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ANTR - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme

Fascicule 5 - Le deuxième rapport du comité


Le mercredi 16 mai 2012

Le Comité spécial sur l'antiterrorisme a l'honneur de présenter son

DEUXIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-7, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la protection de l'information, a, conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 8 mars 2012, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport avec les amendements suivants :

1. Article 10, page 10 : Remplacer la ligne 32 par ce qui suit :

« (13) Le juge ou un autre juge du même tribunal peut, sur demande de l'agent de ».

2. Article 12, page 11 :

a) Remplacer la ligne 27 par ce qui suit :

« 83.28, 83.29 et 83.3 et de leur application doit »;

b) Remplacer la ligne 31 par ce qui suit :

« cas, désigne ou constitue à cette fin. ».

Votre comité a aussi effectué des observations qui sont annexées au présent rapport.

Respectueusement soumis,

Le président,

HUGH SEGAL


OBSERVATIONS
au deuxième rapport du Comité sénatorial spécial
sur l'antiterrorisme (projet de loi S-7)

INTRODUCTION

Le projet de loi S-7 constitue une étape importante dans les efforts du Canada en vue de prévenir et de décourager le terrorisme, tant au pays qu'à l'étranger. Votre comité signale que le projet de loi répond à bon nombre des recommandations formulées, d'une part, par le Sous-comité sur la revue de la Loi antiterroriste du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes (le Sous-comité de la Chambre des communes) et, d'autre part, par le présent comité, dans leurs rapports respectifs au Parlement en 2006 et 2007 à la suite de leurs examens législatifs de la Loi antiterroriste1. Le projet de loi S-7 tient également compte de certaines décisions rendues par les tribunaux depuis l'entrée en vigueur de la Loi antiterroriste2. Nous appuyons les modifications législatives apportées dans le projet de loi; toutefois, nous sommes d'avis que, dans un projet de loi futur, des modifications additionnelles pourraient être apportées de façon à renforcer les dispositions du projet de loi. Nous souhaitons également mettre en lumière certaines des préoccupations soulevées par les témoins durant nos séances.

A. Audiences d'investigation et engagements assortis de conditions/arrestations à titre préventif (articles 10 à 13)

Lorsque la Loi antiterroriste est entrée en vigueur en décembre 2001, elle renfermait des dispositions autorisant les audiences d'investigation et les engagements assortis de conditions/arrestations à titre préventif dans les affaires de terrorisme. Ces dispositions étaient visées par une clause de temporarisation et, conformément aux exigences de cette clause, elles ont pris fin le 1er mars 2007 parce qu'elles n'avaient pas été renouvelées.

En réintroduisant dans le Code criminel (le Code)3 des dispositions autorisant les audiences d'investigation et les engagements assortis de conditions/arrestations à titre préventif, le projet de loi confère de nouveau ces outils procéduraux aux responsables de l'application de la loi et aux tribunaux, ce qui pourrait leur permettre de déjouer les actes terroristes avant qu'ils ne soient commis. Les dispositions, réintroduites au moyen des articles 10 à 13 du projet de loi, renferment également de nombreuses garanties législatives et procédurales — dont certaines se trouvaient dans les dispositions originales de la Loi antiterroriste, et d'autres ont été ajoutées en réponse aux recommandations formulées par le Sous-comité de la Chambre des communes et le présent comité à la suite de leurs examens législatifs de cette Loi, notamment les garanties suivantes :

  • un agent de la paix ne peut présenter la demande que s'il a obtenu le consentement préalable du procureur général (paragraphe 83.28(3));
  • toute personne tenue de comparaître à une audience d'investigation a le droit d'engager un avocat et de lui donner des instructions en tout état de cause (paragraphe 83.28(11));
  • dans le cas d'une audience d'investigation, il faut que des efforts raisonnables aient été déployés pour obtenir les renseignements par d'autres moyens (sous-alinéas 83.28(4)a)(iii) et 83.28(4)b) (iii));
  • aucun renseignement fourni par une personne dans le cadre d'une audience d'investigation ou toute preuve découlant d'une telle audience ne peut être utilisée ou admise contre elle dans le cadre de poursuites criminelles, sauf s'il s'agit de poursuites pour parjure ou témoignages contradictoires (paragraphe 83.28(10));
  • une disposition clarifiant que, dans le cas d'une audience d'investigation, nul ne peut être détenu pendant plus de 30 jours sans être amené devant un tribunal de compétence supérieure (paragraphe 83.29(4));
  • l'adoption d'une nouvelle clause de temporarisation de cinq ans visant les audiences d'investigation et les engagements assortis de conditions/arrestations à titre préventif (article 83.32);
  • dans leurs rapports annuels au Parlement sur le recours aux audiences d'investigation et aux engagements assortis de conditions/arrestations à titre préventif, le procureur général du Canada et le ministre de la Sécurité publique devront exprimer leur opinion quant à la nécessité de proroger les articles 83,28 et 83.29 et motiver cette opinion (paragraphes 83.31(1.1) et 83.31 (3.1)).

Plusieurs des recommandations formulées par notre comité et par le Sous-comité de la Chambre des communes ont été prises en considération au moment de la réintroduction de ces dispositions dans le Code; toutefois, nous estimons qu'il est possible de renforcer davantage les garanties législatives et procédurales.

Bien que le paragraphe 83.28(10) précise qu'aucun renseignement fourni par une personne dans le cadre d'une audience d'investigation ou toute preuve découlant d'une telle audience ne peut être utilisée ou admise contre elle dans le cadre de poursuites criminelles, sauf s'il s'agit de poursuites pour parjure ou témoignages contradictoires, la Cour suprême du Canada, dans Demande fondée sur l'article 83.28 du Code criminel4, a interdit l'utilisation de tels renseignements dans des audiences d'expulsion ou d'extradition5. Bien que l'application de la jurisprudence ait pour effet d'empêcher que tout renseignement obtenu d'une personne dans le cadre d'une audience d'investigation, ou toute information dérivée, soit utilisé contre elle dans une audience d'expulsion ou d'extradition, nous croyons que le projet de loi S-7 serait amélioré si le paragraphe 83.28(10) était modifié de façon à codifier cet élément de l'arrêt de la Cour suprême du Canada. De plus, cela irait dans le même sens que la décision du gouvernement, relativement au projet de loi S-7, de modifier l'article 83.3 du Code à la lumière de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans R c. Hall et de modifier certaines sections de la Loi sur la preuve au Canada6 de façon à ce qu'elles reflètent l'interprétation de ces sections par la Cour fédérale dans Toronto Star Newspapers c. Canada7.

B. Quitter ou tenter de quitter le Canada pour commettre
des infractions de terrorisme (article 6)

Selon les agents d'application de la loi, des services frontaliers et du renseignement qui ont témoigné durant nos audiences sur le projet de loi, en faisant en sorte qu'il soit illégal : de quitter le Canada ou de tenter de quitter le Canada pour participer aux activités d'un groupe terroriste (article 83.181); de faciliter une activité terroriste (article 83.191); de commettre une infraction au profit d'un groupe terroriste (article 83.201); ou de commettre une infraction constituant une activité terroriste (section 83.201), le projet de loi leur permettra de stopper les activités des terroristes durant les étapes préparatoires, avant qu'ils ne quittent le Canada pour participer à un camp d'entraînement ou qu'ils ne fassent du mal ailleurs.

De l'avis du comité, ces nouvelles infractions pourraient bel et bien permettre aux agents d'application de la loi et agents du renseignement d'accomplir ce but important et, par conséquent, elles ont un rôle important à jouer sur le plan de la prévention. Toutefois, elles ne pourront jouer ce rôle que si les ententes sur la recherche et l'échange de renseignements sont structurées de manière à ce que les renseignements requis pour étayer les accusations portées en vertu de ces nouveaux articles du Code soient fournis aux bonnes personnes et au bon moment. En particulier, ces nouvelles infractions semblent prévoir un rôle accru de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) dans l'interception des présumés terroristes. Le comité recommande fortement l'élaboration de protocoles et d'usages opérationnels entre les diverses organisations qui seront chargées d'appliquer ces dispositions afin qu'on les utilise de manière efficace pour procéder aux arrestations et aux accusations en conformité avec la loi.

Durant leur témoignage devant le comité, les représentants de l'ASFC ont confirmé que, en ce moment, il n'y a pas de mesures en place pour contrôler les sorties et suivre les déplacements des personnes qui quittent le Canada. Toutefois, ils ont également confirmé que le Canada et les États-Unis collaboraient à la mise au point de contrôles de sortie dans le cadre du Plan d'action canado-américain sur la sécurité du périmètre et la compétitivité économique. En ce qui concerne l'élaboration de nouveaux systèmes ou accords, le comité exhorte le gouvernement à veiller à ce qu'on respecte le droit des citoyens canadiens de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir, comme le garantit le paragraphe 6(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)8. Il faut également que de tels systèmes ou accords tiennent compte du sentiment de marginalisation et de vulnérabilité qui habite certains membres de certaines communautés religieuses, ethniques ou raciales au Canada depuis l'entrée en vigueur de la Loi antiterroriste.

C. Modifications à la procédure se rapportant aux audiences de non-divulgation tenues aux termes des articles 38.01 à 38.16 de la Loi sur la preuve au Canada (articles 19 à 24)

Ainsi qu'il est signalé précédemment dans les présentes observations, le projet de loi S-7 modifie la Loi sur la preuve au Canada à la lumière de la décision rendue en 2007 par la Cour fédérale dans l'affaire Toronto Star Newspapers Ltd. c. Canada. Dans cette affaire, la question en litige avait trait aux paragraphes 38.11(1), 38.04(4) et 38.12(2) de la Loi sur la preuve au Canada. Aux termes de ces paragraphes, toutes les audiences sur les demandes de non-divulgation en vertu des articles 38.01 à 38.16 devaient se tenir à huis clos, toutes les demandes de non-divulgation étaient confidentielles et tous les dossiers du tribunal ayant trait à l'audience étaient confidentiels. La Cour fédérale a conclu que ces dispositions enfreignaient le droit à la liberté d'expression garanti par l'alinéa 2b) de la Charte; en guise de remède, la Cour fédérale a avancé une interprétation atténuante de l'obligation de confidentialité contenue dans ces dispositions, si bien que la confidentialité s'applique uniquement aux audiences ex parte, sauf si un tribunal tranche autrement. Certaines des modifications apportées aux articles 38.01 à 38.16 de la Loi sur la preuve au Canada par le projet de loi S- 7 servent essentiellement à codifier la décision de la Cour fédérale à cet égard.

D'autres modifications apportées par le projet de loi S-7 aux articles 38.01 à 38.16 de la Loi sur la preuve au Canada découlent de recommandations formulées par le Sous-comité de la Chambre des communes dans son rapport de mars 2007. Il s'agit notamment des modifications suivantes :

  • modifier la formulation du paragraphe 38.04(2) de façon à assurer que lorsque le procureur général du Canada refuse d'autoriser la divulgation complète de renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables, sauf dans le cadre d'une entente aux termes de l'article 38.031 de la Loi sur la preuve au Canada, une procédure soit amorcée auprès de la Cour fédérale;
  • modifier l'article 38.06 de façon à clarifier qu'une ordonnance d'un juge de la Cour fédérale autorisant la divulgation de renseignements dont le procureur général tente de préserver la confidentialité aux termes de l'article 38.06 ne prend effet qu'après l'épuisement de tous les appels et qu'après l'expiration de tous les délais pour interjeter appel de l'ordonnance;
  • modifier le paragraphe 38.13(9) de la Loi sur la preuve au Canada de façon à réduire de 15 à 10 ans la période durant laquelle un certificat de non-divulgation délivré par le procureur général du Canada demeure valide;
  • ajouter l'article 38.17 à la Loi sur la preuve au Canada, contraignant le procureur général du Canada de déposer au Parlement des rapports annuels dans lesquels il signale le nombre de certificats et de fiats délivrés chaque année aux termes des articles 38.13 et 38.15, respectivement.
  • Bien que le comité estime qu'une modification des dispositions pertinentes de la Loi sur la preuve au Canada en vue de rendre compte des modifications apportées à ces dispositions par le tribunal ajoute de la clarté à la loi et qu'il soit encouragé de constater que de nombreuses recommandations de changements faites par le Sous-comité de la Chambre des communes figurent dans ce projet de loi, nous exhortons le gouvernement à poursuivre l'examen approfondi de ces dispositions, à mesure que les modifications apportées par le projet de loi S-7 à la Loi sur la preuve au Canada font l'objet d'une interprétation de la part des tribunaux. À une date ultérieure, le gouvernement peut vouloir apporter d'autres modifications à ces dispositions de la Loi sur la preuve au Canada, selon la façon dont les modifications apportées par le projet de loi S-7 fonctionnent dans la pratique, afin d'atteindre un meilleur équilibre entre le principe de la publicité des débats et la nécessité de protéger des renseignements confidentiels qui concernent les relations internationales, la sécurité nationale ou la défense nationale ou encore, qui peuvent causer préjudice à celles-ci. De telles modifications pourraient inclure, pour ne citer que trois exemples :
  • désigner un avocat spécial qui représenterait les intérêts de la partie qui n'est pas présente pendant les audiences d'examen d'une demande de non-divulgation qui sont tenues ex parte, comme l'ont recommandé notre Comité et le Sous-comité de la Chambre des communes au cours de leurs examens respectifs de la Loi antiterroriste;
  • donner aux juges de première instance, plutôt qu'à la Cour fédérale, la compétence pour procéder à des audiences de non-divulgation en vertu de la Loi sur la preuve au Canada, si les procédures dans les poursuites antiterroristes sont fréquemment suspendues parce que le juge de première instance n'a pas accès à des renseignements secrets;
  • modifier la Loi sur la protection de l'information9 pour assurer une meilleure protection des sources de renseignements humains.

Plusieurs des témoins qui ont comparu devant le comité ont attiré l'attention sur les défis que pose la transformation du renseignement en preuve. À notre avis, les poursuites au criminel, qui reposent sur des preuves solides, constituent la meilleure façon de s'assurer de mettre un frein aux activités terroristes et de dissuader d'éventuels actes terroristes. Le renseignement peut fournir une information essentielle aux organismes chargés de l'application de la loi, mais son utilisation dans le cadre d'un tribunal sera toujours problématique. Le comité souhaite, par conséquent, mettre l'accent, dans ces observations, sur le fait que, nonobstant son importance, le renseignement ne peut remplacer des services de police solides qui recueillent de nombreuses preuves.

D. Protection des droits des jeunes

Le projet de loi S-7 est une loi d'application générale, qui vise, par conséquent, les adultes et les jeunes de moins de 18 ans. Dans les poursuites en matière criminelle au Canada, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA)10 s'applique dans le but de protéger les droits des personnes âgées de 12 à 18 ans ayant des démêlées avec la justice pénale. Certains témoins étaient d'avis que le projet de loi S-7 devrait contenir des dispositions qui indiquent de quelle façon le projet de loi s'applique aux personnes de moins de 18 ans de manière à ce qu'il soit conforme aux obligations du Canada aux termes de la Convention relative aux droits de l'enfant11 et d'autres instruments internationaux. Le comité reconnaît que la LSJPA s'applique aux dispositions contenues dans le projet de loi S-7, comme l'a confirmé la Cour suprême du Canada dans R. c. R.C12. En l'espèce, la Cour a déclaré que toute instruction fondée sur le Code criminel visant un adolescent devrait être menée à la lumière des principes énoncés dans la LSJPA. Toutefois, à l'instar de certains témoins, le comité estime qu'il serait bon que le ministère de la Justice procède à une analyse détaillée des dispositions du projet de loi, afin que leur interprétation soit conforme aux principes de la LSJPA ainsi qu'aux obligations internationales du Canada à l'égard des droits des jeunes.

CONCLUSION

Le projet de loi S-7 offre des outils essentiels qui permettront au Canada de répondre à un environnement de menace toujours en évolution. En ce qui concerne les audiences d'investigation et engagements assortis de conditions/ arrestations à titre préventif, l'article 83.32 du Code exige explicitement que le Parlement examine ces dispositions afin d'en déterminer l'efficacité et la nécessité, comme il se doit. Au cours de son étude, le comité a posé des questions sur la surveillance parlementaires à divers témoins. Plusieurs ont plaidé en faveur de cet instrument de contrôle démocratique. On trouvera leurs réponses dans les délibérations du comité.

________________________________

1 L.C. 2001, ch. 41.
2
Voir par exemple, R. c. Hall, [2002] 3 R.C.S. 309 et Toronto Star Newspapers c. Canada, 2007 CF 128, confirmée en appel (2007 CAF 388); demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada refusée le 3 avril 2008.
3
L.R.C. 1985, ch. C-46.
4
[2004] 2 R.C.S. 248.
5
Ibid., aux paragraphes 78 et 79.
6
L.R.C. 1985, ch. C-5.
7
Voir ci-dessus, note 2.
8
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.- U.), 1982, chap. 11.
9
L.R.C. (1985), ch. O-5.
10
L.C. 2002, ch. 1.
11
20 novembre 1989, 1577 R.T.N.U. 3.12 [2005] 3 R.C.S. 99.


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