Aller au contenu
APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 6 - Témoignages du 15 novembre 2011


OTTAWA, le mardi 15 novembre 2011

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 h 33 pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs et aux membres du public qui assistent à cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Ils peuvent nous suivre sur CPAC ou sur le Web. Je suis Gerry St. Germain, de la Colombie-Britannique, et j'ai l'honneur de présider le comité. Notre comité a pour mandat d'examiner des projets de loi ainsi que toute autre affaire relative aux peuples autochtones du Canada en général.

Pour comprendre leurs préoccupations, nous invitons régulièrement des représentants d'organisations autochtones nationales à venir témoigner. Plutôt que de définir un thème de discussion, nous leur laissons toute liberté de nous instruire au sujet des questions les plus pressantes qui intéressent leurs membres. Ces séances sont d'une aide précieuse au comité pour déterminer quelles études il doit entreprendre afin de mieux servir la communauté autochtone du Canada.

Ce matin, nous entendrons les représentants de deux organisations. La première est Pauktuutit Inuit Women of Canada, l'association nationale des femmes inuites. Depuis sa constitution en personne morale, en 1984, Pauktuutit s'efforce de faire connaître les besoins des femmes inuites en réclamant pour elles l'égalité et des améliorations sociales et en les encourageant à participer à la vie communautaire, régionale et nationale au Canada.

La deuxième organisation est le Congrès des Peuples Autochtones, le CPA. Le CPA se décrit comme la voix nationale des Autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves. Il défend les droits et les intérêts des Autochtones hors réserve ainsi que des Indiens non inscrits et des Métis qui vivent en milieu urbain, rural ou éloigné au Canada.

[Français]

Mais avant d'entendre nos témoins, j'aimerais présenter les membres du comité présents aujourd'hui.

[Traduction]

Voici le sénateur Cordy, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Ataullahjan, de l'Ontario, le sénateur Greene Raine, de la Colombie-Britannique, le sénateur Nolin, du Québec, et le sénateur Brazeau, également de la province de Québec, et le dernier mais non le moindre, le sénateur Demers, du Québec.

Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous en prie, accueillez avec moi nos témoins. Au nom de Pauktuutit, nous entendrons Mme Elisapee Sheutiapik, présidente, et Mme Tracy O'Hearn, directrice exécutive. Pour le Congrès des Peuples Autochtones, nous accueillons Mme Betty Ann Lavallée, chef national, et M. Dwight Dorey, vice-chef national.

Je souhaite la bienvenue à nos témoins. Nous sommes impatients d'entendre leurs exposés, qui seront suivis des questions des sénateurs. Je demande à Mme Elisapee Sheutiapik de bien vouloir commencer.

Elisapee Sheutiapik, présidente, Pauktuutit Inuit Women of Canada :

[Le témoin s'exprime dans une langue autochtone.]

Bonjour à tous. Je suis très honorée d'être ici ce matin à titre de présidente de Pauktuutit. Nous avons un vaste mandat qui porte sur les priorités sociales, politiques, de santé et de bien-être des femmes inuites, de nos familles et de nos collectivités.

Comme nous avons très peu de temps aujourd'hui, nous allons nous concentrer sur la prévention de la violence et des mauvais traitements ainsi que sur les facteurs sous-jacents qu'il faut également corriger. Depuis 26 ans, le conseil d'administration de Pauktuutit et les délégués à notre AGA mentionnent constamment la violence et les mauvais traitements parmi les questions prioritaires. Les collectivités inuites continuent de réclamer du counselling de crise et à long terme, des refuges sûrs, et de la formation pour les travailleurs inuits de première ligne, afin de s'attaquer à tous ces problèmes.

La santé mentale est considérée comme le principal problème de santé des Inuits, et on inclut dans cette catégorie, la violence, les mauvais traitements et les traumatismes non réglés. Faute de ressources stables, le changement est terriblement lent. Par ailleurs, chaque sexe nécessite une approche distincte en matière de santé mentale.

D'après l'enquête sociale générale de 2004, les habitants des territoires sont trois fois plus susceptibles que ceux des provinces d'être victimes de violence, par exemple d'agression sexuelle ou physique. Les taux de crimes déclarés par la police dans les territoires sont considérablement plus élevés que ceux du reste du Canada. En 2005, les taux de crimes dans le Nord étaient plus de quatre fois supérieurs à ceux des provinces.

Les ressources disponibles dans le Nord pour les femmes inuites victimes de violence familiale et pour leurs enfants ne répondent absolument pas aux besoins, et il n'y a pas suffisamment de refuges pour satisfaire à la demande de services. Le nombre de refuges en activité dans les régions inuites de l'Arctique varie, car leur capacité de fonctionnement peut être entravée par diverses causes. À l'heure actuelle, il y a quatre refuges au Nunavut, deux dans la région arctique occidentale des Territoires du Nord-Ouest, trois au Nunavik et trois au Nunatsiavut. Moins de 30 p. 100 des 53 collectivités inuites de l'Arctique ont un refuge pour les femmes et les enfants, et il n'y a pas de solution pour le logement de deuxième étape. Les refuges dans le Nord éprouvent des difficultés particulières, par exemple les coûts de fonctionnement très élevés, y compris pour les services publics et les frais d'expédition, les problèmes en matière de ressources humaines ainsi que les difficultés d'accès à la formation et au soutien professionnel. L'absence de financement stable nuit sérieusement aux efforts visant à assurer la sécurité des femmes et de leurs enfants grâce à des places dans des refuges sûrs en temps de crise. Je sais que des femmes et des enfants ont perdu la vie parce qu'ils n'ont pas pu trouver de refuge ou qu'on a dû les renvoyer. Vous avez peut-être entendu parler de l'incident tragique qui s'est produit à Iqaluit cette année.

Nous devons nous attaquer globalement aux déterminants sociaux de la santé pour progresser dans ces domaines. Les logements surpeuplés et le manque d'options en matière de logement, la pauvreté, le manque d'emplois ou de compétences, les toxicomanies et les effets durables de la colonisation — les pensionnats et le traumatisme de l'intégration — sont des problèmes clés qui accentuent la vulnérabilité des femmes inuites, constamment confrontées aux mauvais traitements. Dans les pires cas, la crise du logement dans l'Arctique signifie souvent que les femmes vivent dans des foyers violents et qu'il n'y a pas toujours de solutions de logement où elles seraient en sécurité. Le coût du transport aérien pour les mettre en sécurité dans une autre collectivité peut être exorbitant.

De nombreux facteurs propres au Nord exposent les femmes et les enfants inuits à la violence, aux mauvais traitements et à l'exploitation. Notre société et nos collectivités ont connu de nombreux changements extrêmement rapides. Des promesses ont été faites à nos aînés, mais elles n'ont pas été tenues. Nombre d'entre nous essaient encore de composer avec les séquelles de la maltraitance dans les pensionnats. Nous avons des taux inacceptables de toxicomanie et de violence, et nos taux de suicide sont neuf fois supérieurs à la moyenne nationale. Si cette épidémie de suicide chez nos jeunes se produisait dans les centres urbains du Sud, elle serait certainement considérée comme une urgence publique. Même si nous ne pouvons pas encore le prouver, nous sommes intimement convaincus que de nombreuses personnes qui ont été victimes d'agression sexuelle dans leur enfance décident de mettre fin à leurs jours pour échapper à la douleur. Il nous faut aussi mieux comprendre les circonstances et les difficultés précises que rencontrent les Inuits dans les villes de tout le Canada.

Selon une étude récente, la violence familiale au Canada coûterait environ 6,9 milliards de dollars par année. Ces coûts représentent une moyenne annuelle de 13 000 $ par femme. Si ces coûts étaient calculés pour le Nord, j'estime que le coût par personne serait au moins cinq fois plus important. Nous n'avons pas les moyens d'ignorer ces problèmes. Il faut lutter contre la violence et les mauvais traitements dans le Nord et ainsi investir dans un avenir positif et viable. Nous vous considérons comme des partenaires qui peuvent nous aider à régler ces problèmes.

C'est un droit fondamental de tout citoyen canadien. Nous avons le droit d'être en sécurité dans nos foyers et dans nos collectivités. Il nous manque les services et les soutiens de base qui sont tenus pour acquis dans le Sud du Canada. Nous serons très heureux de discuter de ces questions plus à fond pour vous fournir des renseignements supplémentaires. Nous pourrions parler de nombreux autres problèmes, par exemple la santé. Il est tout simplement impossible, en cinq minutes, de tout couvrir. Je vous remercie de nouveau de nous avoir invités.

Le président : Merci, madame Sheutiapik. Nous aurons l'occasion de discuter de ce sujet plus à fond au cours de notre période de questions, et vous pourrez alors nous en dire plus.

Madame Lavallée, nous vous écoutons.

Betty Ann Lavallée, chef national, Congrès des Peuples Autochtones : Bonjour à vous, monsieur le président, sénateur St. Germain. Bonjour, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

C'est un honneur pour moi que d'être ici, sur ce territoire que le peuple algonquin n'a jamais cédé, pour vous présenter certaines des questions prioritaires du Congrès des Peuples Autochtones. Aujourd'hui, je partagerai le temps dont je dispose pour mon exposé avec notre vice-chef, Dwight Dorey. Ma partie de l'exposé portera sur la discrimination que perpétue la Loi sur les Indiens ainsi que sur les biens immobiliers matrimoniaux, l'appartenance aux bandes, la citoyenneté autochtone, l'éducation et le registre des armes à feu. De nombreuses autres questions devront être discutées ultérieurement, notamment la santé, le développement économique, le logement, l'itinérance, la langue et la culture.

Depuis 1971, le congrès est à l'avant-garde du mouvement des peuples autochtones au Canada pour défendre nos membres, ces oubliés. Nous défendons les droits et les intérêts des Indiens inscrits et non inscrits qui vivent à l'extérieur des réserves ainsi que les droits et les intérêts des Métis. En 2011, nous célébrons le quarantième anniversaire de la fondation de notre organisation.

Malgré les succès que nous avons connus au cours de ces 40 années, la population canadienne continue de lier les questions autochtones à la vie dans les réserves. En réalité, 80 p. 100 de la population autochtone vit maintenant à l'extérieur des réserves, et 60 p. 100 dans les villes. C'est la donnée démographique la plus importante pour les décideurs. C'est pourtant celle à laquelle on accorde le moins d'attention en raison de conflits de compétence.

Le 18 mai, nous avons appris avec plaisir que le premier ministre Harper avait modifié le nom du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui s'appelle maintenant Affaires autochtones et Développement du Nord Canada. C'était une mesure nécessaire pour mieux refléter les responsabilités du ministre à l'égard de tous les Autochtones. Ce type de réflexion honnête et de prise de décisions inclusives est ce dont nous avons besoin pour progresser.

La Loi sur les Indiens demeure la principale expression de la politique du gouvernement fédéral touchant les Indiens et les terres réservées pour les Indiens en vertu de l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867. La réalité politique et sociale des Autochtones est déterminée dans une large mesure par cette loi désuète.

Les dispositions de la Loi sur les Indiens en matière de statut et les règles d'appartenance ont depuis longtemps des effets sur la vie de tous les Autochtones. Mentionnons par exemple que le gouvernement fédéral investit près de 10 milliards de dollars annuellement dans des programmes spécialement destinés aux Autochtones, mais près de 90 p. 100 de cette somme sont alloués aux Indiens inscrits qui vivent dans les réserves. Ce cadre stratégique désuet doit être revu et modifié pour refléter le fait que le gouvernement fédéral a une obligation fiduciaire à l'égard de tous les Autochtones. C'était la principale conclusion de la commission d'enquête la plus vaste et la plus détaillée de toute l'histoire du Canada — la Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones. En 1996, elle concluait que la relation entre les peuples autochtones et les non-Autochtones devait être entièrement réaménagée. La réalité de la vie des Autochtones a changé, et il est temps que les politiques et les cadres reflètent cette nouvelle réalité.

Le CPA est heureux que le gouvernement dépose à nouveau le projet de loi S-2 au sujet des biens immobiliers matrimoniaux. Ce projet de loi corrige une carence de longue date et protégera mieux les droits des Autochtones, en particulier ceux des femmes qui vivent dans les réserves. Depuis des années, nous demandons un régime efficace en matière de biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves. Depuis des années, les Autochtones des réserves, et en particulier les femmes autochtones, sont victimes d'une discrimination injuste et inconstitutionnelle et ne peuvent pas obtenir une juste part des biens immobiliers matrimoniaux après l'éclatement du mariage ou de l'union de fait. Selon nous, le projet de loi est un pas dans la bonne direction pour que les femmes et les enfants autochtones reçoivent une part équitable des actifs dans les cas de divorce, de séparation, de violence familiale ou de décès.

Le congrès n'a jamais accepté la Loi sur les Indiens; nous luttons depuis longtemps contre cette loi. En 1974, avec l'appui financier de notre organisation, Jeannette Corbiere Lavell a été la première femme qui n'était pas une Indienne inscrite à contester la Loi sur les Indiens devant les tribunaux. Aujourd'hui, nos femmes continuent de souffrir de discrimination en raison de la Loi sur les Indiens, mais grâce aux vaillants efforts de personnes comme Sharon McIvor, Sandra Lovelace Nicholas et bien d'autres encore, nous minons petit à petit cette loi.

Je suis une Indienne inscrite en vertu du paragraphe 6(2). Aux termes de la loi, mon fils ne peut pas être inscrit au registre des Indiens. Nous sommes classés comme du bétail ou des qualités de bœuf. C'est une discrimination éhontée, et la lutte contre cette discrimination est une des grandes priorités du CPA.

En janvier dernier, le Canada a promulgué le projet de loi C-3, la Loi sur l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens. C'est la conséquence directe de l'affaire McIvor, qui a cheminé pendant 20 ans devant les tribunaux. En raison de la faible portée de cette loi, la discrimination sexuelle demeure dans les dispositions relatives à l'inscription au registre. Les descendants de femmes indiennes qui avaient perdu leur statut à la suite d'un mariage n'ont pas tous été inscrits au registre des Indiens. La première génération était visée par le projet de loi C-31, en 1985, et la deuxième, par le projet de loi C-3 déposé cette année, mais les générations précédentes n'ont toujours pas retrouvé leur statut indien, et la seule façon d'éliminer toute discrimination sexuelle dans la Loi sur les Indiens consiste à considérer les descendants de femmes indiennes inscrites au même titre que ceux des hommes. Aujourd'hui, les femmes autochtones ne sont toujours pas considérées sur le même pied pour ce qui est de la transmission du statut d'Indien. En raison de cette discrimination, des milliers de leurs descendants sont encore oubliés. Parce que cette discrimination de longue date contre les femmes autochtones n'est toujours pas réglée, Sharon McIvor a déposé une plainte contre le Canada devant le Comité des droits de l'homme de l'ONU.

Un problème connexe découle des règles d'inscription établies par la Loi sur les Indiens après 1985 et de leur application dans les cas de paternité non reconnue. En 1985, le Canada a remplacé la règle de descendance d'un parent, qui favorisait les hommes indiens, par un nouveau régime appelé règle d'inadmissibilité de la seconde génération. Maintenant, que vous soyez de sexe masculin ou de sexe féminin, la reconnaissance du statut d'Indien n'est accordée à une personne de parentage mixte que pour une génération. Après la deuxième génération de parentage mixte, une personne ne peut plus être inscrite au registre des Indiens. Par conséquent, aujourd'hui, lorsqu'une Indienne inscrite ne révèle pas l'identité du père de son enfant, l'enfant est inscrit uniquement en raison du statut de sa mère. De 1985 à 1999, cette mesure a entraîné le déclassement ou la perte pure et simple du statut d'Indien pour environ 50 000 enfants indiens.

La nouvelle règle d'inadmissibilité de la seconde génération se traduira dans quelques générations par une diminution radicale de la population d'Indiens inscrits. Les Indiens inscrits, comme bien d'autres Canadiens, rencontrent l'amour et ont des enfants avec des gens d'autres cultures. C'est un phénomène social courant qui, combiné à la règle de l'inadmissibilité de la seconde génération, a pour effet pervers de priver les enfants issus de ces unions de leur statut d'Indien ou de la capacité de transmettre ce statut à leurs propres enfants. On estime que dans 60 ans, seulement le tiers des descendants des Indiens inscrits d'aujourd'hui auront droit à ce statut. Ce nombre continuera de décliner. Des universitaires et des démographes ont soutenu que les règles d'inscription adoptées en 1985 entraîneront l'extinction législative des Indiens inscrits. Une solution simple consisterait pour le Canada à revenir à une règle de descendance d'un parent applicable tant aux femmes qu'aux hommes.

Tous ici reconnaissent que la capacité des tribunaux de régler ces questions est limitée. Le CPA veut obtenir l'engagement politique d'examiner et de régler les questions d'appartenance autochtone et tous les problèmes généraux qui s'y rapportent. En adoptant le projet de loi C-3, en décembre 2010, le gouvernement fédéral a déclenché un processus exploratoire. Il ne s'agit pas d'un processus consultatif, et je suis très heureuse de pouvoir dire que le gouvernement n'a pas défini au préalable le programme ni les questions relativement à l'inscription des Indiens, à l'appartenance aux bandes et à la citoyenneté autochtone. Le CPA participe actuellement au processus, et nous organisons des séances de dialogue dans tout le Canada.

L'article 74 de la Loi sur les Indiens permet aux bandes d'élire leurs chefs et leurs conseils suivant leurs propres coutumes. À l'heure actuelle, environ 30 p. 100 des bandes ont adopté des codes coutumiers. En vertu de ces règles, une bande peut admettre des personnes qui ne sont pas inscrites au registre des Indiens. Elles peuvent également refuser l'appartenance à n'importe quel Indien inscrit, sauf aux femmes qui ont retrouvé leur statut d'Indien en vertu de l'alinéa 6(1)c) de la Loi sur les Indiens. Malgré cette possibilité apparente de passer outre à la Loi sur les Indiens, 30 p. 100 des bandes ont adopté des règles d'appartenance plus strictes que celles de la Loi sur les Indiens elle-même.

Le CPA est heureux que le gouvernement conservateur ait tenu promesse et ait abrogé l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Depuis 1977, l'article 67 protégeait les bandes contre les plaintes de discrimination découlant des codes d'appartenance. En juin dernier, la période de transition a pris fin, et nous nous attendons à ce que nombre de codes électoraux coutumiers soient maintenant contestés en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Si j'ai bien compris, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada n'a fourni aucune ressource aux bandes pour examiner et moderniser leurs codes d'appartenance afin d'assurer leur conformité à la Loi canadienne sur les droits de la personne et à la Charte canadienne des droits et libertés.

En ce qui concerne la citoyenneté autochtone, le CPA est d'avis que le droit des peuples autochtones à définir leur propre citoyenneté est un droit inhérent accordé par le créateur et protégé en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ainsi que de la Déclaration de l'ONU sur les droits des peuples autochtones. Nous n'avons jamais renoncé à notre droit à l'autonomie gouvernementale.

Les questions qui entourent la citoyenneté autochtone sont variées et complexes, et il faut continuer à bien définir les concepts pour en comprendre toute la signification et toutes les conséquences. Nous considérons le processus exploratoire comme le début d'un long processus de questionnement et de réflexion sur la voie de l'auto-détermination et de la citoyenneté.

Les structures d'autonomie gouvernementale possibles pour les Autochtones vivant en milieu urbain sont très diversifiées. Le CPA tente de résoudre ces dossiers difficiles depuis de nombreuses années et lutte en même temps contre le fait que les politiques et les programmes fédéraux ciblent principalement les réserves. Les disputes entre le gouvernement fédéral et les provinces ont entravé les progrès des populations autochtones en milieu urbain. Maintenant que la question de la responsabilité fédérale à l'égard des Métis et des Indiens non inscrits est réglée, les relations entre le gouvernement et les Autochtones seront plus claires, et certaines des distinctions entre les Autochtones vivant dans les réserves et les autres disparaîtront.

En 1982, notre dirigeant, Harry Daniels, a réussi à faire inscrire les Métis au paragraphe 35(2) de la constitution canadienne. Le concept de citoyenneté métisse est lié à l'autonomie gouvernementale et à l'autodétermination des Métis. La définition de Métis a fait l'objet de nombreux débats, et le CPA a toujours soutenu que les identités métisse et indienne n'étaient pas des identités exclusives et distinctes.

Nous ne sommes pas surpris que certains métis puissent également être inscrits au registre des Indiens. L'exclusion des Indiens inscrits de la définition de Métis est tout simplement une forme de discrimination. Le règlement de ces questions demandera du temps, et les difficultés juridiques et politiques ne manqueront pas. Nous avons un chemin difficile à parcourir, mais nous y arriverons.

L'éducation de nos enfants et de nos jeunes est une priorité absolue. Les jeunes autochtones affichent les taux de décrochage les plus élevés, les taux de littératie les plus faibles et les plus bas niveaux de développement des compétences. Il est plus probable que nos jeunes se retrouvent en prison qu'ils n'obtiennent leur diplôme d'études secondaires. C'est grâce à l'éducation que nous pourrons améliorer notre situation économique et nos vies. L'éducation est la condition essentielle pour réduire la pauvreté dans nos collectivités et éliminer notre dépendance à l'égard de l'aide fédérale.

Lors du sommet autochtone sur l'éducation, en février, les discussions consacrées à la consolidation des réussites autochtones en matière d'éducation ont été encourageantes. Les ministres de l'Éducation des provinces et des territoires ont reconnu que d'ici 15 ans, les élèves autochtones formeront plus de 25 p. 100 de la population des écoles primaires dans certaines provinces et certains territoires. Nous demandons au premier ministre de convoquer une réunion des premiers ministres sur l'éducation, pour charger un comité inter-compétence d'améliorer l'expérience scolaire de nos élèves.

Finalement, je veux vous parler du registre canadien des armes à feu. Les propriétaires autochtones d'armes à feu qui ne se conformaient pas à la Loi sur les armes à feu ont été accusés de possession non autorisée d'armes à feu sans restrictions en vertu des articles 91 et 92 du Code criminel. La semaine dernière, le gouvernement a présenté un avis concernant le dépôt d'un projet de loi qui abolira le registre des armes d'épaule. Le CPA se joint à nombre d'autres organisations autochtones du Canada pour demander l'abolition du registre des armes d'épaule. Nous considérons les exigences d'enregistrement et de permis imposées par le registre comme un empiétement sur notre droit de chasse. Les chasseurs et les cueilleurs autochtones ne sont pas mêlés aux problèmes de criminalité, et le registre est inefficace et coûteux. Notre organisation considère comme inacceptable tout empiétement sur les droits ancestraux et issus de traités en matière de chasse, de piégeage ou de pêche. Le CPA continue d'appuyer la réglementation qui exige des chasseurs et des cueilleurs qu'ils obtiennent un permis d'acquisition et qu'ils respectent les règles d'entreposage sécuritaire des armes à feu.

Pour terminer, je veux exprimer notre reconnaissance au premier ministre pour l'attention qu'il a accordée aux dossiers autochtones dans ses rencontres avec les dirigeants autochtones nationaux. Dans les jours qui viennent, nous sommes impatients de poursuivre notre collaboration avec vous et avec le comité de la Chambre des communes, qui a un rôle important à jouer et que nous rencontrerons immédiatement après la présente réunion.

Je vais maintenant demander à mon collègue de présenter sa partie de notre exposé.

Le président : Monsieur Dorey, par souci d'équité envers les autres témoins dont le temps a été limité, je vous prie de nous présenter votre exposé de façon aussi brève et précise que possible. La greffière me confirme qu'elle vous a avisé du temps dont vous disposiez pour votre exposé, et j'aimerais que les sénateurs aient l'occasion de vous poser des questions à tous deux.

Dwight Dorey, vice-chef national, Congrès des Peuples Autochtones : Merci. Bonjour, monsieur le président, bonjour, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Je vous remercie de me donner l'occasion de discuter avec vous de l'affaire Daniels et du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Cette affaire intéresse les Autochtones qui soutiennent que la Reine a une obligation fiduciaire à leur égard et qu'ils ont le droit de négocier de bonne foi avec le gouvernement fédéral.

Le CPA continue de participer à des négociations avec le gouvernement fédéral au sujet des droits, des intérêts et des besoins des Métis, des Indiens non inscrits et des membres des Premières nations qui ont été déplacés. Toutefois, ces négociations ont été et sont toujours entravées par le refus du gouvernement fédéral d'admettre son obligation fiduciaire à l'égard des Métis et des Indiens non inscrits en vertu du paragraphe 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

Au XVIIe siècle, Champlain utilisait le terme « Métis ». En 1615, il encourageait le mariage de Français avec des Indiennes, et de nombreux enfants sont nés de ces alliances. À l'époque de Champlain, on a commencé à appeler Métis les enfants de ces unions mixtes. Son rêve a souvent été rappelé : « Nos fils marieront vos filles et nous ne serons plus qu'un peuple. » Aujourd'hui, les Métis sont des Autochtones qui ont des liens avec des cultures et des collectivités distinctes dans tout le Canada.

Les Indiens non inscrits sont des Indiens auxquels, de temps à autre, la Loi sur les Indiens ne s'applique pas ou encore que le gouvernement fédéral ou ses organisations ont décidé d'exclure de l'application de la Loi sur les Indiens.

Les catégories et les définitions utilisées pour les Autochtones sont trop nombreuses pour que l'on puisse toutes les énumérer ici, mais elles ne sont pas étanches. Je suis moi-même de sang mêlé, et l'on m'a souvent appelé Métis même si, à proprement parler, j'étais un Indien non inscrit. De fait, je suis Mi'kmaq de naissance. En 1985, après l'adoption du projet de loi C-31, j'ai pu être inscrit au registre des Indiens et vivre dans la réserve, j'ai même fait partie du conseil de bande pendant plusieurs années. Lorsque le traité de 1752 — un traité antérieur à la Confédération — a été reconnu dans l'arrêt Simon c. La Reine, je suis devenu un Indien visé par ce traité. Permettez-moi d'ajouter qu'à cette époque, moi qui étais inscrit au registre depuis deux ans, j'ai abattu mon premier orignal en tant qu'Indien.

Lorsque le Dominion du Canada a été créé par la Loi constitutionnelle de 1867, le paragraphe 91(24) précisait que le Parlement du Canada pouvait adopter des lois touchant les « Indiens et les terres réservées pour les Indiens ». Pour le gouvernement fédéral, cette phrase signifie qu'il a compétence sur les Indiens, mais pas sur les Métis ni sur les Indiens non inscrits. Pourtant, le gouvernement fédéral a affirmé qu'il avait compétence pour définir qui est considéré comme un Indien en vertu de l'article 91(24). Au fil des ans, les efforts concertés que nous avons exercés auprès du gouvernement pour faire reconnaître les droits, les intérêts et les besoins de ces oubliés ont été constamment entravés par le refus de la Couronne d'admettre que les Métis et les Indiens non inscrits sont eux aussi visés au paragraphe 91(24). Par conséquent, nous nous heurtons constamment à la division des pouvoirs fédéraux et provinciaux et à la question de l'obligation fiduciaire.

Harry Daniels, un Métis des Prairies qui s'est imposé sur la scène nationale dans la tradition idéologique du grand Louis Riel, a été à deux reprises chef national du congrès, qui s'appelait autrefois le Conseil national des Autochtones du Canada. Quand j'étais conseiller politique de Harry, nous avons collaboré étroitement dans le dossier du droit des Autochtones à participer à titre de partenaires à part entière aux structures politiques et économiques du Canada. Nous voulions attirer l'attention sur la suppression des droits et intérêts historiques des Autochtones par un régime fédéraliste inflexible et discriminatoire.

En 1982, Harry Daniels a réussi à faire inscrire les Métis au paragraphe 35(2) de la constitution. Grâce à ses efforts, la constitution canadienne reconnaît les Métis comme des Autochtones et confirme leurs droits ancestraux et issus de traités. Ce succès a été le couronnement de toute une carrière et une véritable percée pour le Congrès des Peuples autochtones.

En l'absence d'un processus constitutionnel défini qui nous permettrait de terminer le travail que nous avons commencé en 1983, les tribunaux demeurent le seul mécanisme dont nous disposons pour faire reconnaître légalement nos droits. C'est Harry qui, en 1997, a déclaré que nous ne pouvions plus tolérer ce déni systématique de nos droits intrinsèques. Il a profité du poste qu'il occupait à l'époque pour dire au gouvernement que c'était terminé, que nous n'accepterions plus d'être oubliés. En 1999, Harry Daniels et le CPA ont intenté des poursuites en cour fédérale pour obtenir, premièrement, la reconnaissance du fait que les membres du CPA étaient des Autochtones relevant de la compétence du Canada et, deuxièmement, la reconnaissance de l'obligation fiduciaire du Canada envers les membres du CPA et le droit du CPA et de ses membres de négocier avec le Canada relativement à leurs droits, à leurs intérêts et à leurs besoins en tant qu'Autochtones.

En 2005, le Congrès des Peuples Autochtones et Affaires indiennes et du Nord canadien se sont entendus pour inscrire cette affaire dans le Programme de financement des causes types, et le gouvernement du Canada a donc payé les coûts de 1999 à 2005 et par la suite.

La loi régissant les relations entre la Couronne et les Autochtones évolue sans cesse, mais très lentement. Nous constatons maintenant les effets possibles de l'arrêt Daniels c. la Reine, et ils seront sensibles. Je crois que plusieurs questions critiques devront être réglées avant que nous soyons sur la bonne voie.

Premièrement, le gouvernement fédéral doit une fois pour toutes reconnaître qu'il a une obligation fiduciaire et que le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 s'applique à tous les Autochtones.

Deuxièmement, le gouvernement fédéral doit oser déclarer que tous les Autochtones ont droit à un traitement équitable compte tenu de l'égalité des droits et des principes de l'égalité d'accès.

Troisièmement, le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada doit collaborer avec tous les Autochtones pour transformer tout l'éventail des collectivités en entités autonomes.

Le CPA reconnaît que le changement n'est pas facile et que les choses ne se feront pas du jour au lendemain. Nous sommes toutefois encouragés par les mots du premier ministre Harper, qui a affirmé que nous n'avions pas besoin d'une nouvelle relation, mais simplement de respecter les relations existantes, y compris les traités, et d'obtenir des résultats. Le CPA se réjouit également que le Parti conservateur reconnaisse la nécessité de réévaluer les responsabilités fédérales figurant aux paragraphes 91(24) et 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

Après que le premier ministre s'est levé en Chambre pour présenter des excuses officielles aux Autochtones pour les souffrances infligées dans les pensionnats indiens, les Canadiens de tous les horizons ont compris qu'une grave injustice avait été commise à l'encontre des premiers habitants de notre pays.

Il est temps que cette loi désuète, la Loi sur les Indiens, soit abrogée et que des négociations soient menées avec tous les bénéficiaires au sujet des traités et des droits ancestraux.

Je crois en l'avenir pour tous les Autochtones et je crois que nous saurons prendre notre place comme collectivités distinctives et compétentes, dotées des outils politiques nécessaires à la protection de nos identités, de nos cultures et de nos sociétés. Nous vous demandons aujourd'hui de ne pas permettre que soient oubliées les générations actuelles et les futures générations d'Autochtones canadiens.

Merci.

Le président : Merci de ces exposés.

Le sénateur Cordy : Je ne suis pas un membre régulier du comité, mais je suis ravie d'être ici ce matin. Merci à tous. Je souhaite en particulier la bienvenue à Dwight Dorey, qui vient comme moi de la Nouvelle-Écosse.

Les deux groupes ont mentionné le logement et l'itinérance, et je crois que Mme Sheutiapik a parlé d'une crise du logement. Vous avez dit qu'il n'y avait pas suffisamment de logements. En outre, vous avez abordé la question de la violence. Au sujet de la violence, vous avez dit que les femmes restent dans des foyers où elles et leurs enfants ne sont pas en sécurité parce qu'elles n'ont aucun endroit où aller. Ce n'est pas comme dans les villes, où vous pouvez vous mettre à l'abri chez un voisin ou un ami ou encore aller dans un refuge.

Je suis membre du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, et nous avons réalisé une étude sur le logement et l'itinérance. Tous les membres de ce comité reconnaissent que des logements sûrs constituent une nécessité absolue.

Combien d'unités de logement sont en construction actuellement dans le Nord, et combien en faudrait-il? D'après ce que je sais, les besoins en logement ne sont pas satisfaits à l'heure actuelle, et ils ne cessent d'augmenter parce qu'on ne construit pas assez d'habitations chaque année.

Mme Sheutiapik : Des logements sociaux ont été construits. Je devrais plutôt parler de logements abordables. On pourrait très bien construire des unités à louer à leur juste valeur marchande, mais si les gens ordinaires, ceux qui touchent le salaire minimum, ne peuvent pas les louer, à quoi serviront-ils? Il n'y a eu aucune construction de logements sociaux pendant de nombreuses années. Cela a commencé seulement ces dernières années. Et vous êtes sans doute au courant de certaines des difficultés que nous rencontrons dans notre territoire.

J'ai eu la chance de siéger à la commission du logement social. Le plus difficile, c'est quand vous avez deux et trois générations dans un logement. Il existe un document qui devrait vous intéresser au sujet de l'itinérance cachée qui touche l'ensemble du territoire. Cela s'appelle Little Voices. Les récits de certaines des personnes qui vivent dans ces logements surpeuplés sont bien tristes. Il y a sûrement des statistiques dans les rapports. Je n'ai pas ces chiffres sous la main, mais vous pourriez certainement les trouver et les diffuser.

Le sénateur Cordy : Madame Lavallée, vous avez également mentionné le problème de l'itinérance. Vous le voyez sous un angle différend puisque vous avez dit que 80 p. 100 de la population vit à l'extérieur des réserves. De quelle façon les besoins des Autochtones hors réserves sont-ils satisfaits? Y a-t-il des programmes spéciaux? Vous y avez fait allusion mais vous n'avez pas fourni beaucoup de détails. Pourriez-vous développer un peu cette question, parce qu'il doit y avoir des besoins spéciaux?

Mme Lavallée : Précisément. Nos besoins ne sont pas très différents de ceux de nos concitoyens du Nord. Il n'y a pas beaucoup de refuges pour les hommes et les femmes autochtones — le phénomène n'affecte plus uniquement les femmes; les hommes aussi, malheureusement, connaissent la violence aujourd'hui — peuvent trouver la sécurité. Aucune unité de logement social n'a été construite, sauf ces dernières années. Malheureusement pour ceux d'entre nous qui vivent à l'extérieur des réserves, les fonds sont transférés aux provinces. Les provinces déterminent qui, selon elles, sont de vrais Autochtones. Si vous n'êtes pas membre d'une bande, vous allez être exclus. Pour la dernière série de logements sociaux, nous avons dû nous battre bec et ongles pour avoir accès au financement. Il n'est pas sans ironie qu'après avoir réussi à obtenir des fonds, nous avons remporté cette année-là le prix du meilleur projet de logement social au Canada, un prix de la SCHL. Malheureusement, mes collègues du reste du Canada n'ont pas eu la même chance que nous et ils n'ont pas pu obtenir une part de ces fonds. Il semble donc que l'argent disparaisse dans les coffres des provinces, et nous n'avons pas accès au financement dont nous avons besoin pour le logement social.

Cela revient à ce dont parlait mon collègue, M. Dorey — le paragraphe 91(24). Si le financement du logement social nous était accordé directement, comme par le passé, ce genre de problème ne se poserait pas. Au Nouveau-Brunswick, nous avons l'une des sociétés sans but lucratif les plus efficaces dans le domaine du logement social; elle gère des actifs de plus de 10 millions de dollars. Cela s'est fait grâce au premier complexe de logement autochtone urbain et rural. Il y a d'autres sociétés de logement, dont une ici même, à Ottawa, la société de logement sans but lucratif Gignul. Si nous recevions directement les fonds de la SCHL, comme c'était le cas autrefois, cela soulagerait dans une large mesure notre problème.

Le sénateur Cordy : Au lieu de passer par la province, la SCHL vous remettrait directement les fonds. Est-ce que cela ferait vraiment une grande différence?

Mme Lavallée : Très certainement, parce que lorsque l'argent est alloué à la province, il va dans le Trésor public. C'est la province qui détermine qui sont les vrais Indiens. Malheureusement, ceux d'entre nous qui ne vivent pas dans les réserves et qui ne sont pas inscrits sont oubliés.

Le sénateur Cordy : J'aimerais passer maintenant à une question sur la santé mentale et la maladie mentale. Cela nous mènera aux taux de suicide dont vous avez parlé et qui sont, dans le Nord, neuf fois plus élevés que la moyenne. Le comité des affaires sociales a également produit un rapport sur la santé mentale et la maladie mentale, il y a quelques années, et le sénateur Kirby était alors notre président. Il est aujourd'hui à la tête de la Commission de la santé mentale. Il est intéressant de constater que le logement a été l'une des premières questions traitées par le comité dans le contexte de la santé mentale et de la maladie mentale. C'est comme les déterminants sociaux de la santé auxquels vous avez fait allusion. Tout est lié.

À l'époque, je sais que les ressources humaines étaient généralement très insuffisantes dans le domaine de la santé mentale et de la maladie mentale, mais la situation était pire encore chez les Premières nations et les Autochtones. Il n'y avait pas assez de médecins qui traitaient de questions de santé mentale, pas assez de psychiatres et de psychologues. Nous avons reconnu que c'était un sérieux problème. Est-ce que la situation a changé depuis huit ou dix ans?

Mme Sheutiapik : Moi qui suis Inuite, je peux vous dire qu'il y a seulement deux générations que nous nous sommes sédentarisés. Nous avons connu l'établissement forcé, les réinstallations, l'abattage de nos chiens, les pensionnats, les noms de famille, les promesses de logement, le système d'aide sociale, la tuberculose et l'expulsion des sages-femmes. Tout cela s'est produit en deux générations. Pouvez-vous vous imaginer le stress post-traumatique que ces changements ont créé? Nous savons qu'il nous faudra encore une ou deux générations avant de pouvoir nous en remettre. Malheureusement, en matière de santé mentale aucune collectivité n'a des capacités suffisantes. Nous avons des postes de soins infirmiers dans les collectivités. Au Nunavut, nous avons l'hôpital d'Iqaluit, mais il n'offre pas nécessairement les spécialités ni les traitements requis en santé mentale. Ce serait un bon point de départ.

Nous avons limité notre exposé. Nous aurions pu vous parler de la santé et du logement. L'éducation est également un domaine essentiel. Les problèmes viennent tous de cette succession de véritables défis que nous rencontrons depuis deux générations. Combien de temps nous faudra-t-il? Nous devons nous montrer proactifs. Nous constatons la nécessité d'investir pour régler ces problèmes. Il y a de nombreux maux sociaux dans nos collectivités, en raison de ce stress post-traumatique.

J'ai une sœur qui a travaillé très longtemps dans ce domaine. La distinction est difficile à faire entre la santé mentale et le stress post-traumatique. Malheureusement, faute de services, des erreurs de diagnostic se produisent dans nos collectivités.

Le sénateur Patterson : J'aimerais souhaiter tout particulièrement la bienvenue à Elisapee Sheutiapik et à Pauktuutit. J'ai deux ou trois questions.

Quelque chose m'échappe. Par l'entremise d'AADNC, qui était autrefois AINC, le gouvernement du Canada reconnaît cinq organisations nationales. AADNC a une politique sur le financement des organisations autochtones — l'Assemblée des Premières Nations, le Ralliement national des Métis, le Congrès des Peuples Autochtones, l'Inuit Tapirisat du Canada et l'Association des femmes autochtones du Canada —, mais pas Pauktuutit, l'association des femmes inuites du Canada. Est-ce que cela ennuie Pauktuutit?

Mme Sheutiapik : À Inuvik, cette année, à l'assemblée générale annuelle du conseil circumpolaire inuit de l'Inuit Tapiriit Kanatami, nous avons présenté une motion qui a été appuyée. Je reconnais l'important travail accompli par l'AFAC, mais à titre d'ancienne mairesse, la seule femme au sein du conseil, et compte tenu des difficultés auxquelles se heurtent les femmes en politique, j'ai choisi Pauktuutit. C'est uniquement alors que j'ai entendu parler de l'AFAC. En tant que femme inuite, j'ai déposé une motion pour que Pauktuutit participe aux rencontres des ministres provinciaux et territoriaux; et cette motion a été très bien accueillie.

Le sénateur Patterson : AADNC vous alloue un financement de base. Le ministère a trouvé un moyen de financer votre important travail.

Mme Sheutiapik : Nous recevons un certain montant, en effet.

Le sénateur Patterson : Je réfléchissais, pendant votre exposé, puisque j'avais eu l'occasion d'en prendre connaissance. De toute évidence, les femmes inuites éprouvent de sérieux problèmes sociaux, de santé et de bien-être ainsi que des problèmes de logement. Pourriez-vous revenir un peu en arrière et me dire si, d'après vous, les femmes inuites ont gagné du terrain en matière de leadership politique? Je sais qu'il y a peu de femmes inuites élues aux conseils municipaux ou à l'Assemblée législative du Nunavut. Comme nous le savons, nous avons une députée qui occupe un important poste au cabinet et représente le Nunavut; c'est une femme qui est première ministre du Nunavut; une femme très compétente dirige l'Inuit Tapirisat du Canada; vous, vous avez été mairesse; et Iqaluit a actuellement une mairesse. Est-ce que les femmes inuites ont gagné une reconnaissance et de la crédibilité en occupant des postes de responsabilité dans le monde inuit? Est-ce que vous y voyez une tendance?

Mme Sheutiapik : Je le crois. Nous ne sommes pas nombreuses, mais nous occupons des postes importants. Lorsque j'étais présidente de l'Association des municipalités du Nunavut, un homme unilingue est venu me dire à quel point il était fier que moi, une inuite qui remplissait un deuxième mandat d'affilé à la tête de la municipalité, j'aie prouvé que les femmes pouvaient occuper des postes de responsabilité. J'ai dû lui rappeler que cela existait seulement depuis que nous avions une formule de leadership occidentale.

Autrefois, quand les hommes partaient chasser pendant trois ou quatre jours, qui était responsable de la collectivité? C'était les femmes. Cela n'est possible que depuis que l'administration publique s'est occidentalisée, parce que les femmes restaient toujours au foyer pour prendre soin de la famille. Les temps ont changé. J'ai certainement fait connaître mes opinions, parce que les compétences utilisées au foyer sont les mêmes que celles que l'on utilise dans un bureau. De plus en plus de femmes sont instruites, alors la confiance augmente. Les femmes comme moi encouragent les autres à prendre leur place, et c'est certainement utile.

Le président : Les niveaux de violence que vous avez décrits, madame Sheutiapik, doivent vous inquiéter énormément. Est-ce une évolution attribuable à l'occidentalisation des Inuits? Par le passé, comme vous l'avez dit, les femmes dirigeaient les collectivités quand les hommes partaient à la chasse. Y a-t-il eu des études pour déterminer pourquoi la violence a pris de telles proportions? Cet état de choses doit inquiéter tous les intervenants, les hommes y compris.

Mme Sheutiapik : C'est troublant. Il y a seulement deux générations que nous nous sommes sédentarités, et il s'est passé beaucoup de choses. Les aînés, aujourd'hui, parlent des promesses qu'on leur avait faites. Évidemment, ces promesses ont été transmises aux membres de la première et de la deuxième générations, qui ont donc les mêmes attentes. Malheureusement, en effet, il y a eu les pensionnats, mais de nombreux Inuits n'y ont jamais mis les pieds. Ceux qui n'ont pas reçu d'instruction structurée ou qui sont très peu instruits en souffrent. Je peux certainement parler de la capitale du Nunavut, Iqaluit, où ils ne sont peut-être pas très nombreux, mais les premiers habitants d'Iqaluit ne profitent pas des progrès parce qu'ils ne sont pas suffisamment instruits. C'est de là que viennent les maux de la société. Ce sont eux qui vivent dans des logements surpeuplés et qui souffrent de toxicomanie, parce qu'ils ont grandi avec leurs grands-parents. L'aide sociale a commencé avec les missionnaires et la GRC. Ils venaient dans les collectivités et ils demandaient quels étaient les besoins, ils demandaient de dresser une liste. Les articles finissaient par arriver, et l'on a dit aux habitants que c'était ainsi que les choses allaient fonctionner. Dites-nous seulement ce qu'il vous faut.

Lorsque le logement a fait son apparition — nous appelons ces maisons les boîtes d'allumettes —, on a dit aux gens que les maisons coûteraient de 2 à 5 $ par mois. Aujourd'hui, le loyer est calculé en fonction du revenu.

Le système d'identité numérique : je porte le nom de A72267. De nombreux facteurs entrent en jeu, mais malheureusement, en raison des attentes, personne ne s'y est attaqué. Nous essayons de progresser, mais c'est un défi pour moi, en tant que dirigeante, parce que je ne suis pas psychiatre ni médecin. Évidemment, nous avons besoin de ces spécialistes pour nous aider à avancer. Les histoires continuent, et les attentes sont les mêmes. Malheureusement, avec la croissance des gens viennent de partout au Canada, et c'est très bien, mais s'ils ne comprennent pas pourquoi nous avons ces problèmes sociaux, il leur est difficile de nous aider. Nous devons éduquer les autres.

Le sénateur Ataullahjan : Madame Sheutiapik, vos dernières initiatives portent notamment sur la prévention de la violence et des mauvais traitements, le développement de la petite enfance et les programmes de santé. Vous connaissez bien les facteurs sociaux et économiques qui interviennent dans la vie de votre peuple. Souvent, on nous parle de désespoir et de méfiance à l'égard du gouvernement. Que pouvons-nous faire pour y remédier et instiller l'espoir et la confiance à l'égard d'un système d'éducation détaillé?

Mme Sheutiapik : Après cette affaire de meurtre et de suicide dans notre collectivité, j'ai été interviewée et on m'a demandé si nous allions renoncer. Nous ne renoncerons jamais. À l'époque de nos ancêtres, de mes grands-parents, il n'y avait pas de magasin où acheter la nourriture. J'ai un jour demandé à ma mère si elle préférerait vivre aujourd'hui ou dans le passé, si on lui en donnait le choix, et elle a choisi la société d'aujourd'hui, parce qu'autrefois elle a vu la famine. Oui, nous avons des problèmes, mais nous avons aussi de l'espoir. Je ne baisserai certainement pas les bras. Dans notre territoire, nous avons les taux les plus élevés, mais n'oubliez pas que le gouvernement n'a pas été créé en un seul mandat. Les choses ne se produisent pas du jour au lendemain. Parfois, nous oublions qu'il faut être patients. Croyez-moi, nos ancêtres étaient patients. Ils apprenaient la patience à côté d'un trou de phoque, où ils attendaient pendant des jours que le phoque vienne faire surface. Ils apprenaient ces compétences sur le terrain. Parfois, parce que nous travaillons dans des bureaux, nous perdons une partie de ces compétences, par exemple la patience et l'esprit d'équipe.

Je peux vous dire, sincèrement, qu'il y a eu beaucoup de divisions entre les divers ordres de gouvernement. Pourtant, au bout du compte, nous avons tous des mandats similaires et nous essayons tous d'arriver au même but. Nous devons éliminer le cloisonnement.

Le sénateur Demers : Merci beaucoup de vos exposés.

Madame Lavallée, je ne peux pas tolérer la violence faite aux femmes. C'est l'une des raisons pour lesquelles je suis entré au Sénat, et nous allons réussir. J'admire votre courage, d'ailleurs.

J'ai peut-être mal compris ce que vous avez dit. Vous avez dit que l'argent disparaissait. Qu'est-ce que vous entendez par là? S'il disparaît, vous ne savez pas où il va.

Mme Lavallée : Quand on parle des transferts aux provinces, dans le cadre de la politique de transfert que la province a négociée avec le gouvernement fédéral, c'est la province qui détermine comment les fonds seront utilisés. Si la politique prévoit que l'argent est destiné à la population en général avec un volet autochtone, neuf fois sur dix la province songe immédiatement aux chefs reconnus dans la Loi sur les Indiens et aux réserves. Je parle d'expérience, je sais que le dernier transfert accordé au Nouveau-Brunswick devait être entièrement alloué à la société de développement économique provinciale pour le logement et que des appels d'offres allaient être publiés pour que les chefs reconnus dans la Loi sur les Indiens construisent des logements sociaux à l'extérieur des réserves. Pourtant, Skigin-Elnoog, la société de logement social hors réserve, compte déjà 40 ans d'expérience, elle possède des actifs d'une valeur de 10 millions de dollars et elle a reçu de nombreux prix au fil des ans pour avoir créé des logements sûrs et abordables pour les Autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves.

En raison des définitions que les gouvernements provinciaux utilisent pour déterminer qui sont les vrais Indiens, les Indiens qui vivent hors réserve ne voient généralement pas le moindre sou des transferts fédéraux accordés à la province. Nous avons dû nous battre bec et ongles pour obtenir une partie des fonds afin de réaliser un autre projet primé, un projet de logement abordable. Notre projet a permis à ceux que l'on appelle les travailleurs pauvres d'échapper au logement social où ils étaient, car ils avaient un revenu supérieur au seuil d'admission, mais insuffisant pour obtenir une hypothèque. Avec une subvention modeste, ils ont pu acheter leur premier foyer et devenir propriétaires. S'ils habitaient ce foyer pendant cinq ans, ils n'étaient pas tenus de rembourser la subvention.

Avec ce petit montant d'argent, nous avons travaillé dur pour aider près de 50 familles à quitter les logements sociaux et à acheter leur propre résidence. C'était plutôt extraordinaire de voir certaines de ces familles dire pour la première fois, « c'est à moi, c'est mon foyer. » Nous avons remporté un prix national pour ce projet.

Lorsque le gouvernement collabore avec nous, nous pouvons faire des choses étonnantes.

Le sénateur Demers : Merci infiniment.

Le sénateur Raine : Merci à tous d'être venus. Il est bon que nous puissions vous entendre directement, sans intermédiaire.

Ma question s'adresse à Elisapee Sheutiapik. Vous nous avez brossé un tableau exact mais bien triste des problèmes auxquels votre peuple est confronté, entre autres en matière de violence familiale. Je sais que vous avez également travaillé dans le domaine du développement de la petite enfance.

Vous avez un programme de développement de la petite enfance dispensé en garderie dans les collectivités inuites. Est-ce que toutes les collectivités y participent? Je vous demande de nous décrire brièvement ce programme.

Avez-vous pensé à ajouter un refuge à une garderie, pour renforcer le soutien dans la collectivité? J'aimerais que vous nous parliez de cette initiative de développement de la petite enfance que vous menez.

Mme Sheutiapik : Il n'y a certainement pas de garderie dans chaque collectivité, malheureusement. Mme O'Hearn a plus de détails au sujet de ce projet.

Tracy O'Hearn, directrice exécutive, Pauktuutit Inuit Women of Canada : Merci de cette question.

Dans les années 1990, Pauktuutit a collaboré étroitement avec ce qui est maintenant devenu RHDCC afin de réaliser un grand projet visant à établir des garderies administrées par les Inuits et adaptées aux besoins des enfants inuits. Il n'y en a pas dans toutes les collectivités, mais c'était un début, pour offrir des services adaptés aux Inuits dans les collectivités.

Récemment, nous avons collaboré avec des fonctionnaires d'AADNC pour produire des ressources destinées précisément aux garderies inuites, pour nos enfants et pour notre avenir. C'est un guide de ressources pour le personnel des garderies et on y explique par exemple comment travailler avec des enfants qui sont peut-être atteints de l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale. Toutes les ressources sont en anglais et dans au moins un dialecte de l'inuktitut. Toutes nos ressources publiées sont bilingues et utilisent au moins un de nos dialectes. Ce projet occupe moins notre organisation aujourd'hui, mais il demeure très important.

Le sénateur Raine : Il semble suffisamment prouvé que les dommages que fait aux enfants victimes d'un traumatisme grave se perpétuent pendant des générations. Il y a des marqueurs génétiques. Les femmes de la génération suivante sont porteuses de cette douleur et elles la communiquent à leurs enfants. Tout ce qu'on peut faire pour appuyer les programmes destinés à la petite enfance serait vraiment utile pour améliorer l'avenir.

Mme O'Hearn : Il existe des programmes très innovateurs dans certaines régions. À Hopedale, au Nunatsiavut, par exemple, il y a le programme de nids linguistique. Entièrement administré en inuktitut, il plonge les enfants dans la culture inuite. Il donne aux enfants une base et une connaissance intime de leur langue et de leur culture. Il y a des programmes innovateurs dans diverses régions.

Le sénateur Raine : Est-ce que vous recevez un financement pour les programmes de nids linguistiques?

Mme O'Hearn : Non. Ces programmes sont exécutés au niveau régional ou au niveau national, parce que Pauktuutit travaille à l'échelle nationale. Nous collaborons étroitement avec les régions, mais ce genre de financement relève du niveau régional ou communautaire.

Le sénateur Brazeau : Merci à tous, et bonjour.

M. Dorey a parlé de l'affaire Daniels, que je connais très bien. Pour mes collègues et peut-être aussi pour nos téléspectateurs, pourriez-vous nous expliquer pourquoi c'est le Congrès des Peuples Autochtones plutôt que le Ralliement national des Métis qui a intenté cette poursuite contre le gouvernement fédéral dans le but de faire reconnaître les Métis et les Indiens non inscrits en vertu du paragraphe 91(24)?

M. Dorey : Comme je l'ai dit dans mon exposé, c'est M. Daniels qui a négocié avec les premiers ministres provinciaux pour que le terme « Métis » figure dans la constitution. Il avait pris la tête de ce mouvement à titre de chef du Congrès des Peuples Autochtones. Depuis, le Ralliement national des Métis et d'autres dirigeants métis ont eux aussi fait progresser ce dossier. Dans le cadre du processus fondamental que nous avons mené pendant plusieurs années de rencontres aux plus hauts niveaux de l'administration fédérale, l'obligation fiduciaire n'était pas reconnue. Nous voulions assurer un suivi dans le dossier de la reconnaissance constitutionnelle des droits, qui selon nous traînait depuis beaucoup trop longtemps, et puisque M. Daniels avait négocié l'ajout du terme « Métis », il était lui-même d'avis que c'était au Congrès des Peuples Autochtones qu'il revenait de mener ce combat non seulement pour les Métis, mais aussi pour les Indiens non inscrits.

Le sénateur Brazeau : Ma seconde question est hypothétique, mais je suppose que la résolution que le Congrès des Peuples Autochtones cherche à obtenir dans cette affaire vise la reconnaissance des Indiens non inscrits et des Métis dans le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle. Cela dit, à l'heure actuelle — et je suis certain que vous en conviendrez —, une somme d'environ 10 milliards de dollars est consacrée aux Autochtones annuellement. Le caractère équitable de la distribution de ce montant est peut-être discutable, mais si le congrès réussit à faire adopter cette résolution, est-ce qu'il demandera des fonds supplémentaires au gouvernement fédéral en invoquant l'obligation fiduciaire ou cherchera-t-il à obtenir une distribution plus équitable des fonds effectivement dépensés? Vous le savez bien, et cela a été mentionné, chaque fois qu'on dépense 8 $ dans les réserves, on dépense 1 $ à l'extérieur des réserves. Est-ce que vous allez demander des fonds supplémentaires ou une redistribution équitable des sommes que le gouvernement fédéral dépense actuellement?

M. Dorey : Ce n'est pas à nous de le dire ni de le déterminer. Il n'appartient pas au congrès, qui est un groupe de défense des droits, de suggérer l'une ou l'autre de ces options. Nous considérons que c'est une question sur laquelle le gouvernement fédéral doit se prononcer dans le cadre des réunions avec les premiers ministres, compte tenu de la répartition des pouvoirs. La question devrait être soulevée par l'ensemble des premiers ministres provinciaux, car certains domaines de compétence relèvent des provinces, notamment la santé et l'éducation. Au fond, nous demandons simplement un traitement juste et équitable pour tous les Autochtones. Vous ne pouvez pas arbitrairement, comme l'a fait remarquer le chef Lavallée au sujet de la Loi sur les Indiens, tirer un trait et déclarer « Vous êtes un Indien inscrit, mais votre fils ou votre fille ne l'est pas. »

En vertu du paragraphe 91(24), les Indiens, les Inuits et les Métis sont reconnus comme des Autochtones du Canada et ils devraient tous être traités équitablement et avoir droit aux mêmes services. Regardez les conditions économiques et sociales, qu'il s'agisse de logement ou de santé, d'alcoolisme et de toxicomanie, de niveau d'instruction ou de taux de chômage, vous ne verrez pas de distinction, et de nombreuses études l'ont prouvé. S'il n'y a pas de distinctions entre les problèmes et les conditions socio-économiques des Autochtones, il ne devrait pas y avoir non plus de distinction, de séparation ni de division pour ce qui est des prestations ou des services auxquels ces personnes ont droit. La question se ramène à cela.

Le sénateur Brazeau : Je vais essayer de reformuler ma question. Si le congrès obtient gain de cause dans l'affaire Daniels relativement au paragraphe 91(24), indépendamment du gouvernement qui sera au pouvoir à ce moment, et que le statu quo est maintenu, qu'est-ce que le congrès demandera?

M. Dorey : Je pense que nous demanderions essentiellement, comme je l'ai dit, un traitement équitable en matière de prestations, de programmes et de services, bref tout ce qui est accordé aux autres Autochtones du pays. Il faut combler l'écart pour tous. Je le répète, il incombe aux responsables politiques de déterminer comment cela pourrait être financé. Il faut bien commencer quelque part. Nous ne pouvons pas être constamment ballottés d'un côté et de l'autre. On ne peut pas dire que si vous n'avez pas de carte, que vous soyez Autochtone ou pas, vous ne relevez pas de la compétence fédérale et c'est aux autres de s'occuper de vous, ou alors vous avez une carte, vous vivez dans une réserve et maintenant vous relevez de notre compétence.

Comme l'a mentionné le chef Lavallée au sujet du logement, il y avait autrefois un programme de logement rural et autochtone qui, je crois, faisait de l'excellent travail et répondait aux besoins des Autochtones, dans les réserves comme à l'extérieur. Les organisations du Congrès des Peuples Autochtones étaient chargées d'exécuter ce programme. En termes de division des pouvoirs et dans la sagesse des premiers ministres provinciaux, le logement relevait des provinces, et le gouvernement fédéral s'est en quelque sorte retiré de ce dossier. C'est alors que nous avons constaté, comme l'a dit le chef Lavallée, que le nombre d'unités de logement, les ressources, les réparations et tout ce qui était auparavant accordé aux Autochtones hors réserve, et en particulier aux Métis et aux Indiens non inscrits, diminuait pratiquement au point de disparaître.

Le président : J'ai une question à ajouter à cela. Je suis ici, comme bien d'autres, depuis un certain nombre d'années et j'ai cru comprendre que les services de santé dans les réserves n'étaient souvent pas au niveau des services provinciaux. Dans mon cas — je suis Métis et j'ai grandi au Manitoba —, j'ai connu les programmes de santé, puis je suis allé vivre en Colombie-Britannique. Vous dites que pour les services de santé, par exemple, vous accepteriez d'être assujettis au paragraphe 91(24) et donc à la Loi sur les Indiens. C'est bien ce que vous nous dites? À mes yeux, les provinces fournissent d'excellents services de santé à la majorité des Canadiens, qu'ils soient Métis ou Autochtones vivant hors réserve, elles servent tous les citoyens du pays. Vous nous dites que vous voulez être reconnus en vertu du paragraphe 91(24), et donc entrer dans un système qui n'offre pas ces services. Les Autochtones considèrent pourtant que les soins de santé qui leur sont fournis ne sont pas adéquats dans certaines circonstances. Pourriez-vous nous préciser votre position, s'il vous plaît?

Mme Lavallée : Ce dont nous parlons surtout, monsieur le sénateur, c'est du fait que si vous êtes un Indien non inscrit vivant à l'extérieur des réserves — et dans certains cas cela vaut également pour les Indiens inscrits —, vous n'avez pas accès aux services de santé non assurés. Prenez mes parents, par exemple, ce sont des gens à faible revenu qui sont tous deux diabétiques. Vers la fin du mois, ils attendent le chèque de pension d'ancien combattant de mon père. Dieu merci, ils utilisent tous les deux les mêmes médicaments et ils peuvent donc partager leurs médicaments en attendant que l'argent arrive pour pouvoir acheter leurs médicaments et leurs bandelettes et le matériel dont ils ont besoin tous les jours pour vérifier leur taux de glycémie. Cela est très fréquent chez les Autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves, en raison de la situation sociale ou économique de nombre d'entre eux. Il leur faut parfois choisir entre acheter des médicaments, se nourrir ou payer le loyer. C'est l'accès à des programmes comme ceux-là que nous demandons pour certaines de nos familles qui sont au bas de l'échelle socio-économique.

Quant aux systèmes de santé provinciaux, nous ne faisons aucun reproche aux systèmes de santé des gouvernements provinciaux. Nous disons que certains de nos membres ne se sentent pas à l'aise. Dans les réserves, il y a les programmes de prévention et les infirmières communautaires qui rencontrent les familles et les conseillent au sujet des habitudes de vie saine et de certaines questions de santé. C'est ce genre de programmes auxquels nous aimerions avoir accès, et cela nous aiderait à travailler main dans la main avec les gouvernements provinciaux pour régler certains des problèmes de santé de nos membres.

Le sénateur Patterson : Merci. Madame Lavallée, vous décrivez les conséquences très dramatiques, je crois, qu'aurait la règle d'inadmissibilité de la seconde génération pour la population autochtone. Vous semblez penser qu'il serait peut-être possible de corriger ces injustices si les bandes reconnaissaient comme membres des Indiens non inscrits en vertu du paragraphe 74 ou, en vertu de la Loi sur les droits de la personne, si l'on exigeait une redéfinition des codes d'appartenance. J'imagine toutefois que ces possibilités n'offrent aucune garantie.

Est-ce que je vous ai bien comprise? Vous espérez que le projet de loi C-3 et le processus exploratoire permettraient de corriger ces injustices? Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Est-ce qu'il y a un échéancier? Est-ce que le Congrès des Peuples Autochtones joue un rôle de premier plan dans ces consultations?

Mme Lavallée : Nous participons au processus. À l'heure actuelle, dans tout le Canada, nous tenons des séances de discussion. Nous avons reçu du financement. Ce n'était pas tout à fait ce que nous voulions faire. Nous aurions aimé mener un processus plus complet. Toutefois, nous avons reçu un certain financement d'AADNC. Comme je l'ai dit dans mon exposé, il n'y a ni question ni thème prédéterminé par AADNC. Cet aspect a été laissé à notre discrétion. Nous avons élaboré nous-mêmes les questions du sondage. Nous les avons affichées sur notre site Web pour que n'importe qui au Canada puisse y répondre. Nous considérons qu'il s'agit d'une amorce de dialogue pour trouver de nouvelles idées sur la façon de régler une fois pour toutes la question de l'appartenance à la nation micmaque. Je prends ma propre nation, la nation micmaque, comme exemple. Nous déciderons si nous voulons laisser AADNC déterminer l'appartenance en vertu de l'article 16 ou si nous voulons que cela se fasse au niveau de la nation. Par nation, j'entends la nation historique. Les réserves utilisent l'expression « Première nation », mais elles ne sont pas des nations à proprement parler; elles sont des éléments de la nation. Nous espérons qu'il y aura un jour, dans tout le Canada, des discussions entre les Autochtones des réserves et ceux qui vivent à l'extérieur des réserves, en particulier au sujet du concept traditionnel de nation, pour déterminer qui aurait ou n'aurait pas la citoyenneté. Nous espérons que cela débouchera sur une quelconque politique fédérale qui réglera la question une bonne fois pour toutes.

Vous avez fait allusion à certains des codes que les bandes ont adoptés. Oui, ils sont exclusifs, mais il y a des bandes qui sont plus proactives. Il y en a qui permettent aux grands-parents d'adopter les enfants pour que ceux-ci puissent obtenir le statut, et alors la bande évite de perdre encore une génération et elle peut inscrire ces enfants comme membres de la bande. Certaines collectivités ont refusé des cas comme le mien, reconnus en vertu du paragraphe 6(2). Elles considèrent que nous ne serions pas à notre place, que nous méritons notre sort parce que nous avons choisi d'épouser quelqu'un de l'extérieur. Nous espérons non seulement que le processus aura un effet éducatif mais aussi qu'il permettra de cicatriser certaines blessures que nous nous sommes faites depuis deux ou trois générations et de trouver une solution définitive.

Le sénateur Patterson : Un calendrier?

Mme Lavallée : Notre premier rapport doit être remis à AADNC au plus tard le 15 janvier. Nous espérons terminer toutes nos séances dans l'ensemble du pays d'ici la fin de novembre. Nous devrons ensuite rédiger le rapport et le présenter à AADNC. Nous espérons y arriver avant Noël, mais sinon ce sera peu de temps après. Puis nous attendrons de voir les résultats.

Le sénateur Brazeau : Nous avons beaucoup entendu parler des questions d'appartenance et de citoyenneté, de personnes qui sont écartées en raison de la règle d'inadmissibilité de la seconde génération. Est-ce que le congrès a adopté une position au sujet des femmes non autochtones qui ont obtenu le statut au fil des ans en raison d'anciennes dispositions de la Loi sur les Indiens?

Mme Lavallée : Pour le moment, le congrès n'a pas de position nationale au sujet des femmes qui ont obtenu le statut. Les opinions sont partagées, et je suis certaine qu'elles seront exprimées dans le cadre des séances que nous tiendrons dans tout le Canada, pour savoir quoi faire dans le cas de ces femmes. On m'a enseigné qu'autrefois, quand ces personnes — hommes ou femmes — arrivaient dans nos collectivités, tant qu'elles se conformaient aux règles sociales de la collectivité et adoptaient notre mode de vie elles étaient considérées comme des membres de la collectivité et traitées en conséquence.

Le président : Merci, collègues, merci de vos questions.

Je tiens à remercier nos témoins de leurs exposés et des réponses qu'ils ont fournies aux sénateurs.

Chers collègues, nous attendons maintenant l'Association des facultés de médecine du Canada. La rencontre sera informelle, alors nous allons libérer la pièce. À 11 heures, dans cinq minutes, nous reprendrons nos travaux avec les médecins qui représentent cette organisation.

La séance est levée.

(La séance est levée.)


Haut de page