Proceedings of the Standing Senate Committee on
Aboriginal Peoples
Issue 24 - Evidence - October 17, 2012
OTTAWA, le mercredi 17 octobre 2012
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 18 h 58 pour examiner, afin d'en faire rapport, la question de la reconnaissance juridique et politique de l'identité des Métis au Canada.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs et aux téléspectateurs qui suivent la réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, que ce soit sur CPAC ou sur le Web. Je m'appelle Gerry St. Germain; je viens de la Colombie-Britannique mais je suis originaire du Manitoba, et c'est moi qui ai l'honneur de présider ce comité qui réunit des sénateurs formidables. Notre mandat consiste à examiner les lois et les dossiers qui concernent les peuples autochtones du Canada de façon générale.
Aujourd'hui, nous allons entendre des témoignages sur le sujet dont nous avons été saisis, à savoir la reconnaissance juridique et politique de l'identité des Métis au Canada.
Lors des premières réunions consacrées à cette étude, nous avons entendu des exposés de divers représentants ministériels, qui ont fait le point sur les programmes et services actuellement offerts par le gouvernement fédéral, sur les relations entre l'État canadien et les Métis, et sur les principaux dossiers juridiques de l'heure, tout en nous fournissant un certain nombre de statistiques, entre autres.
[Français]
Avant d'entendre nos témoins, j'aimerais présenter les membres du comité présent ici ce soir.
[Traduction]
À ma gauche se trouve le sénateur Lillian Dyck, vice-présidente, qui vient de la Saskatchewan. À côté d'elle est assis le sénateur Larry Campbell, de la Colombie-Britannique.
À ma droite se trouve le sénateur Ataullahjan, de l'Ontario. À côté de lui, vous avez le sénateur Patterson, du Nunavut, puis le sénateur Nancy Greene Raine, elle aussi de la Colombie-Britannique. Ensuite, vous avez le sénateur Vernon White, lui aussi de l'Ontario. Enfin, et surtout, nous avons le sénateur Jacques Demers du Québec, notre célèbre entraîneur.
Chers collègues, je vous invite à vous joindre à moi pour souhaiter la bienvenue à nos témoins. Nous accueillons le président de l'Alliance des Métis de North Slave, William Enge. Bienvenue à vous, Bill. Il est accompagné de Christopher Devlin, conseiller juridique de l'alliance.
Messieurs, je crois que vous avez une déclaration liminaire. Je vous invite à être brefs, car les sénateurs auront certainement des questions à vous poser. Si vous êtes prêts, vous pouvez commencer.
William (Bill) A. Enge, président, Alliance des Métis de North Slave : Merci, monsieur le président. C'est un privilège pour moi de comparaître à nouveau devant un comité sénatorial. En effet, j'ai déjà eu cet honneur il y a quelque temps, et je suis heureux de me retrouver ici.
J'aimerais dire d'emblée que je suis heureux d'avoir la possibilité de vous présenter la position de l'Alliance des Métis de North Slave, au sujet de la reconnaissance juridique et politique de l'identité des Métis au Canada. C'est une question qui mérite assurément un examen approfondi par le Sénat.
Je m'appelle Bill Enge et je suis le président de l'Alliance des Métis de North Slave depuis 2004. Je suis accompagné aujourd'hui de mon conseiller juridique, Christopher Devlin.
L'identité des Métis est une question qui nous tient beaucoup à cœur car, très franchement, nous savons pertinemment qui nous sommes. L'Alliance des Métis de North Slave a fourni à l'État canadien et au gouvernement territorial ses documents fondateurs, les dossiers généalogiques de ses membres ainsi que les études d'ethnogenèse qui étayent l'histoire de notre communauté. Nous avons pour mandat précis de représenter notre communauté métisse, et pourtant, l'État canadien et notre gouvernement territorial ne sont toujours pas convaincus de notre existence.
Nous avons travaillé fort pour nous organiser et pour définir la communauté de l'Alliance des Métis de North Slave. Le document que nous avons fait parvenir à votre comité vous explique tout cela, et je m'en suis inspiré pour préparer la déclaration que je vais vous faire.
Ce soir, je vais vous donner un bref aperçu de notre communauté avant de vous parler des défis que nous rencontrons à cause de l'incertitude qui plane sur l'identité des Métis. Je conclurai ma déclaration en vous faisant six recommandations.
Premièrement, la constitution et le règlement de l'Alliance des Métis de North Slave excluent de notre organisation les Indiens inscrits au titre de la Loi sur les Indiens, car l'alliance ne représente que les Métis qui sont titulaires de droits ancestraux de la région du Grand lac des Esclaves et qui revendiquent des droits sur la rive nord du Grand lac des Esclaves. J'ai vu, sur le site Web de votre comité, que vous vous êtes rendus à Yellowknife début octobre. Yellowknife fait partie de notre territoire traditionnel. Aucune autre organisation n'est mandatée pour représenter les droits ancestraux de nos membres.
Deuxièmement, nos membres doivent faire la preuve que leurs ancêtres occupaient la région avant la date de la mainmise effective des Européens. À l'instar d'une bonne cinquantaine de nos membres, je dispose maintenant de documents généalogiques détaillés qui démontrent que nous avons pour ancêtre le célèbre fondateur des Métis de la région du Grand lac des Esclaves, François Baulieu II, alias « Le Patriarche ».
Enfin, des études universitaires, commandées par le ministère de la Justice du Canada, attestent que les Métis de la région du Grand lac des Esclaves occupaient déjà ces terres au moment de l'exploration de la région par Alexander Mackenzie et par les marchands de fourrures de la Compagnie du Nord-Ouest dans les années 1790, et que dès les années 1820, la communauté métisse était dynamique et se distinguait de celle des Indiens et de celle des Blancs.
Le défi qui se pose à l'alliance est le suivant : à l'heure actuelle, la communauté métisse de toute la région du Grand lac des Esclaves appartient au même groupe ethnique issu d'ancêtres communs. Pour autant, cette communauté s'exprime par la voix de deux grandes organisations, qui sont l'Alliance des Métis de North Slave, sur la rive nord du Grand lac des Esclaves, et la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest, sur la rive sud du Grand lac des Esclaves. Je me permets de signaler ici que jusqu'en 2002, la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest s'appelait Conseil tribal des Métis de South Slave, ce qui distingue encore mieux les deux organisations.
Le fait qu'une même communauté ethnique soit représentée par deux groupes distincts est tout à fait toléré par la common law. Cela dit, si vous avez des questions précises à poser à ce sujet, je vous invite à les adresser à mon conseiller juridique, Christopher Devlin.
Le problème auquel nous nous heurtons est que ni l'État canadien ni le gouvernement territorial n'acceptent de discuter avec nous. Ils ont décidé de dialoguer avec la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest, nos cousins de la rive sud, mais pas avec nous. Pourtant, le Conseil tribal des Métis de South Slave, comme il s'appelait à l'origine, et l'Alliance des Métis de North Slave sont devenus des entités juridiques à peu près à la même époque. L'État canadien et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest ne nous ont jamais dit pourquoi ils avaient décidé de dialoguer avec eux et pas avec nous. Tout cela est extrêmement frustrant.
L'incertitude qui plane sur l'identité des communautés métisses a des répercussions négatives sur nos membres. Le printemps dernier, nous nous sommes adressés à la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest dans le but d'obliger le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest à respecter le droit ancestral de nos membres de chasser le caribou. Cet automne, nous devons nous battre parce que nous sommes exclus des négociations sur le transfert des responsabilités, qui se déroulent entre l'État canadien, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et les organisations autochtones, y compris la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest. Quand on dit que l'identité des Métis n'est pas clairement définie, cela signifie, concrètement, que nos membres, les Métis qui occupent et exploitent la rive nord du Grand lac des Esclaves, sont le seul groupe autochtone dont les droits ancestraux ne sont pas reconnus dans les Territoires du Nord- Ouest.
Nous constatons que le gouvernement fédéral a déjà commencé à désigner les communautés métisses avec lesquelles il va dialoguer. Après la décision Powley en 2003, le ministère de la Justice a fait faire 15 études pour recueillir des données cruciales sur l'histoire des Métis, leur ethnogenèse et la date de la mainmise effective des Européens sur les 15 régions visées par ces études. J'ai déjà fait allusion, tout à l'heure, à ce rapport du gouvernement fédéral sur l'ethnogenèse des Métis de la région du Grand lac des Esclaves, dans les Territoires du Nord-Ouest. Les rapports publiés par le gouvernement fédéral contribuent à dissiper quelque peu l'incertitude qui plane sur l'identité métisse, mais il convient de préciser que ce dernier n'a pas jugé bon de nous informer de l'existence de ces études. Nous en avons été informés par hasard, en consultant le site Web de l'AADNC, et un employé de l'alliance a réussi à obtenir une copie de l'étude que le ministère de la Justice a faite sur notre communauté.
Je précise en passant que j'ai payé de ma poche la majeure partie de mes recherches généalogiques, mais que le rapport du gouvernement fédéral a conforté nos revendications en matière de droits ancestraux.
En conséquence, l'Alliance des Métis de North Slave recommande en premier lieu que le Canada achève le processus qu'il a commencé juste après la décision Powley en vue de l'identification des communautés métisses historiques de l'ensemble du pays.
En deuxième lieu, nous recommandons que le gouvernement fédéral soit sensible à la façon dont les Métis s'organisent pour exprimer leur identité et que, dans les analyses qu'il entreprend, il mette l'accent sur la façon dont la communauté ethnique s'organise pour revendiquer ses droits ancestraux.
Dans la décision Powley, la Cour suprême du Canada a statué qu'il fallait tenir compte de l'idée que se font les Métis du caractère distinctif de leur communauté. L'objectif n'est pas d'oblitérer la nature particulière de chaque communauté, mais plutôt de prendre acte de ces différences et de construire un système juridique et politique suffisamment souple pour que chaque identité puisse intégrer des passés différents. Nous en sommes un très bon exemple puisque nous avons l'Alliance des Métis de North Slave sur la rive nord, et la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest sur la rive sud.
Troisièmement, nous recommandons que le gouvernement fédéral élabore des directives enjoignant ses représentants de désigner les communautés métisses modernes sur la base des 15 études effectuées par le ministère de la Justice à partir de 2003, et d'autres études connexes.
Quatrièmement, nous recommandons que le gouvernement fédéral prenne contact avec ces communautés pour savoir comment elles s'organisent pour la défense de leurs droits juridiques et politiques.
Cinquièmement, nous recommandons que le gouvernement fédéral s'engage à dialoguer avec ces communautés, selon la façon dont elles ont choisi de s'organiser, à propos de toutes les initiatives qu'il décide d'entreprendre, qu'il s'agisse de consultations ou de négociations pour l'autonomie gouvernementale. Nous demandons en fait que le gouvernement fédéral achève ce qu'il a commencé en 2003.
Sixièmement, nous recommandons que le gouvernement fédéral mette à la disposition de ces communautés les fonds dont elles pourront avoir besoin pour produire les documents généalogiques et historiques nécessaires à la revendication des droits métis de leurs membres. Si le gouvernement fédéral exige ces documents pour pouvoir prendre une décision, il est logique qu'il aide les organisations métisses qu'il a lui-même désignées à les produire.
J'aimerais conclure en remerciant les sénateurs de prêter une oreille attentive à notre histoire et à nos commentaires. Nous vous invitons à proposer des contours fermes à une politique qui doit être souple et tenir compte des passés distincts et des identités modernes des Métis titulaires de droits.
Le président : Merci, monsieur Enge. Combien de membres votre communauté compte-t-elle?
M. Enge : Un peu plus de 500 personnes.
Le président : Ça comprend tout le monde?
M. Enge : Oui.
Le président : Quelle est la surface du territoire que vous occupez? S'agit-il de terres de la Couronne ou d'un établissement?
M. Enge : Les Métis résident dans les villes et les villages du Canada, à l'exception des communautés métisses de l'Alberta. Dans les Territoires du Nord-Ouest, les Métis habitent dans les collectivités. Là-bas, c'est un peu différent. Il n'y a que deux réserves indiennes, et les Métis ne font pas partie du système des réserves indiennes. Comme je l'ai dit, nous habitons dans les villes et les villages du Canada. En fait, un grand nombre de nos membres habitent à Yellowknife.
Le président : Existe-t-il un établissement qu'on puisse désigner comme l'établissement des Métis de North Slave? Je ne cherche pas à vous mettre sur la sellette, j'essaie simplement de visualiser la chose.
M. Enge : Votre question est tout à fait justifiée, sénateur St. Germain. Nous sommes établis depuis longtemps dans la région de North Slave, sur nos terres traditionnelles. À une époque, les Métis de la région étaient collectivisés et vivaient dans un endroit qu'on appelait Old Fort Rae; c'était un poste de la Compagnie de la Baie d'Hudson, et c'est là qu'on retrace l'origine des Métis de la région de North Slave. Old Fort Rae fut le premier poste de traite de la Compagnie de la Baie d'Hudson. En fait, avant la Compagnie de la Baie d'Hudson, il y avait la Compagnie du Nord-Ouest, qui avait elle- même succédé à la compagnie des Sioux. À l'époque de la traite de la fourrure, les Métis étaient regroupés dans plusieurs endroits de la région.
Le président : Parliez-vous le michif?
M. Enge : Absolument; les Métis parlaient le michif et d'autres langues. Comme vous le savez, les Métis étaient polyglottes. Ils parlaient le français, l'anglais, le michif, le dogrib et le chipewyan. Ils avaient la réputation d'être de bons interprètes et de bons transporteurs de fourrure. C'était assurément des polyglottes.
Le sénateur Demers : Je vous remercie de votre déclaration. Elle était claire et j'ai tout compris.
Vous dites que les droits des 500 membres de votre organisation ne sont tout simplement pas reconnus. Ça me paraît incroyable. Vous dites aussi que les études qui sont faites à votre sujet ne vous sont pas communiquées et que vous n'avez aucune identité. Ça doit être frustrant d'avoir des droits et de ne pas arriver à les faire reconnaître. À votre avis, pourquoi ne vous communique-t-on pas ces études et pourquoi refuse-t-on de reconnaître votre identité et vos droits?
M. Enge : Votre question en comporte trois. La première est de savoir si l'État canadien dispose de suffisamment d'informations pour décider que les membres de l'Alliance des Métis de North Slave sont titulaires de droits ancestraux, et j'affirme que oui. J'ai indiqué tout à l'heure que le ministère fédéral de la Justice avait entrepris une étude sur l'ethnogenèse des Métis de North Slave, c'est-à-dire des Métis de la région du Grand lac des Esclaves, et qu'il avait produit un rapport détaillé sur l'histoire et la généalogie des Métis de cette région. À notre avis, le ministère a suffisamment d'informations pour reconnaître que nous sommes titulaires de droits ancestraux en vertu de l'article 35.
Il a en main son propre rapport, auquel j'ai ajouté des documents sur ma propre histoire, y compris ma généalogie, des certificats de Métis, des certificats de baptême, des extraits de naissance ainsi que l'historiographie officielle de mon ancêtre, François Baulieu II, le très célèbre fondateur des Métis des Territoires du Nord-Ouest. D'ailleurs, le ministère du Patrimoine canadien a reconnu qu'il avait joué un rôle historique important dans la construction du Canada.
J'ai remis toutes ces informations et tous ces documents à l'État canadien et au gouvernement territorial, mais en vain. Nous nous heurtons constamment à un mur, ce qui est évidemment extrêmement frustrant, d'autant plus que nous leur avons fourni toutes les informations dont ils ont besoin pour reconnaître que nous sommes effectivement titulaires de droits ancestraux.
Puis-je vous demander de me rappeler votre deuxième question?
Le sénateur Demers : Vous avez dit que ces études ne vous étaient pas communiquées et qu'on refusait de reconnaître vos droits, ce que n'importe qui aurait beaucoup de mal à accepter. Que pour ce qui est de votre identité, ils ne vous en reconnaissent aucune, et que c'est comme si vous n'existiez pas. Ça doit être extrêmement frustrant.
M. Enge : Il est en effet très frustrant de voir que, pour l'État canadien, nous n'existons pas, surtout quand on se souvient que, parmi toutes les revendications qui concernaient les Territoires du Nord-Ouest, il y avait une revendication territoriale globale qui avait été présentée conjointement par les Dénés-Métis, mais que les négociations ont échoué dans les années 1990. Tous les Métis de la vallée du Mackenzie étaient inclus dans cette revendication, moi y compris. Mais quand le phénomène des revendications territoriales régionales est apparu, les Métis de Yellowknife ou de la région de North Slave, où j'habite, sont soudain devenus invisibles. C'est d'autant plus frustrant que, dans le passé, on comptait pour quelque chose, et que soudain, tout simplement parce que l'État canadien a décidé de modifier son approche vis-à-vis des droits ancestraux des Dénés-Métis, nous sommes devenus invisibles, contrairement aux Métis de toutes les autres régions. Nous sommes devenus invisibles, et nous ne comprenons pas pourquoi. Le gouvernement ne nous a jamais dit pourquoi il refusait de discuter avec nous, alors que nous lui avons fourni toutes les informations dont il a besoin pour reconnaître que nous sommes titulaires de droits ancestraux en vertu de l'article 35.
Christopher Devlin, conseiller juridique, Alliance des Métis de North Slave : Puis-je ajouter quelque chose? Nous ne savons pas vraiment pourquoi le gouvernement refuse de dialoguer avec nous, mais nous supposons que c'est parce qu'il ne conçoit pas que l'identité des Métis puisse être fondée sur des droits. Le dialogue qu'il a entamé avec les autres groupes de Métis semble être un choix politique qui, nous a-t-on dit, est antérieur à la décision Powley. Au lieu d'appliquer les critères Powley et de prendre en compte toute la communauté qui revendique des droits historiques et modernes, le gouvernement préfère choisir lui-même avec quel groupe il va négocier.
C'est un choix politique qui a été fait à un très haut niveau, et qui consiste à désigner le groupe de Métis qu'on préfère. Le gouvernement n'a fait aucune étude approfondie qui lui permette de conclure que, compte tenu des droits dont elle est titulaire, c'est avec telle communauté qu'il doit dialoguer. Au lieu d'appliquer les critères Powley — et de déterminer ainsi avec quels groupes il doit dialoguer, négocier et discuter de financement de programmes —, le gouvernement préfère s'en tenir à un choix politique qui remonte avant la décision Powley. Mais pourquoi?
Sénateur Dyck : Il y a quelque chose que je ne comprends pas bien. Je vais d'abord vous poser une question au sujet des certificats de Métis. Je crois qu'en 1921, si je me souviens bien, votre communauté a reçu de tels certificats. Vous ont-ils donné accès à un territoire que vous définissez comme le territoire métis?
M. Enge : Je vous remercie de votre question. Les Métis qui ont accepté des certificats fonciers habitaient généralement dans des régions du Canada où il était possible de faire de l'agriculture, par exemple en Alberta ou au Manitoba. Mais dans les Territoires du Nord-Ouest, les conditions n'y étaient guère propices. Mes ancêtres et d'autres membres ont accepté des certificats en argent, généralement d'un montant de 250 $. C'est comme ça que l'État canadien s'est imaginé qu'il pouvait rendre nos droits ancestraux obsolètes, mais nous savons bien qu'au départ, ces certificats n'étaient pas destinés à ça.
Le président : Pouvez-vous me dire si des documents confirment l'octroi de certificats de 250 $ à des Métis de votre région?
M. Enge : Oui, il y en a; j'ai une copie des demandes de certificat faites par mon ancêtre et des quittances correspondantes. Certains versements s'élevaient à 160 $, et d'autres, à 250 $.
Le sénateur Dyck : Je suis curieuse. En réponse à une question sur les régions où vous êtes installés, vous avez dit que la plupart des membres de votre communauté habitaient à Yellowknife.
M. Enge : Oui.
Le sénateur Dyck : Estimez-vous que votre territoire traditionnel recoupe celui des Premières nations tlicho, en totalité ou en partie? Est-ce qu'il y a beaucoup de chevauchements?
M. Enge : Je vous remercie de votre question. Effectivement, nous partageons les terres de cette région avec d'autres groupes. Nous avons des territoires dans la région de North Slave que nous partageons avec les Premières nations tlicho et akaitcho. Nous détenons un intérêt et un droit ancestral sur ces territoires. Nous n'y avons jamais renoncé. Nous demandons à l'État canadien de respecter nos droits ancestraux au même titre qu'il respecte ceux des Premières nations. Nous estimons que nous avons le droit de présenter des revendications territoriales au même titre que les autres Métis du Sud, que les Premières nations et que les autres Métis inclus dans d'autres revendications territoriales. La région du Sahtu, qui va du nord du Grand lac des Esclaves jusqu'à la vallée du Mackenzie, fait l'objet d'une revendication territoriale présentée conjointement par les Dénés-Métis. L'État canadien a déjà créé un précédent en reconnaissant que les Métis étaient titulaires de droits ancestraux et qu'il devait donc négocier une revendication territoriale avec eux. Je ne comprends donc pas pourquoi nous ne sommes pas traités de la même façon.
Le sénateur Dyck : Toujours sur le même sujet, vous avez dit que nous avions rencontré des représentants de la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest. Je me trompe peut-être, mais je ne suis pas sûre que les membres de cette organisation répondent à la définition de Métis qui figure dans la décision Powley. Pour ce qui est des membres de votre communauté, les Métis de North Slave, répondent-ils à cette définition?
M. Enge : Je vous remercie de votre question. Je vous affirme catégoriquement que nous répondons à cette définition.
Le sénateur Dyck : Vous y répondez?
M. Enge : Oui. Par contre, je ne peux pas vous dire si c'est le cas des membres de la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest. Vous avez dit que votre comité avait rencontré des représentants de cette organisation, mais encore une fois, ça montre bien comment nous sommes traités par l'État canadien, qui a décidé, avant même la décision Powley et les critères dont elle est assortie, que c'est avec la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest qu'il entreprendrait des négociations sur des terres et sur des ressources.
Le sénateur Dyck : Ces négociations ont eu lieu avant la décision Powley.
M. Enge : Oui, avant la décision Powley, et elles n'ont jamais été soumises aux critères rigoureux que l'État canadien applique aujourd'hui à l'égard de l'Alliance des Métis de North Slave. Nous nous sommes assurés que nos membres répondent aux critères de la décision Powley avant de revendiquer nos droits ancestraux. Nous avons fourni au gouvernement toutes les informations dont il a besoin pour reconnaître nos droits. Nous savions pertinemment que nous devions répondre aux critères Powley pour que le gouvernement puisse envisager de reconnaître nos droits ancestraux.
Le sénateur Dyck : Vous leur avez fait parvenir des preuves, mais leur avez-vous demandé une réponse? Vous ont-ils dit clairement que vous répondiez ou ne répondiez pas à la définition Powley?
M. Enge : Je ne peux pas m'empêcher de sourire car, comme je l'ai dit dans ma déclaration, nous avons dû nous adresser à la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest pour faire valoir notre droit ancestral de chasser le caribou. Autrement dit, pour détenir le droit ancestral de chasser le caribou, il faut que nous répondions à la définition Powley. Nous avons fourni cette information à l'État canadien, sachant quel critère juridique serait appliqué. Mais ce critère, et je parle de la définition Powley, n'est pas toujours appliqué de la même façon. Quand on voit comment l'État canadien traite les Métis de South Slave et comment il nous traite, c'est manifestement deux poids, deux mesures. Pour nous, c'est foncièrement injuste.
M. Devlin : Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest se défend en disant qu'il ne reconnaîtra pas l'alliance tant que l'État canadien ne l'aura pas fait. De son côté, le gouvernement fédéral dit qu'il ne reconnaîtra pas l'alliance tant que les tribunaux ne lui auront pas dit de le faire. Les tribunaux ne se sont pas encore prononcés. Voilà comment on réussit à faire traîner la construction de l'identité métisse, pour des raisons politiques, et pourquoi personne n'entreprend une véritable étude fondée sur nos droits.
Le président : Pourquoi ne vous joignez-vous pas à la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest?
M. Enge : Je vais vous le dire, sénateur. Il y a plusieurs raisons, mais permettez-moi de vous préciser d'emblée que la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest est engagée dans des négociations avec l'État canadien au sujet de terres et de ressources.
Leur entente-cadre — ils ont maintenant une entente de principe — indique expressément à quelles collectivités l'entente s'applique. Il s'agit, en l'occurrence, de Fort Smith, de Hay River et de Fort Resolution, à l'exclusion de Yellowknife. Nous n'avions donc pas d'autre choix que de former une organisation pour défendre nos propres droits, puisque nous n'étions pas inclus dans la communauté visée par cette revendication. Premièrement, nous vivons dans une collectivité séparée, au nord du lac, et nous estimons donc que nous sommes une entité séparée géographiquement par le lac. Deuxièmement, nous n'étions pas partie à leur négociation ou à leur entente sur des terres et des ressources.
Le président : Merci.
Le sénateur Raine : C'est très intéressant. Vous revendiquez des droits ancestraux sur un territoire traditionnel, mais ce territoire est aussi revendiqué par la Première nation tlecho. Est-ce que vous travaillez ensemble à la défense de cette revendication, ou bien est-ce que vous défendez chacun la vôtre pour le même territoire? Comment faites-vous? Vous êtes-vous réparti le territoire? Vous avez bien dû vous entendre, car c'est ce qu'il faut faire quand deux groupes revendiquent le même territoire.
M. Enge : C'est vrai, sénateur Raine, qu'il aurait été préférable d'avoir une entente à la satisfaction des deux groupes et de leurs droits ancestraux, mais ce n'est pas le cas. L'entente tlicho contient une clause qui équivaut à une clause dérogatoire. Si l'entente empiète sur les droits ancestraux des Métis, elle prévoit un mécanisme de règlement. Les deux organisations n'ont pas conclu d'entente officielle au sujet des terres qu'elles revendiquent toutes les deux comme leur territoire traditionnel.
Jusqu'à présent, l'entente tlicho n'a pas empiété sur nos droits, mais il y a un litige qui est en train de couver entre nos deux peuples. Il y a un certain temps, nous avons fait l'acquisition, en fief simple, du site d'Old Fort Rae, l'ancien poste de traite de la Compagnie de la Baie d'Hudson. C'est un site patrimonial et historique pour les Métis. Or, les terres visées par l'entente tlicho sont situées en plein milieu du site d'Old Fort Rae que nous venons d'acheter en fief simple.
Nous prétendons qu'il s'agit d'un territoire sacré pour nous, et il va bien falloir qu'on s'entende car nos ancêtres sont enterrés à Old Fort Rae, précisément sur des terres qui ont été incluses par les arpenteurs, l'été dernier, dans le territoire tlicho. Ils ont mis leurs lignes d'arpentage exactement là où reposent mes ancêtres. Il va falloir qu'on s'entende là- dessus.
Nous n'avons pas encore d'entente, mais, comme je vous l'ai dit, l'entente sur la revendication territoriale tlicho prévoit un mécanisme de règlement des différends.
M. Devlin : Sénateur, votre question rejoint un peu celle qui a été posée tout à l'heure au sujet de l'intérêt foncier. Le territoire traditionnel des membres de l'Alliance des Métis de North Slave chevauche souvent le territoire revendiqué par les Tlicho, mais l'intérêt foncier n'est pas seulement une question de titre. Les Métis sont de grands chasseurs de viande sauvage et d'excellents cultivateurs. Les droits qu'ils revendiquent âprement sont souvent des droits qui concernent l'utilisation de la terre. La plupart des traités modernes et des ententes définitives concèdent à toutes sortes d'usagers autochtones des droits de récolte non exclusifs. Quand ce genre de problème s'est posé en common law, vous avez pu constater que les droits ancestraux relatifs à la chasse, la pêche, le piégeage et l'utilisation des produits de la terre étaient des droits non exclusifs. Ce n'est que lorsqu'il est question de titre autochtone que l'exclusivité intervient.
Le sénateur Patterson : Je tiens à remercier nos témoins. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour regretter — en tous cas c'est ainsi que j'ai compris votre position — l'échec de la revendication territoriale globale des Dénés-Métis qui visait la totalité des Territoires du Nord-Ouest. J'étais en politique à l'époque, et je me souviens que ce n'était pas les Métis qui ont rejeté l'entente en ne la soumettant pas au vote de leurs membres, mais plutôt les Dénés. Une entente de principe avait été signée par le gouvernement du Canada, qui aurait permis le règlement d'une revendication qui englobait toute la vallée du Mackenzie. Ça aurait été un précédent pour les Métis du Canada, et ça aurait donné aux Dénés et aux Métis des droits ancestraux sur des terres et des ressources avant le début de la ruée vers le diamant. Le fait que cette entente ait échoué en plein milieu de la crise d'Oka a toujours été l'un des grands regrets de ma carrière politique. L'échec de l'accord du lac Meech a sans doute aussi été un facteur. Je voulais simplement dire que nous en subissons maintenant les conséquences, et que votre situation n'est qu'un exemple parmi d'autres.
Au cours de nos audiences, nous avons entendu diverses définitions du mot « Métis », dont une qui remontait à la vallée de la rivière Rouge et au territoire d'origine des Métis de la rivière Rouge. Je suis surpris d'apprendre que, d'après vos recherches, votre présence dans les T.-N.-O remonte aux années 1790. J'ai écouté ce que vous avez dit au sujet du célèbre François Beaulieu II.
Avait-il des liens avec les Métis des Prairies? Pouvez-vous nous dire quelques mots à ce sujet?
M. Enge : Volontiers. À l'époque, les Métis avaient la réputation d'être très mobiles. C'étaient des intermédiaires dans le commerce de la fourrure. C'étaient eux qui acheminaient les fourrures de l'intérieur des terres vers les métropoles du Canada. François Beaulieu a joué un rôle important dans le commerce de la fourrure. C'est lui, notamment, qui transportait les fourrures de l'intérieur des terres vers les villes. On a des documents qui le montrent en train de conduire des brigades de canotiers, comme les coureurs de bois métis et les voyageurs français. C'est le patrimoine dont les Métis ont hérité suite à leur participation au commerce de la fourrure et par leurs contacts avec les coureurs de bois et les autres Européens. À ce propos, on a des preuves que François Beaulieu emmenait des brigades jusqu'à l'Île-à-la-Crosse, en Saskatchewan. La Compagnie de la Baie d'Hudson et la Compagnie du Nord-Ouest avaient aménagé un certain nombre de dépôts où les Métis apportaient les fourrures qui étaient ensuite acheminées vers les villes. On a aussi des preuves que François Beaulieu non seulement est allé jusqu'en Saskatchewan mais qu'il a aussi conduit des expéditions dans les Rocheuses. Il était extrêmement débrouillard et entreprenant, comme la plupart des Métis en ces temps historiques du commerce de la fourrure.
En fait, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada a reconnu que François Beaulieu II était un personnage important dans l'historiographie métisse.
Le sénateur Patterson : Où est-il né, le savez-vous?
M. Enge : Il est né dans les Territoires du Nord-Ouest. Je ne sais pas où exactement, mais en consultant les documents historiques, j'en ai conclu que c'était dans la région de North Slave. Son père jouissait lui aussi d'une certaine réputation. On l'appelait François Beaulieu I, et c'est lui qui a accompagné l'expédition de Franklin le long de la rivière Coppermine. C'est à cette époque que François Beaulieu II est né.
Le sénateur Patterson : Vous avez parlé du litige qui couve avec les Tlicho. Je crois savoir que vous êtes actuellement en bisbille avec les Akaitcho, qui sont en train de négocier avec le gouvernement fédéral leurs droits sur certains territoires, mais comme vous l'avez dit, vous ne participez pas à ces négociations. Pourriez-vous nous dire ce qu'il en est avec les Akaitcho? Ils sont dans la région de Yellowknife, n'est-ce pas?
M. Enge : Je vais être très clair. Nous avons une excellente relation avec les Tlicho. Ce n'est que tout récemment, lors d'une audience de l'Office d'examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie qui examinait la possibilité d'exploiter une autre mine sur notre territoire traditionnel, que nous nous sommes rendu compte que nos intérêts convergeaient. Et depuis, nous collaborons très étroitement à la défense de nos intérêts dans ce dossier. La mine est proposée par la société Fortune Minerals, et il s'agit du projet NICO. L'Office d'examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie tient actuellement des audiences sur l'impact que l'exploitation de cette mine pourrait avoir sur le territoire traditionnel des Autochtones.
J'ai eu l'occasion d'assister aux audiences qui se sont tenues dans la collectivité de Behchoko, la plus importante collectivité tlicho, et de discuter avec le grand chef et tous les autres chefs des communautés. Nous avons constaté que nous avions beaucoup d'intérêts communs et que nous étions des alliés naturels pour défendre nos droits face à de nombreux projets, notamment celui-ci. Je suis convaincu que nous réussirons à trouver une entente en ce qui concerne le territoire sacré d'Old Fort Rae, où sont enterrés nos ancêtres; je suis sûr qu'on y arrivera.
Cela dit, s'agissant des Premières nations dénées d'Akaitcho, cette organisation a décidé de poursuivre la Nation métisse des T.N.-O., mais pas l'Alliance des Métis de North Slave. Nous sommes toutefois très déçus de ce qu'ils laissent entendre au sujet des Métis dans leur demande introductive d'instance, à savoir qu'il n'y a pas, dans les Territoires du Nord-Ouest, de Métis titulaires de droits en vertu de l'article 35. C'est d'autant plus insultant qu'il n'y a pas si longtemps, en 1990, nous travaillions tous ensemble dans le cadre de la revendication des Dénés-Métis. Et aujourd'hui, ils affichent à notre égard une attitude radicalement différente, voire hostile, et nous ne comprenons pas pourquoi. Car il faut bien comprendre que les Métis que je représente, nos cousins du Sud, sont tous titulaires de droits ancestraux en vertu de l'article 35. Comme je l'ai tout à l'heure, j'ai dû présenter des documents attestant de ma généalogie et de mon passé dans le cadre des poursuites que j'ai dû intenter contre l'État canadien, qui ne reconnaît pas le droit de nos membres de chasser le caribou. Les Métis de South Slave doivent aussi présenter ces documents, car ce sont eux que les Dénés d'Akaitcho poursuivent devant les tribunaux en prétendant qu'ils n'ont aucun droit ancestral et que, par conséquent, l'État canadien n'a pas à négocier d'entente sur les terres et sur les ressources avec eux. Ça ne tient pas debout.
On peut dire que notre relation avec la Première nation d'Akaitcho est marquée par l'indifférence. En fait, la communication n'est pas très bonne avec eux. Je n'ai pas les mêmes relations avec les chefs d'Akaitcho qu'avec les chefs tlicho. Je le regrette, et j'espère qu'un de ces jours, ils changeront d'attitude à notre égard. Je suppose que ça arrivera lorsque la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest statuera que les Métis de North Slave sont titulaires de droits ancestraux en vertu de l'article 35. À ce moment-là, ce sera réglé une fois pour toutes.
Le sénateur Patterson : Merci.
M. Devlin : À propos de notre ethnogenèse, les historiens nous disent qu'entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe, les Métis de la région du Grand lac des Esclaves coexistaient avec les marchands de fourrures européens et les Premières nations de la région. Voilà pour le groupe ethnique, et ensuite se sont créées les deux formations modernes, l'Alliance des Métis de North Slave, sur la rive nord, et la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest ou de South Slave. Les historiens sont très clairs à propos de cette ethnogenèse. Il se peut que certaines personnes soient venues de la rivière Rouge, mais c'était complètement indépendant de ce qui se passait à la rivière Rouge en ce sens que c'était une ethnogenèse unique, qui concernait essentiellement la région du Grand lac des Esclaves. Que ce soit le gouvernement des T.N.-O. ou les Akaitcho, les historiens sont pratiquement sûrs qu'il y a des concentrations de Métis autour du Grand lac des Esclaves depuis 200 ou 300 ans.
Le président : Certains de vos membres répondent-ils aux critères des Indiens inscrits, aux termes de la Loi sur les Indiens? Si oui, certains le sont-ils devenus?
M. Enge : Je vous remercie de votre question, sénateur St. Germain. Vous abordez là un sujet très délicat pour l'ensemble des Métis du Canada. Lorsque le projet de loi C-31 a été présenté, qui permettait aux Indiennes privées de leurs droits de retrouver leur statut, pour elles et pour leurs enfants, s'ils le désiraient, un grand nombre de ces femmes ainsi que leurs enfants s'étaient plus ou moins intégrés dans la société métisse, ce qui était la cause d'une grande consternation dans les Territoires du Nord-Ouest car il fallait tenir compte de la nouvelle situation.
En fait, un très grand nombre de nos membres avaient obtenu le statut d'Indien aux termes du projet de loi C-31. Nous avons réussi à savoir qui avait fait ce choix et nous avons déterminé que, si nous voulions faire valoir nos droits de Métis, il fallait que nos membres soient métis. Nous avons donc exclu ceux qui avaient obtenu le statut d'Indien. Nous n'acceptons pas les Indiens inscrits parmi nos membres.
À un certain moment, les organisations métisses ne savaient pas vraiment quoi faire de leurs membres qui avaient obtenu le statut d'Indien, et elles les excluaient généralement de façon discrète. Il fallait bien qu'elles réagissent. Nous avons finalement eu une réponse très claire à la question de savoir si une personne qui a obtenu le statut d'Indien pouvait à la fois être un Métis et un Indien.
Cette réponse nous a récemment été donnée par la Cour suprême du Canada, dans la cause Cunningham. La famille Cunningham, du Peavine Metis Settlement en Alberta, avait obtenu le statut d'Indien aux termes du projet de loi C-31, si bien que le Conseil métis de l'établissement avait privé de leurs droits les membres de la famille. Ces derniers ont alors annulé leur adhésion, et la Cour suprême du Canada a statué clairement que c'était légal. On ne peut pas être les deux à la fois, sauf si la communauté métisse l'accepte. Les Métis ont donc le droit de déterminer qui peut être membre de leur communauté, et si celle-ci refuse un membre qui a obtenu le statut d'Indien inscrit, celui-ci ne peut plus en être membre.
Nous estimons que les Métis ont le droit de déterminer qui peut être membre de leur communauté, et que la personne qui décide de devenir Indien inscrit court le risque de perdre son statut de Métis.
Le président : Vous avez dit que vous étiez 500. Combien sont membres de votre organisation?
M. Enge : Merci, sénateur. Il y a eu deux ans en janvier, nous avons fait le ménage parmi nos membres, et d'après nos dossiers, il n'y a plus un seul Indien inscrit. Notre constitution, notre règlement et notre formulaire de demande d'adhésion rendent la chose impossible. Que je sache, il n'y a pas d'Indiens inscrits, aux termes de la Loi sur les Indiens, parmi nos membres.
Le président : Combien l'Alliance des Métis de North Slave compte-t-elle de membres?
M. Enge : Environ 500.
Le sénateur Raine : Excusez-moi, mais je pensais que lorsque quelqu'un revendiquait le statut d'Indien inscrit, il ne pouvait pas redevenir Métis. C'est bien ainsi que vous l'entendez?
M. Enge : Oui, tout à fait. Je ne suis pas expert en la matière, mais je crois qu'aux termes de la Loi sur les Indiens, la décision est irréversible. J'ai entendu parler d'anciens Métis qui regrettaient d'avoir demandé le statut d'Indien inscrit et qui avaient essayé de revenir en arrière, mais ils ne le pouvaient pas.
Le sénateur Raine : Donc, quand vous dites que les communautés métisses doivent pouvoir accepter ou refuser des membres, ce n'est pas tout à fait exact puisque c'est irréversible.
Le sénateur Dyck : C'est le statut d'Indien inscrit qui est irréversible.
M. Enge : Permettez-moi d'apporter quelques précisions. Dans ce genre de situation, si la personne n'appartient pas à une bande indienne, qu'elle n'est pas partie à un traité ou à une revendication territoriale quelconque, et que c'est un ardent défenseur de nos droits et de notre communauté, nous pouvons très bien décider de l'accueillir dans notre communauté. Nous estimons avoir le droit d'accorder ce statut à ce genre de personne, à condition qu'elle ne se soit pas prévalue de ses droits ancestraux ailleurs.
Le sénateur Dyck : Vous avez dit que le gouvernement fédéral avait entrepris une étude sur les communautés historiques métisses, après la décision Powley? Avez-vous vu ce document? Savez-vous quelles collectivités il a identifiées? Ce document a-t-il été publié?
M. Enge : Je vous remercie de votre question. Si vous consultez le site d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, vous y verrez que le ministère a fait 15 études sur des collectivités dont ils donnent les noms. J'ai découvert cela tout à fait par hasard. C'est sur le site d'AADNC. C'est facile à trouver.
M. Devlin : En fait, c'est sur le site du ministère de la Justice qu'on peut trouver ce programme de recherche post- Powley sur 15 communautés métisses historiques possibles. On ne peut pas se procurer les rapports. Nous avons dû faire une demande d'accès à l'information pour obtenir le rapport concernant la communauté métisse du Grand lac des Esclaves. C'est uniquement parce que nous faisons partie de cette communauté que nous avons pu l'avoir. Ces documents ne sont pas publics. La seule information qui soit publique, c'est qu'ils ont entrepris des études là-dessus.
Le sénateur Dyck : Peut-être que le comité pourrait obtenir ces documents.
Le président : Nous pouvons en faire la demande si vous pensez qu'ils pourraient vous être utiles.
Le sénateur Dyck : Je pense que ça en vaudrait la peine.
M. Devlin : Nous pouvons vous faire parvenir une copie du rapport sur les Métis de la région du Grand lac des Esclaves.
Le sénateur Raine : J'aimerais poser une question au sujet de MÉTCOR et de toutes vos succursales. Est-ce que ces entreprises marchent bien? Nous savons que MÉTCOR est l'instrument de développement économique de l'Alliance des Métis de North Slave. L'alliance est-elle une association à but non lucratif? Et MÉTCOR, a-t-elle un but lucratif ou non? Comment ça marche?
M. Enge : Je vous remercie de votre question, sénateur Raine. Il est vrai que MÉTCOR est l'instrument de développement économique de l'alliance. L'alliance est une association à but non lucratif, alors que MÉTCOR est une société enregistrée en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. C'est donc bien l'instrument commercial de l'Alliance des Métis de North Slave.
Vous me demandez si ces entreprises marchent bien. Ça va, mais pas aussi bien que nous le voudrions. Nous sommes dans la phase de développement, et nos entreprises font tout juste assez d'argent pour survivre. Mais encore une fois, nous sommes dans la phase de développement.
Nous avons créé la société de développement parce que l'Alliance des Métis de North Slave se trouvait dans une situation unique en ce sens que nous avons, dans la région, trois ententes sur les répercussions et les avantages, comme on les appelle, en raison des trois mines de diamant qui y sont exploitées. Il fallait donc bien qu'une société de développement s'intéresse aux opportunités qu'offrent ces ententes. Nous participons à des discussions en vue de la signature d'autres ententes de ce genre.
Je ne sais pas s'il faut s'en réjouir, mais le fait est que les entreprises minières sont beaucoup plus sensibles à nos droits ancestraux que ne l'est l'État canadien, et quand nous discutons avec elles, c'est sur la base de nos droits.
Nous espérons que nos entreprises vont se développer au cours des années, et nous avons hâte de disposer d'une source de revenus indépendante qui nous aidera à faire ce que nous avons besoin de faire, comme intenter des poursuites contre l'État canadien lorsqu'il le faut. Vous savez sans doute que l'un des problèmes des Métis au Canada, c'est qu'ils ne reçoivent aucun financement de base du gouvernement fédéral, et pas davantage du gouvernement territorial d'ailleurs, pour créer leurs propres entreprises.
Le président : Merci. Le sujet de cette étude est l'identité des Métis, et nous aimerions savoir si vous avez quelque chose à ajouter qui pourrait nous aider à déterminer de façon plus précise ce qu'est un Métis. Je crois que la situation des Métis, dans votre région, est unique et complexe à la fois, et nous vous remercions de votre témoignage, qui était clair et instructif. Merci aussi d'avoir répondu à nos questions.
Cela dit, chers collègues, avez-vous d'autres questions à soulever?
Puisqu'il n'y en a pas, je lève la séance.
(La séance est levée.)