Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 26 - Témoignages du 23 mai 2013
OTTAWA, le jeudi 23 mai 2013
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie- Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes.
Le sénateur Percy E. Downe (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, le président a malheureusement dû s'absenter aujourd'hui. C'est donc moi, à titre de vice-président, qui le remplace. Je vous demanderais votre coopération pour que la réunion se déroule bien.
Aujourd'hui, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit son étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes.
Nous accueillons aujourd'hui à Ottawa M. Palamar, chercheur au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale. Je crois savoir, monsieur Palamar, que vous allez prononcer de brèves remarques liminaires, et je vous demanderais de le faire maintenant.
Simon Palamar, chercheur, Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale : Merci de m'avoir invité à témoigner devant vous.
Je vais vous donner un bref aperçu d'une question qui, selon moi, mérite d'être soulignée et vous proposer le contexte dans lequel toute discussion future concernant la politique canadienne à l'égard de l'Asie devrait être abordée. Il s'agit précisément de l'émergence de la Chine, qui a relativement intéressé les médias et la presse. Chose intéressante, on s'interroge à savoir si elle se produira et l'importance qu'aura la Chine au plan économique d'ici 20 ans. Ces types de prévisions ne donnent pas toujours lieu à des débats constructifs, car il n'y a aucune façon de savoir si on a raison avant qu'elles se concrétisent.
À la place, je dirais que l'émergence de la Chine — appelons-la ainsi — s'est déjà produite. La Chine a connu une croissance économique extraordinaire au cours des 20 dernières années. Dans une décennie à peine, sa part de la richesse mondiale est passée de 5 à 10 p. 100.
Les dépenses militaires de la Chine représentent 8 p. 100 des dépenses militaires mondiales. C'est donc dire que l'écart marqué entre la Chine et les États-Unis au plan de la richesse et des capacités militaires d'il y a 30 ans — époque où les États-Unis dominaient parmi les pays du Pacifique — a changé.
La Chine ne dépassera pas les États-Unis au plan de la richesse par habitant, des dépenses militaires ou de l'influence politique dans le monde dans un avenir proche, mais il faut savoir que l'écart entre les deux s'est resserré. Nous voyons maintenant une Chine plus affirmée, confiante et riche qu'avant et qui, de toute évidence, cherchera à protéger et à faire valoir ses intérêts considérables dans la région.
Nous avons vu qu'il a fallu du temps dans le reste de la région pour que cette réalité rattrape bien des gouvernements asiatiques ainsi que le gouvernement américain. C'est seulement au cours des deux ou trois dernières années que cette réalité nous a rattrapés au Canada. On observe un certain nombre de tendances troublantes.
On a eu l'impression, en fait, que les pays d'Asie ne se font pas concurrence au plan de la sécurité. Si l'on étudie simplement les données — et je m'appuie habituellement sur nombre de données importantes pour tirer mes conclusions — nous constatons soudainement une hausse des dépenses militaires dans bien des pays autour de la Chine, à l'extrémité de l'Asie, au Vietnam et en Indonésie. Nous constatons que le Japon prend des mesures plus décisives dans un certain nombre de dossiers. Nous avons observé des dépenses militaires stables à Taiwan et en Corée où, après la guerre froide, la majeure partie des dépenses militaires ont chuté de façon dramatique. Dans quelques pays, elles sont restées assez stables en fait et ont le potentiel de croître.
Nous avons vu un malaise face à la richesse et aux pouvoirs militaires émergents de la Chine. Au Japon, en Corée du Sud et en Australie, la question de savoir si la Chine constitue une menace a fait l'objet de débats sérieux, mais pas encore au Canada. Il y a une partie de moi qui se demande s'il ne serait pas temps de le faire. Je ne dis pas que je crois que la Chine représente une menace, mais il est important d'envisager ce qu'implique cette éventualité.
Ce qui compte le plus pour le Canada, c'est que les États-Unis sont au fait de cette réalité et leur département de la défense a réorienté sa politique globale en ce qui touche le Pacifique. Les États-Unis traversent une période prolongée de croissance lente; quoi qu'il en soit, ils ont décidé d'affecter des ressources militaires au maintien de leur prédominance dans le Pacifique. Ce n'est pas tant pour contenir la Chine que pour rassurer ses alliés dans la région qui craignent la prise de mesures impulsives ou plus fermes contre la Chine, qu'ils trouvent menaçante.
Pour ce qui est du Canada, ses intérêts en Asie sont principalement commerciaux et économiques. Le Canada n'a jamais joué un rôle important au plan géopolitique intra-asiatique. L'enjeu, toutefois, est de protéger ces intérêts; de trouver une façon de tirer parti de la classe moyenne grandissante en Chine, en Inde et au Vietnam; et de trouver une façon de pénétrer les marchés de cette région sur fond de concurrence pour la sécurité et l'influence.
Le grand risque que j'entrevois ici n'est pas une guerre chaude ou même froide en Asie. Il est très peu probable que ces événements surviennent. Le risque réside plutôt dans les conflits susceptibles de s'intensifier comme celui des îles Diaoyu-Senkaku. Nous voyons ces pays faire des liens entre les questions comme la souveraineté sur les voies maritimes, et les restrictions des échanges commerciaux sont dans l'ordre du possible. Le Canada pourrait être confronté à une situation dans laquelle il est contraint de choisir son camp ou de donner son appui politique à un pays plutôt qu'à un autre.
La relation entre l'Inde et la Chine offre un autre exemple de conflits mineurs, notamment en ce qui concerne la mainmise sur la ligne de contrôle dans l'Himalaya. Qu'arriverait-il si ce conflit devait prendre de l'ampleur? Sans finir en conflit armé, l'on pourrait se retrouver dans une situation où chaque partie fait des manœuvres pour avoir de l'influence et essaie de protéger ses intérêts, peut-être en tissant des liens entre les questions. Nous l'avons vu par le passé. Nous avons vu des différends concernant des bâtiments de pêche qui tournent immédiatement en conflits concernant les importations et exportations des terres rares entre la Chine et le Japon.
Cela dit, on a toujours l'option de ne pas se mêler de politique intra-asiatique. Le Canada n'a pas d'engagements officiels en Asie, ou très peu comparativement aux États-Unis, qui s'est engagé à assurer la sécurité de la Corée du Sud, du Japon et d'autres pays. Je pense que le Canada a eu cette option. Cependant, si le gouvernement canadien veut privilégier une approche plus dynamique et tenter de prendre des mesures pour réduire la probabilité d'une intensification de la concurrence dans la région afin de ne pas avoir à choisir son camp dans un différend concernant les voies maritimes — la liberté de navigation dans les voies maritimes serait, par exemple, un intérêt clé du Canada dans la région — toute percée canadienne dans la région devrait ensuite être vue comme étant sérieuse et devrait donner des avantages tangibles à certains des gouvernements de là-bas.
Qu'il s'agisse d'une réputation méritée ou non, j'ai l'impression que le Canada n'a pas beaucoup de crédibilité auprès des gouvernements des pays qui longent la côte asiatique. Par le passé, le Canada a participé à des efforts de médiation informels pour apaiser des tensions dans la mer de Chine méridionale, mais il s'en est retiré et a maintenant perdu sa crédibilité.
Si le Canada devait participer à un effort pour apaiser les tensions ou trouver des solutions aux différends territoriaux en cours ou latents dans la région, il lui faudrait avoir des enjeux. Il ne suffit pas d'être l'intermédiaire impartial et de proposer de bons offices. Il faut faire quelque chose comme donner une preuve crédible que le Canada est intéressé et disposé à investir du capital politique ou, tout simplement, de l'argent.
Je pense que c'est la situation stratégique que nous voyons là-bas en ce moment. Il s'agit d'une partie du monde, si vous partez de l'Inde en passant par la Chine et remontez la côte du Pacifique et celle de l'océan Indien, qui est plus peuplée que le reste de la terre. Elle représente le futur de l'innovation, de la demande suscitée par les consommateurs et de la croissance économique. En termes simples, le Canada veut y participer.
Le défi est de trouver une façon de pénétrer le marché et de protéger ces intérêts si la concurrence qui couve et qui est presque latente s'accentue légèrement. Ce serait le genre de dilemme ou de scénario auquel, selon moi, nous devons réfléchir.
Le vice-président : Merci de vos commentaires intéressants et informatifs. J'ai déjà une liste de sénateurs qui ont des questions à poser. Cependant, avant que nous leur donnions la parole, j'aimerais souhaiter la bienvenue à notre prochain invité qui, grâce à la technologie, se joint à nous depuis Vancouver ce matin, où il est très tôt. Je suis certain que nous vous savons tous gré d'être venus aussi tôt pour participer à notre réunion. M. Woo est président et chef de la direction de la Fondation Asie Pacifique du Canada. Je présume que vous avez des remarques liminaires à prononcer. Nous vous écoutons.
Yuen Pau Woo, président et chef de la direction, Fondation Asie Pacifique du Canada : Merci, monsieur le président. C'est un plaisir de m'adresser à nouveau au comité. J'aimerais commencer par faire quelques remarques concernant la situation économique actuelle et certains développements politiques en Asie. Je parlerai ensuite brièvement de l'état de la relation Canada-Asie et de ce que d'autres pays de l'OCDE et du G8 font pour réagir à l'émergence de l'Asie.
Je ne pense pas avoir à vous énumérer les données types concernant l'importance croissante de l'Asie dans l'économie mondiale. Vous connaissez tous le poids de l'Asie, dirigée par la Chine, l'Inde et le Japon, dans l'économie mondiale. Ce sur quoi je veux insister est le fait que, à l'heure actuelle, nous constatons non seulement une croissance vigoureuse en Asie, mais aussi une transformation économique qui sera cruciale pour les intérêts canadiens de demain.
Je fais allusion aux efforts que déploie le gouvernement chinois pour diminuer sa dépendance aux exportations et aux investissements en vue d'accroître plutôt ses dépenses intérieures, notamment pour financer les services sociaux et répondre à la demande des consommateurs. Ce gouvernement n'a pas seulement pris conscience du fait que l'économie mondiale est incapable d'absorber toutes les marchandises que la Chine aimerait exporter dans le monde, mais aussi du fait que le modèle de développement chinois n'a pas généré les types d'avantages qui lui garantiraient le soutien de la population.
Bien entendu, la Chine, qui est un État à parti unique autoritaire, dérive sa légitimité non pas de la boîte de scrutin en tant que telle, mais de son rendement économique. Nous en sommes maintenant au stade où le parti prend conscience du fait qu'il doit faire bénéficier davantage la population chinoise des effets de la croissance économique. Il le fait par l'entremise d'une série de mesures visant à délaisser les exportations et les investissements comme sources de croissance au profit de la demande intérieure. Cela signifie, en gros, qu'il se concentre davantage sur ce que j'appellerais les produits et services associés à la qualité de vie et, par conséquent, sur l'infrastructure souple. Il s'attachera davantage à la sécurité et la qualité des produits et à la normalisation, ainsi qu'à l'éducation, aux soins de santé, à la sécurité sociale et à la répartition des revenus et des richesses dans tout le pays. Ce n'est pas une mince affaire, mais les Chinois n'ont vraiment pas d'autre choix que de suivre cette voie s'ils veulent continuer de sortir la population de la pauvreté pour satisfaire les aspirations d'un nombre croissant de résidents urbains de la classe moyenne et combler le désir de libertés accrues dans tout le pays.
Il n'y a pas que la Chine qui vit une période de transformation économique. Au cours des derniers mois, nous avons bien sûr entendu parler des efforts que déploie le premier ministre Abe pour relancer l'économie japonaise. C'est une expérimentation très audacieuse dont nous ne connaissons toujours pas les résultats, bien entendu. Si les Japonais réussissent à relancer leur économie, à instaurer de l'inflation et à stimuler les dépenses des consommateurs, ce qui encouragera ensuite les investissements d'entreprises au pays et les nouveaux prêts pour financer des projets au Japon, nous espérons que leurs efforts revitaliseront leur économie, ce qui profitera non seulement au reste du monde grâce à une hausse de la demande provenant de ce pays, mais créera aussi une nouvelle dynamique dans la région. Au cours des deux dernières décennies, nous avons vu la Chine, bien sûr, et l'Inde dans une moindre mesure, s'élever presque seules dans la région aux dépens, d'une certaine façon, du Japon. Les Japonais estiment vraiment avoir été laissés pour compte non seulement par la Chine, mais aussi par la Corée dans une certaine mesure et, si leurs efforts de revitalisation sont couronnés de succès, ils auront une incidence tant sur les plans économique que politique.
Dans le reste de la région, nous constatons aussi un effort concerté de réformer l'économie. Le débat à l'échelon économique suivant porte sur ce qu'ils appellent échapper au piège des pays à revenu intermédiaire. Nous parlons de pays comme la Malaisie, la Thaïlande et, dans une moindre mesure, des Philippines et de l'Indonésie, des pays qui ont déjà réalisé des progrès remarquables sur le plan économique et grandement amélioré leur qualité de vie. Cependant, ils ont du mal à passer à l'échelon suivant du développement économique caractérisé par une classe moyenne plus aisée, une urbanisation accrue, une plus grande valeur ajoutée dans leur secteur manufacturier et une expansion de leur secteur des services, toutes les choses avec lesquelles les économies occidentales ont dû composer lorsqu'elles sont passées de la période de l'industrialisation à une période plus axée sur les services et les questions liées à la qualité de vie. Le fait que ces économies réussissent à échapper au piège des pays à revenu intermédiaire aura, encore une fois, une incidence très importante sur l'économie mondiale. Il jouera aussi un rôle très important dans le repositionnement du pouvoir politique vers l'Asie.
Il y a des retardataires, si vous voulez, dans le scénario de la croissance économique et il y en a toujours dans le monde, notamment en Asie, dont le Myanmar est le meilleur exemple. Il est isolé du reste du monde depuis un certain nombre de décennies. Les aspirations du peuple birman ont été réprimées. Il traverse maintenant une période de renouveau politique et économique présentant de multiples difficultés. Cela dit, je suis persuadé que le gouvernement et l'opposition birmans sont déterminés à instaurer des changements rapides au Myanmar, qui a le potentiel de devenir un joueur important dans l'Asie du Sud et du Sud-Est.
Les choses bougent sur trois plans : premièrement, la Chine essaie de délaisser ses sources traditionnelles afin de réorienter la demande et la croissance vers un style de croissance plus équilibré et axé sur la valeur ajoutée; deuxièmement, les pays à revenu intermédiaire ou à revenu intermédiaire de la tranche inférieure essaient de progresser; et troisièmement, les pays les moins développés cherchent à combler l'espace que libéreront les pays à revenu intermédiaire.
Tous ces bouleversements économiques sont placés dans le contexte de l'émergence de l'Asie et de l'assurance croissante que prennent les pays asiatiques pour défendre leurs intérêts, tant aux plans économique que territorial, ainsi que, paradoxalement peut-être, du souhait des économies asiatiques de se grouper et de trouver des façons d'exprimer le régionalisme asiatique par le truchement de nouvelles institutions. Je mettrai moins l'accent sur la confiance et le conflit. Le témoin précédent a soulevé certaines de ces questions. Je ne m'inquiète pas trop des conflits territoriaux dans la région, même si je suis disposé à en parler.
Je tiens à attirer votre attention sur le régionalisme naissant en Asie, qui est toujours expérimental, mais qui émerge sous forme d'institutions comme le Sommet de l'Asie de l'Est; l'ANASE Plus Trois; plus récemment, un nouvel accord commercial que l'on appelle le Partenariat économique intégral régional; le Forum régional de l'ANASE, bien entendu, dans une moindre mesure; et le Dialogue de Shangri-La pour les ministres de la Défense. Ce sont tous des efforts entrepris par les Asiatiques en vue de la création d'institutions régionales pour la gouvernance des enjeux de la région sur le plan de l'économie, le domaine militaire et la sécurité, mais cela pourrait avoir une incidence sur la gouvernance à l'échelle internationale aussi. Il serait judicieux de ne pas ignorer ou de ne pas demeurer à l'écart de ces tribunes. En effet, comme je l'ai indiqué, les Asiatiques ont certainement le potentiel de changer les règles du jeu et d'avoir une incidence sur la gouvernance, pas seulement à l'échelle régionale, mais aussi à l'échelle mondiale.
Permettez-moi de passer rapidement à la relation entre le Canada et l'Asie. C'est un sujet important. Ce dont je veux vous faire part, c'est que nous avons connu une très bonne période, surtout depuis 2008 et la période de la grande récession, lorsque la demande de l'Asie — celle de la Chine, en particulier — a essentiellement empêché l'économie canadienne de sombrer dans une récession encore plus grave. À titre d'exemple, les achats de produits du bois par la Chine ont aidé l'industrie forestière de cette partie du pays et aussi au Québec, dans une certaine mesure, à éviter la catastrophe. Il en va de même pour beaucoup d'autres industries des ressources naturelles.
En ce qui a trait aux échanges commerciaux entre le Canada et l'Asie, l'étape facile est terminée. Nous avons été en mesure de modifier la demande, si vous voulez, ou d'opérer, pour nos exportations, une transition des États-Unis vers l'Asie en expédiant des produits sans grande modification ou effort, pour ainsi dire. Si vous acceptez ce que je dis concernant la transformation en Chine et dans les pays à revenu intermédiaire, quant à savoir dans quelle mesure le Canada tirera avantage des marchés asiatiques, la prochaine étape nécessitera beaucoup plus d'effort. Cela signifie qu'il ne faudra pas se contenter d'expédier un conteneur de cuivre à une destination Y en Chine plutôt qu'à une destination X aux États-Unis. Cela signifie qu'il faudra personnaliser les produits manufacturés pour les marchés asiatiques. Cela signifie que pour vendre des services dans ce marché, il faut comprendre les aspects sociaux, culturels et politiques de l'Asie. Cela signifie qu'il faut comprendre que les besoins en matière de soins de santé en Asie ne sont pas les mêmes qu'en Amérique du Nord, et cetera.
Je crains que pour l'établissement de liens économiques plus forts avec l'Asie, la partie difficile ne soit pas seulement que nous devrons travailler plus fort en Asie, mais que nous devrons aussi travailler beaucoup plus fort ici même, au Canada. Cela s'explique par le fait que nous constatons, grâce à la recherche de la Fondation Asie Pacifique du Canada, une antipathie continue et même croissante, voire une résistance, envers l'établissement de liens plus étroits avec l'Asie.
La semaine prochaine, nous allons publier un sondage national sur les attitudes et les opinions des Canadiens envers l'Asie. En guise de résumé des résultats du sondage, il faut savoir que même si les Canadiens comprennent que l'Asie est importante et que la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée et l'Indonésie joueront tous un rôle crucial pour la prospérité du Canada, les Canadiens ne sont pas prêts à accepter les changements nécessaires et ils continuent de craindre et même d'être contre l'établissement de liens économiques plus étroits avec l'Asie, comme les investissements d'entités asiatiques, y compris les sociétés d'État, les accords de libre-échange et les accords en matière d'investissement avec les pays de l'Asie, et ainsi de suite.
Il y a beaucoup de travail à faire, pas seulement en Asie — promotion du commerce, marketing et visites ministérielles —, mais aussi par rapport au renforcement des capacités du Canada de façon à acquérir les compétences nécessaires pour connaître du succès en Asie et à la formation de la prochaine génération de Canadiens sur les questions asiatiques.
En terminant, nous sommes en mode « rattrapage » en Asie. Bien entendu, nous tentons de rattraper nos partenaires asiatiques, mais nous essayons aussi de rattraper nos partenaires du G8. Le témoin précédent a mentionné que les Américains procèdent à un rééquilibrage vers l'Asie, ce que l'on appelait auparavant le pivot. Ce n'est pas seulement un rééquilibrage sur le plan militaire. C'est aussi une démarche exhaustive qui englobe un accent sur l'Asie sur les plans économique et diplomatique. Les Européens font de même.
Les Australiens ont entrepris cela depuis longtemps et ont depuis peu présenté un livre blanc sur la stratégie en Asie. Permettez-moi de conclure en vous parlant de deux ou trois aspects tirés de ce livre blanc.
Le livre blanc de l'Australie mentionne l'objectif suivant : d'ici 2020, je crois, tous les étudiants australiens auront l'occasion d'apprendre une langue asiatique tout au long du parcours scolaire, de la maternelle à la 12e année. Chaque étudiant australien aura d'occasion d'apprendre une langue asiatique.
Un autre objectif établi dans le livre blanc de l'Australie, c'est que tous les conseils d'administration des sociétés australiennes devront s'assurer d'avoir dans leur effectif des membres qui ont une expérience et une connaissance directes de l'Asie, de façon à ce que ces entreprises puissent être liées à la région, grâce à des conseils, à l'expérience acquise et aux contacts établis. Il ne s'agit pas seulement de connaissances abstraites, mais aussi d'expériences réelles.
Il ne s'agit là que de deux des nombreuses recommandations du livre blanc de l'Australie, qui témoigne de leur engagement à tisser des liens plus forts. Je pense que nous devons entreprendre une réflexion quant à la préparation d'une stratégie canadienne.
La sénatrice Ataullahjan : J'ai deux questions. J'ai une question pour vous, monsieur Palamar. Nous avons parlé des difficultés concernant l'établissement d'une relation politique et économique avec certains pays de la région de l'Asie- Pacifique, étant donné que nous avons des valeurs distinctes. La Chine serait un exemple. Étant donné que votre recherche porte sur la gouvernance, j'aimerais connaître votre point de vue sur l'évolution future du système politique de la Chine et sur l'incidence que cela aura sur sa relation avec le Canada.
M. Palamar : C'est une bonne question. Je dirais que si nous nous attendons à ce qu'il y ait des changements dans le système politique chinois à l'avenir, ils seront progressifs. Je ne prévois pas de démocratisation soudaine. Tant que l'économie chinoise continue d'être rentable et de permettre la distribution de la richesse — comme l'a indiqué le dernier témoin —, que le rééquilibrage axé sur le consommateur est une réussite, que l'on observe la mise en place d'un filet de sécurité sociale amélioré et d'un meilleur régime d'assurance-maladie en Chine et que les Chinois sont en mesure de régler le problème de chômage émergeant, je crois que l'actuel système politique est plutôt durable.
Si ces conditions ne sont pas satisfaites, il devient alors beaucoup plus difficile de faire des prévisions. On pourrait voir une demande croissante en matière d'ouverture et de reddition de comptes envers le gouvernement s'il n'arrive pas à respecter cette promesse implicite.
Je pense que les conséquences pour le Canada ne sont pas très claires. Cependant, si la croissance se maintient, non pas au rythme effarant que nous avons observé ces dernières années, parce que je pense que la Chine a dépassé cette étape de son développement — et j'aimerais bien entendre ce que les autres témoins ont à dire à ce sujet —, mais à un rythme raisonnable qui limite la croissance du chômage et qui permet aux Chinois d'obtenir une certaine hausse du niveau de vie d'année en année, alors l'aspect important pour le Canada, c'est que cela rend la situation politique prévisible. Nous avons une bonne idée de ce que seront les conditions dans un an et de la façon dont pourrait agir le gouvernement dans un an. La prévisibilité est utile.
Quant à savoir si je crois qu'il y aura entre le Canada et la Chine une convergence des attitudes culturelles, des attitudes sur les droits de la personne ou du discours politique, rendant ainsi la relation plus facile, je ne l'entrevois pas. Mes collègues me considèrent comme plutôt pessimiste à cet égard. Je pense que si nous constatons que cette croissance se maintient à un rythme raisonnable, cela ajoutera alors un haut degré de prévisibilité, ce qui est utile en soi. Si cela ne se produit pas, alors je ne vois pas nécessairement cela comme une bonne chose qui favoriserait le rapprochement des relations sino-canadiennes sur le plan gouvernemental. Le gouvernement chinois sera très préoccupé par la satisfaction des besoins de ses propres citoyens et le maintien de sa crédibilité et de sa légitimité. Les relations étrangères avec le Canada, qui est un important partenaire commercial de la Chine — quoiqu'elle soit plus importante pour nous que nous le sommes pour elle — pourraient rapidement chuter dans la liste des priorités.
La sénatrice Ataullahjan : Monsieur Woo, vous parlez de comprendre les besoins de la région du Pacifique sur le plan socio-économique. Selon les derniers chiffres de l'Enquête auprès des ménages, l'Asie est actuellement la plus importante source d'immigration du pays. Lorsqu'on parle d'établir des relations avec les pays de l'Asie-Pacifique, tenons-nous compte de l'importante diaspora qui existe? Quel genre de liens interpersonnels y a-t-il actuellement et comment pouvons-nous en tirer parti pour renforcer nos relations avec les pays de ces régions?
M. Woo : Je vous remercie de la question. Le Canada est un pays qui a accueilli beaucoup d'immigrants asiatiques. En effet, l'Asie est la plus importante source d'immigrants depuis au moins une décennie, probablement deux. Vous savez tous que l'on trouve dans diverses villes d'importantes populations de Canadiens originaires de Corée, d'Asie du Sud, de Chine et des Philippines. Ils sont sans contredit un atout en ce qui a trait aux relations du Canada avec l'Asie. Beaucoup d'entre eux entretiennent un lien avec leur pays d'origine, ce qui entraîne la création de liens commerciaux et culturels pour ce pays; nous devrions les célébrer et, dans une certaine mesure, les favoriser.
Cependant, n'oublions pas que peu importe leur origine, beaucoup d'immigrants viennent au Canada pour devenir Canadiens; ils veulent s'y enraciner, bâtir une nouvelle vie avec leur famille, avoir une nouvelle profession et une nouvelle carrière, et cetera. Ces gens pourraient — ou non — souhaiter maintenir des liens avec leur pays natal pour des raisons d'ordre politique, commercial, social ou diplomatique. Nous ne devrions pas généraliser quant à l'aide que la population asiatique peut offrir pour établir des liens avec l'Asie.
À mon avis, le défi que doit relever le Canada, c'est que nous devons amener l'ensemble de la population à se tourner davantage vers l'Asie plutôt que de compter sur les soi-disant communautés de diaspora. En tant que pays, nous n'aurons pas de succès en Asie sur les plans politique, diplomatique et économique à moins que la société canadienne en général ne soit pleinement consciente que l'Asie est absolument essentielle aux intérêts canadiens.
Le débat sur les investissements des entreprises d'État au Canada ne doit pas être un débat mené uniquement par les Canadiens d'origine chinoise coréenne. Il doit être généralisé. Je dirais que malgré le fait que la communauté de Canadiens d'origine asiatique est un symbole fondamental de notre lien avec l'Asie par le rôle qu'elle joue en tant qu'ambassadrice et de catalyseur du commerce et d'autres liens avec la région, nous devons regarder bien au-delà de cette communauté.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Ma première question sera pour M. Palamar. Vous avez dit qu'actuellement, il y avait une augmentation des dépenses militaires des pays d'Asie qui entourent la Chine. Je croyais que les pays avaient augmenté leurs dépenses militaires parce qu'ils craignaient la Corée du Nord. Qu'est-ce qui vous fait penser que c'est la Chine qui pourrait être belliqueuse et agressive?
Vous avez aussi cité le problème entre la Chine et le Japon concernant un bateau de pêche; quels autres signes vous font-ils croire que c'est la Chine qui pourrait peut-être devenir dangereuse?
[Traduction]
M. Palamar : Je vous remercie de la question. Je devrais préciser que je ne crois pas que la Chine est, en soi, dangereuse ou belliqueuse. Je ne me considère pas comme particulièrement partisan de la manière forte par rapport à la Chine. Ce que l'on constate en périphérie de la Chine, c'est qu'il existe beaucoup de conflits territoriaux non résolus et beaucoup de conflits sur les limites des zones économiques exclusives, ou ZEE.
Pour ce qui est de la première partie de la question, la Corée du Nord est une préoccupation constante pour la Corée du Sud. Cependant, étant donné la situation géographique de la Corée du Sud, la Corée du Nord n'est pas son unique préoccupation. Elle doit sans contredit prendre en compte les enjeux militaires au Japon et en Chine aussi.
Un bon exemple précis est le Vietnam, qui a récemment acheté des sous-marins d'attaque. Ceux-ci constituent un excellent outil pour surveiller les incursions dans leur ZEE. Ils ont, avec la Chine, un certain nombre de conflits qui couvent depuis longtemps. Pendant la guerre froide, leurs relations ont toujours été tendues, et il en est ainsi depuis. Je ne donnerai pas de chiffres précis, car je doute de leur exactitude, mais en ce qui concerne le Vietnam, la plupart des prévisions dont j'ai entendu parler au sujet des plans des Vietnamiens pour le développement de la zone économique exclusive et des industries du gaz, du pétrole et des pêches, notamment, indiquent que cela pourrait représenter jusqu'à un quart de leur PIB actuel.
Pour un pays comme le Vietnam, ce conflit entre la Chine et ses voisins concernant la limite réelle des eaux territoriales de la Chine dans la mer de Chine méridionale n'est pas seulement une question de crédibilité ou d'honneur; il y a là des enjeux considérables. On observe une importante croissance des budgets militaires. Traditionnellement, l'Indonésie et le Vietnam n'ont aucun conflit avec la Corée du Nord. C'est certainement un facteur.
En ce qui a trait aux relations entre le Japon et la Chine, par exemple, je ne considère pas nécessairement la Chine comme belliqueuse. Le problème survient lorsqu'il y a des désaccords non résolus quant à savoir qui possède un archipel et qui possède les droits sur les fonds marins, et qu'une des parties veut à tout le moins avoir la capacité d'exercer une surveillance du territoire revendiqué et d'y envoyer des navires pour affirmer sa souveraineté. On risque alors qu'une des parties — par inadvertance ou par mauvais calcul — ait recours à une démonstration de force pour appuyer sa revendication.
Je pense qu'un conflit armé pur et simple est un événement peu probable, mais il y a toutes sortes d'autres conflits sous-jacents, comme les conflits d'ordre politique, où les pays peuvent établir des liens entre les enjeux et le commerce. On voit alors des représailles, comme pour les visas et ce genre de choses.
Je ne pense pas que la Chine est belliqueuse. Si j'ai donné cette impression pendant mon exposé, je suis désolé. Toutefois, ce que l'on constate, c'est qu'il y a dans la région une certaine inquiétude par rapport à la croissance très rapide de l'économie de la Chine et, par conséquent, de la capacité de la Chine de protéger ce qui constitue des intérêts nationaux fort légitimes.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : J'aurais une question pour M. Woo. J'apprécie vos commentaires. Tout comme vous, je crois qu'il est essentiel de renforcer nos liens d'investissement dans les marchés en forte croissance de l'ensemble de la région de l'Asie-Pacifique.
Selon vous, la stratégie du gouvernement du Canada pour établir des liens commerciaux solides avec l'ensemble de la région Asie-Pacifique est-elle efficace?
[Traduction]
M. Woo : Merci beaucoup de la question. Nous avons vu une augmentation marquée des efforts du gouvernement pour stimuler le commerce et l'investissement dans la région, surtout depuis 2008. Je pense que ces efforts donnent des résultats, surtout en raison de l'augmentation de la visibilité du premier ministre et de beaucoup de ministres, qui se rendent régulièrement dans les pays d'Asie. Il s'agit d'un important signal de l'engagement du Canada dans la région et cela nous permet de retrouver une partie de la crédibilité que nous avons perdue.
Récemment, comme le témoin précédent l'a indiqué, nous ne sommes peut-être plus aussi crédibles que nous l'étions auparavant parce que nous avons été absents pendant longtemps. Le fait d'avoir accru notre visibilité par l'intermédiaire de visites de haut niveau est important. De même, le lancement de négociations en vue d'accords de libre-échange et l'ouverture de nouvelles missions consulaires, diplomatiques et commerciales, particulièrement en Chine et en Inde, sont tous très utiles.
Toutefois, comme je l'ai indiqué dans mon exposé, la partie facile est terminée. Ce que j'ai décrit, c'était l'étape facile. Pour nous, il est relativement facile de satisfaire à l'accroissement de la demande de produits en envoyant un conteneur ou un navire de charge à la destination X plutôt qu'à la destination Y. Il est relativement facile d'entreprendre des négociations de libre-échange. Il est relativement facile d'envoyer nos ministres et le premier ministre en Asie régulièrement.
Le plus dur sera de répondre aux demandes économiques changeantes en Asie, à son poids politique important et à son assurance, sa place au sein de l'économie mondiale. Il sera plus difficile pour nous de convaincre les Canadiens d'entretenir des liens économiques et politiques accrus avec les pays asiatiques par l'entremise d'accords de libre- échange, d'investissements en Asie et de relations politiques plus étroites.
Même si je crois que nous avons répondu de manière appropriée à la crise économique et que nous avons réussi à protéger notre économie grâce à l'Asie, il sera plus difficile de le faire au cours des prochaines années, et nous devrons redoubler d'efforts.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Je vais vous poser une dernière question. Est-ce que les entreprises canadiennes font face à des barrières qui pourraient nuire au commerce bilatéral entre le Canada et les pays de la région de l'Asie- Pacifique?
[Traduction]
M. Woo : Si vous faites référence aux obstacles au commerce, la réponse est oui. Ces barrières ont été érigées en Asie comme au Canada; des deux côtés du Pacifique. Nous n'avons pas le temps de passer en revue tous les obstacles au commerce, mais c'est la raison pour laquelle le gouvernement a conclu des accords de libre-échange avec un certain nombre de pays asiatiques, soi-disant pour faire tomber ces barrières.
À mon avis, nous devrions nous concentrer sur les économies qui présentent les obstacles les plus importants. Bien sûr, de graves obstacles nuisent au commerce avec la Chine, et nous n'avons pas d'accord de libre-échange avec elle. Elle a offert la négociation d'un tel accord avec le Canada, mais nous avons refusé. Votre comité se penchera peut-être sur cette question. Il me semble que si notre objectif est de faire tomber les barrières les plus importantes et les plus difficiles, et qu'il est possible de le faire en Chine, nous devrions profiter de l'occasion.
Je tiens à préciser qu'il y a également des obstacles de notre côté. Nous les érigeons nous-mêmes. Nous limitons l'investissement des pays asiatiques, particulièrement celui des entreprises d'État. Nous limitons la capacité d'exportation de certaines de nos entreprises en raison des diverses pratiques de gestion de l'approvisionnement. Nous limitons le commerce interprovincial, ce qui réduit l'efficacité de nos entreprises. Nous pouvons prendre certaines mesures au pays, et d'autres avec nos partenaires asiatiques.
Le vice-président : Avant de passer la parole au sénateur suivant, j'aimerais poser une courte question.
Monsieur Palamar, dans votre déclaration liminaire, vous avez fait référence à votre analyse des données. Avez-vous confiance en la qualité des données provenant de la Chine?
M. Palamar : C'est une très bonne question. Comme je travaille avec les données, on me la pose souvent.
Il faut toujours y penser. Je ne veux pas faire une analyse trop intellectuelle, mais il faut filtrer les données de façon rigoureuse, qu'elles soient qualitatives ou quantitatives, et il faut savoir ce qu'on a devant soi. Les données qui proviennent de la Chine sont souvent difficiles à interpréter. Les données sur le commerce, en particulier, sont très épineuses. Lorsqu'ils étudient les dépenses militaires de la Chine, les analystes se demandent par exemple quelle part de ces dépenses est destinée à la sécurité interne. Une grande partie du budget militaire de la Chine est consacrée à la sécurité interne, et elle ne vise pas nécessairement ses voisins de la mer de Chine méridionale.
Il faut toujours faire attention, alors j'essaie de travailler avec divers ensembles de données, et d'utiliser diverses sources. Certaines sources tentent de façon explicite de justifier ce qu'elles appellent les « budgets occultes ».
Ces dépenses non officielles sont bel et bien réelles. C'est seulement une question d'analyse, et il faut toujours faire attention.
Le vice-président : Pouvez-vous faire confiance aux chiffres?
M. Palamar : Je crois qu'on peut y faire confiance, dans une certaine mesure. Le même problème se pose lorsqu'on parle des chiffres sur le commerce. Ils sont peut-être plus difficiles à interpréter, d'une certaine façon. On peut étudier la variation des tendances; elle est importante.
En règle générale, on peut évaluer la qualité des chiffres. J'essaie de ne pas utiliser uniquement des données qui proviennent de sources chinoises, mais aussi d'autres estimations.
La sénatrice Johnson : J'aimerais maintenant vous poser une question sur le sondage d'opinion que vous avez réalisé avec la Fondation Asie Pacifique du Canada il y a environ 18 mois. Vous dites que les « deux tiers des Canadiens estiment que la promotion des droits de la personne en Asie devrait être une priorité pour le Canada ». Vous dites par la suite que « les pays occidentaux ne reconnaissent pas la complexité de la situation intérieure des pays d'Asie ».
Étant donné ces difficultés, quelle est la meilleure façon pour le Canada de promouvoir les droits de la personne en Asie? Aussi, pouvez-vous commenter votre affirmation selon laquelle nous acceptons mal le changement? J'aurai par la suite quelques autres questions.
M. Woo : Merci, madame. Les Canadiens ont toujours dit que la promotion des droits de la personne était une composante importante des politiques étrangères du pays, notamment en Asie. Cette opinion était exprimée clairement par les répondants au sondage, mais selon leur réponse à une question connexe, ils étaient également d'avis qu'il fallait bien connaître les défis nationaux en matière de droits de la personne avant de pouvoir faire la morale aux autres pays. Je dirais que les Canadiens appuient la défense agressive des droits de la personne en Asie.
Aussi, lorsqu'on demande aux Canadiens s'ils croient que la situation relative aux droits de la personne en Chine s'est améliorée au cours des 10 dernières années, dans tous nos sondages, année après année, la majorité d'entre eux semble trouver que oui.
En ce qui a trait à la façon dont nous pouvons établir une politique sur les droits de la personne en Asie — ou en Chine, parce qu'elle est souvent ciblée — je crois que la clé est d'avoir une idée claire de ce que nous voulons promouvoir, dans le but d'intégrer la politique au cadre général des relations diplomatiques et économiques avec la Chine. Nous devons ensuite veiller à ce que la politique sur les droits de la personne soit prise en compte dans le contexte plus large de notre relation avec la Chine et à ce que cette composante ne nuise pas à nos relations, et ce même si nous tenons à ces principes.
À mon avis, l'environnement actuel ne nous permet pas d'avoir une idée claire de notre approche relative aux droits de la personne en Chine. On penche donc du côté de la tolérance, si on veut. On court toutefois le risque de permettre que la question des droits de la personne l'emporte sur notre relation générale. Par exemple, l'arrestation d'un citoyen canadien en Chine pour une raison quelconque pourrait nuire à notre relation. Il faut trouver un juste milieu et savoir clairement ce qu'on veut promouvoir, veiller à ce que la Chine le comprenne, intégrer la politique dans nos relations et veiller à ce qu'elle soit exécutée dans un cadre plus large.
La sénatrice Johnson : Veuillez nous parler un peu plus de l'équilibre entre les droits de la personne du gouvernement canadien et nos intérêts sur les plans commercial et politique. Pourriez-vous nous en dire davantage là-dessus?
M. Woo : Oui. Je suis d'avis que la libéralisation de l'économie chinoise, sa croissance et son intégration à l'économie mondiale permettront d'affirmer davantage les libertés, d'abord dans le milieu économique, puis du côté social et même politique, un jour. Je pense que c'est vrai d'un point de vue empirique. Les citoyens chinois sont plus libres aujourd'hui qu'ils ne l'ont été au cours des 40 dernières années, et ça continue. Nous le constatons dans leurs choix économiques, bien sûr, mais aussi du côté médiatique, sous la forme de médias sociaux et de blogues. Nous le voyons à l'échelle locale, où les résidents sont en mesure de manifester, avec retenue peut-être, mais dans le cadre d'une vaste gamme d'activités économiques et sociales. Les citoyens chinois sont plus libres aujourd'hui qu'ils ne l'ont été au cours des années passées, ce qui est largement attribuable à l'ouverture de la Chine face au monde.
En un mot, madame la sénatrice, je ne pense pas que les politiques en matière de droits de la personne doivent passer par les relations économiques ou les politiques à cet égard. Je crois qu'il faut aider les Chinois là où ils veulent de l'aide. Ils souhaitent de toute évidence mieux reconnaître la primauté du droit et renforcer leur système judiciaire. Ils veulent qu'on les aide à appliquer les règles à l'échelle provinciale et locale, loin de Beijing. Tous ces efforts visent le respect des droits de la personne, et nous pouvons y contribuer. Nous ne les aiderons toutefois en rien en associant relations économiques et droits de la personne.
La sénatrice Johnson : J'aimerais aussi discuter de la prochaine génération dont vous avez parlé. Vous avez soulevé un point très important quant au besoin de former les citoyens de demain sur les affaires asiatiques. Cinq millions d'Asiatiques vivent au Canada. Ils forment une de nos communautés les plus importantes et dont la croissance est la plus rapide. Je pense qu'elle se trouve actuellement au 57e percentile, n'est-ce pas? Pourriez-vous nommer une chose fondamentale que nous pourrions faire de plus qu'à l'heure actuelle?
M. Woo : Puisque les provinces sont responsables de l'éducation aux termes de la Constitution, vous pourriez naturellement collaborer avec elles pour qu'elles transmettent plus d'enseignements sur l'Asie et permettent aux élèves du primaire et du secondaire d'apprendre les langues asiatiques. Ce doit être une priorité, car si nous comprenons mal l'Asie et manquons de connaissances ou d'expérience à son sujet, nous ne réussirons pas là-bas. C'est aussi simple que cela.
Pour revenir à la question précédente, je dirais que la politique gouvernementale est bel et bien efficace en Asie. Or, si la prochaine génération de Canadiens n'est pas en mesure de saisir les occasions qui se présenteront grâce aux ententes commerciales, aux missions et ainsi de suite, tous ces efforts auront été en vain.
Les écoles ne sont pas les seules responsables de la formation des Canadiens au sujet de l'Asie; les entreprises doivent elles aussi y contribuer. L'Asie doit être au cœur des priorités des sociétés plutôt qu'un petit projet secondaire. Le vice- président des ressources humaines doit se doter d'une stratégie asiatique. Lorsque 40 p. 100 des profits d'une entreprise viennent d'Asie, comme c'est le cas de Manuvie, celle-ci doit embaucher une main-d'œuvre qui comprend le marché asiatique et offrir des programmes de formation et des stages qui permettront au personnel d'acquérir ces connaissances.
La sénatrice Johnson : Merci infiniment, monsieur Woo.
Le sénateur Robichaud : Monsieur Palamar, vous avez parlé d'un manque de crédibilité dans la région. Comment l'avez-vous mesuré? Quels différents éléments vous permettent de conclure que nous manquons de crédibilité dans le secteur?
M. Palamar : C'est une bonne question, sénateur, et j'aimerais aussi connaître la réponse de M. Woo, si vous le voulez bien.
J'ai tiré cette conclusion informelle à partir de discussions avec des collègues, ainsi que de remarques et de déclarations publiques des gouvernements de l'Asie orientale. Le président de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est, ou ANASE, a déjà laissé entendre que le Canada n'a tout simplement pas la moindre crédibilité. Le problème n'est pas que la région rejette le Canada, mais plutôt que celui-ci semble s'intéresser à la Chine uniquement si tout va bien, et qu'il prendra ses jambes à son cou si la situation se corse.
Je tiens à souligner qu'il s'agit simplement de mon impression. C'est difficile à mesurer, mais je ne peux pas divulguer mes sources puisqu'elle est surtout attribuable à des entretiens privés. De façon générale, on peut le jauger d'après l'attitude des différentes tribunes multilatérales de la région à l'endroit du Canada. Le Canada est le bienvenu, mais la région se demande à quel point il est véritablement prêt à s'engager.
Le sénateur Robichaud : Voulez-vous répondre, monsieur Woo?
M. Woo : Je peux vous donner un bon exemple du problème de crédibilité. Lorsque la Réunion élargie des ministres de la Défense de l'ANASE a vu le jour, tous les pays en pourparlers avec l'ANASE ont été invités, sauf le Canada. Lorsque j'ai demandé pourquoi à des amis au sein de l'ANASE, on m'a répondu que l'objectif n'était pas de manquer d'égards envers le Canada, mais que puisque celui-ci ne s'est tout simplement pas présenté à diverses rencontres, nos homologues asiatiques ont supposé qu'il n'était plus intéressé. Notre absence des tribunes régionales a donné l'impression que nous n'avions plus d'intérêt, ce qui a selon moi donné lieu à toute cette question de manque de crédibilité.
Je tiens à préciser que je suis d'accord avec l'autre témoin pour dire que ce manque de crédibilité, si le terme est juste, ne signifie pas nécessairement une aversion envers le Canada, un rejet ou une exclusion, mais simplement que nous devrons faire nos preuves. Nous devons regagner notre place de partenaire important dans la région. Notre situation géographique sur la côte du Pacifique ne suffit pas. Nous devons investir des ressources diplomatiques, politiques et économiques dans la région pour démontrer notre crédibilité.
Le sénateur Robichaud : Monsieur Woo, êtes-vous en train de dire que nos relations diplomatiques actuelles ne suffisent pas? Vous affirmez que nous devons déployer plus d'efforts à ce chapitre.
M. Woo : Je parle de cibler les ressources et d'accorder la priorité aux relations qui comptent. Par exemple, il faut considérer l'ANASE comme un partenaire bilatéral et diplomatique. Nous avons tardé à nommer un ambassadeur précisément pour les pays de l'ANASE, une association largement perçue comme une sorte de point de convergence des institutions régionales de l'Asie orientale. Les Américains, les Australiens, les Néo-Zélandais et les Européens ont nommé des ambassadeurs pour l'ANASE bien avant nous.
Dans le même ordre d'idées, nous avons tardé à encourager la signature d'accords de libre-échange avec les pays asiatiques. D'ailleurs, nous n'en avons pas encore conclu le moindre avec des partenaires asiatiques, alors que nos homologues — les Australiens, les Néo-Zélandais, les Américains et les Européens — ont déjà des ententes semblables avec l'Asie.
J'emploie le mot « diplomatique » au sens large, mais nous n'avons tout simplement pas prouvé que l'Asie fait partie de nos priorités. Ce n'est pas parce que nous ne sommes pas en Asie, car ce n'est pas vrai; nos diplomates travaillent très fort là-bas et représentent formidablement bien le pays. Or, l'Asie n'a tout simplement pas l'impression d'être une priorité aux yeux du Canada.
Le sénateur Robichaud : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Palamar?
M. Palamar : Je suis d'accord avec tout ce que M. Woo a dit. C'est ce que je ressens moi aussi.
Le sénateur Dawson : Je suis assez vieux pour avoir été sur la Colline en 1984, lorsque votre fondation a été créée. Vous dites que le plus simple est terminé, mais j'imagine que vous avez tout de même beaucoup de mérite pour les 30 dernières années. Je sais que vous êtes trop jeune pour avoir été là dès le début; j'avais moi-même 12 ans lorsque j'étais au Parlement en 1984.
Vous dites que le plus simple est terminé, et je conviens tout de même que la croissance nous a déjà offert bien des occasions, mais vous parlez de priorités. Que devrions-nous prioriser non seulement sur le plan géographique, mais des secteurs d'activité aussi? Nos ressources ne sont pas illimitées. Le comité a pour objectif de pondre un rapport pour dire ce qu'il pense du sujet à l'étude après avoir consulté des gens d'expérience. À quoi devrait-on accorder la priorité sur les plans sectoriel et géographique? Vous avez dit vous-même que le plus simple est derrière nous après une trentaine d'années. Nous aimerions connaître vos recommandations puisque c'est ce qui nous intéresse.
M. Woo : Merci, sénateur. Nous devons essayer de conclure les ententes commerciales que nous avons commencé à négocier avec l'Inde, le Japon et la Corée. Par exemple, l'entente avec la Corée est sur la table depuis huit ans maintenant. Même si nous avons entamé les négociations avant les Américains, ceux-ci ont conclu leur accord bien avant nous. Ils ont désormais la priorité, ce qui nuit aux exportations de porc, de bœuf, et ainsi de suite. Nous devons donc trouver un moyen de signer cet accord.
Boucler les accords avec les pays d'Asie contribuerait à rétablir notre crédibilité. Si nous n'y arrivons pas, nos homologues asiatiques se diront que nous ne faisions que tergiverser sans être vraiment sérieux.
Il faut ensuite se demander où sont les plus importants marchés et les plus grandes barrières des exportateurs canadiens, et la réponse sera sans doute la Chine. Sur le plan politique, je sais qu'on peut difficilement renforcer très rapidement les relations économiques et politiques avec la Chine, mais le pays nous a offert de négocier un accord de libre-échange, ce qu'il ne propose pas à n'importe qui. J'ignore si l'offre tient toujours, mais si c'est le cas, comment le pays peut-il convaincre la sphère politique et le public que c'est important pour le Canada et que c'est ce que nous souhaitons? Pénétrer le marché chinois procurera un avantage concurrentiel aux entreprises canadiennes.
Sur le marché de la Chine, il est très évident à mes yeux que la priorité doit être accordée au secteur tertiaire, sans toutefois exclure tous les autres secteurs d'activité canadiens. Si la Chine subit la transformation que j'ai décrite et s'intéresse davantage à la qualité de vie plutôt qu'à une croissance pure et dure axée sur l'investissement, son secteur tertiaire complètement désuet, archaïque et très protégé devra connaître une expansion massive. Or, nous sommes très bons du côté des services en éducation, en santé, en architecture et en ingénierie, et des services commerciaux et professionnels, c'est-à-dire dans toute une gamme de compétences non techniques qui font rouler l'économie.
Le sénateur Dawson : Les représentants du ministère qui ont comparu hier ont mentionné que plus on se déplace vers l'est, moins les citoyens sont interpellés. Vous n'avez manifestement pas ce problème à Vancouver puisque vous voyez le Pacifique chaque jour et le considérez comme une occasion à saisir.
Je comprends que l'éducation est une affaire de compétence provinciale, mais on pourrait déployer de grands efforts de communication sur le plan social. Je vous félicite encore une fois pour la réussite de votre fondation. Comment pourrait-on convaincre les citoyens du Québec, des Maritimes et de l'Ontario que le gouvernement canadien doit accorder la priorité à la Chine?
Dans la prochaine campagne, les politiciens et les partis politiques devront dire aux Canadiens que le gouvernement veut axer ses programmes et son financement sur l'établissement de relations économiques avec l'Asie-Pacifique. Nous devrons sensibiliser la population à ce sujet, car je ne crois pas que nous puissions compter exclusivement sur les provinces pour le faire. Que nous recommandez-vous de faire pour que les gens comprennent l'importance de la région Asie-Pacifique?
M. Woo : Nous menons actuellement une très vaste campagne, qu'on appelle Le dialogue canadien sur l'Asie et qui bat son plein d'un océan à l'autre. Nous sommes allés parler de l'importance de l'Asie à l'échelle locale dans l'ensemble des provinces et des territoires. Plutôt que d'aborder le concept abstrait de cette puissance grandissante, nous expliquons ce que l'Asie représente pour les producteurs de sirop d'érable québécois. Vous savez peut-être que la réussite de cette industrie est principalement attribuable à la demande de l'Asie. Nous voulons aussi parler aux producteurs de fruits de mer de la Nouvelle-Écosse pour les aider à comprendre que leur industrie survit grâce à la demande de l'Asie pour des produits de qualité supérieure.
Nous présentons les données aux dirigeants des groupes locaux, des secteurs et des municipalités pour qu'ils expliquent à leur tour en quoi les affaires asiatiques sont dans leur intérêt. Nous venons de lancer le projet « Asia Matters », qui approfondira la question du côté des provinces, des villes et des différents secteurs. À l'aide de données et d'études de cas, nous illustrerons l'influence du Japon, de la Corée, de l'Indonésie et de la Chine sur Gander, à Terre- Neuve-et-Labrador, ou sur Hamilton, en Ontario. Nous espérons que ces exercices de recueil et de diffusion de données feront comprendre aux Canadiens que l'affaire ne touche pas que la côte du Pacifique, mais bien l'ensemble du pays.
Le vice-président : Chers collègues, je tiens à remercier les témoins de leur exposé et de leur participation à la séance d'aujourd'hui, que nous avons trouvée des plus instructive et intéressante, comme en témoignent les questions.
La séance est levée.
(La séance est levée.)