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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 37 - Témoignages du 29 mai 2013


OTTAWA, le mercredi 29 mai 2013

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 52, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bonsoir. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui regardent la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones à CPAC ou en ligne. Je m'appelle Lillian Dyck. Je viens de la Saskatchewan et je suis vice-présidente du comité. Ce soir, notre président avait un autre engagement, alors je vais présider la séance.

Le comité a pour mandat d'examiner la législation et les affaires liées aux peuples autochtones du Canada en général. Lorsque le comité détermine quelles études il aimerait entreprendre, il arrive parfois que nous invitions des gens, et des représentants d'organisations et de ministères pour nous donner une idée des sources de préoccupation qui relèvent de leur mandat.

Récemment, nous avons entendu des témoins parler des Autochtones et du système de justice pénale. Aujourd'hui, nous allons poursuivre cette étude en entendant des représentants de l'Assemblée des Premières Nations.

Toutefois, avant d'écouter nos témoins, j'aimerais profiter de l'occasion pour demander aux membres du comité ici présents de se présenter. Je vais commencer à ma gauche.

Le sénateur Sibbeston : Je m'appelle Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest.

Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Nunavik.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

Le sénateur Demers : Jacques Demers, du Québec.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

La sénatrice Seth : Asha Seth, de l'Ontario.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.

La vice-présidente : Mesdames et messieurs les membres du comité, veuillez m'aider à accueillir nos témoins de l'Assemblée des Premières Nations. Tout d'abord, nous avons Shawn Atleo, chef national. Bienvenue, chef Atleo. Vous êtes bien connu partout au pays.

Cameron Alexis, chef régional de l'Alberta, et Roger Augustine, chef régional du Nouveau-Brunswick et de l'Île-du- Prince-Édouard, l'accompagnent.

Si nous avons bien compris, chef Atleo, vous avez un autre engagement et ne pouvez rester que 45 minutes, mais les chefs régionaux peuvent rester pour répondre aux questions auxquelles on n'aura pas répondu. Veuillez présenter votre exposé.

Shawn (A-in-chut) Atleo, chef national, Assemblée des Premières Nations : Merci beaucoup, madame la présidente, sénatrice Dyck, et merci à vos collègues. Chers sénateurs, merci de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui. Comme je l'ai mentionné, je suis très honoré d'être ici avec mes collègues, le chef régional Roger Augustine, à ma gauche, avec qui je travaille depuis de longues années maintenant, et notre collègue, le chef régional Cameron Alexis, comme vous l'avez mentionné, madame la présidente, qui représente l'Alberta, mais qui est aussi fort d'une vaste expérience dans le domaine des services policiers, en sa qualité d'ancien membre de la GRC. Nous lui sommes très reconnaissants d'avoir accepté des responsabilités nationales liées au portefeuille de la Justice.

Je sais qu'un groupe de sénateurs comme le vôtre tiendra compte dans ses discussions du fait que notre peuple, les Premières Nations, continue de vivre dans un état d'institutionnalisation. Beaucoup trop de familles sont passées des pensionnats indiens à des établissements médicaux ou à des foyers d'accueil, ainsi qu'à des prisons fédérales et provinciales. Je suis certain qu'on est très sensibilisés à ce contexte, au fait que notre peuple continue d'être surreprésenté dans tous les volets du système de justice pénale, en tant que victimes ou en tant que délinquants, chez les jeunes comme chez les adultes.

Nous savons que les femmes et les filles autochtones sont plus de cinq fois plus susceptibles de mourir à la suite d'un acte violent que les Canadiens en général. Nous savons que, à l'heure actuelle, les Autochtones représentent plus de 21 p. 100 de la population carcérale. Lorsque nous regardons les établissements pour femmes, cette proportion s'élève à 32 p. 100. Si on regarde plus particulièrement les établissements à sécurité maximale, la surreprésentation des femmes appartenant aux Premières Nations est véritablement ahurissante.

Il y a des symptômes et des indicateurs qui montrent que quelque chose est profondément brisé. En tant que législateurs et dirigeants, nous avons réellement la responsabilité collective de prendre des mesures pour corriger la situation.

Il ne s'agit pas d'un problème nouveau ou émergent. Toutes les personnes ici présentes y ont déjà pensé et en ont déjà parlé. On a mandaté de nombreuses commissions d'enquête qui ont donné lieu à des rapports contenant des recommandations concrètes. De nombreux intervenants ont conclu que non seulement les principes et les procédures du système de justice pénale canadien sont incompatibles avec les lois et coutumes autochtones, mais il faut prendre des mesures claires pour arriver à la réconciliation, afin de pallier les conséquences intergénérationnelles de l'institutionnalisation forcée et des préjudices sociaux et culturels.

On a recommandé d'habiliter les communautés autochtones à établir leur propre système de justice, et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones va dans ce sens.

En outre, la Commission de réforme du droit du Canada croit aussi que le système de justice ne devrait pas être monolithique, et que les systèmes de justice autochtones doivent être adaptés aux besoins des Autochtones, avoir un caractère communautaire et être contrôlés par les gouvernements autochtones.

Madame la présidente, peut-être que la question qui doit être posée et examinée dans le cadre de votre étude est de savoir non pas quel est le problème ou ce qu'il faudrait faire pour y remédier, mais ce qui nous a empêchés de faire le travail.

L'an dernier, les modifications qu'a entraînées le projet de loi C-10 comprenaient les peines minimales imposées pour certaines infractions, ce qui limite le pouvoir discrétionnaire du juge. Dans l'arrêt Gladue, la Cour suprême du Canada a indiqué aux juges responsables d'imposer les peines qu'ils devaient tenir compte des autres problèmes systémiques qui touchent les délinquants autochtones, dont les conditions sociales et économiques et l'héritage de dépossession et de colonisation des Autochtones.

Dans l'arrêt Gladue, la Cour suprême du Canada a également établi que, dans certains cas, les délinquants autochtones devraient être traités différemment. L'alinéa 718.2e) du Code criminel prévoit que les juges responsables de l'imposition de la peine doivent entreprendre ce processus différemment dans le cas des délinquants autochtones afin de tenter de concevoir une peine véritablement adaptée et adéquate au cas particulier. Les modifications apportées par l'intermédiaire du projet de loi vont empêcher le recours à d'autres mécanismes de règlement ou la prise en considération du contexte des délinquants autochtones.

Il n'y a pas ici d'intention restauratrice. L'intention n'est pas d'empêcher les préjudices ultérieurs ni d'agir sur les conditions à l'origine de l'incident crucial ou criminel. L'intention est à la fois de faire appliquer la loi et de punir les comportements.

Les collectivités des Premières Nations se distinguent particulièrement pour la présence parfois excessive, parfois insuffisante, des services de police. Les services de police accordent une attention disproportionnée à notre peuple, ce qui a souvent pour conséquence de multiplier les cas d'arrestation, de détention sans accusation et de traitement plus dur, parfois physique, par la police. Nous avons récemment eu un rapport de Human Rights Watch international sur l'inconduite de la GRC, sa négligence en matière d'enquêtes et sa violence pure et dure en Colombie-Britannique. Cela fait maintenant l'objet d'une enquête par la Commission des plaintes du public. Il s'agit d'un exemple parmi tant d'autres du climat global de méfiance et de mauvaise compréhension entre nos peuples et la police.

Ironiquement, en parallèle, les services de police des Premières Nations ont intégré des approches culturelles efficaces, professionnelles et adaptées à la culture. Or, ces services font face à des difficultés de taille. Ils sont sous- financés et dépendent d'une formule qui ne reflète pas leurs frais de fonctionnement ni leurs besoins réels selon les demandes de services et les interventions adaptées à la culture. Les services de police des Premières Nations sont le premier répondant, ils connaissent les collectivités et les gens qu'ils servent et ont obtenu de véritables résultats sur le plan de la réduction de la criminalité, mais on considère qu'il s'agit seulement d'une amélioration ou d'un complément à d'autres services de police.

Encore une fois, nous posons la question : en quoi cela est-il le moindrement raisonnable sur le plan financier, sur le plan pratique et en fonction des résultats? Il s'agit de services cruciaux et essentiels, et on devrait leur réserver le même traitement que pour tout autre service de police au pays.

Je sais que le Sénat, qui comprend, madame la présidente, le président qui est absent ce soir, possède une profonde expérience des services de police partout au pays. Il est très rare qu'on dise à la police qu'elle n'obtiendra pas l'argent dont elle a besoin pour faire son travail. Il arrive très rarement qu'elle fasse l'objet de compressions ou de limites budgétaires. Pour les Premières Nations, il n'en est pas ainsi.

Les collectivités des Premières Nations ont des solutions. À l'échelle du pays, nous voyons des membres de notre peuple assumer la responsabilité et le contrôle, parfois à l'aide de petits cercles de justice qui aident les victimes ou les personnes qui sortent de prison à guérir. Dans d'autres cas, nous voyons le déploiement intégral de systèmes traditionnels, qui représentent nos propres méthodes d'intervention auprès des auteurs de méfaits et d'entraide.

Au bout du compte, ce sont nos collectivités et nos nations qui rebâtiront notre propre système de justice et nos propres institutions qui refléteront nos valeurs, aideront nos enfants et nos familles et permettront de véritablement travailler à réconcilier le cheminement de nos citoyens, peu importe ce qui les a menés à leur situation actuelle.

Or, encore une fois, après avoir déployé des efforts considérables pour établir un système d'administration de la justice selon leurs propres paramètres — comme le système judiciaire des Tlingits de Teslin, qui a été négocié dans le cadre de leur entente sur l'autonomie gouvernementale —, elles se heurtent à des obstacles persistants qui les empêchent de réaliser leur vision et continuent à subir le retard de décisions cruciales du gouvernement fédéral. Nous voyons aussi ce phénomène se refléter dans l'intervention fragmentée et programmatique du gouvernement fédéral à l'égard des problèmes des Premières Nations et dans la multitude d'efforts déployés par différents ministères pour la prévention du crime, la prévention de la violence et la justice réparatrice. Toutes ces choses sont intéressantes, mais elles ne constituent pas la vision ou le soutien exhaustif dont ont véritablement besoin les Premières Nations.

Nos collectivités veulent restaurer leurs propres systèmes afin que leurs membres puissent jouir d'une sécurité, aider leurs enfants à réussir, à apprendre et à grandir, être en sécurité chez eux et être en sécurité partout.

L'une de nos priorités les plus impérieuses et pressantes consiste à faire justice aux femmes et aux filles autochtones portées disparues ou assassinées. Je sais qu'il s'agit d'une question, mesdames et messieurs les sénateurs, que vous connaissez tous très bien. Je félicite la sénatrice Lovelace Nicholas d'avoir réclamé une commission d'enquête sénatoriale qui se penchera sur le cas des femmes autochtones disparues et assassinées. En outre, nous reconnaissons l'apport du comité de la Chambre des communes qui a été saisi de cette question, mais je crois que, encore ici, on peut demander à juste titre : Pourquoi ne l'avez-vous pas fait avant? Après toutes les études, tout le travail et toutes les déclarations, pourquoi continue-t-on à cibler les femmes de notre peuple?

Nous sommes favorables à une étude du Sénat sur les questions judiciaires liées aux peuples autochtones au Canada. Je recommanderais au Sénat de procéder à un examen en profondeur pour déterminer pourquoi, après d'innombrables recommandations et études, les gouvernements n'ont-ils pas pris les mesures nécessaires pour réellement s'attaquer aux problèmes qui incombent à notre peuple dans le système judiciaire. Une telle étude porterait sur le préjudice de l'institutionnalisation pour notre peuple et les répercussions sociales et financières réelles de l'intention actuelle en matière de lois et de politiques.

Quels sont les coûts, pour la société ou pour une famille, de prendre soin des enfants dont la mère a été assassinée? Quels sont les coûts de l'emprisonnement d'une génération de jeunes hommes impliqués dans des activités de gang plutôt que d'investir pour leur apprentissage et de contribuer à leur développement? Ces questions ne sont ni abstraites ni hypothétiques. Pour un trop grand nombre de citoyens des Premières Nations, ces problèmes sont une réalité quotidienne. Peut-être qu'un examen honnête de ces questions et le fait de définir les coûts pour la société, les gouvernements, nos familles et nos collectivités généreraient la matière nécessaire pour un engagement soutenu à agir.

Je crois que nous savons ce qu'est le problème. Je crois que nous savons quelles sont les solutions. Toutefois, nous avons besoin de la détermination, de la volonté et du leadership pour y arriver. La réconciliation de nos approches à l'aide d'un dialogue et d'une compréhension est la première étape. Un plein soutien à nos gouvernements et à nos nations pour mettre en œuvre nos propres solutions éliminera les obstacles à la justice.

J'ai hâte à notre conversation de ce soir. Merci encore, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs, de vos efforts et de votre volonté de procéder à un examen plus poussé de cette question. Merci beaucoup.

La vice-présidente : Merci, chef national. Nous allons maintenant commencer les questions.

Le sénateur Demers : Merci beaucoup, chef. Vous êtes déjà venu ici. Votre témoignage est toujours clair, et cela me plaît beaucoup.

Votre population est très jeune. Nous avons assisté à une réunion l'autre jour, et on parlait de 25 ans. Que se produit-il à l'heure actuelle, depuis les quatre années que je siège au comité, quant à la progression de la violence, particulièrement celle touchant les femmes? Le fait que vous ayez une population si jeune... De quoi avez-vous besoin pour joindre ces jeunes? Est-ce une question de structure? La pire période est celle entre 18 et 25 ans. Je vois plus de femmes et de jeunes hommes se mobiliser.

Vous qui avez déjà été policier, comment communique-t-on et travaille-t-on avec ces jeunes pour qu'ils deviennent de meilleurs citoyens? Où est l'aide? Où trouvez-vous cette aide?

M. Atleo : Je sais que vous visez mes collègues.

Le sénateur Demers : Comme il a déjà été policier, il pourrait peut-être répondre, mais j'aimerais aussi entendre votre réponse.

M. Atleo : Je crois qu'il faut comprendre très clairement les liens lorsque je parle de l'investissement dans nos jeunes.

Pour nos dirigeants, l'éducation est au sommet des priorités, pas seulement depuis un an et pas seulement depuis six mois. L'Assemblée des Premières Nations s'attache au contrôle de l'éducation des Autochtones depuis le début des années 1970, et c'était une priorité bien avant cette époque.

Faire passer cette idée, dans un moment comme celui-ci, où il est question du coût... Il est plus rentable d'ouvrir plutôt la porte d'une école; on ferme alors la porte d'une cellule de prison. À l'heure actuelle, les taux d'incarcération chez nos jeunes sont plus élevés, dans certains cas, que les taux de diplomation. On a reconnu — et je crois que cela a été bien accueilli et compris — que les jeunes apprenants des Premières Nations sont sous-financés comparativement à leurs homologues de la société canadienne générale.

Nous avons collectivement hérité de ce système. Ainsi, il faut investir dans ces jeunes. Il faut reconnaître que notre société doit actuellement faire ce choix. Nous avons besoin de 60 écoles immédiatement. Ouvrir la porte de ces écoles revient à fermer la porte d'une cellule de prison. Ce n'est pas quelque chose que nous avons vu.

La question de l'éducation suscite maintenant de l'attention à l'échelle nationale. Ce travail doit progresser rapidement pour se traduire en investissement dans les jeunes. Il est très étroitement lié aux questions que nous avons soulevées à l'échelle nationale, l'an dernier et plus récemment, en janvier dernier.

Les traités doivent être mis en œuvre. La question de la négociation territoriale doit progresser. Nous devons réaménager des politiques désuètes et les mettre au diapason des avancées en common law. Nous devons assurer la prospérité économique de notre peuple, pour qu'il y ait des possibilités de travailler et de décrocher un emploi en fonction des réussites sur le plan de l'éducation, tout en reconnaissant qu'il y a de multiples autres difficultés, dont la nécessité de logements et la salubrité de l'eau potable. Parfois, la tâche est décourageante. Elle est extrêmement complexe.

Dans le domaine de la justice, beaucoup de Premières Nations ont établi leurs propres systèmes. Il faut les soutenir.

Je devrais ajouter, pour conclure, le message à tirer de l'expérience des Tlingits de Teslin. Ils ont négocié un accord de règlement avec le Canada, mais ils continuent à m'accompagner ici et à faire du lobbying sur la Colline du Parlement, car, à leur avis, l'esprit et l'intention de cet accord, qu'ils ont négocié avec une armée d'avocats sur 10 ou 20 ans, ne sont pas respectés.

Ces accords intègrent leur vision en matière de justice. Il y a quelque chose qu'on doit reconnaître. Je formule une recommandation dès le départ. Beaucoup de travail a été accompli à ce chapitre. À cet égard, le Sénat doit se pencher sur la question de savoir pourquoi nous n'avons jamais mis en œuvre ou fait ce que nous savons nécessaire.

Peut-être qu'il faut regarder de plus près le puissant impératif économique que sont le vieillissement et les départs à la retraite de la population générale, d'une part, et le segment de la population canadienne qui croît le plus rapidement, c'est-à-dire les Autochtones âgés de moins de 25 ans, d'autre part, et considérer le potentiel énorme d'offrir à cette jeune population grandissante les compétences et la formation nécessaires sur le marché du travail.

Ne vous y trompez pas. Si nous n'investissons pas, la tendance que nous observons — des taux d'incarcération qui dépassent les taux de diplomation — se poursuivra. Cela n'est pas dans l'intérêt des Premières Nations ni du pays en général.

Le sénateur Demers : Réponse fantastique; merci beaucoup, chef Atleo.

Le sénateur Sibbeston : Je suis d'accord avec le chef Atleo pour dire que le gouvernement doit faire quelque chose. Comment pouvons-nous amener le gouvernement et les autorités, pour ainsi dire, à prendre des mesures concrètes visant les Autochtones et leur système carcéral?

À la lumière de ma propre expérience au gouvernement, je sais que le domaine de la justice et du système pénal — le système carcéral — est probablement ce qu'il y a de plus difficile à changer. Il est possible de changer des aspects de l'éducation, du logement et de la santé, mais, lorsqu'il est question du système judiciaire, il y a des gens très forts et bien enracinés. La police est très forte. Les procureurs sont très forts. Les juges sont ancrés dans leurs habitudes. Les autorités carcérales adorent voir des gens entrer dans la prison. Cela leur donne une raison de vivre et justifie leur existence. Le système est très difficile à changer.

L'autre chose, c'est que les Autochtones, surtout ceux qui finissent par avoir des démêlés, ne sont pas une priorité. On dirait, comme dans toute collectivité, qu'il y a tant de problèmes auxquels il faut s'attaquer. J'ai été avocat et j'ai passé quelques années à défendre les gens. La raison pour laquelle j'ai fini par prendre mes distances, c'est que je ne veux pas consacrer ma vie à interagir avec des gens qui ont des démêlés. Je veux passer ma vie à faire des choses positives pour la société, pour ainsi dire.

Cette situation est très difficile à gérer. Donc, de toute évidence, nous avons besoin de trouver un moyen de faire comprendre au gouvernement et aux gens qu'ils doivent faire quelque chose. La réponse est simple. Il y a une solution. Il s'agit d'une solution communautaire qui permet d'établir des mécanismes de justice communautaire. J'ai aussi travaillé dans ce domaine pendant quelques années, et c'est comme de la magie. On amène les gens à se réunir pour parler du problème, et la solution est la guérison. C'est comme de la magie lorsqu'on amène le délinquant auprès d'un groupe et que des aînés lui parlent.

L'accent doit être mis sur la guérison et le changement des habitudes. C'est quelque chose de difficile, mais il y a des solutions. Il faut que les gens du gouvernement aient l'impression que nous pouvons changer les choses et prennent des mesures.

Je vous demande, chef Atleo, si, dans le cadre de vos interactions avec le gouvernement au cours des dernières années, vous avez déjà présenté la question au premier ministre Harper et aux hauts fonctionnaires et si on vous a déjà donné un quelconque signe qu'il serait possible de faire quelque chose à ce chapitre.

M. Atleo : J'ai deux ou trois idées. Les efforts, à la rencontre avec la Couronne en janvier dernier et à la réunion avec le premier ministre — qui correspond à ma dernière conversation avec le premier ministre en janvier dernier —, se rattachent à la reconnaissance, au besoin de reconnaître que les Premières Nations ont le droit d'avoir le pouvoir sur la question de la justice. Cette idée est également intégrée à la Déclaration de l'ONU sur le droit des peuples autochtones. Elle est exprimée de différentes façons.

Il y a l'exemple des Tlingits de Teslin, qui ont négocié un accord prévoyant, entre autres, ce qu'ils décriraient comme le droit de s'accaparer graduellement la compétence en matière de justice afin de réaliser leur vision de la justice, comme l'explique le sénateur Sibbeston. Pourtant, nous avons constaté que c'est pour cela même que nous réclamons instamment, à l'échelon politique supérieur, qu'une attention soit accordée au soutien des Premières Nations afin de mettre en œuvre leur droit issu de traités et leur vision d'une justice autonome.

Nous constatons qu'il n'y a même pas assez de soutien pour mettre en œuvre un accord moderne qui, comme je l'ai dit, a été négocié avec des légions d'avocats qui se sont penchés sur les menus détails. Voilà pourquoi nous avons encore du mal. Ce n'est pas seulement pour un accord. Une coalition sur les revendications territoriales a été constituée par les signataires d'accords modernes à cause du manque de soutien, surtout à l'échelon du gouvernement fédéral, visant la mise en œuvre de ces accords.

Ce sentiment est manifesté dans tous les traités, qu'ils soient récents ou qu'ils datent de très longtemps, comme les traités nos 1 à 11, les traités Robinson-Huron ou les traités micmacs, qui ont 400 ans. Ce sentiment est présent partout.

Les Premières Nations ont à cœur leur droit en matière de compétence dans un domaine comme la justice. Des groupes comme les Tlingits de Teslin ont entrepris de négocier les répercussions pour le reste de la société. Ils ont constaté qu'il existe des obstacles à la mise en œuvre des concepts convenus dans l'entente. C'est la première chose.

La deuxième chose tient aux difficultés qui incombent à nos jeunes et rejoint ce que disait le sénateur Demers. J'aimerais citer un ancien juge à la cour et un homme qui a passé cinq ans à occuper le poste de lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique : il s'agit du chef Stó:lo, Steven Point. Dans un récent forum, il a parlé de ce problème qui afflige notre peuple, des conditions que nous connaissons et du traitement qu'on semble nous avoir réservé. J'espère qu'il ne m'en voudra pas de répéter son propos, mais il l'a dit en public. Puisqu'il s'agit de mon aîné, je tiens à dire que c'est le message qu'il m'a transmis.

Il a comparé la façon dont on nous parle souvent à une situation où on casserait la jambe d'un homme un jour pour lui reprocher de boiter le lendemain. Il a dit que c'est ainsi que notre peuple a souvent l'impression qu'on lui parle ou qu'on le traite, compte tenu des problèmes et des difficultés découlant de générations institutionnalisées, de la rafle des années 1960 et des pensionnats indiens. La liste semble interminable, et les tendances semblent se perpétuer à l'infini.

Les projets de loi dont j'ai parlé et les politiques qu'on a déployées ne visent pas à rétablir l'harmonie ou à rompre le cycle d'institutionnalisation; ils semblent plutôt viser à le perpétuer. Je sais qu'aucun d'entre nous n'aimerait voir cela. Nous voulons voir nos jeunes réussir.

Nous sommes ici pour dire que nous avons des réponses, fruit de négociations entre les gouvernements des Premières Nations et la Couronne fédérale, qui pourraient servir d'exemples pour illustrer ce à quoi pourrait ressembler une vision réelle. Il n'est pas tant question d'étudier ces éléments; ces éléments sont déjà en place et ils ont déjà fait l'objet d'une étude.

Je pense à mon interaction récente avec le Bureau du médecin hygiéniste en chef de la Colombie-Britannique pour parler du rapport spécial qu'a récemment produit dans cette province le Dr Perry Kendall. Il s'agit encore d'un autre rapport qui renforce le besoin de s'assurer que les Premières Nations ont des soutiens et que l'accent soit mis sur les solutions dans le domaine de la justice des Premières Nations.

Sénateur Demers, madame la présidente, je pensais particulièrement aux jeunes. Peut-être qu'on pourrait permettre au chef Alexis de parler de la situation lamentable dans laquelle se trouvent nos jeunes, car il a été membre de la GRC pendant 20 ans. C'est pourquoi nous lui avons demandé de prendre les devants dans le domaine de la justice. Je laisse cela à votre discrétion, madame la présidente.

La vice-présidente : Aimeriez-vous répondre maintenant, chef Alexis?

Cameron Alexis, chef régional (Alberta), Assemblée des Premières Nations : Merci beaucoup, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs. J'aimerais vous remercier de m'avoir donné l'occasion de témoigner devant vous sur ces questions qui nous préoccupent tous. Je remercie le chef national et mon collègue, M. Augustine, d'être aussi des nôtres.

C'est la deuxième fois que je témoigne devant le Sénat, alors je suis assez privilégié et je vous suis très reconnaissant de m'avoir donné cette occasion.

Merci beaucoup, sénateur Demers, pour vos commentaires. Je suis membre des Premières Nations, j'appartiens à la Première nation des Sioux des Nakota d'Alexis au centre de l'Alberta, un territoire régi par le traité no 6. Je parle ma langue.

[Note de la rédaction : Le chef Alexis s'exprime dans une langue autochtone.]

Si j'approfondissais, monsieur, il y a beaucoup de questions qui se chevauchent peut-être dans tout cela; beaucoup de dimensions différentes se chevauchent, dont la santé, l'éducation et l'économie. Pourquoi l'économie? J'aborde cet aspect parce que, historiquement, ce sont les Premières Nations qui composent les communautés les plus anciennes du pays et, dans une certaine mesure, elles vivent toujours dans la pauvreté.

La pauvreté est à l'origine de nombre de situations; c'est la pauvreté qui est à la source de situations liées à la drogue et de situations liées à l'alcool. Certains de nos jeunes se rendent dans de grands centres urbains pour parfaire leurs études, par exemple. Malheureusement, ils n'y arrivent pas toujours. Ils se rendent dans un grand centre urbain pour obtenir un emploi de meilleure qualité, peut-être; malheureusement, dans une certaine mesure, certains d'entre eux se retrouvent dans une situation judiciairement problématique, pour ainsi dire.

Pour certains d'entre eux, c'est là que commence le déclin, après quoi il est impossible de revenir en arrière. C'est triste à voir, car j'ai arpenté les rues des grands centres urbains. Voir les gens de mon peuple souffrir dans des grands centres urbains n'est pas agréable, surtout en ma qualité de membre des Premières Nations.

Le principal problème auquel nous devons nous attaquer collectivement — et ce n'est pas le seul — est la pauvreté. Si nous pouvons éliminer la pauvreté au Canada, pas seulement pour les Premières Nations, mais pour tout le monde, peut-être que nous pourrions offrir une meilleure vie à tous les Canadiens.

L'autre question que j'aimerais aborder est celle des traités. Les droits issus de traités dans notre pays devraient être transférables. Je reviens encore aux enfants et aux jeunes; les droits issus de traités ne suivent pas toujours l'enfant. Si une personne veut poursuivre des études postsecondaires ou universitaires, elle constatera que, parfois, le financement ne suit pas toujours le jeune. Dans une certaine mesure, c'est ce qui se produit.

Un dernier bref commentaire, si vous le permettez, madame la présidente.

La vice-présidente : Oui, s'il vous plaît.

M. Alexis : En ce qui concerne le volet de la justice, nous avons tous besoin d'un changement de paradigme. Notre perspective du monde à ce moment de l'histoire canadienne doit commencer à changer.

Notre population augmente. Quelle est la réponse? Nous n'avons pas de réponse. La capacité de nos institutions augmente; ce qui témoigne de la dépendance à l'égard des institutions. Que va-t-on faire? Le phénomène se fait ressentir dans d'autres domaines aussi. Nous devons approfondir notre examen pour sonder toutes les facettes de la justice, à mon avis.

Cela dit, sénateur, vous avez soulevé un bon point. Les services correctionnels ont des syndicats. Nous devons parler des syndicats et de leur pouvoir. Les lois fédérales sont-elles toujours compatibles? Sont-elles en harmonie? Je n'en ai pas toujours l'impression, car il y a des protocoles découlant des lois et des entités. Ces choses doivent être examinées en profondeur dans toute leur intégralité, puis reconstruites du début.

La sénatrice Raine : Merci à tous d'être venus. Si vous me le permettez, j'aimerais demander au chef Atleo de donner plus de détails et d'expliquer le système judiciaire qu'ont proposé les Tlingits de Teslin. Je ne le connais pas. Pourriez- vous nous en tracer les grandes lignes?

Ils ont présenté une proposition pour mettre en place... un système judiciaire pour leur Première nation. Quels sont les mécanismes de soutien manquants?

M. Atleo : Je ne pourrais pas répondre en détail. Il serait peut-être intéressant de leur parler directement à ce sujet.

Mes interactions avaient pour but de les soutenir dans leur défi de négocier une entente de mise en œuvre des dispositions déjà négociées de leur accord.

Je peux parler en termes plus généraux, toutefois. Je sais qu'on pourrait aussi parler de collectivités qui ont établi leur propre système judiciaire. Akwesasne en est un exemple. C'est un territoire qui chevauche la frontière du Québec et de l'État de New York.

Je peux vous donner plus de détails et parler d'Ahousaht, mon propre village. Nous avons créé notre système judiciaire d'Ahousaht. Il y a des moments où, dans mon village, nous demandons à la GRC de libérer les lieux, car nous prenons le contrôle pendant un potlatch. Elle le respecte; nous avons une entente, un arrangement. Quand nos lois sont en place, nous connaissons des périodes de paix et de stabilité maximales.

Nos délinquants sont soumis au cercle de détermination de la peine. Comme le décrivait le sénateur Sibbeston, cela vise à réparer les relations et à amener les gens sur la voie de la guérison et de la réconciliation. Cela vise à rompre les cycles de traumatisme intergénérationnel qui entraînaient des démêlés avec le système de justice pénale.

L'objectif est d'agir sur ces motifs sous-jacents, mais à l'aide des connaissances et des lois locales. Chaque Première nation aura dans sa mémoire collective la capacité d'appliquer un système de justice qui lui convient et qu'elle peut comprendre.

Pour notre part, nous avons appliqué une forme d'expulsion modifiée infligée à ceux qui pratiquaient le commerce clandestin d'alcool et contrevenaient aux lois de notre village. Nous avions un taux de succès bien au-delà de 90 p. 100; les gens acceptaient volontairement d'être expulsés de la collectivité, parce que, dans le cas contraire, ils étaient tenus de quitter la collectivité.

L'immense force que tire notre peuple des relations l'a amené à participer à ce travail et à profiter du soutien des aînés et des formes modernes de guérison et de conseils, mais aussi à participer à nos cérémonies et à nos traditions dans notre langue et à la lumière de la sagesse de nos aînés et des personnes qui possèdent le savoir sur notre territoire.

Je pourrais vous présenter un certain nombre de ces personnes de mon propre village, qui s'assoiraient devant vous et vous parleraient des changements dans leur vie et des changements de comportement, qui sont de moins en moins opposés, non seulement à nos lois, mais aux lois de la société générale. Le taux de réussite est beaucoup plus élevé ici que dans le genre de situation où l'on dirige les jeunes vers le système carcéral, qui semble n'être rien de plus qu'un autre atelier de formation pour les gens actifs dans le domaine de la criminalité. Ce n'est pas le genre d'expérience qui aide à briser des cycles.

Je pense aux réflexions de Perry Kendall concernant la Loi sur la sécurité des rues et des communautés, le projet de loi C-10, et les conséquences de cette loi ainsi que les répercussions disproportionnées sur les populations vulnérables, surtout les Premières Nations — le cycle de criminalité que nous essayons de briser — ainsi que la mauvaise santé, les problèmes de pauvreté auxquels il est très difficile d'échapper et le fait que nous devons nous concentrer sur la prévention et la réadaptation.

Cela revient au point du juge Steven Point, lorsqu'il a dit que c'était comme casser la jambe d'un homme aujourd'hui pour lui reprocher de boiter demain. Essentiellement, pour ce qui est des aspects du projet de loi liés aux institutions et à la criminalité, c'est l'expérience que nous vivons, aucun objectif en matière de guérison, de réadaptation ou de prévention, sans égard à ce que j'ai dit plus tôt au sujet de l'investissement en éducation.

Nous sommes en instance devant le Tribunal canadien des droits de la personne sur une question de bien-être de l'enfance. Cela revient à ce que disait plus tôt mon collègue. Ces problèmes pourraient être réglés si on mettait en œuvre les traités et la Déclaration de l'ONU sur les droits des peuples autochtones et qu'on réglait la question du territoire.

Ce sont les points importants que nous avons soulevés à ce jour dans le cadre de nos deux principales réunions avec le gouvernement, l'une en janvier de l'année dernière, et l'autre, plus récemment, en janvier de cette année. Ils sont inextricablement liés. Je sais que nous observons la situation du point de vue juridique, mais je crois qu'il est juste et approprié d'établir le lien avec la discussion globale sur la relation entre les Premières Nations et la Couronne et la mise en œuvre d'ententes qui ont été conclues au cours des derniers jours.

La sénatrice Raine : Votre collectivité a l'autonomie gouvernementale, je crois.

M. Atleo : Non.

La sénatrice Raine : Pas encore? Arrivez-vous à faire en sorte que votre propre système de justice fonctionne? Le faites-vous en partenariat avec la GRC? Comment l'avez-vous mis en place? Il semble être sur la bonne voie.

M. Atleo : D'une part, nous avons une entente locale avec la GRC. À Ahousaht, nous avons un des premiers, sinon le premier, détachements de la GRC au pays. Cette relation locale date de bien des années.

Je dois dire que, actuellement, notre relation avec la Couronne fédérale s'exprime principalement par l'intermédiaire de la Loi sur les Indiens. Nous ne sommes donc pas une collectivité qui bénéficie de l'autonomie gouvernementale. Par le fait même, chaque Première nation, chaque nation autochtone, a des lois et des droits inhérents dans des domaines de l'ensemble de ce que nous appelons le maintien de l'ordre, y compris la justice. Certaines les appliquent. Cela n'est pas reconnu de manière officielle par le gouvernement fédéral ou par la pratique judiciaire courante. Il pourrait s'agir d'amendes données par les Premières Nations dans leurs domaines, des amendes qui sont payées aux tribunaux des Premières Nations qui ont été établis, ou du type de système, dont je parle, qui est en vigueur à Ahousaht, un système qui est très officiel du point de vue du droit d'Ahousaht, mais qui n'est pas reconnu officiellement. Cela se distingue ou est différent de la situation au Yukon et de celle des Tlingits de Teslin, qui ont négocié une entente moderne dont les avocats de chaque partie ont arrêté tous les plus menus détails et ont convenu qu'il y aurait une vision de la justice propre aux Tlingits de Teslin qui serait appuyée.

Ce que je dis, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est que des exemples de la sorte doivent être soutenus pour être mis en œuvre avec succès. De cette manière, vous renforcez et appuyez les solutions locales qui peuvent entraîner des résultats réels. Si nous soutenons ce travail à l'échelle nationale, il faut soutenir le type de résultats pour lesquels nous faisons pression, à l'égard desquels le premier ministre s'est engagé le 11 janvier, c'est-à-dire d'appuyer les Premières Nations et de mettre en œuvre les traités en procédant nation par nation et traité par traité. C'est ce que nous avons à faire.

Je crois que l'aspect judiciaire est important, car c'est celui où nous sommes le plus vulnérables. Il est également question des jeunes et du besoin d'agir rapidement pour les appuyer et investir en eux.

La vice-présidente : Je vais poser une autre question. Vous parliez des différents types d'ententes. Cela m'a fait penser aux différentes ententes qui sont conclues dans l'ensemble du pays concernant l'éducation. Dans certains cas, nous avons une entente bipartite, et, dans d'autres cas, tripartite. Je me demande si c'est une approche que l'on peut adopter, soit de passer d'ententes locales avec la municipalité la plus près au plein contrôle du maintien de l'ordre par une Première nation.

À ce sujet, quelqu'un a-t-il déjà fait un sondage à l'échelle nationale sur ce dont vous venez juste de parler en vue de décrire les diverses initiatives menées d'un bout à l'autre du pays? Y a-t-il un endroit où nous puissions aller pour en être témoins?

M. Atleo : Madame la présidente, je crois que cela peut être une bonne question puisque, a priori, je ne crois pas que cela ait été fait. Nous pouvons certainement nous pencher sur la question. Je crois qu'il y a certains exemples que nous pourrions évoquer aujourd'hui. Nous savons que des rapports ont été produits. Je ne voudrais pas les appeler des pratiques exemplaires, mais je constate qu'on a répondu à votre question en partie, selon moi, en affirmant qu'il n'y a pas de solution qui convient à tous. Le fait de passer des échelons supérieurs aux échelons inférieurs n'a pas fonctionné avant, et cela ne fonctionne pas aujourd'hui.

Puisque je dois maintenant vous quitter, madame la présidente, peut-être que mes collègues peuvent se livrer à des réflexions approfondies à propos de votre question. Nous appuyons les solutions des régions et des nations, où qu'elles soient, et fournissons tout notre soutien afin qu'elles se concrétisent. Je crois que c'est une excellente question sur laquelle nous devrions peut-être nous pencher ensemble.

La vice-présidente : Je me demande, juste avant que vous partiez, s'il s'agit d'une suggestion que vous voudriez que le comité examine, si nous n'avons pas cette information.

M. Atleo : Pour moi, cela découle de la notion selon laquelle il y a un sentiment profond, comme dans le domaine de l'éducation, dans le domaine de la justice, dans d'autres domaines. Je mesurerais plus de six pieds si je me tenais debout sur les rapports qui ont été produits sur ces questions. Notre peuple a le sentiment, et particulièrement les jeunes, qu'il est temps d'agir. Si le comité pouvait réfléchir aux mesures à prendre à cet égard, cela serait incroyablement utile.

Je sais que les chefs régionaux ici présents ont d'excellents exemples et une grande expérience. Je remercie le comité sénatorial de m'avoir donné le privilège d'être ici avec vous ce soir, et je vous remercie de l'attention que vous portez à ce sujet important.

La vice-présidente : Merci, chef national, pour votre sagesse.

Nous allons continuer avec la sénatrice Seth.

La sénatrice Seth : Ma question était destinée au chef. J'ai compris, selon ce qu'il a dit, que vous avez créé des programmes de lutte contre le crime destinés aux Premières Nations, pour des jeunes dès l'âge de 10 ans. Connaissez- vous un programme de Justice Canada destiné à ces jeunes? Est-ce un succès?

M. Alexis : Je vous remercie de votre question. Si on remonte à la CRPA, il y a eu, depuis 1991, plusieurs volumes de recommandations et plusieurs initiatives qui ont été menées pour intervenir auprès des jeunes, pour ainsi dire. Je vais vous donner un exemple.

Des programmes de justice réparatrice qui ont été lancés en Australie, par les Aborigènes, ont été présentés ici, au Canada. La justice réparatrice dans les conseils de détermination de la peine dirigés par des aînés des collectivités fonctionnait, et elle est toujours utilisée, dans une certaine mesure, par les systèmes judiciaires, mais pas suffisamment.

Si on examine les principes de Gladue de 1999, par exemple, on constate que, au Manitoba, ils ont très peu été invoqués. Il faut donc maintenant peut-être y réfléchir, et certaines pratiques exemplaires efficaces émaneront peut-être de cet exercice. Pensez aux changements de paradigme, aux nouveaux problèmes de gang, aux nouvelles drogues de la rue, à l'augmentation de la population et à la façon dont nous gérerons toutes ces choses. Nous devons examiner ces questions.

Madame la présidente, j'ai un bref commentaire au sujet du maintien de l'ordre. Il y a des ententes communautaires tripartites. Il y a des ententes à 51/49 avec les administrations provinciales quant au maintien de l'ordre dans les provinces. Ces ententes existent toujours, mais les utilise-t-on? C'est une autre question. Je voulais la soulever.

En Alberta, par exemple, je vais utiliser ma propre collectivité d'Alexis, si vous me permettez, madame la présidente. Depuis 35 ans, l'appareil judiciaire provincial de l'Alberta utilise un tribunal à Alexis pour les gens d'Alexis et des régions avoisinantes. Il n'a pas été financé, mais il existe depuis 35 ans. Peut-être qu'après être reconnus coupables, ils sont amenés à comparaître devant les aînés pour la détermination de la peine, qui pourrait être exprimée de la façon suivante : « Vous allez maintenant travailler avec les aînés en participant à la préparation de sueries et de cérémonies de la danse du soleil et en apprenant votre culture afin d'en être imprégnés. »

Ces programmes existent, et je les appuie. Fonctionnent-ils toujours? Peut-être que non, mais ce n'est pas faute d'avoir essayé. Cela fonctionne, et j'en ai été témoin. D'après ce que j'ai observé, la justice réparatrice demande un peu plus de temps puisqu'elle fait appel au bénévolat, mais elle donne des résultats. J'espère avoir répondu, dans une certaine mesure, à vos questions.

Le sénateur Patterson : J'aimerais poser la question au chef régional Augustine, car je crois que certaines initiatives en éducation ont été prises dans les Maritimes. Simplement pour nous remettre rapidement dans le contexte, nous sommes ici ce soir pour parler de justice, je sais. Cependant, on a mentionné et constaté que le risque accru d'avoir des démêlés avec le système de justice pénale est lié à un manque d'éducation. Je vais donc poser quelques questions au sujet de l'éducation.

Votre chef national a parlé de rapports et de la pile de rapports de plus en plus haute. L'année dernière, il y a eu, comme vous le savez, deux importants rapports sur l'éducation. Il y a eu le groupe d'experts spécial qui a été mandaté par le ministre des Affaires autochtones, puis il y a eu le rapport de ce comité. Ils ont tous les deux, je pense, dit la même chose, c'est-à-dire que nous devons élaborer une loi sur l'éducation des Premières Nations afin de consacrer des fonds à l'éducation et de créer une formule de financement juste et adéquate. C'est un court résumé de ce que notre comité a recommandé.

Je sais que des consultations sont en cours. Je sais qu'il s'agit d'une priorité pour le chef national et d'autres qui l'ont précédé, et je crois qu'il s'agit d'une priorité des anciens ministres des Affaires autochtones et du ministre actuel.

Je me demandais, chef Augustine, si vous pouviez nous faire part de votre point de vue sur la situation.

Roger Augustine, chef régional (Nouveau-Brunswick et Île-du-Prince-Édouard), Assemblée des Premières Nations : Je veux vous donner un bref aperçu de mon travail. J'ai d'abord été élu conseiller de la Première nation d'Eel Ground — c'est ma collectivité — en 1976. Ce mois-ci, j'ai célébré 38 ans de politique au sein des Premières Nations. Autrefois, j'étais beau, grand et brun. Aujourd'hui, vous voyez ce que vous voyez.

J'ai un fils, qui travaille au Service correctionnel du Canada. Il est agent correctionnel. J'ai deux neveux, qui sont des agents de la GRC. J'ai un fils, qui est un travailleur social. Vous voyez tout ce qui se passe dans nos collectivités et le travail qui y est fait et selon certains commentaires que j'entends encore de la part de nos gens qui travaillent dans le milieu correctionnel, il y a une histoire douloureuse qui est toujours d'actualité. Lorsque j'y pense et que j'entends leurs récits, cela me rappelle 1976.

Il y a, dans nos collectivités, tellement de situations non réglées avec le milieu correctionnel et les agents de police. J'admire vraiment le travail que vous faites, et il faudra beaucoup de temps pour pouvoir régler le problème.

En ce qui a trait à l'éducation, j'ai lancé, en 1976, le premier programme d'information sur les drogues et l'alcool dans notre collectivité, de la maternelle à la septième année. Il a fallu 10 ans pour voir les avantages ainsi que l'évolution du succès du programme. On en constate encore les avantages aujourd'hui. À partir de ce moment-là, nous avons pu travailler avec des hommes et des femmes qui ont pris la relève en devenant des conseillers en traitement de la toxicomanie et de l'alcoolisme dans des centres. Dans ma collectivité, nous avons un centre de traitement. Nous avons un centre pour les jeunes, et nous avons une structure sociale très solide. Il nous a fallu des années et des années pour la mettre en place.

Mesdames et messieurs les sénateurs, ce qui est triste à propos de tout cela, c'est qu'il semble tout simplement que nous avons bouclé la boucle et que nous nous retrouvons au point de départ. Ce n'est pas agréable de savoir que certaines collectivités pourraient souffrir plus que nous.

Il y a beaucoup de travail en cours, sénateur — et je vais répondre à votre question directement —, que le chef national a appuyé. Je suis un des quelques chefs régionaux qui ont assisté à la grande réunion qui a eu lieu en janvier avec le premier ministre. C'était une activité très complexe pour nous. Elle a entraîné Idle No More, et vous connaissez la suite.

Cependant, l'esprit de l'Assemblée des Premières Nations et des chefs régionaux la perpétue, et bientôt, je l'espère, nous pourrons à nouveau nous réunir avec le premier ministre. Je sais que notre bureau a fait l'objet de critiques relativement à la réunion initiale avec le premier ministre, le rassemblement avec la Couronne. Nous sommes allés de l'avant et l'avons fait. J'ai pu constater, grâce à l'histoire et par expérience, que nous faisons des progrès.

Je sais que, ce soir, à mon avis — et avant de terminer, je veux vous faire part de quelque chose —, il y a toujours de l'espoir. J'ai toujours espoir. Je crois que, sous la direction du chef national Atleo et des chefs régionaux de l'ensemble du pays, nous travaillons dur. C'est une situation complexe pour nous. Les chefs régionaux continuent tout de même leur travail. Aujourd'hui, nous avons eu une réunion très productive. Aujourd'hui, nous avons abordé des sujets qui, il y a trois mois, auraient probablement déclenché les hostilités. Je crois que le chef national Atleo et les chefs régionaux ont jeté les bases de ce à quoi ressemblera l'avenir des Premières Nations.

J'essaie de ne pas être trop négatif à l'égard de ce que j'ai vu par le passé. J'essaie de ne pas être trop négatif à l'égard d'histoires qui pourraient vous briser le cœur. La situation n'a pas vraiment changé.

Récemment, un membre de la bande m'a contacté. Elle m'a dit que le problème était que des membres de la commission de police lui avaient rendu visite — et cela a eu lieu il y a à peine deux semaines. Elle a dit : « Ma fille a été violée par un agent de police il n'y a pas très longtemps. Je l'ai signalé. Je vis seule, et des agents de police m'ont rendu visite et m'ont interrogée. Je me fais constamment harceler par la police. Qu'est-ce que je peux faire? »

Ce n'est qu'une seule histoire. Beaucoup de jeunes hommes, en grandissant, ont été battus. De jeunes filles ont été violées. Nous ne parlons pas d'il y a 50 ou 60 ans; nous parlons des 10 dernières années.

En ce qui concerne le travail qui est en cours et le travail qui doit être fait par l'Assemblée des Premières Nations de concert avec nos dirigeants d'aujourd'hui, nous continuons de travailler d'arrache-pied. Nous continuons d'écouter notre peuple. Nous continuons d'exprimer nos différences, comme nous l'avons fait aujourd'hui, et continuons notre chemin. Nous ne nous laisserons pas abattre. Nous sommes tous concernés. Peu importe la couleur de notre peau, nous faisons face à la situation ensemble.

Grâce au leadership que vous voyez chez les gens ici ce soir et à ceux qui effectuent le travail constamment, de même qu'au personnel de l'Assemblée des Premières Nations, nous sommes ici. C'est pour cette raison que nous sommes ici, parce que nous avons la foi. Nous croyons que vous ferez ce qui s'impose et entendrez les paroles et les appels de notre peuple à mesure que nous avançons et faisons de ce pays un meilleur endroit où vivre. C'est tout ce que nous demandons.

La vice-présidente : Merci, chef Augustine. Vous nous avez révélé des choses très bouleversantes, que nous accueillons avec énormément de respect. Merci de nous en avoir fait part.

Le sénateur Patterson : J'aimerais remercier le chef régional pour cette réponse. Je veux approfondir la question un peu plus.

Le chef national a parlé d'aller de l'avant et de faire en sorte que les choses se concrétisent. Je ne suis qu'une personne. Je ne parle pas au nom du gouvernement, mais, selon moi, compte tenu de toute l'attention portée à l'éducation l'année dernière et de ce que j'ai entendu de la part des dirigeants politiques à l'APN et au ministère des Affaires autochtones, on semble s'entendre pour faire de l'éducation une priorité. Ces consultations sont en cours et évoluent vers l'élaboration d'une loi. Je pense que nous croyons — notre comité croit — que la création d'une loi sur l'éducation des Premières Nations permettrait de consacrer des fonds à l'éducation afin de s'assurer qu'ils ne sont pas engagés à d'autres fins. Nous croyons et avons recommandé que cela serve de fondement pour la formule dont on a besoin et qui a été demandée, c'est-à-dire une formule adéquate.

Ce que j'aimerais vous demander, si vous le savez, ou si vous pouvez nous en faire part, c'est de nous dire comment se déroulent ces consultations. Vous avez dit que vous travailliez dur et que vous faisiez des progrès.

M. Augustine : Oui.

Le sénateur Patterson : Est-ce que l'éducation et ce qui semble être un objectif commun, soit d'élaborer une loi, une législation, sont des domaines où nous faisons des progrès? Vous avez dit que vous aviez de l'espoir. Pourriez-vous préciser votre pensée, s'il vous plaît?

M. Augustine : Merci encore, sénateur. Je m'excuse de ne pas avoir répondu à votre question directement. Il y avait certaines choses dans mon cœur que je devais exprimer. Je suis ici pour représenter les gens et faire connaître leurs préoccupations et leurs appels.

En ce qui concerne l'éducation, oui, le travail est en cours. Un des chefs régionaux, le chef régional Morley Googoo, je crois, est responsable de ce dossier. Nous n'avons pas reçu le rapport aujourd'hui, mais, à la lumière de ma conversation avec lui, oui, il y a des progrès à ce chapitre. Je ne peux pas exactement vous dire où, mais la situation évolue à certains endroits. Il y a encore certaines questions délicates sur le plan politique, mais nous continuons d'avancer.

La sénatrice Raine : Au cours d'une de nos dernières réunions, nous avons entendu le témoignage d'une femme qui a fait de nombreuses études à la Faculté de droit et d'études juridiques de l'Université Carleton en raison de ses recherches sur les collectivités autochtones. Elle a principalement parlé des initiatives de justice réparatrice et était d'avis qu'elles ne constituaient pas une solution au problème de la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale.

Par la suite, nous avons entendu un autre témoin, qui a parlé des programmes du ministère de la Justice qui sont disponibles. Il me semble qu'il n'y en a probablement pas suffisamment : ce sont des programmes de petite envergure. Ce sont tous des programmes distincts, mais ils fonctionnent très bien.

Je suis d'accord avec le chef national lorsqu'il dit qu'il n'y a pas de solution qui convient à tous. Ces solutions doivent émaner de la collectivité, puis faire leur chemin dans les échelons supérieurs.

À l'APN, examinez-vous les programmes à l'échelon communautaire qui fonctionnent pour ensuite en parler un peu partout? Je crois que c'est ce qu'il y a de merveilleux à propos de l'APN : vous vous parlez, vous apprenez ce qui se passe dans vos régions et vous pouvez produire une forme de pollinisation croisée. Est-ce le cas? Y a-t-il quelque chose que nous puissions faire pour accélérer le processus?

M. Augustine : À titre de chefs régionaux, la plupart d'entre nous vivons au sein de nos collectivités et nous sommes, par conséquent, témoins de toutes ces choses. Nous rapportons ce que nos chefs locaux nous demandent de signaler. En fait, dans notre collectivité, ce qu'il faut notamment faire, c'est évaluer tout ce qui a été fait par le passé.

La justice réparatrice constitue un aspect. Il y a eu d'autres cercles dont on a parlé relativement aux cercles de justice et aux cercles de détermination de la peine. On a eu recours à ces cercles dans différents domaines. Certains se sont révélés efficaces, d'autres non. Le temps est maintenant venu de tout revoir.

Je parlais avec un de mes fils, qui travaille à un des établissements, et je lui ai demandé si la sensibilisation culturelle portait ses fruits dans son établissement. Il a dit que non. Il a dit que certains détenus ne l'utilisaient que pour avoir un congé et qu'il n'était pas certain si cela fonctionnait.

Mon frère, qui a été agent de police pour notre Première nation pendant de nombreuses années, travaille maintenant dans ce milieu. Il croit que cela fonctionne. Il croit et a, dans une certaine mesure, confiance que nous arrivons à sensibiliser certains détenus autochtones grâce aux cérémonies de suerie et aux cercles de la parole. Il y a différentes histoires : certaines sont un succès, et d'autres n'en sont pas tellement un. Dans ce cas, d'où je viens, c'est très partagé, je crois.

Il y a une chose qu'il est très important d'aborder ici aujourd'hui, sénateur, et ce sont les services de police des Premières Nations. C'est une chose qui fonctionnait bien à l'époque où j'étais chef, et je crois vraiment que c'était le bon processus. Je sais que certains changements ont été apportés dans certaines politiques, et cela n'a pas bien fonctionné pour la collectivité. Cependant, aujourd'hui, la GRC, étant donné ses contraintes budgétaires, ne sert plus les collectivités. Ma collectivité est petite.

Par exemple, la population de la Première nation Burnt Church est de 2 000 habitants. Il y a donc environ 5 000 Autochtones dans un rayon de 100 milles. Le corps policier d'une des collectivités est constitué d'agents de la GRC et d'agents des Premières Nations embauchés par la GRC, et cela semble fonctionner. Dans d'autres collectivités, ce n'est pas le cas, même si certains membres de la GRC sont maintenant des agents des Premières Nations. Il y a, je crois, dans ma collectivité, trois membres de la GRC, mais ils sont dévoués et loyaux envers la commission. Ils ne sont pas loyaux envers le chef et le conseil. Nous devrons, tôt ou tard, remédier à cela. Je ne sais pas comment nous allons nous y prendre, mais il s'agit d'un problème grave.

J'aimerais, en définitive, voir des services de police des Premières Nations dans l'ensemble du pays. C'est la véritable façon de pouvoir régler les problèmes et les enjeux culturels au sein de notre collectivité. C'est une façon de le faire.

Le chef Alexis a parlé de la pauvreté, de l'éducation, du manque de logements et de l'histoire, par exemple, des pensionnats. Il y a des dirigeants de nos collectivités maintenant qui sont des survivants des pensionnats. Cela devient parfois très compliqué.

La sénatrice Raine : En ce qui concerne le maintien de l'ordre au sein des Premières Nations, qui est de plus en plus assuré par des services de police autochtones, quel type de formation est disponible? Comment sont-ils formés et choisis? Y a-t-il des gens qui ont un talent naturel pour ce genre de travail? Sont-ils encadrés par un mentor, et y a-t-il une façon de les amener à pouvoir assumer des responsabilités d'agent de police?

M. Alexis : Merci beaucoup pour la question, madame la sénatrice. Il y a plusieurs modèles dans l'ensemble du Canada.

J'ai mentionné, par exemple, les ententes communautaires tripartites. Il s'agit d'ententes des Premières Nations entre la province, la GRC et la Première Nation choisie qui souhaite que la GRC assure les services de police. Dans le cadre de ces ententes, on fournit, par exemple, un poste de police communautaire qui a pignon sur rue sur le territoire de la nation. Peut-être que, dans une certaine mesure, le commis peut être un membre de la Première Nation. Les candidats se soumettent à tout autre processus exigé par le gouvernement, c'est-à-dire qu'ils doivent présenter une demande, avoir un niveau de scolarité qui satisfait aux exigences minimales et, aussi, devenir membres, dans certains cas, des syndicats. Ils suivent le processus de demande d'emploi normal et obtiennent le poste.

Pour ce qui est de la GRC ou des services de police, ce sont les provinces ou les territoires, par l'intermédiaire de leur cabinet du solliciteur général, qui établissent les critères, si vous voulez, pour l'embauche d'agents de police.

Ils doivent passer des tests comme n'importe qui. Une fois qu'ils sont retenus pour faire ces tests, ils les font, et, dans certains cas, en Alberta, par exemple, ils passaient par le cabinet du solliciteur général, au collège. Ils doivent effectuer cinq mois de formation, puis cinq mois de formation pratique des recrues en compagnie, dans certains cas, d'un agent de la GRC. Ils doivent réussir la formation pratique des recrues. Ce n'est pas différent de nulle part ailleurs. C'est un cheminement professionnel, et ils doivent respecter les critères d'embauche comme tout le monde.

Il y a plusieurs modèles au pays, et j'en ai seulement abordé un. L'autre, ce sont les services de police autonomes, qui, selon moi, devraient passer au niveau appelé « services essentiels » dont a parlé le chef Augustine. Les services de police doivent naître de la collectivité, et celle-ci devrait avoir le service de police de son choix. Si ses membres choisissent d'avoir leur propre service de police, cela devrait être salué et respecté.

Dans les provinces, et je vais également parler de l'Alberta encore une fois, et peut-être de la Colombie-Britannique, où j'ai exercé le métier d'agent de police, le gouvernement provincial confie à la GRC des services de police particuliers. En Ontario ou au Québec, ce n'est pas le cas. Il y a des choix, et c'est ainsi que les modèles commencent au sein des provinces, des territoires, et, bien sûr, du service de police fédéral, la GRC.

Merci.

La vice-présidente : La pauvreté a été évoquée ici ainsi qu'à de nombreuses autres occasions dans tous les rapports qui sont empilés sur nos tables. Je sais qu'il y a des collectivités qui s'en tirent très bien financièrement ou qui ne sont pas pauvres. Dans ces collectivités, les problèmes de maintien de l'ordre sont-ils moins graves? Y a-t-il de faibles taux d'incarcération dans les collectivités qui semblent avoir les reins solides sur le plan économique? Y a-t-il des indicateurs qui témoignent de cela?

M. Alexis : Je vais tenter de répondre à la question du mieux que je peux. Une fois de plus, cela nous ramène au fait qu'il n'y a pas de solution qui convient à tous, et c'est le cas dans l'ensemble du Canada. Certaines collectivités, même si elles sont bien nanties, ont des taux de criminalité élevés. Dans d'autres cas, il peut y avoir un certain niveau de pauvreté, mais, en même temps, un taux de criminalité faible. C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Cela serait, à mon humble avis, une question importante à ajouter à votre mandat.

La vice-présidente : En outre, un de nos témoins a véritablement laissé entendre que l'approche axée sur la collectivité était celle qu'il fallait adopter et que les familles saines constituaient essentiellement le pilier de votre collectivité. Elle a également indiqué que, pour avoir une famille saine, vous devez avoir un logement adéquat et approprié. Si vous n'avez pas de logement, vous ne pouvez pas avoir une collectivité prospère et dont les membres ne se laissent pas attirer par les gangs, les drogues et l'alcool. Est-ce que la question du logement fait partie de l'enjeu également, selon vous?

M. Alexis : Si je puis aborder ce point à nouveau, madame la présidente, il y a deux parties. Vous avez dit des services de police communautaires qu'il s'agit d'un élément important de toutes ces discussions. La réponse est oui. J'ai été détaché à titre de chef de police au service de police des Premières Nations qui était en train d'être mis en place dans le Nord de l'Alberta. Le portrait que j'aimerais présenter ici au Sénat, c'est que, lorsque vous examinez les détachements de la GRC, par exemple, ceux-ci se situent, pour la plupart, non pas sur le territoire de la nation, mais dans la ville locale.

Nous avons constaté que le fait d'avoir le service de police de son choix dans la collectivité fonctionnait très bien, non seulement pour la prestation des services de police, mais également pour réduire la criminalité, ce qui constitue le service de police communautaire le plus efficace, puisque la voie est ouverte pour que, peut-être, le comité de police soit une commission d'aînés et de gens de la collectivité qui votent et qui prennent des décisions sur les intérêts supérieurs de ce service de police.

La question du logement constitue un enjeu de taille parce que le fait de ne pas pouvoir rentrer chez soi dans un logement sain est un des importants problèmes qui nous affligent. J'ai connu la souffrance de ne pas avoir de foyer pendant 15 ans. Ma mère n'a jamais eu de foyer. Une personne sans foyer est une personne qui ne peut pas être saine ni entière. C'est une des choses sur lesquelles il faut vraiment se pencher, car le logement inadéquat est certainement un problème propre aux collectivités des Premières Nations de l'ensemble du pays.

Le sénateur Patterson : J'aimerais poser une question au chef Alexis. Le ministère fédéral de la Justice a une stratégie en matière de justice autochtone. Elle est censée aider les peuples autochtones à assumer une plus grande responsabilité à l'égard de l'administration de la justice au sein de leurs collectivités, et ce, grâce à des programmes de justice axés sur la collectivité. Il semble y avoir de l'argent pour cela. Je crois comprendre qu'environ 17 millions de dollars ont été investis chaque année dans ce programme au cours des quelque cinq dernières années. Auriez-vous des commentaires à formuler au sujet de ce programme quant à savoir s'il est efficace ou s'il y aurait une manière de faire en sorte qu'il le devienne?

M. Alexis : Je ne connais pas parfaitement tous les programmes qui existent actuellement en matière de justice. Cependant, j'aimerais soulever un point, si vous le permettez. Nous avons formulé une proposition pour le ministre respecté il y a quelques années concernant les gangs autochtones au pays. Notre proposition n'a pas été acceptée. Elle visait deux provinces et un territoire. Aucun motif ne nous a jamais été fourni quant au rejet de la proposition.

Cela dit, à mon humble avis, ces initiatives fondées sur des propositions doivent être examinées, car certaines collectivités ne disposent pas de gens pouvant rédiger une proposition parfaite et percutante. Si vous ne formulez pas une proposition percutante, vous n'obtenez pas le financement. Il faut également tenir compte de cela.

Depuis 1991, pour revenir à la CRPA, si vous le permettez, il y a eu des programmes qui ont fonctionné, et d'autres, non. Vous l'avez mentionné vous-même. Je suis heureux que vous alliez examiner cette question, puisqu'elle est déterminante.

En ce qui a trait à la question de la justice, parfois, les responsabilités générales des différentes institutions fédérales, par exemple, ne sont pas toujours cohérentes, et cela doit faire l'objet d'un examen.

Le sénateur Patterson : L'autre chose, c'est que, parfois, un programme est élaboré, comme le programme lié aux gangs dont vous avez parlé, mais il ne répond pas aux critères du programme fédéral. Ce sont des informations importantes que vous nous avez fournies, et nous devrions peut-être les examiner de plus près.

J'aimerais poser une autre question, si vous le permettez, à nouveau au chef Alexis.

Je crois comprendre que, l'année dernière, il y a eu un forum national de la justice organisé par l'APN afin de travailler sur l'élaboration d'une stratégie nationale de justice autochtone. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur ce qu'il en est et ce qui a émané de cet exercice, qui, je pense, a réuni des Autochtones de l'ensemble du pays?

M. Alexis : C'est une bonne question. Je n'étais pas au forum en raison de nouveaux problèmes au sein de ma collectivité, alors je n'étais pas au courant de ces discussions. Je m'en excuse.

Le sénateur Patterson : Très bien.

La vice-présidente : Puisqu'il n'y a pas d'autres questions pour nos témoins, j'aimerais vous remercier pour votre comparution ce soir. Vous avez décrit une situation que nous connaissons depuis de nombreuses années. Nous avons de nombreux rapports sur les problèmes urgents. Le chef national nous a laissés avec une question importante : qu'est- ce qui nous a empêchés de faire le travail?

Nous vous remercions.

(La séance est levée.)


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