respectés. Vous estimez aussi que les sanctions ne sont pas efficaces.
Je vais citer un fait : un appel à manifester a été lancé il y a quelques jours en Iran. Mais si le mécontentement est bien réel, la mobilisation devait rester modeste.
J'explique : averties par l'appel à manifester largement relayé sur Internet, les autorités iraniennes ont pris les devants. La semaine passée, des millions d'Iraniens n'ont pu accéder à leur messagerie Gmail, Yahoo et Hotmail et les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter ont également été bloqués. Autant de mesures préventives qui s'ajoutent aux récentes restrictions imposées aux échanges virtuels comme la création, en 2011, d'une superpolice pour contrer la cybercriminalité.
Et pour couper l'herbe sous le pied aux plus téméraires des protestataires, le gouverneur de la province de Téhéran, qui s'appelle Morteza Tamaddon, a prévenu ce dimanche qu'il prendrait toute mesure de sécurité qui s'imposait contre la manifestation qu'il qualifie de « coup de pub » des opposants à la République islamique.
Si on regarde la situation, on s'aperçoit qu'il y a actuellement quand même de la grogne dans la population. Je crois peut-être aussi que les difficultés économiques peuvent les apporter. On peut voir que c'est très réel qu'il y a des Iraniens qui ne sont pas d'accord.
Pensez-vous que l'opposition a pu être fragilisée par le fait qu'ils n'ont pas pu se rendre à la manifestation qui avait été demandée sur Internet? Ou bien pensez-vous qu'à force de se faire maltraiter, ceci a pu renforcer l'opposition?
En tout dernier lieu — vous avez mentionné qu'il était très important d'aider les partis d'opposition —, comment peut-on les aider?
[Traduction]
M. Mahdavi : Il est important de savoir comment nous pouvons aider les membres de l'opposition. Tout d'abord, nous ne voulons pas les aider financièrement, comme une démocratie gouvernée par l'argent, car cela met leur crédibilité en doute. En effet, ils ne veulent pas que la promotion de la démocratie les fasse passer pour des marionnettes contrôlées par des étrangers; le mouvement démocratique est authentique et local.
Ils sont certainement reconnaissants de l'appui sur la question de la libération des prisonniers politiques. Leurs droits devraient être protégés. Si le gouvernement du Canada pouvait faire quoi que ce soit pour faciliter l'accès libre à Internet, pour contrer la censure ou pour faciliter le travail des médias et la communication, cela aiderait. L'opposition en serait très reconnaissante.
À mon avis, puisque le mouvement démocratique est profondément enraciné dans la société civile, cette sorte de suppression engendre un effet à très court terme, mais lorsqu'une occasion se présente pour l'ensemble de la société, elle ressurgit immédiatement. C'est ce que je comprends.
La présidente : Merci, monsieur Mahdavi, et merci, monsieur Devine, d'être venus. Vous nous avez aidés à approfondir certains sujets. Nous sommes heureux d'avoir vos points de vue, ainsi que la perspective canadienne, sur cette situation difficile.
M. Mahdavi : Merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de comparaître.
M. Devine : Merci.
(La séance est levée.)