Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 4 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 25 octobre 2011
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, afin d'examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs, ainsi qu'au public qui assiste à cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Le public peut suivre nos délibérations sur la chaîne CPAC ou sur le web. Je m'appelle Gerry St. Germain, je suis de la Colombie-Britannique et j'ai l'honneur de présider ce comité qui a pour mandat d'examiner les mesures législatives et autres qui se rapportent aux peuples autochtones du Canada en général. Le mandat est large et le comité s'est déjà penché par le passé sur le processus de mise en œuvre des traités.
Nos témoins sont ici aujourd'hui pour nous en parler. Ce matin, nous allons entendre les témoignages des représentants de la Commission des traités de la Colombie-Britannique. La Commission des traités de la Colombie- Britannique est un organisme indépendant qui a été mis sur pied en septembre 1992 afin d'encadrer et de faciliter la négociation des traités entre la Couronne et les Premières nations. La commission a entre autres responsabilités d'intégrer les Premières nations au processus des traités et de déterminer à quel moment les parties sont prêtes à entamer les négociations. La commission est aussi chargée d'élaborer des politiques et procédures applicables pendant tout le processus des traités, de faire rapport sur l'avancement des négociations, d'aider à régler les conflits entre les parties aux négociations et d'attribuer les crédits des gouvernements fédéral et provincial aux Premières nations concernées par les négociations de traités.
[Français]
Avant d'entendre nos témoins, j'aimerais présenter les membres du comité présents ici ce matin.
[Traduction]
Parmi nous ce matin il y a le sénateur Larry Campbell, de la Colombie-Britannique; le sénateur Ataullahjan, de l'Ontario; le sénateur Brazeau, du Québec; le sénateur Greene Raine, de la Colombie-Britannique; le sénateur Demers, du Québec.
Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous demande d'accueillir nos témoins qui représentent la Commission des traités de la Colombie-Britannique : la commissaire en chef Sophie Pierre, le commissaire Robert Phillips, le commissaire Dave Haggard et la commissaire Celeste Haldane.
Nous sommes prêts à écouter votre exposé avec intérêt. Je crois que c'est vous, madame la commissaire en chef, qui allez le présenter.
Sophie Pierre, commissaire en chef, Commission des traités de la Colombie-Britannique : Bonjour monsieur le sénateur St. Germain, mesdames et messieurs les sénateurs et autres personnes présentes. Merci beaucoup d'avoir accepté d'entendre aujourd'hui l'exposé de la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Il y a presque deux ans jour pour jour, la commission était ici à Ottawa pour présenter un exposé devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes, dans le cadre des consultations prébudgétaires. Nous nous étions déplacés spécialement pour obtenir un appui à l'effet de stimulation économique qui peut accompagner la négociation de traités avec les Premières nations de la Colombie-Britannique.
Nous sommes venus à Ottawa pour nous présenter devant votre comité et vous demander cette fois encore de nous aider à réaliser le potentiel économique du processus des traités de la Colombie-Britannique Nous vous demandons votre appui afin de redonner un sentiment d'urgence aux négociations. Pour que la négociation de traités modernes au Canada soit couronnée de succès, nous devons passer d'une perspective sociale à une perspective économique. Essentiellement, notre message est que les traités représentent une mesure de stimulation économique et devraient être considérés comme un programme économique.
Comme vous le savez, le gouvernement du Canada a une obligation constitutionnelle particulière envers les Autochtones. La Constitution reconnaît et confirme les droits ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones, que ces droits existent déjà ou qu'ils soient susceptibles d'être acquis. Tel est notre point de départ.
En réalité, selon le droit canadien, le titre aborigène relatif aux terres et les droits qui y sont rattachés, existent même en l'absence d'un traité. Toutefois, l'absence de traité laisse planer une incertitude : où et comment s'appliquent ces droits? C'est le cas en Colombie-Britannique : il existe un doute.
Grâce aux traités, nous pouvons éliminer ce doute. Les traités permettent d'obtenir le consentement préalable, libre et éclairé des citoyens des Premières nations de la Colombie-Britannique. Les questions de compétence et de propriété ne font aucun doute.
En septembre 1992, le gouvernement du Canada s'est engagé à l'égard de ce processus des traités unique, propre à la Colombie-Britannique Ainsi, la conclusion de traités en Colombie-Britannique est distincte en ce qu'elle diffère des autres processus de négociation de traités ou de traités historiques déjà existants dans les autres régions du Canada. Nous participons à ce processus depuis 19 ans. Cette année, nous posons la question très importante suivante dans notre rapport annuel, dont vous avez reçu un exemplaire : Comment pouvons-nous commencer à bénéficier des avantages de l'investissement qui a déjà été fait? Cet investissement est assez important. Du côté des Premières nations uniquement, il s'élève à environ un demi-milliard de dollars. Comment pouvons-nous commencer à tirer parti des avantages de cet investissement?
Selon moi, nous investissons dans ces processus afin d'en tirer certains avantages au bout du compte. Nous sommes très inquiets et nous pensons que nous avons beau multiplier actuellement les efforts, il sera très difficile pour nous de récolter les avantages que nous devrions normalement obtenir. La situation économique mondiale nous préoccupe tous. Il est donc compréhensible que le gouvernement du Canada doive investir stratégiquement.
La Chambre de commerce du Canada a récemment fait paraître un rapport intitulé Argumentation économique en faveur de l'investissement dans les collectivités éloignées du Canada. Ce rapport milite vivement en faveur d'investissements stratégiques dans les collectivités éloignées du Canada. Nous estimons que la même conclusion peut s'appliquer aux communautés des Premières nations puisque plusieurs d'entre elles sont établies dans des régions éloignées ou rurales du Canada.
Par ailleurs, le Plan d'action conjoint Canada-Premières nations vise à réaliser le potentiel économique des Premières nations. Non seulement s'agit-il de la bonne chose à faire, mais il est également logique de le faire du point de vue de l'économie, pour le bien de chacun d'entre nous. La Commission des traités est d'avis que la conclusion de traités est une façon efficace d'assurer la croissance économique dans toutes les régions de la Colombie-Britannique. Les traités représentent une source inexploitée de croissance économique puisque la prospérité d'une Première nation amène la prospérité de la région dans son entier. Le contraire n'est pas nécessairement vrai. C'est la raison pour laquelle la pauvreté sévit dans certaines régions de notre pays.
Bien que les Premières nations aient été parties au débat portant sur le développement des ressources naturelles, de l'énergie et des transports en Colombie-Britannique, elles ont souvent été écartées du processus décisionnel. Elles ont rarement compté parmi ceux qui en profitaient.
Récemment, le gouvernement de la Colombie-Britannique a dévoilé son plan pour faire en sorte que l'économie demeure vigoureuse pour tous les habitants de la Colombie-Britannique, y compris les membres des Premières nations. La priorité est désormais accordée à la conclusion d'ententes à court terme avec les Premières nations, bien que le gouvernement affirme avoir l'intention de les lier à des traités afin d'y intégrer la dimension de certitude que nous recherchons tous.
Bien que l'objectif principal du gouvernement provincial demeure la réconciliation à long terme avec les Premières nations, des considérations d'ordre pratique militent en faveur de la conclusion d'accords qui, à court terme, offrent la certitude quant aux territoires à l'égard desquels la Couronne et une Première nation ont un intérêt commun.
Malheureusement, le gouvernement fédéral n'a pas pris part à la plupart des négociations bilatérales entre le gouvernement de la Colombie-Britannique et diverses Premières nations. Bien entendu, la commission est favorable aux accords bilatéraux qui procurent des avantages immédiats aux Premières nations, mais il serait utile que ces accords soient davantage liés aux traités. De son côté, le gouvernement fédéral a octroyé du financement à certaines Premières nations, au titre des mesures liées aux traités. Il a fallu du temps à l'administration fédérale pour adopter cette façon de faire, mais nous sommes désormais persuadés que les Premières nations pourront en bénéficier. Elles peuvent conclure des ententes territoriales bilatérales et obtenir des mesures liées aux traités en matière de gouvernance et de renforcement des capacités, et cetera.
Les dépenses engagées par le gouvernement fédéral dans l'enveloppe réservée aux Autochtones ont toujours été motivées par la dimension sociale. Cela doit changer et il est évident qu'une plus grande importance doit être accordée à un programme économique pour nos collectivités, sinon, nous continuerons toujours d'être branchés sur le même paradigme axé sur les problèmes sociaux. Nous avons vraiment besoin d'un programme économique qui permettrait aux Premières nations de s'attaquer elles-mêmes aux problèmes sociaux.
Au printemps dernier, la Mining Association of British Columbia a affirmé que les traités sont un des meilleurs moyens de garantir un certain degré de certitude quant aux assises territoriales, et qu'ils représentent un outil favorisant la réconciliation avec les Premières nations. Cependant, la Mining Association of BC a déclaré que l'engagement du gouvernement fédéral à l'égard du processus des traités en Colombie-Britannique semble s'être affaibli au cours des dernières années. Or, le gouvernement du Canada a donné la preuve qu'il peut agir avec célérité, en faisant adopter par exemple au Parlement, l'an dernier, l'Accord définitif des Premières nations Maa-nulthes. Il a fallu seulement quatre jours pour que cet accord soit entériné par la Chambre, le Sénat, les comités permanents et reçoive la sanction royale. Bravo, c'est formidable. Un autre traité va bientôt vous être soumis, celui de la Première nation Yale. Nous espérons que ce traité sera entériné avec autant de célérité.
Cependant, le contraire s'est déjà vu. Par exemple, il a fallu plus de 16 mois au gouvernement fédéral pour simplement parapher — non pas signer, mais simplement parapher — l'Entente de principe avec la Première nation Sliammon. Je vous ai donc donné un exemple où le gouvernement a agi très rapidement et un autre où les retards se multiplient, expérience qui nous est coutumière. Le fait que l'Entente de principe avec la Première nation Sliammon ait été paraphée le week-end dernier peut peut-être nous redonner foi dans le processus malgré les nombreux retards causés par le gouvernement fédéral. Le ministre Duncan et la ministre Polak étaient présents. Comme je l'ai mentionné, l'adoption rapide de l'Accord définitif de la Première nation Yale par le Parlement au cours de l'automne, contribuera également à rétablir la confiance.
Nous savons que nous prenons part à la négociation de traités afin d'éviter les procédures judiciaires. C'est soit la négociation, soit les procédures judiciaires. Parfois, les procédures judiciaires donnent une orientation aux négociations, mais nous préférons et nous encourageons la négociation plutôt que les procédures judiciaires. Notre commission a aussi l'intention d'agir de façon plus agressive dans ses propositions de règlement de différends aux tables de négociation qui n'auront accompli aucun progrès ou qui seront interrompues. Le rôle d'une commission des traités est d'être toujours prête à proposer des solutions et à aider dans la résolution des différends.
Un de ces différends concerne les problèmes territoriaux qui opposent les Premières nations. Il arrive que certaines revendications se chevauchent sur un territoire partagé. Bien entendu, nous recommandons aux Premières nations de régler elles-mêmes un tel litige plutôt que de s'adresser aux tribunaux pour régler ce type de différend interne. Il est probable en effet qu'après avoir dépensé des millions de dollars en frais juridiques les tribunaux conseilleront aux Premières nations de retourner à la table de négociation et de régler elles-mêmes le différend. C'est pourquoi nous les invitons à commencer à négocier elles-mêmes. Nous avons toujours affirmé que les Premières nations doivent régler de tels différends elles-mêmes, mais nous avons besoin de ressources pour les aider à le faire. Nous offrons aux Premières nations, soit un appui direct sous forme de médiation — et mon collègue le commissaire Haggard pourra vous faire part de certaines bonnes expériences de ce type de médiation pour amener les parties à conclure des ententes définitives — soit, nous leur donnons les ressources nécessaires pour faire appel à d'autres médiateurs. Par exemple, le juge Lambert a aidé les Premières nations de Tsawwassen et de Lake Cowichan à conclure une entente.
Nous considérons qu'il s'agit d'une des grandes priorités de la commission. L'autre priorité dans le domaine de nos relations avec les Premières nations est d'appuyer le renforcement des capacités en matière de gouvernance. Nous avons l'exemple de la Première nation de Tsawwassen et maintenant celui des Premières nations Maa-nulthes qui disposent de traités. Nous pouvons vérifier auprès d'elles ce dont chacune de ces Premières nations a besoin pour pouvoir gouverner de manière réelle et avec efficience sans avoir à s'entourer d'une kyrielle de consultants pour faire le travail pour elles; elles peuvent se gouverner elles-mêmes. C'est, et cela demeurera, notre priorité.
Nous nous adressons à vous pour vous demander de soutenir ce programme visant à réaliser le potentiel économique des traités. Plus précisément, la commission sollicite de la part du gouvernement fédéral, du gouvernement provincial et du Sommet des Premières nations le renouvellement de leur engagement à l'égard du processus des traités et à l'égard de réelles négociations. Le mois de septembre prochain marquera le 20e anniversaire du processus de négociation de traités en Colombie-Britannique. Nous demandons un renouvellement de l'engagement à l'occasion du 20e anniversaire. Nous pensons que l'engagement doit être renouvelé, mais nous ne précisons pas de quelle manière. Un message de renouvellement de l'engagement à l'appui des négociations, par opposition aux procédures judiciaires, doit provenir directement des trois parties aux négociations soit, le premier ministre du Canada, le premier ministre provincial et le Sommet des Premières nations. Ce renouvellement de l'engagement est indispensable pour faire avancer le processus afin que les ententes de principe et les accords définitifs soient paraphés plus rapidement et ne traînent pas en longueur comme cela a déjà été le cas. Nous recommandons également que les Premières nations règlent elles-mêmes les revendications qui se chevauchent.
Nous recommandons plus précisément au gouvernement du Canada de trouver des moyens de surmonter l'inertie bureaucratique qui caractérise ce processus. Je suis commissaire en chef depuis deux ans et demi et, au bout de deux mois dans mes fonctions, je me suis rendu compte que nous n'étions pas en négociation, que nous n'étions simplement qu'un autre programme gouvernemental. La commission est malheureusement devenue une émanation du ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord, alors que nous étions censés prendre part à la négociation.
Étant donné que le processus prend plusieurs années, une véritable inertie bureaucratique s'installe et entraîne de longs délais. Les négociateurs fédéraux et l'ensemble des fonctionnaires semblent éprouver le besoin de revenir à Ottawa constamment pour obtenir des approbations, n'ayant pas le mandat de faire avancer les choses et de véritablement conclure des ententes. Nous avons besoin de négociateurs qui sont en mesure de conclure des ententes. Les négociateurs doivent avoir le pouvoir et la latitude de conclure des ententes.
Nous avons besoin d'un engagement envers une plus grande transparence. Nous recommandons que les concessions territoriales et pécuniaires soient faites rapidement plutôt que tardivement aux tables de négociation afin que le processus ne s'enlise pas. Les Premières nations empruntent de l'argent pour pouvoir participer au processus. Comme je l'ai mentionné un peu plus tôt, les dépenses se chiffrent déjà à un demi-milliard de dollars, dont 80 p. 100 sous forme de prêts et 20 p. 100 en cotisations. Notre dette est faramineuse et continue de s'alourdir à cause de l'inertie bureaucratique et à cause de la lenteur des négociations. Nous passons beaucoup de temps sur des détails mineurs et purement accessoires du libellé, plutôt que de faire véritablement porter nos efforts sur le fond. Une façon d'y remédier serait de rendre le processus plus transparent lorsque les offres territoriales et pécuniaires sont déposées. Par exemple, les Premières nations ne peuvent pas réellement commencer à régler le chevauchement des revendications tant qu'elles ne savent pas quels sont les territoires qui seront pris en considération. Si elles doivent négocier pendant 17 ou 18 ans avant de savoir quels sont les territoires sur la table, elles auront accumulé une dette incroyable. Elles auront perdu tout ce temps avant de pouvoir négocier avec leurs voisins. Voilà essentiellement où nous en sommes.
Nous ne pouvons pas continuer de la sorte au cours des années à venir. Ce n'est pas correct et ce n'est bien pour personne.
Les négociateurs fédéraux ont besoin de véritables mandats de négocier. Actuellement, ce n'est pas le cas, en raison de la planification pluriannuelle en cours. Vous connaissez tous l'objectif des négociations. Actuellement, les négociateurs fédéraux ne peuvent pas s'asseoir à la table pour négocier, étant donné qu'ils ont les mains liées par les divers examens qui ont cours aujourd'hui au Canada.
Je vais vous citer en exemple quelques-uns de ces examens qui touchent directement les négociations de traités en Colombie-Britannique. On procède actuellement à un examen des revendications globales. Il y a l'examen pour l'harmonisation des politiques budgétaires. Nous avons la commission d'enquête Cohen et avant cela, il avait l'enquête sur les pêches de la côte Ouest. Celle-ci a disparu lorsqu'a été instituée la commission d'enquête Cohen. Nous avons l'examen national du programme de renforcement des capacités et il faut s'attendre bientôt à l'expiration et à l'examen du budget quinquennal actuel du gouvernement fédéral relatif à sa participation au processus des traités, qui expire en 2014.
Toutes ces révisions actuellement en cours ont pour conséquence d'entraver le travail des négociateurs, car ils n'ont pas le mandat de conclure des traités, puisqu'il faut d'abord terminer les examens. Il est permis de se demander si nous participons vraiment à un processus de négociation de traités en Colombie-Britannique.
Nous recommandons, avec votre aide, de faire revivre l'esprit et l'intention du processus des traités conçu en Colombie-Britannique en appuyant ce renouvellement de l'engagement à l'occasion du 20e anniversaire du processus des traités en Colombie-Britannique, anniversaire qui aura lieu en septembre 2012.
Monsieur le président, ainsi se termine mon exposé.
Le président : Merci.
Dans votre présentation, vous avez parlé des chevauchements des revendications territoriales et de la question de la compétence. Pourtant, dans le cas du traité Yale, nous recevons d'innombrables documents concernant ce traité en particulier. Dans le cas des traités avec les Premières nations Maa-nulthes et de Tsawwassen, les questions n'étaient pas les mêmes.
Mme Pierre : Mais si.
Le président : Peut-être, mais pas avec la même envergure que dans le cas des nations Yale et Sto :lo. Pour accélérer les choses dans de telles situations, il faut envisager des solutions acceptables pour toutes les parties concernées. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. Le litige portait ici sur les zones de pêche dans le fleuve Fraser. Pour les Premières nations de la côte Ouest, la pêche a autant d'importance que le pétrole en Alberta ou l'élevage au Texas. Vous le savez mieux que moi.
Compte tenu de tout cela, pouvez-vous nous dire comment nous pourrions régler un tel litige de manière prompte et efficiente?
Mme Pierre : Certainement. Je vais répondre en premier et je vais ensuite demander à mon collègue M. Haggard de vous donner aussi son point de vue. Il a participé directement dans le cas du traité avec les Premières nations Maa- nulthes. Je vais lui laisser le soin de vous expliquer, parce que la situation était là aussi explosive.
Le président : Je sais qu'un des chefs s'appelait Dennis. Allez-y.
Mme Pierre : Dans le cas du litige entre les Premières nations Yale et Sto :lo, ces secteurs de pêche avaient déjà été perturbés, depuis 130 ans, par la création de la réserve indienne Yale. Ces secteurs de pêche historiques étaient fréquentés depuis des milliers d'années. Ils se trouvaient juste au milieu de la réserve indienne. Le processus des traités est ouvert aux bandes indiennes ou aux groupes de bandes indiennes qui forment une nation. Quand les nations Yale et Sto :lo ont entamé le processus des traités, elles s'étaient déjà penchées sur cette question entraînée par la création de la réserve indienne. Au fil des années, elles ont été en mesure de définir l'accès à ces zones de pêche sur la réserve indienne.
Il incombe donc aux Premières nations Yale et Sto :lo de continuer à négocier pour trouver un moyen de laisser ces zones de pêche accessibles à toutes les personnes qui en avaient traditionnellement l'usage. Nous encourageons toutes les Premières nations à agir dans ce sens, c'est-à-dire à résoudre elles-mêmes leurs différends. Dans ce cas particulier, le litige a été causé par le processus des traités, au moment où la réserve indienne a été créée. Les Premières nations doivent régler ces différends et trouver un moyen d'utiliser ces ressources collectivement comme elles l'ont toujours fait pendant des milliers d'années, avant la création de la réserve indienne.
Dave Haggard, commissaire, Commission des traités de la Colombie-Britannique : Il restait environ six semaines aux Premières nations Maa-nulthes et Tseshaht avant la célébration de la mise en œuvre du traité avec les Maa-nulth, lorsque nous avons pris contact avec les deux nations afin de leur proposer de les aider à trouver une solution au problème. Les deux groupes occupent pratiquement le même territoire dans l'inlet Alberni et l'archipel Broken Group.
Nous avons entamé les discussions et le processus a duré six semaines. C'est probablement la médiation la plus rapide de cette nature avec des Premières nations. Elles ont signé un accord avec les cinq nations dans le traité avec les Premières nations Maa-nulthes et avec la Première nation Tseshaht. Les célébrations sont allées de l'avant sans protestation ni contestation devant les tribunaux.
Malheureusement, dans le cas des nations Yale et Sto:lo, la dynamique change sans cesse. Nous étions arrivés au point où la nation Yale acceptait de se mettre à table afin de trouver une solution. Cette semaine, nous avons reçu un coup de téléphone de la part d'un groupe de la nation Sto :lo qui accepte de chercher une solution. Nous avons travaillé pendant plusieurs mois pour tenter de convaincre l'autre groupe et nous devrions nous asseoir à la table afin de trouver un règlement négocié. Vous avez raison de dire qu'il s'agit d'un litige qui concerne le poisson. C'est aussi une question d'accès au fleuve. Les liens familiaux entre toutes ces nations jouent également un rôle important, étant donné que les Sto :lo pêchent dans certains secteurs des anciennes réserves et ont même construit des cabanes et pêché dans les réserves des Yale qui ont fait l'objet d'un règlement territorial par traité. Il existe une solution qui porte sur l'accès au fleuve.
Je crois que l'on ne pourra atteindre cette solution qu'une fois que le traité sera entre le stade de la ratification et de la mise en œuvre. À l'heure actuelle, la nation Sto :lo déploie tous ses efforts de lobbyisme auprès du gouvernement fédéral pour bloquer l'adoption finale par le gouvernement. Je pense qu'elle joue ses dernières cartes, si l'on veut, en vue de modifier la situation et de changer le traité lui-même, ce qui ne nous aide pas à trouver la solution.
Il faut que les parties au litige comprennent que la seule issue est de négocier ce que devrait être l'accès au fleuve. Selon nous, c'est la solution. Nous pensons que cela peut être fait entre le moment de la ratification et celui de la mise en œuvre, parce que les parties savent qu'elles ne pourront pas avoir gain de cause au tribunal.
Le sénateur Campbell : J'ai toujours pensé que lorsqu'on s'engage dans le processus des traités, il faut pouvoir compter sur une communauté de perception au niveau des terres, des ressources, de la langue, et cetera. Je sais que M. Haggard est un as de la négociation.
J'aimerais vous poser quelques questions. Tout d'abord, dans le cas des traités existants, n'est-il pas possible de faire venir une Première nation à la table et dire : « Voici ce que nous demandons. Quelles sont vos propres revendications? » Il faut passer en revue tous les points sur lesquels on est d'accord, répertorier les questions ouvrant la voie à un nouvel accord et, avant d'y revenir, négocier les autres points. Vous avez obtenu des succès spectaculaires et nous avons appris au passage certains détails qui activeront le processus. Est-il possible de se servir d'exemples existants pour accélérer le processus?
Mme Pierre : Oui, je peux dire d'emblée qu'il existe des exemples. On peut tirer des leçons des accords avec les Tsawwassen et les nations Maa-nulthes. Je suis d'accord pour dire qu'au début des négociations, chacun expose ses intérêts et l'on s'efforce par la suite de respecter jusqu'à un certain point les intérêts de tous. Certains seront moins satisfaits que d'autres des résultats obtenus. Nous encourageons ce type de négociation plutôt que l'attitude des négociateurs en chef du gouvernement fédéral qui s'assoient à la table et exposent leur position plutôt que leurs intérêts. Lorsqu'une des parties présente sa position, il est naturel pour les autres parties d'en faire de même. Cette façon de faire ne mène à rien.
Dans la situation idéale où l'on peut exposer ses intérêts, il s'avère que la pêche figure dans cette liste d'intérêts. Je peux vous dire que c'est un aspect très important. En Colombie-Britannique, c'est l'enjeu majeur pour probablement 80 p. 100 des Premières nations et certainement pour celles qui s'assoient pour négocier des traités. Or, depuis sept ans maintenant, le gouvernement fédéral n'a donné aucun mandat pour négocier dans le domaine des pêches. C'est inacceptable.
Il y a très longtemps, il y a eu le rapport Pearse. Quand j'ai commencé, nous étions en plein milieu du processus appelé examen des pêches de la côte Ouest. Je me pose de sérieuses questions à ce sujet et je vais en parler au ministère des Pêches dont nous allons rencontrer les représentants cette semaine. On nous dit que tout reviendra à la normale lorsque la commission Cohen aura terminé ses travaux. Nous ne partageons pas tout à fait ce point de vue, parce que lorsque la commission Cohen aura présenté son rapport, il faudra encore deux ans pour décider quelles recommandations appliquer. Et que fait-on de l'examen des pêches de la côte Ouest? Qu'est-il arrivé à ces recommandations? Devons-nous les ressortir et nous pencher à nouveau sur cet examen? Les examens se succèdent aux revues et nous n'avons jamais eu de mandat en ce qui a trait à la pêche.
Il est difficile pour nous de déterminer quels sont nos intérêts dans le domaine de la pêche et ensuite de négocier un chapitre sur la pêche avec les nations Tsawwassen, Maa-nulthes et Yale. Ces nations sont toutes exemptées. Elles peuvent toutes poursuivre leurs activités de pêche même si ces examens sont en cours. Nous avions demandé que d'autres Premières nations soient également exemptées : les nations Sliammon, Yekooche, In-SHUCK-ch. Nous attendons maintenant la ratification de l'entente avec la nation Sliammon. Il n'a pas été question de la pêche. Cette question était sur la table pour les négociations avec la nation Yekooche.
En ce moment, je ne sais pas exactement ce que nous avons. En janvier, lorsque Chuck Strahl était encore ministre, le gouvernement fédéral a parlé de dispositions « sur mesure », mais on ne nous a jamais donné de précision à ce sujet. Ce serait utile d'avoir un texte. Ce serait une façon de protéger les intérêts.
Le sénateur Campbell : À mon avis, chaque fois que le gouvernement utilise le terme « examen », c'est tout simplement pour temporiser.
Mme Pierre : Merci.
Le sénateur Campbell : Selon moi, il n'y a aucune raison de suspendre les négociations en cours pour se livrer à un examen. Comme vous l'avez dit, c'est toujours le poisson qui est partout le plus important. J'habite dans la Première nation Penelakut. J'aimerais dire à mes collègues du comité que le poisson est vraiment très important. L'an dernier, nous avons eu énormément de saumons rouges. Les Penelakut font partie d'un groupe plus grand visé par un traité, mais ils affirment que leur territoire se situe dans le secteur des Southern Gulf Islands, le long de la côte Est de l'île de Vancouver et ils estiment qu'il remonte jusqu'à Yale, soit dans le cours du fleuve Fraser. Ils y sont allés pêcher, mais les Musqueam les ont repoussés, sous prétexte que ce n'était pas leur territoire traditionnel. Chacun défend son territoire.
Cela étant dit, quand on instaure un examen, cela revient à jeter une clé à molette dans le processus. Tout se bloque instantanément.
Qu'en pensent le ministère des Affaires indiennes et le ministère des Pêches? Est-ce qu'ils ont conscience de cela et est-ce qu'ils essaient de faire quelque chose pour aider, ou est-ce qu'ils restent campés sur leur quant-à-soi? À mon avis, le ministère des Pêches n'a absolument aucune idée de la direction que prend le saumon une fois qu'il a quitté le fleuve Fraser. Absolument aucune idée. Nous n'avons pas les moyens de le comprendre. Chaque fois que nous y réfléchissons, la question devient de plus en plus confuse. J'aimerais savoir ce que AINC et le ministère des Pêches font de tout cela.
Mme Pierre : Nous n'avons pas l'impression qu'il y a une véritable collaboration dans ce domaine. D'après ce que nous croyons savoir, le ministère des Pêches a un comportement plutôt territorial lorsqu'il effectue de tels examens. Il ordonne à ses fonctionnaires d'examiner les pêches, comme ce fut le cas pour l'examen des pêches de la côte Ouest. Lorsque je suis entrée en fonction, ils étaient en plein examen. Et maintenant, bien entendu, il y a la Commission Cohen. Il ne semble pas possible de trouver un moyen de faire collaborer les divers ministères.
Mais cela ne se limite pas au ministère des Pêches et à celui des Affaires indiennes. Dans notre rapport annuel, dont vous avez reçu un exemplaire, nous recommandons notamment d'amener les divers ministères à trouver un moyen de collaborer afin d'exercer une influence sur le processus des traités. Une fois que l'on obtient une entente à la table de négociation sur un chapitre ou qu'on conclut une entente de principe, il faut que le document soit soumis à de nombreux ministères différents — Justice, Pêches, Affaires indiennes et Conseil du Trésor. L'entente doit faire le tour de tous ces ministères.
Le sénateur Campbell : Ma question est la suivante : Pour commencer, pourquoi tous ces gens ne font-ils pas partie du groupe de travail? Il y a des gens dans une pièce et une partie d'entre eux ont un intérêt dans la question. C'est le cas notamment des organismes gouvernementaux. Ces organismes devraient s'asseoir à la table et indiquer si tel ou tel aspect leur convient ou leur pose problème. Il faudrait que tout cela soit réglé rapidement. Ils ont du personnel en pagaille. Je ne comprends pas cela.
Mme Pierre : Nous n'avons pas l'impression que cela se passe de cette manière et pourtant, c'est ainsi que l'on devrait procéder. Nous sommes tout à fait d'accord avec vous. Si une commission des traités comme la nôtre pouvait compter sur une telle collaboration dans l'examen de nos dossiers, nous savons que nous pourrions boucler 16 traités au cours des trois à cinq prochaines années. Cependant, avant d'y parvenir, il y a un vrai travail à faire. Il faut se poser les questions suivantes : Est-ce que nous voulons ou non signer des traités? Est-ce que nous souhaitons disposer de cette mesure de stimulation économique que peuvent nous offrir les traités?
Le sénateur Patterson : Votre exposé m'a paru excellent et clair, de même que vos recommandations. J'aimerais que nous puissions trouver un remède à la lenteur bureaucratique des Affaires indiennes. C'est une situation que nous ne connaissons que trop bien et qu'il faut dévoiler au grand jour.
Je suis convaincu que le passage du programme social au programme économique serait excellent pour le Canada. Une telle démarche convient à notre gouvernement, convient aux chefs éclairés des Premières nations et me plaît beaucoup personnellement.
Je vais poser une question qui pourra vous paraître simpliste, mais j'ai été très intéressé par ce que vous avez dit au sujet des négociateurs fédéraux qui adoptent une approche consistant à présenter des positions et qui ne sont pas transparents quant au mandat qu'ils ont reçu pour négocier les dimensions territoriales et pécuniaires. Il existe une autre approche de la négociation, celle de l'école Harvard. Cette approche met de l'avant la négociation fondée sur les intérêts. Est-il besoin de rappeler aux fonctionnaires des Affaires autochtones, en commençant par le sommet de la hiérarchie, que l'approche fondée sur les intérêts donne de bons résultats alors que l'approche conflictuelle est démodée, inefficace et inadaptée? La négociation fondée sur les intérêts des parties existe. Est-il besoin de le rappeler au gouvernement fédéral?
Mme Pierre : J'espère que non. Lorsque nous avons accepté ce processus, il y a 19 ans, nous avions cette optique. En Colombie-Britannique, nous avions tous intérêt à éviter les poursuites judiciaires. C'est dans notre intérêt et nous avons défini une façon de le faire. Nous négocions un traité. Bien entendu, les tribunaux nous ont toujours dit de retourner à la table de négociation plutôt que d'entamer des poursuites. Nous avons tous un intérêt particulier. Au fil des années, le style de négociation a consisté à déterminer les intérêts des parties et à définir la zone de confort de chacun. Ce n'était peut-être pas parfait en tous points, mais personne n'a été laissé pour compte. Malheureusement, ce style ne semble plus exister. Est-il nécessaire de donner aux négociateurs fédéraux des instructions directes sur les négociations fondées sur les intérêts? Ce pourrait très bien être nécessaire.
Le sénateur Patterson : Je vais leur donner à tous un exemplaire de Comment réussir une négociation. Je ne jure que par ce livre. C'est ma bible.
Le renforcement des capacités est un enjeu énorme partout au Canada, notamment au Nunavut, où je travaille. Vous nous avez dit que vous avez tiré des leçons de l'exemple de la Première nation de Tsawwassen et d'autres. Pouvez- vous me dire comment cela s'est passé, quelles leçons vous en avez tirées et quelles stratégies ont été utilisées? Je pense que vous avez dit vous-même que vous en avez tiré des leçons utiles.
Mme Pierre : Oui. Ces exemples ont été positifs dans le sens qu'ils nous ont permis d'aider d'autres Premières nations à se préparer à des négociations de traités. Par contre, le processus n'a pas été facile pour la Première nation de Tsawwassen. Lorsqu'on travaille à partir de l'entente de principe et que l'on commence à préciser les choses, les secteurs qui relèveront de la responsabilité gouvernementale de la Première nation commencent à se définir. C'est à ce moment qu'il faut commencer à planifier les capacités en ressources humaines pour pouvoir répondre aux responsabilités qui seront dévolues à la Première nation après la conclusion du traité. Le jour de l'entrée en vigueur, on dispose ainsi d'une fonction publique capable de veiller à la mise en œuvre du traité.
Nous avons été en mesure d'en parler abondamment. Nous avons invité la chef Kim Baird à assister à quelques-unes des grandes conférences et aux ateliers que nous avons organisés. Elle partage volontiers son expérience et n'hésite pas à parler des difficultés qu'ils ont dû surmonter. La chef Kim Baird nous dit que ce n'est pas facile, mais que l'on ne peut pas échapper à ce travail. Personne d'autre ne peut faire ce travail à la place de la Première nation qui devra mettre en œuvre le traité.
Forts de ce message et de l'expérience de M. Haggard avec les Premières nations Maa-nulthes, nous avons été en mesure de commencer à appuyer les Premières nations aux premières étapes visant à déterminer les besoins, les objectifs recherchés dans le cadre du traité, les effectifs nécessaires pour appliquer le traité, les effectifs dont on dispose actuellement, les personnes que l'on peut commencer à former pour occuper de tels postes et quels sont les autres postes qu'il faudra créer.
Nous avons cet outil que les Affaires autochtones nous ont aidés à mettre au point. Et aujourd'hui, nous nous tournons vers les gouvernements fédéral et provincial pour nous fournir les ressources financières qui nous permettront de diffuser cet outil dans les collectivités qui pourront le mettre en application. Cet outil a suscité un énorme intérêt. Il est maintenant au point, mais alors qu'il était encore en préparation, nous avions fait un atelier avec les trois Premières nations qui sont au stade de l'accord définitif : les nations Yale, In-SHUCK-ch et Sliammon. Ensemble, nous avions constaté que cet outil était utile. Maintenant, nous recevons beaucoup de demandes de la part d'autres Premières nations.
C'est le premier degré de l'autoévaluation, mais nous nous assurons que par la suite, les Premières nations savent où se diriger pour obtenir la formation dont elles ont besoin. En Colombie-Britannique, nous disposons d'un nouveau et excellent programme, le First Nations Public Service, que dirige Christa Williams. Elle déploie une énergie extraordinaire pour le renforcement des capacités dans les Premières nations. Après l'évaluation préliminaire, les Premières nations peuvent collaborer avec le First Nations Public Service pour combler les lacunes qui ont été décelées.
Le sénateur Brazeau : Bonjour et merci d'être venus. Je constate que vous nous apportez beaucoup de nouvelles encourageantes d'une province où aucun traité historique n'avait été signé. Je prends la mesure des défis que vous devez surmonter en Colombie-Britannique. Vous avez été beaucoup plus progressistes que nous ne l'avons été au Québec, hélas.
Vous avez dit trois choses qui m'ont frappé. Tout d'abord, vous avez parlé de réaliser tous les avantages et de tirer parti de toutes les possibilités offertes aux Premières nations par la participation au processus de négociation aboutissant à un traité. Deuxièmement, vous avez parlé de la responsabilité des Premières nations de régler certaines questions internes dès le départ lorsqu'elles se lancent dans un processus de traité et des négociations. Troisièmement, vous avez parlé également d'un programme économique. J'ai retenu ces trois aspects que, bien entendu, j'appuie complètement.
Cependant, je dois être direct et vous poser une question. Lorsqu'on écoute des politiciens parler, on devine parfois leurs intentions, quel que soit leur parti politique. J'ai traité avec des ministres des Affaires autochtones tant libéraux que conservateurs. Souvent leurs paroles sont positives et reflètent leur intention d'aller de l'avant. Cependant, lorsque l'on traite avec les négociateurs d'AADNC ou avec le ministère en général, la volonté n'est pas la même, ou les fonctionnaires ne sont pas au même diapason que le ministre dont ils relèvent pour le moment.
Êtes-vous prête à dire qu'un des problèmes tient au manque de volonté politique de bien faire les choses et de manière équitable? Pensez-vous qu'il s'agit tout simplement de la culture traditionnelle d'AADNC ou peut-être d'une combinaison des deux?
Mme Pierre : C'est probablement une combinaison des deux. On connaît bien en particulier l'histoire et la culture des Affaires autochtones qui ont toujours préféré trouver des réponses aux problèmes sociaux des Premières nations plutôt que de leur proposer un partenariat consistant à les aider à mettre en place une base économique qui aurait permis aux Premières nations de trouver elles-mêmes une solution à leurs problèmes sociaux.
Je ne sais même plus quel est le budget des Affaires autochtones, mais je sais qu'il est énorme et que 99 p. 100 est consacré au domaine social. Je crois savoir que le maigre budget qui est consacré au développement économique sera à nouveau réduit. Nous continuons à nous enfoncer de plus en plus et il faut que cela cesse. Nous devons remonter la pente grâce à des mesures de stimulation économique.
Quant au manque d'harmonisation entre les discours des ministres et les actions du ministère, je vous ai donné, il y a quelques minutes, l'exemple du ministre Strahl qui a rencontré, en janvier 2010, les principales parties intéressées — la province et les Premières nations. Nous présidons ces réunions et nous dirigeons le processus. Nous avons tous entendu le ministre annoncer des dispositions sur mesure pour les pêches, secteur important des négociations en Colombie- Britannique. Cependant, nous attendons toujours de voir la mise en application de ces dispositions. Nous avons tous applaudi le ministre Strahl. Nous étions enthousiastes et c'était la bonne chose à faire. En revanche, je ne sais pas pourquoi il faut tant de temps pour passer de la parole aux actes.
Nous savons qu'il existe un langage de la reconnaissance, mais, là encore, il souffre d'un manque de transparence. Puisque ce langage existe, il serait utile qu'il soit utilisé à toutes les tables de négociation. Il est utilisé dans le cadre des négociations basées sur les positions et présenté seulement à une table de négociation. D'autres en ont connaissance, grâce à des fuites. Il serait nettement préférable que cette langue de la reconnaissance soit introduite à la table et présente dans toutes les négociations en général.
Le sénateur Brazeau : Pensez-vous qu'AADNC soit le bon ministère ou que ses représentants devraient être chargés de négocier pour le compte du gouvernement du Canada? Si vous répondez par la négative, par quoi le remplacer pour que l'entité chargée de la négociation soit peut-être plus indépendante — tout cela, bien entendu, dans un avenir hypothétique — afin de créer une plus grande vague de soutien parmi les Premières nations à l'égard d'un processus qui viendrait remplacer le processus actuel d'AADNC?
Mme Pierre : Je vais vous répondre rapidement, étant donné que mon collègue veut lui aussi dire un mot à ce sujet. J'ai vraiment de la difficulté à adhérer à la culture actuelle des Affaires autochtones, pour les raisons que j'ai évoquées un peu plus tôt. Je pense que cette culture est trop paternaliste. Le problème, c'est qu'ils nous tiennent par la main, même par les deux mains, si bien que l'on ne peut plus rien faire. Ils devraient au moins nous lâcher une main.
M. Haggard : Je me souviens des négociations de l'accord de libre-échange avec les États-Unis. Ma position par rapport au libre-échange lui-même n'a pas d'importance. Ces négociations se sont déroulées de manière très différente. Un organisme avait été mis sur pied pour diriger les négociations et il a bien fait son travail, puisque l'accord a été signé. La situation n'est pas différente de celle que nous avons aujourd'hui avec AADNC.
Je vais vous donner rapidement un exemple. Le gouvernement fédéral a présenté une position à la table de négociation et le caucus des Premières nations, après avoir examiné cette position, a accepté toutes les demandes. Le négociateur en chef du gouvernement fédéral nous a dit alors : « C'est très bien. Maintenant je vais transmettre ce document à mon administration. » Que se passe-t-il ensuite? Il se passe huit mois avant que nous obtenions une réponse sur cette question. Or, c'était leur propre texte, la demande qu'ils avaient formulée à la table de négociation et qu'ils voulaient faire adopter à ce moment-là. Maintenant, tout cela s'est perdu une fois de plus dans les méandres d'AADNC. Voilà le genre de problème que nous avons aux tables de négociation auxquelles sont conviées les Premières nations. On ne peut même pas capituler de manière honorable pour progresser dans les négociations. On ne cesse de tourner en rond.
Honnêtement, je n'en ai jamais parlé aux Premières nations; nous n'en avons parlé qu'entre nous. Je pense que la mise en place d'un organisme qui aurait pour mandat de négocier serait beaucoup plus utile pour le gouvernement fédéral que la structure que nous avons actuellement.
Le sénateur Brazeau : Un dernier commentaire à propos de votre analogie des deux mains liées par AADNC. Comme on dit, on sert la main droite et on frappe avec la gauche.
Mme Pierre : Je suppose que c'est la raison pour laquelle ils ne veulent pas nous lâcher les mains.
Le président : Peut-être qu'ils ne sont pas si méchants que ça — plutôt mal avisés.
Le sénateur Meredith : Je remercie les témoins et je les prie de m'excuser pour mon retard.
Madame Pierre, j'ai écouté vos commentaires et j'ai senti votre sentiment de découragement face à votre incapacité à faire signer et à concrétiser les accords. Vous avez dit que les négociateurs du gouvernement présentent toujours des positions fermes.
Qu'avez-vous fait réellement pour faire comprendre à ces négociateurs que nous devons respecter l'ensemble des intérêts de ces collectivités qui sont fragilisées sur le plan économique, en faisant valoir que les collectivités économiquement fortes ont une meilleure qualité de vie? Bon nombre des problèmes sociaux que connaissent de nombreuses collectivités ou personnes autochtones seraient amoindris s'elles disposaient d'un grand pouvoir économique.
Je vous prie d'excuser ma voix. Ce matin, je ne parle pas de manière normale. Pourtant, je ne suis pas Barry White. Mais, rien ne nous arrête. Monsieur le président, je devrais faire de la radio.
Quelles sont les positions sur lesquelles vous avez insisté pour que vos interlocuteurs comprennent votre point de vue? Il a fallu huit mois pour examiner une position présentée par AADNC. Je peux comprendre votre impatience et votre immense déception. J'aimerais que les négociateurs s'assoient à la table dans l'idée de permettre à ces collectivités de devenir viables et productives, plutôt que de les bétonner constamment, comme le disait le sénateur Campbell. Je crois qu'il est temps pour notre pays d'aller de l'avant et d'accorder aux Autochtones leur juste part, afin qu'ils soient traités de manière équitable, comme tous les Canadiens.
Je trouve inacceptable que vous soyez soumis à un tel traitement, en tant que négociateurs. Parlez-moi de ce que vous avez fait. Comment notre comité peut-il contribuer à faire avancer les choses, pour l'avantage mutuel de ces collectivités?
Mme Pierre : Je vais vous répondre brièvement et je laisserai ensuite la parole à ma collègue la commissaire Haldane.
Les membres de la commission sont considérés comme les gardiens du processus. Une partie de notre mandat consiste à faciliter le processus. Bien entendu, il y a de nombreuses façons différentes d'interpréter ce terme. Selon nous, notre rôle consiste à appuyer le processus, à sonder et à pousser, si nécessaire. Mes collègues assistent aux négociations en qualité de témoins. Ils ne prennent pas part aux négociations. Ils sont simplement témoins et aident les parties à progresser dans leurs négociations. C'est notre rôle et je pense que nous le faisons très bien.
Il y a des cas où, avec l'accord des différentes parties, ils se sont réunis sous la présidence de la commission autour d'une table commune. Je vais demander à Mme Haldane de vous en parler.
Celeste Haldane, commissaire, Commission des traités de la Colombie-Britannique : La table commune est un processus établi en Colombie-Britannique qui réunit 60 tables de négociation ou 60 Premières nations pour tenter de résoudre en commun certaines questions, lorsqu'elles faisaient face à des positions fixes, des propositions à prendre ou à laisser, un langage de certitude, de reconnaissance. Il y avait une question qui portait sur la fiscalité et les revenus autonomes. La pêche était une autre question commune sur laquelle devaient se pencher les tables de négociation et les négociateurs en chef.
Ce processus a permis aux Premières nations de dialoguer avec la province et le gouvernement fédéral afin de surmonter certains obstacles et d'exposer intégralement les questions pratiques, mais également de trouver des solutions à ces questions avec lesquelles nous nous débattons actuellement, nous autres les commissaires. Je n'étais pas commissaire à cette table commune — le débat était dirigé par la Commission des traités de la Colombie-Britannique Ce fut la tentative principale.
La Commission des traités de la Colombie-Britannique avait été chargée de faire un rapport qui a été présenté à l'administration fédérale. Malheureusement, le gouvernement fédéral a tardé à répondre, ce qui a eu pour effet de retarder l'ensemble du processus. Cependant, plusieurs tentatives ont eu lieu. Je crois que cette démarche s'appuyait sur des travaux qui avaient commencé en 2001. La table commune a donné un grand élan aux Premières nations qui étaient ainsi mieux équipées pour réagir aux positions fixes et aux tactiques de négociation présentées à la table.
La Commission des traités de la Colombie-Britannique a beaucoup contribué à faciliter le dialogue et à trouver des solutions pratiques à ces enjeux tout à fait réels, mais là encore, le processus a été retardé. J'espère avoir bien résumé cette démarche.
Le président : À la table commune, avez-vous abordé les chevauchements en vue de déterminer les compétences territoriales et de définir ce qui appartient à chaque nation?
Mme Pierre : Non, cet aspect n'a pas été abordé à la table commune.
Le président : Pourquoi?
Mme Haldane : C'était une question importante qui devait être réglée de nation à nation. Par contre, on s'était penché sur la cogestion et son fonctionnement. Cela fait partie du travail entrepris par M. Haggard et la commission s'est penchée sur la façon dont deux nations pourraient résoudre un tel différend. Cependant, il n'en a pas été réellement question à la table commune.
Mme Pierre : Je pense que la table commune avait pour but d'examiner les intérêts des trois parties, alors que les questions de chevauchements territoriaux relèvent principalement des Premières nations elles-mêmes.
Le sénateur Meredith : Une fois que les traités sont signés et que les montants des avantages économiques ont été établis, à combien s'élèvent ces montants?
Les mesures de stimulation économique que nous mettons en œuvre dans le pays visent les collectivités et les entreprises. Quels sont les montants qui sont consacrés à de telles mesures, une fois que l'on s'est dit : « Allons-y; il ne faut pas manquer le bateau »?
Mme Pierre : Le chiffre de départ était d'environ 10 milliards de dollars en mesures de stimulation économique. Il a été fixé par Price Waterhouse. Nous avons demandé une mise à jour. Au fil des années, Price Waterhouse a fait des mises à jour des avantages économiques découlant des traités en Colombie-Britannique. Les premiers montants avaient été établis en 1993-1994, lorsque le processus a commencé. Nous avons demandé à Price Waterhouse de faire la mise à jour de ce rapport en 2009. C'est le montant qui avait été défini.
Le sénateur Raine : Merci beaucoup, madame la commissaire, d'être venue témoigner. Je comprends qu'il soit très important de renouveler l'engagement à l'égard du processus. J'admire votre ténacité. Continuez à faire bouger le mastodonte.
J'aimerais vous demander de nous parler de vos rapports avec la Colombie-Britannique au moment des négociations de traités. Il est clair que vous avez des difficultés avec la partie fédérale, mais comment cela se passe avec la partie provinciale? Pouvez-vous nous dire également s'il existe un négociateur en chef pour le gouvernement fédéral? J'ai l'impression qu'il n'y en a pas. Quelqu'un est-il investi du pouvoir de négocier? Je pense que c'est la cause de bon nombre des difficultés.
Mme Pierre : Je vais d'abord répondre à cette deuxième question. À chaque table, il y a un négociateur en chef qui représente la partie fédérale. Ensuite, il y a un négociateur en chef pour la province et un négociateur en chef pour la Première nation. Les négociateurs en chef de la province et du gouvernement fédéral participent à plus d'une table de négociation. Quelqu'un sait-il combien nous avons de négociateurs en chef représentant le Canada actuellement en Colombie-Britannique? Il en a trois ou quatre. Ils participent à plusieurs tables de négociation.
À ma connaissance, aucun de ces trois ou quatre négociateurs n'est une sorte de super négociateur en chef. Les autres commissaires vous le confirmeront. Nous l'ignorons. Je ne pense pas qu'une telle personne existe, mais peut-être que je fais erreur.
Pour répondre à l'autre question, nous encourageons les ententes bilatérales qui sont conclues en Colombie- Britannique. Elles sont extraordinaires. C'est une façon pour les Premières nations d'obtenir des avantages économiques réels. Dans la plupart des cas, la Colombie-Britannique propose des terres, alors que le gouvernement fédéral propose des compensations financières. Ce que nous disons, c'est qu'il faut parvenir plus rapidement à de telles ententes.
La Colombie-Britannique conclut actuellement de telles ententes bilatérales qui portent des noms variés. Il y a les ITA, « interim treaty agreements », ou ententes provisoires de traité. Il y a aussi les SEA, « strategic engagement agreements » ou ententes d'engagement stratégique. Je ne sais pas exactement quelle est la différence entre toutes ces ententes, mais elles sont toutes bilatérales. Leur objectif est d'aider la Première nation à disposer d'un embryon d'activités économiques avant la signature définitive du traité, conformément à l'intention du rapport du groupe de travail. Lorsque nous avons entamé ce processus des traités, l'intention était de commencer à négocier sur-le-champ. Cela ne voulait pas dire qu'il faudrait attendre que le traité soit signé avant que les Premières nations puissent commencer à percevoir leurs avantages. Il faut que les Premières nations puissent continuer à obtenir des avantages à mesure que se déroule le processus. C'est ce qui se passe en Colombie-Britannique. Ce qui nous inquiète, c'est que l'on place de plus en plus l'accent sur ces ententes bilatérales. Cela a pour conséquence de ralentir le processus des traités, étant donné que l'on met plus d'énergie dans la conclusion de ces ententes bilatérales.
Cependant, la Colombie-Britannique affirme très clairement qu'elle procède la sorte parce qu'elle constate que le processus des traités n'aboutit à rien. Selon nous, les ententes bilatérales sont bonnes pour les Premières nations, mais pas nécessairement pour le processus des traités.
Le sénateur Raine : Permettez-moi de lire les notes que j'ai sous les yeux. En septembre 1992, l'Accord tripartite sur la Commission des traités de la Colombie-Britannique a créé la Commission des traités en tant qu'organisme indépendant chargé d'encadrer et de faciliter la négociation des traités entre la Couronne et les Premières nations. Par la suite, cet accord a fait l'objet d'une loi fédérale et provinciale et a été entériné par une résolution du Sommet des Premières nations. Cette commission des traités devrait avoir le pouvoir d'aller de l'avant et il est très décevant de constater que vous ne pouvez pas progresser assez rapidement.
J'ai noté que Jerry Lampert est le commissaire nommé par le gouvernement fédéral pour un mandat de deux ans. Pensez-vous que le mandat de deux ans soit une partie du problème ou le mandat du commissaire a-t-il été renouvelé plusieurs fois?
Mme Pierre : Son mandat a été renouvelé une fois. Il entame son deuxième mandat. Nous espérons que son mandat sera encore renouvelé.
En passant, je vous prie de m'excuser. J'avais oublié de vous signaler l'absence du commissaire Lampert. Il vous demande de l'excuser de ne pouvoir être présent avec nous ce matin. Il a été retenu à Toronto pour des raisons familiales. Il sera ici ce soir, mais il ne pouvait pas être avec nous ce matin.
Oui, il effectue son deuxième mandat, comme le commissaire Haggard. Ce sont des mandats de deux ans. Je ne sais pas si cela a véritablement posé problème à la commission. Depuis que je suis en poste, cela n'a posé aucun problème, car il n'y a eu aucun changement autre que l'élection de la commissaire Haldane. Au sommet, les membres sont élus. Les autres sont nommés. Mme Haldane a été élue au printemps dernier.
Le sénateur Raine : Je regarde le profil de M. Lampert. Je le connais et je sais qu'il est très respecté en Colombie- Britannique. Je me demande s'il a l'habitude de traiter avec l'administration d'Ottawa et s'il en connaît les rouages. Ce sont peut-être des connaissances qui vous seraient utiles.
Le président : Il connaît Ottawa. Il a vécu ici. Il est né et a grandi ici. Il sait bien comment cela fonctionne ici.
Mme Pierre : Par ailleurs, j'ai constaté que le commissaire Lampert a été très précieux pour l'ensemble du processus et en particulier du fait que l'on met l'accent sur le redressement économique des collectivités des Premières nations, puisqu'il a des antécédents dans le milieu des affaires. C'est un langage qu'il comprend.
Le sénateur Raine : Je prends note que vous réclamez un renouvellement de l'engagement du gouvernement fédéral à l'égard du processus lui-même afin que l'on puisse l'accélérer. Tous mes vœux vous accompagnent.
Le sénateur Demers : Les négociations peuvent être terriblement décourageantes parfois. Vous avez présenté un excellent exposé, madame Pierre. Comme l'a dit le sénateur Patterson, nous avons compris exactement le but que vous poursuivez.
Il arrive parfois dans les négociations que l'on fasse face à l'entêtement d'une des parties. Il y a des conflits de personnalités. Je ne sais pas s'il y a une solution à de telles situations. Une partie pense qu'elle a raison et personne n'écoute personne. On a l'impression d'avoir les mains liées. En Amérique du Nord, pas seulement au Canada, on fait parfois appel à un médiateur neutre. Ce médiateur a pour mission de débloquer la situation lorsqu'il semble que plus on parle, plus les divergences de vues se confirment. A-t-on déjà envisagé de faire appel à quelqu'un, un homme ou une femme, qui pourrait intervenir afin de trouver une solution positive pour les deux parties? Aux termes d'une négociation, il peut arriver que quelqu'un dise : « Je me suis fait fourrer », si vous me passez l'expression. Une négociation, une entente ou un traité signé cela signifie que les deux parties s'entendent pour dire : « C'est bon pour vous et c'est bon pour nous aussi. ». Est-ce que l'on a déjà envisagé de faire appel à un médiateur? Ce serait peut-être une possibilité.
Mme Pierre : Dans un sens, le rôle de la commission est d'intervenir et d'offrir son aide. Par exemple, lorsque les Premières nations se penchent sur des questions territoriales, elles se trouvent dans des situations très délicates, parce que les négociations les touchent de très près, divisent les familles, et cetera. Dans de tels cas, il est utile de faire intervenir une tierce partie.
Nous exerçons continuellement des pressions sur les gouvernements fédéral et provincial afin qu'ils accordent des ressources aux Premières nations en ce sens.
Là encore, nous avons présenté une demande au gouvernement fédéral et une demande au gouvernement provincial, car nous disons carrément à la province que c'est elle qui en tirera véritablement les avantages. Il y a tellement d'activités économiques qui dépendent d'un climat de certitude territoriale, en particulier dans le secteur des mines ou du pétrole et du gaz. Il y a beaucoup d'activités qui sont tributaires d'un climat de certitude territoriale.
Nous estimons donc que le gouvernement de la Colombie-Britannique doit fournir aux Premières nations les ressources nécessaires pour qu'elles puissent faire appel à un médiateur, comme vous l'avez suggéré, quelqu'un qui soit totalement indépendant des parties et dont l'unique objectif soit de conclure un accord, une entente qui convienne à tous. Comme disait mon beau-père, le consensus consiste à mâcher quelque chose suffisamment jusqu'à ce que toutes les personnes concernées puissent l'avaler sans s'étouffer.
Le sénateur Campbell : Je prends le cas de la nation In-SHUCK-ch. La Première nation Douglas a décidé de se retirer des négociations. Pourquoi les négociations ne se poursuivent-elles pas sans leur présence?
Mme Pierre : Elles continueront.
Le sénateur Campbell : Les négociations pourront aboutir à un traité concernant toutes les nations participantes?
Mme Pierre : Oui.
Le sénateur Campbell : La nation Douglas pourrait dire : « Nous pouvons accepter cela », ou « Non, nous devons continuer à négocier. » Les négociations ne s'arrêtent pas nécessairement lorsqu'une nation décide...
Mme Pierre : Non, les négociations ne s'arrêtent pas. Mais, bien entendu, cela change l'allure des négociations, puisque désormais, avec le retrait d'une Première nation, le groupe est plus petit.
Là encore, la commission a été en mesure d'offrir son assistance, puisque si les dirigeants de la Première nation Douglas voulaient se retirer, certains membres de leur collectivité étaient d'avis contraire. Nous avons dû les aider à régler cette situation particulière.
Le sénateur Patterson : J'aimerais revenir au potentiel économique qui découle de la conclusion des traités et au chiffre de 10 milliards de dollars. Je fais peut-être une digression en vous posant cette question et je sais que votre rôle consiste à intervenir auprès des Premières nations régionales ou locales, mais le grand projet du pipeline Enbridge dans le Nord de la Colombie-Britannique a suscité beaucoup d'attention sur la scène nationale et semble poser problème. Avez-vous un rôle à jouer dans des projets de cette nature et est-ce que cela a une incidence sur le potentiel économique de la Colombie-Britannique?
Mme Pierre : Évidemment, ce projet a une incidence sur le potentiel économique. Officiellement, nous n'avons pas un rôle à jouer, mais nous avons notre opinion à ce sujet. Nous n'avons pas un rôle officiel. Notre rôle consiste strictement à assister les Premières nations qui ont choisi de négocier des traités afin qu'elles puissent mettre en œuvre leurs plans d'avenir. En Colombie-Britannique, beaucoup de Premières nations ont décidé de ne pas prendre part au processus des traités. D'autres Premières nations, découragées par la lenteur des progrès, ont abandonné les négociations. Tout cela continue à entretenir un climat d'incertitude qui est vraiment révélateur de la situation en Colombie-Britannique. Le projet Enbridge se traduira par la construction d'un pipeline qui traversera les territoires de nombreuses Premières nations et qui entraînera beaucoup d'incertitude.
Le sénateur Patterson : Ce n'est peut-être pas pertinent à votre mandat mais avez-vous pensé à d'autres façons de mieux aborder ou tout simplement d'aborder la situation?
Mme Pierre : Dans le cas des Premières nations qui participent au processus des traités, compte tenu de ce qui se passe en Colombie-Britannique — bien que ce ne soit pas approprié de prendre l'exemple de Premières nations qui ont l'avantage d'avoir un pipeline qui traverse leur territoire — ce serait très certainement utile pour elles de pouvoir bénéficier immédiatement de certains avantages.
Pour le reste du processus, je pense que des progrès réels, par exemple si la Première nation Yale, la Première nation Sliammon — puis la Première nation In-SHUCK-ch et la Première nation Yekooche et la Nation K'ómoks signaient des ententes de principe — s'il y avait quelques progrès et que les Premières nations avaient l'espoir d'avancer et d'obtenir des avantages économiques pour leurs collectivités, je pense que cela contribuerait à rétablir en partie la confiance. Pour le moment, il y a beaucoup de désenchantement. Les Premières nations ne veulent pas négocier avec toutes ces compagnies car elles pensent qu'elles se feront berner.
Le sénateur Meredith : Dans le discours du Trône de la Colombie-Britannique, présenté le 3 octobre 2011, on a pu noter une volonté d'aller de l'avant dans ces traités. Dans vos commentaires, vous avez indiqué que vous étiez contre les ententes bilatérales parce qu'elles détournaient l'attention des véritables traités.
Selon vous, les ententes bilatérales contribuent-elles à stimuler l'économie des collectivités qui en bénéficient, alors que vous tentez parallèlement de conclure un accord? Pensez-vous que ces ententes bilatérales sont favorables aux collectivités?
Mme Pierre : Oui, nous pensons que c'est bon pour les collectivités. Nous disons à la Colombie-Britannique : « Bravo, continuez ce que vous faites, mais assurez-vous que ces ententes puissent s'intégrer dans le processus des traités. » Voilà le message que nous envoyons à la Colombie-Britannique.
Le sénateur Raine : J'aimerais vous demander de revenir sur votre déception de ne pas obtenir de dispositions sur mesure en ce qui a trait à la pêche. Je sais que beaucoup de gens se demandent comment sera traitée la question de la pêche, compte tenu du déclin des stocks de poisson. Est-ce que l'on négocie une partie ou un volume absolu?
Mme Pierre : Voilà pourquoi les dispositions sur mesure sont si importantes. Ce que nous disons, c'est que nous allons poursuivre la négociation du traité, tandis que la question de la pêche fera l'objet de négociations continues avec le ministère des Pêches, une fois qu'il aura terminé ses études, je suppose. À un moment donné, on devrait avoir une entente. Vous avez raison de dire que les stocks de poisson diminuent. Nous le savons tous. Les Premières nations le savent. Cependant, les Premières nations s'inquiètent de l'accès à cette ressource qui est fondamentale pour les peuples autochtones.
Nous recommandons d'ajouter aux dispositions sur mesure une option de cogestion des pêches. Ce n'est pas tant demander, puisque le Canada vient de signer récemment une entente de cogestion sur la santé des Premières nations avec les Premières nations de la Colombie-Britannique. C'est une entente sans précédent. Nous avons la gestion concertée de la santé. Pourquoi ne pas avoir une cogestion de la pêche? En fait, M. Haggard peut vous parler d'une des collectivités qui exerce déjà avec succès une gestion concertée. Nous avons une cogestion de la pêche. Si l'on s'inquiète vraiment de la santé des Premières nations, il faut savoir que le poisson contribue à la santé des Premières nations. Sans poisson, pas de santé pour les Premières nations. Puisque nous exerçons déjà la gestion concertée de la santé, donnez- nous la cogestion des pêches.
M. Haggard : Le ministère des Pêches et Océans a entamé toutes sortes d'expériences, pourrait-on dire, et elles sont couronnées de succès. À Prince Rupert, une nation appelée Metlakatla exerce avec beaucoup de succès une gestion concertée avec Pêches et Océans. Les Premières nations sont beaucoup plus strictes pour elles-mêmes que dans d'autres secteurs de la côte de la Colombie-Britannique, parce que pour elles, c'est un projet à long terme. Le court terme ne fonctionne pas pour les Premières nations. Elles ont besoin de succès à long terme pour pouvoir maintenir les habitudes alimentaires qui font partie de leur mode de vie traditionnel. Elles sont beaucoup plus strictes dans la gestion des ressources que les autres personnes chargées actuellement de gérer les stocks de poisson et de fruits de mer. En effet, il ne s'agit pas seulement du poisson, il y a aussi les fruits de mer. Elles obtiennent beaucoup de succès et d'autres les imiteront. C'est un modèle que nous vous proposons d'appliquer dans toute la Colombie-Britannique. Je pense que cela doit se faire par palier pour assurer le succès de la démarche afin que les stocks de poisson cessent de diminuer mais au contraire augmentent, au bout du compte.
Le sénateur Raine : Ils sont là.
M. Haggard : Absolument.
Le président : Je tiens à vous remercier, madame la commissaire en chef, vous et vos commissaires.
Monsieur Phillips, avez-vous quelque chose à dire?
Robert Phillips, commissaire, Commission des traités de la Colombie-Britannique : Merci de me donner la parole. Je n'ai pas éprouvé le besoin de me manifester avant, étant donné que le sujet a été assez bien couvert. J'ai aimé les questions qui ont été posées, en particulier celles qui concernaient la situation socioéconomique de nos collectivités.
Nous proposons des idées. Nous avons parlé de la table commune. Nous pensons peut-être à organiser une table commune plus limitée réunissant les 16 tables de négociation sur 42 qui sont sur le point d'aboutir à un traité. Cela représente environ le tiers. Nous sommes très proches d'aboutir dans plusieurs de ces accords définitifs et ententes de principe.
À l'occasion de son départ, la vérificatrice générale a parlé avec éloquence de la bureaucratie, des bureaucrates et de toutes les structures en place qui constituent presque un obstacle à l'évolution normale des choses au Canada.
La commissaire en chef Sophie Pierre reprend le même discours au sujet des bureaucrates. Ce ne sont pas des négociateurs que nous avons à la table. Dans bien des cas, ce sont des bureaucrates. Et qu'est-ce que des bureaucrates ont naturellement tendance à faire? Ils essaient d'accumuler leurs 20 ou 30 années. Nous approchons aujourd'hui de la vingtaine. C'est pour ça que nous avons souligné le 20e anniversaire de l'an prochain. Nous demandons un renouvellement de l'engagement et nous voulons que le premier ministre du Canada, le premier ministre de la Colombie-Britannique, le groupe de travail et Mme Pierre signent ce renouvellement en vue d'aboutir à la conclusion de traités en Colombie-Britannique. C'est ce que nous espérons voir arriver. C'est ainsi que cela devrait se passer et, pour ce faire, nous avons besoin de votre aide.
Le président : Voilà qui est clair.
Je tiens à vous remercier pour votre exposé, madame Pierre, ainsi que pour toutes les réponses et tous les commentaires que nous avons obtenus de vos commissaires. Il est clair que le renouvellement de l'engagement est une de vos priorités et que vous souhaitez également traiter avec des négociateurs plutôt que de faire face à des bureaucrates.
Madame la commissaire en chef, je me suis déjà entretenu avec vous au sujet des chevauchements. Vous souhaitez nous voir traiter promptement ces accords lorsqu'ils nous seront soumis. C'est ce que nous tentons de faire dans la plupart des cas, mais dans des cas graves comme celui qu'a signalé M. Haggard, comme celui de l'accord de la Première nation Yale qui a accusé un retard considérable entre la ratification et la mise en œuvre — je pense que ce sont les termes exacts qu'il a utilisés — on peut concevoir que cela pose problème, étant donné la vulnérabilité du secteur des pêches. J'ai vécu au bord du fleuve Fraser ou dans la région pendant une quarantaine d'années. J'étais député de Mission — Port Moody, circonscription qui s'étendait entre Port Moody et Harrison Hot Springs. Je connais parfaitement la situation. Si vous pouviez consolider la situation et obtenir une entente entre les Premières nations sur les chevauchements, cela nous aiderait beaucoup à accélérer les processus afin que les accords soient traités promptement et que l'on puisse vaquer à nos occupations quotidiennes et travailler au développement économique.
Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre participation.
(La séance est levée.)