Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 14- Témoignages du 29 mars 2012
OTTAWA, le jeudi 29 mars 2012
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 4, pour examiner, afin d'en faire rapport, les efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole. (sujet : Gestion des déchets agricoles — analyse du cycle de vie de l'agriculture.)
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, bonjour. Je déclare la séance ouverte et vous souhaite la bienvenue, ce matin, à la réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
Madame Kari Dunfield, de l'Université de Guelph, nous entendez-vous?
Kari Dunfield, professeure adjointe, Département des sciences des ressources terrestres, Université de Guelph : Oui, je vous entends. Bonjour.
Le président : Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, et je suis président du comité. Je vais inviter tous les sénateurs à se présenter eux-mêmes.
Le sénateur Merchant : Bonjour, je m'appelle Pana Merchant, et je suis un sénateur de la Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Je suis Fernand Robichaud, de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Frank Mahovlich, de l'Ontario.
Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.
Le sénateur Buth : JoAnne Buth, du Manitoba.
Le sénateur Eaton : Sénateur Eaton, de l'Ontario.
[Français]
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, Québec.
Le sénateur Rivard : Michel Rivard, les Laurentides, Québec.
[Traduction]
Le président : Merci d'avoir accepté notre invitation de comparaître devant notre comité pour nous faire part de vos avis et de vos recommandations, afin que nous puissions présenter un rapport qui reflète bien la situation de l'industrie.
Aujourd'hui, nous allons parler plus particulièrement de la recherche et de l'innovation dans l'industrie canadienne de la gestion des déchets agricoles. À l'intention des témoins, je voudrais dire que le comité a reçu le mandat de faire une étude sur de nouveaux débouchés possibles, au Canada et à l'étranger, pour accroître la viabilité agricole.
[Français]
Le motif est également l'amélioration de la diversité et la sécurité alimentaire à travers le pays.
Ce matin, nous avons l'honneur d'accueillir Mme Kari Dunfield.
[Traduction]
Elle est professeure adjointe au Département des sciences des ressources terrestres, de l'Université de Guelph. Son témoignage nous est transmis par vidéoconférence. Nous étions censés être à Guelph aujourd'hui et demain, mais nous avons décidé de reporter ce déplacement.
Vous pouvez être sûre, madame Dunfield, que nous vous rendrons visite plus tard, en avril ou en mai.
[Français]
Nous accueillons aussi, de Bio-Terre Systems Inc., Mme Élise Villeneuve, qui est chef des opérations. Merci d'avoir accepté notre invitation.
[Traduction]
Nous allons passer aux déclarations des témoins et commencer par Mme Dunfield, qui sera suivie de Mme Villeneuve. Ensuite, les sénateurs vous poseront des questions.
Madame Dunfield, vous avez la parole.
Mme Dunfield : Merci de m'avoir invitée à participer à votre discussion aujourd'hui. Je tousse un peu et je vous prie de m'en excuser, mais c'est la fin du semestre et, pour les professeurs d'université, c'est la dernière ligne droite, en quelque sorte, car nous devons à la fois faire des conférences, corriger des examens et aider nos étudiants diplômés à préparer leur soutenance de thèse. Mon système immunitaire a été mis à rude épreuve, et j'ai attrapé un rhume. C'est aussi bien que je m'adresse à vous par vidéoconférence, car je ne risque pas, de cette façon, de vous transmettre mes microbes.
Je vais vous donner un aperçu de mon domaine d'expertise et de mon champ de recherche. Ensuite, je vous parlerai plus précisément des recherches que j'ai entreprises et qui portent sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui, à savoir la gestion des déchets agricoles. Je constate que ma recherche cadre bien avec le mandat du comité, qui porte sur la viabilité agricole et la sécurité des aliments.
Je suis professeure adjointe à l'École des sciences de l'environnement, au Collège agricole de l'Ontario de l'Université de Guelph. Créé en 1874, le CAO a une longue tradition de recherche agricole. Personnellement, je m'intéresse plus particulièrement aux effets sur l'environnement des pratiques agricoles, et aux moyens d'atténuer ces effets.
Le CAO m'appuie énormément dans mes recherches, car il abrite beaucoup d'experts en la matière et il a des liens bien établis avec d'autres organisations comme le ministère ontarien de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Affaires rurales.
Sur le plan universitaire, je suis rattachée à l'École des sciences de l'environnement. Cette unité multidisciplinaire, qui a été créée en 2009, étudie divers enjeux importants en matière d'environnement.
Mon champ de recherche est l'écologie microbienne des sols. J'ai un baccalauréat en microbiologie et en biologie moléculaire de l'Université de Calgary, ainsi qu'une maîtrise en phytologie et un doctorat en pédologie du College of Agriculture de l'Université de la Saskatchewan. J'utilise des techniques d'avant-garde — les techniques moléculaires basées sur l'ADN — pour étudier les micro-organismes des sols, qui jouent un rôle crucial dans les écosystèmes, et influent à la fois sur la fertilité des sols et le rendement agricole.
Il est amplement démontré que la diversité des communautés microbiennes des sols peut changer en réaction au génotype des plantes, et que les pratiques de gestion — comme la culture d'espèces génétiquement modifiées, la culture traditionnelle par opposition à la culture sans labour, l'épandage de fumier pour bonifier le sol ou la récolte des résidus agricoles pour la fabrication d'agrocarburants — peuvent influer sur l'abondance et l'activité des micro-organismes. Toute pratique qui modifie la communauté microbienne est une source d'inquiétude, car les micro-organismes sont la nourriture essentielle des sols et jouent un rôle dans un grand nombre de phénomènes pédologiques importants comme les émissions de gaz à effet de serre, la transformation des nutriments, la décomposition du carbone organique, la séquestration du carbone, ainsi que la structure, la composition et l'érosion des sols.
Ce qui m'intéresse tout particulièrement, et c'est là l'objectif principal de mon laboratoire de recherche, c'est d'évaluer dans quelle mesure les pratiques de gestion agricoles ont un effet sur les grands écosystèmes, la viabilité et la santé des sols. Nous le faisons en étudiant les communautés microbiennes.
Mes travaux de recherche sur l'impact environnemental des déchets agricoles comportent deux filières. J'ai travaillé avec l'agrométéorologue Claudia Wagner-Riddle afin d'établir un lien entre les émissions d'oxyde d'azote des sols et la modification de la composition des communautés microbiennes des sols. C'est crucial si on veut comprendre le cycle de vie du fumier. Nous savons que, dans une ferme d'élevage, les émissions de gaz à effet de serre peuvent se produire en de multiples endroits. Les animaux peuvent émettre du méthane, et le fumier entreposé peut libérer du méthane, de l'oxyde d'azote et de l'ammoniac. De plus, au moment de l'épandage, le fumier peut devenir une sorte de cuvette pour les gaz à effet de serre, le CO2 en l'occurrence, mais il ne faut pas oublier que le sol peut lui-même être une source de gaz à effet de serre, en l'occurrence d'oxyde d'azote et d'ammoniac. Étant donné que ces réactions chimiques sont déclenchées par des microbes, il est intéressant d'analyser les facteurs pédologiques environnementaux qui ont un effet sur les micro-organismes. C'est absolument indispensable si on veut mieux contrôler les gaz à effet de serre émis par ces systèmes.
Parallèlement à cette étude, mon laboratoire de recherche étudie la mobilité et la survie des pathogènes que le fumier libère dans le sol, notre objectif étant de veiller à la protection de l'eau de source. Nous savons en effet que le fumier utilisé comme engrais est une source importante de pathogènes humains qui s'infiltrent ensuite dans l'eau et dans le sol. De plus, nous savons que la contamination des eaux d'irrigation par l'épandage de fumier peut être la source d'une contamination fécale, comme l'ont démontré plusieurs épidémies importantes provoquées par la consommation de produits frais et de légumes précoupés. Il est important de bien comprendre comment les pathogènes contenus dans les sols survivent et se déplacent.
Enfin, en tant que pédologue, je tiens à souligner l'importance, pour les agriculteurs, des déchets agricoles ou du fumier pour la bonification et la viabilité des sols, notamment le maintien de leur teneur en carbone et en nutriments. L'accumulation de carbone dans le sol est importante non seulement pour la séquestration du carbone, mais aussi et surtout pour la préservation de la structure du sol et sa protection contre l'érosion. Dans les fermes d'élevage où on utilise fréquemment les résidus agricoles pour l'ensilage et l'alimentation des animaux, l'épandage de fumier est une pratique importante en ce sens qu'elle permet de redonner des nutriments au sol.
En ce qui a trait aux bonnes pratiques de gestion en matière d'épandage de fumier, il y a encore des questions fondamentales qui restent sans réponse. On observe souvent des pratiques contradictoires en ce qui concerne la perte de nutriments, la perte de pathogènes et les émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, le fumier devrait être épandu sur des sols préalablement labourés afin d'empêcher l'écoulement préférentiel des nutriments. Toutefois, c'est l'incorporation du sol qui réduit vraiment les émissions d'ammoniac. Pour ce qui est des pathogènes, la meilleure pratique de gestion consiste à étendre le fumier en surface, pour que les rayons UV accélèrent la destruction des pathogènes.
Il faut que nous soyons en mesure d'élaborer une politique qui aidera les agriculteurs à faire de tels choix. La Loi sur la gestion des éléments nutritifs a pour objectif de limiter l'infiltration d'azote et de phosphore dans le sol, mais elle ne règle pas le problème des pathogènes et des gaz à effet de serre. Les agriculteurs privilégient peut-être les nutriments parce que, s'ils doivent les remplacer par des engrais commerciaux, ça leur coûte de l'argent, mais il faut étudier les autres dimensions du problème pour pouvoir encourager les agriculteurs à privilégier autre chose, comme la protection de l'eau de source ou la limitation des gaz à effet de serre.
Je vais en rester là pour l'instant.
Le président : Merci, madame Dunfield.
[Français]
Élise Villeneuve, chef des opérations, Bio-Terre Systems Inc. : Monsieur le président, mon nom est Élise Villeneuve, je suis ingénieure et chef des opérations chez Bio-Terre Systems Inc., une entreprise de Sherbrooke, au Québec.
Bio-Terre commercialise une technologie de digestion anaérobie à basse température qui a été développée et brevetée par Agriculture Canada et l'Université d'Ottawa au début des années 1990.
[Traduction]
L'objectif était d'offrir aux agriculteurs canadiens une technologie de digestion anaérobie stable et fiable, à une température moins élevée que ce qui existait jusqu'à présent.
Je vais m'arrêter un instant pour vous demander si vous avez besoin que je vous explique ce qu'est la digestion anaérobie ou un système de biogaz. Cela vous serait-il utile?
Le président : Oui.
Mme Villeneuve : Ce que disait Mme Dunfield est intéressant, car elle a beaucoup parlé du problème des pathogènes contenus dans le fumier épandu. La digestion anaérobie est un procédé par lequel le fumier est digéré avant d'être épandu. Ce procédé libère du méthane, qui est une énergie renouvelable.
Je dirai que ce procédé réduit considérablement le nombre de pathogènes du fumier, et que, dans certains cas, il les élimine presque totalement. Il transforme l'azote du fumier en une substance qui est intéressante pour la plante — et Mme Dunfield pourrait vous en dire davantage à ce sujet —, de sorte que la plante pousse mieux. Comme je l'ai déjà dit, cela libère aussi du méthane.
En pratique, lorsque le fumier animal s'accumule, il est entreposé dans un contenant fermé. Le procédé est donc anaérobie, sans oxygène. C'est une simple bactérie naturelle qui provoque la dégradation. Si vous avez une maison à la campagne, il y a certainement une digestion anaérobie qui se produit pour traiter les eaux usées entre la maison et le champ d'épandage. En gros, c'est ça la digestion anaérobie.
Les essais en laboratoire et les essais pilotes faits par Agriculture Canada ont permis de démontrer l'efficacité du procédé dès le début. L'étape suivante consistait à trouver un partenaire privé pour expérimenter pleinement le procédé dans des applications concrètes, d'où la création de notre entreprise Bio-Terre, en 1998, par trois cabinets d'ingénierie du Manitoba et du Québec. Pendant les cinq ou six premières années, ils se sont employés à démontrer l'efficacité de la technologie en mettant sur pied trois sites pilotes, un au Manitoba et deux au Québec. Il s'agissait d'exploitations agricoles réelles, en l'occurrence des fermes d'élevage de porcs.
[Français]
Dès 2003, Bio-Terre a fait des efforts de commercialisation, surtout au Québec, mais sans succès. Les années suivantes ont servi à développer davantage la technologie et à faire davantage de recherches, ainsi qu'à développer des nouvelles applications avec cette même technologie. Le tout a été fait en collaboration avec Agriculture et Agroalimentaire Canada, le centre de recherche de Lennoxville et avec l'aide précieuse des gouvernements par des subventions et des crédits à la recherche et développement.
C'est seulement vers 2009 que Bio-Terre a obtenu un contrat important avec un promoteur américain, aux États- Unis. Grâce à notre technologie innovante et le fait qu'on avait testé l'approche sur des sites à grande échelle, nous avons pu démontrer que cela fonctionnait bien et le promoteur a choisi notre technologie canadienne parmi une douzaine de technologies américaines et européennes existantes sur le marché.
[Traduction]
À l'heure actuelle, nous avons deux sites en opération dans l'Oregon, deux en construction et dix autres en projet, tous aux États-Unis. Nous sommes très fiers d'avoir exporté notre technologie avec autant de succès. En revanche, au Canada, nous n'avons toujours pas très bien réussi à la faire accepter.
La digestion anaérobie offre des possibilités considérables pour le secteur agricole. Si vous connaissez la technique, vous en connaissez aussi certainement les avantages, dont j'ai brièvement parlé tout à l'heure. Vous savez sans doute aussi que c'est un procédé qui marche déjà très bien dans un grand nombre de pays. Malheureusement, au Canada, ça n'a pas encore pris.
[Français]
J'aimerais faire trois recommandations au comité. Les deux premières concernent l'innovation de façon générale et la dernière concerne plus spécifiquement la digestion anaérobie en milieu agricole.
La première recommandation vise à continuer à offrir des programmes de support au développement de technologies innovatrices prometteuses, comme par exemple avec les crédits à la recherche et au développement.
La deuxième recommandation est d'offrir aux entreprises un programme de support à la commercialisation assez tôt dans le développement. Les cycles de vente des technologies innovantes sont très longs et les marchés au Canada sont petits. Il est plus difficile pour les technologies canadiennes de passer du mode R-D vers le mode de commercialisation en comparaison avec des technologies américaines. Le support pour ce passage est très important et manque actuellement.
De plus, il est important d'offrir ce support de précommercialisation tôt dans le processus pendant que la R-D est encore en cours et va se terminer. Souvent, on se retrouve avec un vide entre la R-D et la précommercialisation, et c'est là que beaucoup d'entreprises meurent et ne sont pas capables d'introduire nos technologies canadiennes très intéressantes sur le marché.
Par exemple, tout comme on a le programme des crédits de R-D, pourquoi n'y aurait-il pas un programme de crédits à la précommercialisation? Celui-ci pourrait être possible et effectif pendant qu'il y a encore des crédits de R-D afin qu'il y ait un croisement et un passage plus graduel.
[Traduction]
Ma troisième recommandation concerne les digesteurs anaérobies agricoles. Il faudrait que le contexte soit plus favorable pour déployer ce genre d'innovation. Par exemple, les pays qui ont une industrie florissante de DA agricoles ont adopté des programmes et des politiques de rachat de l'énergie produite qui visent à encourager et à simplifier le déploiement de tels systèmes. Les agriculteurs ont besoin d'incitatifs financiers et administratifs. Pour que cette industrie se développe, il faut que plusieurs conditions soient réunies, qui relèvent de divers paliers de gouvernement. C'est assez compliqué de mettre tout cela en place. Pour assurer l'avenir de notre industrie et celui de la digestion anaérobie dans le secteur agricole, je recommande la création d'un groupe de travail pancanadien, afin que les conditions dont je viens de parler soient bien prises en compte par les ministères et gouvernements concernés. Merci.
Le président : Merci beaucoup, madame Villeneuve. Nous allons maintenant passer aux questions et commencer par le sénateur Plett.
Le sénateur Plett : Je vous remercie de vos exposés. Je n'ai en fait qu'une question à poser pour le moment, et elle porte sur les écoulements d'engrais et de fumier dans les cours d'eau.Je crois que Mme Dunfield a parlé. L'un des problèmes est que le fumier se répend dans les cours d'eau.
Avant d'entrer dans les détails, j'aimerais savoir si ces écoulements ruissellent d'abord en surface avant de se déverser dans les fossés et dans les cours d'eau, ou bien s'ils s'infiltrent directement dans le sol pour atteindre les cours d'eau?
Mme Dunfield : Dans le cas de l'Ontario, que je connais bien, le niveau de la nappe aquifère est assez élevé et, bien souvent, les terres agricoles sont drainées par des canalisations en terre cuite, de sorte qu'il y a en fait pas mal d'écoulement préférentiel de pathogènes et de nutriments le long de ces canalisations ou dans la nappe phréatique. C'est les deux à la fois. Il y a à la fois du ruissellement et de la contamination subsuperficielle. Bien sûr, tout dépend du type de sol et de la proximité de la nappe phréatique. On sait que le fumier s'écoule rapidement, selon l'état du sol et son degré de saturation. S'il est saturé ou qu'il pleut le jour où vous épandez le fumier, l'écoulement peut se faire rapidement dans les canalisations de drainage et la nappe phréatique.
Le sénateur Plett : Nos agriculteurs sont aujourd'hui extrêmement efficaces. L'un des problèmes auxquels ils se sont toujours heurtés et qu'ils ont grandement amélioré est le drainage de leurs terres. Plus vite il se fait, plus vite le sol est débarrassé de ces écoulements qui, il y a 20 ou 30 ans, restaient là et s'infiltraient dans le sol.
J'ai travaillé dans le secteur de la construction pratiquement toute ma vie. Mme Villeneuve a dit quelques mots des fosses septiques. Les règlements actuels, dont la plupart sont nationaux, nous permettent d'avoir un lot de deux acres au moins au Manitoba. Je peux avoir un lot d'un peu moins de deux acres et y faire installer un système d'évacuation. Ce système d'évacuation doit être, je crois, à 35 pieds de ma maison et à 50 pieds d'un puits. Je parle d'un système d'évacuation en surface. Je ne pense pas que cela pose des problèmes, malgré la proximité de la nappe phréatique, mais ce n'est pas le cas partout. Malgré tout, on s'inquiète aussi dans ma province qu'il y ait des écoulements de fumier dans les cours d'eau. D'un autre côté, les gens semblent rester en bonne santé plus longtemps qu'avant, je parle d'il y a 20 ou 30 ans. Ils vivent plus longtemps, et je pense que c'est grâce à tout le travail que vous faites et dont vous nous avez parlé.
Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec ceux qui critiquent ça étant donné que ces systèmes d'évacuation sont autorisés. Dans ma province, il y a des lotissements qui peuvent contenir 30, 40 ou 50 lots de deux acres chacun. Les agriculteurs ont morcelé leurs terres pour pouvoir y aménager des lots de deux acres et y installer les systèmes d'évacuation dont je parlais. Je n'ai pas de problème avec ça. Je ne dis pas que ces installations posent un problème et qu'il faut s'en prendre à tous ces gens, mais je me demande si on est bien logiques quand on dénonce certaines pratiques agricoles, mais pas ces aménagements.
Je m'adresse à l'une ou l'autre d'entre vous, à celle qui veut bien me répondre.
Mme Dunfield : Il y a eu des cas, comme celui de Walkerton, où des agents pathogènes provenant de terres agricoles se sont retrouvés dans la nappe phréatique, ce qui a rendu des gens malades. C'est à ce moment-là que le problème a pris de l'ampleur.
Il faudrait peut-être se préoccuper des champs d'épandage, peut-être pas les plus récents, car il y a un risque de contamination de l'eau. Je parle des déchets agricoles actuels, mais ma recherche porte sur tous les types de contamination fécale, pas seulement les contaminations agricoles.
Je ne dirai jamais qu'il faut interdire l'épandage de fumier sur des terres agricoles, mais je pense qu'il faut choisir le moment de cet épandage et, quand le sol n'est pas assez profond ou que la nappe phréatique est trop proche, il vaudrait sans doute mieux interdire tout épandage de fumier.
Je ne suis pas sûre que cela réponde à toutes vos préoccupations.
Le sénateur Plett : J'aimerais que Mme Villeneuve me donne elle aussi son avis. Mais auparavant, je voudrais revenir sur la question de Walkerton, dont vous avez parlé, madame Dunfield. Je croyais que, dans ce cas, le problème avait été causé par des inondations en surface et non pas par des infiltrations de pathogènes dans les cours d'eau. Est-ce que je me trompe?
Mme Dunfield : Des inondations en surface?
Le sénateur Plett : Je n'aurais pas dû employer ce terme, je voulais plutôt parler de ruissellement, et non pas d'inondations en surface.
Mme Dunfield : Que je sache, ça a été causé par des infiltrations de fumier dans un puits et ensuite dans la nappe phréatique. Vous avez raison, il s'agissait de ruissellement qui s'est infiltré dans un puits.
Le sénateur Plett : Bien.
Mme Dunfield : Le gros problème, dans ce cas, c'est qu'il n'y avait pas de système pour protéger l'eau de source et, partant, l'eau municipale.
Donc, il y avait un problème de contamination, au départ, mais il y avait aussi des lacunes au niveau du traitement de l'eau avant sa consommation par les habitants.
Le sénateur Plett : Madame Villeneuve?
Mme Villeneuve : Pour faire une comparaison avec les eaux usées — comment appelez-vous ça en anglais?
Le sénateur Plett : Un champ d'épandage ou un champ d'évacuation, l'un ou l'autre.
Mme Villeneuve : La grande différence, c'est que, dans le cas d'un champ d'épandage, vos déchets, on ne parle plus de fumier, s'infiltrent dans le sol, ils ne restent pas en surface. Par conséquent, il n'y a pas de risque de ruissellement, comme avec l'épandage de fumier.
Cela dit, je suis d'accord avec Mme Dunfield. Nous ne remettons pas en question le principe de l'épandage du fumier. C'est ce qu'il y a de mieux à faire. Ce sont des nutriments, et c'est du recyclage. Sinon, que ferions-nous du fumier? Le déverser dans des décharges? Ce serait épouvantable.
C'est donc la chose à faire. Je pense qu'elle disait qu'il fallait faire attention à la façon dont on le fait et au moment où on le fait. L'objectif est surtout de s'assurer que la tragédie de Walkerton ne se reproduise pas. Il y a aussi la distance qui est importante, et il vaut mieux la fixer à 100 mètres plutôt qu'à 50 mètres d'un puits, c'est important. Ce sont des choses qu'il faudrait prendre en compte lorsqu'on décide d'épandre du fumier sur des terres agricoles.
Le sénateur Plett : Je voudrais simplement dire qu'il est important, à mon avis, que nous encouragions les agriculteurs à utiliser le fumier de façon responsable. Mais nous devons aussi insister sur le fait que c'est surtout un problème de ruissellement, comme ça a été le cas à Walkerton. Je ne suis pas expert en la matière, et je ne vais donc pas faire de commentaires qui pourraient nous mettre dans l'embarras.
Il y a une différence très nette entre « le ruissellement » et les infiltrations dans le sol. Ce que vous avez dit au sujet des champs d'évacuation n'est pas tout à fait exact. Les champs d'évacuation sont en fait aménagés au-dessus du sol, et ensuite, on les recouvre de terre.
Mme Villeneuve : Oui, le fameux système Ecoflo, mais il n'y a pas de ruissellement.
Le sénateur Plett : En effet, il n'est pas censé y en avoir. Et c'est justement ce que je disais tout à l'heure : nos agriculteurs sont devenus tellement efficients que cela risque peut-être de poser un problème, car ils veulent drainer leurs terres le plus rapidement possible afin de pouvoir les labourer. Ça risque d'être un problème. Je vous remercie beaucoup d'avoir répondu à ma question, et je remercie également le président.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez parlé de Walkerton. Ont-ils adopté une politique pour empêcher que ce problème ne se reproduise?
Mme Dunfield : Pardon? Vous avez parlé de la politique en vigueur?
Le sénateur Mahovlich : Ont-ils adopté une politique pour empêcher la pollution de l'eau? Ont-ils peur que l'eau ne soit polluée à nouveau? Ont-ils adopté des règlements sur l'épandage du fumier, ou quelle que soit la cause de cette tragédie?
Mme Dunfield : Vous parlez de Walkerton? Il existe une loi en Ontario, la Loi sur la gestion des éléments nutritifs, qui réglemente la quantité de fumier et le moment de l'épandage. Cette loi concerne davantage la mobilité des nutriments que la mobilité des agents pathogènes.
Le ministère ontarien de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Affaires rurales propose d'excellentes pratiques de gestion pour ce qui est de la mobilité des pathogènes. Il arrive que les meilleures pratiques de gestion des nutriments ne soient pas compatibles avec les meilleures pratiques de gestion des pathogènes, et c'est alors à l'agriculteur de prendre la décision qui lui convient le mieux.
Le sénateur Mahovlich : J'ai habité sur une ferme, il y a bien longtemps, et je me souviens que le fumier allait directement de l'étable au terrain d'épandage. Est-ce que ça se fait toujours?
Mme Dunfield : Oui.
Le sénateur Mahovlich : Cela se fait toujours?
Mme Dunfield : Non, je ne sais pas exactement pendant combien de jours, mais le fumier doit être entreposé.
Mme Villeneuve : Il doit être entreposé pendant 250 jours.
Mme Dunfield : Vous devriez poser votre question à quelqu'un d'autre.
Le président : Madame Dunfield, Mme Villeneuve aimerait dire quelque chose. Pouvez-vous répéter ce que vous avez dit?
Mme Villeneuve : Le fumier doit être entreposé pendant 250 jours. En tout cas, c'est le règlement au Québec, et je pense que c'est la même chose partout ailleurs.
[Français]
C'est 250 jours en fosse d'entreposage avant l'épandage.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Vous avez dit que les agriculteurs avaient besoin d'aide. En France, est-ce que les agriculteurs reçoivent plus d'aide que les agriculteurs au Canada?
Mme Villeneuve : Pour la digestion anaérobie, oui; c'est aussi le cas aux États-Unis, absolument.
Le sénateur Mahovlich : Les États-Unis doivent avoir plus de déchets que nous.
Mme Villeneuve : Bien sûr, car ils ont beaucoup plus d'exploitations agricoles.
Le sénateur Mahovlich : Ont-ils plus d'expertise que nous? Leurs universités doivent certainement étudier ce problème?
Mme Villeneuve : En effet. Le nombre de systèmes qui sont installés aux États-Unis est beaucoup plus grand que chez nous; ils se comptent par milliers, alors que chez nous, ils sont moins de 100. Donc, ils en ont plus que nous, mais c'est l'Europe qui est le chef de file. L'Allemagne compte aujourd'hui 6 000 systèmes de digestion anaérobie en milieu agricole, et c'est le pays qui aide le mieux ses agriculteurs, par des subventions et des tarifs de rachat garantis.
Le sénateur Mahovlich : L'Inde doit avoir un énorme problème. J'y suis allé il y a un an ou deux, et les vaches se promenaient dans les rues.
Mme Villeneuve : En Inde, les vaches sont sacrées.
Le sénateur Mahovlich : Mais le fumier ne s'infiltre pas dans leurs nappes phréatiques?
Mme Villeneuve : Bien sûr que si. Les pratiques en vigueur au Canada ne sont pas forcément les mêmes ailleurs. Les problèmes dont nous parlons aujourd'hui sont bien plus graves dans d'autres pays, c'est sûr.
Le sénateur Mahovlich : Nous ne nous en sortons pas si mal.
Mme Villeneuve : En effet, et je n'ai pas dit le contraire; d'ailleurs, je ne pense pas que quelqu'un puisse dire le contraire. Nous faisons du bon travail au niveau du recyclage des nutriments dans les fermes, et nous devons continuer. Mais on peut toujours améliorer nos façons de faire quand on comprend bien comment ça fonctionne et quels sont les dangers.
Le sénateur Mahovlich : Nous devrions créer un groupe de travail.
Mme Villeneuve : Nous devrions aussi encourager les nouvelles technologies, peut-être pas dans toutes les exploitations agricoles, mais peut-être dans 20 p. 100 d'entre elles, les plus grosses, pour qu'elles installent des systèmes de digestion anaérobie afin de réduire la formation de pathogènes et de produire du méthane, entre autres. Nous estimons que c'est une amélioration qu'on pourrait apporter dès aujourd'hui. Mais vous avez raison, il faudrait un groupe de travail.
Le sénateur Eaton : J'aimerais revenir sur les systèmes de digestion anaérobie. Vous avez dit qu'il y avait un certain nombre d'usines de traitement. Pourriez-vous reprendre par le début? Supposons que je sois agriculteur. Est-ce que je dois transporter mon fumier à l'usine la plus proche, pour lui faire subir le procédé de digestion anaérobie, qui doit ressembler à un gros tas de compost, je suppose?
Mme Villeneuve : Le fumier est déversé dans un contenant fermé, et il est plus liquide que solide.
Le sénateur Eaton : Et ensuite, l'agriculteur vient le rechercher pour l'épandre sur ses terres.
Mme Villeneuve : C'est ça.
Le sénateur Eaton : Est-ce que les grosses exploitations agricoles ont leur propre système, en général?
Mme Villeneuve : En principe, chaque ferme devrait avoir son propre système de digestion anaérobie. Mais en Europe, ils ont un modèle différent, et plusieurs fermes se partagent un système central. Les deux sont possibles.
Le sénateur Eaton : Autrement dit, c'est quelque chose que les coopératives agricoles pourraient fort bien organiser dans tout le pays, si elles le voulaient.
Mme Villeneuve : Oui.
Le sénateur Eaton : J'aimerais vous poser une question à toutes les deux : nous savons ce que l'Allemagne a décidé à propos de tout ce qui contient des semences génétiquement modifiées. L'Europe va-t-elle adopter des règlements interdisant les aliments produits sur des terres qui ont été fertilisées par du fumier qui n'est pas passé par un digesteur anaérobie? Pensez-vous que cela va avoir un effet sur nos exportations agricoles?
Mme Villeneuve : C'est une question intéressante. Nous savons qu'une exploitation qui utilise un digesteur anaérobie pour traiter son fumier a de bonnes chances d'être reconnue comme une exploitation biologique.
Le sénateur Eaton : Elle l'est.
Mme Villeneuve : Elle peut l'être. En tout cas, elle est bien vue parce qu'elle a débarrassé son fumier des agents pathogènes. Cela n'inclut pas les produits extérieurs à la ferme. Mais ça pourrait certainement devenir un avantage pour ces exploitations.
Le sénateur Eaton : Ça pourrait nous aider à faire la promotion des aliments canadiens.
Mme Villeneuve : Tout à fait.
Le sénateur Eaton : Je m'intéresse beaucoup aux semences génétiquement modifiées parce que le Canada est très fort là- dedans. Vous avez parlé des effets que ce type de semences peut avoir sur la structure du sol, mais si nous utilisons le système de Mme Villeneuve, qui permet de débarrasser le fumier des agents pathogènes, pensez-vous que nous puissions utiliser des semences génétiquement modifiées sans détruire la structure du sol? Est-ce que cela dépend du type de semences utilisées? Autrement dit, ça marcherait peut-être avec le canola, mais pas avec le maïs ou le blé?
Mme Dunfield : Il semble que certaines semences génétiquement modifiées aient des effets sur la communauté microbienne du sol, mais c'est assez éphémère. Je ne pense pas qu'on ait observé des effets à long terme sur la structure ou le fonctionnement du sol.
Le sénateur Eaton : Et si vous pratiquez la rotation des cultures?
Mme Dunfield : L'important, c'est de garder le même type de gestion, sans faire de rotation des cultures. C'est plus important que de cultiver simplement une variété génétiquement modifiée.
Le sénateur Eaton : À Guelph, est-ce que les étudiants en agronomie s'intéressent à la structure des sols, à la gestion des récoltes et à la plantation de haies pour empêcher l'érosion éolienne? Est-ce que ce sont des choses qui intéressent davantage les jeunes aujourd'hui? Nous avons beaucoup de ressources au Canada, mais nous avons tendance à tenir tout ça pour acquis.
Mme Dunfield : Nous essayons d'intéresser davantage nos étudiants à tout ce qui concerne les sols, mais sans beaucoup de succès. Surtout à Guelph, où nos étudiants en agronomie ont une école des sciences de l'environnement. Ils connaissent bien les impacts sur l'environnement des activités agricoles et ils savent qu'il faut adopter des pratiques agricoles saines et viables. J'enseigne actuellement la biologie des sols, et les étudiants s'y connaissent très bien en sols et en santé des sols. Quand ils pensent aux activités agricoles, ils pensent aux effets qu'elles peuvent avoir sur les sols.
Le sénateur Eaton : Ont-ils une idée de ce qu'est la digestion anaérobie?
Mme Dunfield : Je crois qu'ils en ont une bonne idée. En tout cas, on leur enseigne tout ce qu'il faut savoir sur les émissions de gaz à effet de serre et sur les agents pathogènes, et je crois qu'ils connaissent bien les nouvelles techniques d'avant-garde.
Le sénateur Eaton : Est-ce par ignorance ou pour des raisons de coûts que la plupart des agriculteurs canadiens ne pratiquent pas la digestion anaérobie?
Mme Villeneuve : Pour répondre à votre question, je vais vous donner un exemple de ce qui se fait actuellement, et qui marche très bien. En Allemagne, le gouvernement offre des aides financières pour installer ce genre de système. Il offre des subventions, mais surtout, le méthane ainsi produit est racheté par le réseau électrique à un prix élevé. C'est donc un incitatif pour les agriculteurs. Ils peuvent aussi continuer d'épandre leur fumier sans le traiter au préalable; ils ont le droit de le faire, du moment qu'ils respectent les bonnes pratiques établies.
Pour franchir cette étape supplémentaire, qui permet de produire de l'énergie renouvelable et de limiter la production d'agents pathogènes et de gaz à effet de serre, les agriculteurs ont besoin d'incitatifs. Au Canada, il n'y en a pas assez pour que ces projets soient rentables. Le gouvernement ontarien offre un bon incitatif, et celui du Nouveau- Brunswick aussi, je crois, sous forme de tarifs de rachat garantis, c'est-à-dire que l'électricité produite à partir du biogaz est rachetée à un certain prix.
[Français]
Le sénateur Rivard : Il faut admettre que s'il est un domaine où le gouvernement fédéral doit s'impliquer en recherche et innovation, c'est bien celui de l'élevage du porc et du bœuf. Je ne crois pas que les producteurs de porc ont, à eux seuls, les moyens de s'occuper, entre autres, du traitement du lisier ou des viscères.
Avez-vous une idée du pourcentage approximatif que représente le traitement du lisier dans le prix du porc à la livre? Est-ce que le traitement du lisier représente, par exemple, 10 p. 100 ou 15 p. 100 du prix de vente?
Mme Villeneuve : Du prix de vente du porc?
Le sénateur Rivard : Du prix de vente du porc à la livre, par exemple?
Mme Villeneuve : Un porc produit, dans sa vie utile, environ un mètre cube ou une tonne de lisier. Le prix par mètre cube est très variable. Notre compagnie a développé une approche très économique. Dans notre cas, le prix serait donc un peu plus bas. Dans d'autres cas, certaines technologies européennes, par exemple, sont si complexes que le coût est très élevé. Le coût est donc très variable. Je préférerais vérifier avant de lancer un chiffre, mais le coût associé à ce traitement est certainement en haut de 10 $ le mètre cube, et il peut aller jusqu'à 20 $ ou 25 $ le mètre cube.
Le sénateur Rivard : Peut-on transposer ce chiffre, pour les gens qui nous écoutent?
Mme Villeneuve : Le montant représente 10 $ à 20 $ par porc.
Le sénateur Rivard : Pour ce qui est du coût à la livre, car on vend le porc à la livre, ou encore à une autre unité métrique, a-t-on un pourcentage?
Le traitement du lisier représente-t-il, par exemple 5 p. 100 ou 10 p. 100 du prix de vente?
Mme Villeneuve : C'est une excellente question. On devrait avoir ce chiffre et nous allons vous le fournir.
Le sénateur Rivard : Nous exportons beaucoup plus de porc que l'on en consomme. Par conséquent, qu'en est-il de la réglementation chez nos concurrents, qu'ils soient Américains ou Européens, pour ce qui est du coût de traitement du lisier? Les pays concurrents sont-ils à peu près sur le même pied que nous, quant aux façons dont ils traitent le lisier, ou sommes-nous désavantagés ou avantagés?
Mme Villeneuve : Je crois que nous sommes désavantagés sur deux volets. Nous avons une réglementation pour l'implantation de nouveaux systèmes, au Canada, qui souvent, soit par crainte ou par trop grande prudence, est assez sévère. Elle exige parfois des précautions qui vont au-delà de ce qui est nécessaire. Cela fait en sorte que le coût du système sera plus élevé qu'à bien des endroits où on permettra plutôt que le système soit construit de façon moins coûteuse.
Nous sommes aussi désavantagés au niveau des revenus associés à la digestion en anaérobie. Nous bénéficions de moins de revenu et de subventions qu'ailleurs sur ce plan. Ces deux raisons expliquent pourquoi on voit moins de ces systèmes en pratique au Canada.
Le sénateur Rivard : Vous, qui êtes Québécoise, devez vous souvenir que jusqu'à la fin des années 1970 on ne traitait pas le lisier. On faisait de l'épandage. Plusieurs producteurs envoyaient leur eau non traitée dans les cours d'eau.
Mme Villeneuve : Oui.
Le sénateur Rivard : Les choses ont bien évolué depuis ce temps.
Mme Villeneuve : Oui.
Le sénateur Rivard : Dans les années 1970, on l'envoyait carrément dans les cours d'eau.
Mme Villeneuve : Tout comme les eaux usées des municipalités.
Le sénateur Rivard : Exactement. Ce n'est que depuis une vingtaine d'années que nous traitons nos eaux usées.
Mme Villeneuve : Il existe toutefois encore des délinquants.
Le sénateur Rivard : Les amendes imposées par les gouvernements pour les déversements accidentels ou volontaires, à votre avis, sont-elles un incitatif à être bons citoyens, ou les faibles amendes pourraient être une incitation à être négligent?
Mme Villeneuve : Je ne peux pas répondre à cette question. Je ne suis pas au courant des amendes en vigueur présentement. La digestion anaérobie est davantage mon domaine que l'épandage. Je n'entends pas beaucoup parler des évènements de déversements. On se rappelle de l'événement tragique survenu en Caroline du Nord, en 2001 ou 2002. Toutefois, au Canada, des déversements importants se sont-ils produits au cours des 10 dernières années? Peut-être Mme Dunfield aurait-elle plus d'information à ce sujet?
[Traduction]
Le président : Madame Dunfield, avez-vous quelque chose à dire en réponse à cette question?
Mme Denfield : Non, je suis désolée, je n'ai pas d'exemples qui me viennent à l'esprit.
Le sénateur Merchant : En ce qui concerne la digestion anaérobie, je crois que c'est l'été dernier ou l'été d'avant qu'il y a eu toute une panique en Europe au sujet de certains légumes.
Mme Villeneuve : Les concombres?
Le sénateur Merchant : Oui, je crois qu'ils ont finalement conclu que c'était les concombres. Est-ce que c'est le genre de chose qu'on peut éviter en traitant le fumier par la digestion anaérobie?
Mme Villeneuve : Je ne suis pas sûre que nous parlions de la même chose.
Le sénateur Merchant : Qu'est-ce qui s'est passé avec les concombres? Je me souviens que cela avait déclenché toute une panique.
Mme Villeneuve : J'en ai un peu entendu parler, mais je n'ai pas assez d'informations pour vous dire exactement de quoi il s'agissait. Le traitement par la digestion anaérobie permet de supprimer jusqu'à 99 p. 100 des agents pathogènes, si c'est bien fait. Si, dans le cas dont vous parlez, le problème a été causé par des agents pathogènes, je peux vous dire que le traitement par digestion anaérobie réduit considérablement ce genre de risque.
Le sénateur Merchant : Est-ce que nous avons déjà eu ce genre d'incident, au Canada, avec des produits alimentaires, plus précisément avec des légumes?
Mme Villeneuve : Je n'en sais rien.
Le sénateur Merchant : Et vous, madame Dunfield?
Mme Dunfield : Je ne suis pas sûre qu'il y en ait eu au Canada, mais en Amérique du Nord, on soupçonne qu'il y en a eu. Il est très difficile de déterminer l'origine précise de ce genre de contamination alimentaire. C'est très difficile d'en retracer la source, mais l'un des problèmes, c'est la mobilité des pathogènes humains dans l'environnement, car lorsqu'on répand du fumier sur des terres et que les pathogènes se déversent par la suite dans les eaux d'irrigation qui servent à arroser les légumes, cela peut conduire à une contamination directe des légumes. Les risques sont encore plus grands lorsque les légumes frais sont précoupés et qu'ils ne subissent pas d'autre traitement avant leur consommation.
Le sénateur Merchant : Est-ce que le simple fait de laver les légumes élimine les pathogènes, ou bien faut-il faire autre chose?
Mme Dunfield : Je travaille en ce moment avec un spécialiste en bromatologie, et nous examinons justement le problème de l'eau de lavage. La plupart du temps, quand on cueille soi-même des légumes, on les lave. Mais le problème se pose davantage avec les légumes frais prélavés et emballés, que les consommateurs croient pouvoir manger sans les laver. Il peut arriver, si les sources ont été contaminées, que ça cause des problèmes.
Le sénateur Merchant : J'aimerais vous poser une autre question au sujet de l'eau. Nous avons eu un incident il y a quelques années, en Saskatchewan, à North Battleford ainsi que dans des réserves des Premières nations. Pensez-vous que ce soit à cause d'usines de traitement de l'eau qui ne sont pas adéquates, ou bien est-ce autre chose?
Mme Dunfield : Je crois que l'essentiel, c'est d'avoir des usines de traitement de l'eau adéquates, et c'est l'un des problèmes qui se posent dans les communautés des Premières nations. Si l'eau de source est contaminée, les usines de traitement doivent la débarrasser des pathogènes pour qu'elle soit potable. Près de chez moi, en Ontario, il y a beaucoup d'endroits où l'eau de source est contaminée, mais les usines de traitement sont efficaces. En revanche, beaucoup de communautés des Premières nations n'ont pas ces équipements, ce qui rend la situation beaucoup plus problématique. Je ne pense pas que nous réussirons un jour à supprimer tous les contaminants de l'eau de source, c'est pour ça que nous avons besoin de la traiter de façon adéquate pour qu'elle soit potable.
Le sénateur Merchant : Parlons maintenant des gaz à effet de serre. Dès qu'on entend ce mot, c'est la panique. Je ne sais pas s'il existe une échelle des entreprises qui produisent des gaz à effet de serre, mais j'aimerais savoir où se situent, sur cette échelle, les exploitations agricoles du Canada? Est-ce qu'elles produisent des gaz à effet de serre à un niveau inquiétant?
Mme Dunfield : L'agriculture est un gros producteur de gaz à effet de serre au Canada, l'un des principaux, en fait, et je pense que nous devrions étudier de plus près les pratiques de gestion agricoles, car il est certainement possible de réduire ces émissions de gaz à effet de serre. Nous savons en effet que certaines pratiques permettent d'atténuer une partie des émissions. Pour en revenir à votre question, l'agriculture est un gros producteur de gaz à effet de serre, mais je n'ai pas les chiffres précis en tête.
Le sénateur Merchant : Je pense que je vais en rester là pour l'instant.
Mme Villeneuve : Pour ce qui est des gaz à effet de serre, je me souviens vaguement avoir entendu dire que 15 p. 100 des émissions provenaient du secteur agricole, mais je ne suis pas sûre.
À l'heure actuelle, la Western Climate Initiative a un système qui permet de calculer les crédits pour les gaz à effet de serre, et justement, ils ont des difficultés à les calculer pour les exploitations agricoles. Quand on calcule ces crédits, il faut bien sûr avoir un point de comparaison par rapport à ce que l'exploitation produisait avant, pour pouvoir déterminer de combien la digestion anaérobie, en l'occurrence, permet de réduire les gaz à effet de serre. C'est ce point de comparaison qui pose problème. Le secteur agricole ne semble pas être d'accord sur la quantité de gaz à effet de serre qu'il produit à l'heure actuelle. C'est un problème. Si on ne peut pas établir un point de comparaison, on ne pourra jamais profiter des crédits de GES.
Le sénateur Buth : Je vous remercie de vos exposés, qui étaient très instructifs. J'aimerais revenir sur plusieurs choses dont a parlé le sénateur Merchant, avant de vous poser quelques questions sur la commercialisation. Ma première question s'adresse à Mme Dunfield.
J'ai constaté que la plupart des produits alimentaires qui ont été rappelés parce qu'ils contenaient des agents pathogènes étaient issus de la culture biologique. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet, et je pense notamment au rappel des épinards?
Mme Dunfield : Je ne suis pas sûre qu'il y en ait eu plus pour les produits biologiques que pour les autres, mais si les producteurs biologiques se servent de fumier, il est évident que c'est une porte d'entrée pour les agents pathogènes, contrairement aux engrais commerciaux. Je ne sais pas combien de cas concernaient des fermes biologiques, mais je sais qu'il y en a eu.
Le sénateur Buth : Il est important que nous ayons une idée du nombre de gros producteurs de gaz à effet de serre, car ça nous aidera à savoir où se situe le secteur agricole. Il suffit de penser aux automobiles et aux usines de fabrication, entre autres, pour savoir qu'il y a beaucoup d'autres sources de gaz à effet de serre. Madame Dunfield, avez-vous des chiffres à nous donner à ce sujet?
Mme Dunfield : Ils sont dans mon ordinateur portable et je ne l'ai pas avec moi, mais je me ferai un plaisir de vous les faire parvenir.
Le sénateur Buth : J'aimerais revenir à Mme Villeneuve pour parler de la technique de la digestion anaérobie, car vous avez abordé la question de sa commercialisation et de son acceptation par les agriculteurs. Si les agriculteurs ne peuvent pas revendre l'énergie produite, quel intérêt ont-ils à utiliser cette technique?
Mme Villeneuve : Il y a des avantages, même s'ils ne peuvent pas revendre l'énergie qu'ils produisent au réseau électrique, mais je ne pense pas que ces avantages soient suffisants.
Dans les pays où ça marche bien, les agriculteurs ont des incitatifs financiers en plus des avantages environnementaux. Je travaille dans le secteur de l'environnement depuis toujours, et je suis malheureusement obligée de reconnaître que, tant qu'un règlement rigoureux ne nous y oblige pas, nous ne sommes pas prêts à agir de façon écologique et à payer pour ça. Les agriculteurs ne vont pas se lancer dans la digestion anaérobie simplement pour des questions d'environnement, même si, à certains égards, c'est bénéfique pour eux. En effet, cela améliore également les éléments nutritifs du fumier qu'ils utilisent. Si on le compare au fumier ordinaire, le fumier traité de cette façon produit de meilleures récoltes. Cela pousse mieux et il n'y a pas d'odeurs. Vous savez, l'odeur peut parfois causer des problèmes, à cause des voisins. Et quand les agriculteurs commencent à utiliser du fumier inodore, c'est un gros avantage, mais sont-ils prêts à installer un digesteur simplement pour ça? Non, même si c'est un avantage. Il y en a d'autres, notamment la possibilité de revendre le méthane et, éventuellement, les résidus secs du digestat, un nutriment qui peut être emballé et vendu, ainsi que les crédits de GES. Au final, l'avantage pour l'agriculteur est de se créer une autre source de revenus.
Le sénateur Buth : Mais ça dépend des crédits.
Mme Villeneuve : Les crédits, les revenus tirés de l'énergie produite, et les économies réalisées sur l'épandage, s'ils n'ont pas besoin de fertiliser une superficie aussi grande. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais il y a moyen de supprimer le phosphore et de ne plus avoir besoin de fertiliser une surface aussi grande. C'est une économie directe. Ils peuvent aussi remplacer tout le carburant fossile qu'ils utilisent dans leurs exploitations ou dans un bâtiment contigu, ce qui leur permet non seulement de faire des économies, mais aussi d'engranger des revenus supplémentaires. Pour certaines exploitations agricoles, c'est très important.
Je vais vous donner un exemple aux États-Unis, car nous n'en avons pas beaucoup au Canada. Une exploitation agricole a des revenus d'environ 70 000 $ par an. Elle est en train d'installer un digesteur et elle va pouvoir revendre au réseau électrique l'énergie qu'elle aura produite, ce qui lui rapportera 270 000 $ par an. C'est vraiment très intéressant.
Le sénateur Buth : La revente au réseau électrique est-elle subventionnée? J'ai entendu parler de programmes de revente d'énergie au réseau électrique à des tarifs qui n'étaient pas du tout concurrentiels par rapport aux autres sources énergie d'énergie. Comment pouvons-nous trouver un juste équilibre, pour que le système profite à l'agriculteur si celui-ci a dû investir de l'argent, tout en évitant que le gouvernement paye tout avec l'argent des contribuables?
Mme Villeneuve : C'est au pays de décider. Pourquoi l'Allemagne a-t-elle décidé de le faire et pourquoi un grand nombre d'États américains ont-ils décidé de le faire? Il s'agit de faire le choix d'aller de l'avant avec l'énergie renouvelable, l'énergie décentralisée et tous les autres avantages. Bien sûr, il faut bien que quelqu'un paye la facture. Aux États-Unis, au Vermont plus précisément, ils ont le programme Cow Power. Les gens sont prêts à payer davantage pour encourager ces pratiques. Ils sont prêts à payer une facture un petit peu plus élevée et, grâce à ça, une centaine de fermes se sont équipées de digesteurs et sont en mesure de revendre l'énergie produite au réseau électrique.
Le sénateur Buth : C'est un équipement qui a été mis au point au Canada. D'autres pays et d'autres chercheurs ont bien sûr mis au point des digesteurs, mais vous avez réussi à vendre les vôtres aux États-Unis. Pourquoi? Avez-vous un avantage compétitif ou un meilleur produit?
Mme Villeneuve : Ce que nous avons mis au point était très novateur. Cela donne un avantage compétitif, c'est évident. Le système est breveté, et c'est pour cela que nous avons pu nous distinguer de nos concurrents et que nous avons remporté ce gros contrat aux États-Unis.
Le sénateur Buth : J'aimerais poser une question à Mme Dunfield. Vous avez parlé des microbes contenus dans les sols, de leur évolution, de leur interaction et des différentes pratiques agricoles. Est-ce que des chercheurs, vous ou d'autres, étudient la possibilité d'augmenter le nombre de ces microbes et de les utiliser là où ça pourrait être avantageux?
Mme Dunfield : Il y a des micro-organismes cellulaires particuliers qui favorisent la croissance des plantes et que les gens vont extraire du sol pour les revendre à cette fin. Les sols sont très divers et ils ont tendance à être métaboliquement redondants, ce qui signifie qu'un grand nombre d'organismes peuvent avoir la même fonction. Il est difficile de dire qu'on a besoin de tel organisme en particulier. Un grand nombre d'organismes peuvent faire la conversion du carbone ou la conversion de l'azote. La meilleure solution est de promouvoir une population aussi diverse que possible de micro-organismes dans le sol, afin que ce dernier soit viable et fertile à long terme.
L'objectif n'est donc pas vraiment d'augmenter la population de micro-organismes dans le sol, car ils sont déjà assez nombreux pour être très compétitifs. Plutôt que la quantité, c'est la diversité de la population que nous recherchons, pour que ces micro-organismes puissent résister à toutes sortes de pressions.
Le sénateur Buth : Êtes-vous en train d'élaborer de bonnes pratiques de gestion, susceptibles d'augmenter l'activité microbienne dans les sols?
Mme Dunfield : Nous sommes en train d'examiner les bonnes pratiques de gestion. Ce n'est pas parce qu'une pratique de gestion augmente l'activité microbienne que c'est la meilleure. Ce que je dis, c'est que les micro-organismes sont vraiment les principaux éléments déclencheurs de certaines transformations dans le sol. Ils sont indispensables au bon rendement des récoltes, à la transformation des nutriments et à la diminution des gaz à effet de serre. Les pratiques de gestion concernent les processus supérieurs, que vous pouvez protéger en vous assurant que la communauté microbienne du sol est aussi saine et aussi diverse que possible. C'est difficile de plaider en faveur de la protection des communautés microbiennes, mais c'est pourtant la raison d'être des bonnes pratiques de gestion.
Le sénateur Robichaud : Dans le cadre de vos recherches pédologiques, examinez-vous la question de l'utilisation d'antibiotiques sur les animaux d'élevage? Ces antibiotiques ont-ils un effet sur les sols? Sont-ils, d'une façon ou d'une autre, éliminés dans le processus avant de s'infiltrer dans le sol? Bref, retrouvez-vous des antibiotiques dans le sol et ont-ils un effet?
Mme Dunfield : En fait, on cherche de plus en plus à savoir comment ces produits pénètrent dans le sol, que ce soit par le fumier ou par les déchets humains biosolides. Pour ce qui est des biosolides, on retrouve à la fois des antibiotiques et des produits pharmaceutiques dans le produit, lesquels peuvent alors pénétrer dans le sol. On trouve naturellement un grand nombre d'antibiotiques dans le sol, parce qu'ils sont produits par des micro-organismes. Le problème, c'est que la communauté microbienne des sols risque de développer une résistance à certains antibiotiques qui sont beaucoup utilisés sur les animaux ou par les êtres humains et qui peuvent ainsi se transférer à la population microbienne des sols. Des recherches se font là-dessus, c'est sûr.
Le sénateur Robichaud : Et cela ne vous préoccupe pas plus que ça?
Mme Dunfield : Ça fait partie de nos sujets de préoccupation. Je ne sais pas quelle quantité de preuves on a recueillies d'un côté comme de l'autre, mais c'est assurément une préoccupation. Nous savons que les micro- organismes s'approprient facilement des gènes pour se protéger, par le plasma, et acquérir une plus grande résistance. Ils le font très facilement. Si ça leur donne un avantage dans la communauté microbienne, ils transfèrent facilement ces gènes dans le système. Les chercheurs commencent à se dire qu'il faudrait surveiller cela pour limiter ce phénomène.
Le sénateur Robichaud : Parce qu'au final, ce transfert peut se faire vers la plante et ensuite revenir aux êtres humains, n'est-ce pas?
Mme Dunfield : Il se pourrait que ce soit un point d'entrée. Nous ne savons pas pourquoi nous observons une augmentation des bactéries multirésistantes. Une explication possible est que l'environnement en soit une source.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Madame Villeneuve, vous avez indiqué avoir eu beaucoup plus de succès avec le système que vous vendez aux Etats-Unis, et même en Europe, parce qu'on appuie les personnes qui achètent le système. Cet appui financier est-il considérable? Quel pourcentage le fermier ou celui qui installe votre système doit-il recevoir pour qu'il lui soit rentable? Sans parler des gaz ou ce qu'il peut vendre par la suite, est-ce considérable?
Mme Villeneuve : Il faut parler des revenus récurrents pour parler de rentabilité, mais du point de vue de l'aide à l'infrastructure. Aux États-Unis, les programmes varient entre 25 et 50 p. 100. Ils prennent toutes sortes de forme. Il peut s'agir de crédits de taxe, ce qu'on ne retrouve pas ici, ou de subventions. Un taux entre 25 et 50 p. 100 du coût d'acquisition de l'équipement sera subventionné, puis il y aura la subvention du rachat d'énergie. Ils ont aussi ce qu'on appelle les crédits pour faire de l'énergie renouvelable. Pour chaque kilowatt/heure, quelques sous sont donnés car on remplace de l'énergie fossile.
Aux États-Unis, il existe également, en agriculture, un crédit pour traiter le lisier. Pour encourager le fermier à traiter son lisier, afin qu'il y ait moins de pathogènes, on va lui donner un crédit de l'ordre d'un ou deux dollars le mètre cube traité.
Le sénateur Robichaud : Je n'ai pas de problème à ce que les gens, par leur impôt, contribuent. Les bénéfices de toute cette opération ne sont pas seulement pour celui qui fait l'opération, mais également pour l'environnement et finalement pour nous.
Mme Villeneuve : Voilà.
Le sénateur Robichaud : Est-ce qu'on n'a pas encore réussi à vendre au public les bénéfices de ces opérations?
Mme Villeneuve : En quelque sorte, oui. Par exemple, au Québec, un programme de 650 millions de dollars fut mis en place il y a deux ans pour financer la gestion en anaérobie. On ne parle pas de l'agriculture mais du secteur municipal. Le but est de traiter des matières organiques, donc les déchets humains plutôt qu'animaux. Il s'agit également de traiter les matières organiques venant, par exemple, des abattoirs et issus de la production alimentaire. Ce programme est très populaire. Le public est d'accord avec cette pratique. De l'argent fédéral et provincial a été mis en place.
Je ne crois pas que le problème se situe tant au niveau de la perception du public à savoir si notre argent devrait aller là ou non.
Le sénateur Robichaud : Il existe quand même un problème. On a la technologie?
Mme Villeneuve : Oui.
Le sénateur Robichaud : Ici on parle de recherche et d'innovation à savoir comment cela peut être appliqué ou utilisé. Nous avons découvert, dans le cadre de notre étude sur la forêt, que lorsqu'il s'agissait de recherche, on arrivait à un point mort qu'on appelait « la vallée de la mort », où on ne pouvait pas passer du stade de la recherche à l'application, tout s'arrêtait là. D'ailleurs, je crois que vous avez indiqué que la même « vallée » existe également dans votre cas?
Mme Villeneuve : Ce principe s'applique non seulement à l'agriculture mais à toute industrie, tout secteur confondu.
Le sénateur Robichaud : C'est un problème sérieux.
Mme Villeneuve : C'est ce que vous appelez « la vallée de la mort ».
Le sénateur Robichaud : On nous a parlé de « la vallée de la mort ». Ce principe est important. On avait plusieurs bonnes idées qui pouvaient être mises en pratique, mais tout restait au stade expérimental car on ne pouvait pas traverser cette vallée.
Mme Villeneuve : C'est exact.
Le sénateur Robichaud : Il y a donc beaucoup à faire de ce côté.
Mme Villeneuve : C'est une de mes principales recommandations.
Le sénateur Robichaud : Vous parlez d'un taskforce.
Mme Villeneuve : Oui.
Le sénateur Robichaud : Cela regrouperait tant l'industrie que les gens du gouvernement et les recherchistes comme Mme Dunfield, qui travailleraient ensemble pour essayer de trouver des façons de régler les questions que vous identifiez. Cette tâche nécessiterait tout un effort, n'est-ce pas?
Mme Villeneuve : En vous faisant cette recommandation aujourd'hui, je sais que c'est quelque chose qui n'est pas facile à mettre en place. Toutefois, je ne pense pas à autre chose.
Dans mon cas, je parlais spécifiquement de digestion en anaérobie. C'est l'une des rares solutions qui touche à autant de ministères et de secteurs. Ce domaine touche aux secteurs de l'énergie, de l'environnement, de l'agriculture et de l'économie. Tous ces secteurs doivent mettre la main à la pâte pour que les ingrédients clés soient en place.
Au Québec, nous avons un problème. Un seul ministère porte le chapeau du 650 millions de dollars pour la biométhanisation, autre terme pour la digestion en anaérobie. C'est un seul ministère et ils ne se parlent pas vraiment. Certaines associations tentent de faire en sorte que le ministère des Ressources naturelles et d'autres viennent à la table. Lorsqu'on a seulement un objectif, en gestion en anaérobie, on oublie tous les autres. Or, il faut les avoir tous ensemble pour que cette approche fonctionne.
C'est la beauté de la gestion en anaérobie, cela apporte tellement des bénéfices variés mais la plupart doivent être là.
Le sénateur Robichaud : Il y a beaucoup de travail à faire.
Mme Villeneuve : En Allemagne, c'est une façon de fonctionner qui est différente, ils ont pu mettre tout en place à travers le pays, cela a marché et c'est bien parti.
Qu'est-ce qu'on fait au Canada? On laisse faire, on ne mettra pas tout en place afin que cela fonctionne où on va se parler tous ensemble et essayons de faire cela à travers le Canada. Certains programmes mis en place vont faciliter chacune des provinces afin qu'elles puissent poursuivre dans le même chemin.
Le sénateur Robichaud : Cela pourrait bien être une de nos recommandations n'est-ce pas? Merci madame Villeneuve.
Le sénateur Maltais : Merci, mesdames, d'être ici aujourd'hui. D'autres témoins sont venus, représentant d'autres organismes.
On nous a dit que d'ici les années 2050, on devrait redoubler partout dans le monde la production animale pour nourrir particulièrement les pays de l'Asie et les pays émergents qui, de plus en plus, sont des consommateurs de viande.
Alors les producteurs sont venus ici, que ce soit dans le porc ou le poulet, ils veulent suivre la marche parce que c'est un marché potentiellement très payant. Beaucoup de technologies nouvelles sont faites pour la conservation des viandes.
Je leur ai posé une question simple et ils m'ont répondu sans problème. Je suis resté très inquiet. Je leur ai demandé : si on double la production actuelle, que ce soit du porc ou du poulet, est-ce que notre sol canadien est capable de supporter cela sans danger? On m'a dit qu'il n'y avait pas de problème.
Pourtant, si je regarde la production actuelle, la recherche que vous faites pour en arriver à une production stabilisée des sols, pour avoir des sols productifs, propres et non contagieux pour la population, comment va-t-on supporter tout cela si on double la production actuelle, sans danger. Il y a quelque chose qui m'échappe quelque part. Avez-vous un commentaire à faire?
Mme Villeneuve : Peut-être d'abord Mme Dunfield.
[Traduction]
Le président : Madame Dunfield, pouvez-vous répondre à la question? L'avez-vous entendue?
Mme Dunfield : Oui. Ça peut être un problème parce qu'il y a une limite à la quantité de fumier que vous pouvez épandre sur une terre, sinon vous risquez une saturation de nutriments. Et à ce moment-là, vous avez du ruissellement dans les cours d'eau qui provoque des problèmes d'eutrophisation, ainsi que des accumulations excessives de phosphore, d'azote et d'agents pathogènes. Ce n'est pas que nous manquons de terres arables. C'est simplement qu'il faudra à ce moment-là aller déverser du fumier sur d'autres terres et prendre en compte les coûts de transport par camions, le coût du carburant et les émissions de gaz à effet de serre. Quand on fait l'analyse du cycle de vie de toutes ces choses, c'est là qu'on commence à se demander si on doit vraiment s'embarquer là-dedans.
Dans ce cas, il serait peut-être utile d'envisager l'installation d'un digesteur anaérobie dans une grande exploitation, car de cette façon, vous pouvez commencer à minimiser à la fois les émanations de gaz provenant du fumier entreposé et les agents pathogènes, si bien que le fumier que vous utilisez ensuite est beaucoup plus sûr.
[Français]
Mme Villeneuve : Je n'ai pas de commentaires à faire là-dessus. Je ne suis pas suffisamment spécialisée pour répondre.
Le sénateur Maltais : Si la production double, les problèmes doublent aussi j'imagine. Si on a des problèmes actuellement, c'est une équation mathématique, si on multiplie par deux ou trois.
Mme Villeneuve : Est-ce un problème?
Le sénateur Maltais : Est-ce qu'on a un problème maintenant?
Mme Villeneuve : Quand on équilibre l'utilisation du lisier avec le besoin de la terre, ce n'est pas un problème. Si on le fait comme il faut, avec toutes les règles et les bonnes distances, ainsi de suite, on s'inquiète un peu des pathogènes, et cetera, on est d'accord. Le fait que cela double, effectivement, est-ce qu'il y a assez de terre? Mme Dunfield semble dire oui, effectivement la logistique peut causer des zones de surplus. Les fermes vont toutes s'installer au même endroit, c'est pratique, les fournisseurs ne sont pas loin. Cela peut créer des zones de surplus.
Au Québec, il y a eu des zones de surplus, et il y en a encore, où il y avait trop de phosphore. Les agriculteurs devaient aller épandre leur lisier à 50 kilomètres, cela peut causer des problèmes. Il faut gérer cela, il ne faut pas laisser cela aller. Est-ce que cela va vraiment doubler la consommation de la viande?
Le sénateur Maltais : Ils ont des marchés qui, actuellement, ne consomment pas beaucoup de viande mais qui commencent dans les pays émergents.
Mme Villeneuve : Est-ce que cela va doubler au Canada?
Le sénateur Maltais : C'est l'appétit du vendeur versus l'appétit de l'acheteur. Les prix doivent demeurer concurrentiels.
Mme Villeneuve : On va rester dans des marchés plus spécialisés au Canada. On va avoir de la difficulté à entrer en compétition avec la Chine, le Brésil pour la production de la viande. Je ne suis pas sûre que cela va nous affecter de si on double la production au Canada.
Le sénateur Maltais : C'est justement la Chine et les pays asiatiques qui font une demande beaucoup plus accélérée vers le Canada pour l'exportation de porc, entre autres.
Mme Villeneuve : De bonne qualité.
Le sénateur Maltais : C'est évident, parce que le porc de mauvaise qualité, ils vont l'envoyer ailleurs.
Mme Villeneuve : Ils le font chez eux.
Le sénateur Maltais : Ils vont le manger. Lorsqu'on a visité le centre de l'agriculture à Sainte-Hyacinthe, le centre universitaire de médecine vétérinaire, à côté, il y a un centre spécialisé pour la transformation des aliments, l'empaquetage et tout ça, il y a beaucoup de recherche qui se fait là-bas. On a vu quelque chose de très rare, un estomac humain mécanique, il y en a un ou deux, maximum trois dans le monde, si je me rappelle bien.
Le président : Est-ce qu'on en a une?
Le sénateur Maltais : Oui, on en a une. Est-ce que les déchets humains sont traités de la même façon que les déchets animaux?
Mme Villeneuve : Absolument. Vous voulez dire pour l'épandage et comment cela fonctionne?
Le sénateur Maltais : Oui.
Mme Villeneuve : Les déchets humains, toutes nos eaux usées vont aller vers les égouts dans une usine de traitement des eaux usées. La plupart des usines de traitement des eaux usées vont séparer la partie plus solide de la partie liquide. Ils mettent de côté la partie solide, ce qu'on appelle les bio-solides. Les eaux usées vont être traitées dans un processus biologique général et rejetées une fois bien traitées.
Ces bio-solides sont souvent digérés, la digestion anaérobie, des fois même pas, simplement chaulés pour enlever les odeurs pour essayer de les stabiliser un petit peu et sont envoyés pour être épandus sur les terres.
Certaines autres approches existent aussi, des incinérateurs comme à Montréal.
Le sénateur Maltais : À Québec aussi.
Mme Villeneuve : La plupart des bio-solides sont étendus sur les terres agricoles. Par contre, on ne les épand pas seulement là où il y a de la nourriture pour consommation humaine.
Le sénateur Maltais : D'accord. Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Eaton : Madame Dunfield, j'aimerais savoir si on peut bonifier un sol pauvre — et il y en a beaucoup au Canada — pour en faire un sol fertile?
Mme Dunfield : Si le sol est pauvre parce qu'il ne contient pas assez de matières organiques, alors oui, vous pouvez tout à fait lui en ajouter. Mais si un sol est pauvre parce qu'il est trop salé ou parce qu'il est saturé d'eau, il est beaucoup plus difficile d'en faire un sol fertile.
Le sénateur Eaton : J'aimerais savoir si les légumes hydroponiques contiennent les mêmes éléments nutritifs, pour les êtres humains, que les légumes cultivés en terre?
Mme Dunfield : Nous débordons de mon champ de spécialisation, mais je peux vous dire que, pour cultiver des légumes, il faut de l'engrais, alors ça dépend. Le sol contient un mélange de macro-nutriments et de micro-nutriments. Il est difficile de dire précisément quels nutriments un sol contient, mais les légumes vont absorber tous ceux qui s'y trouvent. En culture hydroponique, c'est le producteur qui choisit les nutriments qu'il va ajouter.
Le sénateur Eaton : Ils contiennent plus de produits chimiques.
Dans votre introduction, vous avez bien parlé de la sécurité des aliments, n'est-ce pas?
Mme Dunfield : Oui.
Le sénateur Eaton : Pourriez-vous nous en dire un peu plus? Avec la mondialisation, nous consommons de plus en plus de produits alimentaires étrangers, et j'imagine que la sécurité de ces produits va devenir un défi de plus en plus important au fur et à mesure que nous allons négocier de nouvelles ententes commerciales avec des pays qui ont des pratiques agricoles différentes des nôtres.
Mme Dunfield : Moi, je pense plutôt à la sécurité des aliments du point de vue du microbiologiste, dont l'objectif est d'avoir des produits alimentaires sains et comestibles, qui ne posent pas de risques de contamination ou qui ne contiennent pas de pathogènes; et c'est dans cette optique que je m'intéresse à l'épandage des déchets agricoles. Au cours des dernières années, nous avons observé plusieurs cas de contamination alimentaire, car on vend de plus en plus de produits frais emballés et il arrive que des agents pathogènes issus du sol et même du fumier se retrouvent dans l'eau d'irrigation ou directement sur les légumes. C'est à ce niveau-là que nous nous intéressons à la sécurité des aliments. Nous cherchons à minimiser la survie des agents pathogènes dans le sol afin d'éliminer les risques de contamination. Nous cherchons à mettre en place des techniques adéquates afin que l'eau utilisée pour laver les légumes avant leur vente aux consommateurs soit suffisamment propre.
Le sénateur Eaton : Je ne pense pas que ma question relève de votre champ d'expertise, mais je vais quand même vous la poser, au cas où. Pensez-vous que la gestion des sols ou les pratiques agricoles font partie ou vont faire partie des négociations commerciales avec l'Union européenne, le Japon et la Corée? Non? Tant pis. Je voulais simplement vous la poser, au cas où.
Mme Dunfield : Je ne suis pas sûre. Pour ce qui est de la question des sols, nous avons la possibilité de séquestrer du carbone. Nous ne savons pas grand-chose à ce sujet, et il y aurait des études à faire là-dessus. Mais pour ce qui est des échanges commerciaux, je ne sais pas vraiment.
Le sénateur Plett : Le sénateur Buth a parlé de plusieurs cas de rappel d'aliments biologiques, et nous n'avons pas eu de réponse. Je ne m'attends pas à en avoir une aujourd'hui, mais il est très intéressant de voir que le sénateur Eaton vient tout juste de poser une question au sujet de la sécurité des aliments. J'aimerais bien que l'un ou l'autre de nos témoins puisse faire parvenir cette information à notre comité, et je l'en remercie d'avance. Sinon, il nous faudra peut-être poser la question à d'autres témoins, car c'est une information dont nous avons besoin pour pouvoir parler de sécurité des aliments. On s'est déjà demandé, dans ce comité, s'il y avait une différence entre les aliments biologiques et les autres. J'aimerais donc que l'un ou l'autre des témoins fasse parvenir cette information à notre greffier, et je l'en remercie d'avance.
J'ai peut-être mal compris, mais il me semble que Mme Villeneuve a parlé d'une ferme du Québec, dont elle n'a pas mentionné le nom exact, mais qui a vu ses revenus passer de 70 000 à 200 000 dollars.
Mme Villeneuve : C'est au Vermont.
Le sénateur Plett : Par l'entremise du greffier, encore une fois, pourriez-vous nous faire parvenir des détails sur cette ferme? Je vous en remercie d'avance.
Comme j'ai eu des réponses à la plupart de mes questions, je vais me permettre de faire quelques observations. Je sais que je ne suis pas ici à titre de témoin, et par conséquent, je n'ai pas l'intention de faire un long discours.
Nous avons beaucoup parlé des bonnes pratiques de gestion observées en Europe et aux États-Unis, par rapport à celles du Canada. Je viens d'une province où il y a, proportionnellement, plus de terres arables qu'en Ontario et au Québec. Je ne dis pas que nous avons une plus grande superficie, mais proportionnellement, nous avons plus de terres arables. Les enjeux ne sont peut-être pas les mêmes, mais je crois qu'au Canada, nous n'avons peut-être pas le même problème qu'aux États- Unis et/ou en Europe pour la simple raison que nous avons plus de terres arables qu'ils n'en ont. Par conséquent, il est encore plus important que nous prenions des mesures, car, d'ici quelque temps, nous aurons plus de problèmes de ruissellement et il y aura un plus grand nombre de résidences qui se retrouveront à proximité d'une exploitation agricole.
Je suis convaincu que les agriculteurs de notre pays sont de bonnes personnes et qu'ils veulent faire ce qu'il y a de mieux pour notre société. Toutefois, ce sont des gens d'affaires et il faut donc leur donner un incitatif pour les encourager à investir davantage. Madame Villeneuve, vous avez dit que l'incitatif était de créer un meilleur environnement. Peut-être, mais au bout du compte, il y a le portefeuille. Si un agriculteur est prêt à investir pour produire de l'électricité, mais qu'il ne peut pas revendre cette électricité au réseau, il va évidemment décider de ne pas faire cet investissement. Nos témoins ont proposé plusieurs recommandations, mais je pense qu'il faut aller au-delà d'une simple intervention du gouvernement et nous demander pour quelles raisons nous voulons faire cela.
Dans ma province du Manitoba, et le sénateur Buth le confirmera, notre gouvernement, que je n'appuie pas, a décidé, pour régler nos problèmes de fumier, d'imposer un moratoire. Il est désormais interdit de créer de nouvelles fermes porcines. Pourtant, il y a une demande sur les marchés internationaux et nous voulons exporter notre viande, je dirai même que nous avons besoin de l'exporter.
Y a-t-il une autre solution qu'un moratoire? Nous avons parlé de sanctions et d'amendes. Le fait est que, trop souvent, les sanctions et les amendes sont tellement minimes qu'il est plus facile pour l'agriculteur de violer la loi et de payer l'amende s'il se fait prendre, plutôt que de mettre en place les équipements nécessaires. Heureusement que ce n'est pas très fréquent, mais ça arrive quand même. De quelles façons pouvons-nous intervenir? Pensez-vous qu'il suffit d'augmenter les amendes?
Nous passons beaucoup de temps, comme c'est le cas aujourd'hui, à discuter de la situation des agriculteurs et des bonnes pratiques de gestion. Madame Villeneuve, vous avez dit, me semble-t-il, que nous devrions aussi nous renseigner sur ce que font les municipalités. La plus grande ville du Manitoba est Winnipeg. On entend dire constamment, je ne l'ai pas constaté personnellement, mais je le tiens de source fiable, qu'au printemps, lorsque nous avons des problèmes d'eau, et ça arrive assez régulièrement au Manitoba, la ville de Winnipeg ne trouve rien de mieux à faire que de drainer certains robinets dans la rivière Rouge et dans nos lacs. Que pouvons-nous faire face à ça?
On critique souvent les agriculteurs, mais jamais les municipalités. Pourriez-vous m'expliquer cela? Je sais que ça risque d'être une longue explication, mais on ne devrait pas se contenter de dire aux agriculteurs qu'ils doivent faire telle et telle chose. Vous avez dit, madame Villeneuve, que le gouvernement devrait intervenir. Mais il faudrait aussi éduquer la population, car je ne suis pas prêt à payer des impôts pour ça tant que je ne me sens pas menacé. Si je me sentais vraiment menacé, alors je suppose que je serais prêt à payer des impôts pour ça.
J'aimerais donc savoir comment nous pouvons éduquer le public. J'en resterai là, monsieur le président.
Le président : J'aimerais demander aux témoins si elles ont des commentaires à faire. Sénateur Robichaud, vous voulez dire quelque chose?
Le sénateur Robichaud : Je voudrais simplement répondre au sénateur Plett, quand il dit qu'il serait prêt à payer des impôts pour ça uniquement s'il se sentait menacé. Moi, je ne veux pas attendre d'être menacé. Je suis prêt à passer à l'action. Je veux être sûr que nous prenons les bonnes décisions afin de ne pas en arriver là. Autrement dit, je suis prêt à payer des impôts pour ça, pour éviter d'en arriver là.
Le sénateur Plett : Je suppose que c'est pour cela que j'ai demandé comment on peut éduquer le public, pour que nous arrivions à nous entendre là-dessus.
Le président : Le public aimerait certainement entendre des commentaires là-dessus. Madame Villeneuve, avez-vous quelque chose à dire?
Mme Villeneuve : C'est une question très vaste.
Premièrement, je ne pensais pas que je comparaissais aujourd'hui...
Le sénateur Eaton : Pour participer à une discussion politique?
Mme Villeneuve : Non, je ne pensais pas qu'il fallait vous convaincre de la nécessité d'adopter la technique de la digestion anaérobie.
Le sénateur Plett : Moi, j'ai besoin d'être convaincu.
Mme Villeneuve : Bien. Je ne m'y attendais pas parce que je croyais que vous envisagiez déjà de recommander une politique en ce sens, et que vous aviez simplement besoin de savoir comment procéder. C'est ce que je croyais.
Cela dit, s'il faut vous convaincre...
Le sénateur Eaton : Ce n'est pas notre cas à tous.
Mme Villeneuve : Très bien.
Le sénateur Robichaud : En fait, c'est lui l'exception.
Le sénateur Plett : Je crois que le sénateur Eaton est dans le même cas que moi.
Mme Villeneuve : Cette pratique présente beaucoup d'avantages. J'ai justement rédigé un article là-dessus, récemment, à propos de l'avenir de la digestion anaérobie au Canada. Je faisais remarquer, entre autres, que chaque province a des raisons différentes d'opter pour ce système. En Ontario, cela a commencé avec Walkerton. Ensuite, le ministère ontarien de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Affaires rurales a voulu permettre aux agriculteurs d'engranger des revenus supplémentaires. Il faut dire aussi qu'ils ont beaucoup de centrales alimentées au charbon. Pour toutes ces raisons, le gouvernement a jugé bon de choisir cette option. Il était convaincu que c'était la bonne chose à faire, et il a fait tout ce qu'il fallait pour. Au Québec, le gouvernement voulait empêcher le déversement de produits biologiques dans les décharges. Bref, il y a toutes sortes de raisons qui peuvent amener un gouvernement à choisir cette option.
Je ne sais pas si c'est à moi de vous convaincre. Je pense qu'il faut d'abord sentir qu'il y a un besoin. Quant au public, je pense qu'il y a de l'éducation à faire pour qu'il comprenne bien les enjeux.
Le sénateur Plett : Et de qui relève l'éducation, madame Dunfield?
Mme Villeneuve : Elle fait de la recherche, je ne pense pas qu'elle soit en mesure de vous répondre.
Le président : Mme Dunfield?
Mme Dunfield : Vous me faites intervenir dans cette discussion sur la responsabilité en matière d'éducation. J'accepte une partie de cette responsabilité avec plaisir, mais je n'ai pas un vaste auditoire.
Je peux vous dire que les agriculteurs que je connais et avec lesquels je suis en contact sont en général de bons intendants de leur environnement. Ils sont très conscients qu'ils doivent protéger les ressources du sol pour la viabilité à long terme de leur exploitation, mais la question est de savoir si c'est vraiment à eux qu'il incombe de protéger nos ressources en eau et de réduire les émissions de gaz à effet de serre. C'est à cette étape que vous en êtes : éduquer le public et affirmer clairement que ces enjeux sont prioritaires.
Il faut bien montrer aux agriculteurs que ces enjeux sont importants pour nous. Je ne suis pas sûre de la façon dont on devrait procéder, mais eux, ils ont une exploitation à gérer et ils doivent prendre leurs décisions en fonction d'un modèle économique.
Le sénateur Plett : Je prends note, monsieur le président.
Mme Dunfield : J'ai oublié le reste de la question.
Le sénateur Mahovlich : Il y a quelques années, à Toronto — avant que le sénateur Eaton ne s'installe dans cette ville — il y avait une rivière dont l'affluent s'appelait « Dirty Don », qui traversait le terrain de golf. L'eau était si sale que lorsqu'une balle de golf y tombait, on nous conseillait de ne pas aller la récupérer. Je n'ai donc jamais retrouvé les balles qui sont tombées dans cette rivière. Aujourd'hui, j'habite au bord de l'affluent du Don. Parfois, je vois des chevreuils s'abreuver à la rivière. La situation s'est donc améliorée, même si je ne vois toujours personne s'y baigner. Je suis sûr que la ville s'est occupée de nous, avec nos impôts, et qu'elle a construit des usines de traitement un peu partout.
Le sénateur Plett : Mais vous envoyez toujours des balles dans la rivière?
Le sénateur Mahovlich : Non, j'ai perfectionné mon coup.
Le président : Madame Dunfield, avez-vous quelque chose à répondre à ça, à titre de chercheure et de professeure?
Mme Dunfield : Il y a une chose que vous avez dite — mais il vaut peut-être mieux ne pas entrer dans les détails — et qui est vraie : la faune est un vecteur très important de la contamination de l'eau. Il arrive que, malgré de bonnes pratiques de gestion comme l'aménagement de bandes-tampons pour empêcher le ruissellement du fumier dans l'eau de source, on attire les rats musqués et les chevreuils, qui sont porteurs de ces organismes. J'ai un ami qui a analysé, pour la ville, les plages de Toronto, et il a constaté que la principale source de contamination était les oies.
C'est difficile de vous donner une réponse, car il peut y avoir toutes sortes de sources de contamination, pas seulement des sources agricoles.
Le sénateur Mahovlich : Les oies posent aussi des problèmes sur les terrains de golf.
Le président : D'autres commentaires, sénateur Mahovlich?
Le sénateur Mahovlich : Oui, une petite question.
Pour ce qui est de la recherche que vous avez faite sur la digestion anaérobie, les États-Unis en sont tellement satisfaits qu'ils utilisent maintenant votre système. Avez-vous dit qu'au Canada, c'est le gouvernement qui vous mettait des bâtons dans les roues avec les règlements?
Mme Villeneuve : Pardon, le Canada fait quoi?
Le sénateur Mahovlich : Le Canada n'utilise pas la recherche que vous avez faite sur la digestion anaérobie.
Mme Villeneuve : Le gouvernement ou le secteur privé?
Le sénateur Mahovlich : Le secteur privé. Avons-nous des règles différentes?
Mme Villeneuve : Non, ce n'est pas pour cette raison. Ce n'est pas parce que cette technologie n'est pas intéressante compte tenu de nos règlements. Il n'y a tout simplement pas de marché. Il existe quelques systèmes. Nous en avons quelques-uns, mais nous n'avons pas réussi à en vendre autant qu'aux États-Unis. Il n'y a pas de marché. C'est très lent.
Le sénateur Mahovlich : Merci.
Le président : Avant de conclure, j'aimerais dire que selon des statistiques de 2006, les agriculteurs canadiens ont produit un peu plus de 180 millions de tonnes de fumier. Quel pourcentage, madame Villeneuve, est traité dans des systèmes qui utilisent votre technologie?
Madame Dunfield et madame Villeneuve, avez-vous des informations qui permettent de comparer le traitement du fumier au Canada et dans les pays du G8 ou même du G20? L'attaché de recherche vous fera parvenir d'autres questions au sujet du coût du traitement et des effets sur les bonnes pratiques de gestion. N'hésitez pas à donner votre avis sur l'impact que cela peut avoir sur le produit dans les supermarchés, que ce soit un produit traditionnel ou un produit biologique.
Mme Villeneuve : Le chiffre de 180 millions de tonnes par an est trop faible pour qu'on puisse dire quel pourcentage a été traité. C'est négligeable. Cela n'atteint même pas 1 p. 100. Il y a peut-être 50 digesteurs agricoles au Canada, et encore.
Le président : Peut-on dire que c'est moins de 1 p. 100, madame Villeneuve?
Mme Villeneuve : C'est beaucoup moins que ça.
Le président : Bien moins de 1 p. 100. Madame Dunfield, avez-vous quelque chose à dire?
Mme Dunfield : Je suis assez d'accord — on parle de bonnes pratiques de gestion et de fumier traité au digesteur anaérobie —, car les quantités sont infimes. Je ne sais pas combien d'études se font là-dessus. Je participe actuellement à une recherche qui a commencé l'an dernier et qui est financée par le Programme de lutte contre les gaz à effet de serre en agriculture, d'Agriculture Canada. Nous faisons des essais sur le terrain pour comparer le fumier traité et le fumier non traité. Mais je peux vérifier s'il y a de la documentation sur ces essais et si on a utilisé des pratiques de gestion particulières.
Le président : Au nom du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts et au nom des sénateurs présents, j'aimerais remercier nos deux invitées, car elles nous ont présenté des témoignages fort instructifs. Merci beaucoup.
(La séance est levée.)