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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 12 - Témoignages du 6 mars 2012


OTTAWA, le mardi 6 mars 2012

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17 h 35 pour examiner, afin d'en faire rapport, les efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole. (sujet : Comment favoriser l'innovation par la réglementation, l'information et la science du point de vue des scientifiques.)

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

[Traduction]

Le sénateur Robichaud : J'aimerais proposer une motion que nous pourrons adopter maintenant que nous sommes majoritaires de ce côté.

Le président : Monsieur Murphy, c'est ce qu'ils appellent la « démocratie ».

Merci, honorables sénateurs. Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

[Français]

Je remercie les témoins d'avoir accepté notre invitation. Nous sommes honorés de leur présence.

[Traduction]

Conformément à l'ordre de renvoi, nous examinons le développement de nouveaux marchés nationaux et internationaux; le renforcement du développement durable de l'agriculture; l'amélioration de la diversité, de la sécurité et du cycle de vie des aliments; et les efforts en matière de R-D.

Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, et je préside le comité. J'aimerais maintenant que chaque sénateur se présente.

Le sénateur Mercer : Je m'appelle Terry Mercer, et je représente la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Pamela Merchant, de la Saskatchewan.

Le sénateur Mahovlich : Frank Mahovlich, de l'Ontario.

Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Champagne : Andrée Champagne, du Québec.

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.

Le sénateur Rivard : Michel Rivard, du Québec.

[Traduction]

Le président : Merci.

Chers témoins, notre comité poursuit son étude sur les efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole.

[Français]

La réunion d'aujourd'hui a pour objet de comprendre la façon de favoriser l'innovation par la réglementation, l'information et la science du point de vue scientifique.

[Traduction]

Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui Maria Derosa, professeure agrégée en chimie de l'Université Carleton.

[Français]

Nous recevons le Dr Bruce Murphy, professeur titulaire et directeur du Centre de recherche en reproduction animale au département de biomédecine vétérinaire de l'Université Laval.

[Traduction]

Enfin, nous entendrons Lianne Dwyer, vice-présidente de l'Institut agricole du Canada.

Merci d'être présents et d'avoir accepté notre invitation. J'invite maintenant chaque témoin à faire son exposé. Nous débuterons par Mme Derosa, puis vous aurez la parole, monsieur Murphy, et nous terminerons avec l'exposé de Mme Dwyer. Après vos exposés de cinq à huit minutes chacun, les sénateurs aimeraient vous poser des questions.

Allez-y, madame Derosa.

Maria Derosa, professeure agrégée en chimie, Université Carleton : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs. Je suis ravie de participer à cette séance.

Je vais vous parler un peu de moi. Je ne suis pas à proprement parler une chercheuse dans le domaine de l'agriculture. Je travaille au département de chimie de l'Université Carleton, et mes travaux de recherche portent sur la nanotechnologie et la bionanotechnologie. Ils se concentrent vraiment sur les biocapteurs. Toutefois, certains de mes travaux ont comme utilisateurs finaux le milieu agricole. Selon moi, voilà ce qui explique ma présence ici.

Je crois comprendre que votre comité s'intéresse de manière générale à divers enjeux, y compris le développement durable de l'agriculture et la sécurité et la salubrité des aliments. Je peux parler de certains de ces enjeux et de l'innovation de manière générale. Voilà ce que je vais faire aujourd'hui.

Je vais d'abord vous donner un aperçu des travaux que nous menons dans notre laboratoire. Ensuite, je vais vous donner mes opinions sur l'innovation en général.

En ce qui concerne la salubrité des aliments, notre groupe met au point des biocapteurs simples et efficaces dont nous aimerions nous servir pour détecter les mycotoxines, c'est-à-dire des toxines provenant de champignons qui peuvent se retrouver dans la culture des céréales. Nous aimerions mettre au point ces biocapteurs de façon à pouvoir nous en servir dans les fermes ou les silos à céréales. Voilà un exemple de nos travaux de recherche dans le secteur agricole.

Nous collaborons également avec des gens de l'Université d'Ottawa en vue de concevoir des biocapteurs pour détecter le norovirus dans la chaîne de production de la viande; il s'agit encore une fois de travaux en lien avec la salubrité des aliments.

Pour ce qui est du développement durable de l'agriculture, soit la principale raison pour laquelle j'ai été invitée à cette séance, nous aimerions utiliser la nanotechnologie pour rendre plus efficace l'épandage des engrais. Nous aimerions en améliorer l'efficacité.

Nous avons une collaboration fructueuse avec le laboratoire de M. Carlos Monreal à Agriculture et Agroalimentaire Canada. Nos travaux portent sur ce que nous appelons les engrais intelligents, à savoir des engrais qui peuvent être adaptés en fonction des cultures de façon à acheminer les nutriments sur demande.

Nous cherchons à créer un centre de recherche à l'Université Carleton sur l'innovation dans les domaines des nano- engrais, de l'état de santé des cultures et de la salubrité alimentaire. Je pourrais vous en parler plus en détail plus tard.

Je vais commencer par vous raconter comment nous avons lancé nos travaux de recherche à ce sujet. Cela me permettra de m'amener à vous expliquer pourquoi je crois que l'innovation comporte son lot de défis et ce que nous pouvons faire pour améliorer l'innovation dans le secteur agricole, parce que c'est un secteur unique.

Mes travaux de recherche se concentrent principalement sur les biocapteurs. Si quelqu'un m'avait dit il y a cinq ans que mes recherches porteraient sur les engrais, je lui aurais dit que ce domaine ne m'intéressait aucunement. Ce sont les biocapteurs qui m'intéressent. Mes travaux ont des applications dans le domaine médical et l'administration des médicaments.

Ce n'est que lors d'une conversation avec Carlos Monreal que j'ai eu vent de certains enjeux qui affligent actuellement le domaine agricole, dont l'efficacité réduite des engrais. Je n'en avais aucune idée.

De 50 à 70 p. 100 de l'engrais azoté, par exemple, épandu dans les champs n'est même pas absorbé par les cultures. Il s'évapore, ruisselle ou se disperse par d'autres moyens. Tout cet engrais azoté perdu cause de graves problèmes économiques aux agriculteurs, étant donné que cela ne se répercute pas dans le rendement des cultures, mais il s'agit également d'un problème environnemental. Je savais qu'il y avait des problèmes avec les engrais, mais je n'avais aucune idée de l'envergure du problème.

Lorsque M. Monreal m'a demandé ce que je ferais pour créer un fertilisant intelligent qui serait capable d'administrer des nutriments sur demande aux cultures, je lui ai fait remarquer que cela ressemblait à un dispositif pour administrer des médicaments. Cela ressemblait à un problème sur lequel je travaillais déjà : comment administrer un médicament seulement aux cellules malades et non aux cellules saines? Dans le même ordre d'idées, comment arriver à administrer des nutriments à une culture lorsqu'il en faut et ne pas le faire lorsque ce n'est pas nécessaire?

Je n'étais pas au courant que de tels parallèles existaient, à savoir que mes travaux dans un tout autre domaine pourraient s'avérer une innovation en agriculture.

Étant donné mes antécédents, je suis en mesure de vous parler un peu des enjeux concernant l'innovation dans le secteur agricole. Je n'ai pas vraiment de recommandations à tout casser, mais j'ai certains exemples tirés de mon expérience qui pourraient alimenter les discussions et faire progresser votre étude.

Le thème général de mes commentaires est que l'innovation peut nous placer dans une position inconfortable. Elle peut l'être pour les chercheurs; les organismes de financement; les utilisateurs finaux, comme les agriculteurs; et le grand public.

Si nous voulons trouver des façons d'améliorer l'innovation dans un certain secteur, particulièrement dans le domaine agricole, nous devons aborder cet inconfort. Cela ne veut pas dire que nous devons l'éliminer, mais il faut au moins aborder la question.

Du point de vue des chercheurs, l'innovation peut s'avérer inconfortable. Nous voulons résoudre des problèmes d'intérêt pour la société, nous voulons faire une différence, mais il peut s'avérer difficile d'aborder des enjeux dans des domaines dans lesquels nous n'avons aucune expertise. Je me sens mal à l'aise à l'idée que mes travaux sur les enjeux agricoles permettent des innovations dans ce milieu, parce que je ne suis pas spécialiste dans ce domaine précis.

Pourquoi cet aspect rend-il inconfortables tous les chercheurs, moi y comprise? Si nous travaillons dans des secteurs dans lesquels nous n'avons pas d'expertise, cela peut ralentir notre productivité. Toutefois, si nous n'obtenons pas rapidement des résultats, cela peut limiter nos possibilités d'obtenir des mandats et du financement. Il est possible que nous n'arrivions pas à publier nos travaux aussi rapidement.

Ces éléments m'empêchent d'innover dans le secteur agricole. Comment pouvons-nous les aborder? Voilà une question difficile à répondre.

Je n'ai pas l'intention de négliger mes travaux de recherche, soit mon gagne-pain, pour apporter des innovations dans un autre secteur, si je suis pour en subir les conséquences. Voilà un aspect dont il faut tenir compte. Comment pouvons-nous convaincre les plus grands chercheurs de se pencher sur les problèmes agricoles?

Il y a plusieurs choses que nous pouvons faire. Premièrement, il faut faire mieux connaître les problèmes en agriculture. Je me considère comme bien renseigné, mais je n'avais aucune idée de l'existence de ces problèmes par rapport aux engrais jusqu'à ce que le Dr Monreal m'en informe.

Dans une certaine mesure, il faut peut-être modifier l'image de la recherche agricole. Encore une fois, les chercheurs qui sont brillants et qui ont d'excellentes idées ne sont peut-être pas conscients qu'en agriculture, il y a des problèmes complexes et incontournables qu'ils pourraient aider à régler.

Quoi qu'il en soit, pour moi, il y avait cette perception selon laquelle l'agriculture n'est peut-être pas un secteur où de passionnantes innovations se concrétisent. On pense à la médecine et aux médicaments, et non aux engrais et aux pesticides.

Il faut peut-être peaufiner l'image que nous présentons au public et aussi aux chercheurs si on veut inciter les personnes les plus qualifiées à s'attaquer à ces problèmes.

L'innovation peut rendre les organismes de financement nerveux. En tant que chercheur, je dois obtenir du financement pour faire ma recherche. Le financement vient principalement des organismes de financement traditionnels, des provinces — dans une certaine mesure — et d'organismes comme le CRSNG, qui est une de nos sources de financement. Habituellement, dans le cadre des mécanismes de financement actuels, même si on essaie de ne pas le faire, on tend à favoriser la recherche d'appoint plutôt que la nouvelle recherche novatrice et audacieuse parce que souvent, ces grandes idées novatrices ne sont pas appuyées par des données empiriques comme pourrait l'être la recherche reconnue. Essayer d'appliquer une idée dans un domaine où on n'a jamais vu ce genre de choses auparavant peut être plus risqué. Certains organismes de financement peuvent avoir une aversion au risque, et cela se répercute jusqu'au chercheur. Nous sommes moins enclins à travailler dans ces autres domaines si nous savons que nous n'aurons pas de financement pour le faire.

Il y a un besoin en matière de financement de démarrage pour certaines de ces entreprises à haut risque qui pourraient être très profitables. Il ne doit pas nécessairement être offert principalement par le gouvernement, mais l'industrie, les universités et le gouvernement devraient en discuter. Cela pourrait aussi être utile.

Le dernier groupe de gens pour qui l'innovation pourrait poser problème, ce sont les agriculteurs, et aussi la population en général.

Puisque nous nous concentrons sur l'agriculture, nous devrons être en mesure de susciter l'intérêt des agriculteurs dès le début à toute recherche que nous ferons parce qu'en fin de compte, s'ils ne voient pas le potentiel ou la valeur de ce travail, ce sera une perte de temps et d'argent.

De même, puisque cela concerne les aliments, si le grand public n'est pas réceptif à nos idées, tout ce temps et cette énergie seront gaspillés.

Si nous avançons de nouvelles idées audacieuses en agriculture, il faut communiquer avec les agriculteurs et la population dès le début et nous assurer de leur participation. On peut utiliser l'exemple des aliments génétiquement modifiés; il y a eu beaucoup de recherche sur les organismes génétiquement modifiés, mais le grand public n'est pas encore prêt à accepter l'idée.

À titre de comparaison avec la nanotechnologie, qui est une partie de mon travail, si je consacrais des années d'efforts pour utiliser la nanotechnologie dans les aliments et les engrais, mais qu'en fin de compte, le public ne l'accepte pas, cela pourrait être un problème.

Je voulais résumer l'idée selon laquelle il est nécessaire d'interpeller ces différents groupes de gens. Si on veut faire de l'agriculture le centre d'une intense recherche en innovation de la part de ces esprits brillants, il faut régler ces questions. Ceci pourrait déclencher une discussion entre nous tous afin de trouver des solutions.

Le président : Merci. Monsieur Murphy, la parole est à vous.

[Français]

Dr Bruce Murphy, professeur et directeur, Centre de recherche en reproduction animale, Département de biomédecine vétérinaire, Université de Montréal : Je vous remercie de m'avoir invité à votre comité. Ma connaissance de la langue française n'est pas parfaite, mais je vais commencer comme cela et je passerai à l'anglais par la suite.

Tout d'abord, monsieur le président a annoncé que je suis de l'Université Laval, mais je dois vous corriger, je suis de l'Université de Montréal en médecine vétérinaire.

[Traduction]

Je suis un chercheur expérimenté. Je suis dans ce domaine depuis plusieurs années et je sais quels sont les problèmes et les enjeux. J'aimerais attirer votre attention sur le fait que dans toutes les provinces, il y a de nombreux exemples qui démontrent que la recherche et l'innovation ont été le moteur des progrès en agriculture. On peut penser, par exemple, à la recherche génétique qui a été faite sur le canola dans les Prairies, qui a permis aux généticiens de créer une nouvelle culture et une nouvelle huile végétale. La production de lait et d'oeufs a augmenté. La science du sol a permis d'améliorer les choses que nous faisons.

La recherche a été le moteur des progrès en agriculture pour de nombreuses années, en particulier ces 100 dernières années.

D'après les données démographiques, on prévoit qu'en 2050 — ce qui n'est pas si loin —, c'est-à-dire dans 38 ans, la population mondiale sera de 9 milliards, ce qui nécessitera une augmentation de 70 p. 100 de la production alimentaire actuelle.

Il y aura une plus grande demande pour le lait et pour la viande; nous aurons moins d'eau et une plus petite superficie pour y arriver. Pour avoir un approvisionnement alimentaire sûr, il nous faut vraiment innover dès maintenant.

Le Canada a une longue et, à mon avis, glorieuse histoire en matière de recherche agricole — pas seulement pour le canola et d'autres secteurs — et il a des programmes de financement qui sont, je crois, extrêmement utiles pour ceux qui oeuvrent dans le secteur de la recherche agricole.

Un programme qui a été formidable est la Fondation canadienne pour l'innovation, qui a procuré du soutien du point de vue des infrastructures, de l'équipement, des grappes d'équipementiers, qui a fait des rénovations et nous a permis de moderniser nos laboratoires au cours des 10 dernières années.

Le Programme des chaires de recherches du Canada a aussi été excellent parce qu'il nous a fourni l'occasion de recruter des gens très compétents qui pouvaient consacrer beaucoup de leur temps à la recherche.

Plusieurs autres programmes ont été utiles, comme le Programme de formation orientée vers la nouveauté, la collaboration et l'expérience en recherche du CRSNG, un programme de formation qui nous permet d'attirer les jeunes au début de leur parcours universitaire et de les inciter à se lancer dans le secteur de la recherche.

Parmi les autres programmes qui sont utiles, mais pas aussi utiles, il y a un programme de grappes agro-scientifiques dans le cadre duquel l'industrie indique au ministère de l'Agriculture le genre de recherche qu'il peut entreprendre. À certains égards, il s'agit d'un excellent programme parce qu'il permet à l'utilisateur final de décider de la recherche à faire.

Cependant, cela mène à des solutions à court terme, à mon avis; quelqu'un a un problème précis, on fait de la recherche sur ce problème précis et cela n'entraîne pas une interaction globale à long terme.

Il y en a d'autres sortes. Des gens de mon groupe ont financé des études sur l'ovulation des vaches laitières, réalisées par l'intermédiaire des Instituts de recherche en santé du Canada. Ce programme a aussi été assez utile.

Avant la création du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le CRSNG, nous avions des programmes qui étaient extrêmement utiles. L'un d'entre eux était un programme de subventions stratégiques, qui comportait un objectif en agriculture.

[Français]

Ils avaient un volet agriculture.

[Traduction]

Plusieurs choses — y compris certains des travaux dont je parlerai aujourd'hui, dont le clonage — ont été réalisées dans le cadre du programme.

Le CRSNG ne se concentre plus sur son programme stratégique, son programme conjoint universités-industries ou son programme Frontières sur l'agriculture. Je crois que c'est une honte d'avoir à s'en occuper.

L'organisme a maintenant trois ou quatre objectifs importants et il a simplement mis de côté l'ensemble du secteur agricole. Je pense que c'est très utile. De quoi a-t-on besoin à mon avis?

[Français]

De quoi a-t-on besoin maintenant?

[Traduction]

Je pense que nous avons besoin d'un programme pluridisciplinaire et pluriannuel qui financerait des projets, comme des subventions d'équipe, qui permettrait à un large éventail de disciplines de se concentrer sur un problème unique. Il y a beaucoup de problèmes auxquels je peux penser, mais j'ai un exemple à vous donner qui, je crois, est récurrent et important. J'aimerais attirer votre attention sur ce point.

En agriculture, une des grandes innovations du XXe siècle a été l'insémination artificielle qui nous permet de faire plus de sélection chez beaucoup d'espèces, comme les bovins à viande et les bovins laitiers. Plus tard au cours du siècle, on a utilisé cette technologie, qui est très utile, sur le porc. Je pense que les meilleurs résultats sont ceux observés chez les bovins laitiers.

En 1945, la production laitière annuelle moyenne par vache était d'environ 3 000 litres. Cette année, elle est de 7 500 litres et les vaches de classe élite peuvent produire jusqu'à 10 000 litres de lait par an. Cela a été un énorme progrès rendu possible par une technologie novatrice.

Il y a un désavantage. L'augmentation de la production laitière entraîne une diminution de la fertilité. Actuellement, le taux de conception des vaches laitières adultes en lactation est d'environ 35 p. 100, ce qui n'est pas très élevé. Cela a d'énormes conséquences dont une est simplement le coût pour l'agriculteur. Il doit avoir plus de vaches pour produire la même quantité de lait parce que, de toute évidence, une vache ne produit du lait que si elle produit un veau. Pour que les cycles de lactation se poursuivent, les vaches doivent produire un veau chaque année, et si elles sont infertiles et qu'elles produisent moins de veaux, c'est très coûteux.

Le nombre optimal de lactations pendant la vie d'une vache se situe quelque part entre 4 et 4,5 cycles de 365 jours, mais au fil des ans, il a baissé jusqu'à trois, environ.

[Français]

En Angleterre, c'est 2,8. C'est même plus que cela.

[Traduction]

Avoir à remplacer les bovins plus fréquemment signifie qu'il faut de plus grands troupeaux, qui sont plus coûteux. Cela entraîne une autre conséquence importante. Les vaches produisent plusieurs sortes de contaminants de l'environnement, mais l'un des plus importants est un sous-produit de la rumination, lorsque la vache mange de l'herbe qu'elle laisse fermenter dans son estomac ou produire des protéines avec lesquelles elle se nourrit. La substance fermentée produit du glucose et d'autres choses. Le sous-produit est le méthane, un gaz à effet de serre qui est 20 fois plus nuisible que le CO2.

De plus, un sous-produit de l'alimentation riche en protéines des vaches est la production d'ammoniac, qui joue un rôle important par rapport aux gaz à effet de serre

Au taux de conception actuel, un troupeau de 100 vaches produit 15,8 tonnes de méthane par année, et ce sont des chiffres du Royaume-Uni. Augmenter la fertilité de 38 à 65 p. 100 réduirait la production de méthane de ce troupeau à environ 11 tonnes par année, ce qui est une énorme réduction de 30 p. 100. On observerait aussi une diminution semblable pour l'ammoniac. Bien des choses sont possibles.

Un taux de succès de la reproduction de 35 p. 100 est-il possible sur le plan biologique? Oui. Le problème que nous observons touche les bovins adultes. Chez les génisses primipares qui en sont à leur première gestation, les taux de succès se situent entre 55 et 65 p. 100. C'est biologiquement possible. Que faire? De quelle façon peut-on s'attaquer à ce problème?

Je propose un mécanisme de financement qui nous permettrait d'avoir une approche pluridisciplinaire pour régler le problème. Par exemple, nous pourrions nous pencher sur la nutrition, la biologie de la reproduction et la génétique. Les progrès dans ce domaine sont formidables. Le séquençage du premier génome humain a coûté 500 millions de dollars, et on peut maintenant le faire au coût de 10 000 $. Les progrès de la génomique sont énormes.

Nous pouvons utiliser ces progrès pour régler ce problème. En fait, nous pouvons commencer à sélectionner les vaches non seulement en fonction de la production laitière, mais aussi en fonction de la fertilité. Pour ce faire, nous pouvons avoir recours aux plus récentes techniques génétiques.

La transgénèse : le Dr Lawrence Smith, qui fait partie de mon groupe, a produit les premiers clones de grands mammifères au Canada. L'un d'eux était un taureau du nom de Starbuck qui est bien connu non pour le café, mais parce que son information génétique se retrouve dans le génome de plus de 300 000 bovins laitiers à l'échelle mondiale.

Starbuck 2 est un clone qui a la même information génétique que Starbuck. Cependant, un des problèmes que nous avons — le Dr Derosa y a fait allusion —, c'est que les gamètes de Starbuck — la semence — ne sont pas encore sur le marché en raison de la résistance à ce que les animaux clonés et les produits provenant d'animaux clonés se retrouvent dans la chaîne alimentaire. Cela pose problème, en quelque sorte. L'Université de Guelph a créé un porc transgénique doté de l'enzyme phytase, qui réduit de façon assez spectaculaire la toxicité du fumier de ces animaux. Or, ils ne peuvent se retrouver dans la chaîne alimentaire. Beaucoup d'argent et d'efforts ont été nécessaires pour produire ces animaux transgéniques et le matériel, ce qui ne s'est pas encore traduit par une utilisation.

Comme je le dis, je peux voir qu'il y a un potentiel pour un programme pluridisciplinaire faisant intervenir la nutrition, la reproduction, la toxicologie, la génétique, l'épidémiologie, les sciences comportementales, les sciences de la gestion et même la sociologie de l'agriculture; toutes ces sciences pourraient être incorporées dans un vaste programme qui nous permettrait de nous attaquer à ce problème particulier. Ce n'est pas le seul problème que nous pouvons aborder de cette manière.

Par exemple, nous pouvons étudier les problèmes de contamination environnementale qui sont très importants, non seulement pour les humains, mais également pour l'agriculture. Nous pouvons utiliser des approches pluridisciplinaires pour étudier ces questions. La gestion des maladies est très importante. Nous savons maintenant que certaines maladies comme la grippe porcine et certains virus aviaires peuvent faire la navette entre les humains et nécessiter la destruction d'un grand nombre d'animaux.

Vous vous souvenez peut-être de la situation survenue en Colombie-Britannique il y a trois ou quatre ans où presque tous les poulets du Lower Mainland ont dû être détruits à cause d'un virus. Ce genre de problème peut-être étudié au moyen d'une approche pluridisciplinaire, pluriannuelle, mais nous devons avoir un financement quinquennal et la capacité d'attirer et d'intégrer des gens de diverses disciplines.

La qualité de la viande est un autre bon exemple. L'impact environnemental de l'agriculture animale est un aspect important de la durabilité. L'antibiorésistance est un autre exemple. Ce sont tous des problèmes qui ont des ramifications agricoles importantes et qui, je crois, pourraient être abordés au moyen d'un programme pluridisciplinaire comme celui-ci.

[Français]

Lianne Dwyer, vice-présidente, Institut agricole du Canada : Merci de m'avoir invitée pour parler au nom de l'Institut agricole du Canada. Comme mon collègue, je pense que je serai plus claire en anglais.

[Traduction]

Je veux parler au nom de tous nos membres qui viennent de toutes les régions du Canada.

L'Institut agricole du Canada a été fondé en 1920 et il représente aujourd'hui les professionnels de l'agriculture individuels. Cela comprend des chercheurs comme mes collègues et, également, des experts-conseils — des gens qui communiquent les résultats de la recherche à l'industrie. De plus, l'institut représente les principales sociétés scientifiques ayant un intérêt dans les sciences agricoles.

Parmi ces sociétés figurent la Société canadienne d'agronomie, la Société canadienne de la science du sol, la Société canadienne de science horticole et la Société canadienne de science animale. Collectivement, l'Institut agricole du Canada représente plus de 1 500 scientifiques. Mon défi est d'essayer de vous communiquer une partie de la passion qui anime ces gens et l'intérêt qu'ils ont à l'égard de cet important sujet que vous étudiez.

Il est approprié que la partie la plus ancienne de l'histoire de l'IAC avec les professionnels de l'agriculture soit liée à une fonction actuelle des plus importantes, à savoir la communication et le transfert de la recherche et des innovations aux autres partenaires au sein de l'industrie. L'Institut agricole du Canada a commencé à publier les résultats de la recherche agricole dès 1921 et, dans les années 1950, a créé trois revues scientifiques : le Journal of Animal Science, le Journal of Plant Science et le Journal of Soil Science and Environmental Management. Les revues, qui sont produites en collaboration avec les membres des sociétés scientifiques, ont publié un total combiné de près de 3 000 pages de travaux de recherche évalués par des pairs en 2011. Ces revues sont lues dans plus de 100 pays. C'est le but même de ces revues que de publier les résultats de la recherche qui peut aider à faire face à un grand nombre des défis qui se posent à notre société et qu'a mentionnés M. Murphy, dont la sécurité alimentaire, le changement climatique, à la fois les mesures d'atténuation et d'adaptation dont je sais qu'il a été question dans ce comité; la demande énergétique et la bio- économie; les liens entre la santé humaine et la santé animale, la qualité des aliments destinés à la consommation humaine et animale, et la conservation de nos ressources en sol, en eau, en air et en biodiversité.

Le numéro de janvier 2012 du Canadian Journal of Soil Science est un numéro spécial sur la bonification des terres, un défi croissant au niveau national et international. Le travail de développement international de l'institut nous a permis de constater directement la réalité désolante des pénuries alimentaires. La sécurité alimentaire prend un sens bien différent lorsque vous voyez vraiment ce que c'est que l'insuffisance alimentaire, lorsque vous parlez à des gens qui disent avoir des disponibilités alimentaires pour 6 mois, pour 10 mois et qui visent à avoir des disponibilités alimentaires pour 12 mois.

Aujourd'hui, près de 1 milliard de personnes font face à la pauvreté alimentaire. Des millions d'autres souffrent de carences alimentaires, en raison d'une faible consommation de protéines, de minéraux et de vitamines essentiels découlant d'un apport alimentaire insuffisant ou carencé. Cette situation d'appauvrissement alimentaire touchera deux fois plus de gens au cours des 15 prochaines années selon les prévisions démographiques dont nous disposons, parce que la population est en croissance dans les régions qui sont les moins capables de supporter une expansion agricole.

Comme on l'a dit, on s'attend à ce que la population mondiale atteigne 9 milliards d'habitants d'ici 2050. À l'échelle du globe, la production alimentaire devra augmenter d'au moins 50 p. 100 pour suivre la croissance démographique. Au fur et à mesure que les populations des économies émergentes deviennent plus à l'aise, elles délaissent les régimes à base de céréales pour faire une plus grande consommation de viande. Elles ne veulent pas vivre uniquement de maïs et de riz et la viande nécessite des aliments pour animaux sous forme de grain et de fourrage. Il faut entre 2 et 10 kilogrammes de grain pour produire 1 kilogramme de viande. Cela a pour effet d'augmenter la demande et la pression sur les sols.

De plus, l'augmentation de la production de viande augmente les stress environnementaux liés à l'élimination des déchets, à la consommation de l'eau et à la production de gaz à effet de serre, auxquelles vous avez fait allusion. Il y a également d'importantes pertes après récolte des cultures et des fruits et légumes frais partout dans le monde. Chaque tonne de produit conservé contribuera à la sécurité alimentaire. Il s'agit d'une perte substantielle.

Le Canada est réputé pour avoir une production durable du point de vue environnemental d'aliments sûrs pour la consommation humaine et animale. Les chercheurs canadiens ont apporté et continueront d'apporter des contributions importantes pour la suffisance alimentaire dans les régions rurales dans le monde. La superficie des terres arables au Canada et dans le monde est statique. Nous ne cultivons pas plus de terres. Les terres marginales sont marginales pour une raison. Habituellement, il s'agit d'un problème d'éléments nutritifs, de drainage, de topographie ou de texture rocheuse. Les sols du Nord canadien ne seront jamais hautement productifs en raison de certaines carences physiques et chimiques. Si la population augmente et que la superficie de terres arables demeure statique, cela veut dire que la quantité de terre pour la production alimentaire par habitant diminue et cette tendance à la baisse se poursuivra dans l'avenir.

En 2050, la quantité de terre pour nourrir la population mondiale aura diminué à 1,6 hectare par personne. Ce chiffre se compare à 2 hectares par personne en 2005 et à 5,2 hectares par personne en 1950. Nous exerçons une pression de plus en plus forte sur les terres arables. Plus de cultures destinées à produire des aliments de première nécessité devront être cultivées sur moins de terre. À l'heure actuelle, 4 milliards de personnes vivent principalement grâce à une alimentation à base de maïs, de blé et de riz. Les autres cultures de première nécessité sont la pomme de terre, le manioc, le soya, la patate douce, le sorgho, le millet et le grain. Cependant, ce n'est pas un régime alimentaire varié. Partout dans le monde, les gens veulent un régime alimentaire plus varié que cela.

Les changements climatiques et la variabilité climatique viendront exacerber les défis liés à la production alimentaire et les problèmes liés à la sécurité alimentaire. Une augmentation de 2 ºC de la température moyenne durant la saison de croissance peut réduire le rendement des cultures de riz dans les régions tropicales de 20 p. 100. Ces gens visent à atteindre la suffisance alimentaire en ce moment, et cela rendra leur tâche encore plus difficile.

Des températures plus élevées entraînent une plus grande utilisation de l'eau par les plantes. Des températures plus élevées entraînent des modifications de la pression exercée par les nuisibles. Par exemple, nous voyons que la rouille du soya, qui a débuté en Amérique du Sud, commence à apparaître au Canada après avoir traversé les États-Unis. Au fur et à mesure que la température augmente, nous allons devoir faire face à certaines de ces menaces.

L'interaction entre la diminution des terres arables et les changements climatiques exercera des pressions énormes sur la production agricole parce que dans la plupart des régions, les changements climatiques auront, en fin de compte, des effets négatifs sur le rendement des cultures. Le Canada pourrait être plus chanceux du fait qu'une augmentation de la température entraînera des saisons de croissance plus longues dans nos prairies productives; cependant, les problèmes liés aux effets du stress thermique sur le rendement sont habituellement liés à des températures plus élevées, ce qui est certainement vrai dans le cas des cultures comme le canola.

De grandes rivières sont alimentées par des glaciers de montagne qui reculent rapidement. En conséquence, de nombreux cours d'eau en Asie, en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique du Sud verront leur débit réduit. Une grande partie de l'eau géologique entreposée dans les aquifères a déjà été épuisée par l'irrigation. Les changements climatiques entraîneront des changements dans la configuration des pluies, entraînant des sécheresses et des inondations.

Une autre partie du scénario, c'est que l'agriculture peut nuire au sol. Elle réduit la teneur en matières organiques, ce qui change le cycle des éléments nutritifs. L'agriculture peut entraîner une augmentation de l'érosion, de la salinité et de la sodicité, qui est une augmentation du sodium une fois que le chlore est lixivié, ce qui entraîne également une augmentation de l'érosion et une diminution de la capacité d'échange des éléments nutritifs.

Le sol peut devenir contaminé par des substances délétères comme le cadmium, qui est un sous-produit des engrais à base de superphosphate, un polluant industriel. La conclusion, c'est que l'agriculture est florissante dans un sol sain et le maintien d'un sol sain soumis à une production intensive a, jusqu'à maintenant, été le résultat de la recherche à long terme. Il s'agit d'une mise à jour et d'un ajustement continuels à la situation actuelle.

Le public est également beaucoup plus conscient de l'environnement et des causes des problèmes environnementaux. Les données ont incriminé l'agriculture dans des situations comme la tragédie de Walkerton, qui a été causée par de mauvaises pratiques de gestion du purin, ou la présence excessive de phosphore dans le lac Winnipeg, au Manitoba, en raison de l'utilisation des engrais. Le public exigera que l'empreinte environnementale de l'agriculture soit aussi limitée que possible. C'est un objectif permanent.

Ces facteurs indiquent clairement qu'au cours des prochaines années, nous aurons besoin d'augmenter la production agricole de manière spectaculaire. Cela est d'autant plus vrai que nous perdons de plus en plus de terres arables à cause de l'expansion de nos villes. Nos systèmes de production deviendront de plus en plus dépendants de l'eau, des sols sains, des engrais, des pesticides et d'une génétique végétale plus efficace. Nous devons également être aussi neutres que possible du point de vue environnemental. La recherche réalisée dans le passé ne suffira pas étant donné que ces conditions et ces stress n'ont jamais existé auparavant. Des travaux de recherche seront nécessaires dans tous les aspects de notre chaîne de valeur de production alimentaire pour sauvegarder la sécurité alimentaire du Canada lui-même.

Le fait que l'agriculture canadienne a réussi à nous approvisionner en aliments sûrs, nutritifs, abondants et peu coûteux au cours des 125 dernières années et plus est largement attribuable à l'investissement que les gouvernements fédéral et provinciaux ont fait dans la recherche agricole. Et c'est sans compter le travail colossal que les agriculteurs ont fait pour cultiver nos aliments. Comme plusieurs d'entre vous le savent, je pense, l'agriculture n'est pas un métier facile, et n'est pas fait pour les âmes sensibles qui ne sont pas prêtes à parier sur la prochaine innovation.

L'investissement gouvernemental dans la recherche agricole se faisait principalement par le biais des stations de recherche disséminées partout au pays, des programmes universitaires et des chercheurs à l'emploi de ces établissements.

Toutefois, au cours des 20 dernières années, la recherche agricole appuyée par des fonds publics dans le monde occidental a diminué de manière constante. La Stratégie scientifique et technologique de notre propre gouvernement fédéral ne reconnaît même pas l'agriculture et l'alimentation comme des domaines de recherche et de développement par le biais de ses programmes de financement de la recherche.

À titre d'exemple, le nombre de scientifiques employés par Agriculture et Agroalimentaire Canada a diminué de plus de 50 p. 100 depuis 1992. Les gouvernements provinciaux ont réduit leur personnel, éliminant souvent entièrement la recherche ou la transférant au système universitaire. Les universités dotées de programmes agricoles ont réduit leur personnel. À l'heure actuelle, il ne reste plus que deux universités canadiennes qui possèdent un département de science du sol.

La productivité agricole a continué d'augmenter, certainement depuis le milieu des années 1990, mais il y a de plus en plus d'indices que le taux d'accroissement des rendements est en train de ralentir. En recherche agricole, tout comme dans les autres domaines de la recherche, il y a toujours un décalage entre l'innovation et l'application, et la production agricole est en train de rattraper la réduction touchant la recherche agricole.

Nous pourrions prétendre que la recherche en agriculture et les décisions concernant les priorités de recherche sont de plus en plus dictées par les intérêts des entreprises privées à but lucratif. Le financement par le biais des services votés ou le financement direct de la recherche est en train de se tarir. Un grand nombre de scientifiques du gouvernement fédéral doivent maintenant trouver du financement auprès d'entreprises qui appuieront financièrement leur travail et entreprendre des projets de recherche que les entreprises considèrent comme une priorité. Ces priorités sont souvent axées sur des activités à court terme motivées par le profit.

Ce qui est perdu, c'est la recherche fondamentale, à long terme, dans l'intérêt public, la recherche dont les résultats peuvent être rendus disponibles gratuitement à tous les producteurs au Canada. Par exemple, les entreprises n'auraient pas investi dans la recherche sur le maïs ou le soya tolérant au froid au Canada il y a 35 ans en raison de la superficie de production. On ne cultiverait pas le soya et le maïs dans l'est de l'Ontario ni au Québec aujourd'hui, parce que c'était un effort colossal pour faire en sorte que ces cultures puissent croître durant des saisons de croissance plus courtes. On n'aurait pas cultivé 350 000 acres de soya au Manitoba en 2011.

La diffusion des résultats de la recherche aux producteurs est également un facteur déterminant et elle fait de plus en plus défaut. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont tous les deux pratiquement éliminé les services et le personnel affecté à la vulgarisation. Les budgets de voyage sont à ce point réduits que la plupart des scientifiques ne sont pas en mesure de participer à des réunions et à des conférences où ils pourraient partager le fruit de leurs recherches et, en particulier, partager ces résultats avec les producteurs et les transformateurs au pays.

L'idée qu'il existe à l'échelle internationale de la recherche qui pourrait être applicable au Canada est attrayante, mais nous aurons tout de même besoin de spécialistes qui ont fait de la recherche dans ce domaine pour appliquer cette connaissance aux conditions canadiennes. Nous ne serons jamais en mesure d'acheter de la recherche de pointe, mais uniquement de la science de l'année dernière.

Si on veut maintenir la réputation du Canada en matière de production durable d'aliments pour consommation humaine et animale sûrs et de qualité, le Canada doit posséder sa propre capacité de recherche équilibrée pour générer du savoir à long terme dans l'intérêt public et réaliser la recherche à court terme, orientée vers un but précis et motivée par le profit.

Lorsque les budgets sont serrés, il est particulièrement important qu'il y ait coordination de la recherche. Agriculture et Agroalimentaire Canada a récemment proposé, par l'intermédiaire de son projet Science Scan, d'élaborer une base de données des activités de recherche et développement dans le secteur agricole au Canada. Comme l'indique AAC dans sa documentation, la recherche et l'innovation sont nécessaires pour que le secteur de l'agriculture, de l'agroalimentaire et des produits agro-industriels continue de progresser et que sa productivité continue d'augmenter. Toutefois, il n'existe pas d'information de base complète sur la capacité scientifique et les activités de recherche dans ce secteur. Ses fonctions sont vitales : déterminer les forces et les faiblesses stratégiques, les occasions et les menaces; déterminer les écarts stratégiques; s'assurer que le financement et l'aide au développement sont mieux coordonnés et que l'on évite le dédoublement des efforts; et faciliter les alliances stratégiques et les collaborations.

Les partenariats de recherche sont de plus en plus déterminants pour maintenir une capacité de recherche efficace. Le taux de rendement sur l'argent investi est important pour les partenaires de recherche aussi bien du secteur public que du secteur privé. Historiquement, la recherche financée par les deniers publics était axée sur l'intérêt public, dans les cas où le rendement pour les investisseurs est à plus long terme et n'est pas facilement réalisé.

Cependant, une analyse de 2007 effectuée par le Canadian Agriculture Innovation Research Network a calculé un rendement moyen de 30 à 50 p. 100 pour le financement public — un bon rapport dans le marché d'aujourd'hui. Le développement du canola, comme on l'a mentionné, en tant que culture vivrière est un exemple très intéressant. Le financement initial était presque entièrement d'origine publique, et le financement actuel est surtout d'origine privée. L'argent public est nécessaire pour faire les développements initiaux et ensuite, l'argent privé prend la relève parce que c'est le secteur privé qui est le spécialiste pour amener le produit sur le marché et faire la diversification.

Bien que de nombreuses cultures doivent leur origine à la recherche financée par le fédéral, les développements plus récents comprennent de la recherche provenant d'établissements provinciaux et d'établissements publics internationaux, dont le financement comprend des prélèvements auprès des producteurs et de l'industrie. Avec l'avènement de la protection des obtentions végétales, le secteur privé a procédé à des investissements importants dans la recherche sur les cultures et les brevets qui sont maintenant accordés sur les processus biotechnologiques pour développer de nouvelles variétés, comme on l'a dit, pour accroître davantage la rentabilité des investissements du secteur privé. En conséquence, on constate une participation croissante du secteur privé et de nouveaux rôles, et cela signifie de nouveaux rôles et de nouvelles relations pour la recherche publique.

En résumé, il y a trois observations et recommandations générales que nous aimerions formuler.

Premièrement, que la recherche efficace nécessite un financement stable et que les décisions relatives au financement de la recherche ont besoin du point de vue et du secteur public et du secteur privé. Historiquement, l'investissement dans la recherche agricole a produit un rendement remarquablement élevé, jusqu'à 50 p. 100, mais il est continuellement nécessaire d'évaluer le meilleur rendement de l'investissement. Cela nécessite une coordination de l'effort de recherche pour s'assurer qu'il n'y a pas de dédoublement et qu'il y a un effort approprié disponible. L'autre considération, c'est qu'un équilibre soit maintenu entre les intérêts à court terme du secteur privé et l'intérêt public à plus long terme. Cela est particulièrement vrai de la recherche liée à la conservation des ressources naturelles — le sol, l'eau, l'air, la biodiversité — et les innovations qui seront utilisées sans compensation directe pour le développeur.

Ni le point de vue public ni le point de vue privé seul ne peut servir à affecter efficacement les fonds de recherche. Bien qu'il ne soit pas efficace que les établissements de recherche publics décident de la meilleure affectation des budgets pour répondre aux besoins du pays sans l'apport du secteur privé, il n'est pas non plus efficace que les fonds de recherche soient attribués uniquement en fonction des objectifs à court terme du secteur privé.

Il faut rétablir l'équilibre, car on est allé trop loin en privilégiant les objectifs à court terme du secteur privé.

Le président : Madame Dwyer, voudriez-vous terminer, car il ne reste pas beaucoup de temps?

Mme Dwyer : Il me reste deux petits points à traiter.

Le Canada a la réputation de produire des aliments sûrs et des céréales de qualité, et d'élever des animaux également de qualité, dans le respect de l'environnement. Faisant partie de la communauté scientifique mondiale, nos chercheurs ont un accès direct et en temps opportun aux innovations susceptibles de profiter aux systèmes de production et de transformation du Canada.

Cette position enviable est le fruit d'un investissement à long terme dans la recherche agricole. Ces investissements doivent se poursuivre pour que le Canada maintienne son avantage concurrentiel. Il n'a jamais été aussi nécessaire pour les chercheurs canadiens de pouvoir communiquer avec d'autres scientifiques et les autres intervenants du secteur. Il importe donc de lever les obstacles à la communication des résultats de la recherche à la communauté scientifique, aux producteurs et aux autres intervenants de l'industrie, car le transfert de l'innovation au bénéfice des usagers est une priorité.

Nous appuyons également la recommandation que vous a faite le 25 octobre dernier Richard Philips, qui représente les Producteurs de grains du Canada, à savoir que toutes les redevances produites par les institutions soient reversées au budget de ces dernières. Les producteurs proposaient en outre des modèles qui permettraient de financer davantage la recherche par la mise en commun des compétences et des crédits d'impôt qui favoriseraient l'utilisation de nouveaux produits.

Les producteurs, l'industrie privée et les gouvernements devraient tous contribuer à appuyer la recherche et l'innovation.

Le sénateur Plett : J'ai quelques questions à poser à Mme Dwyer. Pendant l'exposé, je commençais à m'apitoyer sur mon sort et sur celui de notre pays. Mais tout n'est pas perdu, je ne le crois pas. Je crois même que nous sommes en meilleure position que vous ne le laissez entendre dans votre exposé, mais peut-être ai-je tort.

Mme Dwyer : Ce n'était pas mon intention.

Le président : Attendez que l'on vous pose une question, s'il vous plaît.

Mme Dwyer : D'accord.

Le sénateur Plett : Ma question a trait aux commentaires que vous avez faits au sujet des sociétés privées et à but lucratif, qui accaparent les chercheurs, les gains à court terme, et cetera. Je pensais que nous voulions nous diriger vers les investissements privés. Mais vous disiez, il me semble, que vous ne vouliez pas que les entreprises privées et à but lucratif accaparent les chercheurs, qui devraient plutôt travailler dans le secteur public. N'est-ce pas ce que vous avez dit?

Mme Dwyer : Je suis désolée, je n'ai pas été claire.

Il faut qu'il y ait un équilibre entre le financement de la recherche publique et celui de la recherche privée. Nous voulons, certes, accroître le financement de la recherche privée, absolument. Si l'on s'en tient aux statistiques — et cela est d'ailleurs vrai pour tous les pays occidentaux —, la recherche agricole est surtout financée par le secteur public et il y a intérêt à partager davantage.

Ce que j'ai dit, c'est que les décisions à prendre sur le centre de ces capacités — sur ce que sera la capacité de recherche — doivent tenir compte, non seulement de la volonté des entreprises, qui ont tendance à être axées sur des missions précises et le court terme. Elles ont certes besoin de cette expertise, mais elles lui nuisent, par leur souci de faire des profits dans un délai relativement court.

Si tous nos efforts de recherche sont axés sur des objectifs à court terme, nous n'aurons ni la capacité ni les ressources humaines pour traiter les problèmes, qu'il s'agisse d'environnement, de la préservation des ressources que nous fournissent les sols, l'eau et l'air, dont nous avons la chance de disposer, mais qui ne sont pas indestructibles; et même la recherche destinée aux agriculteurs et les pratiques de gestion — tous ces éléments fondamentaux pour lesquels nous ne pouvons pas facilement récupérer notre investissement parce que nous n'en avons pas le contrôle. C'est le rôle que tiennent traditionnellement les institutions publiques qui mettent cet investissement à la disposition de tous.

Je n'ai pas voulu dire que nous ne voulons pas voir l'industrie investir ou les Canadiens travailler dans ce secteur.

Le sénateur Plett : Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, l'une de vos recommandations a trait à la nécessité d'un financement stable.

Mme Dwyer : Un financement à plus long terme — de cinq ans.

Le sénateur Plett : L'un ou l'autre témoin peut répondre. S'agissant d'un financement stable, qu'entendez-vous par là et d'où devrait-il provenir?

Mme Dwyer : Je vais commencer et M. Murphy finira.

Le financement stable devrait venir du secteur public, car cela ne relève pas du secteur privé. Ce dernier a pour mandat de créer quelque chose de particulier qui lui procurera des revenus, et de passer à la chose suivante. Le secteur public a préservé sa capacité de financement; il le fait d'ailleurs depuis plus de 125 ans.

Un financement stable vous permet tout simplement de prévoir ce que vous espérez réaliser dans un délai de 18, 24 ou 36 mois. Si vous vous dites que vous avez un financement pendant un certain laps de temps, que vous n'aurez ensuite plus d'argent et que vous repartirez à zéro, ce n'est pas comme cela que vous allez pouvoir préserver une capacité scientifique. Voilà ce que j'entends par financement stable.

Le sénateur Plett : Pour obtenir des résultats, il faut toutefois fixer un délai et exiger que des résultats puissent être montrés d'ici là, n'est-ce pas?

M. Murphy : Plusieurs raisons justifient un financement stable. Premièrement, dans un système scientifique donné, nous formons du personnel et des techniciens, et nous créons des équipements — l'équipement technologique est important et exige beaucoup d'entretien — et nous avons besoin de spécialistes pour cela. Si nous n'avons pas de financement stable et que nous disons à l'employé : « Nous ne pouvons pas vous garantir un salaire pendant les deux ans que vous utiliserez ce microscope, Dieu sait ce qui pourrait arriver. » On perd l'employé et le travail s'arrête. C'est dans ce sens-là que nous avons besoin d'un financement stable.

Aux États-Unis, certains programmes offrent du financement jusqu'à 10 ans, mais le parcours est habituellement ou généralement jalonné d'étapes.

Le sénateur Plett : Est-ce un financement stable, 10 ans?

M. Murphy : Dix ans, c'est très stable et cela me conviendrait tout à fait. Je ne sais pas si je serai encore dans les sciences dans 10 ans, mais c'est un financement tout à fait stable.

Le parcours est jalonné d'étapes. Lorsque vous élaborez votre projet, vous dites : « Voilà le but final. Voilà le but pour la période de 2011 à 2013, et voilà le but, et cetera. » À ces dates, les représentants des agences de financement interviennent. Dans certains des contrats que nous avons eus avec des compagnies pharmaceutiques, ils voulaient voir les progrès accomplis de mois en mois. Les agences pourraient s'engager dans un projet de cinq ans, mais elles veulent pouvoir suivre les progrès accomplis.

Le sénateur Plett : Veulent-elles des rapports d'étape?

M. Murphy : Non, elles veulent pouvoir, à certains moments, faire des évaluations et prendre des décisions. Elles vous disent : « D'accord, si vous êtes rendus à ce point, nous irons ensuite là. » Si vous n'y arrivez pas, il faut évidemment une certaine souplesse.

Le sénateur Plett : J'ai encore une question, à laquelle l'un ou l'autre peut répondre.

M. Murphy a parlé des accroissements énormes qu'a connus la production laitière, par exemple, ou d'autres denrées, grâce à la génétique, et cetera. On a vu ces mêmes augmentations dans les céréales. Il y environ 50 ans, 10 boisseaux de blé par acre représentaient probablement une culture décente. C'est aujourd'hui — je ne sais pas — 50 ou 60.

Je suis d'accord avec vous, la taille de nos terres n'augmente pas; elle pourrait même diminuer, avez-vous dit. Ne pourrions-nous pas toutefois augmenter nos récoltes en continuant de faire ce que les agriculteurs faisaient autrefois pour faire passer leur production de 10 boisseaux l'acre à 50 ou 60 aujourd'hui, et arriver peut-être à 120 boisseaux grâce à la recherche?

Cela semble un chiffre élevé, mais même il y a 50 ans, l'agriculteur qui obtenait 10 $ par boisseau ne pensait pas que son petit-fils pourrait jamais en obtenir 60.

M. Murphy : Là encore, par la génétique et la gestion, on peut arriver à un point d'équilibre. Dans tout, il y a toujours un seuil au-delà duquel les rendements diminuent. En fonction d'un trait génétique, vous pouvez arriver à des gains rapides à tous égards. Pour la plupart des choses dont nous parlons — et la production laitière en est un bon exemple, tout comme les céréales d'ailleurs —, il y a des caractéristiques plurifactorielles qui dépendent de l'interaction simultanée de plusieurs gènes. Nous faisons aujourd'hui de la sélection pour trouver ce que nous appelons des phénotypes. Une grosse production laitière est un phénotype recherché; nous sélectionnons donc des taureaux qui engendrent des agneaux ou des vaches qui produisent davantage de lait, mais nous ne savons pas quelles autres caractéristiques nous sélectionnons en même temps.

Tout est possible, mais je ne pense pas que nous puissions envisager qu'une vache puisse produire 15 000 ou 20 000 litres de lait par an. Cela n'est tout simplement pas possible, au plan physiologique. Aucune quantité d'aliments ne serait suffisante pour qu'elle puisse produire autant de lait. Le coût sur le métabolisme en serait trop élevé.

Nous pouvons faire d'autres progrès. Celui que nous devons faire est d'améliorer la fertilité, de sorte que nous aurons besoin d'un moins grand nombre de vaches pour produire la même quantité de lait.

Le sénateur Mercer : Vous avez dit qu'il y aura d'ici 2050 neuf milliards d'êtres humains sur terre. Quelqu'un d'autre a mentionné qu'il faudra accroître la production alimentaire d'au moins 50 p. 100 pour nourrir cette population. J'aurais pensé à un pourcentage plus élevé que celui-là.

Sommes-nous arrivés à un point critique? Deux mille cinquante n'est pas si loin, même si la plupart d'entre nous ne seront plus là.

Devons-nous nous préparer à une crise majeure si nous n'investissons pas dans une recherche pertinente, en agriculture et en développement? Le sénateur Plett a parlé de l'accroissement des rendements céréaliers et vous, monsieur Murphy, de la production laitière qui a plus que doublé entre 1945 et 2012. Le gros de ces progrès est dû à la science. Nous ne voulons pas le reconnaître. C'est vrai, les agriculteurs sont plus efficaces, mais c'est grâce à la science qu'ils le sont devenus.

Faisons-nous face à une situation de crise à l'horizon 2050, pour prendre cette date arbitraire?

M. Murphy : Ce n'est certainement pas mon domaine. Si l'on songe aux prévisions qui ont été faites, il y a au Royaume-Uni un important groupe de spécialistes qui se penche sur les changements démographiques. Ce groupe estime qu'il pourrait y avoir une crise bien avant cette date. Nous n'en aurons probablement pas dans notre pays. Mais nous avons déjà vu des crises alimentaires en Afrique et dans d'autres régions. Il s'agit souvent de problèmes d'approvisionnement, mais il y a aussi les crises dues aux changements climatiques. Ces choses-là arrivent.

Dans quelle mesure la science peut-elle nous aider à cet égard? Nous pouvons faire des progrès. Nous pouvons changer des choses. Nous pouvons rendre plus efficaces les productions céréalières et animales, ainsi que l'agriculture. Mais je ne pense pas — et je vois planer l'ombre de Malthus — que nous puissions arrêter la vague de la croissance démographique.

Le sénateur Mercer : Quel délai sépare les travaux de laboratoire des expériences sur le terrain et, finalement, des résultats concrets pour les consommateurs?

Il n'y a probablement pas de réponse satisfaisante quant au délai moyen que cela prend. Cela dépend de la nature des travaux, mais dans un cycle normal assorti du financement stable dont vous parliez, combien de temps cela prendrait normalement pour passer du concept à la recherche, et de la recherche au développement d'un produit ou d'une nouvelle méthode de production, en d'autres termes depuis le moment de la conception jusqu'à la table du consommateur? Serait-ce 15 ou 20 ans?

M. Murphy : Si nous parlons des progrès de la génomique, par exemple, nous pouvons, grâce à la technologie moderne, trouver des marqueurs qui nous donnent certaines caractéristiques particulières. Vous voulez une viande moins grasse, plus grasse; plus de ceci ou de cela; tout est possible et peut arriver rapidement. En fait, par la seule sélection, la quantité de gras du porc a été réduite de façon spectaculaire en 10 ans. Cela a eu d'autres conséquences, particulièrement sur la fécondité et diverses autres choses.

Si nous examinons ces choses avec les outils génomiques dont nous disposons, j'estime que nous pouvons découvrir des marqueurs et faire des progrès plus rapidement. Nous pouvons les multiplier et avoir des résultats à la ferme d'ici cinq ans.

À propos des animaux transgéniques et clonés, une autre barrière évidente se présente, celle de l'acceptation par le public. Quant à savoir quand les résultats se retrouveront dans notre assiette, c'est une autre histoire.

Le sénateur Champagne : Monsieur Murphy, j'aimerais tout d'abord vous remercier de la toute première phrase que vous avez prononcée aujourd'hui et qui m'a rassurée.

[Français]

Suite à la présentation de notre président, je me voyais rentrer chez moi et voir un grand vide, où il n'y aurait plus d'École de médecine vétérinaire, plus de Laboratoire de pathologie animale et plus de Centre d'insémination artificielle. Je sais que le maire de Québec est flamboyant et ambitieux, mais de là à transporter la faculté de l'Université de Montréal à Québec, je suis un peu inquiète.

Dr Murphy : Nous aussi, il nous fait peur.

Le sénateur Champagne : Je n'ai pas dit qu'il me faisait peur, j'ai dit qu'il était flamboyant et ambitieux. Ce n'est pas si mal. C'est que, à l'École de médecine vétérinaire, on a ouvert il n'y a pas tellement d'années un hôpital pour les gros animaux. On s'occupe aussi des petits animaux.

Dr Murphy : La recherche fait de bonnes choses : le groupe de reproduction et le groupe de la maladie du porc sont très bien connus et font beaucoup de recherche dans le but d'améliorer la biosécurité et la santé des troupeaux de porcs au Québec.

Le sénateur Champagne : À 10 kilomètres à la ronde de la faculté, il y a de nombreuses porcheries et il y a de gros élevages de dindons. La grippe aviaire pourrait donc s'y glisser. Il se fait beaucoup de choses au centre de recherche et c'est vous qui avez apporté le problème du clonage.

Depuis le jour où on a eu Dolly, le premier animal cloné, c'est évident que, dans la région de Saint-Hyacinthe, Starbuck était vraiment la vedette. Depuis 100 ans, il y a une exposition annuelle agricole à Saint-Hyacinthe. Les gens se précipitaient pour voir cet animal avec des pouvoirs qu'on ne pouvait pas imaginer.

Vous avez dit qu'il serait difficile de faire accepter au public la nourriture qui viendrait d'un clone de Starbuck.

Dr Murphy : Oui.

Le sénateur Champagne : Qu'est-ce qu'on peut faire pour aider? À l'époque, je sais que les gens voyaient les signes de dollars partout. Aujourd'hui, si on ne peut pas vendre le produit de l'animal cloné, à quoi bon investir dans la recherche sur le clonage si finalement ça n'apporte rien à personne?

Êtes-vous convaincu qu'il n'y a pas de problème? Que peut-on faire pour vous aider à convaincre le public que ces animaux ne sont pas dangereux pour la santé?

Dr Murphy : Au Canada, il est toujours interdit de vendre le produit d'animaux clonés. Aux États-Unis, le problème ne se pose pas. Le sujet a été étudié depuis des années et la pratique est tout à fait légale. Au Canada, la pratique est toujours illégale.

La valeur d'un taureau vedette, comme le Starbuck original, est de plus de 80 millions de dollars. C'est à ce prix que se vend la semence partout dans le monde. C'est considérable. Aujourd'hui, il n'y a pas de problème avec Starbuck. On peut récolter le sperme et en faire la congélation. C'est disponible dans le congélateur et prêt à la vente. Toutefois, les lois canadiennes rendent cette vente impossible. C'est peut-être le moment de penser à changer la loi.

Je crois qu'au Canada, on s'oppose moins aux animaux modifiés génétiquement. En France, par exemple, les gens pensent que les organismes modifiés génétiquement sont vraiment dangereux. Or, ce n'est pas vrai du tout. Il ne s'agit que d'un tout petit changement qui ne représente pas grand-chose. Il n'existe aucune preuve que cela pose problème.

Je ne sais pas s'il est plus important, pour répondre à votre question, de convaincre le public ou de changer les lois.

Le sénateur Champagne : Considérant le fait que vous avez le Centre d'insémination artificielle situé juste à côté, sur la même rue, c'est pourquoi les gens voyaient des signes de dollars un peu partout. Tout le monde voulait amener leurs vaches au bon moment et espérer que tout se passe bien.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : J'ai des questions semblables. Nous supposons tous que la raison de l'innovation — et des investissements que nous y faisons — est d'augmenter la productivité et de réduire les coûts pour le producteur et pour le consommateur.

Vous venez de dire que la plupart des pays d'Europe, et en particulier la France, sont obsédés par les céréales ou la viande génétiquement modifiés. Est-ce à dire que leur alimentation est plus chère parce qu'ils résistent aux produits génétiquement modifiés?

M. Murphy : Il y a probablement beaucoup de ces produits dont ils ignorent même l'existence. Par exemple, toutes les levures utilisées pour faire le pain sont génétiquement modifiées dans le monde entier, de sorte que tout le monde consomme des aliments qui proviennent d'organismes génétiquement modifiés.

Je pense que Mme Dwyer serait mieux placée que moi pour répondre à cette question, mais si je peux vous en donner un bon exemple, ce serait le canola, qui a été génétiquement modifié pour résister à certains pesticides tels que le Roundup. Dans les Prairies, il y a du soja, du maïs ou du canola Roundup Ready que l'on peut planter. Au lieu d'avoir à l'entretenir, on vaporise le Roundup sur les récoltes qui sont dès lors résistantes et poussent très bien, car toutes les mauvaises herbes meurent. Cela permet de faire des économies d'eau, de main-d'œuvre et d'argent. C'est certainement un système de culture plus efficace. Je ne sais pas dans quelle mesure le public sait que le soja et le canola qui proviennent de ces champs sont introduits dans le système et je doute que l'on sache que ces produits proviennent en fait d'organismes génétiquement modifiés. Sauriez-vous si c'est le cas de votre sauce soja ou d'un aliment comme l'huile de canola? Je ne crois pas. Mais cette culture est certainement rentable.

Le sénateur Merchant : Il y a quelques années, la présence d'un grain de Triffid dans 10 000 grains de lin a coûté environ un milliard de dollars à l'économie canadienne. C'est un processus coûteux.

Le consommateur a-t-il réalisé des économies? Où sont ces économies que vous inventez? Qui en profite? Si le consommateur n'accepte pas le résultat final et que cela est coûteux pour l'économie canadienne comme cela a été le cas cette fois-là, est-ce alors Monsanto qui a profité de votre recherche? Qui profite de tout cet argent que vous demandez au gouvernement et à l'entreprise privée d'investir?

Mme Dwyer : Les premiers bénéficiaires des produits génétiquement modifiés sont à ce jour les producteurs eux- mêmes. Ces graines leur coûtent plus cher et sont contrôlées par des multinationales, qui sont d'autant plus intéressées qu'en plus de leur vendre le Roundup, elles leur vendent aussi les graines qui lui sont résistantes.

Au bout du compte, c'est un système de production bien meilleur marché dont le coût a été plusieurs fois rentabilisé au fil des cultures et dans lequel des produits comme le maïs, le soja et le canola ont bénéficié de la meilleure génétique du jour. L'essentiel de cette culture est désormais génétiquement modifié en Amérique du Nord et la majorité des pays l'acceptent. Les premiers bénéficiaires en sont nos producteurs qui, historiquement, ont toujours été les premiers à profiter de la recherche agricole. Cela nous permet de rester concurrentiels sur la scène mondiale. La taille de nos cultures n'est pas aussi imposante que celle du Mid West américain ou de l'Europe centrale, mais nous sommes concurrentiels par rapport aux grandes denrées que nous produisons parce que nous avons des semences qui poussent bien dans notre environnement et des pratiques de gestion qui nous permettent d'en tirer le meilleur parti.

Qu'est-ce que cela rapporte au consommateur? Le soja fournit une huile alimentaire importante et relativement bon marché. En lisant les étiquettes, j'ai été surprise de voir qu'il était utilisé dans pratiquement tous les aliments.

Si ce produit n'était pas bon marché, on s'en ressentirait. Et c'est là un de nos problèmes au Canada : je regrette que quelqu'un ait pu penser que je cherchais à faire un sombre portrait de notre pays — ce n'est pas du tout le cas.

Nous sommes très avantagés, car nous disposons de beaucoup d'eau et de bonnes terres et, par rapport à nos revenus, nous payons très peu pour nos aliments. Je sais que vous avez parlé avec des responsables de l'agence d'inspection. Notre réglementation est bonne. Les gens estiment que les règlements de l'agence leur permettent d'obtenir de bons aliments qui ne présentent pas de risque pour la santé.

Notre objectif, c'est notamment d'assurer la sécurité alimentaire des Canadiens.

Nous n'avons pas le contrôle expérimental nécessaire pour dire si le soya GM aurait été moins cher que le soya classique. Nous visons toujours le meilleur rapport qualité-prix. Si le transformateur n'améliore pas ses profits par rapport à ce qu'il vend déjà, la semence ne connaîtra pas de succès.

Le sénateur Merchant : M. Murphy n'a-t-il pas dit que les Canadiens ne voulaient pas d'OGM?

M. Murphy : C'est vrai concernant les animaux. Je répète qu'on se désintéresse présentement de Starbuck, dont la semence n'est pas offerte sur le marché, et de l'Enviropig, qui a été développé à l'Université de Guelph et qui réduit la contamination de l'environnement par le fumier. Leurs progénitures ne peuvent pas entrer dans la chaîne alimentaire. Ce n'est pas exactement une question d'acceptation par la population, mais de réglementation qui les interdit.

Le sénateur Eaton : Je veux poursuivre sur les modifications génétiques. J'examine les sables bitumineux depuis quelque temps. Nous avons laissé le monde établir le bilan environnemental du Canada, et nous devons toujours nous défendre.

D'autres membres du milieu agricole nous ont dit que les Européens et les Africains étaient très réticents à utiliser les semences ou les produits GM. Pourrait-on dire que les scientifiques ont réagi trop tard lorsque les gens ont commencé à s'opposer aux OGM?

Par exemple, le miel canadien n'est pas accepté en Allemagne si les abeilles ont butiné des bleuetiers. Le Canada ne fait-il pas valoir qu'il faut envisager d'effectuer davantage de recherche sur les produits comme les semences GM pour nourrir les neuf milliards d'humains sur terre dont se préoccupe le sénateur Mercer?

M. Murphy : Parlez-vous des effets néfastes potentiels?

Le sénateur Eaton : Oui.

M. Murphy : Pour répondre précisément à votre question, il s'agit de considérations sociologiques, et non scientifiques.

Le sénateur Eaton : D'accord, mais ces considérations ne nuisent-elles pas à la commercialisation potentielle de votre recherche?

M. Murphy : Je suis convaincu que la progéniture de Starbuck n'est pas différente des progénitures d'autres taureaux de race laitière, concernant la sécurité de la chaîne alimentaire.

Le sénateur Eaton : Comment faut-il s'y prendre? Ceux qui ne travaillent pas dans la recherche scientifique manquent-ils de renseignements ou ont-ils des préjugés? Comment peut-on montrer aux gens que c'est sécuritaire?

M. Murphy : Les OGM sont acceptés aux États-Unis. Lorsque les autorités américaines ont annoncé que les animaux clonés pouvaient entrer dans la chaîne alimentaire, les gens ont protesté très brièvement, mais on n'en entend plus parler. Il n'y a plus de problème à ce que les OGM fassent partie de la chaîne alimentaire. Je crois que c'est avant tout une question de réglementation et je ne pense pas qu'il y aurait de problème.

Le sénateur Eaton : Est-ce un problème de réglementation au Canada?

M. Murphy : Ce l'est concernant les animaux, mais pas en ce qui a trait aux plantes. Je ne suis pas expert en économie agricole, mais je ne pense pas que c'est un problème pour nos partenaires économiques, comme les États- Unis, l'Asie ou ailleurs. Mais il semble que c'est un problème majeur en France.

Le sénateur Eaton : On dirait que c'est un problème majeur en Allemagne et en Afrique.

M. Murphy : Nous parlons des OGM, mais les chercheurs peuvent examiner bien d'autres questions.

Le sénateur Eaton : Pour terminer sur les animaux, j'ai effectué des recherches il y a un certain nombre d'années pour le documentaire Alberta in Transition. Au centre de recherche où je suis allée, les scientifiques faisaient beaucoup de recherche sur les bovins à viande croisés. Les chercheurs étudient-ils encore ce type de bovins ou se concentrent-ils sur les bovins pur sang?

M. Murphy : Le croisement est sans doute courant à cet égard. Il y a des troupeaux de bovins pur sang, mais le croisement et une meilleure variabilité génétique offrent bien des avantages, surtout l'hétérosis, mais aussi une croissance, un indice de consommation et une taille supérieurs, et cetera. Les troupeaux de bovins pur sang entraînent souvent la consanguinité et de grands problèmes de gènes récessifs.

Le sénateur Eaton : Madame Dwyer, avez-vous cinq grandes priorités de recherche pour les cinq prochaines années?

Mme Dwyer : La plupart des organismes ont leurs propres priorités. Parlez-vous des priorités d'Agriculture Canada en général?

Le sénateur Eaton : Dans le cadre de sa politique agricole, le Canada a-t-il des priorités concernant les fonds qu'il accorde aux universités? Vous occupez-vous de la recherche?

Mme Dwyer : La recherche est effectuée au Canada. Les organismes subventionnaires examinent les priorités régulièrement. Agriculture Canada établit ses priorités, tout comme les universités partout au pays qui tentent de coordonner les travaux. Nous étudions des questions importantes qui ne seront pas réglées dans les cinq prochaines années.

Le sénateur Eaton : Avez-vous des exemples?

Mme Dwyer : Il y a la relation entre le régime alimentaire et la santé ainsi que celle entre l'agriculture et la santé. Le travail du gouvernement fédéral est très efficace, mais l'Agence de la santé publique du Canada et les ministères de la Santé et de l'Agriculture planchent présentement sur des projets communs. Nous examinons toutes sortes de questions, des causes alimentaires de certaines maladies répandues chez les adultes et les aînés aux allégations santé sur certains aliments. Par exemple, nous devons établir si l'avoine permet de réduire le taux de cholestérol et quels sont ses avantages ou ceux des isoflavones dans le soya. Pour ce qui est de l'alimentation, nous nous penchons sur bien des propriétés qu'auraient les aliments fonctionnels.

Je ne pense pas que nous pouvons éviter les changements climatiques. C'est une question importante pour le Canada. Nous sommes plus chanceux que d'autres pays, et je répète que le réchauffement climatique profitera peut- être aux Prairies. Toutefois, nous devons nous adapter à des changements qui surviennent peut-être plus vite que prévu. Surtout concernant les changements de précipitations, l'amélioration génétique vise à faciliter l'adaptation. Nous devons adapter la génétique aux changements climatiques anticipés et peut-être diversifier nos cultures dans certaines régions.

Le sénateur Eaton : Est-ce une simple pratique agricole exemplaire d'enseigner aux gens à diversifier leurs cultures?

Mme Dwyer : Sans doute que oui. C'est ce que nous disons sur la scène internationale; il faut éviter de mettre tous ses œufs dans le même panier et trouver d'autres débouchés.

À ce chapitre, le partenariat public-privé est très important. La génomique, la métabolomique et la nutrigénomique coûtent très cher. Concernant l'importance de la réglementation, ce n'est pas les fonds publics, mais les fonds privés qui servent à faire approuver les produits, comme la première variété résistante au Roundup et toutes celles sur le marché à l'heure actuelle.

Pour continuer à adapter les plantes ou les animaux, nous avons besoin de tous nos outils. Ce serait de la folie de se passer de la métabolomique ou de la génomique, parce que certains sont réticents.

Je ne veux pas changer de sujet, mais c'est difficile de dire qu'une chose ne présente aucun risque, comme certains l'exigent. La science permet d'établir le niveau de risque et d'affirmer que les OGM dans la chaîne alimentaire ne présentent pas de risque mesurable important, mais, pour certains, c'est insatisfaisant. Nous étudions toujours les questions environnementales, les croisements éloignés et les conséquences potentielles liées entre autres aux mauvaises herbes, mais aucun problème n'a été décelé.

Le sénateur Mahovlich : Serait-il utile de changer le nom de Starbuck pour Tim Horton? C'est très canadien.

Mme Dwyer : En effet.

M. Murphy : Le nom d'un joueur de hockey présente-t-il des avantages?

Le sénateur Mahovlich : Certainement, surtout au Canada.

L'agriculture attire-t-elle davantage de jeunes étudiants canadiens? À ce que je comprends, c'est plus difficile que jamais de les y intéresser.

Mme Dwyer : Les petites exploitations agricoles disparaissent.

Le sénateur Mahovlich : Est-ce les sociétés par actions qui reprennent le flambeau?

Mme Dwyer : Oui, c'est maintenant de grandes exploitations agricoles dont s'occupent de grands groupes, peut-être des coopératives.

Le sénateur Mahovlich : Nous ne rendons pas l'agriculture attrayante. Vous dites qu'il y aura une demande dans 50 ans, mais nous n'arrivons pas à attirer les jeunes.

Mme Dwyer : Compte tenu des investissements qu'un agriculteur doit faire par rapport à un dirigeant de PME et du rendement auquel il peut s'attendre, l'agriculteur doit être assez passionné.

Le sénateur Mahovlich : De nos jours, il faut être riche pour posséder une exploitation agricole.

Mme Dwyer : C'est plus facile si on hérite de l'exploitation ou qu'on travaille dans une coopérative. Nous nous employons à rendre la production profitable. Nous ne voulons pas tous vivre en ville. Je ne pense pas que nous voulons des terres inexploitées où personne ne vit.

[Français]

Le sénateur Rivard : J'ai pris connaissance d'une statistique concernant la formation générale des exploitants agricoles, qui nous informe qu'à peine 10 p. 100 des exploitants agricoles sont détenteurs d'un diplôme universitaire. C'est deux fois moins que la population active en général. Pensez-vous que cela peut freiner la recherche et l'innovation? Cela se compare-t-il d'une province à l'autre? Si oui, comment cela se compare-t-il, par exemple, avec des exploitants agricoles américains? Y a-t-il plus de diplômés, et cetera?

Mme Dwyer : Je crois que le pourcentage de 10 p. 100 est trop bas.

Le sénateur Rivard : Vous n'êtes pas d'accord avec le fait qu'il y ait une proportion de 10 p. 100 des exploitants agricoles qui sont diplômés universitaires?

Dr Murphy : Je crois que c'est plus que cela. Les jeunes gens ne vont pas nécessairement à l'université, mais les cégeps proposent des programmes ainsi que l'Institut de technologie agricole. Cela existe. Je pense que c'est plus que 10 p. 100.

Cela dépend de l'industrie. Dans l'industrie du porc, par exemple, c'est très important d'être éduqué sur la santé, les maladies et autres. Les gens sont bien préparés pour ce métier maintenant.

Les temps ont bien changé. Avant, les animaux vivaient sur le terrain de la ferme alors que, maintenant, ils sont dans une grange. C'est vraiment beaucoup de travail. Il faut évaluer la nutrition, comprendre les programmes d'exploitation, et cetera. Beaucoup de gens ont étudié.

[Traduction]

Le sénateur Duffy : C'est très bien que vous soyez parmi nous ce soir. Compte tenu de vos études, je trouve que nous sommes chanceux que vous travailliez dans un domaine si important pour tellement de Canadiens.

Ma collègue, le sénateur Eaton, a soulevé la question du génome et des OGM. Nous en parlons peut-être plus que ce que vous aviez prévu, mais il me semble que la capacité du gouvernement de promouvoir des produits, des procédures et des processus nouveaux concerne entre autres la résistance de la population. Le célèbre bovin Starbuck continue bien sûr de susciter des critiques.

Au début de la recherche sur les modifications génétiques, certains parlaient des aliments Frankenstein et, de nos jours encore, les gens s'affolent. L'après-midi, les émissions de télé comme Oprah Winfrey reçoivent parfois des soi- disant experts qui donnent toutes sortes de conseils farfelus. Par exemple, on nous avise de ne pas faire vacciner nos enfants contre la rougeole, parce ça peut entraîner d'autres problèmes. Il me semble que ces mises en garde alarmistes ont un effet négatif sur la santé de la population en général.

Compte tenu de tout ce qui a été dit à ce sujet, y a-t-il eu de cas d'aliments Frankenstein au Canada?

M. Murphy : À ce que je sache, aucun aliment n'a posé de problème.

Ce n'est pas lié aux modifications génétiques, mais une des façons de préserver les aliments, c'est de les irradier. Je crois par exemple que bien des fraises et d'autres aliments venant de la Californie qui ne semblent jamais mourir ont été irradiés à un moment ou à un autre. Les gens disent que l'irradiation cause bien des problèmes. Ils pensent que les fraises vont devenir radioactives, mais ce n'est pas le cas. Les gens ne comprennent pas que, si on place un objet sous une lampe, il ne deviendra pas fluorescent ou brillant. Si on utilise une source radioactive, on tue toutes les bactéries, mais il ne reste pas ensuite de traces de radioactivité. Les gens ne le comprennent pas et font une fausse association. Je pense que le principal problème, c'est le manque de sensibilisation de la population.

Les tomates GM sont offertes sur le marché aux États-Unis, et je crois qu'elles le sont aussi au Canada. Je ne suis pas sûre, mais on peut acheter des tomates au goût amélioré.

Le sénateur Duffy : Il existe environ 500 variétés de tomates. Au cours de ma vie, j'ai essayé de toutes les goûter. Les tomates de l'Île-du-Prince-Édouard sont les meilleures.

Étant donné que nous voulons tous bien nourrir la population canadienne et faire de notre mieux pour nourrir la population mondiale, devons-nous réagir face à ces affirmations délirantes et jusqu'ici infondées pour en finir avec la famine dans le monde?

M. Murphy : Oui, mais je pense que la solution viendra lorsque les gens auront faim. Ces considérations auront moins d'importance. Les gens s'intéresseront avant tout à l'efficience de la production.

Le sénateur Duffy : Comme le sénateur Eaton l'a indiqué, si nous ne prenons pas les devants, nous devrons faire comme en Europe et essayer d'expliquer l'inexplicable à ceux qui ne sont pas réceptifs.

Mme Dwyer : C'est intéressant de savoir qu'une multinationale a mis en marché les premiers OGM et qu'ils n'ont pas gagné la faveur populaire. Les responsables de l'entreprise n'ont pas compris qu'une variété résistante aux herbicides qui profite aux agriculteurs n'était pas attrayante pour les résidents du centre-ville d'Ottawa, qui n'étaient pas prêts à courir le risque. Je pense que le problème, c'est encore l'impossibilité de prouver qu'il n'y a aucun risque.

Le sénateur Duffy : On n'a qu'à penser au Sud de l'Afrique.

Mme Dwyer : Les images qu'on nous présente sont troublantes.

Le sénateur Duffy : Dans le Sud de l'Afrique, on a tourné le dos à toutes sortes de choses qui aideraient à nourrir la population, à cause de fausses informations.

M. Murphy : C'est de l'ignorance.

Mme Dwyer : En effet.

Le sénateur Duffy : Merci de votre présence aujourd'hui.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Ma question s'adresse à Mme Maria Derosa. Vous comprenez le français, madame?

Un certain M. Phillips nous a déjà parlé de l'engrais dont vous nous avez parlé, l'engrais intelligent, si on peut se servir de ce terme. Où en êtes-vous actuellement? Savez-vous quand les agriculteurs pourront s'en servir? Est-ce bientôt?

[Traduction]

Mme Derosa : Je vais simplement préciser le contexte, car tout le monde n'était peut-être pas présent lorsque vous en avez entendu parler. Nous travaillons à des engrais qui peuvent réagir aux signaux émis par les racines. Les cultures émettent notamment des molécules, des sucres, des acides aminés, et cetera, qui indiquent un besoin en nutriments, comme l'azote.

Nous développons un engrais qui peut réagir à ces signaux. L'idée, c'est que l'enduit peut devenir perméable et libérer plus d'engrais lorsque la plante en a besoin.

Nous avons commencé il y a plusieurs années. Nous commençons maintenant à valider nos résultats de recherche dans les sols et nous espérons montrer l'année prochaine le succès de notre prototype dans une serre.

Les gens demandent combien de temps exige ce genre d'innovations. Il faudra de nombreuses années, mais grâce à un financement stable durant quatre ans, nous sommes passés d'une idée que tout le monde jugeait saugrenue à la démonstration en laboratoire que notre enduit réagit aux signaux émis dans l'environnement. Nous espérons montrer dans quelques années que cet enduit fonctionne sur une culture précise. Si ça marche, nous nous pencherons sur d'autres signaux, de nouvelles plantes et d'autres nutriments. Présentement, nous examinons seulement l'azote, mais on peut envisager l'étude du phosphore, des oligo-éléments, et cetera.

Je répète que des fonds suffisants investis sur une période raisonnable nous permettent de réaliser certaines innovations que les gens pensaient impossibles il y a plusieurs années.

C'est évidemment difficile de dire combien de temps il faudra avant que les agriculteurs utilisent cet engrais, mais si nos prototypes fonctionnent bien, il pourrait être prêt dans cinq ou 10 ans.

Le sénateur Robichaud : Ce serait si long?

Mme Derosa : C'est possible. Je répète qu'il nous a fallu cinq ans pour en arriver à expérimenter un engrais. Seulement deux chercheurs appuyés de nos équipes examinent la question, alors j'imagine qu'il faudra encore au moins cinq ans avant de pouvoir affirmer que notre engrais fonctionne sur les cultures. Mais le temps nécessaire va dépendre de notre capacité d'accélérer le processus, et cetera.

Le sénateur Robichaud : Vous avez donc grand besoin de financement stable, n'est-ce pas?

Mme Derosa : En effet. La recherche concerne non seulement l'agriculture, mais aussi la santé. Il faut permettre aux chercheurs de se concentrer sur la recherche prometteuse, au lieu de passer tout leur temps à demander des subventions pour soutenir leurs programmes.

Pour réduire le fardeau associé aux demandes de fonds de toutes sortes, il faut offrir un financement stable pendant un certain temps : cinq ans et même plus en ce qui a trait à la recherche sur certaines questions de santé. Les IRSC, qui reçoivent des subventions liées à la santé, espèrent profiter d'un financement sur sept ans pour diminuer ce fardeau.

Ces périodes de financement stable sont importantes afin de planifier la recherche, de trouver les bonnes personnes et de les former pour accomplir des tâches intéressantes, sans devoir toujours demander d'autres fonds simplement pour continuer.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Vous avez parlé de biosensing.

Mme Derosa : Oui.

Le sénateur Robichaud : Ce principe peut s'appliquer autant aux plantes qu'aux animaux, n'est-ce pas?

Mme Derosa : Oui.

Le sénateur Robichaud : Vous avez aussi parlé de nanotechnologie.

Mme Derosa : Oui.

Le sénateur Robichaud : J'ai lu un article, à un moment donné, qui disait que l'on pouvait se servir de cette technologie pour transporter soit des médicaments ou des choses à certains endroits et cibler.

Mme Derosa : Oui.

Le sénateur Robichaud : Vous travaillez dans ce domaine. Est-ce que cela à faire avec l'engrais intelligent ou c'est complètement séparé?

[Traduction]

Mme Derosa : C'est exact. Il a été question d'utiliser la nanotechnologie pour que les médicaments agissent directement où il faut. Pourquoi ne pas faire de même en agriculture? Il faut offrir le nutriment à la plante lorsqu'elle en a besoin et le pesticide lorsqu'elle est menacée, au lieu d'en épandre de façon constante sur tout le champ.

Pourquoi ne nous y prenons pas ainsi? Les plantes doivent émettre les mêmes types de signaux lorsqu'elles sont menacées. Nous devons reconnaître et comprendre ces signaux. Il faudra beaucoup de temps pour y parvenir. L'avantage, c'est que l'impact sur l'environnement serait moindre. Notre engrais pourrait favoriser davantage la croissance, au lieu de contaminer l'eau et l'environnement. Des investissements judicieux nous permettraient de réaliser de grands progrès.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Vous avez parlé d'une approche multidisciplinaire.

[Traduction]

Les chercheurs sont-ils réticents?

[Français]

Dr Murphy : Non, pas du tout. Pour la résistance, il est difficile de voir la situation dans son ensemble. Par exemple, j'aime travailler avec des épidémiologistes. Quand on commence, on se rend compte que les approches et façons de penser sont très différentes et à la fois très utiles. J'apprends toujours de mon collègue qui vient d'ailleurs. Je crois que cet aspect est avantageux.

Je témoigne au nom de la recherche fondamentale. C'est pour moi un domaine important. Toutefois, il arrive que l'on voie les choses en profondeur et pas du tout d'une façon générale. L'aspect multidisciplinaire nous permet de rencontrer quelqu'un de complètement différent, des personnes de disciplines ou de domaines tout à fait différents, qui peuvent donner des idées et des approches importantes.

Prenons l'exemple d'un chimiste qui travaille avec une personne du domaine de l'agriculture. La perspective est complètement différente. Ces deux personnes sont réunies pour attaquer un problème commun. C'est un bon exemple.

Le sénateur Robichaud : Vous dites qu'on a besoin d'une approche multidisciplinaire.

Dr Murphy : Oui, en effet.

Le sénateur Robichaud : Cela veut dire qu'on ne l'avait pas dans le passé ou qu'on l'avait moins.

Dr Murphy : On n'avait pas grand-chose. On a le programme, par exemple, de toxicologie qui touche, entre autres, les dimensions fondamentales, cliniques et le système de santé. Ces quatre piliers interagissent. Vous connaissez le domaine de l'agriculture mieux que moi. Je ne connais pas d'exemple de programmes qui appuient la recherche multidisciplinaire.

Mme Dwyer : Je crois que c'est une évolution car même les universités ont différents départements qui traitent, par exemple, des sols, des plantes ou de la physiologie. À Guelph, on a décidé d'englober le tout dans l'agriculture. Le département englobe toutes les disciplines et domaines de l'agriculture en une seule division. Il faut toujours diviser d'une façon ou d'une autre, et c'était plus facile de le faire par discipline. Les préoccupations et les enjeux sont maintenant trop compliqués. Il faut avoir toute une équipe. Pour les grandes propositions qui représentent beaucoup d'argent, particulièrement sur le plan international, il faut avoir beaucoup d'expertise. On doit pouvoir dire, nous sommes une équipe, par exemple, de 12 et on a quelqu'un pour chaque discipline. Cela requiert une façon de communiquer. Une seule personne ne peut comprendre tous les détails que les scientifiques aiment comprendre. Chacun a une idée, mais pas une expertise; c'est l'équipe qui a toute l'expertise. Pour adresser le problème, il faut communiquer ensemble et diviser les fonds. C'est une évolution qui se poursuit et il faut en faire plus.

Le sénateur Robichaud : Avec un financement à long terme?

Dr Murphy : Oui, un financement à long terme.

Mme Dwyer : Pour régler un grand problème.

Dr Murphy : Par exemple, plutôt que de faire plusieurs petits projets, il faut se concentrer sur un projet unique susceptible de régler le problème de la durabilité et de l'impact environnemental de l'élevage porcin. On peut le faire en consultant des spécialistes en hydrologie ou en physiologie animale, par exemple. On peut consulter des nutritionnistes, des gestionnaires de ferme. C'est en travaillant ensemble qu'on pourra peut-être résoudre le problème plus rapidement.

Le président : Merci, sénateur Robichaud.

[Traduction]

Mesdames et monsieur les témoins, je dois dire que vous nous avez donné beaucoup à penser concernant l'approche multidisciplinaire. Nous avons très bien compris vos commentaires. Nous vous remercions de votre présence.

Chers collègues, nous allons tenir une brève séance à huis clos avant de partir.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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