Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 12 - Témoignages du 10 mai 2012
OTTAWA, le jeudi 10 mai 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, afin d'étudier, pour en faire rapport, la politique étrangère canadienne relative à l'Iran, ses implications et d'autres questions connexes.
Le sénateur Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : La séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international est ouverte. Nous poursuivons notre étude de la politique étrangère canadienne relative à l'Iran, de ses implications et d'autres questions connexes.
M. Gary Sick, professeur auxiliaire, Affaires publiques et internationales, chercheur principal, École supérieure d'affaires publiques et internationales, se joint à nous par vidéoconférence. Une version plus détaillée de sa biographie a été distribuée et est à la disposition des membres.
Avant de passer à la déclaration préliminaire du professeur, je vous signale que nous avons reçu une réponse des représentants de la Banque de Montréal, que nous avions invités à comparaître et à témoigner. Ils ont décliné l'invitation, mais ils ont indiqué qu'ils soumettraient un mémoire. Ils l'ont fait, mais le mémoire n'est pas encore traduit. Nous espérons être en mesure de le distribuer à tous les membres d'ici la semaine prochaine.
Monsieur Sick, pouvez-vous m'entendre à New York?
Gary Sick, professeur auxiliaire, Affaires publiques et internationales, chercheur principal, École supérieure d'affaires publiques et internationales, Université Columbia : Je vous entends très bien, merci.
La présidente : Soyez le bienvenu à Ottawa par l'intermédiaire de la vidéoconférence. Nous examinons tous les aspects de la politique étrangère canadienne, mais dans le contexte des problèmes mondiaux auxquels les autres pays font face. Certains de ces problèmes ressemblent aux nôtres, d'autres sont peut-être envisagés sous un autre angle. Nous vous saurons gré de tous les renseignements et de toutes les expériences que vous pourrez nous communiquer.
La parole est à vous.
M. Sick : Merci. J'étais à la Maison-Blanche durant la révolution iranienne et la prise d'otages, et j'étudie l'Iran et les relations irano-américaines depuis 33 ans. J'espère avoir appris quelque chose pendant ces années d'étude. Pour commencer, je vais vous faire part de quelques-unes de mes réflexions, puis je répondrai à vos questions, que j'ai hâte d'entendre, concernant n'importe quelle facette des sujets que j'ai abordés ou toute autre question que vous aimeriez soulever.
D'abord, je pense qu'il vaut la peine de placer cette question dans le contexte de la situation géopolitique dans laquelle nous nous trouvons par rapport à l'Iran. Il est rare qu'on envisage la question de cette manière, mais, en fait, l'Iran et Israël sont des rivaux du Moyen-Orient aux antipodes l'un de l'autre. La situation est étrange, car ce ne sont pas des pays arabes; l'Iran est persan, alors qu'Israël ne l'est pas. Ni l'un ni l'autre n'a pour langue officielle l'arabe, ni n'est de confession musulmane sunnite, la religion dominante à laquelle nous pensons lorsque nous songeons au Moyen-Orient.
Donc, ces deux pays qui se trouvent à des extrémités opposées du Moyen-Orient se disputent le pouvoir. Premièrement, il faut comprendre que la plupart des accusations qu'ils profèrent l'un envers l'autre sont le fruit de cette rivalité.
Il faut aussi saisir que, pour les pays musulmans sunnites, comme l'Arabie saoudite et la Jordanie, l'Iran constitue un rival. Nous oublions souvent que l'Iran n'est pas vraiment responsable de la place de premier plan qu'il occupe au Moyen-Orient et du rôle important qu'il joue dans le golfe Persique. Pour être honnête, ce sont les États-Unis qui lui ont permis de devenir une grande puissance. Vous vous souviendrez qu'en 2001, après les événements du 11 septembre, les États-Unis ont envahi l'Afghanistan et ont éliminé le Taliban, qui était le pire ennemi de l'Iran à l'Est. Puis, peu de temps après, ils ont envahi l'Irak et ont éliminé Saddam Hussein, qui était son pire ennemi à l'Ouest.
Par conséquent, à la fin de cette période, l'Iran s'est retrouvé sans grand ennemi dans sa région. Cela explique en grande partie la raison pour laquelle l'Iran a acquis une telle influence et une telle puissance. Il est important de ne pas oublier que ce ne sont pas ses citoyens qui en sont responsables, mais nous.
Les gens parlent beaucoup de la menace iranienne, et je pense qu'il est bon de passer quelques minutes à décrire en quoi elle consiste. L'Iran est une puissance moyenne qui est administrée par un gouvernement grandement impopulaire et dysfonctionnel, à la tête duquel on retrouve un président populiste qui alimente le brandon de discorde et qui dispose de pouvoirs extrêmement limités. Le produit intérieur brut de l'Iran est à peu près le même que celui de l'État de la Floride, aux États-Unis. Quatre-vingt-cinq pour cent de ses recettes en monnaie forte découlent de la vente de son pétrole, ce qui, comme bon nombre d'entre vous le savent, n'est pas toujours une bénédiction. À l'heure actuelle, le taux d'inflation en Iran est supérieur à 20 p. 100 et pourrait atteindre 30 p. 100.
La création d'emplois est tellement faible que bon nombre de ses jeunes citoyens instruits — et ils sont nombreux — cherchent à émigrer. Certains d'entre eux viennent aux États-Unis, et nous tirons parti de leur présence. Je sais qu'un grand nombre d'entre eux émigrent également au Canada. Je pense que nos deux pays en profitent.
Les dépenses de l'Iran pour la défense se chiffrent à environ 19 milliards de dollars, soit 2,5 p. 100 de son PIB et moins de 50 p. 100 des dépenses de l'Arabie saoudite dans ce domaine. Son budget de défense en entier représente à peu près ce que les États-Unis dépensent en trois mois en Irak. La majeure partie de l'argent que l'Iran dépense dans ce domaine est consacrée à des systèmes défensifs, comme la défense aérienne. Pour quelque raison que ce soit, les Iraniens semblent penser qu'ils pourraient être attaqués par voie aérienne, et ils ont pris des mesures pour tenter de prévenir ces attaques. Ils n'ont pas acheté de moyens de transport de charges lourdes, de matériel blindé lourd, d'avions d'attaque à grand rayon d'action et d'unités navales ou amphibies.
Comme vous vous en souviendrez, au cours de la guerre Iran-Irak, l'Iran a combattu l'Irak pendant huit ans. Vers la fin, les Iraniens étaient en train de perdre la guerre. Bien entendu, les États-Unis et leurs alliés sont arrivés et ont détruit en quelques semaines toute la force défensive irakienne. L'Iran n'a envahi aucun autre pays en 200 ans.
Je vous expose tout cela pour vous rappeler clairement que vous devez replacer cette menace dans son contexte. Cela ne veut pas dire que la menace n'existe pas. Il est clair que même les nations faibles et démunies peuvent être dangereuses. L'Afghanistan et le Pakistan en sont d'excellents exemples. L'Iran dispose d'un arsenal de guerre constitué d'éléments asymétriques, comme le terrorisme ou les attaques par allié interposé, qui, en effet, doit être pris très au sérieux.
Je tiens à souligner qu'à mon avis, si nous entrons en guerre avec l'Iran, comme un certain nombre de gens en parlent, nous y perdrons tous. Très peu de gens, voire personne, ne contestent le fait qu'il vaudrait mieux que l'Iran ne possède pas d'armes nucléaires; en fait, même l'Iran en convient. L'Iran adhère toujours au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Il accepte que ses principaux sites nucléaires soient inspectés par l'Agence internationale de l'énergie atomique, et ses dirigeants proclament régulièrement et depuis de nombreuses années que l'utilisation d'armes nucléaires va à l'encontre des enseignements de l'Islam.
Depuis l'époque du shah, l'Iran est un défenseur de la zone exempte d'armes nucléaires du Moyen-Orient. Le directeur de l'agence nationale du renseignement des États-Unis affirme que l'Iran n'a pas encore pris la décision de construire une bombe nucléaire, et tout porte à croire qu'une telle décision serait détectée assez rapidement.
Chose intéressante, ce même point de vue a maintenant été exprimé par le chef de cabinet et le président de l'Israël ainsi que les trois derniers directeurs du Mossad, c'est-à-dire le service du renseignement israélien. Ils ont tous dit que l'Iran ne menaçait pas nécessairement l'existence d'Israël et qu'une guerre contre ce pays serait — et je cite les paroles du plus récent dirigeant du Mossad — « l'idée la plus stupide qu'on ait jamais entendue ». Il est intéressant de constater que cette réaction négative survient au moment où de nombreuses personnes en Israël parlent de guerre.
Bien entendu, la question est de savoir ce que nous allons faire à propos de la situation nucléaire. Je vais aborder brièvement la question des sanctions qui, je crois, intéresse votre comité. Les sanctions déjà imposées et celles qui s'en viennent se sont tellement accentuées qu'elles risquent de stopper la moitié ou la totalité des exportations pétrolières iraniennes au cours des prochains mois, ce qui privera le pays de la moitié de ses recettes. C'est comme si une armée bloquait les ports de l'Iran, ce qui constitue un acte de guerre. Par conséquent, les sanctions qui étaient censées remplacer la guerre se sont accentuées graduellement, à tel point qu'elles ont pris la forme d'une guerre économique.
Il faut ajouter à cela l'assassinat de scientifiques iraniens, les cyberattaques contre l'infrastructure nucléaire de l'Iran et le soutien de mouvements dissidents dans diverses régions du pays. En fait, comme un haut responsable iranien l'a déclaré l'autre jour, l'Iran est en état de siège.
Ces sanctions et la menace de guerre ont renvoyé l'Iran à la table des négociations. Comme nous le savons, une ronde de négociations a eu lieu en Turquie et une autre est prévue pour plus tard en mai, soit le 23 mai.
Nous ne devrions pas nous leurrer en pensant que l'Iran fera marche arrière ou qu'il abandonnera les quelque vingt années qu'il a investies dans son programme nucléaire national. Même si nous aimerions que cela se produise, ce résultat est très peu probable, et même si son gouvernement actuel était remplacé par un autre gouvernement, quel qu'il soit, ses dirigeants n'accepteraient pas non plus de mettre un terme au programme nucléaire, et nous ne devrions pas nous illusionner à ce sujet.
Quel genre d'entente pourrait-on conclure? Il est possible de décrire cette entente en termes généraux. On s'attendra à ce que l'Iran plafonne son programme d'enrichissement de l'uranium pendant qu'il est encore à faible niveau et, avec un peu de chance, que l'AIEA soit autorisée à surveiller de manière intrusive son programme nucléaire et à le soumettre à des inspections. En contrepartie, l'Iran s'attendra à ce que les sanctions soient levées et que son rôle de premier plan dans la région soit reconnu.
Les deux camps ont intérêt à trouver une solution négociée. En ce qui concerne les nations occidentales — tant les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU et l'Allemagne que bon nombre d'autres pays —, elles sont motivées à négocier par la perspective de payer des prix très élevés pour le pétrole si cette menace continue, comme cela s'est produit dans le passé. À l'heure actuelle, nous payons quelque 15 cents de supplément par baril de pétrole simplement en raison de l'incertitude de la situation qui se présente dans le golfe Persique. Cela nuit aux économies du monde entier.
Le fait que les deux camps pourraient bénéficier d'une entente ne signifie pas qu'ils parviendront nécessairement à en négocier une. Les deux camps ont manqué de nombreuses occasions de conclure des ententes dans le passé, et la présente occasion pourrait être ajoutée à cette longue liste. Je suis légèrement optimiste par rapport aux négociations actuelles, mais je ne me fais pas d'illusions; elles seront longues et difficiles.
Cela étant dit, je vais mettre fin à mon exposé et répondre, je l'espère, à quelques questions du comité.
La présidente : Merci, monsieur Sick. J'ai une liste de sénateurs qui souhaitent vous poser des questions. Je vous remercie de vos observations.
[Français]
Le sénateur Fortin-)uplessis : Je vous remercie, professeur Sick, d'avoir accepté de nous brosser un tableau de la situation en Iran. Vous avez mentionné, au tout début de votre exposé, que vous étiez aussi disponible pour répondre à d'autres questions que vous n'avez pas abordées lors de votre déclaration.
J'aurai trois brèves questions pour vous. J'ai déjà posé des questions au sujet de la Russie quand nous avons commencé nos études sur l'Iran. La Russie serait actuellement en train de mettre en place un plan d'action en cas d'attaque occidentale contre l'Iran. En cas d'explosion d'un conflit avec l'Iran, la Russie pourrait-elle intervenir militairement?
[Traduction]
M. Sick : Je crois que la Russie ne souhaite nullement mener une opération militaire. J'espère vraiment qu'aucune opération militaire n'aura lieu en Iran, mais, si cela devait se produire, j'ai du mal à croire que la Russie, qui dispose de capacités limitées dans le golfe Persique, interviendrait de façon significative.
Dans le pire des cas, j'imagine que la Russie vendrait du matériel à l'Iran qui lui permettrait de mieux se défendre. Par exemple, l'Iran a demandé à la Russie qu'elle lui vende le S-300, un système de défense antiaérienne et, en fait, la Russie a refusé de le faire. Par conséquent, je ne vois pas la Russie participer activement à une opération militaire, quelle qu'elle soit.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : On a entendu des déclarations faites par des gens importants à Moscou disant que si jamais les pays occidentaux touchaient à l'Iran, ils feraient quelque chose. C'est pour cela que je vous ai posé la question. Je me demande toujours si Moscou peut bloquer toute intervention des États-Unis ou d'Israël.
[Traduction]
M. Sick : Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, un nombre important de gens en Israël repoussent l'idée d'une opération militaire, quelle qu'elle soit. Par conséquent, je pense qu'il s'agit sûrement d'une hypothèse. Toutefois, je pense encore une fois que la Russie tenterait de faire appel, disons, aux Nations Unies ou à l'opinion publique pour contrer toute activité de ce genre. Je soupçonne qu'elle obtiendrait un appui massif au sein de l'ONU et ailleurs. Je ne crois pas que la Russie interviendrait sur le plan militaire, mais il est tout à fait possible qu'elle ait recours aux Nations Unies ou à d'autres moyens diplomatiques pour prévenir une telle action ou pour intervenir si une attaque de ce genre se produisait.
Le sénateur D. Smith : Bienvenue, monsieur. C'est bien d'entendre quelqu'un de l'Université Columbia. Je dois vous avouer que mon fils a fait son doctorat à Columbia, et j'ai passé beaucoup de temps là-bas.
M. Sick : Très bien.
Le sénateur D. Smith : En ce qui concerne la communauté iranienne tant en Iran qu'à l'étranger, même si certains de ses membres aimeraient que le gouvernement change, ils ne peuvent pas en parler, car on les enfermerait et on leur ferait du mal.
Toutefois, la diaspora iranienne est énorme; je pense qu'ils sont un demi-million à Los Angeles seulement, et le Canada en compte un grand nombre. En général, ils sont arrivés après le départ du shah. Ils sont très instruits et très actifs sur le plan culturel, et ils se plaignent de l'actuel gouvernement là-bas.
Avant de poser ma question à propos de l'opposition au régime, permettez-moi de faire un préambule. Il faudrait que l'opposition se manifeste davantage à l'extérieur du pays qu'à l'intérieur, pour des raisons que je n'ai pas besoin de vous expliquer — bien que je sois certain qu'il y a un mouvement clandestin là-bas. Par exemple, la diaspora en France organise une grande manifestation annuelle à Paris. La dirigeante du groupe de coordination est l'épouse de l'ancien chef de l'opposition. Ce dernier vit toutefois dans la clandestinité depuis des années, parce qu'il est convaincu qu'il sera assassiné par des agents iraniens, s'il dit ou fait quoi que ce soit. Pensez-vous que ce soit vrai?
Peut-être notre pensée est-elle influencée par certains des événements qui ont eu lieu pendant le printemps arabe. Je sais que l'Iran n'est pas arabe, mais il fait partie du monde musulman. Compte tenu de ce qui s'est passé en Égypte, pensez-vous qu'un mouvement de la sorte puisse se produire en Iran? Les groupes qui s'opposent au régime sont-ils en quelque sorte structurés, viables et crédibles? Quelle est votre analyse de cet aspect de la situation globale?
M. Sick : Merci, sénateur. J'ai également obtenu mon diplôme de doctorat à Columbia; alors, j'ai quelque chose en commun avec votre fils.
Je suis heureux que vous ayez soulevé la question de la diaspora parce qu'il s'agit de la partie oubliée de l'équation lorsque nous parlons de la politique iranienne. Vous avez raison : la diaspora à Los Angeles est très importante, probablement la plus importante à l'extérieur de l'Iran, bien que je sois certain que la diaspora au Canada est assez importante également. On trouve une communauté iranienne très nombreuse à New York, à Boston et à Washington. Il y en a partout.
Encore une fois, vous avez raison de dire qu'il s'agit de gens bien éduqués qui ont des ressources financières importantes. Dans de nombreux cas, ce sont des professionnels, tels des médecins et des avocats. Par exemple, si vous allez à Silicon Valley et que vous regardez les noms, vous allez trouver beaucoup d'Iraniens dans cette région et dans d'autres secteurs des industries technologiques.
En passant, l'Iran a beaucoup de succès à former des gens en génie informatique et en sciences. Le système d'éducation iranien a vraiment travaillé sur cette question. Les Iraniens aiment devenir ingénieurs; alors, le génie informatique est un domaine dans lequel ils excellent. Dans bien des cas, nous avons profité des jeunes qui n'arrivaient pas à trouver d'emploi en Iran après avoir obtenu leur diplôme, et certains d'entre eux sont venus s'installer ici. Ce n'est pas une mauvaise chose de notre point de vue.
Pour en revenir à votre question, la diaspora a des vues qui vont dans différentes directions. Premièrement, elles ne sont pas toutes d'accord entre elles. Beaucoup de gens au sein de la diaspora ont des points de vue divergents, allant des monarchistes purs et durs qui aimeraient voir la monarchie restaurée aux gens qui sont très favorables à une réforme au sein du gouvernement.
Je dirais qu'il y a très peu de gens à l'extérieur du pays qui appuient activement le gouvernement actuel. En fait, je dirais que le nombre de personnes, même en Iran, qui appuient le gouvernement actuel diminue; leur base s'est effritée au cours des années. Avec le temps, avec la perte de sa légitimité, avec le déclin de sa légitimité face à son propre peuple en raison de sa mauvaise gestion de l'économie et d'autres facteurs, il a remplacé cette dernière par la répression. C'est une façon de se maintenir au pouvoir, mais ce n'est pas une façon de se faire des amis et d'influencer les gens.
Je pense qu'en fait, l'Iran est rendu à un point où on peut désormais lire les signes annonciateurs : le gouvernement actuel ne survivra probablement pas indéfiniment. La question, c'est combien de temps survivra-t-il?
Je dois dire que le gouvernement est fermement aux commandes à l'heure actuelle. Il est vraiment maître des moyens de répression et il n'hésite pas à s'en servir. Il s'est montré extrêmement habile dans sa façon d'utiliser, par exemple, Internet à son avantage, pour savoir ce que les gens font, pour savoir où sera planifiée ou où aura lieu la prochaine manifestation, et pour interrompre le service Internet dans certains endroits où cela viendra contrecarrer les plans de l'opposition.
Pour l'instant, le gouvernement réussit à maîtriser l'opposition à l'intérieur du pays, mais cette dernière existe. Un de mes amis m'a dit que s'il y avait une manifestation en Iran et que les gens croyaient pouvoir y participer sans être arrêtés ou tués, vous auriez aujourd'hui même 3 millions de personnes qui défileraient dans les rues de Téhéran.
Les gens ne le font pas maintenant. À certains égards, le printemps arabe ressemble beaucoup à ce qui s'est passé en Iran en 2009 après les élections que la population a contestées. Malgré cela, le gouvernement a réussi à imposer sa volonté et il n'y paraît plus grand-chose aujourd'hui.
Je ne vois pas de possibilité immédiate pour que ce gouvernement s'effondre de lui-même. Je pense qu'il est condamné à long terme. J'aimerais pouvoir dire combien de temps il faudra. Un certain nombre d'autres pays ont perdu leur légitimité, comme la Russie soviétique sous Staline. Elle a perdu sa légitimité dans les années 1930 lorsque les gens ont réalisé que c'était une imposture, mais le régime a duré encore 50 ans après cela. Les régimes répressifs, même ceux qui sont très impopulaires, peuvent effectivement survivre. Par conséquent, je ne peux avancer une date quelconque.
Le sénateur Johnson : Merci, madame la présidente. Soyez le bienvenu, monsieur le professeur. Merci de votre excellent exposé.
Vous avez affirmé qu'il était important de garder la menace iranienne en perspective. C'est un très bon conseil. S'il y a une guerre, tout le monde y perdra.
Nous avons constaté dans nos études que l'Economist Intelligence Unit, par exemple, a décrit les relations de l'Iran avec ses voisins de hargneuses, accompagnées d'une méfiance mutuelle, d'une rivalité et de craintes à l'égard des programmes d'armes nucléaires. Ensuite, le département d'État américain a déclaré, en février, que l'Iran n'avait toujours pas reconnu le droit d'Israël d'exister et qu'il a nui au processus de paix au Moyen-Orient en procurant des armes aux militants, y compris à ceux du Hamas, du Hezbollah et du Jihad islamique palestinien.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le rôle et l'influence de l'Iran dans la région?
La présidente : Il a disparu.
Le sénateur Johnson : Où est-il passé? J'ai regardé et il était là.
Le sénateur Nolin : Devrions-nous suspendre nos travaux?
La présidente : Peut-on l'entendre, à défaut de le voir? Nous allons suspendre nos travaux pendant quelques minutes.
Monsieur Sick, juste au moment où vous parliez de technologies et de capacités, vous avez disparu de l'écran. Je vais demander au sénateur Johnson de poser rapidement une question avant que nous vous perdions encore une fois.
Le sénateur Johnson : Monsieur le professeur, à quel moment avez-vous disparu?
M. Sick : Au moment où votre nom a été mentionné.
Le sénateur Johnson : J'ai tout un effet sur cette technologie.
Le département d'État des États-Unis a dit, en février 2012, que l'Iran n'avait toujours pas reconnu le droit d'Israël d'exister et qu'il a nui au processus de paix au Moyen-Orient en armant les militants, y compris ceux du Hamas, du Hezbollah et du Jihad islamique palestinien. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le rôle et l'influence de l'Iran dans la région et sur l'alliance qui existe entre l'Iran et ses voisins? Est-ce que l'Iran possède un groupe militant non étatique dans la région? Je vais ensuite passer à la Syrie.
M. Sick : La réponse courte à cette question est que l'Iran a des relations avec un certain nombre de pays dans la région. Comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, une partie de cette influence est, en fait, le résultat de nos activités dans la région; la raison pour laquelle l'Iran a de l'influence aujourd'hui en Irak, c'est parce que nous avons chassé Saddam Hussein et installé là-bas un gouvernement chiite, dont plusieurs membres étaient réfugiés en Iran à l'époque de Saddam Hussein.
Il ne fait aucun doute que l'influence de l'Iran sur l'Irak et ses relations avec lui sont beaucoup plus importantes aujourd'hui qu'avant l'invasion américaine en 2003.
Cela ne veut pas dire que l'Irak acceptera un jour d'obéir à l'Iran. C'est l'élément clé ici. Est-ce que l'Iran utilise son influence auprès de ces autres pays et groupes dans la région pour essayer d'influencer la politique? Absolument; cela ne fait aucun doute. Il finance certaines de ces organisations, comme le Hamas dans le passé, bien qu'aujourd'hui, cette relation soit très difficile, parce qu'essentiellement, le Hamas a rompu ses liens avec la Syrie contrairement à l'Iran. La relation avec le Hamas, que beaucoup voyaient comme l'utilisation par l'Iran d'un agent par procuration peut, en fait, être complètement différente de ce qu'elle était auparavant. Toutefois, il est certain que la relation avec le Hezbollah au Liban demeure, de même que la relation avec le président Assad de Syrie.
Vous pouvez affirmer que cette relation n'est pas nécessairement une bonne chose pour l'Iran. Elle a affaibli énormément la position de l'Iran dans le monde arabe parce que, de la même manière que l'Iran nous accuse d'avoir deux poids deux mesures et d'appliquer des règles différentes dans différents cas, les Arabes disent maintenant de l'Iran qu'il a lui aussi deux poids deux mesures. Vous appuyez la révolution et le changement lorsque cela fait votre affaire, mais lorsque ce n'est pas le cas, vous ne le faites pas. Vous vous opposez à la liberté et l'émancipation d'un autre pays.
Elle a affaibli la position de l'Iran au Moyen-Orient de manière substantielle et je pense que c'est l'élément clé. Je dirais que l'Iran exerce une influence dans un certain nombre d'endroits, dans un certain nombre de pays et dans un certain nombre de mouvements, mais ce n'est pas lui qui donne les ordres dans ces pays, que ce soit en Irak, ou en Syrie, ou même, dans le cas du Hezbollah, au Liban et, dans certains cas, son appui à ces organismes va dans les deux sens et affaiblit la capacité de l'Iran d'influer sur les événements en Égypte, par exemple.
Il s'agit d'une question complexe que nous devons aborder avec réalisme, à savoir que l'influence de l'Iran existe bel et bien, mais qu'elle n'est pas dominante. Elle ne détermine pas ce que tout le monde fait dans le reste de la région.
Le sénateur Nolin : J'ai deux questions. La première porte sur la diaspora et, plus précisément, sur les Iraniens qui résident temporairement aux États-Unis ou au Canada pour étudier. Nous avons découvert hier — ce n'était pas un secret, mais, pour moi, c'était une découverte — qu'au cours des 10 dernières années, le nombre d'étudiants iraniens venant temporairement au Canada pour étudier, et c'est probablement la même chose aux États-Unis et corrigez-moi si je me trompe, a beaucoup augmenté.
Compte tenu des obstacles à surmonter et de ce qu'il en coûte pour venir étudier en Amérique du Nord, pouvons- nous avoir confiance dans les intentions de ces jeunes iraniens qui viennent au Canada ou aux États-Unis?
M. Sick : J'ai un certain nombre d'étudiants iraniens. Ils sont régulièrement présents dans ma classe à l'Université Columbia. Certains d'entre eux sont devenus de bons amis et un bon nombre ont poursuivi leurs études pour travailler sur un doctorat ou d'autres choses.
Comme je l'ai dit précédemment, les Iraniens qui viennent au pays ont, dans de très nombreux cas, d'excellentes compétences linguistiques. Ils savent déjà parler la langue ou les langues, selon le cas, à leur arrivée. Ils ont de bons antécédents scolaires et contribuent à la société de nombreuses façons.
Pouvez-vous dire que c'est vrai sur toute la ligne, qu'il n'y a pas d'autres personnes dans ce groupe? Vous pouvez en dire autant de tout étudiant américain ou canadien qui va à l'étranger. Il s'agit d'un mélange. Je ne peux pas donner la garantie que tout jeune étudiant iranien qui vient au Canada ou aux États-Unis sera quelqu'un que nous voulons absolument, mais c'est la raison pour laquelle il existe des visas. C'est la raison pour laquelle nous avons ce processus.
Mon avis, c'est que, dans l'ensemble, il est vraiment important d'avoir un endroit où aller pour ces jeunes gens qui ne peuvent pas trouver d'emploi en Iran, qui ne veulent pas quitter leur pays, mais qui, dans un grand nombre de cas, en arrivent à la conclusion qu'ils doivent le faire pour des raisons économiques. Je pense que c'est une contribution que nous pouvons faire, qui, en fait, est aussi bien à notre avantage qu'au leur.
Le sénateur Nolin : Merci. Ma question suivante porte sur quelque chose que vous avez fait pour CNN, à la fin de mars, intitulé Qu'arriverait-il si Israël bombardait l'Iran? Pour l'information de mes collègues, je vais lire le premier paragraphe : « Imaginez un instant que vous vous réveillez demain matin pour découvrir que, durant la nuit, des avions israéliens ont effectué un raid de bombardement en Iran. Dans quelle mesure votre monde aura-il changé? »
Est-ce une possibilité? Je vous laisse répondre à cette question.
M. Sick : Merci beaucoup d'avoir soulevé ce point. Pour être bien franc, je n'ai jamais cru que c'était quelque chose qui était très vraisemblable. Fondamentalement, si quelqu'un — les États-Unis, Israël — attaquait l'Iran, il y aurait un lendemain matin. Le lendemain matin, tout sera pire qu'avant l'attaque. S'il y a une attaque visant la capacité nucléaire de l'Iran, par exemple, vous allez forcer le pays à travailler dans la clandestinité. L'Iran se retirera du Traité de non- prolifération des armes nucléaires, expulsera les inspecteurs de l'AIEA et renoncera à sa position actuelle selon laquelle il est contraire à l'islam d'essayer de construire une bombe. Il y a de fortes chances qu'il dise : « L'islam nous permet de nous défendre ». Tous les paris sont ouverts et nous pourrions nous attendre à ce que l'Iran passe à la clandestinité et qu'il cherche à construire une bombe. Les gens se rallieraient autour de leur gouvernement, ce qui aura pour effet de le renforcer. En outre, le prix du pétrole grimperait probablement à 300 ou 400 $ le baril, simplement en raison du conflit dans la région, ce qui aurait des répercussions sur presque toutes les économies de la région. Si les gens envisagent une attaque, ils doivent réfléchir aux conséquences. Je pense que les conséquences sont vraiment très sérieuses, ce qui explique pourquoi je pense qu'il n'y aura probablement pas d'attaque.
Le sénateur Nolin : En répondant à une question posée par ma collègue, le sénateur Fortin-Duplessis, vous avez fait allusion à l'ONU comme étant une tribune où la Russie condamnerait toute attaque contre l'Iran; alors, est-ce dans ce contexte que vous me donnez cette réponse?
M. Sick : Il s'agirait d'une chose additionnelle. Aujourd'hui, d'après la plupart des normes, l'Iran n'a pas décidé de construire une arme nucléaire. S'il est attaqué, il le fera probablement. Du moins, c'est ce que je pense. Ce sont là des conséquences possibles importantes, graves et dangereuses d'une attaque. J'estimerais la participation de la Russie comme étant beaucoup moins importante que cela. Je ne considère pas cela comme le même genre de menace que d'autres aspects du problème.
Le sénateur Frum : Vous avez maintenant dit à deux reprises que le régime iranien affirme qu'il est contraire à l'islam de fabriquer une bombe. Il me semble que vous accordez beaucoup de poids à cette affirmation. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous pensez qu'il s'agit d'une affirmation sensée?
M. Sick : Permettez-moi de vous répondre brièvement. Premièrement, peut-être que nous, en Occident, particulièrement les gens plus laïcs, disons que peu importe ce que disent les mollahs, c'est simplement pour faire de l'effet. C'est uniquement quelque chose qu'ils disent et que nous n'avons pas à prendre au sérieux. Toutefois, nous devons nous rappeler qu'il s'agit d'un régime théocratique. Lorsque la plus haute autorité dans un gouvernement, qui est un gouvernement religieux, dit ouvertement et de façon répétée que c'est un péché et absolument contraire à l'islam de construire, d'entreposer et d'utiliser des armes nucléaires, vous devez au moins vous demander pourquoi elle dirait cela. Même en supposant que c'est une duperie, vous n'avez pas été dupés et il est peu probable que quelqu'un d'autre soit dupé. Ce que cette déclaration aura, c'est un effet sur le peuple iranien lui-même, les gens qui seront effectivement responsables du développement nucléaire. Ils se font dire par la plus haute autorité religieuse qu'ils commettent un péché s'ils font cela. Est-ce que cela veut dire que l'Iran ne construira jamais d'arme nucléaire? Non, cela ne veut pas dire cela, mais cela veut dire qu'en ce moment, nous avons quelque chose sur quoi bâtir. Pourquoi ne pas en profiter? L'Iran dit qu'il ne veut pas, qu'il n'a pas besoin et qu'en fait, il lui est interdit par l'islam de construire une arme nucléaire. Pourquoi ne prenons-nous pas cela comme point de départ pour négocier avec l'Iran et dire : « Très bien, nous sommes tout à fait d'accord avec vous. Maintenant, trouvons une façon d'avoir l'assurance que ce que vous nous dites est vrai ». Il me semble que c'est exactement là où en sont rendues les négociations à l'heure actuelle.
Le sénateur Frum : Vous avez également dit dans votre présentation que, selon vous, rien n'allait dissuader l'Iran d'aller de l'avant avec son programme nucléaire. Vous avez aussi indiqué — j'ai trouvé cela intéressant; ce n'est pas là- dessus que porte ma question, mais j'aimerais avoir plus de détails à ce sujet — que vous aviez l'impression que les partis de l'opposition n'abandonneraient pas non plus le programme nucléaire. Ceci dit, vous avez mentionné que les deux parties avaient laissé filer de belles occasions dans les négociations sur la non-prolifération.
Vous avez peut-être déjà répondu à la question, mais j'aimerais savoir quelles sont les occasions qui ont échappé à l'Occident, disons, dans ces négociations.
M. Sick : Je surveille la situation depuis plus de 30 ans, et j'ai déjà recensé ce qui constituait d'après moi des occasions manquées pour les deux parties. Je me suis rendu à 10, puis j'ai arrêté de les compter.
Je vais vous donner un exemple clair pour l'Occident. Au moment où les États-Unis ont envahi l'Irak et renversé Saddam Hussein, l'Iran a présenté, en 2003 et en 2004, un plan de négociations avec l'Occident. C'est quelque chose que nous aimerions beaucoup avoir aujourd'hui. Le plan que l'Iran a présenté, qui est en fait affiché sur Internet, a une portée assez vaste. À l'époque, on s'occupait de l'Irak et des suites de l'invasion, et l'administration Bush, pour une raison quelconque, a mis le plan aux poubelles et n'a jamais tenté de poursuivre les négociations. C'est là une occasion manquée.
Je peux vous donner un autre exemple avec George Bush père. En 1990, il a déclaré que la bonne volonté engendrait la bonne volonté. On avait promis à l'Iran de lui rendre la pareille s'il acceptait de libérer les otages occidentaux au Liban. L'Iran a libéré les otages au Liban. Ce fut un processus compliqué, ayant notamment nécessité l'intervention des Nations Unies. Une fois les otages libérés, l'Occident n'a pas rempli sa part du marché, car le président Bush connaissait un processus électoral ardu et n'a pas donné suite à l'entente. L'Iran s'est senti trahi. Je pourrais vous donner d'autres exemples de ce genre.
Et il y a d'autres situations où nous avons toutes les raisons du monde de croire que l'Iran nous a trahis. Là où je veux en venir, c'est que les relations entre l'Occident et l'Iran oscillent à la manière d'une balançoire à bascule. Quand un côté est en haut, l'autre est en bas. Celui qui a le dessus estime qu'il n'a pas besoin de négocier, et l'autre n'ose pas le faire. Puis, les positions sont inversées et l'histoire recommence. Jamais nous n'arrivons à un point où l'Iran et l'Occident, particulièrement les États-Unis, ont l'impression d'être sur un pied d'égalité. Je pense que c'est là où nous en sommes aujourd'hui à certains égards. Nous devons en tirer profit quand nous en avons la chance.
Le sénateur Downe : Je suis curieux de savoir si vous avez eu l'occasion de vous pencher sur les changements qui se sont produits au gouvernement d'Israël. Vous avez indiqué dans votre présentation que des hauts dirigeants d'Israël s'opposaient à toute intervention militaire. Il se peut cependant que le nouveau gouvernement de coalition change radicalement la donne. Vous êtes un spécialiste de cette région. Avez-vous eu le temps d'étudier la nouvelle coalition au cours des dernières 48 heures?
M. Sick : Je ne crois pas être un grand spécialiste des politiques internes d'Israël, mais je suis la situation d'aussi près que possible. Je précise d'abord que le nouveau gouvernement de coalition est formé par le Likoud, dirigé par le premier ministre Netanyahu, ainsi que du parti Kadima dirigé par Shaul Mofaz, qui vient de remporter des élections internes. Mofaz a déjà été chef d'état-major des forces armées. Il est né en Iran, un fait qu'ignorent bien des gens, et a critiqué ouvertement l'intention du premier ministre Netanyahu d'engager des frappes contre l'Iran.
Il y a deux façons de voir les choses. La première est qu'il a délaissé l'opposition pour se joindre à un parti qui juge qu'une frappe contre l'Iran est une possibilité dont il faut au moins discuter. La deuxième, c'est que sa présence au sein du gouvernement israélien renforce l'opposition à l'égard d'une frappe interne.
Personnellement, je pense à la réponse que j'ai donnée à la question « que se passera-t-il le lendemain? » Qu'arrivera- t-il au lendemain d'une frappe contre l'Iran? C'est la question à se poser. Je pense que les conséquences seraient les mêmes pour n'importe quel premier ministre israélien. À vrai dire, il en irait de même pour n'importe quel président des États-Unis. Ils devraient en subir les contrecoups, qui sont loin d'être agréables.
Dans les faits, on envisage d'engager des frappes contre l'Iran depuis une dizaine d'années au moins. On connaît des hauts et des bas. Un jour, l'histoire fait la une des journaux, puis on en entend moins parler. Et voilà que la nouvelle fait de nouveau les manchettes. On parle de frapper l'Iran depuis dix ans. En général, quand Israël engage des frappes contre d'autres pays, il n'en fait pas l'annonce des années à l'avance et ne laisse pas le temps à ses adversaires de répliquer.
Israël presse d'autres pays d'imposer des sanctions sévères à l'Iran, et il réussit très bien à le faire. Toutefois, pour ce qui est d'appuyer sur le bouton et de passer à l'acte, je prédis que ce serait très néfaste pour Israël et pour le reste du monde. Je pense qu'on va se buter à de la réticence à cet égard.
Le sénateur Downe : En fait, la question que je me pose est celle-ci : Est-ce que l'État d'Israël peut permettre à un pays aussi instable d'acquérir ces armes? Et cette question ouvre la porte à une deuxième : Est-ce que l'Iran est près de les avoir, oui ou non? Ce manque d'information confirmerait, comme vous l'avez évoqué, qu'il s'agit d'une tactique pour faire pression sur le pays; quand on prévoit attaquer quelqu'un, on ne l'annonce pas à l'avance. Si on pouvait dépêcher des inspecteurs sur place et convaincre le régime en place de changer son point de vue... je crois cependant que ce qui pose problème, c'est qu'on ignore où en est son programme.
Vous avez parlé plus tôt de négociations potentielles et de choses qui ont déjà été envisagées. Dans la conjoncture actuelle, pensez-vous qu'on puisse espérer que les dirigeants iraniens vont effectivement dévoiler leur programme à une tierce partie et indiquer à quelle étape se situe leur programme exactement?
M. Sick : Je suis sûr que vous savez que l'AIEA a des inspecteurs en ce moment sur place, aux installations de centrifugeuses. Des inspecteurs examinent aussi le site souterrain près de Qom, construit loin sous la terre. Israël croit qu'il serait très difficile d'atteindre une telle cible, et il a probablement raison. Toutefois, les inspecteurs de l'AIEA sont sur place avec des caméras et surveillent ce qui entre et sort du site.
En ce sens, c'est plus que ce que pourrait faire n'importe quel organisme de renseignement. Je pense qu'il faut reconnaître qu'il s'agit d'une source de renseignements extrêmement précieuse et que nous la perdrions s'il devait y avoir une attaque. Les inspecteurs qui surveillent ces installations, de même que d'autres sites en Iran, ne seraient tout simplement plus là.
Est-ce que cela signifie que nous savons absolument tout à propos du programme nucléaire de l'Iran? Je vais me contenter de répéter ce qu'a dit dernièrement le directeur du renseignement national des États-Unis, une déclaration qui reflète la position officielle du gouvernement américain. L'Iran n'a pas encore décidé de produire des armes nucléaires.
Je pense que c'est un point positif. Une frappe contre l'Iran viendrait immédiatement changer la donne. Est-ce que cela signifie que nous devons laisser aller les choses sans s'en inquiéter? Pas du tout, mais je pense que nous avons ce qu'il faut en main pour passer un marché, si c'est l'intention.
Je préfère voir plus d'inspecteurs sur place plutôt que moins, et ce n'est pas que par les négociations que nous pourrons nous en assurer.
Le sénateur Downe : J'ai une dernière question. C'est à propos de la qualité de l'information. On est loin d'être certains de connaître l'état réel du programme. Je présume que bien d'autres pays ont aussi cette impression. On entend constamment que des scientifiques iraniens travaillant supposément à ce programme perdent la vie soudainement, et de toutes sortes de manières, ce qui nous laisse croire que certaines personnes savent qu'il se passe plus de choses que ce qui est officiellement rapporté.
Vous semblez assez convaincu que les inspections nous montrent la majeure partie des activités du programme. Est-ce exact?
M. Sick : Il y a des inspecteurs sur place munis de caméras, et ils font des inspections-surprises dans toutes les installations principales du réseau nucléaire de l'Iran. Doit-on en déduire que l'Iran ne cache rien ailleurs au pays? Je crois que c'est le cas. L'Iran avait déjà accepté provisoirement ce qu'on appelle les protocoles additionnels, qui permettent la tenue d'inspections-surprises dans beaucoup plus d'installations.
Nous avons manqué notre coup en omettant de préserver les protocoles additionnels. Il faudrait selon moi faire en sorte que l'Iran les accepte de nouveau. Ce sont des outils très importants et très utiles.
On doutera toujours des activités ou de la capacité de tel ou tel pays, c'est inévitable. Il faut toutefois se demander s'il vaut mieux avoir des inspecteurs sur place, dans l'espoir d'élargir la portée de leur mandat, ou se passer d'eux et tenter d'éliminer tout le système avec une frappe militaire, une chose impossible à réaliser selon tous les experts à qui j'ai parlé — et j'ai moi-même des antécédents militaires. On pourrait frapper certaines installations, mais cela ne ferait que pousser les Iraniens à se terrer dans des installations souterraines et les inciterait davantage à produire des armes nucléaires.
Ce serait contre-productif. C'est là où je veux en venir. Il vaut mieux multiplier les inspections. Si nous devons en retour lever certaines sanctions pour permettre la tenue de plus d'inspections, ce serait une bonne affaire.
La présidente : Le temps file et j'ai encore le sénateur Raine sur ma liste d'intervenants. Le sénateur Mahovlich a indiqué avoir une question supplémentaire. Si on pouvait s'en tenir à des questions et des réponses brèves, je pourrais satisfaire aux demandes de tout le monde.
Le sénateur Mahovlich : Merci, professeur. J'ai une question à vous poser sur l'Irak. Est-ce que les États-Unis sont satisfaits de l'Irak de l'après-guerre? Comment le monde perçoit-il l'Irak? Sont-ils assez satisfaits?
M. Sick : Brièvement, je vous répondrais que non, les États-Unis ne sont pas heureux de la tournure des événements, et ce sentiment est probablement partagé par le reste du monde. Je devine qu'à peu près tout le monde est content de la chute de Saddam Hussein. Cependant, je pense que personne ne se réjouit de ce qui se trame en ce moment là-bas, ni de la structure gouvernementale actuelle, qui présente tous les éléments propices à une nouvelle dictature. Je ne m'en réjouis certainement pas, en tout cas.
Le sénateur Raine : C'est très intéressant. J'aimerais que vous nous parliez du profil démographique de l'Iran. Vous dites que les jeunes sont nombreux à vouloir émigrer, et ce sont pourtant des gens instruits. Est-ce que les choses s'améliorent un peu pour l'ensemble de la population?
On entend aussi parler de violations des droits de la personne. C'est difficile de regarder ce qui se passe les bras croisés. Est-ce que le reste du monde pourrait faire pression d'une façon ou d'une autre pour au moins freiner les violations des droits de la personne qui sont commises en ce moment là-bas?
M. Sick : Mon bon ami Ramin Jahanbegloo est venu témoigner devant vous hier. C'est un des grands spécialistes de la situation des droits de la personne en Iran. Je ne sais pas ce qu'il vous a dit exactement, mais je doute fort pouvoir vous éclairer plus que lui sur ce sujet.
En ce qui a trait à la population, je crois qu'environ 70 p. 100 de la population iranienne est âgée de moins de 35 ans. C'est une population très jeune. La réalité à laquelle la population est confrontée est que le processus de création d'emplois est beaucoup trop lent pour la quantité de gens qui entrent sur le marché du travail. Le taux d'inflation est élevé. Bien des gens vivent dans des conditions difficiles en Iran.
De plus, ce n'est pas un gouvernement qui inspire les jeunes. Ils sont ouverts sur le monde. Ils ont accès à Internet. Ils ne sont pas coupés du reste du monde. Ils sont au courant de ce qui se passe. Ils sont déçus de leur gouvernement, on les comprend, et pour toutes sortes de raisons, qu'on parle de la situation économique, des droits de la personne ou des structures de gouvernance. C'est un gouvernement difficile à aimer, et je pense que les jeunes Iraniens ne l'aiment pas beaucoup.
Cela ne signifie toutefois pas qu'on assistera à un déclenchement immédiat des hostilités ou que le gouvernement sera renversé. On sait par contre que le taux d'insatisfaction est extrêmement élevé. Ce serait merveilleux de pouvoir offrir à la population des solutions de rechange viables, sur le plan idéologique ou grâce à un modèle alternatif, et je pense que nous devrions le faire. Nous pouvons mettre l'accent sur les droits de la personne.
Je siège au conseil d'administration de Human Rights Watch depuis de nombreuses années. Je prends très au sérieux la situation des droits de la personne. Ce n'est toutefois qu'un élément de l'équation. Il faut aussi voir à la sécurité et à la structure de pouvoir au Moyen-Orient et dans la région. Il n'existe pas de remède miracle, ni de façon simple de remédier à ce problème.
La présidente : Monsieur Sick, notre temps est écoulé, alors peut-être que les réponses à mes questions se trouveront dans un de vos séminaires. Nous avons couvert beaucoup de matière. Votre expérience personnelle sur le terrain et vos réflexions à titre d'universitaire vont beaucoup nous aider à mettre en contexte certaines des questions sur lesquelles nous devrons nous prononcer à l'issue de notre étude et formuler des recommandations.
Nous sommes désolés du retard causé par les pépins techniques, mais je ne crois pas que cela ait perturbé votre témoignage. Merci de vous être joint à nous.
Honorables sénateurs, pour la deuxième partie des délibérations nous accueillons, toujours par vidéoconférence, mais cette fois de Paris, en France, M. Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. Son domaine de spécialité couvre les conflits, la stratégie américaine, les relations transatlantiques, la sécurité en Asie, et les secteurs les plus pertinents pour notre étude, la prolifération nucléaire, la dissuasion nucléaire, la stratégie militaire et le terrorisme.
Monsieur Tertrais, vous couvrez beaucoup de terrain. Notre étude porte sur l'Iran, et je vous invite à faire votre déclaration préliminaire. Bon nombre de nos sénateurs veulent vous poser des questions. Je sais que vous avez acquis de l'expérience à l'OTAN, alors si vous pouvez faire une brève déclaration, nous passerons ensuite aux questions.
Bruno Tertrais, maître de recherche, Fondation pour la recherche stratégique : Merci. C'est un honneur et un plaisir pour moi de comparaître devant le comité. Si vous le voulez bien, je vais faire ma déclaration préliminaire en français et je répondrai ensuite aux questions dans la langue des interlocuteurs. Est-ce que cela vous va?
La présidente : C'est bien.
[Français]
Merci, madame la présidente. Je vous propose d'abord quatre bonnes nouvelles, les quatre bonnes nouvelles de 2012 s'agissent de la crise nucléaire iranienne.
Première bonne nouvelle : l'Iran est beaucoup plus isolé qu'il ne l'était il y a seulement un ou deux ans. En raison du Printemps arabe, en raison des événements en Syrie, alors que, comme vous le savez, la Syrie est le seul véritable allié de l'Iran dans la région et aussi parce que les campagnes d'attentat plus ou moins réussies et plutôt ratées que l'Iran a commises ces derniers mois ont abouti à des condamnations non seulement par les pays concernés, mais aussi par l'Assemblée générale des Nations Unies.
Deuxième bonne nouvelle : on peut désormais parler d'une réelle efficacité des sanctions contre l'Iran, sanctions d'abord efficaces contre le programme qu'elles ont considérablement ralenti, le programme de centrifugation de l'Iran, mais aussi efficacité politique des sanctions, notamment des sanctions économiques, puisqu'il n'y aurait pas eu la rencontre d'Istanbul, en tout cas certainement pas celle de Bagdad, si l'Iran n'avait pas fléchi, à mon sens, en raison des sanctions.
Troisième bonne nouvelle : à mon sens, les États-Unis ont restauré la crédibilité de l'option militaire, le président Obama ayant clairement fait comprendre qu'il n'accepterait pas une politique de confinement si l'Iran devait se doter d'une arme nucléaire.
Quatrième et dernière bonne nouvelle : il n'y aura pas, à mon sens, d'action militaire israélienne en 2012. Je crois que l'effet cumulé des sanctions, de la nouvelle disponibilité du président Obama à envisager l'option militaire, de la négociation en cours, tout ceci crée un fond qui est plutôt défavorable à une action militaire israélienne.
J'ajoute qu'on surestime, à mon sens, considérablement la disponibilité d'Israël à se lancer dans cette aventure. Le coût/efficacité d'une action militaire israélienne étant, comme vous le savez sans doute, extraordinairement discutable et discuté au sein même du gouvernement.
Il est trop tôt pour dire que 2012 sera un tournant dans la crise iranienne. Je suis cette affaire maintenant depuis une dizaine d'années; on a tant de fois prédis des tournants que je crois qu'il convient d'être prudents. Il me semble que tant les P5+1 que l'Iran veulent gagner du temps, je crois qu'un accord global reste à ce stade improbable, je crois qu'à Bagdad on pourra s'entendre au mieux sur les premières étapes, un phasage de gestes de part et d'autre qui permettrait de faire diminuer la tension.
Je crois que les pays occidentaux qui se souviennent, pour les Européens, de la négociation avec l'Iran des années 2003 à 2005, seront extrêmement prudents quant aux modalités précises de ces étapes. Et je crois que les vrais tests d'un accord global ne pourraient être que l'arrêt complet de l'enrichissement à 20 p. 100 et le transfert de l'uranium enrichi à 20 p. 100 hors du territoire iranien, d'une part, et d'autre part, peut-être encore plus importante, l'application pleine et entière et inconditionnelle du protocole additionnel de vérification de l'Agence internationale pour l'énergie atomique.
Nous verrons déjà, avant la rencontre de Bagdad, dès la semaine prochaine, avec la réunion de l'AIEA, si les Iraniens sont disposés à faire des gestes pour clarifier leurs activités militaires passées et peut-être présentes.
Quelques points pour conclure, madame la présidente : d'abord, nous devons faire très attention à ne pas avoir de conclusion hâtive en ce qui concerne notre évaluation des projets stratégiques iraniens. Personne ne sait exactement ce que le guide suprême veut en termes de finalité du programme nucléaire.
Lorsque j'entends nombre de mes collègues affirmer avec beaucoup de force que l'Iran veut une capacité nucléaire mais non pas une arme nucléaire, je leur rappelle l'histoire de la prolifération nucléaire, l'histoire des programmes nucléaires qui nous montre qu'avec très peu d'exceptions, tous les pays qui sont arrivés au seuil nucléaire ont fini par franchir ce seuil.
C'est pour cela que ma conclusion sera relativement pessimiste. Je crois que nous ne sommes pas encore au stade où l'Iran a renoncé définitivement à ses projets militaires ou, en tout cas, que rien ne permet de dire que nous sommes aujourd'hui à un moment où un règlement de la crise est possible, car l'Iran aurait renoncé définitivement à son projet nucléaire militaire.
C'est pour cela que je m'interroge sur la résolution de cette crise en 2012 ou en 2013, et je crains que seule la poursuite des sanctions de manière particulièrement forte et soutenue, peut-être même pendant encore plusieurs années, qui conduirait à donner le sentiment à l'Iran que son régime pourrait ne pas survivre, alors que seul cette crainte, ce sentiment iranien pourraient conduire à un abandon des intentions militaires du pays.
Je vous remercie et je suis prêt à répondre à toutes vos questions.
La présidente : Merci.
Le sénateur Nolin : Merci, M. Tertrais. Comme la présidente l'a mentionné, nous saluons vos faits d'armes auprès de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN.
M. Tertrais : Merci beaucoup.
Le sénateur Nolin : Je comprends qu'à l'époque où vous y étiez, ce n'était pas l'appellation qu'on lui accordait, c'était plutôt l'Assemblée de l'Atlantique Nord. Aujourd'hui, nous avons un peu modifié son appellation, mais tout le monde s'y retrouve quand même.
J'en viens à votre conclusion. Je veux comprendre. Trouvez-vous que les sanctions sont trop sévères et qu'elles pourraient nous précipiter vers des résultats imprévisibles ou ai-je mal compris? Vous nous demandez de soutenir et même d'augmenter la pression en utilisant ces sanctions?
M. Tertrais : Soyons clairs. Les sanctions sévères ont permis, à mon sens, de conduire l'Iran à revenir à la table des négociations. Je suggère très fortement à l'ensemble des gouvernements des pays membres de l'alliance, mais aussi à l'ensemble des membres de la communauté internationale, de continuer à soutenir et à appliquer pleinement ces sanctions, car seules — à mon sens — ces sanctions peuvent permettre à l'Iran de penser que peut-être son régime n'y survivra pas.
Les sanctions ne sont pas la meilleure solution, c'est la moins mauvaise solution. Entre l'option militaire dont personne ne veut et une négociation sans les sanctions derrière, qui a donné les résultats que l'on sait au début des années 2000, je crois que la négociation en position de force, qui est celle que nous menons aujourd'hui, est la moins mauvaise des solutions possibles.
Mesdames et messieurs les sénateurs, vous êtes des responsables politiques, vous savez que la politique, c'est souvent choisir la moins mauvaise des options; je crois que la voie actuelle, c'est bel et bien la moins mauvaise des options.
J'ajoute, très brièvement, que l'histoire des 30 dernières années nous enseigne que l'Iran a parfois pris des décisions difficiles sous la pression, notamment en 1988, lorsque Téhéran craignait que les États-Unis entrent en guerre contre l'Iran à la suite des incidents qui ont eu lieu en mer et dans les airs dans les années 1987-1988. Je fais partie de ceux qui sont quasiment persuadés que c'est pour cela qu'à l'époque, l'ayatollah Khomeiny avait pris la décision de boire le calice du poison — pour employer son expression — alors qu'il avait dit auparavant que jamais il ne mettrait un terme à la guerre Iran-Irak en l'absence d'une victoire. Ce précédent historique est, à mon avis, intéressant à garder en mémoire.
Le sénateur Nolin : Dans un livre publié en 2011, intitulé L'apocalypse n'est pas pour demain, vous dénoncez le catastrophisme. Je n'en ai pas fait une lecture exhaustive, mais selon le résumé que l'on m'en a fait, vous avez certainement calmé ou tenté de calmer la pression politique qui semble souvent prévaloir dans certaines capitales. Ceci étant dit, nous ne pouvons pas ignorer les populations, le ras-le-bol de la population iranienne, surtout depuis 2009. Comment jongler avec des objectifs de respect des droits de l'homme sans pour autant tomber dans le catastrophisme?
M. Tertrais : Merci, monsieur le sénateur. Vous êtes très aimable d'avoir fait référence à cet ouvrage anti- catastrophiste qui m'avait valu d'ailleurs, il y a quelques mois, une invitation à Ottawa pour en parler devant les services canadiens, une expérience très riche d'enseignements pour moi. Je suis dans le domaine de la prolifération comme dans d'autres, en quelque sorte, un catastrophiste repenti.
Soyons clairs. L'affaire iranienne est grave, très grave, je le dis d'ailleurs dans ce livre. Ce contre quoi je m'élève, c'est l'idée d'une conception mécanique de la prolifération qui suggère qu'après l'Iran, il y aura forcément trois ou quatre autres puissances nucléaires dans les dix prochaines années au Moyen-Orient. Je pense que ce ne sera ni aussi simple ni aussi rapide.
Pour ceux de vos collègues qui n'auraient pas eu connaissance de cet ouvrage, je rappelle que je m'adresse au catastrophisme de manière générale, mais je suis dans le domaine de la prolifération, tout de même assez prudent. Si l'Iran devait franchir le seuil nucléaire, on aurait tout de même un risque très fort de « détricotage » du régime de non- prolifération. Car ce serait la deuxième fois qu'un pays se retirerait du traité, après la Corée du Nord, donc il serait à craindre que le régime de non-prolifération ne s'en relève pas.
Je suis beaucoup plus prudent quant aux risques de prolifération immédiate dans la région, même si je pense que l'Arabie Saoudite ne pourrait pas ne pas réagir à une bombe iranienne, et même si je pense que l'Arabie Saoudite ne se contenterait pas de déclaration de réassurance de la part des États-Unis.
En ce qui concerne la population iranienne, vous mettez le doigt sur un vrai dilemme. Est-il possible d'avoir des sanctions très fortes contre l'Iran, sans pour autant pénaliser une population dont on sait ou on suppose qu'elle est majoritairement opposée au régime actuel? Je crois que c'est un dilemme auquel on fait toujours face s'agissant de sanctions. La communauté internationale l'avait résolu d'une certaine manière vis-à-vis l'Afrique du Sud dans les années 1970 et 1980.
D'ailleurs, je crois savoir qu'à l'époque, certains opposants au régime disaient : « oui, nous comprenons les sanctions, même si nous devons en souffrir. » Je ne sais pas quelle est l'attitude majoritaire de l'opposition iranienne sur ces sujets. Je crois savoir qu'il y a même des débats au sein de la population sur le fait de savoir si les sanctions sont une bonne ou une mauvaise chose.
En revanche, ce que je sais, c'est que dans tous les cas de figure, même s'il n'y avait pas de sanctions économiques, la population iranienne souffre déjà très fortement de la mauvaise gestion économique, même calamiteuse, des administrations successives depuis 2005, et que là, la communauté internationale n'y est pour rien.
Pour sortir de ce dilemme, je dirais que la moindre des choses qu'on puisse faire, même si on ne peut pas résoudre totalement ce dilemme, c'est de faire savoir très clairement à la population iranienne que nous ne pensons pas seulement au nucléaire et que nous pensons aussi aux droits de la personne et à la démocratie en Iran.
C'est un équilibre difficile, car si nous insistons trop sur la démocratisation de l'Iran, nous pouvons donner le sentiment au Guide suprême que finalement, les occidentaux veulent un changement de régime. Et si nous donnons ce sentiment au Guide suprême, les chances d'un accord sur le programme nucléaire peuvent en être réduites. Ce dilemme est vraiment extraordinairement difficile.
Je suggère que la moindre des choses, c'est de donner des témoignages de la part des gouvernements — notamment des pays occidentaux, attachés aux droits de l'homme et à la démocratie — comme quoi nous ne sommes pas uniquement intéressés par le nucléaire — mais que l'avenir de ce pays nous intéresse au plus haut point et nous soutenons, au moins par les intentions, le relâchement de l'emprise que fait peser ce régime aujourd'hui sur sa population. J'ajoute que cela ne s'arrange pas, puisque c'est même pire que c'était en 2009.
Le sénateur Nolin : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Frum : Merci, monsieur Tertrais. Je me demande si vous pouvez nous parler de la situation en France, si vous avez quelque chose à dire à ce sujet. Je ne sais pas si vous convenez que le président Sarkozy était l'un des plus vigoureux défenseurs des sanctions au nom de l'UE. Je crois qu'il est juste de dire qu'il a vraiment mené le débat. Y aura-t-il un changement de cap avec l'arrivée du président Hollande?
M. Tertrais : Pour tout vous dire, j'ai participé à la campagne de Hollande, et la question de l'Iran est l'un des sujets sur lesquels je lui ai donné des conseils.
Au cours des six derniers mois, le candidat n'a rien dit publiquement à propos de l'Iran qui annonce un changement clair dans la politique française sur l'Iran. Je pense qu'Hollande comprend très bien les enjeux à ce sujet. Si vous avez suivi ce qu'il a dit ou écrit sur l'Iran, vous avez peut-être constaté qu'à deux occasions, il a fait référence à ce que je disais tout à l'heure, au fait que nous ne devrions pas oublier la situation des droits de la personne et de la démocratie en Iran, que la question nucléaire ne devrait pas nous faire oublier que nous avons certaines valeurs et que nous chérissons les mêmes valeurs et intérêts que les Iraniens qui souhaitent que leur pays soit plus démocratique.
Je ne peux pas parler en son nom. J'ignore ce qu'il en est, et je ne peux parler en son nom à ce moment-ci et certainement pas après mardi. Toutefois, pour les mois qui viennent, je ne vois aucun signe ou aucune raison de croire qu'il y aura un changement de politique, même si son style est peut-être un peu différent sur cette question comme pour d'autres. Son style et sa façon de s'exprimer publiquement pourraient être un peu différents. Pour ce qui est de la politique, je ne m'attends à aucun changement.
Le sénateur Johnson : Bienvenue. Un témoin qui a comparu avant vous a dit que l'Iran n'a pas décidé de construire une bombe, mais je sais que vous avez dit le contraire dans un article, The 10 Reasons Why We Know Iran Wants the Bomb. Vous avez dit que son programme nucléaire allait à l'encontre de ses prétendus objectifs civils, et qu'il correspondait à des objectifs militaires.
Pourriez-vous nous donner des précisions sur ce que vous avez dit, s'il vous plaît, et sur la différence entre le contenu des deux exposés qui nous ont été présentés aujourd'hui?
M. Tertrais : Absolument. Les mots utilisés ont de l'importance, et parfois, les gens ne font pas référence aux mêmes choses lorsqu'ils parlent d'un programme, d'une capacité ou d'une arme nucléaires. Permettez-moi de préciser les choses le plus possible.
Tout d'abord, je le répète, nous ne savons pas ce que l'Iran a décidé de faire. Je mets au défi n'importe quel spécialiste ou représentant du gouvernement de me prouver, pour ainsi dire, qu'il ou elle sait ce que l'Iran a décidé de faire. Nous l'ignorons. Je serais très étonné d'apprendre que nos services de renseignements connaissent les décisions de l'Iran en détail.
À ce moment-ci, je dirais que l'on peut supposer que l'Iran veut du moins être en mesure de construire une bombe en très peu de temps, ce qui peut vouloir dire en quelques jours ou en quelques mois. Je ne le sais pas. Je ne peux pas vous donner de réponse précise.
Toutefois, votre question me permet de revenir à ce que l'histoire nous a appris. Encore une fois, l'une des raisons pour lesquelles je doute que l'Iran ne franchisse pas le seuil, c'est que j'ai vu ce que d'autres pays ont fait au fil des ans. Lorsqu'on investit autant dans le nucléaire, il devient trop tentant d'aller jusqu'au bout et de franchir le seuil. Bien entendu, les seuls pays qui se sont abstenus de le faire — et qui avaient investi autant dans le nucléaire que l'Iran — en ont été empêchés par des événements extérieurs. Les deux exemples en question sont ceux du Brésil et de l'Irak. Un changement de régime a empêché le Brésil de franchir le seuil. Dans le cas de l'Irak, c'est l'intervention internationale de 1991, et non celle de 2003, qui a empêché le pays de poursuivre son programme d'armes nucléaires. Mis à part ces deux exemples, tous les autres pays ont fini par franchir le seuil tôt ou tard, notamment l'Afrique du Sud, le Pakistan, l'Inde et mon pays, la France.
Pendant une longue période, dans les années 1950, le programme nucléaire français s'est poursuivi sans orientation politique réelle, jusqu'en 1958. La comparaison est intéressante, car cela veut dire que par défaut, le programme se poursuit jusqu'à ce qu'on arrive au seuil, et c'est à ce moment-là qu'une décision politique doit être prise. Je ne veux pas faire de comparaison entre la France et l'Iran, mais encore une fois, l'histoire de la prolifération nucléaire nous éclaire de façon intéressante.
Je terminerais en disant que nous devrions nous abstenir de comparer l'Iran et le Japon. Les Iraniens le font parfois, et c'est inapproprié et erroné. Rien ne prouve que le Japon mène des activités pour développer des armes nucléaires.
Le Japon est le pays faisant l'objet du plus grand nombre d'inspections de l'AIEA. À ce que je sache, l'AIEA n'a jamais trouvé de preuves selon lesquelles le Japon mène des activités visant à développer des armes. Le pays a un programme d'enrichissement de l'uranium et a les installations lui permettant le retraitement de combustible nucléaire; toutefois, d'un point de vue économique et technique, il les utilise légitimement, ce qui n'est pas le cas de l'Iran.
Enfin, même si, sur le plan technique, le Japon a l'espace qu'il pourrait transformer pour des fins militaires, pour l'instant, rien ne prouve qu'il ait fait les essais lui permettant de le faire rapidement. Pour toutes ces raisons, je mets en doute la comparaison entre l'Iran et le Japon.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : En tout premier lieu, monsieur Tertrais, je voudrais vous remercier pour nous avoir donné votre point de vue.
Le programme balistique iranien ne présente pas pour le moment de menace pour l'Europe et les États-Unis, a déclaré jeudi dernier Michel Miraillet, directeur chargé des affaires stratégiques au ministère français de la Défense, lors d'une conférence sur la défense antimissile tenue à Moscou. Que pensez-vous de cette déclaration? Ne trouvez- vous pas qu'il est vraiment très ou trop confiant?
M. Tertrais : Merci pour cette question. N'ayant pas été présent à cette conférence, je ne peux pas confirmer ses propos qui demandent à être vérifiés. Je connais très bien M. Miraillet et je connais ses évaluations très fines sur la question. Ce qui est exact, c'est de dire qu'aujourd'hui, l'Iran n'a pas encore la capacité de menacer par des moyens balistiques ni le continent nord-américain, ni la plus grande partie de l'Europe.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Vous avez parlé de quatre bonnes nouvelles et j'en étais bien heureuse de les entendre. Mais quelles seraient les conséquences d'une attaque militaire d'Israël contre l'Iran?
M. Tertrais : On peut réfléchir, on peut faire des scénarios. La vérité, à mon avis, c'est que personne ne sait exactement ce qui se passerait. Il y aurait une riposte iranienne évidemment. De quelle nature et de quelle ampleur, c'est très difficile à savoir. On ne peut pas partir du principe que l'Iran pourrait mobiliser ses alliés, notamment le Hezbollah, pour des représailles immédiates. Je pense que la relation entre le Hezbollah et l'Iran est aujourd'hui plus complexe que cela. Mais il y aurait une riposte iranienne.
La question est plutôt la suivante : Que se passerait-il après la riposte iranienne? Et là on entrerait dans un jeu très dangereux et très incertain. Mais je peux imaginer qu'un pays comme les États-Unis signifierait à l'Iran qu'il ne doit pas franchir certains seuils d'agression dans sa riposte, car pour le coup, c'est son propre régime qui risquerait d'être mis en danger par une éventuelle riposte américaine à la riposte iranienne.
Je crois que c'est ce qu'on appelle des plans sur la comète. Je pense qu'il est très difficile de prédire les conséquences exactes d'une action israélienne. Ce que je peux vous dire, en revanche, de mon point de vue en tout cas, c'est deux choses très brièvement : la première, c'est qu'il vaudrait mieux, à tout prendre, une action militaire des États-Unis qu'une action militaire d'Israël, pour des raisons d'efficacité et pour des raisons politiques.
À tout prendre, je ne soutiens aucunement ni l'une ni l'autre. Mais je dis que si un jour un pays devait prendre cette lourde responsabilité, il vaudrait mieux que ce soit les États-Unis plutôt qu'Israël. Au moins, il y aurait une certitude d'effets majeurs sur le programme iranien; avec Israël, c'est moins certain.
Même si je ne soutiens pas l'idée d'une action militaire contre l'Iran, je ne suis pas sûr qu'à très long terme les conséquences d'un Iran nucléaire ne soient pas pires que celles d'une frappe contre l'Iran. Encore une fois, je n'ai pas de certitude et c'est la terrible responsabilité des hommes et femmes politiques de prendre des décisions dans l'incertitude, sans connaître les conséquences à long terme de leurs actions. À très long terme, l'existence d'un Iran nucléaire serait pire que les conséquences d'une frappe contre l'Iran.
Le sénateur Robichaud : Bonjour monsieur Tertrais. Vous avez parlé des sanctions et de leur efficacité et que vous n'étiez pas en position de dire de quelle façon ou quel effet cela avait sur la population. Est-ce qu'à un moment donné, si on devait intensifier ces sanctions, cela pourrait avoir l'effet de tourner la population contre la communauté internationale et d'autre part, augmenter l'appui au régime actuel, sans compter, bien sûr, le fait qu'ils veulent développer leur programme nucléaire?
M. Tertrais : Merci, monsieur le sénateur. Je vais peut-être commencer par la fin de votre question. Je crois que malheureusement, un effet pervers de l'opération contre la Libye, que j'ai personnellement soutenue, a été sans doute de conforter ceux qui en Iran souhaitent que l'Iran se dote de l'arme nucléaire. Un de mes amis qui a fait un film très bien documenté sur l'opération libyenne a interviewé la dernière personne qui a parlé au colonel Kadhafi avant son départ de Tripoli à la fin du mois d'août. Et cette personne, qui est un ami russe de Kadhafi, a recueilli le témoignage de Kadhafi qui dit : « Je n'aurais pas dû abandonner mon programme nucléaire parce si j'avais eu l'arme nucléaire, les Occidentaux ne m'auraient pas attaqué. » Il est à craindre qu'un effet pervers de l'opération libyenne ait été de conforter ceux qui, à Téhéran, souhaitent aller jusqu'à la bombe. Même si depuis 20 ans, je crois, la logique du programme iranien était plus politique que militaire, je crois que c'était un projet de prestige, d'influence, de projection de puissance plus qu'un projet de dissuasion. Peut-être qu'aujourd'hui l'intérêt pour un instrument de dissuasion est plus important qu'il ne l'était auparavant.
Sur les sanctions, si je puis me permettre, avant d'envisager ou de proposer de nouvelles sanctions, je crois qu'il est plus important que les sanctions existantes soient appliquées pleinement. Que les sanctions de l'ONU soient appliquées par tous les membres de l'ONU et que les sanctions informelles volontaires soient appliquées par le plus grand nombre possible. Il me semble que c'est plus important que d'envisager de nouvelles sanctions.
Pour répondre au début de votre question directement, les risques de voir la population iranienne soutenir ou se rallier derrière le régime existait au début des années 2000.
Je pense que ce risque n'existe plus aujourd'hui. D'après ce que je comprends de l'évolution de la société iranienne, le ras-le-bol, comme on dit, vis-à-vis du régime est très présent, même si l'activisme politique n'est pas très fort. Je crois que les sanctions ont beaucoup plus de chance de tourner la population contre le régime que de tourner la population vers le régime. Encore une fois, je n'aurais peut-être pas dit la même chose en 2003 ou en 2004. Nous ne sommes plus en 2003 ou en 2004, beaucoup de choses ont changé sur les plans économique, sociétal et politique en Iran. C'est le même régime, mais il s'est beaucoup radicalisé depuis 2005, et surtout depuis 2009.
Le sénateur Robichaud : Je vous remercie.
[Traduction]
La présidente : Je n'ai qu'une question, et j'espère que vous pourrez y répondre rapidement.
Pensez-vous qu'Israël a la capacité de frapper seul l'Iran s'il jugeait qu'il est nécessaire de le faire, ou croit-il que l'aide des États-Unis est nécessaire pour réussir?
M. Tertrais : Madame la présidente, il est malheureusement très difficile de répondre simplement par oui ou non. Cela dépend de ce à quoi le premier ministre s'attend de ses forces armées exactement. Il ne s'agit pas d'anéantir le programme nucléaire iranien. C'est une question que je peux résumer comme suit. Supposons que je suis le premier ministre israélien. Je demanderais à mes chefs militaires et à mes responsables des renseignements ce qu'ils peuvent me garantir. Je crois que la réponse est de deux ou trois ans. C'est l'une des raisons pour lesquelles le jeu n'en vaut pas la chandelle à ce moment-ci.
Les États-Unis ont la capacité de causer beaucoup plus de dommages au programme nucléaire iranien qu'Israël. Je ne peux pas en dire davantage, car il me manque certaines données; à savoir, ce que les Israéliens peuvent faire pour ce qui est des activités non cinétiques, comme on dit dans le jargon. Jusqu'à maintenant, les activités non cinétiques ont bien fonctionné. Je parle surtout des virus, et de divers autres actes de sabotage. Les assassinats sont une question et un problème qui concernent d'autres parties en Israël.
En tout cas, j'ignore ce que les Israéliens peuvent faire exactement, mais je sais que sur le plan militaire, ils ont beaucoup moins de capacités que les Américains.
La présidente : Merci. Je pense que le comité est également d'avis qu'il est préférable que dans la mesure du possible, on n'en vienne pas là. Nous surveillons les mesures et les réactions de l'Iran, mais aussi celles de l'Europe et de toute la région. C'est un terrain complexe; c'est une question complexe, et les conséquences à l'échelle mondiale sont très graves.
Nous vous remercions de nous avoir informés et d'avoir répondu à nos questions. Votre témoignage nous sera très utile dans la poursuite de note étude.
Merci, monsieur Tertrais.
M. Tertrais : Merci, madame la présidente.
(La séance est levée.)