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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 14 - Témoignages du 14 mars 2012


OTTAWA, le mercredi 14 mars 2012

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 20, pour l'examen de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (L.C. 2000, ch. 17), conformément à l'article 72 de cette loi.

Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude sur le suivi parlementaire qui doit être effectué au bout de cinq ans sur la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et du financement des activités terroristes. C'est la 10e séance que nous consacrons à cette étude. Depuis un mois, nous avons entendu plusieurs partenaires du régime qui participent à la mise en œuvre et à l'application de cette loi. Comme vous le savez, pendant nos audiences, on a parlé plusieurs fois d'un examen décennal de la loi effectué par Capra International Inc. pour le ministère des Finances. Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui les auteurs de ce rapport. Nous recevons donc les représentants de Capra International Inc. : Gunter Rochow, président; Michel Laurendeau, évaluateur principal; Rick Reynolds, évaluateur; Eric Culley, évaluateur; Waldo Rochow, évaluateur; et par vidéoconférence, d'Orlando, en Floride, M. Ralph Kellett, chef des pratiques d'évaluation.

Chers collègues, avant de commencer, j'aimerais vous rappeler que les travaux du Sénat sont en cours. Nous avons la permission de tenir notre réunion, mais si la sonnerie nous convoque à un vote, nous devrons suspendre la séance afin de retourner au Sénat accomplir notre devoir; nous faisons donc appel à votre indulgence.

Monsieur G. Rochow, vous avez la parole.

Gunter Rochow, président, Capra International Inc. : Monsieur le président, nous vous remercions de nous recevoir une semaine plus tard que prévu, afin que notre collègue, M. Ralph Kellett, puisse se joindre à nous. En tant que méthodologiste et principal rédacteur du rapport, il a joué un rôle très important. Nous sommes très heureux de le voir dans un climat plus chaud, même si nous ne nous plaignons pas de la température qu'il fait à Ottawa en ce moment.

C'est avec plaisir que je vais vous résumer certains des éléments clés de l'examen décennal que nous avons eu le privilège d'entreprendre. J'aimerais vous assurer que tout ce que nous dirons cet après-midi, en raison de la nature du rapport, doit se limiter à notre évaluation. Un grand nombre de sujets d'intérêt appartiennent aux ministères; et nous n'avons aucune compétence dans ces domaines. Aujourd'hui, nous vous offrons notre meilleure vue d'ensemble de l'évaluation. Ensuite, nous accueillerons vos questions, et nous y répondrons au mieux de nos connaissances, afin de vous aider à progresser dans ce dossier important.

Comme vous le savez, le régime — c'est-à-dire le régime de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes — est une initiative horizontale regroupant des organismes partenaires, dont certains sont financés par l'État. Il est très important d'en être conscient, car un partenaire financé par l'État est beaucoup plus engagé qu'un partenaire qui ne l'est pas. Néanmoins, à notre grande satisfaction, les partenaires des deux catégories ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour contribuer à l'évaluation; nous en étions très heureux, et nous leur sommes très reconnaissants.

Les partenaires financés par l'État étaient le ministère des Finances, le ministère de la Justice, le Service des poursuites pénales du Canada, le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, l'Agence des services frontaliers du Canada, l'Agence du revenu du Canada, la Gendarmerie royale du Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité. Les partenaires non financés par l'État étaient Sécurité publique Canada, le Bureau du surintendant des institutions financières et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.

Comme vous pouvez l'imaginer, travailler sur une évaluation avec un si grand nombre de partenaires exige des efforts soutenus sur le plan de la communication, non seulement pour recueillir les renseignements nécessaires, mais aussi pour les vérifier auprès des partenaires. Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous sommes très satisfaits des efforts fournis par les deux catégories de partenaires pour recueillir les renseignements dont nous avions besoin pour accomplir notre tâche.

Ainsi, le régime RPC-FAT comprend les activités inhérentes aux mandats des partenaires financés par l'État et de ceux qui ne le sont pas; les organismes provinciaux, régionaux et municipaux participants, les organismes de réglementation, les organismes d'application de la loi et les entités tenues de communiquer des renseignements financiers en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

De plus, l'examen tenait aussi compte d'autres lois : le Code criminel, la Loi sur les douanes, la Loi sur l'enregistrement des organismes de bienfaisance (renseignements de sécurité), la Loi de l'impôt sur le revenu et, pour autant que je sache, il y en avait peut-être d'autres. La liste des personnes-ressources prévues par la loi et connexes ne s'arrêtait pas là.

Le régime RPC-FAT entretient des liens internationaux importants, surtout en ce qui concerne le Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes. Le régime, même s'il rejoint tous ces intérêts canadiens, est aussi profondément enraciné dans la communauté internationale, où l'on partage les mêmes inquiétudes et au sein de laquelle le Canada est un partenaire important.

Comment se déroule une évaluation? Quelles sont ses contraintes? Je dois dire qu'heureusement pour nous, le Conseil du Trésor du Canada a lancé, en 2009, sa nouvelle politique d'évaluation, c'est-à-dire les Normes d'évaluation pour le gouvernement du Canada. La directive sur la fonction d'évaluation nous a fourni le cadre de travail dans lequel nous devions entreprendre l'évaluation. Autrement dit, nous n'avons pas procédé à l'aveuglette. Nous avons suivi les critères et les lignes directrices du Conseil du Trésor pour structurer l'évaluation et recueillir les données de façon organisée. Notre rapport final offrait donc vraiment un portrait global de la structure et du cadre fédéral.

Quel est ce cadre? Dans sa politique d'évaluation, le Conseil du Trésor du Canada mentionne que toutes les évaluations qui concernent les activités du gouvernement fédéral doivent se pencher sur deux critères d'évaluation fondamentaux — la pertinence et le rendement —, et sur d'autres critères connexes. Quels sont-ils? En ce qui concerne la pertinence, il s'agit d'abord d'évaluer à quel point nous avons besoin du régime. Est-il toujours nécessaire? Le gouvernement n'est évidemment pas disposé à financer des programmes devenus inutiles. Notre travail consistait à évaluer et à démontrer que le régime était toujours d'actualité.

Lors de l'évaluation d'un tel programme, le gouvernement veut aussi savoir s'il correspond à ses priorités. Notre évaluation a démontré que c'était vraiment le cas. En effet, rien ne pourrait être plus important pour la sécurité financière du pays que d'empêcher d'autres intervenants de semer la pagaille dans notre système financier.

Toujours au sujet de la pertinence, le troisième critère indiqué dans les directives du Conseil du Trésor concerne l'harmonisation du programme avec les rôles et les responsabilités du gouvernement fédéral. Encore une fois, il n'a pas été difficile, dans l'évaluation, de démontrer qu'il s'agit en effet d'une responsabilité fédérale en collaboration avec les provinces, les municipalités, le secteur privé et les partenaires internationaux.

En ce qui concerne le deuxième critère d'évaluation fondamental, c'est-à-dire le rendement, il est caractérisé par deux autres facteurs influents. Il y a d'abord la question de l'efficacité. Par exemple, le régime a-t-il atteint ses objectifs? Cela comprend, entre autres, la mise en œuvre et — dans une certaine mesure — la conception du régime. Finalement, le dernier critère d'évaluation du cadre fourni par le Conseil du Trésor concerne les questions d'efficacité et d'économie. Voilà donc la structure dans laquelle on nous a demandé d'entreprendre l'évaluation.

Comment avons-nous procédé? Lorsque nous nous sommes retrouvés devant cette immense tâche, à laquelle nous nous sommes attelés avec plaisir, nous avons utilisé plusieurs sources de données ou méthodes de collecte des données. La première concerne la recherche secondaire, qui est essentiellement une étude de dossiers et de documents. Autrement dit, nous avons examiné tous les dossiers pertinents qui nous tombaient sous la main. Croyez-le ou non, pour vous donner une idée de l'ampleur de cette tâche, il y avait 166 documents.

Je suis certain que les activités du Sénat vous exposent souvent à une telle quantité, et je me demande souvent comment vous gérez tous les documents qui vous sont confiés. Nous en avions 166.

Nous avons aussi procédé à l'examen et à l'analyse de la base de données; nous devions recueillir des données relatives au rendement des partenaires du régime. Comme je l'ai mentionné, il y en avait beaucoup. Il y avait la disposition sur les renseignements budgétaires du ministère des Finances et un sondage sur les dépenses des partenaires du régime. On a mené des entrevues sur les activités du régime; comme vous pouvez l'imaginer, elles ciblaient des personnes qui jouaient un rôle déterminant au sein du régime et qui étaient chargées de certains aspects précis. Nous avons interrogé 34 personnes. Ensuite, il y a eu les groupes de consultation, qui rassemblent encore plus de témoins, pour ainsi dire; nous en avions six dans le secteur public et quatre dans le secteur privé. Nous avons aussi effectué 13 études de cas sur les activités du régime. Il y a eu aussi un sondage en ligne, qui nous a permis d'obtenir 256 réponses parmi différentes personnes qui n'avaient pas pu participer aux entrevues, aux groupes de consultation, aux études de cas, et cetera.

En résumé, en tenant compte du temps et du budget dont nous disposions, nous avons tenté d'explorer le plus possible l'univers qui devait contribuer à l'évaluation. Je dois dire que toutes ces activités ne sont pas obligatoires; nous invitons les gens à participer aux entrevues et aux groupes de consultation, et à répondre à un sondage. Toutefois, comme le mentionne l'une des règles d'or inscrites à la première page, la participation est libre. Nous n'avons pas de réponses forcées; celles que nous avons reçues proviennent donc de gens qui étaient heureux de nous les donner.

Au bout du compte, quelles sont nos conclusions? Tout d'abord, en ce qui concerne le premier critère fondamental, c'est-à-dire la pertinence, nous avons conclu qu'une telle initiative est nécessaire pour faire face à la menace que présente le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, qui n'a pas diminué depuis que le régime a été mis sur pied, en 2000. Nous avons aussi conclu que les activités du régime appuient les priorités du gouvernement à l'égard de la justice, des systèmes financiers, de la sécurité nationale et du droit à la vie privée, et que le régime est une réponse appropriée à la menace que présente, à l'échelle internationale, le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

Plus précisément, le cadre législatif et réglementaire a été modifié pour correspondre à l'évolution des besoins. Le régime est une initiative horizontale, et c'est pourquoi il est nécessaire, car il rassemble les entités fédérales, provinciales, régionales et municipales pour favoriser une action conjointe.

Le régime constitue aussi une priorité gouvernementale, car ses activités législatives, réglementaires, structurelles, organisationnelles et opérationnelles ont aidé le Canada à satisfaire à 36 des 40 recommandations originales et neuf nouvelles recommandations du GAFI. Il s'agit d'un nom compliqué, mais nous savons tous à quoi il fait référence. C'est une priorité gouvernementale, car les partenaires et les parties intéressées du régime à tous les niveaux considèrent qu'il est pertinent pour contrer la menace engendrée par le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

Qu'en est-il du dernier critère de la pertinence? L'objectif du régime s'harmonise tout à fait avec les mandats des partenaires du régime, même si les mandats de tous les partenaires, à l'exception de celui du CANAFE, ne se limitent pas aux éléments de la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

Qu'en est-il des conclusions relatives au rendement? Le rendement, comme je l'ai indiqué plus tôt, est le deuxième critère fondamental de toutes les évaluations menées conformément à la politique d'évaluation du Conseil du Trésor. Dans ce cas, nous avons conclu que le régime avait progressé vers l'atteinte de ses objectifs. Le mot « progrès » est très important dans la terminologie du Conseil du Trésor; on ne s'attend pas à ce que nous ayons déjà atteint la Terre promise une fois le programme à peine lancé, mais nous réalisons des progrès en ce sens. C'est ce qu'on attend des partenaires du régime. Nous avons constaté, au cours de l'évaluation, que des progrès ont effectivement été accomplis.

Aujourd'hui, le Canada satisfait à 36 des 40 recommandations originales et neuf recommandations spéciales du GAFI sur la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Il y a des progrès dans la mise en œuvre de la loi qui fait actuellement l'objet d'un examen, ainsi que de ses règlements. Elle permet de s'acquitter des responsabilités liées à la lutte contre le recyclage de produits de la criminalité et le financement des activités terroristes — et il s'agit d'un détail très important — sans violer le droit à la vie privée et les dispositions relatives aux libertés fondamentales. Pour l'honneur du Canada, cela doit être l'un des éléments principaux d'une activité comme celle-ci.

Pour poursuivre avec nos conclusions à l'égard du rendement, on constate que le régime facilite la conformité et en assure la surveillance. Il prévoit la collecte et l'analyse d'information. On parle aussi d'enquêtes, de jugements et de sanctions, ainsi que de la mise en application du régime.

Nous avons été à même de constater que le régime permettait entre autres de créer un environnement défavorable au blanchiment d'argent et au financement d'activités terroristes. Il est difficile de quantifier cela avec des mots. Toutefois, en créant un environnement défavorable à ces activités, le régime rend la tâche beaucoup plus ardue aux criminels qui tentent de vendre leur marchandise ou de faire de l'argent de cette façon. Ils doivent travailler beaucoup plus fort.

Nous en concluons que le régime est extrêmement efficace. Plus il sera difficile de blanchir de l'argent et de financer des activités terroristes, moins il y en aura. Nous ne pouvons cependant pas vous dire ce que cela signifie exactement en chiffres. Nous savons toutefois que le contexte est beaucoup plus contraignant. Je suis content de ne pas être dans leur camp. Mon travail serait vraiment difficile.

Qu'en est-il de l'efficience? Bien que la situation se soit améliorée depuis 2008, il est peu probable qu'on fasse d'autres gains si le financement du régime n'est pas rajusté.

En tant qu'évaluateurs, nous tentons d'examiner ce volet de très près. Il est évident que les entités financées, comme les entités non financées, doivent trouver une façon de faire le travail qui leur est confié et de le faire du mieux qu'elles le peuvent. Nous examinons leur fonctionnement de l'extérieur.

Nous avons constaté qu'elles s'appuyaient souvent sur un processus de gestion du risque — qu'est-ce qui est plus risqué, dans quoi devons-nous surtout investir notre argent et nos efforts? C'est une approche raisonnable, recommandée d'ailleurs par le Conseil du Trésor. L'idée est qu'il est impossible de tout faire, de compter chaque sou ou de pourchasser absolument tous les criminels. Par contre, on peut se concentrer sur ce qui pose de toute évidence le plus grand risque, et partir de là. Il s'agit alors de faire tout ce qu'il est possible de faire dans les limites de son mandat.

C'est là-dessus que nous avons basé cette conclusion. Selon nous, les gains en efficience ont été considérables depuis 2008. Si l'objectif est de gagner en efficience davantage, selon nous, les entités chargées de cette tâche en seront incapables sans plus de financement. Vous avez déjà entendu leurs témoignages, et vous savez probablement déjà quelle est la situation — ce qu'elles ont réussi à faire, ce qu'elles ne réussiront peut-être pas à faire et ce qu'il faudra sacrifier en cours de route.

Finalement, le cinquième aspect de l'évaluation de la structure du Conseil du Trésor était de savoir si régime était économique. Nous concluons qu'il est effectivement économique, parce que les activités cadrent avec le mandat plus vaste des partenaires du régime. Ce n'est pas un régime totalement autonome. Si cela avait été le cas, c'aurait été beaucoup plus cher.

Le régime s'imbrique toutefois dans des structures plus grandes. Cela permet de faire des échanges et d'utiliser différentes infrastructures pour assurer la mise en application du régime. La conclusion est donc que les activités du régime cadrent effectivement avec les mandats plus vastes des partenaires.

En ce qui concerne l'aspect économique, il faut aussi tenir compte du fait que d'autres programmes gouvernementaux ont le mandat de financer une partie des activités de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. Autrement dit, le gouvernement a attribué des fonds à la GRC en lui donnant un mandat précis. Même chose pour le MAECI : voici de l'argent, et voici ce que vous devez en faire sur la scène internationale.

Nous en concluons donc qu'en tirant parti des fonds des partenaires financés et en collaborant avec des partenaires non financés, on a choisi une façon économique de s'attaquer au problème.

En terminant, j'aimerais prendre quelques minutes pour parler de nos recommandations. Notre première recommandation nous semblait on ne peut plus évidente, mais nous l'avons formulée par écrit parce que nous devions le faire : le régime doit être maintenu. Je ne voudrais pas vivre au Canada si ce régime n'existait pas.

Nous avons une autre recommandation à vous faire : le ministère des Finances devrait diriger un groupe de travail interministériel en collaboration avec les partenaires du régime, pour déterminer quelles seront les prochaines étapes et examiner les principaux enjeux. Nous avons cerné ces enjeux, et je vais vous les énumérer dans un instant. Nous avons abordé la question parce que dans toute évaluation, il faut se pencher sur le passé et sur l'avenir. Nous ne pouvons toutefois pas prévoir dans les détails ce qui va arriver. Nous pensons qu'il est de la prérogative des partenaires du régime d'en discuter, d'où la recommandation de mettre le ministère des Finances à la tête d'un groupe de travail interministériel.

Sur quoi devraient-ils se pencher? Ils devraient revoir la législation et la réglementation liées au régime et éliminer tout ce qui pourrait faire obstacle au fonctionnement efficace et efficient du régime. Comme vous pouvez l'imaginer, certaines barrières sont inhérentes à la législation ou à la réglementation de certains des partenaires du régime. Parfois, ils ne peuvent divulguer des informations, car ils en sont les administrateurs. S'ils sont appelés à travailler ensemble, notez qu'il faudra composer avec différents obstacles, et certains sont peut-être là pour rester.

Il faut alors se poser la question suivante : pouvons-nous harmoniser ces diverses exigences pour éviter les accrocs?

Nous pensons également que le groupe de travail interministériel devrait étudier les préoccupations soulevées par les entités qui s'y rapportent concernant la conformité à la loi, qui fait actuellement l'objet d'un examen.

Incohérences dans les données et les statistiques sur le rendement du régime : c'est difficile, car pour répondre aux besoins qui leur sont propres, chaque ministère, organisme et entité a ses propres exigences en fait de production de rapports. Il est parfois difficile d'harmoniser tous les processus dans le cadre d'une initiative horizontale comme celle-ci. C'est pourquoi nous proposons qu'un groupe de travail interministériel examine la question.

Il conviendrait également de voir s'il est nécessaire d'actualiser le cadre de responsabilisation de gestion du régime, de même que le modèle logique. Le groupe de travail pourrait faire cette détermination en fonction des discussions qu'il aura tenues à l'égard des deux facteurs précédents.

Notre dernière recommandation est issue d'une des questions qui nous avait été soumises, mais qui, de toute évidence, débordaient du cadre de notre mandat. La question était la suivante : « Que pense la population canadienne de ce régime? » Nous ne le savons pas. La seule façon de le savoir, si c'est ce que veulent le comité et le ministère des Finances, c'est de procéder à une étude d'opinion publique. Une telle étude vous permettrait de savoir dans quelle mesure le public est au courant de la menace que posent le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes, et des mesures prises dans le cadre de ce régime pour la contrer.

Monsieur le président, un mot en terminant : merci.

Le président : Laissez-moi d'abord vous remercier pour vos remarques préliminaires. Nous sommes ravis de vous recevoir. Avant de passer aux questions sur votre évaluation, j'aimerais vous demander de nous dresser le profil de Capra International Inc., et de nous dire quelle est la portée de son travail. Cela aidera peut-être les membres du comité de le savoir; je sais que cela m'intéresse beaucoup, personnellement.

M. G. Rochow : Merci, monsieur le président. Rien ne me ferait plus plaisir.

Capra International Inc. est une petite entreprise, mais elle peut compter sur un vaste réseau de précieux collaborateurs. Notre travail a une portée internationale, dans le sens propre du terme. L'évaluation la plus vaste que nous ayons faite — pour vous donner une idée de l'étendue de notre travail — portait sur une initiative horizontale à laquelle prenait part six grands organismes internationaux, et qui était liée directement à ce que vous faites. Ces six organismes étaient le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l'Organisation mondiale du commerce, le Programme des Nations Unies pour le développement, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, et le Centre du commerce international. L'initiative regroupait également 17 pays donateurs, dont le Canada, représenté par le MAECI, ainsi que 19 des pays les moins développés, pour la plupart des pays d'Afrique, de même qu'un pays d'Amérique (Haïti), et quatre pays d'Asie. C'était notre projet le plus important, et, il va sans dire, un de ceux dont nous sommes probablement le plus fiers.

L'autre, qui n'a pas tout à fait la même portée, est celle que nous vous présentons aujourd'hui. Nous en sommes extrêmement fiers et nous remercions les gens avec qui nous y avons travaillé.

À l'heure actuelle, nous faisons une évaluation pour l'UNICEF au Nigeria. Nous travaillons aussi pour la Banque interaméricaine de développement, au Suriname. Nous venons tout juste de lancer un projet pour l'ACDI, qui porte sur l'Ouganda, le Nicaragua et le Pérou, et notre associé est arrivé en Ouganda ce week-end. Nous menons également des projets pour le ministère de la Justice. Nous venons par ailleurs d'en conclure un pour le ministère des Affaires indiennes et du Développement du Nord.

Cela peut vous donner une idée de ce que nous faisons. Pour une petite entreprise comme la nôtre, la portée de nos projets est considérable, et nous en sommes fiers.

Le président : Merci beaucoup de nous avoir donné le profil de votre entreprise.

Nous pourrions maintenant passer aux questions sur le rapport. Dans votre rapport, vous dites que le régime a permis de faire des progrès vers l'atteinte des résultats voulus. Si je cite votre rapport mot à mot, vous dites ceci :

Améliorer les niveaux de liaison, de coopération et de partage de l'information du Régime au pays [...]

C'est certainement encourageant de voir que le régime, une initiative horizontale, favorise une collaboration accrue entre les gouvernements. J'ai toutefois été étonné de constater que votre rapport ne contenait aucune recommandation sur la question des communications, de la collaboration et de la consultation entre le CANAFE et les entités chargées des déclarations. Il n'en fait aucunement mention, d'ailleurs. Mme Susana Johnson nous a fait savoir elle-même que c'était difficile pour ces entités, car elles n'ont pas l'impression d'avoir beaucoup d'appui. M. Bill Randle, de l'Association des banquiers canadiens, nous a dit que ce serait très utile si les institutions financières et le CANAFE pouvaient échanger de l'information. Cela les aiderait beaucoup.

Il me semble qu'on pourrait grandement améliorer l'efficacité du régime si on encadrait mieux les entités responsables des déclarations et s'il y avait une meilleure communication entre elles et le CANAFE. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. G. Rochow : Je vais commenter brièvement, mais j'aimerais que mon très estimé collègue, M. Ralph Kellett, que vous voyez à l'écran, prenne la relève.

La question n'a peut-être pas été abordée expressément, mais la première recommandation reprend exactement cette idée, c'est-à-dire d'exiger la modification des lois et des règlements en vue d'éliminer les obstacles qui entravent le fonctionnement efficace et efficient des activités du régime. Pour nous, cette recommandation couvrait le point que vous soulevez, mais nous pensions que les partenaires devaient surtout se pencher sur les obstacles législatifs et réglementaires pouvant compliquer les communications, pour voir jusqu'où nous pouvions aller à cet égard.

Je vais m'arrêter ici pour céder la parole à mon collègue, Ralph Kellett. Il pourra vous donner plus d'information là- dessus, s'il le veut bien.

Ralph Kellett, chef, Pratique d'évaluation, Capra International Inc. : Je pense que votre question se rapporte principalement à la communication entre le CANAFE et les fournisseurs de l'information, c'est-à-dire les diverses entités chargées des déclarations. Les différents organismes de réglementation avec lesquels travaille le CANAFE agissent comme intermédiaires. Le BSIF en est un, mais le CANAFE a conclu des protocoles d'entente avec 18 organismes de réglementation. Avant l'exercice 2005-2006, ces protocoles d'entente n'existaient pas.

Quand on parle de progrès, on parle des mesures qui ont été prises pour améliorer les communications entre le CANAFE et ses clients, tant du côté organisationnel que du côté des entités chargées des déclarations. Les quatre groupes de discussions du secteur privé, auxquels ont pris part les entités en question, et les sondages effectués nous ont effectivement permis de savoir que la situation n'est toujours pas aussi satisfaisante qu'ils le voudraient. On nous a signalé que ce qui fait défaut à l'égard des communications, c'est certainement la mauvaise compréhension des exigences relatives aux déclarations et des attentes réelles par rapport à l'analyse des risques. C'est aussi vrai pour certaines des grandes banques, comme la CIBC, la Banque de Montréal et les autres.

Ils avaient l'impression que la communication était à sens unique. Les banques fournissent de l'information et reçoivent très peu en retour. C'est bien sûr attribuable aux contraintes découlant du mandat du CANAFE et des exigences de la Loi sur la protection de la vie privée qui limitent grandement les communications.

Les grandes institutions financières ont ainsi fait valoir qu'elles fournissent de l'information depuis bien des années sans jamais vraiment savoir ce qui arrive lorsqu'elles signalent une transaction douteuse. Elles savent qu'il y aura une enquête ou des poursuites, mais ne sont bien sûr pas mises au fait des résultats avant d'apprendre parfois aux actualités que la personne a été reconnue coupable de blanchiment d'argent.

Je pense que c'était l'une des sources de préoccupation. On a souligné un manque de sensibilisation et d'information quant aux responsabilités à assumer et aux rapports à produire. J'estime qu'il s'agit d'un commentaire tout à fait valable.

Le CANAFE et les autres partenaires n'en ont pas fait autant pour renseigner les gens et les encourager en aval qu'ils ne l'ont fait pour les informer sur la façon de présenter des rapports en amont. Est-ce que cela répond à votre question?

Le président : Tout à fait. Merci pour votre réponse.

Le sénateur Ringuette : Messieurs, merci de votre participation.

D'abord et avant tout, je veux soulever une question de privilège auprès de notre président. C'est lié au fait que le Sénat siège en comité plénier au même moment où un comité sénatorial permanent comme le nôtre reçoit des témoins pour son étude en cours sur le CANAFE. Autant je souhaite participer à toutes les discussions que nous tenons ici dans le cadre de nos fonctions de membres de ce comité, autant j'apprécie à sa juste valeur le privilège que j'ai de pouvoir participer à part entière aux délibérations du Sénat. Je ne suis donc assurément pas d'accord avec le fait que le comité plénier du Sénat et un comité sénatorial permanent puissent siéger simultanément.

Le président : C'est noté.

Le sénateur Ringuette : C'est noté.

Messieurs, à quel moment avez-vous procédé à cet examen demandé par le Conseil du Trésor?

M. G. Rochow : Nous avons commencé le 1er mars 2010 et terminé en novembre de la même année, si on ne tient pas compte des ajustements mineurs apportés en décembre. On peut dire que notre travail était à peu près terminé en novembre 2010.

Le sénateur Ringuette : Nous avons consacré de nombreuses séances de comité à l'examen de la loi actuelle, des propositions du ministère de la Justice et de CANAFE. J'estime préoccupant que l'on ait dépensé près de 1 milliard de dollars au cours des 10 dernières années avec pour seul résultat concret un cas de blanchiment d'argent en Colombie- Britannique qui a résulté en une peine d'incarcération de six mois. Je me demande si c'est la façon la plus efficiente possible de prévenir le blanchiment d'argent et d'identifier les groupes qui s'y livrent au Canada en vue d'intenter des poursuites. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. G. Rochow : Comme je l'indiquais dès le départ, lorsqu'on effectue une évaluation, on essaie de s'en tenir aux questions visées. En l'espèce, l'efficience était l'une de ces questions. Cela étant dit, il s'agissait ici toutefois d'évaluer l'efficience des interventions des différents partenaires sur un plan transversal, selon les rôles qu'ils détiennent en vertu de leurs mandats respectifs. Si vous voulez savoir si nous en avons eu pour notre argent, et je pense que c'est là où vous souhaitez en venir, je ne suis pas certain que cela entre dans les cadres du mandat qui nous a été confié. J'aimerais toutefois demander encore une fois à deux de nos associés d'essayer de vous répondre. MM. Kellett et Culley, peut-être dans cet ordre.

M. Kellett : Je pourrais vous fournir deux éléments de réponse. Premièrement, il y a au début du rapport un tableau décrivant le modèle d'affectation financière du programme pour les différents partenaires ayant bénéficié d'un financement depuis 2005-2006. Notre évaluation portait sur les cinq années les plus récentes. Notre analyse financière nous a permis de constater que le financement fédéral direct, soit celui consacré au régime en vertu de la loi, correspond à environ 74 p. 100 de ce qui est effectivement dépensé, ce qui fait que pour approximativement un quart des dépenses, il faut couvrir l'ensemble des activités. Le CANAFE bénéficie d'un plein financement à ce chapitre, mais ce n'est pas le cas des autres ministères dont, par exemple, la GRC pour son Unité mixte des produits de la criminalité et le service responsable du blanchiment d'argent qui en relève. Il y a donc environ le quart des activités qui sont menées dans le cadre des mandats existants des ministères. Cela constitue en soi une économie, comme l'indiquait dans sa déclaration préliminaire M. G. Rochow. Je pense qu'il s'agit d'une constatation importante lorsqu'on cherche à déterminer si on en a eu pour son argent.

Pour ce qui est d'en avoir pour son argent, vous soulevez ici un véritable problème et c'est celui de savoir comment mesurer l'efficacité. Bien évidemment, le résultat final se retrouve dans le modèle logique et s'applique à l'ensemble du régime, plutôt que seulement à la loi. Deux objectifs étaient visés, mais principalement la dissuasion à l'égard du blanchiment d'argent et des activités de financement du terrorisme. Le but premier n'était pas de poursuivre des gens ou de les incarcérer, mais bien sûr de les dissuader. Si l'on parvient à faire en sorte qu'il n'y ait pas blanchiment d'argent, ce résultat est plus intéressant, selon le modèle logique que nous utilisons, que si l'on doit arrêter des individus, prouver leur culpabilité et les mettre derrière les barreaux.

Le Canada a fait l'objet de nombreuses critiques de la part du GAFI, surtout en provenance des États-Unis, parce que chaque pays a sa propre façon de mesurer les taux de condamnation, ce qui est à l'origine d'une partie de la problématique. On utilise des ensembles de données différents. Comme nous l'indiquons dans l'une de nos recommandations, il conviendrait de chercher à déterminer de quelle façon les données sur le crime de Statistique Canada sont compilées pour étudier les phénomènes du blanchiment d'argent et du financement du terrorisme. Nous ne sommes pas vraiment parvenus à faire mieux que d'autres dans nos efforts pour rassembler les données nécessaires afin d'obtenir un aperçu des taux de condamnation.

On peut aussi douter de la rentabilité de ces activités, car il est impossible de vraiment en être certain. Par exemple, lorsqu'un individu est arrêté en vertu des modalités touchant les produits de la criminalité, c'est en partie à cause du blanchiment d'argent, mais cela peut aussi être attribuable, par exemple, à la vente de drogue, au vol ou à l'intimidation. Les gens peuvent être accusés de bien d'autres crimes. Les infractions sous-jacentes ne concernent pas uniquement le blanchiment d'argent. Nous avons beaucoup de difficulté, il faut bien le reconnaître, à évaluer les résultats définitifs. Comme nous l'indiquons dans notre rapport, nous ne pouvons en fait que mesurer les résultats immédiats et en déduire qu'il y a un effet dissuasif. M. Culley peut vous en dire davantage au sujet des données et de la difficulté à déterminer dans quelle mesure les activités sont efficientes.

Eric Culley, évaluateur, Capra International Inc. : Oui, les statistiques nous ont causé bien des difficultés. Il fallait notamment réussir à établir le lien entre les accusations portées et les condamnations obtenues. D'abord, les données de la GRC n'étaient pas jumelées à celles du Service des poursuites pénales du Canada (SPPC). Dans bien des cas, il faut compter des années pour passer de l'enquête initiale jusqu'au procès. Les données du SPPC que nous avons consultées portaient généralement sur des accusations et des enquêtes qui remontaient à trois ou quatre ans. Il n'existe pas de base de données commune permettant d'établir ces liens. C'est d'ailleurs le sujet de l'une de nos recommandations.

Autre élément important, il nous était impossible, à partir des données de la GRC, de relier l'impact des activités de blanchiment d'argent et les infractions sous-jacentes. En consultant les données sur les arrestations et les résultats des enquêtes, on n'arrivait pas à déterminer l'effet de ces incidents sur la capacité d'intercepter le criminel, pas pour le blanchiment d'argent mais pour les crimes eux-mêmes, qu'ils soient reliés à la drogue, à l'évasion fiscale ou aux activités terroristes. Il n'y a pas de recoupement entre les données. On se retrouve dans une situation où il faut en quelque sorte deviner, ce que nous n'avons pas fait, car il nous était impossible de suivre cette piste.

Pour revenir à la volonté d'en avoir davantage pour son argent, tout dépend de ce qu'on essaie de faire. Veut-on créer un environnement hostile pour protéger notre système bancaire? Devons-nous capturer les terroristes? Nous nous servons des activités de blanchiment d'argent pour essayer de suivre la piste de ces gens-là. Ce n'est pas tellement le blanchiment d'argent qui nous intéresse; nous cherchons surtout à arrêter les criminels pour des infractions plus graves et à créer un environnement hostile au blanchiment d'argent afin de maintenir l'intégrité de notre système financier.

Pour nous permettre d'en avoir plus pour notre argent, il faut arriver à déterminer ce que l'on essaie de faire au juste.

Le sénateur Ringuette : Monsieur Kellett, vous comprenez bien qu'il nous faut un système pouvant tout au moins servir d'élément dissuasif. Est-ce que le système en place produit ce résultat? On nous a confié l'examen de la loi et du régime. Vous avez indiqué que 74 p. 100 des fonds nécessaires sont affectés au CANAFE en laissant entendre que l'on devrait peut-être accorder davantage d'attention et de fonds à une unité de la GRC qui s'occupe du blanchiment d'argent, et que nos investissements seraient ainsi plus rentables. Ai-je bien compris ce que vous vouliez nous dire?

M. Kellett : Oui, vous avez raison. En fait, je ne l'affirmerais pas de façon aussi catégorique, mais nous notons dans le rapport que le CANAFE est le seul partenaire bénéficiant d'un financement direct complet en vertu de la loi. Tous les autres partenaires apportent leur contribution à même leurs propres ressources, parce que cela s'inscrit dans leur mandat, totalement ou en partie.

La GRC est dans une situation particulièrement difficile en raison de son Unité mixte des produits de la criminalité (UMPC) qui a un mandat plus large. Une fois que cette unité a amorcé son enquête, si des informations valides en provenance du CANAFE lui indiquent qu'il convient d'enquêter pour blanchiment d'argent dans un dossier impliquant les mêmes individus ou organisations, ces informations supplémentaires lui sont d'un grand secours. Comme vous pouvez le voir dans notre rapport, cela mène fréquemment à des condamnations, à un gel des fonds ou à la récupération d'argent.

Mais lorsque cette unité reçoit des informations concernant un cas sur lequel elle n'enquête pas déjà, elle ne dispose pas des ressources nécessaires pour amorcer un nouveau processus d'enquête. C'est parce que cette unité n'est pas pleinement financée pour enquêter sur le blanchiment d'argent pas plus que l'autre ne l'est pour le financement du terrorisme. Je ne veux pas dire qu'il faut réduire les budgets du CANAFE...

Le sénateur Ringuette : Le ministère de la Justice et le CANAFE suggèrent tous deux que l'on rabaisse à 1 $ le seuil de signalement actuel de 10 000 $, ce qui ferait grimper exponentiellement la quantité de données. Il ne faut pas oublier que ce seuil a été mis en place il y a 10 ans et qu'un montant de 10 000 $ n'a plus la même valeur aujourd'hui. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'idée de ramener ce seuil à 1 $, ce qui obligerait à signaler toutes les transactions.

M. Kellett : Nous pouvons seulement répondre en fonction des données que nous recueillons aux fins de l'évaluation. Notre mandat ne visait pas l'examen des différents changements pouvant être apportés à la loi elle-même. Nous nous sommes penchés sur les pratiques non efficientes en les comparant à celles qui donnaient de bons résultats. Le seuil de 10 000 $ ne figurait pas parmi les éléments causant un manque d'efficience. Parmi ceux-ci, on peut noter le nombre de signalements valides du CANAFE qui ne peuvent aboutir à une enquête en raison d'un manque de ressources et, j'ajouterais même, de personnel qualifié pour faire le nécessaire.

Parmi les gains d'efficience que nous avons relevés, il faut souligner que l'information fournie par le CANAFE est plus complète depuis 2008. Dans ce contexte, il est devenu plus facile d'effectuer le suivi, de retracer les contrevenants, de suivre l'argent à la trace et de prendre les mesures qui s'imposent.

C'est bien beau de dire que l'on a besoin d'information plus détaillée en provenance des banques notamment, mais je crois qu'il convient de demander aux entités déclarantes si cela ne risque pas de leur compliquer la tâche encore davantage. Il va de soi que leurs activités à ce titre ne sont pas financées. Elles le font dans le cadre de leurs opérations courantes. Il reste à déterminer si cela peut nuire à leurs bonnes relations avec leurs clients. Il faut également voir si l'intensification des activités d'information et de suivi se traduira par de meilleurs résultats en termes de mises en accusation.

Comme je le disais, le manque de divulgation proactive ne figurait pas parmi les sources d'inefficience relevées. L'abaissement du seuil pourrait donc être utile en procurant davantage d'information, ce qui permettrait une analyse plus approfondie. Il faudrait que vous demandiez aux gens du CANAFE dans quelle mesure cela contribuerait à une information plus complète et plus ciblée grâce aux liens qu'on établit entre les différents dossiers. Nous ne nous sommes pas intéressés précisément à cette question, si ce n'est que pour conclure que le niveau du seuil établi n'était pas problématique au moment de notre étude.

[Français]

Le sénateur Maltais : Mon nom est Ghislain Maltais et je suis un sénateur du Québec. Le blanchiment d'argent préoccupe énormément les Canadiens et les Canadiennes. Il préoccupe également les institutions financières, en particulier le gouvernement.

Beaucoup de gens travaillent à la lutte contre le blanchiment d'argent, phénomène qui ne touche pas seulement le Canada mais le monde entier.

Le comité a entendu beaucoup de témoins à ce sujet. J'aimerais m'attarder particulièrement sur un point de votre mémoire : le domaine de l'assurance-vie.

Les sociétés d'assurance sont très restrictives de par leur nature. Avant d'entrer en politique, j'ai été propriétaire d'un cabinet d'assurance pendant 20 ans et je me souviens fort bien que les compagnies d'assurance, qu'elles soient canadiennes, américaines ou anglaises, étaient très restrictives au niveau de la qualité du client.

Comment peut-on aujourd'hui en arriver à infiltrer des compagnies d'assurance canadiennes par le biais du blanchiment d'argent?

Cela m'apparaît quelque peu paradoxal parce qu'à part acheter une rente mensuelle, les compagnies d'assurance n'acceptent pas d'énormes montants d'argent sur une rente. Ils vont peut-être accepter quelques milliers de dollars par mois pour une rente, mais dans le domaine d'une police d'assurance-vie, il demeure quand même une clause importante, c'est l'intérêt assurable.

En terrorisme, je ne vois pas l'intérêt assurable. Je ne sais pas si quelqu'un peut me donner de l'information à ce sujet parce que cela me semble invraisemblable.

De quelle façon avez-vous vécu une infiltration de blanchiment d'argent auprès de compagnies d'assurance?

M. G. Rochow : Malheureusement, je ne sais pas dans quelle mesure on a touché ce sujet, mais j'aimerais inviter mon collègue, M. Kellett, à nous parler d'expériences concernant l'assurance-vie et sa place dans le blanchiment que vous avez mentionné. Je ne sais pas si M. Kellett a pu comprendre la question. Sinon, je peux la répéter.

[Traduction]

M. Kellett : Aux fins de notre évaluation, M. Rick Reynolds a agi comme expert en blanchiment d'argent et financement des activités terroristes. Du point de vue méthodologique, je vous dirais que nous nous sommes penchés sur les questions d'ensemble, sans entrer dans les détails. Dans le cadre du profil de programme décrit dans notre rapport, nous devions déterminer les entités actuellement visées par la LRPCFAT. Nous en avons tout simplement dressé la liste. Nous n'indiquions pas les raisons pour lesquelles les entités se retrouvent sur cette liste, parce que cela ne faisait pas partie de notre mandat. Il y avait certaines questions au sujet de la portée de la loi, que certains proposaient d'étendre dans d'autres secteurs depuis 2008, et les différents partenaires horizontaux ne s'entendaient pas nécessairement quant à la pertinence d'un tel changement.

Dans nos conclusions, nous ne nous sommes pas interrogés sur les différentes entités qui devraient être visées ou non, ni demandé s'il pourrait y avoir du blanchiment d'argent, par exemple, dans le secteur de l'assurance-vie. Nous avons examiné le cas des casinos pour voir comment on pouvait les utiliser à cette fin. C'est peut-être un cas plus évident. D'autres organisations ont aussi été mentionnées.

Ce n'est pas un sujet que nous avons approfondi. Il serait préférable que vous posiez la question à des experts financiers, plus particulièrement ceux du CANAFE, qui ont étudié toutes ces données. M. Reynolds voudra peut-être ajouter quelque chose. Comme je le disais, ce n'était pas un sujet visé dans le cadre du mode de fonctionnement que nous avons choisi.

Rick Reynolds, évaluateur, Capra International Inc. : Comme M. Kellett vient de vous le dire, cela ne faisait pas partie de notre mandat d'étude. Les recommandations du GAFI désignent toutefois les compagnies d'assurance parmi les secteurs de risque à examiner. À la lumière de mon travail antérieur dans les dossiers de blanchiment d'argent et de financement des activités terroristes, je sais que les compagnies d'assurance font partie des mécanismes pouvant être utilisés, pas tellement au moyen des rentes, mais, par exemple, via les polices de grande valeur et, plus particulièrement, les acomptes substantiels versés sur ces polices.

Il faut penser que la situation est assez semblable à celle qui prévaut pour les casinos. Dans ces endroits, vous pouvez jouer très peu, puis encaisser vos jetons sous la forme d'un chèque signé par le casino. Vous en ressortez donc avec un montant qui apparaît légitime ou pourrait être présenté comme tel.

Il en va de même pour les compagnies d'assurance. Si j'achète une police de grande valeur pour ensuite l'annuler, l'argent me sera retourné au moyen d'un chèque portant le nom de la compagnie d'assurance qui lui donnera une apparence de légitimité. Cela fait partie des mécanismes, ce n'est pas le seul, utilisés pour blanchir de l'argent afin de masquer la source des fonds. Comme vous l'indiquait M. Kellett, il faudrait vous adresser au CANAFE, à la GRC ou aux autres agences pour connaître la teneur des dossiers récents.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Reynolds, êtes-vous au courant que, dans les pays capitalistes, il y a une association internationale de compagnies d'assurance, dont un des services s'attarde spécifiquement au blanchiment d'argent, un phénomène international?

[Traduction]

M. Reynolds : Je sais qu'il y a une association regroupant les compagnies d'assurance. Je ne sais toutefois pas — mais je crois que oui — s'il y a au sein de cette association des gens qui, comme c'est le cas pour l'Association des banquiers canadiens, se spécialisent dans les questions de blanchiment d'argent.

[Français]

Le sénateur Maltais : Capra International Inc. a-t-elle déjà reçu des informations de cas de blanchiment d'argent dans les compagnies d'assurance?

M. Reynolds : Non.

[Traduction]

Le sénateur Day : Messieurs, un grand merci d'avoir bien voulu participer à notre séance pour nous donner un aperçu de la situation.

Monsieur G. Rochow, d'après mes notes, vous et M. Kellet avez fait allusion à la notion de partenaires financés et non financés. Je pense qu'il serait utile de clarifier les raisons pour lesquelles on y est revenu deux ou trois fois. J'ai ainsi noté que la GRC était financée, puis j'ai entendu qu'elle ne l'était pas.

M. G. Rochow : Non, elle n'est pas financée.

Le sénateur Day : Je la range donc dans la catégorie des « non financées ».

Bien sûr, ces organisations sont toutes financées par les contribuables et par les crédits parlementaires. Deux éléments budgétaires intitulés « lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes » et simplement « recettes générales de fonctionnement » sont-ils très différents?

M. G. Rochow : Je pense que je peux expliquer. Effectivement, 43 postes à la GRC sont financés, mais les partenaires non financés, je le répète encore, sont : Sécurité publique Canada, le Bureau du surintendant des institutions financières et le ministère des Affaires étrangères.

La question se résume donc à ce qui suit : dans les limites du financement disponible, peuvent-ils, de fait, s'acquitter du travail qu'on attend d'eux? C'est là que les questions de risque viennent au premier plan, pour s'attaquer au risque le plus grand. Nous ne pouvons pas dire — à moins que l'un de mes associés ne le sache — dans quelle mesure les 43 postes mentionnés permettent de faire le travail qu'on attend d'eux. J'ignore si M. Kellet ou quelqu'un d'autre est mieux informé.

Le sénateur Day : Monsieur Kellet, d'où les fonds proviennent-ils? Proviennent-ils, dans tous les cas, de crédits publics. Sinon d'où proviennent-ils pour que vous fassiez cette distinction?

M. Kellett : Vous avez mentionné les 43 équivalents temps plein à la GRC, dans l'unité luttant contre les produits de la criminalité et destinés à combattre le blanchiment d'argent. La plupart sont dispersés à la grandeur du pays et dans les régions. Pendant l'évaluation, nous avons bien sûr effectué des entrevues, des sondages, utilisé des groupes de discussion recrutés à la GRC et chez les autres partenaires, surtout les partenaires financés. Un partenaire financé obtient un montant bien précis d'argent pour l'application de la Loi sur le recyclage, et cetera, un montant forfaitaire, une allocation prévue par le système budgétaire, qui va au ministère des Finances. À son tour, il la répartit entre chacun des partenaires financés, en fonction de sa demande initiale.

Comme nous l'avons mentionné, sauf pour le CANAFE, dont la totalité des frais de fonctionnement est financée de la sorte, les autres, pour s'acquitter de leur mandat, ont dû débourser davantage pour obtenir les résultats qui les ont conduits là où ils se trouvent actuellement. Ce n'est peut-être pas là où ils aimeraient être, et la GRC est un exemple. Nous avons noté que l'impossibilité de donner suite aux communications de renseignements du CANAFE était une manifestation d'inefficacité. Ces trois dernières années, elle n'a pas été en mesure de mener d'enquêtes sur les nouvelles communications, faute de ressources. C'est une manifestation d'inefficacité. Le CANAFE communique des renseignements, mais l'enquête est paralysée, faute de fonds suffisants en vertu de la loi. Leur financement est totalement public, et le reste relève du budget des services votés, l'allocation destinée à leurs autres opérations.

Le sénateur Day : Merci. Je pense que cela éclaire vos inquiétudes. Je vois ce que vous cherchez.

Ma deuxième question concerne, encore une fois, monsieur Rochow, votre exposé, pendant lequel vous avez parlé d'efficacité, de votre évaluation du régime et de la loi. D'après mes notes, un environnement hostile s'est installé, et vous ne voudriez rien y changer.

Ensuite, dans votre note d'information, je lis que, d'après les estimations de la GRC, en 2011, le blanchiment se chiffrerait entre 5 et 15 milliards de dollars, chaque année. L'environnement est-il assez hostile ou bien sommes-nous prêts à accepter que le blanchiment de 15 milliards constitue la norme? Sans le régime, ce pourrait être 50 milliards.

M. G. Rochow : Encore une fois, l'une des personnes qui m'accompagne possède peut-être les chiffres précis. D'après moi, sans cet environnement hostile, le phénomène serait beaucoup plus grave, mais je ne saurais dire dans quelle mesure.

On peut aussi se demander ce que l'on aurait pu empêcher, si on y avait consacré davantage de ressources.

Comme je l'ai mentionné, une partie de notre évaluation se fonde sur les progrès observés. Sur plusieurs années, les progrès sont manifestes. Ont-ils été suffisants? Eh bien, c'est une question d'appréciation. Combien d'autres sont possibles avant une baisse? C'est encore une question d'appréciation.

J'inviterais encore une fois MM. Kellett ou Culley ou d'autres à répondre et à mieux nous éclairer, ce qui est important.

M. Kellett : Dans nos recherches qui ont précédé l'étude, on nous a demandé d'examiner certains rapports d'évaluation mutuelle du GAFI, rédigés au Canada et à l'étranger, de les passer au peigne fin pour découvrir nos forces et nos faiblesses.

L'un des problèmes avec le GAFI, et M. Reynolds pourra nous en dire quelque chose, concerne l'estimation de l'ampleur de la criminalité : le blanchiment concerne combien d'argent? Combien d'argent les terroristes obtiennent-ils pour financer leurs opérations? Comme la GRC l'a mentionné, il s'agit vraiment de 5 à 15 milliards de dollars. Cela représente un intervalle considérable en pourcentages.

Je pense que la réponse est simplement que personne ne sait vraiment. Personne ne sait vraiment si quelqu'un a réussi à faire blanchir de l'argent. On ne parvient qu'à des estimations fondées sur le volume des opérations légitimes, puis de la taille de l'économie, pour estimer les montants qui manquent à l'appel. C'est là tout le problème.

En fait, comme M. Rochow l'a mentionné, nous n'avons pas la mission de le dire. Nous devons seulement examiner si certains indicateurs de succès à court terme révèlent une amélioration; par exemple la valeur et le nombre de saisies effectuées par l'Agence des services frontaliers du Canada et leur augmentation. Pendant quelques années, ces chiffres ont augmenté considérablement, puis, autour de 2009-2010, ils ont semblé plafonner. Le nombre d'enquêtes menées par la GRC et les montants d'argent bloqués par elle, que l'organisation considère comme résultant du blanchiment sont très révélateurs.

Nous avons effectivement observé une augmentation des montants saisis et bloqués, et ainsi de suite, ce que montrent certains graphiques du rapport. Quelle différence cela fait-il? Nous ne pouvons pas vraiment le dire, mais si cela a eu un effet, je suppose que cela signifie que l'environnement n'est ni propice ni amical pour les blanchisseurs d'argent, que le Canada joue son rôle international et qu'il révèle publiquement qu'il essaie de faire quelque chose au sujet des virements électroniques, des cartes de paiement, des guichets automatiques bancaires, et ainsi de suite.

Peut-être que M. Reynolds ou M. Culley pourraient ajouter quelque chose.

M. Reynolds : Je n'ajouterai pas grand-chose. Je pense que M. Kellett a bien répondu.

Essentiellement, le crime continuera d'exister, parce qu'il est très rentable. Les organisations criminelles vont consacrer davantage d'effort au blanchiment de leur argent pour pouvoir l'utiliser, le récupérer pour elles-mêmes et profiter de leurs crimes.

La mise en place du régime, particulièrement au niveau recommandé par le GAFI a placé le Canada au rang de bon partenaire international. C'est un volet du système qui complique le blanchiment d'argent du criminel et l'empêche de le faire circuler dans le monde entier.

Si le Canada ne participait pas au régime, beaucoup d'argent d'origine criminelle aboutirait ici, où il nuirait aux structures financières et internes du pays.

Le sénateur Day : Vous n'êtes pas prêts à faire des observations concernant la justesse de l'estimation de 5 ou de 15 milliards?

M. Reynolds : Nous avons vu que, pendant des années, on a voulu chiffrer le blanchiment d'argent. C'est presque impossible à faire. On sait combien on sait, mais on ignore combien on ignore. Je veux dire qu'on ignore combien d'organisations criminelles sont en activité.

Le sénateur Day : Savons-nous combien nous consacrons, en gros ou au total, par les opérations gouvernementales financées et non financées, à la lutte contre l'inchiffrable blanchiment?

M. Reynolds : Je ne suis pas sûr tout à fait de comprendre la question.

Le sénateur Day : En tout, combien dépensons-nous, maintenant?

M. Reynolds : Cela dépend de ce que l'on entend par là. Uniquement pour le crime organisé, je pense avoir vu, il y a quelque temps, que la GRC avait identifié quelque 600 groupes criminels organisés au Canada.

Le sénateur Day : Je parle du régime. Combien coûte le régime au Trésor public, dans sa forme actuelle, pour combattre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes?

M. Reynolds : Pour répondre j'aurai besoin de l'aide de mon collègue Culley.

M. Culley : Notre estimation se trouve dans le rapport. Pour 2009-2010, c'était tout juste sous 86 millions de dollars par année. Cela ne comprend pas, bien sûr, ce que les organismes qui font rapport dépensent de leur côté. C'est uniquement les participants du régime, au sens strict.

Le sénateur Day : Incluez-vous les partenaires non financés?

M. Culley : Oui.

Le sénateur L. Smith : Voilà une discussion fascinante. On dirait une cible mobile. Je n'ai manifestement pas vos connaissances. Les remarques de M. Rochow m'amènent à conclure à la nécessité de maintenir le régime; le ministère des Finances devrait créer un groupe de travail pour prévoir les problèmes éventuels et élaborer un projet de loi concernant le régime, qui viserait à supprimer les obstacles à l'éducation, à optimiser la collaboration entre les partenaires, à assurer le respect de la loi, à faire disparaître les contradictions dans l'information, à actualiser la responsabilisation.

Ma question revient à celle du sénateur Day : dans tout ce que vous faites, vous voulez vous doter d'une sorte de système de mesure et vous assurer que vos dépenses rapportent quelque chose ou avoir une idée de ce que vous obtenez en retour.

Pourriez-vous parler un peu de la création d'un groupe de travail? Est-ce que cela correspond à une stratégie? Les 600 éléments criminels identifiés par la GRC sont, de toute évidence, de petits malins, probablement entourés de bons stratèges qu'ils ont embauchés. Qu'en est-il du concept? Combien de planification stratégique fait-on? Le nombre de joueurs en campagne est élevé. Leur coordination — vous en avez parlé — fonctionne et augmente, mais, encore une fois, la cible est mobile. Y a-t-il une occasion de créer un groupe? Le trafic de la drogue représente environ 450 milliards par année. Quand j'ai entendu ce chiffre, j'en suis resté soufflé. J'espère qu'il est juste. Nous savons que le Mexique, par exemple, est un joueur important. Il y a beaucoup de drogue aux États-Unis. C'est, bien sûr, le principal joueur, mais nous, nous gagnons probablement en importance. Y a-t-il pour nous une façon stratégique de créer ce qui ressemblerait davantage à une grille d'identification des crimes que nous devrions pourchasser? Est-ce davantage une tâche à confier à la GRC? Le CANAFE contrôle les opérations financières, mais qui devrait être chargé d'appliquer la stratégie pour s'assurer que le facteur dissuasif pourra être plus près d'être mesuré, pour que nous puissions constater certains résultats?

Vous avez beaucoup parlé de dissuasion, ce que je comprends, mais, en même temps, ceux à qui vous avez affaire sont malins. Est-ce que nous utilisons de façon optimale nos cerveaux et nos capacités?

M. G. Rochow : Excellente question, et intéressante. Notre mandat est beaucoup plus large que cela. C'est pourquoi c'est dans notre deuxième recommandation que nous sommes venus le plus près de nous en acquitter, en affirmant que nous savions que l'avenir réservait des problèmes complexes. Cependant, nous sommes les seuls observateurs de l'extérieur. Nous ne sommes pas stratèges. Nous avons souligné des problèmes dans, par exemple, la communication de renseignements entre les diverses entités, qui sont attribuables à des contraintes légales ou réglementaires, dont elles doivent tenir compte dans leurs opérations. Nous sommes reconnaissants à ces partenaires, dans leurs rapports avec nous, d'avoir souligné les obligations qu'elles devaient respecter sur les renseignements à donner et à divulguer. Ce faisant, elles faisaient leur travail.

Nous, en notre qualité d'observateurs de l'extérieur, nous avons également senti que les personnes les mieux en mesure de s'attaquer aux problèmes étaient celles qui les affrontaient. Dans la deuxième recommandation, il est en effet préconisé la recherche concertée d'une solution, maintenant que l'évaluation est terminée et que certaines difficultés ont été reconnues.

Nous avons laissé entendre qu'un éventuel résultat de cette concertation, devrait, entre autres choses, être une actualisation peut-être nécessaire de la gestion du régime. J'aurais pu songer à de nombreuses idées, mais j'ai pensé que ce n'était pas mon rôle de les proposer. C'est un rôle qui siérait très bien au comité.

J'ai donné des ateliers sur les initiatives horizontales et, actuellement, je préside le groupe mondial d'évaluation dans l'association IDEAS, où je m'intéresse aux enjeux des initiatives horizontales internationales.

L'une des grandes difficultés est de trouver un moyen de divulguer des données protégées. Pouvez-vous trouver une solution qui permettrait la communication de certaines données et, dans l'affirmative, dans quelles conditions? Dans le cas particulier qui nous occupe, nous ne pouvions pas proposer de solutions. Ce n'est pas de notre ressort. Toutefois, un groupe de travail peut soupeser les avantages et les inconvénients. Ils ont dit que, compte tenu des contraintes, des modifications apportées aux règlements et au système, ils pourraient, à l'avenir, collaborer de façon plus efficace. C'est le message que, au fond, nous essayons de livrer.

Le sénateur L. Smith : Pendant que je prenais des notes, quatre mots me revenaient sans cesse à l'esprit. Mobilisons les plus brillants et les meilleurs parmi les participants au régime et les partenaires. D'après moi, cela offre l'occasion de parler du rôle, du mandat et de la portée du régime ainsi que de la mesure dans laquelle on peut le peaufiner, compte tenu du fait que c'est une création de la dernière décennie, grâce, si j'ai bien compris, à la création du CANAFE, puis grâce au partenariat des autres joueurs. C'est un organisme qui continue d'évoluer, si vous voulez. Il me semble que l'occasion est belle.

M. G. Rochow : J'ajouterais également qu'un groupe de travail interne, interministériel, canadien est évidemment la solution la plus importante et la plus appropriée. Cependant, le régime fonctionne aussi dans le contexte des engagements internationaux pris à l'égard du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux, le GAFI. Nous sommes une petite partie dans l'ensemble international. Dans notre recherche d'experts, je suis sûr que si nous examinons les membres de cet organisme international et les discussions qui ont eu lieu, puis que nous ajoutons les experts au Canada, cela doit former un groupe de personnes très compétentes pour nous attaquer aux problèmes d'efficacité et d'économie qu'il faut étudier.

Évidemment, le problème est si complexe qu'il n'existe pas de solution magique.

Le sénateur L. Smith : Reconnaissez-vous la nécessité de réunir les cerveaux les plus brillants — et vous en avez parlé — non seulement ici, à l'interne, mais à l'échelle internationale, pour trouver une solution et aller ensuite de l'avant?

M. G. Rochow : En fait, toute la communauté internationale est au courant des enjeux et des menaces qui leur sont associées. Tout le monde a intérêt à s'y attaquer. Or, le Canada et d'autres pays ont leurs propres exigences. Il n'y a pas de solution universelle. C'est pourquoi il vaut mieux mettre sur pied un groupe de travail interministériel, comme nous l'avons suggéré.

Le sénateur Harb : Le Conseil du Trésor vous a demandé d'examiner deux choses : la pertinence du régime et son efficacité. Nous convenons tous, j'en suis certain, que la pertinence du régime est un fait établi. Si le CANAFE n'existait pas, il faudrait le mettre sur pied.

J'aimerais vous poser une question sur la performance du régime. Au cours de vos consultations, quels partenaires du régime avez-vous rencontrés? Pouvez-vous nommer les personnes ou les ministères que vous avez consultés?

M. G. Rochow : J'aimerais bien pouvoir le faire, mais c'est là une des règles d'or auxquelles sont assujettis tous les évaluateurs. On nous donne une liste d'intervenants potentiels, tout d'abord parmi les partenaires du régime, puis les gens des provinces et d'ailleurs. Nous essayons de prélever un échantillon et nous recueillons...

Le sénateur Harb : Excusez-moi, je vais vous poser la question différemment pour que vous puissiez y répondre. On compte 11 partenaires fédéraux — différents ministères, la GRC, le BSIF, et cetera. J'aimerais savoir si vous les avez tous consultés.

M. G. Rochow : Oui.

Le sénateur Harb : Vous avez consulté chacun de ces organismes.

M. G. Rochow : Oui.

Le sénateur Harb : Vous n'avez pas besoin de vous soucier du reste.

M. G. Rochow : Je n'étais pas prêt à violer les règles de confidentialité.

Le sénateur Harb : Vous avez mené un sondage web dans le cadre de vos travaux, auquel 256 personnes ont répondu. Avez-vous fourni au gouvernement les résultats du sondage?

M. G. Rochow : Oui.

Le sénateur Harb : Pouvez-vous nous faire part de ces résultats, ou sont-ils confidentiels?

M. G. Rochow : Ils se trouvent déjà ici, dans une certaine mesure, mais je ne sais pas si Waldo voudrait faire des commentaires à ce sujet.

Waldo Rochow, évaluation, Capra International Inc. : C'est le ministère des Finances qui pourrait vous donner les résultats précis. Tout ce que nous avons recueilli et qui peut être divulgué a déjà été donné au ministère des Finances.

Le sénateur Harb : Puisqu'il s'agissait d'un sondage web, on pourrait présumer que c'était public et que n'importe qui a pu faire part de ses commentaires.

M. W. Rochow : Non, c'était sur invitation. Voilà comment on procède : on nous donne une liste d'éventuels collaborateurs; nous envoyons aussi une lettre à différentes associations, à des associations de banquiers et ainsi de suite, pour les informer que nous menons ce sondage et qu'elles peuvent saisir cette chance pour se faire entendre. Nous avons ainsi recueilli 256 opinions.

Le sénateur Harb : Je présume que c'est pour cette raison qu'un de mes collègues vous a posé une question sur les partenaires et vous a demandé si vous aviez consulté les personnes qui doivent faire le travail pour fournir l'information au CANAFE. Revenons à la recommandation 2b); certaines préoccupations sont soulevées au sujet des entités déclarantes, qui ont l'impression qu'on ne s'attaque pas à leurs problèmes. Je crois qu'on a dit au gouvernement que vous devez consulter ces partenaires avant de procéder à la prochaine étape. Est-ce exact?

M. G. Rochow : Oui. Nous les avons tous consultés. Au cours des consultations, certaines de ces préoccupations sont apparues, et elles étaient essentiellement rattachées aux mandats différents de ces partenaires. Dans certains cas, ils ont indiqué jusqu'où nous pouvions aller. Nous avons travaillé dans les limites de ce qu'ils pouvaient nous dire. Encore une fois, je me demande si M. Kellett voudrait nous faire part de ses réflexions à ce sujet.

Le sénateur Harb : Permettez-moi de vous poser deux ou trois autres questions avant de faire intervenir M. Kellett. La recommandation 2c) va dans le même sens. Vous êtes plutôt critique envers le régime. Vous parlez des incohérences relevées dans les données et les statistiques sur la performance du régime, qui doivent faciliter la production de rapports sur ses réalisations.

Vous savez peut-être que le vérificateur général a fait un commentaire semblable et s'est dit très préoccupé par l'efficacité du régime. Le gouvernement, je suppose, a produit ce document de consultation. Je présume qu'il a examiné vos recommandations avant de le publier. Avez-vous eu la chance de le regarder? Pouvez-vous nous dire si, selon vous, il répond à ce que vous dites?

M. G. Rochow : Ce document a été produit après notre évaluation. Nous en avons pris connaissance, mais nous ne sommes pas en mesure de faire des comparaisons pour l'instant.

Le sénateur Harb : Vous avez un bon mot pour le régime lorsque vous dites que, lorsque l'information est échangée avec un tiers, on fait en sorte d'assurer la confidentialité et de trouver un juste équilibre avec les droits de l'individu, c'est-à-dire les droits prévus par la Charte, et ainsi de suite. J'aimerais vous demander d'abord quelles sont vos preuves. Je dis cela parce que l'une des propositions formulées dans le document de consultation voulait que les institutions financières transmettent toutes les données — pas seulement à partir de 10 000 $, mais absolument tout — sur les transferts électroniques au CANAFE. Le CANAFE a cette information et toutes sortes de protocoles d'entente avec d'autres pays. Il est possible qu'il n'y ait pas de loi sur la protection de la vie privée dans certains de ces pays. Toutefois, comme ce sont des partenaires, ils ont le droit légal, ou le droit moral, de demander au CANAFE des renseignements sur tous les types de transactions de moins de 10 000 $. Par conséquent, selon la situation qui pourrait prévaloir dans l'un de ces pays, un organisme pourrait bien s'engager dans une chasse aux sorcières.

J'aimerais savoir quelles preuves vous avez ou quelles preuves vous avez examinées pour vous assurer qu'avant de fournir des renseignements à un tiers, nous savons qu'il est assujetti à des lois conformes à la Charte canadienne des droits et libertés.

M. G. Rochow : Sur cette question importante, je dois absolument m'en remettre à l'un de mes associés, qui s'est penché sur ces détails. M. Kellett se souvient peut-être de quelques-uns de ces aspects.

Le sénateur Harb : Il pourrait peut-être faire des commentaires sur les autres points.

M. Kellett : Certainement. L'un des problèmes concernant le CANAFE, ce n'est pas qu'il soit trop disposé à transmettre des données ou à fournir des détails même sans le nom d'une organisation suspecte. Pour les organismes qui reçoivent l'information, comme la GRC et l'ASFC, le problème a toujours été que l'information n'est pas assez détaillée pour leur permettre de mener une enquête. Comme vous avez pu le constater, la loi impose au CANAFE des contraintes assez rigides sur la façon de protéger les données qu'il recueille, même lorsqu'il fait une analyse stratégique; elle lui dicte dans quelle mesure il peut divulguer cette information sans compromettre la vie privée, même s'il s'agit d'une organisation.

L'une des plaintes formulées par les banques et les établissements qui fournissent les données à la base, c'est qu'on ne leur dit pas comment, d'un point de vue stratégique, ils doivent surveiller une transaction douteuse. Par exemple, y a-t-il des personnes ou des régions qui devraient retenir davantage notre attention? Le CANAFE est tenu par la loi de ne pas divulguer ce type d'information à l'intérieur du Canada, et aussi à l'extérieur. Aux États-Unis, le département de la Sécurité intérieure, par exemple, peut demander des renseignements particuliers au CANAFE, mais aucun des accords conclus avec le GAFI n'oblige le CANAFE à lui transmettre ces données.

Vous devriez interroger le CANAFE au sujet de ces restrictions, parce que c'est lui qui détient toutes les données qu'il recueille et qui les protège. Nous n'avions pas besoin de nous pencher sur cette question, puisque nous ne cherchions pas à savoir si l'organisme protégeait bien l'information. Depuis 2001, son dossier montre qu'il fait du bon travail et rien, à notre connaissance, n'a été compromis d'aucune façon, et on n'a divulgué aucune donnée qui ne devait pas être divulguée. Ce serait plutôt l'inverse.

Avant d'abaisser le seuil pour ce qui est des entités déclarantes — comme nous l'avons mentionné il y a une heure —, il faut se demander si on ne leur imposerait pas ainsi un plus lourd fardeau. Comme on le dit à la recommandation b), elles ont l'impression qu'on ne prête pas attention à leurs problèmes. Il y en avait plusieurs. Notre travail se faisait à l'échelle macroscopique, alors nous n'avons préparé qu'une synthèse que nous avons soumise au ministère des Finances. La plus grande difficulté pour elles, c'était d'obtenir des données stratégiques et tactiques de la part du CANAFE. Elles avaient le sentiment de transmettre des données dans le vide, sans rien recevoir en retour. Elles voulaient obtenir plus de directives sur la façon de cerner des transactions douteuses pour avoir une piste de vérification, par exemple. C'est le genre de chose qu'elles demandaient. N'oubliez pas : différents points de vue ont été exprimés parmi les groupes de consultation en particulier. M. Laurendeau était l'un des facilitateurs affectés à ces groupes, et il pourrait peut-être nous faire part de certaines observations qui ont été formulées, des observations générales que l'on peut vous transmettre.

Michel Laurendeau, évaluateur principal, Capra International Inc. : Je peux vous dire qu'il y a eu beaucoup de points de vue différents exprimés par les groupes de consultation, puisqu'il y avait des joueurs très différents. Certains n'étaient pas tout à fait à l'aise avec les exigences de la loi. Comme on l'a mentionné, les gens ont l'impression de fournir beaucoup d'information, à leurs frais, et ils aimeraient obtenir une meilleure rétroaction sur la valeur de ces renseignements.

Pour répondre à votre question, personne, je crois, ne s'est dit vraiment inquiet de la protection des renseignements personnels ou n'a dit que la confidentialité était menacée d'une façon quelconque par le système.

Le sénateur Ringuette : Monsieur Reynolds, je suis originaire de la campagne du Nouveau-Brunswick, et je suis probablement très naïve en ce qui concerne le blanchiment d'argent et toutes les sortes de stratagèmes. Lorsque vous nous avez donné un exemple pour illustrer comment les choses peuvent se dérouler dans le secteur de l'assurance vie, j'ai été vraiment étonnée. Vous avez dit ensuite qu'au Canada, certaines banques ou certains banquiers pouvaient participer à différents stratagèmes.

Pour satisfaire ma curiosité — et vous ne le pouvez peut-être pas —, pouvez-vous nous donner un exemple, comme celui du secteur de l'assurance vie, pour montrer comment le blanchiment d'argent peut se produire dans les banques du Canada?

M. Reynolds : Tout d'abord, j'aimerais préciser une chose. Je n'ai pas parlé d'une banque en particulier. Les banques occupent une place dans le blanchiment d'argent parce qu'elles font partie intégrante de notre système financier. Ce sont elles qui peuvent effectuer des transferts d'argent sur la scène internationale et partout au pays. Si vous voulez déplacer de l'argent partout dans le monde, vous pouvez le faire dans six pays différents en quelques heures. Il suffit d'y travailler un peu.

Le blanchiment d'argent est essentiellement un mécanisme qui vise à déplacer et à camoufler de l'argent. Plus vous réussissez à brouiller la piste, jusqu'à la source criminelle de l'argent, mieux c'est. Si vous brouillez la piste une seule fois, c'est assez facile de savoir d'où provient l'argent. Toutefois, si vous pouvez brouiller la piste 20 fois, c'est beaucoup mieux. Il s'agit, par exemple, de déposer l'argent dans une banque, de le retirer et de traverser la rue, de déposer l'argent dans une autre banque ou de le transporter à l'extérieur du pays, parce que la question des champs de compétence complique la tenue des enquêtes, surtout dans des secteurs où les lois sur le blanchiment d'argent sont déficientes.

Plus vous déplacez l'argent, plus vous brouillez la piste, plus vous utilisez les mécanismes de blanchiment d'argent, plus il est difficile de suivre cette piste. Pour les criminels, il s'agit de posséder et d'utiliser ces fonds, parce qu'ils travaillent durement, dans leur vie criminelle, pour recevoir cet argent.

Quant aux banques, elles servent de conduit, puisqu'elles sont un outil légitime pour le commerce, pour le transfert d'argent. Elles représentent notre système financier. Elles peuvent être utilisées de plusieurs façons dans des relations bancaires correspondantes.

Le sénateur Ringuette : Je suis intriguée par ce seuil de 10 000 $. Si une importante organisation criminelle veut brouiller la piste, comme vous le dites, autant de fois qu'elle le peut pour effacer la traçabilité, utiliserait-elle des sommes inférieures à 10 000 $?

M. Reynolds : Ces organisations le font régulièrement, et c'est ce qu'on appelle le fractionnement. Elles peuvent fractionner leurs transactions en deçà des limites fixées pour la déclaration obligatoire des opérations. Vous pourriez avoir, par exemple, une transaction de 9 999,99 $, ou moins. Je crois comprendre, après avoir lu le document rapidement, que la proposition ne vise que les transferts de fonds électroniques internationaux, dont le seuil serait réduit à zéro. C'est important pour le financement des activités terroristes, qui se fait avec de plus petites sommes. On a constaté par le passé que les transferts d'argent sont beaucoup plus petits dans ce cas que dans le cas des activités criminelles.

Le sénateur Day : Une transaction de 9 999,99 $ serait douteuse, selon moi.

M. Reynolds : J'ose l'espérer, monsieur.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Reynolds, vous avez dit que quelqu'un peut aller déposer un certain montant d'argent dans une banque et ensuite traverser la rue et redéposer le même montant dans une autre banque.

Pour un citoyen canadien ordinaire, ouvrir un compte dans une banque prend quand même quelques minutes, avec tous les documents à remplir. Si la personne ouvre deux ou trois comptes dans une journée dans des banques différentes, est-ce que les banques vont s'en apercevoir? J'imagine que les blanchisseurs d'argent ont des trucs. Est-ce que les banques se consultent d'une manière ou d'une autre pour éviter cela? Ce fonctionnement me laisse perplexe.

[Traduction]

M. Reynolds : C'est l'association des banquiers elle-même qui est la mieux placée pour répondre à votre question. Lorsque je parle d'aller d'une banque à l'autre, il s'agit, par exemple, de passer de la CIBC à la Banque TD. Ces établissements ne partagent généralement pas leur liste de clients, puisqu'ils sont des concurrents. Ils ne font pas d'analyse comparative et ils n'ont pas de banques de données communes qui permettraient de dire que vous avez un compte dans une succursale donnée. Ils sont heureux de vous compter parmi leurs clients, pourvu que vous ne meniez pas d'activités douteuses.

[Français]

Le sénateur Maltais : Dans le cas d'un petit commerçant, il peut recevoir de l'argent comptant, mais il ne traîne pas de grosses sommes d'argent tous les jours. La banque va se demander d'où viennent ces montants. Il est normal pour un commerçant d'arriver avec un sac rempli d'argent, mais ça peut paraître plus bizarre pour un particulier. Je ne sais pas si vous pouvez me répondre là-dessus. Est-ce que les banques ne s'inquiètent pas de cela?

[Traduction]

M. Reynolds : Il ne fait aucun doute que vous éveilleriez certains soupçons. En fait, il y a ce qu'on appelle le schtroumpfage. Ce sont des personnes qui sont employées par des criminels, habituellement des personnes qui n'ont pas de casier judiciaire, qui ne sont pas liées directement à l'activité criminelle et qui placent l'argent dans le système financier. Elles feront exactement ce que vous avez dit — elles se présentent avec 1 500 $. Elles ont plusieurs comptes. Ce stratagème existe.

Le président : Nous avons touché beaucoup de questions intéressantes aujourd'hui. La semaine dernière, certains témoins du secteur financier ont soulevé une question et j'aimerais vous entendre à ce sujet, si c'est possible. Concernant la déclaration des transactions douteuses, ils étaient en faveur d'une approche axée sur les risques plutôt qu'une approche axée sur les règles. Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?

M. G. Rochow : Nous n'avons pas d'observations directement liées au secteur bancaire. Toutefois, l'idée d'être sélectif, sur le plan des risques, fait partie de la politique gouvernementale. Le gouvernement se rend compte qu'il y a une limite à ce que vous pouvez faire avant d'en arriver à un rendement décroissant. En ce qui a trait aux évaluations, qui est notre domaine, le Conseil du Trésor préconise la formulation de plans d'évaluation. N'évaluez pas tout; penchez-vous sur les aspects les plus importants, qui sont axés sur les risques, et c'est ce que doit faire le ministère, en fait.

Je dirais que des considérations semblables s'appliqueraient dans le secteur privé et ailleurs. Encore une fois, j'aimerais demander à mes collègues s'ils en savent davantage à ce sujet.

Je vois M. Kellett hocher la tête.

Le président : Merci beaucoup de votre réponse.

Messieurs, c'est au nom de tous les membres du comité que je vous remercie d'avoir comparu devant nous aujourd'hui. Vous avez été un groupe de témoins exceptionnels et nous vous remercions.

(La séance est levée.)


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