Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 37 - Témoignages du 22 mai 2013
OTTAWA, le mercredi 22 mai 2013
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, afin d'examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Bonsoir. Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs et au public qui regarde la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur la chaîne CPAC ou sur le Web. Je m'appelle Lillian Dyck. Je suis une sénatrice de la Saskatchewan et vice-présidente du comité.
Le mandat de ce comité est d'examiner de manière générale les lois et les questions relatives aux peuples autochtones du Canada. Selon les études que nous souhaitons mener, nous invitons de temps à autre des personnes, des organismes et des ministères à venir nous donner leur point de vue sur certaines questions.
Récemment, nous avons entendu des témoignages au sujet des Autochtones au sein du système de justice pénale. La séance d'aujourd'hui portera elle aussi là-dessus puisque nous entendrons le témoignage d'une professeure de l'Université Carleton qui étudie la question.
Avant de commencer, j'aimerais laisser la chance aux membres du comité de se présenter.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, sénateur pour le Nunavut.
Le sénateur Watt : Le sénateur Watt, du Nunavik.
La sénatrice Raine : La sénatrice Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Beyak : La sénatrice Beyak, de l'Ontario.
Le sénateur Enverga : Le sénateur Enverga, de l'Ontario.
La sénatrice Seth : La sénatrice Asha Seth, de l'Ontario.
Le sénateur Demers : Le sénateur Jacques Demers, du Québec.
La vice-présidente : Distingués collègues, joignez-vous à moi pour accueillir Mme Jane Dickson-Gilmore, professeure associée à la faculté de droit et d'études juridiques de l'Université Carleton.
Madame Dickson-Gilmore, nous sommes impatients d'entendre votre exposé, lequel sera suivi d'une période de questions. Je m'excuse de la confusion qu'il y a pu y avoir au sujet de l'endroit où devait se tenir cette séance. Nous vous écoutons.
Jane Dickson-Gilmore, professeure associée, faculté de droit et d'études juridiques, Université Carleton : Nous avons vu toutes sortes de choses entre l'Édifice du Centre et ici, alors c'était plutôt intéressant et divertissant.
Merci de la chance que vous me donnez de vous parler de la relation qui existe entre les Autochtones et le système de justice pénale. Comme la plupart d'entre vous le savent, il s'agit d'une relation mal aiguillée et dysfonctionnelle, caractérisée par une surreprésentation endémique des Autochtones à tous les niveaux du système, mais surtout dans les prisons, tant fédérales que provinciales.
Bien que les Autochtones ne constituent qu'environ 4 p. 100 de la population canadienne, ils représentent 20 p. 100 des prisonniers dans les établissements fédéraux et 27 p. 100 des détenus jugés par des cours provinciales. Il importe ici de souligner que ces pourcentages sont des moyennes et qu'ils ne rendent pas compte de la représentation disproportionnée des Autochtones dans certaines provinces des Prairies et dans certaines régions nordiques isolées.
Une bonne partie de cette surreprésentation est attribuable au fait qu'il y a beaucoup plus de criminalité dans les collectivités des réserves qu'en dehors des réserves et que dans la population non autochtone. Dans les réserves, le taux de criminalité est en général trois fois plus élevé que la moyenne nationale, et le taux de crimes avec violence, huit fois plus élevé.
Je travaille dans ce domaine depuis presque 30 ans. J'aurais beaucoup de choses à vous dire mais, par souci de brièveté, je limiterai mon exposé à ce que sont, d'après moi, les trois principaux problèmes ou enjeux qui ont une incidence sur la relation qui existe entre les Autochtones et la justice pénale au Canada. Compte tenu du temps que j'ai passé au sein des collectivités autochtones, du travail que j'y ai fait et des recherches que j'ai menées dans ce domaine, je suis d'avis que le fait de régler certains de ces problèmes contribuera de façon importante à faire fléchir les taux élevés de criminalité et l'incidence des différends dans ces collectivités, ce qui permettra de remédier à la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale.
Le premier de ces problèmes concerne la prévalence inquiétante de la violence familiale et de la violence conjugale au sein des collectivités autochtones, prévalence qui s'avère être un élément clé des cycles engendrant la violence, les conflits et la surreprésentation. La prévalence élevée de violence familiale découle d'une combinaison toxique de traumatismes liés à l'histoire et de dynamiques intergénérationnelles difficiles sur fond de pauvreté, de marginalisation, d'infrastructures inadéquates et de milieux de vie malsains. S'ajoutent à cela des relations de pouvoir asymétriques et des mécanismes sociaux déficients, notamment dans les collectivités des réserves occupées en majorité par des Indiens inscrits. Ces réalités engendrent des conditions propices aux démêlés avec la justice, dont l'exposition précoce des enfants autochtones à la violence, l'exposition précoce à l'abus d'alcool ou d'autres drogues, le décrochage scolaire, le démembrement des familles et l'expérience des familles d'accueil, ainsi qu'une grande instabilité résidentielle et une propension à déménager fréquemment. Ceux qui, comme moi, étudient et analysent la délinquance et la criminalité savent pertinemment, preuves à l'appui, que tous ces facteurs sont conducteurs de démêlés avec la justice. Par conséquent, nous constatons une recrudescence des crimes graves dans de nombreuses collectivités autochtones. La plupart de ces crimes sont du reste commis par des adultes autochtones avec de lourds passés criminels et d'importantes lacunes sur le plan personnel qui ont commencé leur carrière de délinquant à un très jeune âge, victimes directes des conditions que nous venons d'exposer.
Le deuxième problème — et c'en est un que j'ai pu constater en travaillant avec les collectivités autochtones — est l'incapacité qu'ont les approches axées sur la justice communautaire et la justice réparatrice et les réformes des peines d'emprisonnement de remédier efficacement à la criminalité, aux conflits et à la surreprésentation. Le gouvernement du Canada et certains gouvernements provinciaux appuient la justice applicable aux Autochtones depuis des décennies, mais depuis 10 ans, le nombre de détenus autochtones a crû de 35 p. 100 chez les hommes et de 86 p. 100 chez les femmes. Pourquoi ces réformes des peines d'emprisonnement n'ont-elles pas fonctionné?
D'entrée de jeu, j'aimerais souligner qu'il était très clair dès la mise en branle de la plupart de ces réformes, et particulièrement de celles qui ont été entreprises en vertu de l'alinéa 718.2e), que la directive signifiée aux juges de tenir compte des antécédents autochtones dans l'analyse des circonstances et dans l'établissement de la peine était en grande partie inutile et inadéquate. Il est évident que la plupart des juges étaient très conscients de l'importance de tenir compte des antécédents des Autochtones dans l'établissement des peines de ces derniers et qu'ils ont été en général plus cléments à l'endroit des Autochtones dans l'établissement de la longueur des peines qu'à l'endroit de non-Autochtones avec des antécédents personnels et criminels comparables. En fait, contrairement à la croyance populaire qui veut que les Autochtones purgent des peines plus longues, nous nous sommes aperçus qu'ils recevaient en fait des peines d'emprisonnement plus courtes. Bien sûr, le diable est dans les détails, car bien qu'ils reçoivent des peines plus courtes, ils ont à attendre beaucoup plus longtemps pour recouvrer leur liberté — peu importe le type d'ordonnance conditionnelle ou de surveillance —, ce qui fait qu'ils auront au bout du compte passé beaucoup trop de temps en prison et que leurs peines auront été beaucoup trop longues.
Nous savons par ailleurs que l'alinéa 718.2e) stipulant que les juges doivent faire preuve de discernement dans la détermination de la peine et dans le type de peine imposée aux contrevenants autochtones ne doit pas se substituer aux objectifs et aux principes plus généraux présidant à l'imposition des peines énoncées aux articles 718, 718.1 et 718.2. Cela est particulièrement vrai pour l'alinéa 718.2ii), qui stipule que la violence à l'endroit de l'époux ou du conjoint de fait est une circonstance aggravante dans la détermination de la peine.
Il y a aussi le problème des sanctions communautaires et des ressources des collectivités. Le passage aux sanctions communautaires, qui est une composante explicite de l'alinéa 718.2e), et les directives de la Cour suprême de porter attention aux sanctions communautaires et de les envisager dans toutes les situations le permettant faisaient fi de la réalité fondamentale des collectivités autochtones. En effet, les collectivités ont très peu de ressources pour assumer la réinsertion, la réhabilitation ou la guérison des contrevenants autochtones — elles n'en ont pas plus pour la guérison des victimes, d'ailleurs. De plus, même quand un juge est disposé à envisager de condamner un contrevenant autochtone à une période de supervision communautaire plutôt que de le faire emprisonner, les profils du risque et des besoins de la plupart de ces contrevenants font en sorte que la majorité d'entre eux n'aient pas d'autres solutions que l'emprisonnement. Leurs profils du risque et des besoins sont tout simplement trop négatifs pour que la plupart des juges leur fassent confiance au point de leur permettre de purger leur peine dans la communauté.
Il faut également avouer — et j'ai travaillé en justice réparatrice et en justice communautaire auprès des Autochtones — que nous n'avons absolument pas su évaluer adéquatement la vaste majorité de ces programmes. Les évaluations qui ont été faites ont tendance à s'appuyer sur des méthodes peu fiables. Les quelques évaluations qui nous viennent de l'étranger au sujet des sanctions communautaires et des processus tels que le recours à des cercles de sentence pour les contrevenants autochtones ont indiqué de piètres résultats. Une évaluation des cercles de sentence effectuée en 2008 par le bureau des statistiques et des recherches en matière de criminalité de la Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, indique qu'il n'y avait pas de différence entre les délinquants autochtones traités par le système traditionnel et ceux des cercles de sentence en ce qui a trait à la fréquence, à la gravité ou à la précocité des récidives après la remise en liberté.
Cette constatation n'était vraiment pas encourageante, d'autant plus que l'on avait promis, dès les premiers temps des cercles de sentence, une réduction de la récidive. L'instigateur des cercles de sentence lui-même — le juge Barry Stuart, pour qui j'ai travaillé pendant un certain temps — croyait que la nouvelle façon de faire allait réduire le taux de récidive de 80 p. 100. Or, les résultats que nous avons obtenus ne s'approchent même pas de cela.
Le troisième problème est la montée des politiques de maintien de l'ordre et, notamment, l'application des peines minimales obligatoires. Cela devient particulièrement problématique lorsque les peines minimales obligatoires sont imposées pour des activités propres à certains groupes autochtones — on pense tout de suite à la possession de tabac de contrebande. Je crois que le recours à des peines minimales obligatoires pour des infractions qui ont une incidence directe sur les Autochtones s'oppose diamétralement à l'objectif du paragraphe 718.2e) relativement aux sanctions à l'égard des Autochtones, objectif que viennent renforcer les décisions de la Cour suprême dans les affaires Gladue et Ipeelee. En outre, les recherches effectuées par d'autres administrations sont très claires à ce sujet et, dans une large mesure, sans équivoque. Les peines minimales obligatoires ne réduisent ni la criminalité ni les risques de récidive. Elles font augmenter de façon radicale les coûts associés à l'emprisonnement et aux poursuites; elles nuisent systématiquement aux groupes marginalisés, tel que celui des Autochtones et elles font en sorte d'augmenter de façon disproportionnée et injuste la quantité de petits criminels.
Que faut-il changer? À vrai dire, nous devons aller au-delà de la justice criminelle traditionnelle, qui cherche à éliminer la criminalité par le biais d'approches axées sur la surveillance, l'arrestation et l'emprisonnement. Bien qu'elles servent certaines visées politiques, ces méthodes n'ont pas réussi à faire reculer la criminalité. La majorité des analyses confirme que l'édification des familles et des collectivités est une façon beaucoup plus efficace de prévenir et de réduire le crime.
Cette approche renferme évidemment quelques difficultés. L'une d'elles est que la meilleure façon de prévenir la criminalité ne ressemble pas à une lutte contre la criminalité. La meilleure façon d'enrayer la criminalité est d'avoir de bonnes écoles, des emplois de bonne tenue, des services communautaires de qualité et une vie culturelle en santé. Deuxièmement, il faut du temps. Or, on peut supposer que les gouvernements sont réticents à entreprendre des démarches de réduction de la criminalité dont on ne verra pas les fruits durant leur séjour au pouvoir, mais peut-être d'ici deux ou trois générations.
Or, il ne faut pas oublier que la prévention et la répression coûtent toutes deux de l'argent. La première fonctionne alors que la deuxième ne donne à peu près rien, du moins, pas dans notre façon de l'approcher. Pourquoi n'investissons-nous pas dans l'approche qui, selon toutes les preuves, fonctionnera? Nous dépensons déjà beaucoup d'argent dans les collectivités autochtones, dans la justice autochtone et dans notre système de justice pénale. Alors, il s'agit plutôt de décider comment tout cet argent doit être dépensé. Le dépenserez-vous sur les collectivités ou sur les prisons? À vous de décider.
Merci.
La vice-présidente : Merci beaucoup, madame Gilmore. Vous avez donné beaucoup d'informations en peu de temps. Je n'arrivais pas à vous suivre avec mes notes. Je suis persuadée que les avocats ici présents ont pu en saisir beaucoup plus que moi. Fort heureusement, je n'ai pas à poser la première question.
Le sénateur Demers : Je vous remercie de votre présentation. C'était très clair.
Selon vous, quelles sont, dans les collectivités autochtones, les conditions sociales les plus susceptibles d'accroître le risque d'avoir des démêlés avec la justice?
Mme Dickson-Gilmore : Il y en a beaucoup. Dans un certain nombre de collectivités que j'ai visitées, en tant que chercheuse ou commissaire aux revendications des Indiens, l'approche est réellement axée sur le triage. L'environnement dans lequel on y vit — le milieu physique, le logement, l'infrastructure — est sans aucun doute l'équivalent de celui du tiers monde. Il est d'abord malsain de faire vivre deux ou trois familles dans une maison à peine convenable pour une seule. Le stress et la tension qui en découlent sont ensuite jumelés avec le fait que beaucoup d'Autochtones dans ces collectivités sont aux prises avec les conséquences psychologiques et physiques d'un traumatisme. Ils sont nombreux à être sans emploi ou, dans le meilleur des cas, sous-employés. La toxicomanie peut très bien s'ajouter à tout cela, de même que l'accès à des armes dans les régions rurales et isolées.
Nous devons construire de meilleures maisons et voir à ce que les gens aient la leur. Comme vous l'avez dit dans un de vos rapports, nous devons aussi bâtir de meilleures écoles. Tout cela contribue à améliorer le milieu.
Le sénateur Patterson : Je vous remercie de votre présentation très étoffée et contenant beaucoup de solides recommandations. J'ai été frappé par vos propos selon lesquels la justice réparatrice ne fonctionne pas malgré tous les efforts des provinces et des territoires et tout l'argent dépensé à cette fin. Pour moi, c'est choquant et préoccupant. Vous pouvez me le dire si j'exagère.
J'aimerais approfondir un peu plus la question avec vous. Je sais que beaucoup de programmes ont été adoptés au Canada, dont certains provenant de l'Australie. Y en a-t-il un qui donne de meilleurs résultats dans le domaine de la justice communautaire réparatrice?
Mme Dickson-Gilmore : Eh bien, tout d'abord, la prison n'est pas du tout la solution. Nous avons un problème parce qu'au Canada, nous n'évaluons pas la plupart de ces programmes et nous ne savons pas quel genre de répercussions ils ont. Pour moi, la justice réparatrice est celle que nous dispensons dans les collectivités. Que font ceux qui y vivent pour prendre en charge les conflits et la criminalité auxquels ils sont confrontés? Il y a un problème multidimensionnel.
Il faut d'abord comprendre que dans beaucoup de collectivités, lorsqu'on engage un processus de résolution des conflits — à l'aide de cercles de détermination de la peine et de cercles de guérison —, la compétence des organismes chargés de la justice se limite seulement aux crimes relativement mineurs et non violents. Il est très logique de commencer par des cas de moindre importance et de progressivement en entendre des plus graves. Nous sommes cependant confrontés à un problème, car il est urgent dans beaucoup de collectivités de s'occuper de crimes plus graves qui rendent très difficile la vie de nombreuses personnes.
Nous devons donc adopter des programmes à la hâte, ce qui veut dire que les membres des collectivités s'attaquent souvent à un problème sans vraiment savoir ce qu'ils tentent de faire. Par exemple, je travaille beaucoup avec eux au développement d'approches axées sur leurs besoins et leurs traditions pour résoudre des conflits. Une des premières choses que nous devons faire est leur demander ce qu'ils essaient d'accomplir. C'est ainsi que Barry Stuart et le centre d'amitié ont eu l'idée des cercles de détermination de la peine. Le but était de réduire les taux de récidive. L'objectif était clair et ils ont pu évaluer ce qu'ils étaient en mesure de faire. Si on ne le sait pas, comment peut-on déterminer si c'est possible d'y arriver?
Dans beaucoup de collectivités, nous constatons qu'il est difficile de bien instaurer les programmes. On peut se rendre sur place pour former les gens et travailler avec eux pour qu'ils les mettent en œuvre, mais, pour beaucoup de raisons, ils ont de la difficulté à assurer leur pérennité. Même quand ils y parviennent, on s'occupe presque toujours davantage du délinquant que de la victime, malgré le fait que la plupart des processus sont censés reposer sur l'égalité entre les deux ainsi que sur un dialogue bilatéral positif visant à renforcer l'autonomie dans un contexte communautaire. Les taux de revictimisation sont d'ailleurs très élevés dans le cadre de ces processus de justice communautaire, et, selon le peu de renseignements recueillis à l'échelle internationale, les délinquants en sont beaucoup plus satisfaits que les victimes.
Nous avons également constaté d'importants problèmes de suivi dans beaucoup de collectivités. Le but de la plupart des initiatives de ce genre, qu'il s'agisse de conférences communautaires, ce qui nous vient de Nouvelle-Zélande et d'Australie, de cercles de guérison et même de certains cercles de détermination de la peine, est d'arriver à une entente, ou, dans le contexte des cercles de détermination de la peine, à une recommandation de sentence qui prévoit généralement un ensemble de conditions que les délinquants doivent respecter pour une période déterminée ou pendant le processus de guérison. Ils doivent donc parfois participer à des séances de counseling ou à des réunions des Alcooliques anonymes ou des Narcotiques anonymes. On peut également leur demander de faire certains travaux communautaires ou de conserver un emploi, ce qui n'est pas facile quand le taux de chômage de la collectivité est de 80 ou 90 p. 100.
Si les membres d'une collectivité, malgré tous leurs efforts, ne réussissent pas à assurer à long terme des réunions des AA ou des NA ainsi que des services de counseling, les programmes ne peuvent pas être mis en œuvre.
Quand quelqu'un doit faire des travaux communautaires qui nécessitent une certaine surveillance et qu'il y a seulement un ou deux agents de probation à trois ou quatre heures de là et qui desservent plusieurs collectivités, qui s'occupera du suivi et de la surveillance?
Le processus perd de la crédibilité lorsque les ententes ne sont pas respectées et qu'il n'est pas clair si certains détails de la sentence l'ont été. Bien souvent, les délinquants ne comprennent pas du tout pourquoi ils n'ont pas de comptes à rendre par rapport aux engagements qu'ils ont pris dans un cercle, tandis que les victimes cessent d'y croire.
Ce n'est pas tant que les processus ne peuvent pas fonctionner. Le problème est que nous ne donnons pas l'appui ni les ressources dont les collectivités ont besoin pour mettre en œuvre les programmes et les autres initiatives. Nous ne leur donnons pas nécessairement le temps ni le soutien qu'il leur faut pour s'occuper non seulement des crimes mineurs, mais aussi des crimes graves qui donnent de la crédibilité et du respect à leurs programmes.
Le sénateur Patterson : Vous êtes à Ottawa, et le mandat de notre comité relève principalement de la compétence fédérale. Je sais que Justice Canada prévoit d'importantes sommes d'argent pour la justice communautaire réparatrice, et j'ai toujours pensé qu'il fallait promettre de faire une évaluation quand on recevait des fonds fédéraux. D'après mon expérience, c'est presque un mantra. Pourtant, vous avez mentionné que ce n'est pas le cas. Pouvez-vous nous dire précisément ce qu'il en est par rapport au ministère de la Justice du Canada et de ses programmes, ce qui entre dans le cadre de notre mandat, et nous expliquer pourquoi on ne fait peut-être pas d'évaluation même si le gouvernement semble l'exiger?
Mme Dickson-Gilmore : Oui, je peux en parler. Je dois préciser qu'il est possible que certaines évaluations ne soient pas rendues publiques, comme les trois qui avaient pour objet le Community Holistic Circle Healing Program au Manitoba. La première n'a jamais été publiée; la deuxième était tellement déficiente sur le plan méthodologique qu'elle s'est révélée inutile; et la troisième ne portait pas sur l'efficacité du programme, mais plutôt sur sa rentabilité. Nous savons tous que presque toutes les mesures coûtent moins cher que d'envoyer les gens en prison. Nous n'avons donc rien appris de nouveau.
La deuxième évaluation, qui était déficiente sur le plan méthodologique, témoigne bien des difficultés auxquelles sont confrontées de nombreuses collectivités. Pour évaluer un programme, il faut des données, ce qui veut dire qu'on doit être capable de mettre en œuvre des mesures. Par exemple, il doit y avoir une entrevue initiale quand un délinquant est engagé dans un processus communautaire. Il faut savoir de qui il s'agit, quels sont ses antécédents, quelles sont les accusations portées contre lui et quelle était la disposition. Il faut aussi suivre ses déplacements tout au long du processus. Il faut ensuite compléter le dossier en y ajoutant toutes les données pertinentes : quels sont les travaux communautaires qu'il a faits, a-t-il assisté aux rencontres des AA? Tous ces détails doivent être conservés et tenus à jour. Dans certains cas, il faut constituer des dossiers qui sont confidentiels par nécessité, habituellement à l'aide d'un ordinateur. Ils doivent parfois être tenus à jour pendant un, deux ou trois ans. Peu de collectivités peuvent retenir ceux qui possèdent les compétences nécessaires pour effectuer ce travail.
Fait intéressant, un de mes collègues était responsable il y a quelques années d'évaluer le Programme d'aide préscolaire aux Autochtones au Yukon. Il a dit que le plus grand défi auquel ils ont fait face — c'était un projet pluriannuel fait à plusieurs endroits — était d'amener les Autochtones à entrer les données nécessaires pour effectuer les évaluations et de leur montrer comme le faire. Le roulement de personnel affecté à cette tâche était de 100 p. 100 par année. Les possibilités d'emploi sont tellement limitées là-bas que les gens suivaient la formation, faisaient le travail pendant un an et s'en allaient vers le Sud. Il fallait ensuite tout recommencer. Il m'a dit que c'est le principal problème auquel ils ont été confrontés dans le cadre de l'évaluation, ce qui donne une idée des difficultés plus fondamentales auxquelles font face les collectivités.
De bien des façons, les Autochtones sont semblables au reste de la population. Ils veulent des collectivités paisibles et prospères dans lesquelles leurs enfants pourront s'épanouir, de bons services, des emplois et des vies bien remplies. Au Canada, il y a toutes sortes de circonstances qui font en sorte qu'ils n'ont pas tout cela. Je suis désolée, mais dans un pays aussi riche que le nôtre, je crois que c'est un choix politique.
La vice-présidente : Je vais poursuivre avec une ou deux questions. Il est choquant pour moi de vous entendre dire que le système de justice réparatrice ne fonctionne pas. Pourtant, beaucoup de personnes pensent qu'il s'agit de la meilleure approche. Il semble que ce soit en partie dû au manque de ressources ou de mécanismes en place. Est-ce que la situation est la même partout au Canada? Y a-t-il des endroits comme, par exemple, la Saskatchewan, ma province d'origine, où les résultats pourraient être les mêmes qu'ailleurs?
Mme Dickson-Gilmore : Je n'ai pas encore vu d'évaluations effectuées en Saskatchewan, et en tant que chercheuse, je me fie aux données. Je peux vous dire que les collectivités font vraiment face à de grands défis quand il s'agit de faire fonctionner ces programmes. Je n'invente rien.
Je répète que je crois en la justice communautaire. Je pense que la façon la plus authentique pour quelqu'un de se racheter est de le faire dans la vie de tous les jours, ce qui n'est pas souvent dû aux tribunaux. Nous ne donnons pas aux collectivités les ressources et les pouvoirs nécessaires pour dispenser une justice communautaire de manière efficace et concrète.
La vice-présidente : Est-ce que d'autres pays ont fait la même chose? Vous avez parlé de la Nouvelle-Galles du Sud.
Mme Dickson-Gilmore : C'est intéressant, en Australie, le programme des patrouilles de nuit semble avoir une incidence sur les collectivités. Le programme n'a pas fonctionné partout, mais dans certaines collectivités, des groupes de bénévoles patrouillent la nuit. Les jeunes qui causent des ennuis sont interceptés et sont renvoyés à la maison. Si des personnes sont en danger ou à risque, ou si elles se retrouvent dans des situations compromettantes, les bénévoles travaillent en collaboration avec les services de police, mais ce sont eux qui sont sur le terrain. Les patrouilles de nuit ont été évaluées, et leurs efforts pour réduire et prévenir les crimes ont porté leurs fruits.
La vice-présidente : Où est ce programme?
Mme Dickson-Gilmore : En Australie.
La sénatrice Seth : C'est intéressant et bon de savoir que vous avez fait beaucoup de recherche. Vous avez étudié de nombreux programmes et services qui déterminent et ciblent les causes profondes de la criminalité dans les collectivités autochtones. Toutefois, cela ne semble pas aider. Vous suggérez d'aider la collectivité et de prendre des mesures préventives, ce qui est mieux. Avez-vous comparé les mesures préventives à la réadaptation?
Mme Dickson-Gilmore : Pardon, vous voulez dire comparer le coût des mesures préventives par rapport au coût de la réadaptation?
La sénatrice Seth : Oui.
Mme Dickson-Gilmore : Cela dépend de ce que vous voulez dire par réadaptation. Si vous parlez d'envoyer quelqu'un en prison et de l'aider à finir son secondaire ou à acquérir des compétences, cela coûte beaucoup d'argent; la prison coûte cher. La prévention du crime est moins coûteuse, à tous les niveaux, en particulier celle qui n'en a pas l'air. Le fait d'aider les familles, de créer des emplois et de favoriser une vie sociale, politique et culturelle riche a un effet d'entraînement profond qui permet non seulement de réduire le taux de criminalité, mais aussi d'améliorer la qualité de vie, ce qui a une incidence positive et mesurable sur la santé de toute la collectivité.
Je me concentre sur la violence familiale parce qu'elle empoisonne les collectivités autochtones. Elle perpétue le cycle de la violence et de la criminalité dans les collectivités parce que les enfants grandissent dans des familles où la violence est perçue comme une façon de régler les problèmes...
La sénatrice Seth : Ils imitent ce qu'ils voient.
Mme Dickson-Gilmore : Oui. On sait aussi que les problèmes qui ne sont pas réglés au cours des cinq premières années de l'enfance prennent toute une vie à régler.
La sénatrice Seth : Ma question porte sur les mesures préventives par opposition à la réadaptation. Plutôt que de punir les délinquants en les emprisonnant puis de leur offrir des mesures préventives et des services de consultation par la suite, pourquoi ne pas offrir des services d'orientation familiale dès le départ? La situation s'empire et je crois qu'il est plus coûteux d'offrir l'orientation en prison que d'obliger les délinquants à faire des travaux communautaires. Ils ne sont pas réadaptés en prison. On leur offre des services de consultation plutôt que de les placer dans un environnement communautaire ou de leur donner des conseils pédagogiques pour les aider à cesser leurs activités criminelles.
Mme Dickson-Gilmore : La prévention communautaire est la clé. Nous avons tenté de faire des prisons plus douces, plus conviviales. On les appelle les pavillons de ressourcement, mais la prison, c'est la prison. On est loin de la maison, et loin de la famille, et puisqu'il n'y en a pas assez, on peut être loin de son groupe culturel et loin des personnes qui parlent sa langue.
J'ai travaillé dans des collectivités trilingues, où l'on parlait français, anglais et cri couramment. Les membres de ces collectivités passent facilement d'une langue à l'autre. Les cercles de guérison ou de sentence ont une tout autre connotation lorsqu'ils sont prononcés en cri par rapport au français ou à l'anglais. La langue est importante; elle est porteuse de culture. Si on place les délinquants dans ces prisons branchées et luxueuses loin de leur collectivité — c'est- à-dire, dans des endroits où ils ne peuvent parler leur langue ou exprimer leur culture — les possibilités de guérison seront restreintes.
Le sénateur Watt : Ce que vous dites est très important, non seulement pour la justice, mais aussi pour tous les éléments qui forment la collectivité. Je partage votre point de vue, en partie en raison de mon expérience dans les collectivités isolées, même si je ne suis pas avec les Premières Nations. Je vis avec les Inuits, dans le Nord, dans l'Arctique. Je vois les idées fausses et l'incompréhension de nos homologues. Lorsque je dis « nos homologues », je parle du gouvernement qui tente de cerner le problème et de le régler. Nous ne sommes pas près d'y arriver, et nous ne règlerons pas le problème de la prochaine génération, ni même de la suivante si nous continuons ainsi.
Je partage les points que vous avez soulevés. La crise du logement fait partie des facteurs qui créent un climat d'animosité et de tension au sein des collectivités, particulièrement lorsqu'elles n'ont aucun pouvoir d'achat et pas d'argent, et peu accès aux biens dont elles ont besoin.
Elles se sont aussi fait prendre, d'une certaine façon. Selon ce que je comprends, les gens dont nous parlons accusent un important retard. On est loin de pouvoir combler les lacunes. Au fil des années, j'ai souvent entendu des gens — le gouvernement, les bureaucrates, les politiciens et même les économistes — parler de combler cet écart. Savent-ils vraiment de quoi ils parlent? D'après les points que vous avez soulevés, je ne crois pas. Je partage vos inquiétudes, parce que je vis dans ces collectivités.
Prenons par exemple une collectivité de 3 000 ou 4 000 personnes. Aujourd'hui, 65 p. 100 de la population a un dossier criminel. Ce pourcentage s'est accru sur une très courte période. Au cours des cinq prochaines années, il pourrait grimper à 99 p. 100. Ce n'est qu'un exemple; la situation varie selon les collectivités.
Je crois que nous sommes sur la mauvaise voie pour régler le problème de la criminalité, en isolant le problème. Si on n'aborde pas les autres questions, comme les effets secondaires, on n'y arrivera pas. Peu importe l'instrument qu'on tente de créer, on ne réussira pas parce qu'on est trop loin derrière. On ne se rapproche pas de nos homologues en ce qui a trait aux besoins en matière d'éducation, à l'économie, au logement, à la propreté, au droit de vivre, au droit à l'alimentation et au droit aux vêtements. Nous n'avons pas cela.
Que le gouvernement le réalise ou non, c'est la réalité dans le Nord. Je suis presque certain que c'est la réalité dans les principales réserves du Canada.
Que peut-on faire? Je crois que vous vous posez aussi cette question. Est-ce qu'on continue d'essayer de traiter la question comme un enjeu criminel, en oubliant les autres facteurs qui créent ces problèmes? Je ne crois pas que ce soit la solution.
J'aimerais qu'on pousse l'évaluation plus loin. J'aimerais connaître les mesures concrètes que nous pouvons prendre, en tant que sénateurs, pour faire des recommandations qui auront du poids et pour être entendus, une fois pour toutes, par les personnes concernées.
La population générale du Canada ne sait pas ce qui se passe dans les collectivités autochtones. Vous avez parlé d'un pays du tiers monde. Je dis que c'est pire.
J'aimerais vous entendre là-dessus.
Mme Dickson-Gilmore : Au Canada, le gouvernement a souvent recours à la « responsabilisation sans ressources », comme le disait ma grande amie Carol La Prairie, pour lutter contre la criminalité et faire face aux conflits dans les collectivités autochtones. Tout le monde parle des Autochtones au pays. Mes parents en Colombie-Britannique en parlent; mes étudiants à Ottawa en parlent. Lorsque je suis dans le Nord, j'entends souvent dire, dans un contexte non autochtone, qu'ils coûtent cher, et qu'on n'obtient pas grand-chose en retour.
Lorsqu'une nouvelle crise dans une collectivité autochtone est portée à l'attention du gouvernement, sa première réaction, en tant qu'entité au pouvoir, est souvent de parler des fonds dépensés. On ne se demande pas si l'argent est dépensé de façon stratégique, ou à bon escient. On ne se demande jamais si les collectivités sont consultées de manière active, éthique et respectueuse sur la façon dont les fonds devraient être dépensés, ou si l'argent peut bel et bien régler le problème.
L'argent peut améliorer la qualité de vie dans les collectivités. Il permet de construire des maisons plus sécuritaires et de meilleures écoles; de fournir des livres adéquats; d'offrir des bibliothèques aux enfants; de mettre sur pied des cliniques. Pour les chanceux, il peut même faciliter l'accès à ces cliniques.
J'ai visité une collectivité où une enfant s'était noyée dans un lac à proximité. On l'avait sortie de l'eau et réanimée. Tout le monde pensait qu'elle allait bien. On l'a amenée à la clinique, mais il n'y avait pas de médecin. Lorsqu'elle est arrivée à l'hôpital le jour suivant, elle est morte à cause de l'accumulation d'eau dans ses poumons. Il n'y avait aucune infrastructure sur place pour l'aider.
En octobre dernier, j'ai visité une autre collectivité. On m'a dit que sa population était de 700 personnes, mais au quotidien, elle n'en compte que 400 environ. Le jour avant mon arrivée, un jeune de 17 ans a tenté de se suicider avec un fusil de chasse. Il a perdu une grande partie de son côté gauche. L'infirmière en santé publique de la collectivité était membre du comité de la justice. Ce jour-là, elle est venue me voir et m'a dit : « Je ne pense pas pouvoir rester ici et parler de justice, parce que j'ai dû accompagner ce garçon vers la mort. » Je lui ai dit : « Vous l'avez aidé à mourir? » Et elle m'a répondu : « Oui. Nous n'avons pas de médecins ni d'infirmières. Je n'ai pas d'équipement. Il n'y avait pas d'avion pour le sortir d'ici. La clinique la plus proche est à cinq heures de route. Je suis donc restée là, et je l'ai aidé à mourir. »
Une telle situation aurait déclenché un véritable tumulte si elle s'était produite ailleurs que dans une collectivité autochtone. En fait, ma fille, qui est assise là-bas, était sous le choc lorsque je lui ai raconté cette histoire. C'est arrivé en même temps qu'un suicide très médiatisé à Ottawa. Tout le monde en parlait. Une adolescente s'était enlevé la vie. Est-ce que c'est tragique? Absolument. Est-ce qu'on s'en soucie? Bien entendu. Est-ce qu'on se soucie du jeune Autochtone de 17 ans qui s'est suicidé? On n'en a même pas entendu parler. Ce sont des choix politiques.
Si l'on veut que les collectivités se portent mieux, il faut les aider. Il faut discuter avec les gens qui y vivent, et leur demander ce qui doit changer; il faut bien les écouter. Ensuite, on pourra prendre tout l'argent qui est investi dans les prisons, la probation, la libération conditionnelle et les cours itinérantes dans le Nord, et l'utiliser pour bâtir des collectivités saines et positives. Il faut établir une collectivité avant d'y intégrer la justice communautaire ou la résolution de conflits. Ce sont les réalités fondamentales.
Lorsqu'on sait que près de 52 p. 100 de la population autochtone du pays a moins de 25 ans, qu'environ 70 p. 100 des Autochtones ne vivent pas dans les réserves à temps plein et que 76 p. 100 des Autochtones de moins de 25 ans ne parlent pas leur langue autochtone et ont une connaissance restreinte de la culture, il faut commencer à bâtir les collectivités, sinon nous perdrons les cultures, les langues et les gens.
Le sénateur Watt : Je partage vos inquiétudes et je suis d'accord avec le fait qu'il faut concentrer nos efforts aux bons endroits, pour aider les collectivités. Je suis tout à fait d'accord avec cela. Sinon, il n'y aura pas assez d'Autochtones instruits qui réussiront à se tailler une place dans la société. À l'heure actuelle, ils n'y arrivent pas, et on ne règlera pas le problème à court terme. Quelques personnes passent entre les mailles du filet et réussissent. Je les félicite.
Je suppose que j'entends ce que je veux bien entendre. J'attends ce moment depuis longtemps. Je me sens souvent bien seul, en tant qu'Inuit, parmi les autres sénateurs. Parfois, je ne prends même pas la peine de soulever la question parce que je sais qu'on ne me comprendra pas; mais vous avez réussi aujourd'hui. Je vous en félicite, et j'espère que tout le monde vous a écouté.
Mme Dickson-Gilmore : Merci.
Le sénateur Watt : J'espère aussi vous voir dans le Nord. Je ne sais pas si vous êtes allée dans les collectivités inuites de l'Arctique, au Nunavut, au Nunavik et au Nunatsiavut.
Mme Dickson-Gilmore : Je ne suis pas allée au Nunavut. J'ai passé beaucoup de temps du côté ouest de la baie James.
Le sénateur Watt : Les Cris de la baie James sont mes voisins, puisque j'habite du côté de l'Ungava.
Mme Dickson-Gilmore : Ces communautés sont extraordinaires. C'est ce que les non-Autochtones ne comprennent pas : ces collectivités ont tellement à offrir.
Le sénateur Watt : On construit beaucoup dans les collectivités, surtout des infrastructures. Cependant, on ne se concentre pas sur les bonnes choses. L'aide n'est pas offerte de façon uniforme, en raison d'un manque de compréhension, d'initiative et de volonté politique, et d'une mauvaise compréhension de la nature de la crise dans les collectivités. Ce n'est pas nécessairement de leur faute, ou de la faute du monde extérieur; c'est seulement un manque de compréhension. Maintenant, il faut savoir où concentrer les efforts. À quoi doit-on s'attaquer en premier, avant d'aborder d'autres questions? C'est ce qu'on doit déterminer.
Le sénateur Enverga : Je vous remercie de votre exposé. Ma question coïncide davantage avec celles du sénateur Watt.
Corrigez-moi si je me trompe, mais j'ai l'impression que certains Autochtones souhaitent maintenir leur mode de vie, c'est-à-dire celui du début. Ils ne veulent pas que leurs traditions et leur culture changent. C'est l'impression que mes lectures m'ont donnée. Toutefois, notre gouvernement actuel souhaite leur voir adopter un mode de vie identique à celui du reste de la population canadienne. Ne pensez-vous pas que ces deux visions sont conflictuelles? Je pense que c'est ce dont vous parliez tout à l'heure.
Que pouvons-nous faire? Nous devrions commencer par nous attaquer à la cause profonde de ce problème. Occupons-nous d'abord des traditions et de la culture, et appuyons-nous ensuite sur celles-ci. Ne pensez-vous pas que c'est l'une des façons dont nous pourrions procéder?
Mme Dickson-Gilmore : Selon mon expérience, la culture vibre dans de nombreuses collectivités mais, si les étrangers qui les visitent ne voient pas — pardonnez ma grossièreté — un tipi, ils pensent qu'elle est inexistante. La majorité des Canadiens sont d'origine française ou britannique, mais personne ne s'attend à ce qu'ils vivent encore dans des maisons comme celles qu'on retrouve à Londres ou à Paris.
À bien des égards, les abords de la culture sont très perméables. Vous adoptez un ensemble de croyances culturelles fondamentales qui conditionnent votre vision du monde, mais votre culture peut intégrer toutes sortes d'éléments, tout en demeurant vôtre et en continuant d'influencer la façon dont vous envisagez le monde.
Vous trouverez peut-être intéressant d'apprendre que les Cherokee ont maintenant accès à un mécanisme dans Google mail qui leur permet de communiquer en cherokee. Les membres du peuple Cherokee qui ne parlent pas la langue couramment peuvent rédiger un courriel en anglais, et celui-ci sera traduit en cherokee. Fait intéressant, le mot utilisé pour désigner un courriel en cherokee signifie « mot éclair ». Une culture peut changer, s'adapter et bouger, mais seulement si on la soutient et l'autorise à le faire.
Comme nos amis du Québec l'ont indiqué très clairement, pour préserver la culture, il est essentiel de préserver la langue. Nous devons aider les collectivités autochtones à conserver leur langue. Il faut que leurs membres soient en mesure d'aller à l'école dans leur collectivité et d'être instruits dans leur langue. Cela peut être fait tant au Québec qu'à l'extérieur de la province.
À Kahnawake, où j'ai vécu pendant un court moment, un enfant peut suivre un programme d'immersion en mohawk. La langue mohawk connaît une renaissance dans ces collectivités, et celles-ci en sont revitalisées.
Tout cela évoque la fierté ressentie par les Autochtones. Que nous soyons prêts à l'admettre ou non, jusqu'à très récemment, les Autochtones étaient considérés comme inférieurs au Canada. Nos collectivités sont aux prises avec de nombreux problèmes sociaux qui sont liés non seulement au racisme dont les enfants autochtones sont victimes dès les premiers jours de leur vie, mais aussi au fait qu'ils vivent dans des collectivités où tout à propos de leurs conditions de vie renforce le message raciste.
Le sénateur Enverga : Vous avez mentionné la nation Cherokee. Quels enseignements avons-nous tirés de leur situation? Nous est-il possible de procéder comme les Américains l'ont fait avec les collectivités Cherokee?
Mme Dickson-Gilmore : Je ne sous-entends pas que la situation aux États-Unis est beaucoup plus positive. Le mois dernier, j'étais à Washington, D.C., pour participer à une réunion d'experts en matière de justice tribale. Les communautés tribales des États-Unis font face à des problèmes très semblables à ceux auxquels se heurtent bon nombre de collectivités au Canada. C'est en partie la raison pour laquelle nous nous sommes réunis pour tenter de discuter des approches qui fonctionneront.
Le sénateur Enverga : La langue est-elle utile?
Mme Dickson-Gilmore : La langue est cruciale. Dans de nombreuses collectivités, en particulier celles qui se trouvent en campagne ou qui sont plus isolées, il y a encore beaucoup de gens qui parlent la langue, mais celle-ci doit être soutenue par l'instruction locale. Il nous faut trouver un moyen de nous assurer que les jeunes sont en contact avec les aînés, de manière à ce qu'ils soient exposés à la langue. Je peux vous dire que, dans de nombreuses collectivités autochtones, les aînés sont aux prises avec les mêmes difficultés que les aînés affrontent au sein de la société non autochtone. Ils sont parqués dans un pavillon pour personnes âgées. Ils ne jouissent pas nécessairement du respect que leur expérience et leur sagesse devraient leur attirer dans toutes les sociétés.
Le sénateur Enverga : Je suis étonné que la langue pose un problème. Dans le passé, j'étais commissaire d'écoles. Celles-ci offraient des cours d'italien et de portugais. Qu'est-il arrivé à ces autres langues? Est-ce qu'elles sont enseignées quelque part?
Mme Dickson-Gilmore : Peut-être que les parents de ces enfants italiens ou portugais votent. Peut-être participent-ils à la politique scolaire, et peut-être la population d'Italo-Canadiens est-elle supérieure à 4 p. 100? Par conséquent, ils sont en mesure d'attirer nettement plus l'attention que la population autochtone, qui ne représente que 4 p. 100 de la population canadienne.
Le sénateur Enverga : L'étude de la langue fait-elle partie de vos recommandations?
Mme Dickson-Gilmore : Le soutien de la langue et de la culture est recommandé. Il faut rendre ces collectivités saines et prospères afin que la rétention de la langue et de la culture ne soit pas un luxe qu'on peut seulement se payer, lorsqu'on a le ventre plein, que sa maison est chauffée et que l'eau qui sort de ses robinets est salubre.
Le sénateur Enverga : Vous avez mentionné que, lorsque des Autochtones acquièrent des connaissances et de nouvelles compétences, ils s'en vont au Sud. Voulez-vous dire qu'ils intègrent d'autres collectivités?
Mme Dickson-Gilmore : Je pense que vous faites allusion à ce que mon ami, qui évaluait le Programme d'aide préscolaire aux Autochtones, a observé. Non, les gens qu'ils ont formés ont déménagé au Sud et ont décroché des emplois bien rémunérés.
Le sénateur Enverga : Il s'agit davantage d'un exode des cerveaux; est-ce que vous entendez par là?
Mme Dickson-Gilmore : Tout à fait, et cela n'a rien d'étonnant. Encore une fois — et je suis désolée d'insister sans cesse là-dessus —, les conditions de vie dans bon nombre de ces collectivités sont telles que, si vous trouvez un moyen d'y échapper, vous le saisissez, parce que ce ne sont pas des endroits où beaucoup de gens souhaitent élever leurs enfants. Je le dis tout en étant consciente du fait qu'il s'agit tout de même de leur foyer, de l'endroit où vit leur famille. Votre langue, votre culture et tout ce que vous connaissez font de vous la personne que vous êtes. Voilà la raison pour laquelle les gens qui quittent leur réserve reviennent régulièrement. Comme j'ai passé pas mal de temps dans des collectivités autochtones des quatre coins du pays, je peux vous dire qu'elles sont différentes. Même pendant la brève période où j'ai vécu à Kahnawake, qui est essentiellement une banlieue de Montréal située entre cette ville et Châteauguay, j'ai constaté que la réserve donnait une impression complètement différente; tout y était différent.
Le sénateur Watt : Vous pouvez le ressentir.
Mme Dickson-Gilmore : Oui. C'est difficile à expliquer, mais c'est vrai.
Le sénateur Enverga : En ce qui concerne l'exode des cerveaux, comment peut-on ramener ces gens dans les collectivités?
Mme Dickson-Gilmore : Transformez ces collectivités en des endroits où il fait bon vivre.
Le sénateur Enverga : Il faut leur offrir des postes de fonctionnaire.
Mme Dickson-Gilmore : Non, ne leur offrez pas des postes de fonctionnaires. Dans les collectivités, où les taux de chômage sont très élevés, les gens qui travaillent sont employés par le gouvernement, parce qu'ils sont au service du conseil de bande. Cela ne suffit pas. Au risque de sembler banal, je dirais que si vous développez les collectivités, ils viendront. Si vous créez des collectivités où il fait bon vivre, ils viendront. Si les collectivités autochtones parviennent à établir de véritables partenariats avec des Canadiens non autochtones et que ces derniers investissent dans les collectivités d'une manière qui permet aux Autochtones d'assumer la propriété des programmes et des infrastructures, les membres de ces collectivités ne voudront pas partir.
La population de Kahnawake connaît un essor. Les gens ne souhaitent pas quitter cette réserve. C'est un endroit où il fait bon vivre. J'ai visité des réserves comme celles des Premières Nations de Red Earth et de Shoal Lake qui se trouvent dans le Nord, le long de la frontière qui sépare le Manitoba de la Saskatchewan. Les personnes âgées quittent ces réserves, car celles-ci sont inondées régulièrement et leurs membres passent la majeure partie de leur temps les pieds dans l'eau.
Le sénateur Enverga : Nous avons beaucoup de pain sur la planche.
Le sénateur Watt : J'ai une question complémentaire à vous poser afin de m'assurer que mon collègue, sénateur Enverga, comprend entièrement la situation.
Le problème ne tient pas au fait que les gens ne veulent pas rester dans les réserves. La culture est un élément que nous aimerions tenter de préserver dans la mesure du possible. Nous savons que c'est presque impossible, en raison de la technologie et de la modernisation de la société. Nous devons nous instruire, comme tous les autres Canadiens. En ce sens, la culture évolue et se renouvelle. Le témoin l'a expliqué très clairement. C'est ainsi que les choses fonctionnent. Ce n'est pas comme s'ils tenaient à peine à conserver leur culture et que rien ne se produisait. Ce n'est pas le cas. J'aimerais constater que leur vie s'améliore un peu.
J'aimerais faire écho à l'une des questions que vous avez soulevées. Les jeunes apprennent en observant leurs parents et ce qui se passe dans leur collectivité. Lorsqu'un jeune — quel que soit son âge — vit dans des conditions qui ne sont pas acceptables, il remarque, même s'il n'a que cinq ans, que les choses sont différentes dans la maison d'à côté. Qui vit dans cette maison? Les gens que nous embauchons au Sud. Ils possèdent tout ce qu'on peut désirer, et vivent luxueusement. Leur train de vie est subventionné. Ils disposent d'un grand pouvoir d'achat, et de ceci et cela — de beaucoup plus de biens que vous avez probablement dans les régions du Sud. Dans les collectivités inuites et autochtones, la différence entre les maisons est extrêmement visible.
Quand on est jeune, on est déjà conditionné dans une certaine mesure. On peut alors imaginer comment cette personne, lorsqu'elle atteint un certain âge, éprouve un certain désir de vengeance, à moins qu'elle ait poursuivi ses études afin de contrer l'attrait de la criminalité et d'autres comportements de ce genre. Voilà ce qui se passe dans les collectivités.
Il n'y a aucun moyen facile de résoudre les problèmes que Mme Dickson-Gilmore soulève.
Mme Dickson-Gilmore : La vérité, c'est que certaines collectivités autochtones sont plus prospères que d'autres. Cependant, la grande majorité des Autochtones vivent sous le seuil de faible revenu. Ils ont accès à très peu de commodités, et leurs chances de s'élever dans la société sont limitées. Si nous ne commençons pas à nous attaquer à ce problème, très peu de choses s'amélioreront.
Si vous ne construisez pas de meilleures écoles et de meilleurs logements, vous feriez mieux de construire un plus grand nombre de prisons.
Le sénateur Watt : Il faut qu'on relève la barre en ce qui concerne le niveau d'instruction.
Mme Dickson-Gilmore : Encore une fois, les enfants sont influencés par leur mode de vie. Si tout ce qui vous entoure vous indique que vous ne devriez pas viser haut, vous ne viserez pas haut.
Le sénateur Watt : Nous devrions viser haut.
Mme Dickson-Gilmore : Absolument.
La sénatrice Raine : Vous peignez un tableau très décourageant. Vous avez absolument raison de dire que nous avons besoin que quelqu'un sonne l'alarme, parce que les statistiques montrent que, si nous ne faisons rien, les problèmes s'aggraveront.
Les troubles causés par l'alcoolisation fœtale sont endémiques dans de nombreuses collectivités.
Mme Dickson-Gilmore : Oui.
La sénatrice Raine : Suivez-vous l'évolution de ces statistiques et l'effet qu'elles ont sur la population carcérale? Je vous pose la question parce que des mesures peuvent être prises pour prévenir ces troubles. Lorsqu'une jeune fille tombe enceinte, on peut la surveiller constamment et s'assurer qu'elle ne consomme pas d'alcool et que son bébé a une chance de naître en santé. On investit dans la santé maternelle, et on mobilise toutes les ressources dont disposent les aînés. Si l'on utilise des ressources concrètes pendant la grossesse de ces jeunes femmes, il se peut que la prochaine génération ait une chance de s'en sortir.
Mme Dickson-Gilmore : Oui.
La sénatrice Raine : Nous ne surveillons pas les répercussions liées au fait de ne pas prendre ces mesures.
Mme Dickson-Gilmore : Il y a quelques années, pendant que je me préparais à donner l'un de mes cours, je suis tombée sur une étude qui mesurait l'effet de l'alcoolisation fœtale sur le nombre de détenus dans les prisons fédérales, et pas seulement sur le nombre de détenus autochtones. Ils estimaient qu'environ 70 p. 100 des détenus condamnés à purger des peines d'emprisonnement dans des prisons fédérales étaient atteints d'une déficience d'une sorte ou d'une autre liée à l'alcoolisation fœtale. Ce problème ne se limite pas aux Autochtones.
Quelques années avant que cette statistique soit rendue publique, un médecin de Winnipeg a attiré une attention plutôt négative sur lui-même en mentionnant qu'il travaillait surtout dans une clinique qui desservait des Autochtones. Un grand nombre de cas de troubles causés par l'alcoolisation fœtale ou de manifestations d'alcoolisme fœtal étaient diagnostiqués chez les enfants qui fréquentaient cette clinique. Après avoir déménagé dans les beaux quartiers de la ville et avoir acquis une clientèle non autochtone de la classe moyenne supérieure, il diagnostiquait des cas de trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention chez les enfants.
Nous savons que l'alcoolisme fœtal et toutes ses manifestations constituent un grave problème dans un certain nombre de collectivités autochtones. J'ai quelques observations à formuler à cet égard. Si vous ne voulez pas que des femmes enceintes ou qui que ce soit d'autre consomment de l'alcool, vous devez les aider à vivre dans des conditions qui ne les poussent pas à boire. Si je comprends complètement votre idée de surveiller constamment les jeunes Autochtones qui sont tentées de consommer de l'alcool, je me demande qui assumera ce rôle. Qui les aidera, alors qu'elles sont entourées de nombreuses personnes qui souffrent de dépendances et qui ont du mal à mener à bien leur propre processus de guérison? Si elles ont le malheur de vivre dans des collectivités relativement rurales ou isolées, elles auront probablement de la chance si elles voient un médecin peut-être trois fois au cours des neuf mois de leur grossesse. Autrement, il se peut qu'elles aient accès à un infirmier, mais ce sera tout. J'ai visité des collectivités qui m'auraient poussée à boire si j'avais vécu dans celles-ci.
La sénatrice Raine : Vous dites que nous devons développer les collectivités. Comment sommes-nous censés le faire?
Mme Dickson-Gilmore : Je n'ai pas réponse à tout et ce que je peux vous dire est fondé seulement sur mes observations. Par exemple, nous travaillons dur lorsque des ressources sont extraites à côté ou à l'intérieur des territoires traditionnels. La loi nous oblige à mener des consultations. J'aimerais croire que, pour sauvegarder l'honneur de la Couronne, nous sommes tenus de nous assurer que les intérêts des peuples autochtones sont respectés au cours de l'exploitation de ces ressources. Toutefois, la vérité, c'est que, lorsque des ressources sont extraites à proximité ou à côté d'une collectivité autochtone, celle-ci en bénéficie très peu. On a tendance à ne pas respecter les engagements pris relativement à l'emploi d'un certain pourcentage des membres de la collectivité. Ces engagements comptent vraiment parce que, lorsque le taux de chômage dans une collectivité oscille entre 70 et 80 p. 100, ces emplois sont extrêmement importants.
Nous devons nous assurer que ces promesses sont tenues. Il faut appuyer fortement les entreprises autochtones, ce qui est très facile à faire dans le Sud. Lorsqu'on n'a pas affaire à des gens qui sont loin ou isolés, on peut encourager les entreprises autochtones. Il y a d'importantes occasions dans les collectivités qui doivent être appuyées.
Honnêtement, en ce qui a trait à l'emploi de ces collectivités, la difficulté à laquelle nous sommes confrontés, c'est que nous devons commencer à composer avec certains problèmes sociaux et avec le traumatisme historique. Dans le milieu de la neuroscience, on indique que les gens qui ont vécu un traumatisme important souffrent d'une modification chimique au cerveau, ce qui entraîne des difficultés en ce qui a trait à la compréhension de choses aussi simples qu'une discussion rationnelle sur les solutions adéquates pour régler certains problèmes. Ils ne sont pas en mesure de comprendre. Nous devons composer avec ce genre de choses.
La sénatrice Raine : Comment?
Mme Dickson-Gilmore : C'est en partie lié à la mise en place de mécanismes de guérison adéquats. Un autre aspect consiste à comprendre que la nature de la violence qui a été faite aux peuples, aux collectivités et aux familles autochtones au cours du dernier siècle est telle que cela ne se réglera pas du jour au lendemain. Il s'agit aussi en partie de comprendre exactement où il faut insister pour la mise en place d'une reddition de comptes, voire l'exiger, et où nous devrons la mettre en œuvre.
Si vous voulez qu'un projet de justice communautaire en milieu autochtone fonctionne et que vous voulez éviter que les gens se retrouvent en prison, il faut alors s'assurer de bien former les gens de la collectivité qui seront chargés de ces processus. Assurez-vous qu'ils sont déterminés. C'est précisément le genre de personnes que nous avons dans deux collectivités où je travaille avec acharnement. Il s'agit de personnes très engagées, motivées, soutenues et appuyées. Elles reçoivent des honoraires ou un salaire pour leur travail. Nous payons les non-autochtones lorsqu'ils travaillent dans le secteur de la justice. Je ne sais donc pas pourquoi nous nous attendons à ce que les Autochtones fassent du bénévolat dans leurs collectivités pour le même rôle. Il faut le personnaliser, le respecter et favoriser son autonomie.
Assurez-vous de mettre en place des partenariats réels et authentiques, parce qu'ils ont tendance à être plutôt fragiles. Nous sommes censés être des partenaires pour l'exploitation des ressources, mais pour les collectivités autochtones, ce partenariat s'effrite. Nous sommes censés être des partenaires en ce qui a trait au rôle parental; nous voulons tous que nos enfants aient un bel avenir, mais dans les collectivités, cela ne fonctionne vraiment pas.
Un des aspects sur lesquels vous vous êtes penchés est le soutien aux mères. Un des programmes de prévention de la criminalité les plus efficaces qui existent — dans un autre contexte, à l'échelle internationale —, c'est une chose aussi simple qu'un programme de visites à domicile pour les femmes qui viennent d'avoir un enfant et qui vivent dans des collectivités pauvres et mal desservies. Cela ne semble pas être de la prévention de la criminalité, mais c'est exactement le résultat obtenu.
La sénatrice Raine : La semaine dernière, nous avons perdu une Canadienne formidable Mme Shirley Firth Larsson, qui faisait partie d'un programme expérimental d'entraînement à ski. Un prêtre catholique a parcouru le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. C'était un passionné de ski de fond qui a fait connaître ce sport aux Autochtones. Partout où l'église l'envoyait, il y avait déjà une église anglicane; il n'y avait donc personne dans sa paroisse. Il donnait des leçons de ski de fond aux enfants. Il est toujours vivant; il a 96. Il s'appelle Jean-Marie Mouchet. Dans le cadre du programme expérimental, nous avons amené les enfants autochtones des collectivités d'Old Crow et d'Inuvik aux Jeux olympiques et au parc provincial Top of the world. Cela démontre simplement qu'il est possible de le faire.
Vous avez raison de dire que dans notre programme d'éducation, la langue doit être au premier rang, suivie de la culture, du sport et d'un mode de vie sain. Apprendre comment mener une vie saine doit aussi en faire partie. Dans le système correctionnel, y a-t-il des aspects liés au sport? Les gens peuvent-ils acquérir des habiletés sportives qu'ils pourraient enseigner à leur retour?
Mme Dickson-Gilmore : Beaucoup de collectivités offrent des activités sportives. Comme pourra en témoigner le sénateur Watt, les Cris de la baie James jouent au hockey.
Nous nous rappelons tous les difficultés qu'ont affrontées les Attawapiskat pour obtenir un aréna et une surfaceuse. C'était un des meilleurs programmes de prévention de la criminalité dans lequel ils auraient pu s'engager.
Donnez aux jeunes quelque chose à faire; donnez-leur quelque chose qui a une signification dans leur vie. Le programme de ski est fantastique, et il est formidable d'amener quelques jeunes d'une collectivité autochtone aux Jeux olympiques. Cependant, on ne peut pas amener quelques personnes triées sur le volet au sommet et laisser tous les autres en bas. Tout le monde se porte mieux quand nous sommes tous en meilleure posture. Nous avons besoin de programmes de ce genre parce qu'ils sont importants. Ils attirent l'attention et procurent aux gens un objectif à atteindre, mais nous devons aussi commencer par le bas.
La sénatrice Raine : Du terrain de jeu au podium.
Mme Dickson-Gilmore : Si vous entretenez le jardin, vous aurez une bonne récolte. Si vous négligez le jardin, les choses meurent.
Le sénateur Patterson : Je vais aller droit au but. J'ai été surpris par votre commentaire au sujet de tout l'argent que nous dépensons pour les juges, les cours itinérantes, les policiers et les prisons. J'ai toujours pensé que ce serait là des ressources considérables si nous pouvions les rediriger vers la prévention. Y a-t-il déjà eu des études sur ce que nous dépensons pour les remèdes comparativement à la prévention? Je cherche à savoir ce que nous dépensons pour les services correctionnels et les services de police comparativement à l'autre aspect.
Mme Dickson-Gilmore : Lorsqu'on a affaire aux gouvernements et aux budgets, le problème c'est que la prévention de la criminalité doit ressembler à la prévention de la criminalité. Il s'agit de choses comme la surveillance des quartiers et d'autres services de police communautaires. Le programme Scared Straight était une pure perte de temps et n'a donné aucun effet à long terme.
On se retrouve à comparer des pommes et des oranges parce que toutes les recherches nous indiquent — et c'est indéniable — que l'outil par excellence de lutte contre la criminalité n'est manifestement pas lié à la criminalité. Il est lié à la construction d'infrastructures communautaires; à l'attention portée aux enfants et à l'éducation; à l'appui à la culture; aux activités parascolaires, au sport et aux familles; au fait de s'assurer que les parents qui ne savent pas comment assumer le rôle de parents ont le soutien nécessaire pour l'apprendre.
En ce qui a trait aux coûts, ce dont on parle le plus souvent, c'est le coût associé à l'emprisonnement. Avec un peu de chance, on parle d'environ 50 000 $ par détenu, si vous ne devez pas construire de nouvelles prisons. C'est une des raisons pour lesquelles, aux États-Unis, on s'éloigne des peines minimales obligatoires. Les Américains ont constaté que cela ne réduit pas la criminalité. Cela visait les gens aux plus bas échelons de la plupart des organisations criminelles, qui étaient censées être la cible, ce qui a entraîné une explosion formidable de la population carcérale. C'était un gouffre financier.
Le mois dernier, lorsque j'étais à Washington et que j'ai dû les informer que nous avons maintenant des peines minimales obligatoires au Canada, les gens du département des Affaires indiennes, du département de l'Intérieur, du département de la Justice et du bureau de M. Obama ont dit : « Mais que faites-vous donc? N'avez-vous rien appris de nous? » Je leur ai répondu : « Oui, c'est ce que nous avons appris de vous, en grande partie. »
Si vous construisez des prisons et que vous négligez les collectivités et les familles, vous remplirez ces prisons. Dans ce pays, si l'on fermait les blocs carcéraux comme on ferme les ailes d'hôpital, on pourrait prendre l'argent de ces prisons et l'utiliser pour des initiatives communautaires, pour mener des consultations dans les collectivités afin de connaître les problèmes auxquels elles sont confrontées, de savoir ce que les collectivités sont prêtes à faire pour les régler et d'avoir une idée des ressources dont elles disposent pour s'attaquer au problème. Il y a des ressources; ce ne sont pas nécessairement les ressources que les policiers, les tribunaux et les services correctionnels reconnaissent, mais elles existent. À ce moment-là, nous serions vraiment en mesure de maintenir fermés beaucoup de ces blocs carcéraux.
La sénatrice Seth : Faire la liste de tout cela m'a laissée perplexe. N'y a-t-il pas d'installations médicales dans ces régions? Lorsqu'on est malade, on meurt, tout simplement? N'y a-t-il pas de services là-bas?
Mme Dickson-Gilmore : Il faut aller au Sud.
La sénatrice Seth : N'y a-t-il pas des cliniques, de médecins ou de professionnels de la santé, là-bas?
Mme Dickson-Gilmore : Même dans les collectivités qui ont des cliniques, il est possible qu'il n'y ait pas de médecin plus d'une fois par mois ou toutes les six semaines, s'ils sont chanceux.
La sénatrice Seth : Pourquoi n'a-t-on pas porté attention à cette région, qu'est-ce qui est le plus important? Peu importe le counseling que l'on fournit, la consultation que l'on mène au sein des collectivités ou la culture que l'on a, s'il n'y a personne pour garder les gens en santé et en sécurité, à quoi cela rime-t-il? Cela signifie-t-il que vous habitez dans une collectivité où l'on n'offre rien? Je pense que c'est pire que la prison. Si je suis malade et que je n'ai rien à manger, je me soucierais bien peu de l'endroit où je vis.
Mme Dickson-Gilmore : L'avion viendra et vous amènera au Sud.
La sénatrice Seth : Pourquoi ne porte-t-on pas attention à ces régions? Je suis très surprise d'apprendre ces choses aujourd'hui. Entendre cela me dérange vraiment.
Mme Dickson-Gilmore : C'est la réalité.
La sénatrice Seth : Je me rappelle avoir été transférée dans une région éloignée lorsque j'ai commencé ma pratique. Je m'en souviens encore. Il était difficile d'agir à titre de médecin intérimaire avec un autre médecin dans la ville de Kipling, en Saskatchewan, dont la population s'élevait à 2 000 personnes. On avait recours à un avion pour transférer les patients. En tant que jeune médecin, je priais Dieu de ne pas faire d'erreurs. J'ai vécu cela, mais je ne m'en suis pas vraiment rendu compte. Au moins, nous avions un hôpital, des gens pour nous remplacer et des infirmières. Maintenant, j'entends cela, et c'est une situation bien pire encore. Je me trouvais très brave d'y avoir travaillé pendant deux semaines parce que je remplaçais un médecin. Cela a été un grand défi et cela m'a donné beaucoup de courage pour aller de l'avant.
Mme Dickson-Gilmore : Vous avez parlé des services de counseling. Dans une des collectivités où je travaille, il y a une liste d'attente pour l'accès à un psychologue. Le psychologue vient sur place une fois par mois, peut-être. Dans cette collectivité précise, où je travaille depuis un peu plus de 16 ans, une des psychologues y était bien avant mon arrivée. Vers la fin de l'année dernière, nous nous sommes rencontrées dans la collectivité. Je lui ai dit : « Voici la liste des choses que vous devez faire pour le projet sur la justice. » Elle m'a répondu : « Non. C'est assez. Je ne peux plus le faire. Il n'y a aucun soutien. Je ne peux pas aider les gens. Ils ont besoin de quelqu'un sur place. » Même s'ils séjournent dans la collectivité pendant une semaine, ces gens ne peuvent qu'effleurer le problème.
Nous reconnaissons tous que le traumatisme historique est un enjeu important ici, et nous utilisons de merveilleux termes comme « effets intergénérationnels » sans penser à leur véritable signification. Vous êtes chanceux si vous réussissez à obtenir une demi-heure avec un psychologue. Que peut-on régler en une demi-heure?
La sénatrice Seth : Nous devons examiner la question. Voilà ce que nous sommes. Les problèmes sont ici. Nous devrions être plus attentifs à ce que nous pouvons faire et à ce qui est important pour que les gens puissent vivre. S'il n'y a aucune aide, il n'y a rien là-bas. C'est l'aspect le plus important de la vie.
Le sénateur Demers : Vous avez mentionné la ville de Châteauguay, où j'habite, et la sénatrice Raine a parlé du sport. Je vais vous parler de ce que l'on peut faire.
En tant qu'entraîneur, je m'occupais de 13 jeunes Autochtones. Au début, ils me rendaient fou. Ils avaient entre 16 et 19 ans et nous avions le droit d'avoir deux joueurs de 20 ans. Ils ne faisaient pas confiance aux gens de race blanche et je le comprenais. La première fois qu'ils ne se sont pas présentés à l'entraînement, nous les avons trouvés dans un bar. Avec le temps, plus ils se retrouvaient ensemble et grâce à la patience et un meilleur environnement, ils sont devenus de bons jeunes. Nous avons gagné des championnats. J'ai constaté qu'ils commençaient à me faire confiance et qu'ils feraient n'importe quoi pour moi.
Je me suis rendu à la LNH et j'ai toujours dit, en toute honnêteté, que je le dois à ces jeunes. Ils ont extrêmement bien joué, de sorte que nous nous sommes rendus aux championnats provinciaux. Ces jeunes étaient des durs et ils pouvaient affronter les meilleurs adversaires. J'aimais bien que mon équipe démontre un peu de robustesse. Ce que je dis, c'est que c'est possible.
Manquez-vous vraiment de gens pour vous aider à rassembler ces jeunes — je ne parle pas de joueurs de hockey, mais des garçons et de beaucoup de jeunes femmes — et à faire en sorte qu'ils aient le sentiment qu'ils peuvent nous faire confiance et que nous allons faire quelque chose pour eux? Lorsque vous avez parlé de Châteauguay, je me suis rappelé qu'il y a quelques années, nous avons tenu une réunion, à laquelle ces jeunes ont assisté. Ils sont mariés et l'un d'entre eux est policier. Ce sont des gens formidables, mais beaucoup d'entre eux s'en allaient dans la mauvaise direction; disons qu'ils n'allaient pas vers le Sud, en Floride.
Mme Dickson-Gilmore : Vous ne faisiez que jouer à ce sport doux et inoffensif qu'est le hockey; ce n'est pas comme s'ils jouaient à la crosse.
Le sénateur Demers : J'ai trouvé qu'ils ont un grand cœur. Ici, depuis quatre ans, je rencontre des Autochtones. Sils sont de votre côté, ils le seront pendant longtemps. Ils ne veulent pas se faire avoir parce qu'ils ne vous font pas confiance — et je comprends cela —, mais lorsqu'ils vous font confiance, ils feront n'importe quoi pour vous. J'ai vécu cette expérience formidable; il est donc possible de le faire.
Mme Dickson-Gilmore : Vous abordez là l'une des conclusions de recherche les plus convaincantes qu'il m'ait été donné d'apprendre et, encore une fois, j'en ai été informée par mon amie Carol La Prairie. Il y a de nombreuses années, elle a entrepris une recherche novatrice qui n'a jamais été reproduite. Avec une équipe de recherche, elle est allée dans divers milieux urbains au Canada et elle a mené des entrevues auprès d'itinérants. Chaque ville a été divisée en une série d'arrondissements, à partir du noyau central de la ville jusqu'à ce que l'on pourrait appeler la banlieue, mais pas tout à fait; ce serait plutôt le noyau central jusqu'à sa périphérie. Elle a parlé aux gens qui étaient auparavant dans le noyau central et qui en sont sortis. Elle dit qu'ils ont tous raconté la même histoire, sans exception. Lorsqu'on leur a demandé comment ils s'en étaient sortis, ils ont tous répondu que c'était grâce à une personne, qu'ils avaient rencontré une personne qui était à la bonne place au bon moment et que c'est cette personne qui les a sauvés.
J'ai pensé que c'était un pouvoir formidable. Cela signifie que si nous pouvons envoyer de telles personnes dans ces endroits, nous pouvons obtenir des changements positifs. C'est aussi la chose la plus terrifiante que j'ai entendue : qu'arrivera-t-il si cette personne unique n'est pas là? Au pays, dans beaucoup trop de collectivités et dans beaucoup trop de contexte, cette personne n'est pas là.
Le sénateur Enverga : Vous avez parlé de l'arrivée d'une industrie primaire dans une collectivité. Il semble que beaucoup de gens de cette activité n'ont pas obtenu un emploi convenable. Donc, qu'est-il advenu de la collectivité?
Mme Dickson-Gilmore : Attawapiskat n'est pas très loin de la mine de diamants de De Beers. Les emplois promis là- bas ne se sont jamais concrétisés. Que fait la communauté? Elle se tourne vers les personnes avec qui elle entretient une relation de confiance. L'entreprise a l'obligation fiduciaire d'offrir des emplois ainsi que d'appuyer et de fournir des ressources à cette communauté pour pouvoir utiliser ses terres et extraire ses ressources, mais cela ne se produit pas vraiment.
Le sénateur Enverga : Est-ce que les personnes restent simplement là-bas?
Mme Dickson-Gilmore : Elles abandonnent, tout simplement.
Le sénateur Enverga : La communauté a dû connaître un essor.
Mme Dickson-Gilmore : Il y a une communauté de travailleurs du Sud qui œuvrent dans cette mine. Bien peu de membres de la communauté autochtone travaillent dans les mines.
Le sénateur Enverga : Ils ne se sont pas adaptés, en quelque sorte?
Mme Dickson-Gilmore : Ce n'est pas une question d'adaptation; c'est une question de décrocher l'emploi qui est offert là et de pouvoir le garder. Encore une fois, la question se rapporte en partie aux défis auxquels font face ces communautés et les traumatismes historiques et effets intergénérationnels qu'ils supposent. Il y a des jours où le simple effort de se lever est pénible. Si vous ne vous présentez pas au travail, vous perdez votre emploi, et au bout du compte, on arrête de vous embaucher.
Le sénateur Patterson : Vous avez parlé du besoin de favoriser une volonté politique différente. J'ai lu des études récemment qui ont prédit une chose très inquiétante. À cause des problèmes que vous avez décrits et des données démographiques, le nombre de jeunes et le taux de chômage élevé, le Canada pourrait être confronté à des rébellions et des manifestations comme celles qui ont paralysé le pays par le passé, comme celles d'Ipperwash et d'Oka. Dans vos études et votre travail, craignez-vous que ce type de problème survienne si on ne réagit pas?
Mme Dickson-Gilmore : Parfois vous devez hurler pour qu'on vous entende comme si vous chuchotiez. C'est la réalité des peuples autochtones dans ce pays. N'oubliez pas que la crise d'Oka s'est produite à cause d'un crime foncier précis non réglé et de l'orgueil démesuré des administrations municipales. Elle aurait pu être évitée.
Le sénateur Patterson : Mais elle s'est produite.
Mme Dickson-Gilmore : Effectivement. Je le dis maintenant, en tant qu'ancienne commissaire des revendications des Indiens. Depuis la dissolution de notre commission, nous n'avons pas trouvé de meilleure façon de répondre aux revendications précises, et il s'agit de revendications au titre de la Loi sur les Indiens, de revendications fiduciaires et de revendications issues de traités. Le processus global de revendications n'avance pas aussi rapidement qu'il le devrait.
Nous avons vu le peu qui a été fait au cours des six derniers mois, alors qu'il est toujours nécessaire d'avoir recours à des mouvements comme Idle No More et que des leaders autochtones, des femmes, choisissent de mourir de faim simplement pour être entendues. Est-ce si difficile d'entendre les peuples autochtones alors qu'il y a deux immeubles à Hull qui sont supposément là pour cela?
On n'écoute pas. Ce n'est pas que les peuples autochtones ne parlent pas. On ne les écoute pas. Si vous devez hurler pour qu'on vous entende comme si vous chuchotiez, vous commencerez à hurler, et un certain nombre de Canadiens non autochtones hurleront à vos côtés.
Oui, je crois que cela pourrait se produire. Si c'est ce que nous devons faire pour changer les choses, ainsi soit-il, mais cela dépendra aussi d'un choix politique, pas celui des peuples autochtones, mais du reste du Canada.
La vice-présidente : Madame Dickson-Gilmore, vous nous avez donné matière à réflexion et vous avez clairement su retenir l'attention du comité. Nous avons posé de nombreuses questions à bien des égards.
J'ai moi-même noté un certain nombre de points que vous avez mentionnés et qui m'ont vraiment interpelée, et je ne le fais pas d'habitude. J'ai été notamment frappée lorsque vous avez dit « si vous trouvez une façon de sortir, vous sortez » en parlant de la vie dans les réserves où les conditions sont lamentables.
Il y a un certain nombre d'années, j'ai demandé au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien de me dresser un portrait de la situation au Canada, et personne n'a semblé capable de répondre à cette question. J'ai toujours pensé qu'il serait bien de connaître la situation des quelque 620 communautés dans les réserves, si nous avions un endroit où aller pour au moins avoir une idée des communautés qui se portent bien et de celles qui vivent dans la détresse.
Ma mère est née au sein de la Première nation de George Gordon, au nord de Regina. Elle est allée au pensionnat. Le dernier pensionnat au Canada a fermé ses portes en 1996, celui de la Première nation de George Gordon, alors il s'agit d'un traumatisme historique. Elle a quitté la réserve et a épousé mon père, qui était Chinois, et pas une personne qui avait le statut d'Indien. Je lui rends grâce chaque jour d'être sortie. Je crois que c'est la chose la plus sensée qu'elle pouvait faire parce que, en tant que femme, vous savez qu'il est probable que vous vous mariiez et que vous ayez des enfants, et elle ne voulait pas que ses enfants grandissent dans ces conditions. C'était la seule personne. L'autre était enseignante.
Comme vous l'avez dit, instaurer des changements peut sembler décourageant; cependant, si vous avez les ressources humaines nécessaires, une personne peut être l'instigatrice de ce changement. Même si les propos que nous avons tenus sont déprimants, je vois toujours beaucoup d'espoir, et je vois beaucoup d'espoir dans le mouvement Idle No More.
Mme Dickson-Gilmore : Tout à fait.
La vice-présidente : Sur ce, j'en arrive au mot de la fin. Je lève la séance et vous remercie infiniment de cette discussion très stimulante.
(La séance est levée.)