Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 10 - Témoignages du 8 février 2012
OTTAWA, le mercredi 8 février 2012
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 50, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (sujet : les ajouts aux réserves).
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs ainsi qu'aux membres du public qui suivent la réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones à l'antenne du CPAC ou sur le Web. Je suis Gerry St. Germain, je suis originaire du Manitoba, mais je vis maintenant en Colombie-Britannique. J'ai l'honneur de présider ce comité.
Le mandat du comité consiste à examiner les questions touchant les peuples autochtones du Canada en général. Aujourd'hui, nous entamons une nouvelle étude, consacrée aux ajouts aux réserves. L'expression « ajouts aux réserves » renvoie au processus par lequel des terres sont ajoutées aux terres de réserve existantes ou à de nouvelles réserves.
En juin 2011, le Canada, représenté par le ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord, et les Premières nations, représentées par le chef de l'Assemblée des Premières Nations, ont adopté un plan d'action conjoint pour améliorer la prospérité à long terme des Premières nations et de tous les Canadiens.
Le Plan d'action conjoint Canada-Premières nations comprend l'engagement d'examiner des initiatives concrètes pour ouvrir des perspectives économiques aux Premières nations, y compris des améliorations au processus d'ajouts aux réserves.
Les témoins qui comparaîtront dans le cadre de cette étude seront priés de présenter leurs opinions et leurs observations sur la politique actuelle en matière d'ajouts aux réserves et sur les processus connexes ainsi que de proposer des solutions pour corriger diverses lacunes de la politique et du processus.
Ce soir, mesdames et messieurs, nous entendrons les représentants de trois organisations. Je vous présente d'abord les deux premières : les Chefs de l'Ontario et la Première nation de Long Plain, au Manitoba.
[Français]
Avant d'entendre nos témoins, j'aimerais présenter les membres du comité qui sont présents aujourd'hui.
[Traduction]
Nous avons ici le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest, le sénateur Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Larry Campbell, de la Colombie-Britannique, le sénateur Dennis Patterson, du Nunavut, le sénateur Ataullahjan, de l'Ontario, le sénateur Greene Raine, de la Colombie-Britannique et, du Québec, le sénateur Demers.
Mesdames et messieurs les membres du comité, s'il vous plaît accueillez avec moi nos témoins. Au nom des Chefs de l'Ontario, nous entendrons le chef régional pour l'Ontario, M. Angus Toulouse. Pour la Première nation de Long Plain, nous accueillons le chef David Meeches et MM. Vincent Perswain, directeur exécutif du fonds de fiducie de la Première nation de Long Plain, Tim Daniels, agent des projets spéciaux, et Ernie Daniels, aîné.
Nous espérons que vos exposés seront assez brefs, parce que nous aurons de nombreuses questions à vous poser et nous voulons discuter de vos expériences en matière d'ajouts aux réserves.
Angus Toulouse, chef régional de l'Ontario, Chefs de l'Ontario :
[M. Toulouse s'exprime dans une langue autochtone.]
Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de m'offrir l'occasion de vous parler de cette importante question. Comme vous le savez, la Loi sur les Indiens ne prévoit ni la création de réserves ni l'expansion des terres de réserve existantes. Elle ne confère aucun pouvoir de mettre de côté des terres à titre de réserves. Les terres deviennent des réserves en vertu d'un décret du gouvernement fédéral, sur la recommandation du ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien.
Les seules lois qui ont été adoptées pour la mise en œuvre de mesures concernant le règlement des revendications ne s'appliquent pas en Ontario. Les Premières nations de la province n'ont donc d'autre choix que de s'en remettre à la politique d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada sur les ajouts aux réserves et au processus connexe.
En vertu de cette politique, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada classe les motifs acceptables d'expansion de nos territoires en trois catégories. Dans la pratique, cela veut dire que les Premières nations de l'Ontario doivent se débattre avec une politique et un processus flous dont l'interprétation est laissée à la discrétion de fonctionnaires fédéraux qui s'appuient sur le Guide de la gestion des terres du ministère.
Ce guide n'est pas tenu à jour périodiquement, et la dernière mise à jour du chapitre 10, qui porte sur les ajouts aux réserves, date d'octobre 2003. Selon Affaires autochtones et Développement du Nord, il y a au moins 40 demandes actives d'ajouts à des réserves en Ontario, la plupart étant des demandes de la catégorie 2, c'est-à-dire des propositions en grande partie fondées sur les besoins de croissance des collectivités.
Les demandes de la catégorie deux ne sont pas liées à des obligations juridiques. De ce fait, Affaires autochtones et Développement du Nord jouit donc d'une vaste latitude pour décider s'il approuvera une demande de la catégorie deux présentée par une Première Nation.
D'après notre expérience, le ministère exerce sa discrétion d'une manière hautement restrictive. Le chapitre 10 du Guide de la gestion des terres du ministère contient des dispositions qui constituent les principaux obstacles aux demandes de la catégorie 2 présentées par des Premières nations. Ces dispositions concernent les aires de service, la contiguïté, le coût raisonnable, les projets économiques, le choix des zones urbaines, les charges à des tiers et la capacité. Je vous explique brièvement les difficultés qui se présentent dans chacun de ces secteurs.
En ce qui concerne les aires de service, les demandes de la catégorie deux —ajouts à la collectivité — doivent viser un territoire situé à l'intérieur de « l'aire de service » d'une réserve existante. Un problème se pose parce qu'Affaires autochtones et Développement du Nord définit l'aide de service comme étant l'aire géographique généralement contiguë à une réserve existante. Or, cette définition donne lieu à des interprétations très différentes d'une région à l'autre d'Affaires autochtones et Développement du Nord et elle est souvent utilisée pour faire obstacle aux demandes d'ajouts aux réserves de cette catégorie. En vertu des politiques sur les revendications territoriales particulières ou globales, les Premières nations qui négocient des ententes avec Affaires autochtones et Développement du Nord peuvent désigner une aire géographique en vue d'un éventuel ajout. Les Premières nations qui ne sont pas en négociations avec le ministère doivent se rabattre sur la politique ministérielle pour demander un ajout à une réserve. Si les termes « généralement contiguë » sont interprétés de manière étroite, cela peut signifier qu'une Première nation ne pourra jamais prendre de l'expansion, soit parce qu'il n'y a pas de terre disponible à annexer à une réserve existante, soit parce que la valeur des terres est très élevée.
En ce qui concerne la question des coûts raisonnables, à moins de négocier une entente de règlement, une Première nation doit être prête à reconnaître officiellement que sa demande d'ajout à la collectivité ne lui donne pas droit à un financement. En réalité, les Premières nations doivent accepter de financer leurs projets d'ajout à la collectivité à même les fonds qui leur sont normalement alloués, et que le ministère a plafonnés, ou dans le cadre de la planification de leurs immobilisations, pour défrayer tous les coûts liés à l'ajout d'une parcelle de terre. En l'absence de normes susceptibles de donner à toutes les parties une indication de la durée du processus d'Affaires autochtones et Développement du Nord, cela veut dire qu'il est impossible de connaître le coût total que la Première nation devra prévoir à son budget ni d'en estimer le montant d'une manière fiable.
Cela pose un grave problème aux Premières nations propriétaires de terres en fief simple et qui paient des taxes annuelles pendant qu'elles attendent la fin du processus d'Affaires autochtones et Développement du Nord, car elles devront, en plus, assumer tous les coûts de la transaction dans laquelle elles doivent s'engager pour faire avancer leur demande d'ajout.
La dernière mise à jour de la politique sur les ajouts aux réserves, qui date de 2003, donne des exemples de projets économiques communautaires pour illustrer ce qu'est un ajout répondant à la croissance normale d'une collectivité. À l'instar des collectivités non autochtones du Canada, les Premières nations souhaitent créer des collectivités durables. Malheureusement, selon l'interprétation qu'en fait Affaires autochtones et Développement du Nord, la politique sur les ajouts aux réserves ne vient en aide qu'aux projets économiques négociés et mis en œuvre dans le cadre d'une demande de la catégorie un.
En tant que Premières nations, nous luttons pour que cette politique s'applique à d'autres projets économiques que le Canada met en œuvre avec les Premières nations. Nous croyons avoir droit à un soutien, et non à des restrictions, dans notre volonté d'élargir notre assise territoriale, comme les municipalités le font depuis des décennies, d'une manière qui soit compatible avec le désir de nos membres de vivre là où ils travaillent. Si nous obtenons de l'aide pour améliorer notre santé économique et accroître ainsi notre contribution à l'économie canadienne, tout le monde sera gagnant. Malheureusement, le Canada ne nous aidera pas à saisir ces possibilités — c'est-à-dire une croissance à l'extérieur des limites actuelles de nos terres afin de répondre à nos besoins économiques — dans le cadre d'un système favorisant l'élargissement de notre assise territoriale. La politique sur les ajouts aux réserves d'Affaires autochtones et Développement du Nord doit reconnaître que le développement économique est un motif légitime qui incite les collectivités à ajouter des parcelles de terre à leur réserve.
À part les coûts, le principal autre obstacle à la conversion de terres en réserves est le règlement des charges existantes. En vertu de la politique actuelle, ce sont les Premières nations qui ont le fardeau de régler ces intérêts ou droits avant que le décret ne soit approuvé par le gouverneur en conseil. En Ontario, nous nous heurtons à un autre obstacle, soit l'absence d'outils législatifs pouvant soutenir nos efforts. À cet égard, nous ne sommes pas sur un pied d'égalité avec la province ou les municipalités qui exercent leur droit de veto sur les projets présentés par les réserves, même si la politique du ministère leur interdit de le faire. Les Premières nations doivent démontrer qu'elles entretiennent des relations de bon voisinage lorsqu'elles négocient avec une tierce partie; or, lorsque les négociations sont dans une impasse, Affaires autochtones et Développement du Nord n'intervient jamais pour aider les parties à trouver une solution. Cela cause un retard, et le Canada accepte ce retard.
Nous croyons que le ministère doit établir un mécanisme plus officiel avec chaque province afin d'obliger le Canada à remplir ses engagements concernant les ajouts aux réserves. Nous croyons également qu'Affaires autochtones et Développement du Nord devrait être plus proactif face aux attitudes et aux positions négatives des provinces qui cherchent à retarder le processus et à empêcher la conversion de terres en réserves.
En raison de la complexité du processus de conversion de terres en réserves, la Première nation et le ministère doivent investir des ressources humaines et financières importantes. Malheureusement, dans la conjoncture économique actuelle où tout le monde se livre concurrence pour obtenir les modestes ressources, les défis s'accumulent. Nous savons que le processus d'ajouts aux réserves d'Affaires autochtones et Développement du Nord se déroule en grande partie dans les bureaux régionaux et, pourtant, nous n'avons aucune assurance que les régions classent systématiquement par ordre de priorité les ressources requises pour les ajouts, même au cas par cas.
La clarification apportée en 2003 dans la politique sur les ajouts aux réserves au sujet de la catégorie 2 — croissance de la collectivité — supposait l'existence d'une planification communautaire et d'un plan d'utilisation du territoire visant à simplifier les demandes de cette catégorie. On croyait que si les Premières nations avaient de solides plans communautaires, elles pourraient alors présenter une demande d'ajout de terres en s'appuyant sur leur plan financier et sur les autorisations requises d'utilisation du territoire et résoudre ainsi leurs problèmes avec les tierces parties. Cette hypothèse pouvait représenter un pas en avant, mais la réalité n'a pas été à la hauteur de la promesse. Pour que le processus soit efficace, il aurait fallu que les collectivités des Premières nations puissent développer leur capacité. Nous avons réussi à lancer quelques projets pilotes grâce à l'aide tardive d'Affaires autochtones et Développement du Nord, mais cette initiative a rapidement été reléguée aux oubliettes.
Dans les relations avec les municipalités, la politique oblige les Premières nations à négocier des arrangements concernant, entre autres, la planification de l'utilisation du territoire, l'harmonisation des règlements administratifs, la compensation des pertes fiscales et les ententes relatives aux services municipaux, mais les Premières nations n'ont pas les moyens requis pour faire cela. Affaires autochtones et Développement du Nord n'est jamais partie à ces arrangements et malgré le soutien technique offert par le ministère durant les négociations, les fonctionnaires régionaux d'Affaires autochtones et Développement du Nord sont aussi à court de ressources.
Les problèmes de capacité ne se terminent pas après la conversion d'un territoire en réserve. Affaires autochtones et Développement du Nord Canada n'offre pas suffisamment de formation aux Premières nations compte tenu de la responsabilité que représente la gestion des terres qu'il leur transfère.
Pour conclure, je veux mentionner que les observations et les recommandations adressées en 2005 par le Bureau du vérificateur général au ministère des Affaires indiennes concernant l'amélioration du processus de conversion de terres en réserves sont toujours d'actualité dans les trois catégories. Le ministère doit donner suite à ses réponses au rapport en 2005.
Il faut fixer et respecter des échéanciers. Il faut améliorer la planification stratégique des bureaux régionaux, de façon à évaluer les priorités des propositions d'ajouts aux réserves en partenariat avec les Premières nations. Cela signifie que les coûts de transaction seront prévus avec toute la confiance nécessaire. Il faut des outils pour régler les questions liées aux charges de tiers, y compris des démarches qu'Affaires autochtones devra effectuer pour modifier les positions négatives des provinces.
Je tiens à remercier les honorables sénateurs de m'avoir offert l'occasion de m'adresser à eux ce soir au sujet de cette question très importante
Le président : La parole est maintenant au chef Meeches, de la Première nation de Long Plain.
David Meeches, chef, Première nation de Long Plain : Je tiens à remercier les sénateurs de m'offrir cette occasion de parler de ce processus très complexe et très intéressant appelé « ajouts aux réserves ». Je salue les autres personnes qui sont ici aujourd'hui.
J'aimerais présenter ceux qui m'accompagnent : Tim Daniels travaille non seulement à nos projets spéciaux, mais aussi au processus des droits fonciers issus de traités; Vincent Kelly Perswain a travaillé pour Affaires autochtones, particulièrement dans le secteur foncier; notre aîné, Ernie Daniels, représente notre passé récent, il a autrefois été chef de notre collectivité et il a contribué à l'acquisition par notre Première nation d'un territoire assez vaste à l'extérieur de Portage la Prairie, séparé de notre collectivité.
Je vais expliquer un peu notre histoire pour ce qui est des questions foncières et des diverses conversions que nous avons effectuées en fonction des différentes politiques qui ont existé.
En 1994, j'ai eu l'occasion, à titre de membre du conseil, de signer notre entente sur les droits fonciers issus de traités. Je dois ajouter que notre point de vue sur la situation est propre à notre Première nation et découle des difficultés que nous avons éprouvées. En 1994, nous avons signé un accord sur nos droits fonciers issus de traités. Nous avons touché 16,5 millions de dollars pour combler un déficit d'un peu plus de 5 000 acres.
En 1998, nous avons commencé à acheter nos premiers terrains. Aujourd'hui, nous achetons encore des terres. Nous avons comblé un déficit foncier qui était de plus de 5 000 acres, dont 1 900 acres ont été constituées en réserves, et nous aussi nous avons des problèmes précis concernant les intérêts de tiers. C'est probablement l'aspect le plus épineux de tout ce processus.
Il y a environ cinq ans, nous avons acheté 2,4 acres dans les limites de la municipalité de Winnipeg. Le processus que nous avons dû suivre pour cela a été pénible, c'est le moins qu'on puisse dire, principalement à cause des intérêts de tiers. La municipalité nous a beaucoup aidés pour ce qui est des ententes de services municipaux que nous devions conclure afin d'obtenir un accord et une approbation de principe.
Il a été très difficile de régler les questions liées aux bâtiments voisins et à leurs propriétaires. Je ne fais pas de reproches au ministère, mais je crois que c'était un apprentissage non seulement pour la Ville de Winnipeg, mais aussi pour la région du Manitoba en ce qui concerne les « réserves urbaines », une expression que nous détestons. Cela n'a jamais été fait dans la province. Nous préférons parler de « zones de développement économique ». C'est ainsi que nous les appelons. Toutefois, la politique les désigne comme « réserves urbaines », et c'est ainsi que j'en parlerai ce soir.
Pendant le processus, nous devions entre autres rencontrer des citoyens de Winnipeg, en particulier ceux du secteur où se trouvent nos terres. C'était une condition. Nous devions leur donner la possibilité de nous poser des questions sur ce que nous allions faire des terres, dans l'immédiat et à l'avenir.
Nous avons répondu aux questions et accepté les critiques, et il y en a eu. Certains ont laissé entendre qu'on aurait le sentiment d'être dans une collectivité des Premières nations : il y aurait des chiens qui courraient partout; il y aurait des voitures garées ici et là, et des maisons délabrées. Nous avons toutefois clairement exposé nos plans dès le départ. Le zonage en vigueur là où nous avons acheté des terres conviendrait à ce que nous allions y faire. Nous n'avions pas l'intention de faire les choses différemment. Notre but était le développement économique, et c'est ce que nous avons expliqué. Toutefois, nous n'aurions jamais dû devoir nous asseoir devant des gens qui n'étaient pas des nôtres. Nous n'aurions jamais dû devoir demander à qui que ce soit autour de nous d'approuver nos intentions. Nous n'aurions jamais dû devoir demander cela à qui que ce soit, et nous ne pouvions pas vérifier si les gens qui étaient dans la salle étaient même des citoyens de Winnipeg. Toutefois, c'était une condition que nous devions respecter, et nous l'avons fait.
Nous avons aussi dû parcourir deux pâtés de maisons dans chaque direction au-delà de notre terrain et frapper aux portes pour expliquer nos intentions aux citoyens du secteur. En général, nous avons été bien accueillis — il y a eu très peu de réponses négatives. Nous l'avons fait. Nous avons suivi le processus à la lettre. Toutefois, à mon avis, l'application de la politique d'ajouts aux réserves est inégale non seulement de région en région, mais aussi dans la province du Manitoba, puisqu'il y a la distinction réserves « urbaine » et « non urbaine ». Ma définition de réserve urbaine et non urbaine est que dans la cité de Winnipeg, c'est urbain et ailleurs, ça ne l'est pas.
En 1984, quand notre aîné Ernie Daniels était chef de la collectivité, il a fait transférer à notre collectivité 45 acres voisines de la municipalité de Portage la Prairie qui ont été déclarées terres de réserve. Nous n'avons eu aucune difficulté liée à ces terrains ni à nos relations avec les citoyens de Portage la Prairie.
Quand nous achetons des terres agricoles voisines de notre collectivité, nous devons régler la question des taxes municipales, que nous payons depuis l'établissement d'une entente de services municipaux avec ces municipalités, des services que nous n'utiliserons jamais. Nous payons des taxes pour l'éducation. Cela n'entre pas en compte lorsque nous envoyons nos enfants à l'école à l'extérieur de notre collectivité, mais nous devons les payer. Pour ce qui est de Winnipeg, nous avons obtenu une approbation de principes et nous sommes très heureux de cette occasion de nous rapprocher de nos objectifs, mais la différence avec les 1 900 acres que nous avons fait approuver est qu'alors, le directeur général régional d'Affaires indiennes pour le Manitoba avait signé l'approbation de principe. Pour les terres que nous avons achetées dans la ville de Winnipeg, il a fallu que le ministre signe. C'est ce que je veux dire quand je parle d'application inégale de la politique.
Il a fallu un an pour conclure l'entente de notre collectivité sur les services municipaux, et deux pour obtenir une approbation de principe pour nos terres — c'est beaucoup trop long. Quand Ernie Daniels était chef de notre collectivité, il n'a pas fallu autant de temps et nous avons eu le statut de réserve.
Finalement, je crois que l'objectif ultime serait de définir un processus qui peut être équitable et uniformément applicable à tous les niveaux. J'ai eu l'occasion d'assister à une réunion historique, la Rencontre de la Couronne et des Premières nations, et j'ai bon espoir que quelque chose d'important va se produire dans les domaines de l'éducation, du développement économique et des terres.
Quand je regarde nos terres, à Winnipeg, je constate que ces trois aspects se trouvent réunis dans ce territoire au cœur de Winnipeg. Le lendemain de cette importante rencontre, j'ai appris qu'une évaluation environnementale était requise pour nos terres à Winnipeg, ce qui a encore retardé nos projets de six mois. C'était malheureux, mais ce sont les politiques que nous devons respecter, et je ne suis pas du genre à taper sur les tables. Je préfère communiquer. Toutefois, quand une politique vous entrave, vous et vos dirigeants, et freine vos progrès, il devient très difficile d'obtenir des résultats.
Je vous remercie à nouveau de m'avoir écouté. Meegwetch.
Le président : Merci.
Chers collègues, j'ai eu l'honneur de visiter la zone de développement économique de la Première nation de Long Plain à Winnipeg. Elle couvre 2,4 acres. La Première nation y a ouvert le collège Yellowquill et ce qu'elle fait là-bas est impressionnant. On nous a fait visiter toutes les installations, et c'est inspirant. Vous pouvez constater que ce que nous avons étudié en matière d'éducation est reflété dans ce qu'ils font, et c'est ce que le chef a souligné : l'éducation, le développement économique et les terres. C'est un projet remarquable, et les jeunes qui étaient là étaient très enthousiastes et participaient au processus d'apprentissage. Je sais bien que vous avez ajouté foi aux propos du chef, mais je voulais simplement vous faire part de mon expérience.
Sénateur Campbell, voulez-vous commencer?
Le sénateur Campbell : J'ai été très intéressé par la discussion sur les terrains à Winnipeg. J'ai été maire de Vancouver, alors ce que vous décrivez est essentiellement ce qu'un promoteur doit faire, du moins à Vancouver — les audiences publiques, la visite sur deux pâtés de maisons; mais ce qui m'intéresse vraiment, c'est lorsque vous dites qu'il n'y a pas eu de changement de zonage dans tout cela.
Je me demandais s'il y avait une différence entre les terres rurales et les terres urbaines, et bien sûr que oui. En milieu urbain, la différence des processus d'approbation entre les terres rurales et les terres urbaines ne vient-elle pas du fait que la ville relève de la province et ne peut pas signer ce document, c'est la province qui doit le faire à sa place? Est-ce que c'est le raisonnement qui explique la différence de signature par le fédéral et le provincial?
M. Meeches : Notre expérience dans la province du Manitoba est qu'aucune condition ne nous a été imposée relativement à la conversion de ces terres. Nous devons adopter un processus dans cette structure pour traiter avec le Manitoba, mais nous avons toujours eu l'appui du gouvernement provincial.
Quand je compare la Saskatchewan et le Manitoba, je dois dire que j'ai toujours cru qu'un processus éducatif s'imposait pour que les choses se fassent plus rapidement. On m'a dit d'aller parler à la Saskatchewan, mais la Saskatchewan n'est pas le Manitoba —- il y a des différences sensibles. On nous a toujours dit que d'innover au Manitoba allait toujours finir par profiter à quelqu'un d'autre, et parfois c'est difficile d'être celui qui dirige un processus quand tout ce qui suit devient facile. Je crois que c'est parce qu'il s'agit d'un nouveau concept à Winnipeg, et c'est la raison pour laquelle nous avons eu autant de difficultés.
Le sénateur Campbell : Ces terres, est-ce qu'elles deviendront des terres de réserve?
M. Meeches : Oui.
Le sénateur Campbell : Vous paierez des taxes?
M. Meeches : Nous avons payé des taxes avant la conversion. Nous payons des taxes maintenant, à hauteur de 50 000 $ par année. Au moment de la conversion, l'accord de services municipaux que nous avons conclu indique clairement que les frais demeureront les mêmes. Après la mise en valeur, il y aura une évaluation annuelle, et les frais augmenteront en fonction de la mise en valeur des terres.
Le sénateur Campbell : Il me semble que l'une des difficultés dans toute cette affaire est le manque de communication pour le ministre. Le ministère ne semble pas tirer de leçons de ce qui se passe en Saskatchewan, des réussites que l'on obtient là, au Manitoba ou en Ontario; c'est un peu comme s'il existait des cloisons administratives. Il ne semble pas y avoir de communication. Est-ce que cette observation vous paraît être juste?
M. Meeches : Malgré tout le respect que j'ai pour le ministre, je crois que tant que le processus laissera une certaine latitude aux régions, les choses seront difficiles. C'est lors d'une conversation avec un autre ancien chef que j'ai appris que cela c'était fait en 30 jours dans une autre province. Au Manitoba, pourtant, il nous a fallu trois ans. L'un des processus les plus complexes que nous menons actuellement est ce que l'on appelle le processus de désignation, et au moment d'acheter les terres nous avons dit que le zonage serait maintenu pour l'instant. Dans l'entente de services municipaux, la ville nous a demandé ce que nous allions faire et nous avons clairement exposé nos projets, mais lorsque le moment est venu d'enclencher le processus, tout s'est embourbé.
Le sénateur Campbell : Est-ce que la terre était libre de tout bâtiment?
M. Meeches : Non, il y avait un bâtiment qui devait être démoli, mais nous l'avons rénové.
Le sénateur Patterson : Merci de ces exposés intéressants. J'ai une seule question pour le chef Meeches, dans la foulée des questions du sénateur Campbell. J'aimerais savoir qui a exigé cette réunion avec le public, malgré le fait que vous mainteniez le zonage?
M. Meeches : C'était le conseiller du quartier où notre terre se trouve, le conseiller municipal, ce conseiller en particulier. J'imagine que les choses étant ce qu'elles sont en politique, que ce soit chez les Premières nations, au municipal, ou au fédéral... La Ville de Winnipeg se préparait à des élections, et je crois que ce conseiller voulait rencontrer ses électeurs pour être certain que leurs préoccupations seraient entendues, alors il a demandé que nous nous adressions aux citoyens pour lui.
Le sénateur Patterson : Il me semble que vous avez été soumis à un processus bien cavalier.
Parlons maintenant de l'Ontario. Je remercie le grand chef de son exposé.
J'ai quelques questions précises. Nous avons entendu un autre son de cloche du ministère, il y a quelques jours, sur la façon dont les choses se passaient. Vous nous dites que rien n'a vraiment progressé depuis le rapport plutôt acerbe du vérificateur général, en 2005. Vous avez parlé du guide de gestion des terres qui a été révisé en 2003 pour la dernière fois. Des témoins du ministère nous ont dit cette semaine qu'il y avait maintenant un guide des ajouts aux réserves — je crois que c'est ce qu'ils appellent une trousse, mais c'est en fait un manuel — qui a été réalisé à la suite de ces critiques. Êtes-vous au courant, avez-vous été informé?
M. Toulouse : J'ai parlé à deux chefs que j'ai rencontrés par hasard aujourd'hui, le chef Joe Miskokomon, des Chippewas de la Thames, et le chef Jim Bob Marsden, d'Alderville. Je leur ai demandé ce qu'ils faisaient pour les ajouts aux réserves dans leurs collectivités, et le chef Jim Bob Marsden m'a essentiellement répondu qu'en 1996, ils étaient déjà prêts à passer aux actes. Nous sommes en 2012 et il n'y a eu aucun changement. Selon lui, le bureau régional interprète ce manuel de 800 pages de façon à créer des difficultés pour les collectivités des Premières nations en termes de politique, de moyens de faire avancer adéquatement les dossiers et de convertir les terres qu'elles ont achetées pour les ajouter aux réserves en vertu d'un décret, et cela ne se fait pas.
Même s'il y a une trousse, le problème en Ontario, c'est que nombre de nos propositions sont ce qu'on appelle des propositions de catégorie deux, et ce sont les propositions de catégorie un qui semblent créer des obligations juridiques pour le gouvernement fédéral. Quand le ministère des Affaires autochtones a une certaine discrétion, les fonctionnaires au bureau régional sèment des embûches pour que les Premières nations ne puissent pas obtenir de décret afin de mettre en valeur les terres. Le chef Marsden a cité l'exemple d'un contrat de tarifs de rachat garantis qu'ils ont conclu en Ontario, avec le gouvernement ontarien. Ce contrat a été conclu en 2009. Il y a une entente avec les banques pour aller de l'avant, pour assurer le développement économique et la prospérité dont la collectivité a besoin grâce à l'investissement. Là encore, la région n'autorise pas la Première nation à demander un décret pour pouvoir terminer la transaction. Ce n'est qu'un exemple. C'est le troisième projet qu'ils présentent relativement à ces terrains depuis 1996. Celui-là est un véritable contrat, 20 ans avec le gouvernement provincial, mais il ne se passe rien.
L'autre exemple est celui que le chef Joe Miskokomon m'a fourni. Le chef Miskokomon est devant les tribunaux depuis 17 ans pour amener le gouvernement fédéral à reconnaître un ajout aux réserves. C'est la même chose. Il y a de belles perspectives économiques. Les Chippewas de la Thames se trouvent sur la route principale et il y a de l'activité économique dans la région. Ils sont à deux ou trois kilomètres de London, en Ontario, et c'est une importante route pour le transport. Il m'a dit qu'il y avait des possibilités manufacturières, que leur emplacement est très bien situé et qu'ils ont des possibilités. Toutefois, ils se heurtent à l'opposition du bureau régional d'Affaires autochtones, qui trouve des moyens d'écarter les projets. Ils sont devant les tribunaux depuis bien longtemps. Selon moi, si nous parlons de prospérité à long terme, le fait de faire dépenser aux Premières nations le peu d'argent qu'elles possèdent dans le système judiciaire ne créera pas de prospérité, cela crée le genre de dépendance entretenue depuis trop longtemps par la Loi sur les Indiens.
Le sénateur Patterson : Merci beaucoup. J'allais vous demander des exemples, mais vous avez devancé ma question.
J'ai une autre petite question. Vous avez parlé de difficultés liées aux intérêts de tiers et aux retards que le Canada accepte. Je me demande s'il y aurait lieu de recourir à des mécanismes de rechange pour le règlement des différends dans de telles situations, si les parties y sont disposées, on pourrait tenter une médiation ou un rapprochement. Je l'ai proposé aux fonctionnaires, il y a quelques jours.
Que pensez-vous de cette avenue pour régler les impasses, avez-vous d'autres suggestions?
M. Toulouse : J'utiliserai l'exemple de la collectivité d'Alderville, celui du chef Jim Bob Marsden. Il dit qu'ils se sont heurtés à ces obstacles. Comme exemple de charges à des tiers, il a dit qu'ils avaient le soutien inconditionnel du canton dans les collectivités des Premières nations. Il y a eu une élection, il y a deux ou trois mois, et l'un des candidats a déclaré qu'il fallait revoir la question. Il a dit qu'à plusieurs reprises ils avaient mené les projets avec un soutien inconditionnel. Pourtant, ils doivent encore recommencer. J'espère que ce soutien inconditionnel est encore là, mais il dit que c'est un autre obstacle qu'il doit franchir.
Selon moi, il n'y a pas de mal à utiliser un mécanisme de règlement des différends de rechange qui faciliterait ce genre de choses, à condition qu'il y ait des échéances et que le processus permette de les respecter. Je l'ai dit, dans un cas c'est depuis 1996, et dans l'autre, depuis 17 ans. Si un arbitrage ou un mécanisme de ce genre existait, je suis convaincu que les collectivités des Premières nations appuieraient cette solution pour régler les problèmes liés aux tiers.
Je ne sais rien. Je ne dis pas que ces problèmes n'existent pas, en particulier quand un grand nombre de questions liées à des tiers sont en jeu.
Le sénateur Raine : Merci d'être venus. C'est évidemment un dossier très complexe, parce qu'il est tellement différent dans les diverses régions du pays.
Chef Meeches, vous avez pu acheter vos terres parce que vous aviez réglé des questions en suspens, j'imagine, mais vous avez commencé en 1995. Évidemment, vous avez effectué des transactions portant sur différentes terres au fil des ans. Vous avez mentionné que vous aviez acheté des terres contiguës à votre collectivité, à Portage la Prairie, et que vous deviez payer pour des services que vous n'utiliserez jamais. Pourquoi n'avez-vous pas besoin de ces services?
M. Meeches : Dans notre collectivité, il y a 4 000 habitants. C'est petit, mais dans notre région nous sommes l'une des plus grandes collectivités, si vous la comparez à certaines des autres Premières nations. Nous avons de nombreux services que nous avons établis au fil des ans, par exemple, un service de lutte contre l'incendie. Nous avons une entente de services policiers à l'heure actuelle avec la ville de Portage la Prairie. Nous ne recourons pas aux services policiers autochtones; nous relevons de la municipalité de Portage la Prairie. Nous avons notre propre matériel d'entretien des routes.
Quand vous passez une entente de services municipaux, vous concluez une entente avec la municipalité qui vous fournira ces services. Évidemment, si vous avez cette capacité vous-même, vous n'avez pas besoin de ces services, et cela comprend l'équivalent de la taxe provinciale pour l'éducation.
Le sénateur Raine : Est-ce que vous ne pouvez pas négocier pour qu'on vous facture seulement les services que vous utilisez et pas ceux dont vous n'avez pas besoin? Cela serait logique.
M. Meeches : Permettez-moi d'aborder deux ou trois questions concernant les intérêts de tiers, et aussi de vous faire une recommandation.
Avant la conversion, la terre est achetée en vertu des droits fonciers issus de traités. À tous égards, c'est déjà une terre de réserve, selon nous, parce que nous utilisons nos droits fonciers issus de traités pour l'acheter. Au fond, ce sont des terres de réserve à nos yeux. Dès que nous l'avons payée, la terre nous appartient.
Il y a toutefois deux problèmes à cela. On nous a dit dans la région du Manitoba que ces terres, si elles étaient adjacentes à notre collectivité, n'entraîneraient pas de coûts pour le ministère, c'est-à-dire que nous n'obtiendrons jamais de financement pour elles. Il n'est pas possible de les mettre en valeur si elles ne se trouvent pas dans une zone agricole.
Je recommande qu'aussitôt que nous avons acheté la terre, nous obtenions l'approbation de principe pour la convertir en terre de réserve et que les intérêts de tiers soient réglés par la suite. Lorsqu'une municipalité sait que vous avez l'intention de convertir des terres en réserve, elle s'y oppose. Si elle s'y oppose, les terres ne deviendront jamais une réserve, comme c'est le cas à Winnipeg et pour les citoyens autour de nous. Tous les propriétaires d'édifices à côté de notre terre doivent y avoir accès pour reculer leurs camions. Vous êtes obligés de consentir à un accès mutuel.
Un jour, j'étais au téléphone, en train de négocier ces ententes, quand j'ai pris conscience de quelque chose. Je vis à Winnipeg. J'étais dans ma cour, je parlais à quelqu'un et j'essayais de lui faire comprendre que nous lui accorderions un accès. À ce moment, quelqu'un est entré pour tourner son véhicule dans mon allée. En tant que citoyen de Winnipeg, je ne suis pas tenu de laisser cette personne tourner son véhicule sur mon terrain. Toutefois, quand il s'agit de nos terres à Winnipeg, c'est ce qu'on nous demande. Cela complique les choses.
Les citoyens au voisinage de notre terrain se sont réunis et ils se sont dit : voilà une belle occasion. Nous pouvons faire un peu d'argent grâce à ces gens. Mettons-nous ensemble et adoptons une position unique. Si nous adoptons cette position, ils n'auront jamais le statut de réserve.
C'est ce qui s'est produit dans notre cas.
Aux fins de la conversion, l'approbation de principe devrait être accordée immédiatement. Le message serait alors communiqué. Quoi qu'il arrive, si toutes les conditions sont réunies, cette terre achetée par cette Première nation deviendra tôt ou tard une réserve.
Le sénateur Raine : J'imagine que du point de vue de la municipalité on s'inquiète de voir diminuer l'assiette fiscale.
M. Meeches : Les avocats de la ville ont clairement dit qu'ils ne voulaient pas que cela se produise. C'est pourquoi l'entente de développement et de services municipaux est fondée sur un barème de frais croissants qui correspondent aux taxes que la ville toucherait s'il n'y avait pas de réserve.
Le sénateur Raine : Précisément. Vous avez dit que ce n'était pas très agréable d'être le premier et d'ouvrir la voie.
M. Meeches : Non.
Le sénateur Raine : Évidemment, vous aiderez les autres à faire la même chose parce que tous veulent que les Premières nations puissent profiter du développement économique. Donc, cela va se poursuivre, et il faut espérer que les gens s'y habituent et cessent de vous créer des difficultés parce que cela ne sert à rien. Je vous félicite de ce que vous faites.
M. Meeches : Merci.
Le sénateur Dennis Glen Patterson (président suppléant) occupe le fauteuil.
Le président suppléant : Le sénateur St. Germain m'a demandé d'occuper temporairement le fauteuil.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Merci d'être venu. Est-ce que l'Ontario a des terres publiques qui sont réservées aux Premières nations?
M. Toulouse : Il y a des collectivités des Premières nations, particulièrement dans le Sud de l'Ontario, qui éprouvent des difficultés à cet égard. Dans le Nord, ce n'est pas un problème, mais il y a par exemple les Chippewas de la Thames, dans le Sud, qui ont acheté des terrains et qui paient des taxes. Ils disent qu'il faut instaurer des délais prescrits. Nous n'avons aucun service pour ces terrains, et nous ne sommes pas représentés au niveau municipal pour les terres que nous possédons. Les taxes que nous payons ne nous procurent absolument aucun service.
Ils disent qu'il faut instaurer un délai prescrit pour contrer la mauvaise volonté des bureaucrates à régler les questions et leur tendance à trouver toutes les occasions possibles dans ce manuel de 800 pages pour expliquer pourquoi ces obstacles nous empêchent d'ajouter des terres aux réserves.
Là encore, ce sont les Premières nations qui n'ont accès à aucune terre publique, et vous les trouvez principalement dans le Sud.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Si les terres publiques sont mises de côté pour les Premières nations, pourquoi n'y ont-elles pas accès? S'il n'y a pas de services, peut-être que les Premières nations en obtiendront un jour? Merci de votre réponse.
Pourquoi pensez-vous qu'il faut si longtemps pour régler les dossiers des Premières nations? Est-ce que la faute en est au gouvernement fédéral, au gouvernement provincial ou aux deux?
M. Toulouse : Selon moi, il n'y a pas de volonté sincère d'explorer les perspectives économiques, et il n'y a aucun engagement envers la prospérité à long terme. Ce que nous avons vu et ce que les chefs des Premières nations qui tentent d'ajouter des terres à leurs réserves ont vu, c'est que dans les bureaux régionaux, qui ont cette responsabilité et le pouvoir de régler la question on trouve des moyens pour ne pas le faire et on ne veut pas transférer de capacités au niveau communautaire. C'est la clé, et c'est important pour pouvoir relever certains défis, par exemple la Commission des affaires municipales de l'Ontario et l'harmonisation de divers règlements. Tout ce travail ne se fera pas sans capacité au niveau communautaire, et le gouvernement n'a pas non plus suffisamment de capacités au niveau régional pour le faire.
Les raisons et les excuses ne manquent pas, mais c'est principalement l'absence de capacité qui explique qu'il n'y a pas assez de progrès, pas assez de résolutions et pas assez de décrets.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Est-ce que vous dites qu'ils ne sont pas disposés à travailler avec les Premières nations dans ces dossiers?
M. Toulouse : Ils trouvent toutes les raisons possibles pour interpréter la politique de façon à ne pas autoriser les ajouts aux réserves en vertu de décrets, et c'est assez facile compte tenu des obstacles que j'ai mentionnés. Ils utilisent tout ce qu'ils peuvent. Par exemple, dès qu'il est question de développement économique, la proposition devient un projet de catégorie deux, et rien ne presse pour procéder à cet ajout.
Le président suppléant : Ce n'est pas ce que les fonctionnaires nous ont dit cette semaine. Merci pour ces questions et les réponses.
Le sénateur Meredith : Merci d'être venu aujourd'hui. Monsieur Meeches, merci de votre exposé. Je sens votre frustration, mais vous réussissez à garder votre calme malgré tout. Je vous en félicite. Je sais que ces situations sont pénibles, mais vous avez un but et vous êtes déterminé à jouer le jeu pour obtenir ce que vous voulez pour votre peuple. Je vous en félicite. Ce n'est pas toujours facile.
J'ai dirigé une entreprise pendant 21 ans, et la question du développement économique m'est particulièrement chère. Quand vous n'avez pas ces occasions et que vous voyez souffrir vos concitoyens, cela doit être frustrant, mais comme je l'ai dit, je vous félicite de ce que vous faites. Persévérez.
S'il y avait une parcelle de terre à côté d'une réserve et que vous vouliez l'ajouter à la réserve, en milieu rural, est-ce que vous suivriez le même processus?
M. Meeches : Non. Selon moi, le processus rural est beaucoup plus facile. Je dis cela parce qu'essentiellement, tout ce qui concerne la terre relève de la région. Le directeur régional d'Affaires autochtones et le service régional des terres traitent le dossier du début à la fin, jusqu'à l'approbation de principe.
En outre, les intérêts des tiers sont plus faciles à régler, parce que vous parlez de gouvernement municipal, alors qu'en milieu urbain, c'est très différent. Vous faites face à divers niveaux, le provincial, le fédéral et le municipal. Il est sensiblement plus facile d'effectuer une transaction qui vise des terres rurales, parce que c'est agricole.
Le sénateur Meredith : Comment réglez-vous les intérêts des tiers? Est-ce qu'il y a eu des possibilités pour vous dans un cadre urbain, comme vous dites —on parle de réserves urbaines, mais vous préférez parler de développement économique —, pour établir un partenariat avec la ville pour accélérer les choses? Y avez-vous songé?
M. Meeches : Tant que la politique peut intervenir dans le processus, les choses seront difficiles.
Comme je l'ai dit, nous avons dû organiser une rencontre publique. Je n'ai jamais demandé à personne pourquoi, mais nous avions le sentiment que c'était parce qu'il y avait une élection municipale en vue.
Les choses sont fort différentes selon l'endroit où vous vous trouvez. Dans le Sud du Manitoba, par exemple, il n'y a pas de terres publiques. S'il y en avait, nous traiterions avec le gouvernement fédéral et les choses seraient sensiblement plus faciles. Le transfert et la conversion de terres en réserve seraient très simples. Malheureusement, il n'y a pas de terres publiques et nous n'avons pas d'autre option que d'acheter des terres privées.
Je vais vous raconter une histoire, si vous le voulez bien. Dans notre coin, tout le monde sait que je m'appelle David Meeches et que je suis le chef de la Première nation de Long Plain. J'ai offert à quelqu'un d'acheter son entreprise, un terrain de golf. Il m'a répondu : « Vous venez de Long Plain, n'est-ce pas? », j'ai dit : « Oui, 6 millions de dollars. » Nous avons fait évaluer la propriété par l'entremise de notre société privée — elle valait plus de 6 millions de dollars. C'est un des principaux problèmes que nous avons. Dès qu'un propriétaire aux environs de Long Plain sait que nous cherchons des terres, la valeur augmente. C'est l'un des plus gros obstacles que nous avons. Quand nous réglons nos droits fonciers issus de traités, nous convenons d'un montant précis par acre. Tout à coup, nous achetons une terre qui a plus de valeur, et tous autour de nous sont là pour capitaliser. Tout à coup, les terres de tous nos voisins sont à vendre. S'il s'agissait de terres publiques, la valeur serait la valeur de la terre publique. C'est un sérieux obstacle pour nous.
Le sénateur Meredith : Que faites-vous dans ce cas, en termes de processus qui vous permet de dénoncer cette pratique discriminatoire? Ces gens exploitent vos besoins et les besoins des Premières nations d'agrandir leurs collectivités.
M. Meeches : La triste réalité — et c'est mon opinion —, c'est que pour les agriculteurs les choses sont de plus en plus difficiles. C'est triste, parce que nous savons aussi que la Première nation de Long Plain et de nombreuses autres Premières nations, toutes les Premières nations, seront toujours là. Toutefois, les terres des propriétaires fonciers changent de main. Les particuliers vont toujours finir par vendre leurs terres. Il suffit d'attendre. Mais quand il y a une échéance et qu'il faut acheter en vertu d'un traité la quantité de terres auxquelles vous avez droit, il faudrait pouvoir reporter cette échéance.
Le sénateur Meredith : Monsieur Toulouse, vous avez parlé des tarifs de rachat garantis, les TGR, et du programme de cette réserve particulière, dans la région de London.
M. Toulouse : Elle est plus près de Whitby ou d'Oshawa.
Le sénateur Meredith : D'accord. Je connais bien les programmes de TGR et de TGR pour microprojets d'énergie renouvelable. Sur le plan du processus, quelles sont les excuses que l'on vous donne et que l'on donne à ces personnes qui veulent stimuler le développement économique? Ces initiatives ne progressent pas assez rapidement pour créer des emplois pour les Premières nations et améliorer la qualité de la vie. Quelles sont les excuses qu'on vous présente?
M. Toulouse : Initialement, je parlerai d'Alderville, de ce contrat de TGR que j'ai mentionné.
En 1996, ils ont fait réaliser une étude de faisabilité en vue de créer un golf. Le bureau régional du ministère des Affaires indiennes n'a pas cru que c'était sérieux. La Première nation a dépensé beaucoup d'argent. Ensuite, elle a proposé un deuxième projet, un immense établissement thermal. Là encore, le ministère des Affaires autochtones a rejeté ce projet. À cette époque, le bureau régional du ministère des Affaires autochtones a dit au chef « Vous avez un projet de 25 millions de dollars; il vous faut une banque. Quelle banque vous accordera ce genre de prêt à long terme? » Pourtant, ils avaient déjà trouvé une banque. Quand vous avez un contrat de TGR avec la Commission de l'énergie de l'Ontario pour 20 ou 25 ans, c'est du concret, mais le fonctionnaire fédéral, parce que c'était un projet de catégorie deux, a dit que ce n'était pas une priorité. Il a à nouveau refusé de reconnaître que c'était une belle occasion pour la collectivité, il l'a empêchée de se lancer dans ce projet parce que le contrat et l'entente avec la banque, qui étaient déjà prêts à signer, ne lui semblaient pas assez concrets.
Le sénateur Meredith : Pouvez-vous nous donner le nom de cette personne, de ce fonctionnaire?
M. Toulouse : C'est quelqu'un au bureau régional de l'Ontario, mais je ne sais vraiment pas si...
Le sénateur Meredith : J'aimerais avoir une conversation avec cette personne, pour qu'elle m'explique pourquoi elle fait obstacle au développement économique.
M. Toulouse : Je peux vous dire qu'il y a un directeur régional et qu'il y a un service des terres. Je n'ai pas le nom ici; je ne sais pas si je devrais vous le faire parvenir.
Le sénateur Meredith : Faites-le-moi parvenir officieusement, ça ira.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
Le président : J'aimerais bien que vous ayez une conversation privée à ce sujet.
Le sénateur Meredith : Merci, monsieur le président; je vous suis reconnaissant de cet appui.
Au sujet de ces personnes qui veulent aller de l'avant et des obstacles que la bureaucratie vous impose, et cetera, je vois bien ce que vous voulez dire. Il est important d'éliminer ces obstacles le plus rapidement possible pour que nous puissions progresser, en particulier pour nos jeunes et pour créer des emplois.
Merci, monsieur Toulouse.
Le président : Je ne veux pas étouffer le débat, mais au sujet des politiques, il faudrait citer plus qu'un exemple, donnez-nous des exemples.
Le sénateur Sibbeston : Voilà ce qui manquait au comité! Il nous faut quelqu'un comme le sénateur Meredith pour obtenir des résultats.
Le président : Vous avez fait de l'excellent travail jusqu'à maintenant, monsieur.
Le sénateur Ataullahjan : Nombre de mes questions ont été posées et on y a répondu.
Chef Meeches, j'admire votre dignité et j'admire ce que vous faites. Comme vous l'avez dit, vous n'avez pas tapé sur la table, mais vous progressez. Je vous en félicite.
Il y a un plus grand nombre de projets d'ajouts aux réserves au Manitoba et en Saskatchewan qu'ailleurs au Canada. D'après le chef régional de l'Ontario, c'est parce qu'il s'agit de projets de catégorie un qui créent des obligations légales, par opposition aux projets de catégorie deux en Ontario, où la politique et le processus sont peut-être plus clairs. Est-ce que c'est bien cela? Qu'en pensez-vous?
M. Meeches : Je vais demander à M. Perswain de répondre à cette question.
Vincent Perswain, directeur exécutif, Fonds de fiducie, Première nation de Long Plain : Les projets qui comportent une obligation légale ont la priorité sur tous les projets d'ajouts aux réserves, et c'est sur quoi on concentre les ressources, pas les autres catégories. Les projets avec obligation légale passent en premier. C'est aussi simple que cela.
Le sénateur Ataullahjan : Les politiques sont plus claires dans ces provinces qu'en Ontario, est-ce que c'est cela?
M. Perswain : La politique sur les ajouts aux réserves est une politique du Canada, elle s'applique partout. Au Manitoba, en Ontario et en Colombie-Britannique, elle est partout la même. S'il y a une obligation légale, c'est ce qui a préséance. À mon avis, c'est la même chose partout; les retards sont les mêmes.
Le sénateur Ataullahjan : Dans tout le Canada?
M. Perswain : Oui; quand il y a une obligation juridique et pour les autres aussi.
Le sénateur Sibbeston : Je ne sais pas si vous, messieurs, savez ce qui se passe au ministère des Affaires autochtones, mais en septembre 2010, le ministère a publié un rapport final intitulé « Évaluation de l'incidence des contributions aux bandes indiennes pour la gestion des terres dans les réserves ».
Apparemment, ce rapport recommande entre autres que le ministère prépare un projet de loi national sur les ajouts aux réserves. Pensez-vous que l'acquisition de terres par les bandes serait facilitée par une loi régissant tout le processus pour acheter des terres et les ajouter à vos réserves? Y avez-vous pensé? Vous dites que vous êtes assujettis aux politiques et aux manuels et aux caprices des fonctionnaires fédéraux. Parfois, tout se passe rapidement, parfois, le processus est lent. Ce n'est pas uniforme. Il faut se poser la question : s'il y avait une loi régissant ce processus, est-ce que cela aiderait les Premières nations du pays?
M. Meeches : Eh bien, il n'y a pas à proprement parler de processus qui détermine comment les terres sont achetées. Elles sont toujours achetées de la même façon, que l'acheteur soit une Première nation, un individu ou une société. Le processus d'achat de terres est uniforme.
Toutefois, je crois que dans le cas des ajouts aux réserves, la difficulté ne vient pas de l'achat. C'est la conversion en réserve et les processus à suivre pour le faire qui créent des problèmes.
Pour ce qui est de la capacité, je peux vous dire qu'en matière de conversion, on m'appelle lorsque des difficultés se présentent. Que ce soit au niveau provincial, municipal ou de la ville, je traite directement avec les responsables; mais quand on se heurte à un aspect technique, je n'ai pas le temps de conférer avec le personnel du service et de parler de détails.
Je crois que pour le financement, il faut que le ministère vous envoie les gens, les agents de service de financement affectés à votre Première nation, pour qu'ils discutent avec vous de vos niveaux de financement. Je crois que pour que quelque chose s'améliore au ministère, il faudra augmenter l'effectif afin qu'il y ait plus d'agents des terres qui traitent directement avec les Premières nations, plutôt que quelques-uns qui administrent les demandes.
Je n'ai aucune idée, pour l'instant, du nombre de demandes actives au Manitoba. Par contre, si on me dit que le processus de la Première nation de Long Plain à Winnipeg est un processus accéléré, je répondrai que trois ans, ce n'est pas vraiment accéléré.
M. Toulouse : Je dirais d'abord que si une loi est adoptée, il faut que cela soit discrétionnaire pour les Premières nations. J'ai indiqué que les seules dispositions législatives existantes étaient celles de la Loi sur la mise en œuvre des ententes de règlement de revendications territoriales, et elles ne s'appliquent pas aux Premières nations de l'Ontario.
Si l'on opte pour la voie législative, j'ai mentionné dans mes notes qu'il fallait fixer des échéances pour le dépôt et la mise en œuvre. Il faut une meilleure planification stratégique du financement dans les bureaux régionaux, une façon d'évaluer les priorités en partenariat en tenant compte des propositions d'ajouts aux réserves des Premières nations. Cela signifie que les transactions et les coûts pourraient être déterminés en fonction des besoins.
Finalement, il nous faut des outils pour régler les questions liées aux tiers, y compris les ministères provinciaux qui ont des positions négatives. Il faut s'en occuper. Selon moi, cela signifie au moins atténuer le caractère discrétionnaire de ce qui se passe encore, la façon dont le ministère applique la politique à l'heure actuelle. Les fonctionnaires qui veulent empêcher les Premières nations d'avoir ce genre de perspectives économiques — je ne sais pas pourquoi — ont trop de latitude.
Le sénateur Demers : Monsieur Toulouse, vous êtes déjà venu témoigner par le passé, et mieux je vous connais et plus je vous respecte. Il est impossible de ne pas le dire.
Je vais vous poser une question peut-être un peu délicate. À en juger par tout ce que j'entends et à voir la passion manifestée par le sénateur Meredith, un homme très passionné, mais qui ne parle pas pour la galerie, est-ce qu'il y a du racisme dans cette situation, puisque tout est en place et que votre projet est totalement honnête? Pouvez-vous répondre à cette question?
Et M. Daniels, l'aîné, vous êtes resté bien silencieux. Vous suivez ces dossiers depuis longtemps. Aviez-vous prévu ce qui se passerait en 2012, dans votre histoire antérieure, jusqu'où nous pourrions aller? Je ne précise pas de délai. Constatez-vous des changements majeurs entre votre point de départ et là où nous en sommes aujourd'hui, en 2012?
M. Toulouse : Je répondrai d'abord par oui à la première question, à savoir s'il y a du racisme. Cela est systémique. Il y en a toujours eu.
J'ai été chef de ma collectivité avant de devenir le chef régional de l'Ontario. Pendant mes six mandats, je l'ai senti. Chaque fois que nous essayions de trouver des solutions pour progresser, nous nous heurtions à des obstacles. Il y avait toujours quelque chose qui empêchait les Premières nations de progresser.
Si j'ai décidé de devenir chef régional, c'était entre autres pour pouvoir examiner les politiques d'ensemble. Que pouvons-nous faire à ce niveau? Comme le dit le chef national, comment pouvons-nous enfoncer ces portes et permettre aux Premières nations de présenter leurs réponses? Elles ont toutes des réponses; elles ont toutes des solutions aux problèmes des Premières nations.
Ce n'est pas comme si elles n'y avaient pas réfléchi. Elles essaient de régler cela et elles ont des propositions concernant le genre d'autonomie gouvernementale et d'autodétermination qu'elles souhaitent, la nécessité d'établir les institutions dont elles ont besoin; mais tout est toujours bloqué, entravé par la politique du gouvernement, pour une raison quelconque, on semble vouloir interdire aux Premières nations de progresser.
Ernie Daniels, aîné, Première nation de Long Plain : Merci, chef, de m'avoir présenté. Avant de m'exprimer, je veux dire que je comprends que c'est un domaine public, une tribune publique. Je comprends que les fonctionnaires du ministère sont venus et ont fait un exposé. J'aimerais en voir la transcription — savoir ce qu'ils ont dit. Est-ce que nous pouvons l'avoir?
Le président : Oui. Nous vous la ferons parvenir. Je ne sais pas si elle est imprimée, mais c'est peut-être déjà fait. Nous vous l'enverrons par courriel, monsieur Daniels.
M. Ernie Daniels : À Long Plain?
Le président : Oui.
M. Ernie Daniels : Merci.
Je ne sais pas si ce sont des politiciens ou des juristes qui ont dit que justice différée était un déni de justice. Cela s'applique à nous également, peut-être pas devant les tribunaux, mais pour tous ces retards qui se produisent. Vous avez entendu le grand chef et mon chef parler de la lenteur de toute amélioration des conditions de notre peuple, du renforcement des capacités.
J'ai tracé un trait ici, pendant que j'écoutais ce que vous aviez à dire, vous et mon chef. Au cours des années 1970 et 1980 — c'est mon époque —, c'était une époque de bonne volonté, de poignées de main, de rencontres cordiales pour régler nos problèmes. Nous avions des griefs et nous avons obtenu satisfaction dans certains cas. À cette époque, ceux qui étaient au pouvoir ont anticipé ce qui allait se passer au niveau municipal, alors je leur ai parlé. Nous avons un terrain à Portage la Prairie, 43 acres de terres excédentaires. Nous avons négocié pendant le repas, et dans les six mois, nous avions la terre.
Quelque chose a toutefois changé dans les années 1980. Je ne suis pas membre d'un parti. Le NPD, les libéraux ou les conservateurs, pour moi, vous êtes tous semblables. Mais dans les années 1980, quelque chose a changé. Je ne sais pas ce qui s'est passé.
Je me souviens que le ministre des Affaires indiennes à l'époque a visité le Manitoba. Il encourageait les MOF, les modes optionnels de financement, quelque chose comme ça — le financement global. À l'une de ses réunions, il a déclaré qu'il n'y aurait plus de réserve créée au Canada. Je crois que c'est alors que la politique sur les ajouts aux réserves a été instaurée.
Le défunt Jim Gallo, un bon ami à moi, travaillait au ministère. Il travaillait pour nous, il cherchait des terres. « Vous savez chef, m'a-t-il dit, les ajouts aux réserves sont un cauchemar — un cauchemar pour les Premières nations et pour la bureaucratie. »
Quelqu'un a posé une question sur le racisme. Je ne suis pas très diplomate, comme mon chef, à bien des égards. Il dit que c'est systémique, institutionnalisé, envers les Premières nations et envers nos efforts pour améliorer la vie de nos enfants et celle de nos collectivités.
Je vois la frustration de nos chefs qui essaient d'améliorer nos vies, malgré une bureaucratie qui nous en empêche. Il y a des obstacles. Je le dis avec émotion. Les nouvelles nationales de CBC ont présenté une émission spéciale il y a deux ou trois semaines au sujet des réserves urbaines, mais elle portait principalement sur la Saskatchewan. Je crois qu'il y en a maintenant 49 qui ont été négociées — de petites parcelles de terre dans des cadres urbains, de bonne foi —, et 49 attendent d'être négociées. Au Manitoba, il y a quatre ou cinq Premières nations qui négocient actuellement des réserves en zone urbaine. Pourquoi? Mon grand chef — le grand chef de l'Ontario — et chaque région interprètent différemment cette politique. Le climat est très frustrant, c'est le moins qu'on puisse dire. L'attitude qui règne aujourd'hui et qui régnait dans les années 1990 n'existait pas dans les années 1970 et 1980, et nous obtenions des résultats. Nous avons créé le collège Yellowquill à cette époque et nous l'avons négocié sans problème. Nous avons obtenu nos premiers services à l'enfance et à la famille parce que nos enfants étaient adoptés à l'extérieur de l'État, du pays. Nous avons créé nos propres services à la famille.
Nous avons réalisé beaucoup au fil des ans, quand il y avait de la bonne volonté, mais cette bonne volonté a disparu. Je le dis au sujet des ajouts aux réserves. C'est un exercice très frustrant. C'est une politique frustrante. Selon moi, cette politique est parfois à la limite du génocide culturel.
Je remercie le sénateur qui a posé la question et qui m'a donné l'occasion de parler. Meegwetch.
Le sénateur Demers : Merci beaucoup. De la part de gens qui ont vécu des expériences difficiles — je ne les connais pas, mais je suis certain que vous en avez eu, au point où j'ai de la difficulté à vous regarder en face —, votre réponse est exactement celle que j'attendais.
Monsieur le président, sénateur St. Germain, pardonnez la question que j'ai posée au chef Toulouse. Je ne voulais pas créer d'embarras, mais c'est une question qu'il fallait que je pose. J'espère que vous comprenez. Merci beaucoup.
Le président : Ne vous en faites pas.
Chers collègues, je n'ai plus de noms sur ma liste. J'ai eu l'honneur de travailler avec le Manitoba et le grand chef Toulouse au fil des ans, en matière d'éducation et de développement économique, sous la direction du sénateur Sibbeston, quand il était président. Je comprends les frustrations et c'est ce que nous essayons de régler, monsieur Daniels. C'est pourquoi nous tenons actuellement ces audiences sur les ajouts aux réserves.
Nous sommes conscients des obstacles qui existent — inutiles dans bien des cas — et nous espérons pouvoir formuler des recommandations. Nos études ne sont pas partisanes. J'aime siéger ici et ne voir que des sénateurs canadiens qui travaillent pour le segment de la population que nous desservons, les Autochtones du Canada.
Je crois que notre travail porte fruit parce que nos recommandations sont prises au sérieux. Notre étude sur l'éducation, qui vient d'être publiée, a été très bien accueillie. Les personnes qui sont ici sont celles qui l'ont produite. Ce n'est pas un rapport conservateur, ce n'est pas un rapport libéral et ce n'est pas un rapport néo-démocrate. C'est le rapport de Canadiens sincères qui veulent pouvoir servir au Sénat. J'espère que nous pouvons vous aider et vous fournir des outils qui accéléreront le développement économique, pour que vos jeunes soient en mesure de participer au rêve canadien.
Je vous remercie d'être venus ce soir.
Le sénateur Meredith : Monsieur le président, je fais écho à ce que vous venez de dire et j'ai aussi eu l'honneur d'assister à la conférence des Premières nations. Permettez-moi de dire que vous avez des intervenants ici, à cette table. Ne perdez pas espoir. Il y a des personnes qui luttent pour apporter des changements au pays — en particulier notre président —, pour que tous les citoyens du pays soient traités équitablement, qu'ils aient accès à une vie de qualité, à l'éducation et à la santé, pour qu'ils aient des perspectives économiques. Notre premier ministre s'est engagé sur cette voie à l'occasion de cette rencontre.
Chef Meeches, vous avez dit que vous étiez un peu découragé par ces évaluations environnementales de six mois, et cetera. Continuez d'avancer, et sachez que vous avez des appuis à cette table. Nous sommes une même famille à cette table en ce qui concerne les enjeux des peuples autochtones. Je me range à ce qu'a dit le président. Continuez d'avancer. Vous avez des appuis. Bonne chance.
Le sénateur Demers : Bien dit!
Le président : La séance est levée.
(La séance est levée.)