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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 37 - Témoignages du 8 mai 2013


OTTAWA, le mercredi 8 mai 2013

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs et au public qui regarde la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur la chaîne CPAC ou sur le Web.

Je m'appelle Lillian Dyck. Je suis sénatrice de la Saskatchewan et vice-présidente du comité. Je remplacerai notre président, le sénateur Vernon White, pour la première partie de la séance, parce qu'il est retenu à une autre réunion.

Le mandat de la séance est d'examiner de manière générale les lois et les questions relatives aux peuples autochtones du Canada. De temps à autre, nous invitons des personnes, des organismes et des ministères à venir nous donner un aperçu des enjeux dans leur sphère.

En 2010, le comité a publié un rapport intitulé Le chemin à parcourir : Rapport sur les progrès accomplis depuis les excuses présentées par le gouvernement du Canada aux anciens élèves des pensionnats autochtones. Dans le rapport, le comité exprime le souhait de demeurer au courant de la progression de cet enjeu. Étant donné que le mandat de la Commission de vérité et de réconciliation arrive à échéance, nous avons convenu que ce serait un bon moment pour faire un suivi à ce sujet.

Nous entendrons aujourd'hui les témoignages de représentants d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada qui s'occupent des enjeux relatifs à la Commission de vérité et de réconciliation. Chers collègues, accueillons maintenant les représentants d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada. Nous avons Andrew Saranchuk qui est sous-ministre adjoint, Résolution et affaires individuelles, et Aideen Nabigon qui est directrice générale, Convention de règlement, politiques et partenariats.

Avant de laisser la parole à nos témoins, j'aimerais profiter de l'occasion pour demander aux membres du comité présents de bien vouloir se présenter.

La sénatrice Raine : Sénatrice Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Tannas : Sénateur Scott Tannas, de l'Alberta.

La sénatrice Seth : Asha Seth, de Toronto, en Ontario.

La sénatrice Eaton : Merci de votre présence ce soir. Nicky Eaton, de l'Ontario.

Le sénateur Demers : Merci de votre présence ce soir. Jacques Demers, du Québec.

Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénatrice Lovelace Nicholas, de la Première nation de Tobique, au Nouveau- Brunswick.

La vice-présidente : Chers témoins, je vous laisse faire votre exposé, puis les sénateurs vous poseront des questions. Allez-y.

Andrew Saranchuk, sous-ministre adjoint, Résolution et affaires individuelles, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : Honorables sénateurs, je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd'hui pour discuter des progrès réalisés par le Canada relativement à ses obligations à l'égard de la Commission de vérité et de réconciliation. Mes remarques porteront sur le travail qu'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada a entrepris, tandis que nous nous approchons de la dernière année du mandat quinquennal de la commission.

La Commission de vérité et de réconciliation du Canada a été créée en 2008 après l'adoption de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens approuvée par les tribunaux. Le mandat de la commission et les obligations du gouvernement à l'égard de la commission sont énoncés dans la convention de règlement proprement dite, qui a été négociée et acceptée par un conseiller juridique représentant les anciens élèves, un conseiller juridique représentant les Églises, l'Assemblée des Premières Nations, ainsi que des représentants inuits et le gouvernement du Canada.

En date du 31 mars 2013, près de 99 p. 100 des 80 000 anciens élèves que l'on estimait admissibles ont reçu leur indemnité du Paiement d'expérience commune, pour un versement total de près de 1,6 milliard de dollars. Il s'agit de paiements qui sont versés aux anciens élèves admissibles qui ont résidé dans un pensionnat indien nommé dans la convention de règlement. Les anciens élèves admissibles reçoivent 10 000 $ pour leur première année, ou une partie d'année, de fréquentation d'un pensionnat indien nommé, puis 3 000 $ pour chaque année subséquente, ou partie d'année.

De plus, dans le cadre du processus d'évaluation indépendant portant sur des allégations de sévices physiques et sexuels, un peu moins de 38 000 demandes ont été reçues avant la date d'échéance du 19 septembre 2012. Plus de la moitié de ces demandes ont déjà été réglées. Notamment, plus de 16 000 demandeurs ont reçu un paiement jusqu'à maintenant, pour un versement total d'environ 1,9 milliard de dollars.

Le gouvernement reconnaît les torts causés aux enfants autochtones dans les pensionnats. Comme l'a indiqué le premier ministre lorsqu'il a présenté des excuses historiques en 2008, le placement des enfants dans ces pensionnats, loin de leur famille et de leur communauté culturelle, dans une tentative vaine de les dépouiller de leur culture et de leur patrimoine, a eu des conséquences durables qui se font encore sentir aujourd'hui. Le Canada est résolu à favoriser la réconciliation, ainsi qu'à renouveler et à renforcer la relation entre les Autochtones et les autres Canadiens.

En plus de ses autres obligations en vertu de la convention de règlement — et je viens d'en mentionner quelques- unes, le Canada a plusieurs obligations précises à l'égard de la commission. Premièrement, le gouvernement est tenu de veiller à la participation de représentants de haut niveau du gouvernement à chacun des sept événements nationaux de la commission. Deuxièmement, le Canada est tenu de divulguer à la commission tous les documents pertinents à son mandat d'une manière organisée. Et troisièmement, en ce qui a trait à l'initiative de commémoration, la convention de règlement décrit un processus par lequel la commission peut recevoir des propositions et formuler des recommandations au Canada en matière de financement. Le Canada s'acquitte de chacune de ces obligations et, dans certains cas, est allé au-delà des exigences énoncées dans la convention de règlement.

[Français]

Le mois dernier, à Montréal, la Commission de vérité et réconciliation a tenu le cinquième de ses sept événements nationaux.

Ces événements jouent un rôle important dans le processus de guérison en permettant aux anciens élèves de se réunir avec des représentants du gouvernement et des Églises, ainsi que d'autres Canadiens, pour raconter leur histoire et ainsi contribuer à une meilleure compréhension de ce qui s'est passé dans les pensionnats indiens.

Pour chacun de ces événements nationaux, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada a coordonné la présence fédérale, y compris la participation de Santé Canada, de Service Canada, de la Défense nationale, de Bibliothèque et Archives Canada et de la Gendarmerie royale du Canada.

Le ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien a participé activement à chacun de ces événements nationaux. Notre ministère a également organisé un kiosque fédéral afin de fournir des renseignements aux anciens élèves et aux autres participants à ces événements et de discuter avec eux.

[Traduction]

Le Canada a également posé des gestes de réconciliation à chacun des événements nationaux. Par exemple, le Canada a versé plus de 1 million de dollars pour couvrir les frais de déplacement et d'hébergement des anciens élèves qui participaient aux événements nationaux. De plus, le Canada a octroyé du financement à des organisations autochtones et d'anciens élèves pour faire la promotion de leurs diverses publications, les afficher et les distribuer à l'occasion des événements nationaux.

Comme vous le savez peut-être, l'obligation du Canada de transmettre les documents à la commission a fait l'objet d'un récent rapport du vérificateur général. Affaires autochtones et Développement du Nord Canada est d'accord avec le vérificateur général lorsqu'il affirme que le Canada et la commission peuvent collaborer plus étroitement pour satisfaire aux exigences en matière de communication de documents établies dans la convention de règlement.

Jusqu'à maintenant, le Canada a transmis environ 3,5 millions de documents, dont des documents historiques provenant de Bibliothèque et Archives Canada et des documents actifs et semi-actifs d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada et d'autres ministères. Tous ces documents ont été numérisés et fournis à la commission en format électronique.

Le Canada n'a pas initialement transmis les documents conservés par Bibliothèque et Archives Canada, étant donné qu'il a une interprétation différente de son obligation prévue dans la convention de règlement de celle de la commission. L'interprétation du Canada était qu'il était tenu de remettre à la commission tous les documents actifs et semi-actifs pertinents, c'est-à-dire les documents qui n'ont pas encore été transférés à Bibliothèque et Archives Canada, et de lui donner seulement accès aux documents conservés par Bibliothèque et Archives Canada. Sur la base de cette interprétation, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada a concentré ses efforts à travailler avec d'autres ministères fédéraux pour veiller à ce que presque tous les documents actifs et semi-actifs pertinents soient mis à la disposition de la commission d'ici juillet 2013. Le Canada est en voie de respecter ce délai.

En ce qui concerne les documents conservés par Bibliothèque et Archives Canada, la commission n'était pas d'accord avec l'interprétation que donne le Canada à cette obligation et a demandé l'avis des tribunaux en avril 2012. Le 30 janvier 2013, la Cour supérieure de justice de l'Ontario a clarifié l'obligation concernant les documents conservés par Bibliothèque et Archives Canada et a ordonné au Canada de remettre de façon structurée tous ces documents, selon les principes du caractère raisonnable et de la proportionnalité.

Dans la foulée de cette décision, au cours des trois derniers mois, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, la commission et Bibliothèque et Archives Canada ont donc entrepris de mettre en commun leur savoir afin de déterminer l'ampleur du matériel des archives qu'il faut examiner. Cette étape est essentielle, car elle permettra d'élaborer un plan clair qu'on pourra mettre en œuvre avant que les chercheurs commencent à examiner le contenu des dizaines de milliers de boîtes conservées à Bibliothèque et Archives Canada. Cet effort de collaboration a porté ses fruits et devrait permettre de réduire au minimum le temps et les coûts nécessaires pour produire tous les documents pertinents au mandat de la commission.

[Français]

Nous avons également travaillé avec la commission au projet de commémoration de 20 millions de dollars prévu dans la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Ce projet permet aux anciens élèves, à leur famille et à leur collectivité de rendre hommage aux victimes, d'honorer leur mémoire, mais aussi de sensibiliser la population aux expériences qu'elles ont vécues dans les pensionnats, de s'en souvenir et de les commémorer en reconnaissant les conséquences systémiques de ces pensionnats.

Affaires autochtones et Développement du Nord Canada et la commission sont conjointement chargés de l'élaboration et de la mise en œuvre de la commémoration. Tous les fonds ont été alloués à 144 organisations principalement autochtones et seront dépensés d'ici mars 2014.

[Traduction]

Au-delà des obligations juridiques que je viens de mentionner, le Canada a également versé à la commission une somme de 8 millions de dollars en financement qui s'ajoute aux 60 millions de dollars accordés aux termes de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens pour assumer le coût de l'administration d'un ministère fédéral. De 2008 à 2013, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada a aussi fourni annuellement des services administratifs et ministériels à la commission, soit une contribution valant jusqu'à 1 million de dollars, pour un maximum de 5 millions de dollars sur cinq ans. Cet engagement a récemment été prolongé jusqu'en juillet 2014 afin de couvrir le salaire de cinq employés.

De plus, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada travaille étroitement avec la commission afin de l'aider à préparer, à traduire et à distribuer son rapport définitif. Le Canada est résolu à fournir un soutien financier à la commission dans cette entreprise.

En 2012, la commission a publié un rapport préliminaire. J'aimerais souligner que le Canada a déjà donné suite à bon nombre des recommandations formulées dans le rapport. Par exemple, comme l'a recommandé la commission, nous avons envoyé une copie des excuses complètes présentées par le premier ministre à quelque 18 000 écoles primaires et secondaires du pays.

Depuis novembre dernier, les dirigeants de chaque partie de la convention de règlement, y compris les Églises et le gouvernement, se sont réunis régulièrement et ont cerné les domaines d'intervention prioritaires sur lesquels il faut concentrer les efforts pour aider la commission à exécuter son mandat. L'échelon le plus élevé de notre ministère s'est engagé à appuyer ces discussions qui sont devenues encore plus essentielles, étant donné que la fin du mandat de la commission approche.

[Français]

En conclusion, j'aimerais réitérer que la Commission de vérité et réconciliation est un élément important du processus de réconciliation entre les Autochtones et tous les autres Canadiens.

Nous sommes heureux de continuer à aider la commission dans l'exécution de son important mandat et d'honorer les obligations du Canada aux termes de la convention de règlement.

[Traduction]

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Madame Nabigon, avez-vous un exposé?

Aideen Nabigon, directrice générale, Convention de règlement, politiques et partenariats, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : Non. Merci.

La vice-présidente : Nous passerons donc aux questions des sénateurs.

Le sénateur Demers : Merci beaucoup de votre exposé. C'était très clair et très intelligible.

L'initiative concerne la réconciliation. Le Canada a-t-il fait quelque chose qui allait au-delà des exigences que les tribunaux lui avaient imposées aux termes de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens?

M. Saranchuk : En plus des obligations imposées par les tribunaux, dans l'esprit de la réconciliation, le Canada a soutenu la CVR de bien d'autres façons. J'en ai mentionné quelques-unes dans mon exposé. Nous avons versé 8 millions de dollars pour aider la CVR à assumer les coûts relatifs à l'administration d'un ministère fédéral. Nous avons versé jusqu'à 1 million de dollars par année pour aider la CVR en ce qui a trait aux services administratifs et ministériels. De plus, nous collaborons très étroitement avec la CVR en ce qui a trait à son rapport définitif.

Nous avons aussi versé plus de 1 million de dollars aux organismes autochtones pour leur permettre de payer les déplacements et l'hébergement d'anciens élèves pour qu'ils puissent participer aux évènements nationaux. Il y a déjà eu cinq évènements nationaux au Canada. Il est important que les anciens élèves puissent y participer, et le Canada a rendu le tout possible.

De plus, le Canada a commémoré la triste histoire des pensionnats indiens en installant un vitrail à l'entrée ouest du Parlement. L'œuvre d'art, qui a été conçue par Christi Belcourt, une artiste métisse de renom, offre aux parlementaires et aux visiteurs une occasion unique d'en apprendre davantage sur notre histoire. On espère que cela incitera les gens à se questionner sur le lourd héritage de ces établissements.

Dans ce contexte, nous avons également préparé du matériel pédagogique que nous avons envoyé dans les 18 000 écoles du pays pour expliquer les mesures prises par le Canada.

Le sénateur Demers : Merci beaucoup. C'est une bonne réponse.

La sénatrice Eaton : Dans son rapport intitulé Le chemin à parcourir, le juge Sinclair fait observer qu'en plus des mesures de financement que nous avons prises, « nous devons trouver un moyen de corriger cette mauvaise relation et d'établir une nouvelle relation saine. » Cela me semble être un défi de taille. Je suis certain que vous y avez réfléchi. Avez-vous quelque chose à nous dire à ce sujet?

M. Saranchuk : C'est une question difficile. Le mandat ou le rôle de la commission est très exigeant, et il faudra peut- être plus que cinq années pour en arriver à une réconciliation et mettre à jour la vérité. À mon avis, la réconciliation doit se faire à différents niveaux : au niveau collectif et, espérons-le, au niveau individuel.

Par l'entremise du programme Paiement d'expérience commune et du Processus d'évaluation indépendant, nous espérons traiter les demandes des anciens pensionnaires le plus rapidement possible pour qu'ils puissent, d'une certaine façon, se réconcilier au niveau individuel avec le gouvernement et les organismes religieux. Cela dit, j'aimerais mentionner que l'argent ne réparera pas nécessairement les torts qui ont été causés, et c'est pourquoi il s'agit d'une sorte de geste pour tenter de se réconcilier au niveau individuel.

Sur l'enjeu sociétal, qui est plus vaste, je crois que des membres de la Commission de vérité et de réconciliation viendront vous donner une présentation. Certains aspects de cet enjeu relèvent manifestement de leurs mandats.

La sénatrice Eaton : C'est un problème intéressant, et, quand j'ai lu le rapport, j'ai été très heureuse de constater que le juge avait eu une vision à long terme et qu'il avait pensé aux générations à venir. Je me demande si les gens de mon âge, ou même un peu plus jeunes, sont déjà trop vieux, et si nous ne devrions pas plutôt nous concentrer sur les plus jeunes et ceux qui fréquentent les écoles, qu'il s'agisse d'Autochtones ou non, pour créer un lien réel entre les prochaines générations de Canadiens.

M. Saranchuk : Je pense que vous avez tout à fait raison. C'est d'ailleurs le sujet abordé dans le cadre de ce que j'appelle la Réunion de l'ensemble des parties, où tous les chefs se réunissent une fois par mois ou tous les deux mois — tous les deux mois maintenant — pour discuter de ce genre de questions. Ils représentent divers groupes de travail qui préparent des comptes rendus. L'un d'eux se consacre à la diffusion externe et à l'éducation du public. Je suis certain que la commission et son président peuvent vous expliquer ce que font exactement les membres de ce groupe par rapport au programme que les provinces appliquent dans les différentes écoles. C'est d'ailleurs une des questions auxquelles ils consacrent beaucoup d'efforts.

Ma fille va à l'école, et je me demande parfois pourquoi elle n'y a pas entendu parler des pensionnats indiens.

La sénatrice Eaton : Ce qui s'est produit dans les pensionnats indiens a eu des répercussions très négatives. Cela dit, je siège au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, et plusieurs représentants des Premières Nations viennent, par exemple, nous parler de l'éducation et des forêts, selon le rapport sur lequel nous travaillons.

Si nous voulons avoir deux groupes d'élèves — les Autochtones et les non-Autochtones —, ils doivent commencer par reconnaître ou comprendre l'éducation que reçoit l'autre groupe. Autrement dit, nous ne voulons pas créer deux autres « solitudes », n'est-ce pas?

M. Saranchuk : Vous avez raison.

Mme Nabigon : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je pense que la réconciliation doit commencer à un assez jeune âge. La question des pensionnats indiens peut poser des difficultés aux jeunes enfants, mais nous disposons de plusieurs ressources. Nous avons par exemple le Programme d'information publique et de défense des intérêts. Affaires autochtones et Développement du Nord Canada a investi 28 millions de dollars au cours des sept ou huit dernières années. Nous avons également un partenaire autochtone qui s'appelle la Fondation autochtone de l'espoir. Nous lui avons donné du financement pour créer des projets destinés aux écoliers de tout âge qui ont connu beaucoup de succès auprès des enseignants. Nous poursuivons notre recherche de financement et nous en offrons un peu.

La fondation essaie également d'établir des partenariats dans les provinces pour s'assurer que chaque école à une copie des excuses. De plus, Affaires autochtones a récemment remis une trousse pédagogique à 18 000 écoles du pays. Elle contient les excuses, du matériel préparé dans le contexte du vitrail et d'autres outils pédagogiques que les enseignants sont heureux d'intégrer dans leur plan de cours pour s'assurer que les enfants ont au moins certaines notions de base au sujet des pensionnats.

La sénatrice Eaton : Et d'autres choses aussi, j'espère.

Les Autochtones mettent davantage l'accent sur certains sujets que les non-Autochtones. À l'avenir, j'espère que nous ne nous arrêterons pas aux pensionnats et que les générations apprendront l'une de l'autre. Je pense que c'est très important.

Mme Nabigon : Je suis d'accord.

La vice-présidente : J'ai une question supplémentaire à poser avant de passer à la sénatrice Lovelace Nicholas.

Madame Nabigon, vous avez parlé d'une trousse pédagogique conçue pour être intégrée aux programmes scolaires des provinces. Avez-vous préalablement vérifié si le sujet était déjà abordé?

Mme Nabigon : La Fondation autochtone de l'espoir a rencontré les ministres provinciaux. Il en était parfois question, parfois non. Comme vous le savez probablement, les connaissances des élèves par rapport à ce genre de choses diffèrent d'une province à l'autre. Les Territoires du Nord-Ouest, la Saskatchewan et Winnipeg, au Manitoba, ont fait du bon travail, mais chacun à sa façon. Les efforts en ce sens se poursuivent. C'est difficile pour certaines provinces, mais nous continuons de leur prêter main-forte, tout comme la Fondation autochtone de l'espoir.

La vice-présidente : Je viens de la Saskatchewan. Un des tout premiers voyages que j'ai faits en 2005 après avoir été nommée sénatrice était au centre d'amitié de North Battleford dans ma province d'origine. À ma grande surprise, on m'a donné le programme des pensionnats de la maternelle à la 12e année, que j'ai encore dans mon bureau. Je me demandais s'il est encore utilisé, car il a été amélioré.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Dites-le-moi si je me trompe, mais les survivants des pensionnats indiens devaient signer une sorte de décharge. Pouvez-vous me dire de quoi il s'agissait?

Mme Nabigon : Je ne suis pas certaine de savoir à quoi vous faites allusion, madame la sénatrice. Nous pouvons nous informer. Parlez-vous du Paiement d'expérience commune ou du Processus d'évaluation indépendant?

La sénatrice Lovelace Nicholas : La première fois qu'ils ont porté plainte, je crois que le gouvernement leur a demandé de signer une décharge pour éviter les poursuites, ou il a peut-être été indiqué qu'il s'agissait d'un génocide culturel. Bref, on leur a demandé de signer un document. Pourriez-vous le faire parvenir au comité?

M. Saranchuk : Un certain nombre de poursuites ont précédé la signature de la convention de règlement et sont à son origine. Étant donné que c'est un processus approuvé par les tribunaux, je suppose qu'il est assorti de documents à signer. Nous pouvons nous charger de trouver une réponse précise, mais je suis pas mal certain que c'est de cela qu'il s'agit.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.

J'ai été approchée par plusieurs Indiens qui ont fréquenté des externats. Ils estimaient ne pas avoir été représentés de façon équitable parce qu'on les a eux aussi empêchés de jouir de leur culture et de parler leur langue, et qu'ils ont également été victimes de discrimination et humiliés devant d'autres élèves. Pouvez-vous nous donner des explications à ce sujet?

M. Saranchuk : Le fait que la convention de règlement de 2007 s'applique seulement aux 130 pensionnats qui y sont énumérés et qu'elle ne tient pas compte d'autres établissements qui s'y apparentent constitue une des difficultés auxquelles on s'est souvent heurté.

J'insiste encore, la convention n'a pas été établie unilatéralement par le gouvernement fédéral, mais à la suite de négociations menées auprès des organismes religieux. On retrouve d'ailleurs à la fin du document la signature des représentants d'au moins 50 organismes religieux et de beaucoup d'avocats. Des représentants de l'APN et des collectivités inuites accompagnaient également ceux des organismes religieux et du gouvernement fédéral.

La liste comprenait 130 pensionnats. L'article 12 de la convention de règlement prévoit l'ajout d'établissements. Le Canada en a ajouté sept jusqu'à maintenant, et les tribunaux deux. Ces chiffres semblent raisonnables, et ils le sont, mais des demandes ont été déposées pour l'ajout de plus de 1 000 établissements. Il y a un certain nombre d'écoles qui peuvent sembler similaires aux pensionnats.

Conformément aux principes de l'article 12, les enfants doivent avoir été placés dans un pensionnat pour fins d'éducation par le gouvernement fédéral ou en vertu de son autorité, et le gouvernement fédéral doit au moins avoir été conjointement responsable du fonctionnement du pensionnat. Dans le cas des externats que vous avez décrits, madame la sénatrice, il n'y avait pas de pensionnaires. Les écoles administrées par les provinces ne sont également pas visées par la convention de règlement.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Ces écoles se trouvaient sur des terres fédérales situées dans des réserves.

M. Saranchuk : Je ne connais pas bien les circonstances, mais je conviens qu'un certain nombre de plaintes ont été présentées. J'aimerais juste ajouter qu'une bonne partie de ces plaintes sont devant les tribunaux, que ce soit pour ajouter les établissements concernés à la liste de la convention ou pour admettre un nouveau recours collectif. Certains établissements font souvent l'objet de demandes parce que les gens pensent qu'ils devraient être ajoutés à la convention de règlement.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je vous remercie de vos réponses.

La sénatrice Raine : Je sais qu'une école a été construite à Inuvik, qui était une ville plutôt nouvelle dans les années 1950. Elle avait deux pensionnats administrés par l'Église catholique et l'Église anglicane. Les élèves venaient du Nord des Territoires du Nord-Ouest et étaient pensionnaires. C'était une combinaison d'externat et de foyer. Est-ce que ce genre de foyers serait admissible dans le cadre du programme de la Commission de vérité et de réconciliation? Il est tout à fait possible qu'il n'y ait pas eu de problème dans ces établissements.

Mme Nabigon : Aucune distinction n'est établie dans le cadre des programmes de la Commission de vérité et de réconciliation. Pour ce qui est des événements nationaux et des autres événements que la commission organise, oui, tout le monde peut y participer.

Je ne veux pas parler au nom de la commission. Je pense d'ailleurs que vous avez invité certains de ses membres à comparaître. Cela dit, elle réserve sans aucun doute un bon accueil aux gens et elle encourage les élèves externes, qu'ils soient autochtones ou non.

La sénatrice Raine : Selon les critères de la commission, faut-il avoir fréquenté un pensionnat ou bien y avoir été pensionnaire?

Mme Nabigon : Je crois que vous parlez des programmes d'indemnisation.

Le sénateur Raine : Oui, c'est exact.

Mme Nabigon : Il faut satisfaire aux deux critères de l'article 12 de la convention de règlement.

La sénatrice Raine : Autrement dit, les salles de classe devaient être dans le même établissement que les dortoirs.

Mme Nabigon : En effet, il fallait vivre sur place. L'enfant devait être placé dans un pensionnat hors de son foyer en vertu de l'autorité du gouvernement fédéral, qui devait être conjointement ou exclusivement responsable du fonctionnement du pensionnat. Vous avez raison. Il fallait être pensionnaire.

Si j'ai bien compris votre question, la réponse est qu'il fallait vivre au même endroit où l'on allait à l'école.

M. Saranchuk : Si vous voulez nous donner le nom de l'école, nous vous reviendrons là-dessus.

La sénatrice Raine : C'est ce que je vais faire. Il s'agit de l'école d'Inuvik, mais il y avait deux pensionnats. Je ne sais pas si les enfants y ont été placés ou s'ils y étaient par choix.

La vice-présidente : Si je ne m'abuse, vous avez dit que des demandes d'ajout à la liste avaient été présentées pour plus de 1 000 établissements. Est-ce bien ce que vous avez dit?

M. Saranchuk : Oui, c'est ce que j'ai cru comprendre. Il s'agirait de plus de 1 000 établissements, près de 1 500.

La vice-présidente : C'est un nombre qui me semble très élevé comparé au 130 qui sont sur la liste.

Mme Nabigon : Cela comprend des écoles en Afrique du Sud, des collèges et des universités. Il y a eu beaucoup de demandes, y compris à propos d'externats — nous en avons parlé un peu tout à l'heure —, mais certains établissements ne correspondaient pas du tout à ce qu'on entend par pensionnat.

La vice-présidente : Les demandes ont-elles été présentées après la création de la liste officielle?

M. Saranchuk : Oui, la liste des 130 pensionnats. Les gens pouvaient ensuite demander si un établissement devait y figurer ou non.

Mme Nabigon : Au moment de sa signature en 2007, la convention de règlement comprenait initialement une liste de 130 pensionnats, et d'autres ont ensuite été ajoutés conformément à l'article 12. Certaines demandes sont encore devant les tribunaux, mais l'application de l'article a permis d'annexer neuf établissements à la liste.

Le sénateur Wells : Je ne suis pas certain de savoir à qui adresser cette question, et je vais donc vous laisser décider qui est le mieux placé pour y répondre. Nous nous souvenons tous très bien des excuses historiques formulées par le premier ministre. Elles ont été pour nous tous une source de soulagement et de gratitude en plus d'avoir sans aucun doute amélioré la relation entre le gouvernement et les peuples autochtones du Canada

Je sais que des sommes importantes ont été dépensées, mais comme l'a dit la sénatrice Eaton, pour réussir, une réconciliation d'une telle envergure doit s'échelonner sur plusieurs générations. Je sais que les programmes du gouvernement du Canada dépendent d'enveloppes budgétaires remises selon un échéancier qui ne tient pas compte de ce critère. Quel genre de problème cela pose-t-il lorsqu'on cherche des solutions durables à l'aide de programmes qui ne seront pas nécessairement financés pendant plusieurs générations?

M. Saranchuk : C'est une très bonne question. Il y a en effet des défis. En prévision de notre témoignage, nous sommes concentrés sur la Commission de vérité et réconciliation.

Je crois que vous avez raison; c'est là où je voulais en venir lorsque j'ai parlé des plus larges enjeux sociétaux. Le gouvernement fait de son mieux pour améliorer les conditions socio-économiques des Autochtones. Le comité le sait probablement mieux que quiconque, c'est un très grand défi, et on ne peut le relever du jour au lendemain. Je ne crois pas avoir une meilleure réponse à votre question.

Le sénateur Wells : Je vais la poser autrement : y a-t-il une stratégie à long terme qui va au-delà de l'enveloppe budgétaire et qui n'aurait pas encore été mise en œuvre?

M. Saranchuk : Le gouvernement fait de son mieux pour répondre aux besoins de financement. L'éducation est l'un des principaux objectifs du gouvernement, tout comme d'autres indicateurs sociaux et économiques; ils permettent d'accroître l'intégration des Autochtones au sein de l'économie, dans la mesure du possible, et d'améliorer leur situation socio-économique en général.

Le sénateur Wells : Les questions fondamentales?

M. Saranchuk : C'est exact. On répond d'abord aux besoins en matière d'éducation, d'accès à l'eau et de logement. Comme vous le savez, le plus difficile est de répondre à tous ces besoins en même temps.

La sénatrice Seth : Selon ce que je comprends, le vérificateur général a conclu que la Commission de vérité et de réconciliation et Affaires autochtones et Développement du Nord Canada n'avaient pas réussi à créer un dossier historique complet sur le système des pensionnats indiens et ses séquelles. Quand pourra-t-on atteindre cet objectif? Est-ce possible d'ici juillet 2014? Selon vous, combien de documents pertinents ont été présentés à la commission jusqu'à présent? Quels sont les coûts associés à l'achèvement du projet?

M. Saranchuk : Comme je l'ai mentionné, le Canada n'a pas interprété la question de la communication des documents conservés à Bibliothèque et Archives Canada de la même façon que la commission.

Je devrais préciser qu'il y a habituellement deux catégories de documents. Certains sont conservés dans les ministères et sont utilisés couramment, se trouvent dans des classeurs semi-actifs ou seront bientôt transférés vers les archives. Depuis 2010, le ministère des Affaires autochtones coordonne le rapatriement de ces documents à la commission, et nous avons beaucoup progressé. À l'heure actuelle, 1,5 million de documents lui ont été transmis par les ministères. Nous devrions atteindre notre objectif visant la transmission de tous les documents actifs et semi-actifs à la commission d'ici juillet, donc un an avant la fin de son mandat.

C'est au sujet des documents de Bibliothèque et Archives Canada que nous avons eu une interprétation différente. Selon notre interprétation de la convention de règlement, nous devions rassembler les documents actifs et semi-actifs, mais nous devions uniquement fournir à la commission un accès à Bibliothèque et Archives Canada. Le tribunal nous a dit que nous avions tort. Nous travaillons très fort à l'élaboration d'un plan en collaboration avec la commission, pour nous permettre de communiquer les documents.

Ce sera difficile, comme vous pouvez l'imaginer. On parle de documents accumulés depuis plus de 100 ans à Bibliothèque et Archives Canada. Pour vous donner une idée du défi que cela représente — et le rapport du vérificateur général en fait mention —, si on mettait côte à côte les boîtes qui contiennent des documents potentiellement pertinents, elles s'étendraient sur 20 à 24 kilomètres. On ne peut pas les ouvrir une par une; cela prendrait trop de temps. Notre objectif consiste à travailler en collaboration avec Bibliothèque et Archives Canada et la Commission de vérité et réconciliation pour examiner les catalogues des documents, qui datent des années 1800, 1900 et 1950, pour voir si on peut en réduire la quantité. Nous achevons un exercice de définition de la portée réalisé en collaboration avec la commission qui, nous l'espérons, permettra de réduire le nombre de documents de façon importante.

Lorsque cela sera fait, nous déterminerons les coûts puis nous demanderons les fonds nécessaires et nous entamerons le projet de communication des documents à la commission. Ce ne sera pas facile. Il y en a beaucoup, mais nous nous engageons à les communiquer conformément à la décision du tribunal.

La vice-présidente : Quand connaîtrez-vous la portée du projet?

M. Saranchuk : Très bientôt. La commission devrait nous soumettre très prochainement, pour les derniers commentaires, le document que nous avons élaboré conjointement. Nous déterminerons ensuite les coûts puis nous passerons aux prochaines étapes du projet.

Je tiens à dire que nous avons travaillé fort. Comme vous pouvez l'imaginer, lorsque les ministères ont transmis leurs boîtes de documents à Bibliothèque et Archives Canada, ils n'ont peut-être pas précisé qu'elles contenaient des renseignements sur les pensionnats indiens, surtout si ce n'était pas le ministère des Affaires indiennes ou autochtones. Ils ont probablement inscrit qu'il s'agissait de documents sur les ressources humaines, ou quelque chose du genre. Notre défi consistait donc à déterminer si nous pouvions réduire le nombre de boîtes à ouvrir, pour économiser temps et argent.

La sénatrice Raine : Pourriez-vous passer en revue les recommandations du rapport intérimaire, et nous dire si elles ont été mises en œuvre, si elles le seront ou si elles font toujours l'objet de discussions? Il y en a beaucoup. Par exemple, la recommandation 14 veut que le gouvernement du Canada distribue un encadré de la présentation des excuses dans toutes les écoles secondaires. Je crois que ce serait assez facile à faire.

M. Saranchuk : En fait, nous avons transmis à 18 000 écoles un exemplaire non encadré de la présentation des excuses.

Je regarde les recommandations. Mme Nabigon et moi pouvons les passer en revue, comme vous l'avez demandé.

Mme Nabigon : Vous avez parlé de la recommandation 14?

La sénatrice Raine : Si ce n'est pas trop vous demander. Ce n'est peut-être pas la bonne façon de faire. Vous pourriez préparer un document?

Mme Nabigon : Nous pouvons les passer en revue rapidement. Certaines recommandations nous concernaient et d'autres visaient les églises et les autres parties. Nous vous transmettrons volontiers une liste des mesures que nous avons prises pour répondre aux recommandations.

M. Saranchuk : C'est une très bonne question, pour deux raisons : d'abord, toutes les parties et leurs leaders se sont rencontrés le mois dernier pour discuter des progrès réalisés. Nous avions prévu près d'une demi-journée pour en parler, mais nous avons manqué de temps, alors nous avons décidé de restreindre la discussion à certaines recommandations.

La portée des recommandations est considérable. Certaines d'entre elles sont très bonnes. Comme l'a dit Mme Nabigon, elles ne visent pas uniquement le gouvernement fédéral, mais aussi les églises, et parfois l'ensemble des Canadiens, ou d'autres. L'année dernière, nous avons répondu à la commission par une lettre du ministre qui faisait état de notre point de vue et des mesures prises pour répondre aux recommandations.

La sénatrice Raine : Il ne faudrait pas que tout le travail réalisé au cours des dernières années se retrouve dans un rapport qui prend la poussière sur une tablette.

Vous avez tout à fait raison : l'éducation est la clé, mais elle ne doit pas être à sens unique. Je remarque que l'on parle beaucoup des centres de santé et de bien-être et d'une consultation continue dans les recommandations. Je réalise une étude sur l'épigénétique; les chercheurs ont découvert que les traumatismes subis dans la petite enfance peuvent laisser des marques génétiques dont souffriront plusieurs générations. Toutefois, la consultation et la thérapie permettent de les modifier.

Il reste encore beaucoup à faire. Je crois que nous espérons tous pouvoir avancer. Ce ne sera pas facile, mais il y a une volonté de changement, pour les Autochtones.

M. Saranchuk : Je sais que le commissaire a longuement réfléchi aux recommandations préliminaires, et qu'il en fait de même pour celles du rapport final. Je crois comprendre qu'il témoignera devant vous, et je suis certain qu'il pourra expliquer beaucoup mieux que moi certaines des recommandations.

La sénatrice Raine : Que fait le ministère lorsqu'Affaires autochtones est désigné responsable d'une recommandation? Est-ce que le processus budgétaire permet ces travaux? Est-ce que le ministère a l'expertise nécessaire pour traiter ces questions de manière adéquate?

M. Saranchuk : C'est une excellente question. Jusqu'à présent, nous avons parlé des recommandations intérimaires. Elles sont provisoires, mais — et je me trompe peut-être — nous nous attendons à ce que nombre d'entre elles se retrouvent dans le rapport final.

Nous affectons un grand nombre de ressources au Paiement d'expérience commune, pour qu'il soit fait le plus rapidement possible, et aux paiements en vertu du Processus d'évaluation indépendant. Je ne veux pas trop insister, mais bon nombre des anciens élèves sont aujourd'hui âgés et fragiles; il est important que le gouvernement du Canada reconnaisse ces questions et prenne un engagement avant qu'il ne soit trop tard.

La vice-présidente : J'ai des questions au sujet des documents. Dans votre exposé, vous avez dit que les réclamations de 99 p. 100 des anciens élèves avaient été réglées. Toutefois, le nombre de réclamations non réglées en vertu du Processus d'évaluation indépendant semble important. Est-ce que le taux de refus ou l'incapacité des anciens élèves de démontrer le bien-fondé de leur cause auraient un lien avec les documents manquants? Il se peut par exemple que les documents sur une personne de 75 ans aient été consignés à Bibliothèque et Archives Canada et ne soient pas actifs ni semi-actifs. Est-ce que les documents qui s'y trouvent sont complets? Est-ce que certains d'entre eux auraient pu être éliminés ou déchiquetés? Est-ce que cela pourrait avoir un lien avec le problème des anciens élèves qui ne peuvent obtenir une indemnisation?

M. Saranchuk : Je tiens à préciser que le règlement des réclamations a été fait à partir du budget de 1,6 milliard de dollars pour le Paiement d'expérience commune; 78 859 demandeurs ont obtenu gain de cause. Ce chiffre représente 99 p. 100 du nombre estimatif d'anciens élèves admissibles. En fait, 105 000 demandes ont été reçues; il se peut que certaines personnes aient vu leur demande refusée parce qu'elles n'avaient pas fréquenté une école désignée dans la convention. Ces 99 p. 100 représentent donc la première estimation, si on veut.

C'était votre première question. Vous en avez posé une autre plus précise au sujet de la destruction des documents.

La vice-présidente : Je me demandais si elle pouvait avoir un lien avec le refus des demandes de Paiement d'expérience commune.

Mme Nabigon : Aucun ancien élève n'a vu sa demande de Paiement d'expérience commune refusée en raison de documents manquants. Je sais que les médias en ont beaucoup parlé récemment. Au début des négociations relatives à la convention de règlement, le gouvernement du Canada a travaillé très fort avec les provinces, les territoires et toutes les parties susceptibles d'avoir des documents sur les pensionnats afin d'éviter que cela ne se produise.

Aucune demande n'est rejetée au simple motif de documents manquants. Si par exemple un incendie a détruit certains documents sur une personne qui a fréquenté une école pendant 10 ans, nous lui donnerons le bénéfice du doute.

S'il n'y a rien, aucun dossier, nous travaillerons avec elle pour tenter de trouver d'autres preuves. Nous ne pouvons pas octroyer un paiement sans avoir une preuve qu'une personne a fréquenté un pensionnat, mais nous ne rejetons pas non plus les demandes en raison de documents manquants.

La vice-présidente : Est-ce que cette règle s'applique aussi au Processus d'évaluation indépendant?

Mme Nabigon : Ce processus est complètement différent.

J'aimerais revenir à l'un de vos commentaires, madame la présidente. Nous avons mal calculé, mais nous y étions presque. Comme l'a dit M. Saranchuk au sujet du Paiement d'expérience commune, nous avons payé 99 p. 100 des anciens élèves vivants, selon les estimations. Nous avions donc une bonne idée de ce nombre lorsque nous avons négocié la convention de règlement.

Nous n'avions toutefois pas idée de l'ampleur des mauvais traitements subis. Le Processus d'évaluation indépendant est un programme d'indemnisation des victimes d'agressions physiques et sexuelles dans les pensionnats. On a estimé leur nombre à 12 500, en fonction d'études réalisées dans des divers établissements. À la date d'échéance du 19 septembre 2012, nous avions reçu trois fois plus de demandes que prévu. Le processus est très différent. C'est un mode alternatif de résolution des conflits. Les anciens élèves témoignent devant des arbitres. Les agresseurs peuvent également témoigner. C'est un processus beaucoup plus rigoureux que le Paiement d'expérience commune.

La question des dossiers manquants est moins importante dans le cadre de ce processus.

M. Saranchuk : Comme l'a fait valoir Mme Nabigon, les estimations relatives au Processus d'évaluation indépendant — à savoir le nombre de victimes potentielles dans les pensionnats — étaient erronées. Elles étaient tirées d'études universitaires et autres sur la violence faite aux enfants en milieu institutionnel, qui évaluaient à 15 p. 100 la proportion d'enfants maltraités. Quinze pour cent de 80 000, c'est environ 12 500. C'est ainsi qu'on a procédé.

En fait, comme l'a dit Mme Nabigon, le nombre de personnes qui ont fait une demande en vertu du Processus d'évaluation indépendant dépasse maintenant les 38 000, soit au moins trois fois plus que ce qu'on avait prévu. Pour être franc, ce chiffre représente près de la moitié des personnes qui ont fréquenté les pensionnats. C'est très troublant, vous en conviendrez.

La vice-présidente : Ce n'est pas encore parfaitement clair. Permettez-moi de reposer la question.

Admettons que je présente une revendication par l'entremise du processus d'évaluation indépendant et que je suis allée à l'école où les documents ont été égarés ou détruits pour une raison quelconque. Si j'avais tous les autres éléments requis, ces documents manquants nuiraient-ils à ma capacité d'être indemnisées?

Mme Nabigon : Non, vous auriez quand même droit à une audience.

M. Saranchuk : Je pense que ce serait plus difficile.

La vice-présidente : Il serait difficile de prouver que vous avez fréquenté cette école, s'il n'y aucune preuve que l'école en question n'a jamais existé.

M. Saranchuk : Il y aurait des preuves que l'école a déjà existé puisqu'elle fait partie des 130 qui ont été ajoutées. Toutefois, vous avez tout à fait raison de dire que leurs dossiers comporteraient des lacunes, bien que je ne sois pas très au courant du processus.

La vice-présidente : Étant donné que le mandat de la Commission de vérité et de réconciliation prendra fin bientôt et que de nombreux autres cas d'abus graves ont été reçus, comme vous l'avez dit, vous aurez à parcourir des tonnes de documents pour établir ce qui doit être transféré au centre de recherche. Serait-il possible de prolonger le mandat de la commission, puisqu'elle a commencé son travail en retard et que vous ne saviez pas trop ce que vous deviez chercher dans les documents archivés?

M. Saranchuk : J'ai bien peur de ne pas être en mesure de dire si le mandat de la commission devrait être prolongé ou non. Je ferai remarquer que peu importe quelle est la position du gouvernement à cet égard, le mandat a été énoncé dans la convention de règlement qui a été approuvée par les tribunaux, les anciens élèves, l'APN et les églises. Il y a d'autres parties à la convention qui seraient sûrement d'accord pour prolonger le mandat.

Je signalerais également que la production de documents sera effectivement difficile pour les documents à Bibliothèque et Archives Canada, mais la convention de règlement a toujours prévu que la commission existerait pour une période donnée et que le processus d'évaluation indépendant prendrait tout le temps nécessaire. J'essaie de dire que ce ne sont pas toutes les parties de la convention qui sont censées prendre fin à la même date.

La vice-présidente : On dirait que vous avez défini la portée de ces documents à Bibliothèque et Archives Canada. Toutefois, si l'évaluation de ces documents semble prendre plus de temps que la durée du mandat de la commission, qu'arrivera-t-il, d'après vous? Vous avez des piles et des piles de documents à parcourir. Discutez-vous actuellement avec la Commission de vérité et de réconciliation du fait que le processus d'examen des archives et de numérisation des documents se poursuive, même si la commission n'existe plus? Qu'adviendra-t-il de tous ces documents?

M. Saranchuk : C'est une excellente question. Nous nous employons actuellement, comme vous vous en doutez sans doute, à faire tout ce que nous pouvons pour que l'évaluation des documents de BAC aille bon train. J'ajouterais que bien que nous n'ayons pas discuté de ce point avec la commission, cette dernière a la capacité aux termes de la convention de règlement de créer non pas un organisme pouvant lui succéder, mais un dépôt pour les documents. Elle est en pourparlers et, sauf erreur, a choisi un établissement que l'on appellera le « Centre national de recherche » pour conserver les documents. Je pense que tout le monde sait qu'il s'agit de l'Université du Manitoba. Ces discussions avancent bien.

Bien entendu, la Commission de vérité et de réconciliation nous fournira plus de détails, mais il y a des problèmes avec le fait de confier ces documents à l'Université du Manitoba. La commission travaille fort avec Bibliothèque et Archives Canada et l'Université du Manitoba pour régler ces problèmes.

Je tiens à signaler aux fins du compte rendu qu'il y a un autre problème. On espère que ces documents historiques seront préservés pour tous les Canadiens et les générations futures. Comme vous l'avez dit, ils ne disparaîtraient pas tout simplement.

Le sénateur Tannas : Quant aux écoles qui ont été ajoutées à la liste après la signature de la convention, y a-t-il des différences au chapitre des particularités de ces revendications ou des circonstances? Pourriez-vous nous dire ce que vous savez sur les gens que vous avez mentionnés qui essayaient de faire partie de la convention, qui se sont battus pour être assujettis à la convention et qui sont allés en cour?

M. Saranchuk : Je ne suis pas un expert en la matière, mais je ferai de mon mieux pour répondre à votre question. Pour ce qui est des critères à remplir pour ajouter des écoles, toutes les parties ont prévu un processus en ce sens. Comme Mme Nabigon et moi-même l'avons dit, on mettait l'accent sur les pensionnats. Les enfants auraient été placés dans un pensionnat pour y recevoir une éducation, et le gouvernement fédéral, et non pas les gouvernements provinciaux, a sûrement été au moins conjointement responsable de l'administration du pensionnat.

Il peut arriver parfois que l'un des critères n'ait pas été rempli et que les enfants aient été placés dans un établissement qui était dirigé seulement par les églises, ce qui n'était pas nécessairement couvert par la convention de règlement.

Sept écoles ont été ajoutées parce que le Canada a mené d'autres recherches. En fait, une école du nom de Mistassini, au Québec, a été ajoutée l'été dernier. Le tribunal l'a approuvée, et les élèves qui ont fréquenté l'école pendant la période donnée sont informés qu'ils peuvent présenter une demande pour recevoir le Paiement d'expérience commune et faire l'objet du processus d'évaluation indépendant.

Un certain nombre d'écoles ont été ajoutées. J'ai une liste de sept écoles sous les yeux. Les tribunaux en ont également ajouté deux récemment en Ontario : Crystal Lake et Stirland Lake. Plusieurs autres contestations sont en cours. Certains n'approuvent pas l'exclusion des cinq écoles et des contestations judiciaires sont devant les tribunaux pour qu'on les ajoute.

En outre, un certain nombre de poursuites ont cours en ce moment relativement à des écoles qui ne tentent pas forcément de faire partie de la convention de règlement, mais qui ont intenté leurs propres actions contre d'autres écoles. Vous êtes peut-être au courant. Le processus est devant les tribunaux pour certaines écoles au Labrador.

La vice-présidente : Comme il n'y a pas d'autres questions, je remercie nos témoins au nom de tout le comité. Merci, monsieur Saranchuk et madame Nabigon, d'avoir répondu à toutes nos questions.

(La séance est levée.)


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