Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 3 - Témoignages du 26 octobre 2011
OTTAWA, le mercredi 26 octobre 2011
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 17, afin d'examiner, pour en faire rapport, les dispositions et l'application de la Loi modifiant le Code criminel (communication de dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel), L.C. 1997, ch. 30.
Le sénateur John D. Wallace (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et bienvenue à mes collègues et à nos invités, que je vais vous présenter dans un instant. Je m'appelle John Wallace, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je préside le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Comme vous le savez, honorables sénateurs, nous tenons ici aujourd'hui notre deuxième séance de la session parlementaire afin d'examiner, pour en faire rapport, les dispositions et l'application de la Loi modifiant le Code criminel, concernant la communication de dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel.
En réaction à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. O'Connor, le Parlement a adopté, en 1997, le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel, concernant la communication des dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel. Il a ainsi créé le cadre législatif actuel prévu aux articles 278.1 à 278.91 du Code criminel.
Le projet de loi C-46 visait à renforcer la protection de la vie privée et les droits à l'égalité des plaignants dans des causes relatives à des infractions d'ordre sexuel, en limitant la communication des dossiers privés détenus par des tiers. Le projet de loi a inscrit dans le Code criminel la liste des motifs jugés insuffisants pour obtenir l'accès à des dossiers personnels ou thérapeutiques ainsi que les facteurs dont le juge doit tenir compte au moment de déterminer si les dossiers doivent être communiqués, y compris le droit du plaignant à la vie privée et à l'égalité et le droit de l'accusé à une défense pleine et entière.
Dans le préambule du projet de loi, on insistait sur les préoccupations du Parlement au sujet de la violence sexuelle à l'endroit des femmes et des enfants et sur la nécessité d'encourager les victimes à signaler les infractions d'ordre sexuel. On y indiquait que la crainte que des informations personnelles soient rendues publiques avait un effet dissuasif sur les victimes qui auraient autrement signalé l'agression sexuelle aux autorités et se seraient prévalues des services de traitement nécessaires.
Notre comité a reçu, le 4 octobre 2011, un ordre de renvoi du Sénat pour examiner les dispositions et l'application de la loi. Dans la dernière session parlementaire, notre comité a tenu deux séances sur la question en février 2011 et il a entendu les représentants du ministère de la Justice, du Service des poursuites pénales du Canada et de Statistique Canada, ainsi que Mme Karen Busby, professeure à la faculté de droit de l'Université du Manitoba. La semaine dernière, nous avons entendu Mme Jennifer Stoddart, commissaire à la vie privée du Canada.
Chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui notre étude et j'ai le plaisir d'accueillir, en commençant par ma gauche, Mme Lee Lakeman, représentante régionale pour la Colombie-Britannique et le Yukon de l'Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel; Mme Sandy Onyalo, directrice générale, Centre d'aide aux victimes de viol d'Ottawa; Mme Stefanie Lomatski, directrice générale, Coalition d'Ottawa contre la violence faite aux femmes; et le dernier témoin mais non le moindre, que nous avons le plaisir de recevoir de nouveau, M. Steve Sullivan, directeur général, Les Services aux Victimes d'Ottawa.
Vous allez tous présenter un exposé au comité. Je commencerais peut-être par vous, madame Lakeman.
Lee Lakeman, représentante régionale, Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel : Merci d'avoir invité notre association. Étant donné que nous avons peu de temps, je vais présenter mes 10 points le plus vite possible.
Notre association a commencé à s'occuper de la question durant l'affaire Osolin, dont vous avez entendu parler dans le rapport de Karen Busby. Mais j'étais personnellement concernée par l'affaire O'Connor, car des femmes voulaient que l'évêque Hubert O'Connor soit tenu responsable des agressions sexuelles qu'il a commises. En Colombie- Britannique, le fait que l'évêque O'Connor profitait de son poste de directeur du pensionnat et qu'il exerçait un contrôle total sur les dossiers des femmes pour se décharger de sa responsabilité concernant les accusations d'agression sexuelle constituait un problème important. Les femmes ont finalement gagné et elles ont réussi à faire imputer une certaine responsabilité à l'évêque O'Connor, dans le processus qui s'est rendu jusqu'à la Cour suprême du Canada et qui a entraîné l'adoption d'une nouvelle loi.
J'ai commencé à m'occuper de la question quand les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle étaient menacés au point que les femmes du centre d'aide de Windsor avaient jugé nécessaire de déchiqueter les dossiers en public pour éviter qu'on y accède et préserver leur relation personnelle avec les femmes qui avaient demandé leur protection. Le problème est réel, chargé d'émotions et important pour moi et pour les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle partout au pays.
Nous voulons surtout que les droits à l'égalité des femmes soient respectés dans les questions d'agression sexuelle. Il faut tenir compte du droit à l'égalité, concernant la vie privée et la sécurité des femmes. Les femmes risquaient non seulement que leurs dossiers personnels soient révélés, mais elles étaient aussi menacées à plusieurs égards. La principale menace n'était pas la possibilité de perdre en cour, mais de perdre également leur dignité en public.
Il importe de se rappeler que, à l'époque et encore aujourd'hui dans une large mesure, aucun comportement sexuel passé d'une femme ne peut paraître acceptable pour les gens lorsqu'une femme se retrouve en cour. Selon nous, la communication des dossiers donne lieu durant les procès à du sexisme qui rend les affaires inéquitables et injustes.
Je tiens à dire que nous approuvons le rapport de Karen Busby. Je crois que Mme Busby a consulté bien des spécialistes et j'appuie entièrement son rapport.
À l'audience de la commissaire à la vie privée, vous avez reçu une recommandation sur l'importance des centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle et d'autres centres de soutien que les femmes ont réussi à bâtir. Je pense que la question importe dans votre examen de la loi, 11 ans plus tard.
À l'époque, nous participions régulièrement à des consultations nationales avec le ministère de la Justice. Les deux rapports que vous avez sous la main concernent ces consultations. Mais, il n'y a plus de consultations. Les femmes ne sont plus en mesure de se réunir chaque année pour présenter des questions d'ordre juridique au Parlement du point de vue de l'égalité qu'elles recherchent.
Je vous rappelle qu'au départ, il n'était pas du tout nécessaire, selon nous, de communiquer les renseignements personnels des femmes. Nous n'envisagions pas un contrôle de la plupart de nos dossiers. Notre position était que les dossiers n'étaient nécessaires en aucun temps et que c'était simplement une autre tentative pour discréditer les femmes et les menacer de rendre publiques des informations qui les dissuaderaient d'aller devant les tribunaux. Je peux vous dire que les choses n'ont pas changé.
Si on examine le travail de la Cour suprême, on constate que les préjugés sexistes sont mis en évidence. La Cour suprême a dit clairement que des préjugés sexistes étaient perpétués en cour et que les procès demeureraient injustes tant que nous ne vaincrions pas ces préjugés.
Nos recherches confirment qu'au fil des ans, rien n'a montré qu'il fallait accéder aux dossiers. L'information révélée n'a eu d'influence dans aucune affaire. Rien n'indique qu'il faut accéder aux dossiers personnels des femmes.
Cela dit, la loi a amélioré les choses de deux ou trois manières. Ce qui est le plus apparent pour nous dans bon nombre de centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle, c'est que la loi a fait reculer les avocats de la défense. Il suffit de savoir que les avocats de la défense apprenaient les uns des autres comment humilier les femmes en public dans les audiences préliminaires et les procès et qu'ils veillaient à ce que les journalistes couvrent le processus. Cela arrive parfois de nos jours; nous ne pouvons pas dire aux femmes qu'elles n'ont rien à craindre à cet égard. Toutefois, étant donné que l'opinion publique change et que la plupart des gens pensent au moins que c'est honteux, les menaces faites aux femmes sont réduites, mais il suffit que la menace plane pour que des femmes ne portent pas plainte.
Vous pouvez constater que les femmes essaient encore de signaler les agressions sexuelles, surtout celles commises par des hommes de pouvoir. On remarque que plus d'hommes de pouvoir sont accusés par des femmes qu'ils ont agressées.
La loi contient des lacunes. Trop de dossiers sont communiqués. Le problème des dossiers remis aux accusés a déjà été soulevé. Nous constatons que ce ne sont pas tous les dossiers qui sont communiqués, mais ils ne sont pas entièrement protégés non plus. Dans la plupart des cas, des informations sont transmises si les dossiers ont été demandés. C'est un problème pour nous.
Je souligne que les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle sont obligés de défendre leurs dossiers. Certains centres ne tiennent même plus de dossiers et je pense que c'est une perte épouvantable pour le Canada. Nous devons garder les dossiers et nous devons savoir ce qui se passe; cela fait partie de notre travail. Cependant, c'est très difficile, parce que nous n'avons pas accès à de l'aide juridique. Contrairement aux centres aux États-Unis, la plupart de nos centres ne comptent pas un avocat dans leur personnel. Lorsqu'on nous demande de communiquer nos dossiers, nous pouvons engager un avocat et essayer de protéger nos dossiers et notre relation avec la femme, mais nous n'avons pas les ressources nécessaires. C'est la même chose pour les femmes, qui ont le droit de protéger leurs dossiers et d'empêcher leur communication. Les femmes n'ont pas accès à un avocat, elles ne connaissent pas d'avocat et elles n'ont pas l'argent pour engager un avocat.
Les recherches sont très inadéquates jusqu'ici. Les groupes féministes, qui ont fait le travail et qui ont mené à l'adoption de la loi, n'ont plus accès aux fonds publics pour effectuer les recherches dont nous avons tous besoin. C'est épouvantable. Vous devez clairement vous intéresser à ce qui se passe à Condition féminine. D'ailleurs, le Sénat pourrait bien sûr accorder des subventions de recherches. Il y a un manque absolu de recherches juridiques pour l'égalité des femmes.
Les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle et les associations de victimes sont également aux prises avec un manque de financement à tous les niveaux dans toutes les provinces. Nous ne pouvons pas réaliser les recherches ensemble, faire le lobbying nécessaire ni clarifier la question pour vous. Je vous remercie de me recevoir, mais je pense que c'est bien insuffisant.
Beaucoup reste à faire, il nous reste bien des choses à comprendre et nous pouvons perdre beaucoup si le gouvernement ne recommence pas à porter son attention sur les droits à l'égalité des femmes.
Le président : Madame Onyalo, allez-y.
Sandy Onyalo, directrice générale, Centre d'aide aux victimes de viol d'Ottawa : Merci de m'offrir l'occasion aujourd'hui de vous parler du projet de loi C-46. Le Centre d'aide aux victimes de viol d'Ottawa donne des services à la collectivité depuis plus de 37 ans. Nous offrons des services de sensibilisation et de thérapie au moyen de notre ligne téléphonique de 24 heures et de notre programme de thérapie individuelle et en groupe.
Je représente aujourd'hui les intérêts des femmes, des victimes d'agression sexuelle et des thérapeutes qui facilitent le processus de guérison. Dans tous les examens qu'il fait de cet article du Code criminel, le Sénat doit continuer de protéger la vie privée et les droits à l'égalité des victimes d'agression sexuelle.
Tous les fournisseurs de services et tous les centres d'aide aux victimes de viol ou d'agression sexuelle partout au pays sont indépendants et autonomes. C'est pourquoi il n'y a pas d'uniformité entre les dossiers de thérapie. Bien des organisations présentent à leurs clients une gamme d'options sur l'information prise en note. Certaines victimes n'emploient pas leur vrai nom durant le processus et bon nombre veulent que seule la date de la séance de thérapie figure au dossier. Souvent, les victimes veulent que le minimum d'informations soient gardées, précisément parce que la communication de leurs dossiers pourrait servir à les discréditer. L'objectif des dossiers de thérapie et des journaux intimes des victimes, c'est d'aider la victime et d'orienter le thérapeute. Les dossiers reflètent le parcours de la victime dans sa guérison et ils ne constituent pas une description exacte de l'agression.
Il est important que vous, les sénateurs, examiniez les répercussions disproportionnées qu'ont la communication et la divulgation des dossiers sur les membres marginalisés de nos collectivités : par exemple, une femme réfugiée qui craint pour son statut d'immigrante; une Autochtone qui doit faire face tous les jours à du racisme et à de la discrimination ou encore une femme qui a fait l'objet d'un diagnostic de maladie mentale.
Pour le bien-être des victimes et des femmes qui ont connu la violence sexuelle, il est important de suspendre le débat sur la communication des dossiers dans les cas d'infractions d'ordre sexuel. Les agressions sexuelles et la violence sexuelle ont atteint des proportions endémiques au Canada. Deux Canadiennes sur trois ont connu une forme ou une autre d'agression sexuelle dans leur vie, depuis l'âge de 16 ans. Moins de 10 p. 100 de toutes les victimes d'agressions sexuelles rapportent le crime à la police. La plupart de ces femmes choisissent délibérément de ne pas entrer en contact avec le système de justice pénale simplement parce qu'elles ne veulent pas être traumatisées une autre fois par le système.
Malgré plus de 20 ans de réformes pour combattre la violence sexuelle dans notre pays, l'accès au système de justice pénale n'est toujours pas une option viable pour la majorité des victimes de violence sexuelle. Cette situation devrait tous nous interpeller davantage. Merci.
Le président : Madame Lomatski, veuillez prendre la parole.
Stefanie Lomatski, directrice exécutive, Coalition d'Ottawa contre la violence faite aux femmes : Je vous remercie de nous permettre de nous adresser à vous aujourd'hui. Je vais présenter une déclaration conjointe de la Coalition d'Ottawa contre la violence faite aux femmes et du Sexual Assault Network. Je vais d'abord vous parler brièvement des deux organismes Je vous ferai ensuite part de l'opinion que nous avons sur le projet de loi C-46 et discuterai brièvement des recommandations que nous proposons pour améliorer l'accès des femmes à la justice.
Le Sexual Assault Network se compose de particuliers et d'organisations d'Ottawa qui ont à cœur de mettre fin à la violence sexuelle contre les femmes. Le réseau coordonne et appuie l'action politique et la défense des droits menées par des organisations locales et des membres de la collectivité dans le but d'élargir l'accès aux services pour les femmes qui ont été victimes de violence sexuelle et d'améliorer la qualité des services offerts.
La Coalition d'Ottawa contre la violence faite aux femmes existe depuis plus de 20 ans. Elle se compose d'organisations et de particuliers qui cherchent à mettre fin à la violence contre les femmes au moyen de leadership, de sensibilisation, de pressions et d'action politiques; la coalition veut que le système réponde mieux aux besoins des femmes et des enfants qui ont été victimes de violence. Les membres qui composent notre coalition viennent d'horizons divers, nous avons entre autres des travailleurs de refuges, des défenseurs de la lutte contre la violence sexuelle, des conseillers, des représentants de la police, de la Couronne, du Programme d'aide aux victimes et aux témoins et des services destinés aux victimes ainsi que des avocats et des chercheurs.
Selon nous, le projet de loi C-46 donne aux juges la possibilité de mettre en balance les droits des femmes et ceux des accusés. À la lecture des témoignages donnés au cours des réunions passées du comité, nous croyons comprendre que le comité a reçu de nombreux mémoires d'experts en analyses statistiques et en droit ainsi que d'experts sur les lois concernant la protection de la vie privée. Nous désirons donc vous présenter une analyse structurelle, fondée sur les particularités des femmes, des mécanismes périphériques qui, selon l'expérience de nos membres, influe sur l'application du projet de loi.
Nos membres sont tout d'abord préoccupés par la formation des juges. À notre avis, une formation complète sur la violence sexuelle et les inégalités systémiques est essentielle à la prise de décisions éclairées. Les coalitions comme la nôtre doivent se battre constamment pour comprendre la loi et être au fait des mécanismes utilisés à l'intérieur des tribunaux. Nous nous sommes butés au manque de transparence et parfois, on a refusé de donner la formation demandée. La raison invoquée est que cette formation pourrait biaiser les juges. Toutefois, nous savons qu'une compréhension complète des questions complexes et des répercussions de la violence sexuelle est essentielle pour comprendre la revictimisation systémique qui survient tout au long du processus faisant suite au signalement de ce genre de crime et la nature de l'injustice inhérente à l'agression sexuelle.
Nous voulons également faire savoir au comité aujourd'hui que la communication des dossiers à une tierce partie a amené les travailleurs et les conseillers d'Ottawa à modifier leur façon de prendre des notes. En effet, ces intervenants sont de plus en plus conscients que les tribunaux peuvent leur ordonner de communiquer leurs notes. Les conseillers sont donc obligés de concilier les droits à la protection de la vie privée des femmes et la sécurité émotive qui doit prévaloir dans une relation entre le conseiller et sa cliente. Pour cette raison, les conseillers ne gardent maintenant que le minimum de notes dont ils ont besoin pour intervenir sur le plan clinique, des notes qui ne contiennent pas beaucoup de détails en raison du risque potentiel de devoir les communiquer aux tribunaux.
Outre une formation complète pour les juges et la collaboration de professionnels, nous aimerions recommander au comité d'examiner la possibilité d'introduire des personnes chargées de défendre les droits des femmes à l'intérieur des tribunaux. Bien que les détails de leur rôle restent encore à fixer, ces personnes pourraient servir à de multiples égards, elles pourraient notamment collaborer avec les juges pour leur fournir une perspective légale féministe sur des sujets comme ceux dont nous parlons aujourd'hui et servir de représentantes légales indépendantes pour les femmes. Le fait est qu'il est extrêmement difficile pour les femmes de chercher un conseiller indépendant et que le système légal est un milieu complexe, qui revictimise les femmes.
À la lecture de témoignages passés et de préoccupations supplémentaires soulevés par le comité, nous savons que l'un des objectifs est de déterminer si la mesure encourage le signalement des infractions sexuelles. La réalité montre que ce n'est pas le cas. Dans nos comités, nous entendons des femmes nous dire qu'elles ne rapportent pas ce qui leur est arrivé pour les raisons suivantes : elles ne veulent pas témoigner ou divulguer les détails de l'agression; elles ont peur de faire face à l'accusé; elles invoquent des raisons culturelles; elles disent qu'elles ne seront pas crues et qu'elles seront victimisées de nouveau par le système de justice pénale; et elles craignent des représailles. Nous croyons donc que les raisons pour lesquelles les femmes ne rapportent pas les infractions d'ordre sexuel dont elles sont victimes dépassent de beaucoup la portée du projet de loi et nécessitent des changements systémiques plus larges.
Nous aimerions dire au comité que les deux organismes que nous représentons regroupent énormément de connaissances et d'expertise. Toutefois, plusieurs de nos membres estimaient qu'ils n'étaient pas préparés, étant donné que nous n'avons eu qu'une semaine de préavis, pour traiter en détail et en profondeur de cette question. En conséquence, nous recommandons au comité de demander à d'autres juristes et chercheurs spécialisés dans la violence contre les femmes, à des travailleurs de première ligne, à des défenseurs des droits des femmes et à des femmes qui ont vécu la violence sexuelle de se prononcer sur la question.
Nous voulons vous remercier encore de nous permettre de nous exprimer aujourd'hui. Nous espérons que nos recommandations seront entendues et qu'elles seront mises à profit pour améliorer le système de justice et transformer les victimes silencieuses en personnes fortes.
Le président : Pour terminer, nous entendrons le représentant des Services aux victimes d'Ottawa, M. Sullivan.
Steve Sullivan, directeur général, Services aux victimes d'Ottawa : Merci, monsieur le président, de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui et merci, messieurs et mesdames les sénateurs. Je me préparais à vous donner un bref aperçu des Services aux victimes d'Ottawa et de la façon dont nous intervenons auprès des victimes d'agression sexuelle. Toutefois, mon rôle a changé depuis la dernière fois où j'ai comparu devant vous, et j'aimerais vous parler un peu de mes nouvelles fonctions.
Les Services aux victimes d'Ottawa est un organisme local. Nous recevons du financement de la province de l'Ontario pour réaliser trois programmes dans la région d'Ottawa.
Le premier programme qui, je crois, est unique au Canada est le Programme d'intervention rapide auprès des victimes. Ce programme fournit une aide financière d'urgence aux personnes victimes des crimes les plus graves, dont l'agression sexuelle. Par exemple, nous pouvons fournir à une victime d'agression sexuelle des services de counselling d'urgence jusqu'à concurrence de 10 séances, à l'intérieur de quelques jours; s'il s'agit de dommages à la propriété, si une serrure a été endommagée lors d'une agression, par exemple, nous pouvons faire réparer la chose. Voilà le genre de dépenses financières d'urgence à laquelle la victime peut devoir faire face. En ce qui concerne les agressions sexuelles, contrairement à certaines autres catégories, nous n'avons pas besoin d'un rapport de police. Comme mes collègues ont pu vous le dire, peu de victimes rapportent ce genre de crime à la police.
Notre autre programme porte le nom de Services d'orientation et d'aide immédiate aux victimes. Nous comptons environ 80 bénévoles qualifiés disponibles 24 heures par jour et sept jours par semaine qui peuvent être appelés sur la scène d'un crime ou à qui un de nos organismes partenaires peut adresser quelqu'un. Par exemple, nos volontaires peuvent accompagner une femme qui doit retourner à l'hôpital pour y recevoir des soins. Elles peuvent également accompagner une femme au poste de police pour y faire une déclaration.
Notre troisième programme s'appelle Supportlink; il s'agit d'un programme de planification des mesures de sécurité. Si une victime d'agression sexuelle, de violence conjugale ou de harcèlement criminel a besoin de planifier des mesures pour assurer sa sécurité, notre personnel prendra le temps d'établir avec elle un plan personnalisé. Notre clientèle se compose principalement de femmes qui ont été victimes de violence, la violence conjugale étant la forme la plus répandue, suivie de la violence sexuelle.
Je n'en dirai pas beaucoup plus, car je crois que mes collègues ont, tout comme les témoins qui les ont précédés, donné un bon aperçu de bon nombre des questions dont votre comité est saisi.
J'aimerais revenir sur ce qui a été dit concernant les statistiques. Nous savons que la plupart des femmes n'alertent pas les autorités. Je sais que votre comité cherche notamment à déterminer si ce projet de loi a eu un impact à ce chapitre. Comme l'indiquait Mme Lomatski, j'estime difficile d'examiner cette question en faisant abstraction de tous les autres obstacles au signalement de la violence par les femmes. On vous a parlé de la crainte du système de justice pénale qui peut exiger non seulement la divulgation du dossier personnel, mais, intrusion encore plus importante, le dévoilement du passé sexuel.
Pour ce qui est des signalements, les plaintes d'agression sexuelle sont moins susceptibles d'être jugées fondées par la police. Même cette étape préliminaire est plus difficile à franchir que pour les autres crimes avec violence. Il y a moins de chances que des accusations soient portées et un moins grand nombre de condamnations. Les victimes d'agression sexuelle sont confrontées à des défis bien plus grands que la seule divulgation de leur dossier personnel. C'est un aspect important qui fait en sorte qu'il est bien difficile de considérer ce projet de loi isolément de tous ces autres obstacles que doivent surmonter les femmes.
Dans ce contexte, il serait bon que votre comité garde à l'esprit tout au long de ses travaux la nécessité d'encourager les femmes à signaler les agressions. Nous sommes tous conscients de l'importance des signalements dans une perspective publique. Nous voulons que les coupables soient identifiés et tenus responsables de leurs actes. Cependant, étant donné le mode de fonctionnement actuel de notre système, je ne sais pas trop si nous souhaitons vraiment encourager les femmes à aller de l'avant. Nous ne voulons certes pas décourager celles qui ont choisi de le faire, mais à la lumière des difficultés qui les attendent et, comme nous avons pu l'entendre, des risques de discrimination et de divulgation de leur dossier personnel ainsi que de leur passé sexuel, je ne suis pas persuadé que c'est une bonne idée d'inciter les femmes à s'exposer à tout cela. Le processus est effectivement très pénible pour toutes les victimes, mais surtout pour les immigrantes et les femmes handicapées. Les écueils sont encore plus nombreux pour ces femmes parmi les plus vulnérables.
J'aimerais faire écho à quelques-unes des recommandations formulées par les autres témoins. La commissaire Stoddart a indiqué qu'il fallait que les victimes aient accès à un avocat indépendant. D'autres témoins ont abondé dans le même sens. La jurisprudence nous révèle que dans les cas où la victime est représentée par un avocat indépendant, il arrive souvent que la défense renonce à exiger le dossier personnel de la victime, et il est plus rare que l'on acquiesce à une demande semblable.
J'estime que toutes les victimes devraient avoir le droit absolu de bénéficier des services d'un avocat indépendant. Je crois que la charte des droits des victimes le prévoit au Manitoba et en Colombie-Britannique, et je sais que cette possibilité est offerte dans d'autres provinces.
Les choses peuvent toutefois se compliquer si une victime doit recourir à l'aide juridique. Très souvent, on se rend compte qu'on en a besoin le moment venu et il faut alors essayer d'obtenir un certificat. Les services d'aide juridique sont de plus en plus surchargés de travail et leurs budgets seront encore davantage sollicités au fur et à mesure que de nouveaux projets de loi sur des questions de justice seront mis de l'avant, ici même comme dans l'autre Chambre. Je ne crois pas que nous puissions croire que ces femmes vont simplement s'adresser à l'aide juridique pour obtenir un certificat, et que tout ira pour le mieux. Il faut que cela soit bien clair.
Je préconiserais en outre de meilleures mesures de protection en cas de renonciation. Il est prévu dans la loi qu'une plaignante peut renoncer à ses droits. Je sais qu'il y a au Canada certains procureurs très compétents qui sont tout à fait capables d'expliquer ce que cela signifie. Mais, comme chacun sait, les procureurs ne représentent pas les victimes. Je souhaiterais que l'on inscrive dans la loi davantage de mesures de protection de telle sorte que les femmes comprennent bien quels sont leurs droits et à quoi elles renoncent exactement, avant qu'un tribunal n'accepte simplement une telle renonciation.
Mme Lakeman a parlé des dossiers détenus par l'accusé. Cette personne peut utiliser ces dossiers comme bon lui semble, et je pense que nous devrions également assurer leur protection.
Tout comme mes collègues, j'insiste sur l'importance des services communautaires, car nous savons que la plupart des femmes n'iront pas chercher de l'aide auprès de la police, du tribunal ou du procureur de la Couronne; elles vont plutôt se tourner vers leur communauté ou se rendre à l'hôpital, qui les confiera ensuite à un centre d'aide aux victimes d'agression sexuelle. Si on n'octroie pas les fonds suffisants, ces femmes seront encore plus isolées et marginalisées. Le comité doit prendre conscience que si nous voulons réellement aider la majorité des victimes d'agression sexuelle, nous devons diriger notre aide vers les bonnes ressources, et ce n'est certainement pas le système de justice pénale.
Le président : Vos exposés étaient excellents et inspirants.
Le sénateur Fraser : Nous sommes privilégiés de vous avoir avec nous aujourd'hui, étant donné que vous êtes des travailleurs de première ligne; vous savez donc tout ce que cela implique.
Ma première question concerne les statistiques. Cela revient sans cesse lorsque Statistique Canada se prononce sur ces questions.
Selon Statistique Canada, une forte proportion de gens choisissent de ne pas signaler une agression sexuelle parce qu'ils — et je paraphrase — considèrent que ce n'est pas assez grave. Nous savons aussi qu'aux termes de la loi, le terme « agression sexuelle » a une définition très large. Il pourrait s'agir d'un comportement qui, dans certains contextes, serait considéré comme étant offensif, mais pas nécessairement plus que cela, dépendamment de la victime, entre autres.
Selon vous, qui intervenez auprès des victimes, quelle est la proportion des femmes qui sont victimes d'agressions graves? Je déteste employer le mot « graves », parce que toutes les agressions sont graves, mais vous comprenez ce que je veux dire. Combien d'entre elles ne le signalent pas à la police? Parmi ces femmes, combien vont s'empêcher de rapporter une infraction d'ordre sexuel parce qu'elles ont peur des dossiers qui seront communiqués? C'est une question à deux volets, mais j'essaie de comprendre l'incidence réelle de tout cela.
Mme Lakeman : Vous avez raison; je dirais que toutes les agressions sexuelles sont graves. J'ai parlé à des femmes qui étaient au cœur de l'affaire Pickton, en Colombie-Britannique, alors pour moi, agression et mort sont indissociables. Chose certaine, j'ai discuté avec des femmes qui ont eu la mâchoire brisée ou qui ont été abîmées physiquement pour le reste de leur vie.
Le sénateur Fraser : Ce sont des cas graves.
Mme Lakeman : Absolument.
Le sénateur Fraser : Quand je parle de cas « moins graves », je pense entre autres à un baiser volé lors d'une réception de Noël qui, au sens de la loi, est considéré comme une agression sexuelle.
Mme Lakeman : C'en est une. Selon la personne qui vous a donné ce baiser non désiré et la fête à laquelle vous étiez, cela pourrait être grave. Si ce n'est pas le cas, les femmes ne se donneront pas la peine de le signaler. Je peux vous affirmer qu'il y a un grand nombre de cas graves qui sont signalés.
Le sénateur Fraser : Vous voulez dire qui ne sont pas signalés?
Mme Lakeman : La plupart des cas qui sont signalés sont très graves et beaucoup de cas très graves ne sont pas rapportés.
Le sénateur Fraser : C'est ce que je tente de savoir.
Mme Lakeman : Il pourrait être utile de voir les choses sous un autre angle. Dans cette loi, on veut s'assurer que les femmes qui osent signaler un crime ne sont pas punies. Je ne cesse de penser à l'évêque O'Connor. Il a été le plus haut dignitaire de l'Église catholique à être condamné pour des crimes sexuels, et il a agressé au moins quatre femmes et un enfant. Il a fallu toute une communauté pour tenir cet homme responsable de ses actes. Il s'en est tiré à bon compte pendant une décennie avant que nous puissions le condamner. C'est ainsi que ça se passe dans les cas d'agression sexuelle.
Le sénateur Fraser : Est-ce que quelqu'un d'autre souhaite ajouter quelque chose?
Mme Onyalo : Il est difficile de faire la distinction entre des cas « graves » et des cas « moins graves ». Dans les cas d'infractions d'ordre sexuel, par exemple, nous intervenons auprès des jeunes dans les écoles secondaires. Si une jeune femme a subi des attouchements de la part d'un professeur, l'impact de ce geste pourrait ne pas être considéré par certains comme étant grave.
Le sénateur Fraser : Je dirais que c'est un cas grave.
Mme Onyalo : L'impact de ce geste, par opposition à un viol collectif, par exemple, dans un terminus d'OC Transpo, peut être dévastateur pour cette jeune femme. Les agressions sexuelles sont souvent liées à des troubles d'ordre mental et sont souvent la cause de problèmes d'alcoolisme et de toxicomanie, seuls moyens que les survivants ont trouvés pour arriver à vivre avec leur agression.
Le sénateur Fraser : Essayez de me comprendre. Je ne veux surtout pas minimiser l'impact d'une agression sexuelle. Le cas que vous venez de décrire est tout simplement traumatisant pour une jeune fille. Un professeur est dans une position de pouvoir, et une adolescente peut ne pas avoir beaucoup de possibilités de recours. Je ne veux surtout pas minimiser l'ampleur de ces crimes; j'essaie simplement d'avoir un portrait plus clair, plus distinct, si je puis m'exprimer ainsi, de la situation, de sorte que nous puissions faire la meilleure évaluation possible des mesures à prendre. Ne perdez donc pas votre temps à essayer de me convaincre de l'importance d'une agression sexuelle. J'en suis consciente.
Mme Onyalo : Je dirais — et je suis d'accord avec Mme Lakeman — que la vaste majorité des femmes qui ont été agressées ne signalent pas leur agression. Je dirais que probablement moins de 5 p. 100 le font.
Le sénateur Fraser : Puis-je poser une dernière question?
Le président : Oui, brièvement, mais j'aimerais que nous abrégions la première série de questions. Je veux m'assurer que tout le monde a la possibilité d'au moins poser une de leurs questions. Nous allons ensuite enchaîner avec la deuxième série de questions.
Le sénateur Fraser : Dans le même ordre d'idées — et je tiens pour acquis que Mme Lomatski et de M. Sullivan m'auraient donné des réponses semblables, avec peut-être certaines nuances, mais une qualité similaire —, depuis l'adoption du projet de loi C-46, avez-vous l'impression qu'il y a eu une évolution dans la façon dont les tribunaux, les juges en particulier, traitent les demandes de communication de dossiers?
Mme Lakeman, si je ne me trompe pas, a parlé de la nécessité de former les gens. Non, c'était plutôt Mme Lomatski. Outre cette question de formation, à laquelle j'aimerais revenir durant la deuxième série de questions, avez-vous observé une évolution ou est-ce plutôt le statu quo? L'adoption de la loi a donné lieu à beaucoup de changements. Avez-vous remarqué une évolution depuis?
L'un d'entre vous pourrait peut-être répondre tout de suite, et j'essaierai de recueillir d'autres opinions au deuxième tour.
Mme Lomatski : Je peux commencer. Certains membres de notre coalition nous ont dit pouvoir se prononcer là- dessus. Nous avons des chercheurs à l'Université d'Ottawa qui se penchent spécifiquement sur ce type de questions, et leurs recherches sont strictement axées sur la violence envers les femmes, les agressions sexuelles et tout ce qui entoure le système législatif et judiciaire. Ces personnes seraient mieux placées pour vous répondre.
En ce qui concerne la formation, ils...
Le sénateur Fraser : Je vais y revenir au deuxième tour. Je veux vraiment aborder cette question, mais je vais être interrompue.
Le président : Nous allons y revenir.
Le sénateur Fraser : Avez-vous le nom de ceux qui, selon vous, pourraient venir nous parler de l'évolution?
Mme Lomatski : Tout à fait.
Le sénateur Baker : J'ai trouvé les exposés très pertinents et judicieux. Tout le monde convient que la loi ne va pas assez loin. Comme Mme Lakeman l'a dit, en réponse à la décision de la cour dans l'affaire O'Connor, on a créé un cadre législatif aux articles 278.1 à 278.9 du Code criminel afin de protéger les dossiers et la vie privée non seulement de la victime, mais aussi des témoins.
Comme M. Sullivan et d'autres témoins l'ont fait remarquer, la loi ne fait rien du tout pour ce qui est du contre- interrogatoire des victimes dans le cadre d'une enquête préliminaire ni pour les protéger contre les questions au sujet de ce qui se trouve dans leur journal intime, comme Mme Lakeman, qui a témoigné pour la Cour supérieure de la Colombie-Britannique et qui a été contre-interrogée dans le poste qu'elle occupe actuellement, si je ne me trompe pas.
Par conséquent, vous nous demandez donc d'envisager de renforcer le libellé du Code criminel. Mmes Lakeman et Onyalo ont laissé entendre qu'aucun dossier portant atteinte au droit à la vie privée ne devrait être divulgué. Je pense que c'est essentiellement ce que vous avez dit.
Afin d'interdire la communication des dossiers, y a-t-il autre chose que vous souhaiteriez que l'on ajoute, qui va au- delà de cet article?
Mme Lakeman : Rien en particulier, mais je dirais que ces choses changent sans cesse et ce qui est important, c'est de savoir que le recours aux tribunaux est un processus accusatoire et que les femmes n'ont souvent pas d'avocat dans cette situation, d'où l'importance, à mon avis, des organisations qui se portent à la défense des femmes. Je pense que c'est notre moyen de défense le plus utile. Si une personne a des liens avec un groupe qui lutte pour l'égalité entre les sexes, elle aura plus de facilité à se trouver un avocat, à obtenir l'information nécessaire et à défendre les arguments qu'elle doit faire valoir.
D'un côté, il y a les avocats, et de l'autre, il y a les groupes qui luttent pour l'égalité entre les sexes. Nous n'avons pas encore cette égalité et il est nécessaire de la défendre.
Le sénateur Baker : Vous dites que la représentation juridique devrait être...
Mme Lakeman : Cela peut se présenter sous la forme d'une représentation par des avocats, mais aussi sous la forme d'un soutien communautaire et gouvernemental envers des organisations qui luttent pour l'égalité entre les sexes, puisqu'elles se sont révélées être les plus efficaces jusqu'à présent.
Le sénateur Baker : Oui. Ce sont deux questions distinctes, n'est-ce pas?
Mme Lakeman : Tout à fait.
Le sénateur Baker : C'est-à-dire la représentation par un avocat et par une organisation. Avez-vous une idée des mesures que nous pourrions prendre?
Mme Lakeman : J'ai fait valoir pendant des années qu'il incombait au gouvernement fédéral d'appuyer les organisations qui luttent pour l'égalité entre les sexes, étant donné que l'égalité est une obligation fondamentale du gouvernement fédéral. Évidemment, les niveaux de gouvernement inférieurs ne sont pas exemptés de cette responsabilité, mais le gouvernement fédéral pourrait prendre les devants, en s'intéressant à la mise sur pied et au soutien des organisations qui luttent pour l'égalité entre les sexes.
Le sénateur Baker : Qu'en est-il de la représentation par les avocats?
Mme Lakeman : Nous pourrions procéder d'une façon ou de l'autre. Nous pourrions financer les groupes de femmes, de façon à ce qu'ils aient les moyens d'embaucher quelqu'un pour effectuer ce travail ou créer une disposition qui stipule que les femmes ont le droit d'être représentées par un avocat indépendant, mais cette dernière option est beaucoup plus coûteuse.
Le sénateur Baker : On se trouve aussi à imposer une responsabilité financière à la province, étant donné que c'est le procureur général qui paie pour l'aide juridique. Si la Cour supérieure a compétence pour obtenir un avocat payé par le procureur général, à ce moment-là, la facture est refilée au procureur général.
À votre avis, devrait-on préciser dans cette disposition que le tribunal doit s'assurer que non seulement la victime est représentée par un avocat, mais qu'il en soit également ainsi pour l'organisation qui fournit les dossiers?
Mme Lakeman : J'aimerais beaucoup. Si nous avions un moyen de protéger ces dossiers, nous serions beaucoup mieux placés pour la protéger.
Le président : Ma question donne suite à celle posée par le sénateur Baker. Je l'avais prise en note pendant votre exposé, madame Lakeman.
Selon vous, rien n'appuie la nécessité d'avoir accès aux dossiers personnels des victimes. Je comprends vos motifs. Toutefois, le projet de loi vise à trouver un juste équilibre entre les droits des plaignantes et le droit des accusés à une défense pleine et entière. Vous avez porté un jugement général là-dessus. Je comprends d'où vous venez, mais de notre point de vue, et compte tenu des lois en vigueur, il est nécessaire de trouver cet équilibre.
Y a-t-il des circonstances dans lesquelles un accusé serait privé de son droit à une défense pleine et entière s'il n'est pas en mesure d'accéder à l'un de ces dossiers? Est-ce légitime?
Mme Lakeman : Bien entendu, je suis une femme politique et non pas une avocate. Je pense qu'il convient de préciser qu'il n'y a pas eu de tel cas. Cela n'a pas été nécessaire. Je trouve le terme « équilibre » particulièrement étrange dans les circonstances. Équilibrer l'égalité des sexes avec quoi? Dans quelles circonstances serait-il acceptable de limiter les droits des femmes à l'égalité?
Par conséquent, non, je ne suis pas d'accord. À l'époque, notre position était que ces dossiers n'étaient pas nécessaires; tout cela est fondé sur des hypothèses. Rien en 11 ans n'a réussi à me faire changer d'avis. C'est une question juridique.
Dès les premières réunions au sujet de cette loi, nous nous sommes penchés sur les questions d'équité. Il est important pour les féministes de parler d'équité et de ne pas avoir de loi ni de programme qui briment les droits à l'égalité, y compris les droits des accusés. Je ne dis pas que nous devrions miner les droits des accusés; je dis simplement que je ne vois aucune atteinte à leurs droits.
Le président : En ne permettant pas la communication de ces documents...
Mme Lakeman : Jusqu'à maintenant.
Le président : ... vous ne croyez pas que cela porterait atteinte aux droits de l'accusé?
Mme Lakeman : Non. C'est mon opinion.
Le président : Très bien. C'est clair.
Mme Onyalo : Je soutiens cette affirmation. Quand vous parlez des droits de l'accusé par rapport aux droits de la victime, lorsqu'il est question de communication de dossiers, nous n'avons pas l'impression que la mesure législative vise à équilibrer les droits. Selon nous, la communication des dossiers servira précisément à attaquer la crédibilité de la victime. Si c'est le but de la communication de dossiers, dans ce cas, qu'en est-il des droits de la victime à la vie privée et à l'égalité?
Le président : Merci pour cette observation.
Le sénateur Frum : Il s'agit d'une question anecdotique, mais pouvez-vous me dire quels sont les types de dossiers qui sont toujours acceptés, sans égard au projet de loi? Quels sont ceux qui sont autorisés par la plupart des juges?
Mme Lakeman : Tout d'abord, sachez que nous n'avons pas fait suffisamment de recherches pour être en mesure de répondre à cette question, et je veux que ce soit clair.
Je pense que vous pourriez avoir accès à tous les cas en consultant les travaux de Jennifer Koshan, qui vous a été recommandée dans le rapport Busby, et de Lise Gotell, deux universitaires de l'Alberta. Elles se sont longuement penchées sur ces cas, alors elles sont probablement vos meilleures sources.
Il y a deux questions en jeu. D'une part, il y a les dossiers qui sont autorisés, et d'autre part, il y a ce qui n'arrivera jamais en raison de la communication des dossiers. D'après mon expérience, la communication des dossiers a pour effet de dissuader les femmes de porter plainte, non pas parce qu'elles ont peur de perdre leur cause, mais plutôt parce qu'elles craignent que cela nuise à leur réputation. Les femmes s'inquiètent qu'on révèle un avortement, un mariage précédent, une accusation durant leur jeunesse, ou un trouble mental quelconque parce qu'elles ont consulté un conseiller, car on sait que les femmes sont beaucoup plus susceptibles de consulter que les hommes, peu importe leur état de santé mentale. Une femme aura une réputation douteuse si elle a eu trop ou pas assez de relations sexuelles, des relations sexuelles avec les mauvaises personnes ou avec trop ou pas assez de gens. Au fond, le passé sexuel d'une femme n'est jamais acceptable. Les femmes ont honte d'exposer publiquement leur vie privée.
Le sénateur Frum : Je comprends. Mais à quel moment, dans le procès, demande-t-on communication des dossiers?
Mme Lakeman : Dès le début. Dès que l'on connaît l'identité de l'avocat de la défense, on connaît ses procédés.
Le sénateur Frum : La victime enclenche le processus. Êtes-vous au courant de procès qui ont été engagés ou qui ont été entrepris? La victime est-elle même en mesure de mettre fin au procès, une fois qu'il a commencé?
Mme Lakeman : Dans ce cas, elle risque d'avoir des problèmes avec la justice. Les femmes craignent aussi que, une fois la police mise au courant, le processus échappe à leur volonté. C'est pourquoi elles optent d'avance, à la place, pour un processus très intimidant.
Il suffit de se rappeler le nombre de jeunes joueurs de hockey ou de héros sportifs qui risquaient d'être accusés d'agression sexuelle et la rapidité avec laquelle la mécanique des médias a commencé à fonctionner; c'est le résultat du travail de la défense.
Le sénateur Frum : En votre qualité d'ouvriers de première ligne — et M. Sullivan affirmait que notre système est tellement désagréable pour la victime — vous arrive-t-il d'inciter la victime à renoncer? Cela pourrait-il arriver, si elle vous faisait part de sa répugnance et de son anxiété?
Mme Onyalo : Nous pensons que nous manquerions à l'éthique. À la place, nous leur parlons de nos clientes, quelques-unes d'entre elles, qui ont suivi le processus jusqu'au bout. Toutes, à ce que je sache, ont eu besoin d'appui avant pendant et après, tant le processus les a traumatisées.
Nous présentons des options aux femmes. Nous ne les décourageons pas, mais nous relatons l'expérience de celles qui en sont revenues. Ensuite, la décision leur appartient. Beaucoup de femmes savent déjà à quoi s'attendre du système de justice criminelle sans que nous ayons à leur raconter l'expérience de nos autres clientes. Elles ont déjà décidé qu'elles préféraient s'adresser à nous plutôt que de passer par le système.
Le sénateur Frum : D'après votre expérience personnelle, quel pourcentage des femmes que vous avez traitées ou qui vous ont consultés ont choisi la voie judiciaire?
Mme Onyalo : En 11 ans, depuis que je suis au Centre d'aide aux victimes de viol d'Ottawa, je dirais que, peut-être, quatre femmes sont passées par le système.
Le président : Madame Lomatski, voudriez-vous faire des remarques?
Mme Lomatski : Je suis en très grande partie d'accord avec Mme Onyalo. Il importe également de se rappeler que nous parlons de justice criminelle; et la justice n'est pas pour toutes les femmes victimes de violence sexuelle, dont les formes sont multiples. Nous discutons du projet de loi, effectivement, mais le système oppose aux femmes de nombreux obstacles qui leur empêchent d'obtenir tout à fait justice.
Personne n'a su mieux décrire sa défiance à l'égard du système de justice criminelle et de sa capacité de produire une impression de justice dans l'esprit de la victime survivante qu'une jeune fille de 17 ans, que j'ai entendue dire, lundi dernier, qu'elle ne dénoncerait pas ses agresseurs parce qu'ils ne seront pas punis. C'était très brutal. Elle disait avoir compris, à l'âge tendre de 17 ans, en 12e année, que le système victimait les victimes. C'est un élément important à prendre en considération dans l'ensemble du processus.
Le président : Monsieur Sullivan, auriez-vous quelque chose à dire?
M. Sullivant : Je dirais que nos services n'encourageraient ou ne décourageraient jamais personne. Nous présentons les faits aux victimes et nous leur faisons savoir ce à quoi elles peuvent s'attendre.
J'ignore si le comité le sait, je n'ai pas eu connaissance de témoignages à ce sujet, mais, pour combien d'affaires qui ne sont pas d'ordre sexuel la défense demande-t-elle communication de ce genre de dossiers? Si cela arrive rarement, posez-vous la question : qu'est-ce qui fait que, dans les procès pour agression sexuelle, la défense demande à les voir? Mme Lakeman en a parlé. Il s'agit de dissuasion et des stéréotypes de femmes qui se disent victimes d'agression sexuelle. Vous verriez que la comparaison du nombre de demandes dans les deux types de procès est assez révélatrice.
Mme Lakeman : Je signale que, sous certains rapports, il y a une évolution. Désormais, le droit international exige que les États prennent des mesures pour diminuer la violence contre les femmes. Il charge l'État de la protection des femmes. Nous possédons désormais, pour porter plainte aux Nations Unies, de moyens que nous n'avons jamais eus avant. Souvent, les femmes qui portent plainte à la police savent très bien que les probabilités d'obtenir une condamnation sont extrêmement faibles; mais elles le font, d'une certaine manière par défi et pour l'affirmation de soi, et il est très important pour nous de les appuyer. Le droit international et la protection de leurs dossiers sont les éléments clés de notre responsabilité d'appuyer les femmes qui choisissent de dénoncer leurs agresseurs.
Le sénateur Angus : Est-ce que je comprends bien que tous les témoins préconisent que, dans un premier temps, ces femmes aient droit à un avocat, qui n'est pas fourni par l'aide juridique? Elles ont besoin d'avocats spécialisés, aussi compétents que ceux de la défense, qui peuvent vraiment leur ouvrir les portes du système de justice criminelle, si souvent en panne. Ai-je raison? Êtes-vous d'accord?
Mme Lomatski : Oui.
Mme Lakeman : Oui.
Le sénateur Angus : Bien. Nous avons probablement à l'esprit les mêmes questions. Je n'insisterai donc pas. Nous avons une bonne discussion.
Madame Lakeman, en plus de l'avocat spécialisé pour les victimes, vous avez mentionné un groupe de défense des femmes qui les présente à des avocats et les aide à se préparer et à couvrir tous les points faibles. Est-ce exact? Vous préconisez tous les deux moyens.
Mme Lakeman : Eh bien presque, mais pas exactement.
L'avocat est important. Il pourrait être fourni par le système d'aide juridique, un service juridique national pour les femmes ou un cabinet embauché par une organisation féminine. En effet, nous n'avons pas seulement besoin d'avocats, mais, aussi, de défenseurs de nos intérêts politiques. L'égalité n'est pas encore chose faite. Il importe beaucoup de compter sur des groupes indépendants de mouvements féministes, qui sont de plus en plus difficiles à trouver.
Par exemple, le collectif local de mon organisme contacte les femmes qui intentent un procès à quelqu'un. L'affaire est relatée par la presse, et nous savons qu'elles sont isolées. Nous essayons de les contacter et de les mettre en rapport avec un groupe communautaire capable de les défendre. Ce n'est pas seulement pour les soutenir psychologiquement, mais, aussi, pour les appuyer dans leurs relations avec les médias, les faire accéder à l'information, y compris juridique.
Mme Onyalo : Je dirais que l'avocat spécialiste est une ressource importante. Comme je l'ai dit, le système cause intrinsèquement des problèmes et crée des obstacles, parce qu'il est accusatoire. J'irais même jusqu'à dire que, peut- être, il faut aussi des tribunaux spécialisés dans les cas de violence sexuelle. Il en existe déjà dans d'autres pays. J'ose même imaginer ce que cela ferait pour les femmes et qu'elles seraient plus nombreuses à intenter des procès.
Le sénateur Angus : Vos propos renferment des éléments intéressants. Loin de moi l'idée de vouloir les réprimer. Monsieur Sullivan, vous êtes ici, à Ottawa, aux Services aux victimes d'Ottawa, ce qui est probablement une bonne chose pour les femmes victimes de cette ville. Vous avez mentionné que vous étiez en partie financés par le gouvernement de l'Ontario. Je songe cependant à toutes les autres femmes ailleurs au Canada. Possèdent-elles des services équivalents dans leurs régions? J'en doute énormément.
M. Sullivan : C'est variable. Nous faisons partie d'un réseau réunissant des services homologues. Ottawa a de la chance d'avoir d'aussi nombreux services, notamment pour les femmes.
Le sénateur Angus : Cela semble le cas.
M. Sullivan : Vous avez raison de penser que, dans d'autres collectivités, il y a pénurie. Cela dépend en grande partie du financement accordé par la province et de l'endroit où on peut trouver des ressources. À Ottawa, la situation n'est pas parfaite, mais la ville est assez bien pourvue par rapport à d'autres. Bien sûr, il y a beaucoup de disparités d'un bout à l'autre du pays.
Le sénateur Angus : La représentation, le financement, qui est un problème épineux de taille, et la formation des juges sont des enjeux. Madame Lomatski, je crois que vous avez soulevé cette dernière question. Vous avez dit, à ma grande stupéfaction, que les juges avaient réagi très négativement à ces initiatives de formation spécialisée. Est-ce parce qu'ils entendent des affaires de meurtre et de vol à main armée et qu'ils se demandent pourquoi ils devraient prendre le temps de recevoir une formation sur les infractions d'ordre sexuel?
Mme Lomatski : Beaucoup de questions sont sans réponse. Pendant de nombreuses années, la possibilité, pour nous, de connaître les sujets de formation, la fréquence des séances de formation, leur qualité et leur caractère complet est restée à l'ordre du jour de notre comité de la justice. Toutes nos questions à ce sujet sont restées sans réponse. Voilà où nous en sommes. On nous dit que nous mettrions en péril l'objectivité. Tous nos efforts ont buté contre cet obstacle.
La violence sexuelle est un phénomène extrêmement complexe à comprendre et à décrire, comme vous pouvez le constater d'après nos témoignages. Nous en sommes là. Nous avons plus de questions que de réponses à cet égard.
Le sénateur Angus : Si nous en venions à la proposition formulée, c'est-à-dire des tribunaux spécialisés, je pense qu'il n'y aurait pas de réaction. Les juges seraient juges.
Mme Onyalo : Pour faire suite aux observations de Mme Lomatski, nous serions, entre autres choses, désireux, en ce qui concerne la formation des juges — et c'est la même chose pour les policiers — de nous attaquer aux préjugés, aux suppositions, aux stéréotypes et aux attitudes sexistes que les juges et les policiers nourrissent à l'égard des femmes ainsi qu'aux stéréotypes dont sont victimes les femmes qui décident de s'adresser aux tribunaux. Nous sommes constamment mis au courant d'observations inappropriées de juges catégorisant les femmes qui intentent des actions.
À la faveur de la formation, nous voudrions, entre autres choses, nous attaquer aux attitudes, aux stéréotypes et aux problèmes systémiques d'inégalité. Cela également influe sur les taux d'inculpation et sur les inculpations tout court. Beaucoup d'agresseurs n'ont eu que des réprimandes; ils se sont fait dire qu'ils étaient de bons garçons qui avaient manqué de jugement. On traite le problème à la légère. La formation fera prendre conscience de la gravité de toutes les agressions sexuelles et cherchera à modifier les mentalités au sujet des plaignantes.
Le sénateur Meredith : J'ai une question courte sur les tribunaux spécialisés que vous préconisez. Il en existe pour la violence des jeunes, la violence à main armée, et cetera. D'après vous, devrions-nous insister pour les faire créer?
La formation à la sensibilité est importante. J'ai entendu des agents dire, au sujet de jeunes femmes, que, par leur façon de s'habiller, elles l'avaient cherché; j'ai entendu des juges manquer de tact. C'est épouvantable.
En ce qui concerne la formation à la sensibilité, comment vos organismes sont-ils intervenus auprès des chefs de police pour obtenir les changements nécessaires d'organisation pour que les préposés à l'accueil des victimes puissent les mettre à l'aise?
Mme Onyalo : Nous n'avons pas encore entendu parler d'une augmentation du nombre de femmes qui choisissent de s'en remettre au système de justice criminelle, mais nous avons réussi à nouer des relations de partenariat, localement, avec la police d'Ottawa.
Le sénateur Meredith : Était-elle disposée à vous écouter?
Mme Onyalo : Oui. Nous avons essayé de nouer un partenariat qui n'est pas seulement fondé sur des relations de travail, mais dans lequel, en plus, on vise à faire connaissance avec les agents et à connaître la nature de leur travail, et vice-versa. Malgré les mandats et les buts différents, nous avons les mêmes intentions.
Entre autres choses, nous insistons sur la formation des policiers, plus précisément contre le racisme et la violence contre les femmes, notamment la violence familiale et sexuelle. Comme, à cet égard, la police d'Ottawa possède beaucoup de ressources et que le chef nous prête son concours, nous faisons des progrès.
Mme Lomatski : Nous participons également à cette initiative, et je confirme tous les propos de Mme Onyalo.
Mme Lakeman : Je n'ai pas tellement confiance dans ce genre de formation. J'y ai consacré des millions d'heures moi-même et j'ai abandonné. Laissez tomber.
Le sénateur Meredith : Est-ce que cela prend trop de temps?
Mme Lakeman : C'est parce que, tout simplement, on a affaire à des recrues. Mais le pouvoir de décision et le recyclage relèvent des gradés. C'est le bâton et la carotte qui donnent des résultats. Il est déjà manifeste qu'on est mal parti. Nous avons besoin de jugements écrits par les juges que nous pouvons approcher, donc évaluer; à partir de là, nous pouvons dénoncer les travers, distribuer les bonnes mentions, éclairer les choses. Idem pour la police et les bureaux des substituts du procureur général. Il faut récompenser ceux qui, dans les procès, respectent les principes d'égalité.
Notre problème, c'est que la plupart des causes sont enterrées par le policier à qui on signale les agressions. Pour eux, c'est vite réglé. Si l'affaire se rend en procès, elle disparaît au premier échelon. Il n'y a pas de statistique ni de jugement écrit. Il n'y a aucune façon pour nous, si ce n'est anecdotiquement, de demander des comptes au système.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je tiens également à vous féliciter. Œuvrer auprès des victimes d'actes criminels n'est pas un travail, mais une mission. Je le fais moi-même depuis dix ans suite à l'assassinat de ma fille.
Je trouve important le travail que vous faites car dans le cas de trop de récidivistes qui abusent sexuellement de femmes, cela va souvent se terminer par un meurtre. Un récidiviste agresseur sexuel, lorsqu'il récidive, ne laisse pas de témoins derrière lui. Et le fait de ne pas laisser de témoins, c'est de l'assassiner. Bravo pour le travail que vous faites.
Notre mission et notre objectif est d'augmenter le taux de dénonciation. Dénoncer n'est pas un geste de lâcheté, mais un geste de prise de pouvoir des victimes sur leur agresseur. Je vous encourage à poursuivre dans cette veine.
Un jour, il serait intéressant que le Sénat se penche sur une étude, à savoir pourquoi la dénonciation n'augmente pas malgré le fait qu'on y mette tout de même beaucoup de ressources.
J'aurais des centaines de questions à vous poser.
La non-dénonciation est liée à la peur de témoigner, la peur des représailles et la peur d'être criminalisé en cour. Les victimes ont cette peur, c'est-à-dire la peur d'être responsable de leur viol. On l'a vu trop souvent. Il y a aussi la peur de sentences mineures imposées aux agresseurs. Cette semaine, un agresseur sexuel a écopé de 45 jours de pénitencier à purger les fins de semaine. Sachant que nos prisons sont pleines la fin de semaine, le vendredi soir il va « puncher » puis il retournera chez eux. La femme, la victime, elle, revoit le monsieur revenir dans sa maison. Et c'est là qu'elles perdent toute crédibilité en notre système de justice. C'est un cercle vicieux : elles ne dénoncent plus parce qu'elles ont peur que l'agresseur ne soit pas reconnu coupable ou châtié à la hauteur du crime commis.
La question que je vous poserais est liée au projet de loi et liée à un meilleur soutient aux victimes et à leurs familles également.
La problématique au Canada est la suivante : l'aide aux victimes relève des provinces en grande partie — le sénateur Baker le disait —, mais l'aide aux criminels relève du gouvernement fédéral. Il y a des standards nationaux concernant l'aide aux criminels. Un criminel qui commet son crime en Ontario et qui est incarcéré au Québec aura droit aux mêmes services, mais la victime qui est agressée sexuellement à Montréal et qui habite à Toronto ne recevra aucun service. Il faut que le crime ait été commis dans la province où la victime réside.
Si le Canada se dotait d'une charte des droits des victimes qui inclurait ce type de projet de loi et un meilleur appui juridique en cour, ainsi qu'un meilleur encadrement concernant le témoignage, cela nous permettrait-il de traiter les victimes d'agression sexuelle d'une façon égale d'une province à l'autre?
Ce serait comme nous le faisons dans le cas des criminels; nous les traitons de façon égale d'une province à l'autre. Ce type d'outils ne pourrait-il donc pas mieux complémenter le travail que vous faites?
[Traduction]
Mme Lakeman : Merci de votre question. Je sympathise avec vous.
Je ne favorise pas la répression des agressions sexuelles axée sur les droits des victimes, parce que ce genre de crime institue l'inégalité entre les hommes et les femmes.
Le plus souvent, les femmes sont les victimes et les hommes les agresseurs. Je ne crois pas que le gouvernement fédéral puisse légitimement participer à cette discussion à l'appui aux femmes, parce que cette notion est une question d'égalité qui relève en grande partie de vos compétences. C'est une question à deux niveaux. Au Canada, les femmes n'ont pas encore droit à la pleine égalité. C'est visible dans toutes les statistiques. À mon avis, les femmes ont donc droit à votre appui pour les aider à établir l'égalité. En outre, l'agression sexuelle est une démonstration de force sociale qui réprime de manière absolue l'égalité des femmes, qui prévient de même leur accession à l'égalité. Quand, comme c'est le cas au Canada, l'agression sexuelle n'a pas d'issue heureuse pour les victimes devant les tribunaux, cela revient, pour les femmes, à se faire dire par l'État que, d'une certaine manière, elles n'ont pas droit aux avantages de la primauté du droit.
En conséquence, je pense que vous avez une obligation pour les femmes, avant tout, pour les femmes victimes d'agression sexuelle, puis l'obligation de faire le nécessaire pour leur assurer un accès égal à la primauté du droit et à la protection contre les agressions sexuelles. Toutes les conventions internationales que le Canada a signées au sujet des femmes expriment clairement cet objectif, désormais bien compris à l'échelon international. Vous avez l'obligation d'établir l'égalité des femmes et de comprendre que la violence exercée contre les femmes est une arme contre cette égalité. Chaque femme agressée est un avertissement à toutes les autres Canadiennes que tout faux pas leur est interdit, qu'elles ne peuvent pas exercer pleinement leurs droits à l'égalité, qu'elles ne doivent pas se conduire comme un être humain digne d'être pleinement accepté.
Vous avez donc l'obligation et l'occasion d'intervenir en appuyant les femmes.
Le président : J'aimerais entendre une réponse des autres témoins à la proposition du sénateur Boisvenu concernant une charte des droits pour les victimes.
Mme Onyalo : Je dirais comme Mme Lakeman. Comme nous l'avons dit, les modifications apportées à cette loi, le nombre de femmes qui intentent une action, puis le nombre de condamnations ne semblent pas corrélés. Je ne pense pas que, nécessairement, une charte pour les victimes d'agression sexuelle changera ces statistiques.
Mme Lomatski : C'est ce que je pense moi aussi.
M. Sullivan : Je crois qu'une telle charte pourrait aider certaines victimes si elle permet de mettre de côté les compétences provinciales et fédérales et comporte pour les victimes des droits exécutoires. Toutefois, je conviens qu'elle ne sera pas nécessairement utile pour les victimes d'agression sexuelle étant donné le mal qu'elles ont à se présenter en salle d'audience ou même à signaler l'agression. Même si nous adoptions une charte des droits des victimes qui fonctionne bien, la majorité des femmes victimes d'agression sexuelle n'en profiteraient pas de toute façon, car 80 à 90 p. 100 d'entre elles n'ont pas recours au système. On est en droit de se demander pourquoi les femmes ne signalent pas les agressions. Je crois que nous connaissons la réponse. En fait, qu'est-ce qui pousse les autres femmes à signaler l'agression, compte tenu de ce qu'elles devront endurer?
Je ne suis pas contre l'idée d'adopter une charte des droits des victimes, mais je ne crois pas qu'elle permettrait de mieux faire valoir les droits des victimes.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Actuellement, il n'y a aucun outil légal qui existe au Canada pour une victime d'acte criminel qui veut faire revendiquer des droits. Les droits des victimes, ce sont des engagements que les gouvernements ont pris, mais qui ne sont pas enchâssés dans un outil légal.
Un criminel qui est en cour et qui voit ses droits entachés — un droit à un procès juste et équitable — va se servir de la Charte canadienne des droits et libertés pour revendiquer ses droits. Où les victimes peuvent-elles trouver une revendication à leurs droits s'il n'y a pas une base légale sur laquelle elles peuvent s'appuyer en dehors des principes et pouvoir dire, par exemple : « Voici, mes droits ont été bafoués, je revendique le droit à la protection »? Ce pourrait être aussi un droit à la confidentialité ou un droit à être accompagné.
[Traduction]
Mme Lakeman : Je ne joue pas avec les mots. Vous devez comprendre que ces droits appartiennent déjà aux femmes. Ils sont consacrés par la loi, mais on nous en prive. Nous n'avons pas besoin d'un nouveau droit sur papier, mais plutôt dans la réalité.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Toute victime a le droit de dénoncer. Je comprends. Cependant, si une femme ne dénonce pas son agresseur, où peut-elle aller chercher l'appui légal pour dire que ses droits ont été bafoués? On n'a pas d'assise dans notre société où on reconnaît de tels droits aux victimes. Est-ce qu'une charte des droits des victimes, dans laquelle on viendrait enchâsser l'ensemble des préoccupations qu'on a, dont ce projet de loi, ne viendrait pas faciliter la dénonciation pour les victimes?
[Traduction]
Le président : Je sais que vous attachez une grande importance à ce sujet, monsieur le sénateur, mais cette question a déjà été abordée.
Quelqu'un aimerait-il ajouter quelque chose qui n'a pas été dit?
M. Sullivan : Autant que je me souvienne, une plaignante a droit à l'assistance judiciaire en vertu de la loi. Or, qui en paiera les frais? Qu'il existe une charte des droits des victimes ou non, on peut se demander comment la victime y aura accès et qui va en régler la facture.
Je vous rappelle que je ne suis pas contre l'adoption d'une charte en général, mais je doute que ce soit bien utile pour les victimes d'agression sexuelle. Certaines dispositions leur donnent droit aux services d'un conseiller juridique. Or, qui va payer si elles y ont recours?
Le président : Chers collègues, je vous demanderais de vous limiter à une question. Le temps file, et certains sénateurs doivent assister à une autre séance de comité après celle-ci.
Le sénateur Jaffer : Je sais qu'il y a en Alberta des tribunaux spécialisés en matière de violence conjugale, dont vous avez parlé. Ils sont très efficaces, car ils regroupent sous un même toit tous les services dont ont besoin les victimes, qui sont généralement des femmes. Les tribunaux spécialisés commencent à voir le jour, mais il reste encore du travail à accomplir à ce chapitre.
Sur le plan de la formation, j'ai moi-même formé des juges pendant des années. Or, le Conseil canadien de la magistrature tel que nous le connaissions n'existe plus, comme vous le savez. La formation des juges a été mise au rancart. Mme Lomatski a dit qu'il y en a désormais très peu. La formation a été favorisée pendant des années, mais les juges n'en veulent plus.
Lorsque j'étais présidente de la campagne sur la violence faite aux femmes dans ma province, la Colombie- Britannique, nous avons recommandé, entre autres, d'adopter le modèle Minnesota utilisé aux États-Unis. Ainsi, un responsable de la condition féminine interviendrait dès que la victime monte dans la voiture de police. Tandis que l'accusé est emmené en prison, où il a droit aux services d'un avocat, entre autres, ce modèle permettrait à la femme de recevoir immédiatement l'aide d'un responsable de la condition féminine, qui l'accompagnerait tout au long du processus. À mes yeux, ce n'est pas d'un avocat dont la victime a besoin, mais plutôt d'une personne qui lui tiendra la main dans les différentes étapes du processus. Mme Lakeman, que je connais depuis des années et qui a fait un travail exceptionnel dans ce domaine — et je la félicite — affirme que nous perdons de vue les victimes d'agression sexuelle puisqu'elles ne signalent pas le crime en question.
Plusieurs d'entre vous ont parlé de groupes de défense des femmes. J'aimerais connaître vos recommandations à cet égard. Que devrait-on indiquer à ce sujet dans notre rapport?
Mme Onyalo : À vrai dire, nous offrons déjà un tel service. Toute femme qui visite notre centre, que ce soit de son propre chef ou à la demande des services policiers ou d'autres services, a accès à une vaste gamme de services. Elle peut notamment être accompagnée au commissariat de police. Nous sommes là pour elle lorsqu'elle décide de signaler l'agression. Nous lui fournissons le plus d'information possible sur le système judiciaire et sur ce qui l'attend. Nous l'accompagnons avant, pendant et après son procès. À nos yeux, le problème n'est pas la disponibilité du service, mais plutôt le manque de fonds pour aider les femmes qui décident de porter plainte.
Mme Lakeman : Je crois qu'il est important de préciser que les « groupes de défense des femmes » sont des groupes de femmes qui se sont organisés au cours des 35 dernières années. Nous n'avons pas besoin de nouveaux cours universitaires pour les former. Il y en a dans chaque ville. Ces groupes ont créé leurs propres organisations, mais ils souffrent d'un manque criant de ressources.
La formation n'était pas le seul aspect important du Conseil canadien de la magistrature; il s'agissait d'un mécanisme de surveillance et de création de normes qui obligeait les juges à répondre davantage de leurs actes.
Par ailleurs, j'ai constaté que les tribunaux spécialisés sont victimes d'un phénomène de ghettoïsation. Autrement dit, ils donnent d'excellents résultats pendant un an ou deux, puis ils tombent dans l'oubli. Ce genre de situation m'inquiète. Je pense que c'est une autre façon de se tirer d'affaire sans véritablement transformer le système alors qu'il en a grandement besoin. Il faut des ressources pour s'occuper des victimes d'agression sexuelle, car elles sont très nombreuses. Même si la plupart des femmes ne signalent pas les agressions, ce serait beaucoup moins cher s'il n'y avait aucune plainte, mais ce n'est pas la solution à privilégier. Nous voulons que le système évolue dans la bonne direction.
Mme Lomatski : Je suis d'accord avec Mme Lakeman sur l'utilité des tribunaux spécialisés. Ils facilitent les recherches puisqu'on sait ainsi où le procès aura lieu, ce qui est utile au moment de consigner les propos tenus dans la salle d'audience.
De plus, je conviens qu'un tribunal spécialisé est en quelque sorte attaché à la cause. Dès le départ, il doit pouvoir respecter son mandat et rendre des comptes à ce sujet. Il ne peut se spécialiser sans cette volonté ou cet engagement. Même si un tribunal a pour mandat d'offrir des services spécialisés, il n'y arrivera pas sans l'aide de groupes de défense des femmes, qui contribueront à sa formation en la matière.
M. Sullivan : Je suis d'accord sur certains points. D'un bout à l'autre du pays, des programmes communautaires incroyables permettent d'accomplir un travail extraordinaire pour les femmes ayant été victimes d'agression sexuelle. À mon avis, c'est le financement qui pose problème. Il faut aussi déterminer s'il y a suffisamment de groupes de défense des femmes ou de services semblables au pays pour venir en aide à ces femmes, qu'elles aient recours au système ou non.
Le sénateur Jaffer : Madame Onyalo, vous avez parlé des femmes qui visitent votre centre. Or, mon expérience m'a appris qu'elles ne cogneront jamais à votre porte si elles ne parlent pas la langue ou si elles ignorent où aller. Ce qui est difficile, c'est que nous n'avons même pas accès à ces femmes. Pourriez-vous nous parler des plus vulnérables d'entre elles?
Mme Onyalo : Oui. Depuis longtemps, nous avons plusieurs programmes nous permettant d'aller au-devant des femmes qui appartiennent à des groupes ethniques ou à des communautés d'immigrants et de réfugiés. Nous croyons que les femmes qui sont prêtes à nous rencontrer savent le type de service dont elles ont besoin. Les femmes immigrantes, réfugiées ou d'origine ethnique différente, et surtout celles qui viennent d'arriver au pays ou qui ont connu la guerre, sont souvent aux prises avec toute une série de problèmes : le travail, le sous-emploi, l'adaptation des enfants au système scolaire, le logement et l'intégration à la vie collective en général. L'agression sexuelle dont elles ont été victimes ne fait pas vraiment partie de leurs priorités. À la lumière de ces renseignements, nous sommes allées à leur rencontre.
Nous avons aussi réalisé que les femmes qui font appel à nous sont prêtes à parler. Lorsque nous intervenons auprès des diverses communautés, nous évitons à tout prix d'aborder la violence sexuelle; nous discutons de tout, sauf de ce sujet. En raison de toutes les préoccupations qui hantent ces femmes et leur famille — et la plupart d'entre elles font passer la collectivité avant tout, compte tenu de leur éducation —, nous devons choisir des thèmes n'ayant rien à voir avec la violence sexuelle. Nous parlons plutôt de leurs besoins immédiats.
Il nous faut parfois jusqu'à deux ans pour bâtir une relation avec ces communautés. Pendant ce temps, les traumatismes commencent à refaire surface. Cette relation nous permet d'être sur le terrain lorsque cela se produit.
Le sénateur Joyal : Je vous ai écoutée attentivement, et ce qui m'a frappé, c'est que le niveau de confiance dans le système de justice pénale est l'une des raisons pour lesquelles peu d'agresseurs sont dénoncés. J'essaie de comprendre pourquoi rien n'est fait puisqu'on sait que le système de justice pénale ébranle la crédibilité du processus.
À entendre vos commentaires et les divers éléments que vous avez présentés, je me demande si nous ne sommes pas plutôt aux prises avec un enjeu important de notre société, soit la conception judéo-chrétienne traditionnelle de la femme que nous entretenons depuis toujours et qui est à l'origine de la notion de péché. Une « morale » accompagne toujours les enjeux sexuels, que cela nous plaise ou non. Tel qu'il est conçu, notre système ne traite pas les agressions sexuelles de femmes sur le même pied que les autres crimes, car une femme qui dénonce un homme est moins crédible en soi. On ne peut s'empêcher de penser à la tentation que la femme représente et à laquelle le premier des hommes a cédé.
Il me semble que nous luttons pour changer fondamentalement la conception philosophique des femmes au sein de notre système. Au début des audiences, je croyais qu'il nous suffirait de lancer une campagne publicitaire pour convaincre les victimes de dénoncer leur agresseur. Dernièrement, le gouvernement du Québec a diffusé une campagne publicitaire très troublante et assez efficace, à mon avis — vous l'avez peut-être vue.
En réalité, si nous poussons les femmes à utiliser un système qui ne leur inspire aucune confiance, elles seront encore plus bouleversées, et nous n'aurons pas les outils pour leur venir en aide. Nous nous retrouvons donc devant l'énigme suivante : quelle piste de solution s'offre à nous, et quelle orientation devrions-nous choisir pour être certains de pouvoir un jour changer les choses?
Je vous ai écoutés attentivement, et chacun d'entre vous a abordé un aspect ou l'autre du problème. Comment pouvons-nous évaluer la loi sans tenir compte du contexte abstrait qui explique le traitement réservé aux femmes victimes d'agression sexuelle dans le Code criminel? En fait, c'est presque peine perdue. Nous arriverons peut-être à régler un problème ici et là, mais nous ne pourrons pas vraiment changer la dynamique et les mentalités, car elles font partie intégrante du système.
Par où devrions-nous commencer? À votre avis, quel élément est prioritaire?
M. Sullivan : Je suis certain que mes collègues pourront vous parler davantage des enjeux philosophiques, monsieur le sénateur.
D'un point de vue pratique, dans un cas d'agression sexuelle avec violence où la victime a été blessée et ne connaît pas l'accusé, un procureur de la Couronne obtiendra fort probablement une déclaration de culpabilité. Toutefois, cet exemple ne reflète pas la majorité des cas.
C'est pourquoi je pense, au contraire des agents de police, que bon nombre des personnes qui sont mises en accusation évalueront les risques d'être trouvées coupables. En réalité, les risques d'être trouvé coupable sont très faibles, si vous avez commis la forme d'agression sexuelle la plus courante — sur une personne que vous connaissiez et avec laquelle vous étiez sorti. La décision de ne pas aller de l'avant dans une telle affaire est prise en toute conscience, car elle ne mènera pas à une déclaration de culpabilité. Nous tenons compte des cas antérieurs pour prédire ce qui arrivera.
Quant à savoir comment régler cela, je n'en ai aucune idée. Comme quelqu'un l'a laissé entendre, vous pourriez modifier la loi et dire qu'aucun dossier ne sera divulgué. Je ne crois pas que vous puissiez le faire, car les cours ont déjà dit que les dossiers doivent être divulgués dans certains cas. Cependant, même si c'était possible, je n'ai pas l'impression que le taux de signalements changerait.
Vous pourriez dire qu'il n'est pas permis de discuter du passé sexuel d'une personne. Vous pourriez modifier la loi ici et là. Nous avons constaté que certaines modifications apportées à la loi au cours des 20 dernières années n'ont rien changé, par exemple, le principe du « non, c'est non », la protection des victimes de viol et ce genre de choses. Je pense qu'il faut une solution plus vaste, mais mes collègues pourront certainement mieux que moi vous conseiller au sujet des solutions possibles.
Mme Lomatski : Comme nous l'avons indiqué dans notre déclaration conjointe que j'ai lue au début, il est urgent de dispenser de la formation. Il faut comprendre la complexité et la nature philosophique de ce que nous venons de dire à propos de la violence sexuelle. Tous nos énoncés vont dans le même sens : pour que l'ensemble du processus se mette à changer, il faut du financement et de l'action, et il faut donner aux groupes de femmes — aux groupes de défense des femmes — les moyens de faire progresser les choses.
Mme Onyalo : Je suis d'accord pour dire que la formation est d'une importance primordiale. Comme l'a dit Mme Lakeman, il faut une formation constante. Par exemple, quand nous parlons avec la police, nous veillons toujours à la formation des recrues. Cela doit se faire continuellement. La formation ne doit jamais cesser.
Je crois toujours qu'il faudrait se pencher sur l'idée d'un tribunal spécialisé, sur un cadre qui comporterait un volet évaluation, car en ce moment, d'après ce que je comprends, un certain nombre d'initiatives de recherche portent sur l'évaluation du système de tribunaux spécialisés de la famille et cherchent à déterminer s'il fait ce qu'il doit faire pour les victimes de violence familiale.
Je crois fermement qu'il faut davantage de financement de soutien aux centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle. Depuis des années, notre financement stagne. Nous n'avons pas les fonds additionnels qui nous permettraient d'étendre nos services, de faire de la recherche ou de répondre aux nouveaux besoins de la collectivité. Nous subissons des réductions. C'est un grave problème dans le milieu.
Mme Lakeman : Vous avez de la chance, car c'est, d'après moi, un processus d'ordre politique. Il est important que vous ne vous concentriez pas trop sur ce que les femmes signalent ou sur les déclarations de culpabilité, et que cela ne soit pas votre seul moyen de mesurer l'importance de la loi.
C'est par votre façon de traiter les femmes que vous les convaincrez de faire confiance au système. Je crois que vous devez vous concentrer sur la mise en œuvre de cette loi pour le moment. Des suggestions vous ont été faites avec insistance. Il nous faut des jugements écrits, des personnes qui interviennent en faveur de l'égalité et des conseillers juridiques, et il faut donner l'impression de traiter convenablement les femmes qui osent signaler les cas d'agression.
Le sénateur Lang : J'aimerais revenir à la déclaration préliminaire de Mme Lomatski. Vous avez parlé du cas d'une jeune femme de 17 ans qui, après avoir subi une agression sexuelle, vous a déclaré — si j'ai bien compris — qu'elle ne l'avait pas signalé parce qu'elle était convaincue que le coupable n'en subirait aucune conséquence en fin de compte. J'ai compris que la peine serait faible, par rapport au crime.
Vous pourriez peut-être nous en parler un peu plus. Je sais que nous nous éloignons un peu du projet de loi, mais y a-t-il beaucoup de jeunes femmes qui ne signalent pas les agressions sexuelles par manque de confiance dans le système de justice, et parce qu'elles estiment que c'est inutile en raison du faible poids de la peine, par rapport au crime?
Mme Lomatski : Je vais vous en dire un peu plus à son sujet : cette jeune femme ne participait pas à un groupe de discussion, mais plutôt à une discussion en classe que j'ai contribué à animer et qui portait sur la violence sexuelle et sur ce qu'elle signifiait pour les élèves. Ce qu'elle a dit, c'est qu'elle ne le signalerait pas parce qu'elle ne croyait pas que son agresseur serait puni.
Cette jeune femme était restée silencieuse pendant toute la discussion, et c'est pourquoi j'ai trouvé frappant qu'elle fasse ce commentaire et affirme qu'elle ne dirait rien. Je crois que cela en dit long sur son manque de confiance envers le système de justice pénale.
Certains de mes collègues pourraient sans doute répondre plus efficacement à la deuxième partie de votre question. Cela vous donne le contexte de notre discussion, et bon nombre de ses compagnes de classe ont acquiescé à ses propos.
Le président : Monsieur Sullivan, avez-vous quelque chose à dire? Je sais qu'il est difficile de synthétiser tout cela, car l'information est touffue et le sujet soulève beaucoup les passions, mais il ne reste pas beaucoup de temps.
M. Sullivan : Selon Statistique Canada, les personnes trouvées coupables d'infractions d'ordre sexuel risquent davantage d'être incarcérées que les auteurs d'autres crimes violents. Je ne nie pas l'existence des cas dont nous entendons tous parler. Si vous avez été victime d'une agression sexuelle et qu'après avoir subi tout le processus, votre agresseur est trouvé coupable, la peine ne répondra peut-être pas à vos attentes.
Dans les résultats de recherches que j'ai vus, rien n'indique que les femmes ne signalent pas les agressions parce qu'elles croient que la peine ne sera pas suffisante. Quand on demande aux femmes qui ont signalé une agression pourquoi elles l'ont fait, certaines disent effectivement qu'elles souhaitaient que l'agresseur soit puni, mais ce n'est pas la majorité. Au moment de prendre une décision, les femmes, je crois, ne pensent pas à la peine. L'obstacle, ce n'est pas la mesure dans laquelle la peine sera sévère ou indulgente, mais plutôt tout ce qui précède.
Mme Onyalo : Nous travaillons avec de nombreuses jeunes femmes dans les écoles secondaires de la ville, et il y a eu pas mal de signalements. Nous travaillons dans les écoles depuis plus de sept ans. Ce facteur n'empêcherait certainement pas les jeunes femmes de signaler une agression. De nombreuses jeunes femmes n'iront même pas à la police parce qu'elles ont peur, en réalité, de la façon dont elles seront perçues par les services de police.
Mme Lakeman : Je crois important de souligner que, trop souvent, on offre aux femmes la possibilité de se venger plutôt que l'égalité, alors que ce n'est pas ce que nous recherchons. La plupart des femmes signalent les agressions pour protéger d'autres femmes et pour protéger les enfants qui les entourent. Elles se préoccupent en réalité très peu de la sévérité de la peine, mais elles souhaitent l'alourdissement progressif des peines, et elles désirent que les agresseurs aient de meilleures possibilités de changer, car personne ne souhaite le retour d'un homme qui recourra de nouveau à la violence.
[Français]
Le sénateur Chaput : Vous avez parlé de victimes de traumatismes liés à des agressions sexuelles.
Vous avez dit qu'il y a une femme sur trois au Canada — deux sur trois; c'est encore pire.
Vous avez dit qu'il y avait un pourcentage de ces femmes qui ne signalent pas l'incident en question et qu'il y avait un pourcentage de ces femmes qui ne veulent pas des services de traitement et qui ne les demandent pas.
Ceci par peur que le dossier du plaignant ne soit pas respecté lorsqu'il y a une demande de communication des dossiers. C'est par peur et aussi parce qu'elles manquent de confiance envers notre système judiciaire.
En plus de cela, il y a un pourcentage de femmes qui ne se rendent pas dans votre organisme; soit parce qu'elles ne connaissent pas le centre, soit parce qu'elles ne parlent pas la langue ou pour toutes sortes d'autres raisons.
Je pense que j'ai compris que ce projet de loi était tout de même un petit pas dans la bonne direction. Également, vous avez suggéré d'autres mesures pour encourager les victimes à porter plainte. Vous avez énuméré une série de ces mesures. Y a-t-il d'autres mesures dont vous n'avez pas parlé et qui pourraient aider ces victimes non seulement à porter plainte, mais à regagner leur confiance en notre système judiciaire et qui pourrait apporter un changement marquant dans ce courant négatif qui n'aide pas du tout les femmes ou les plaignantes?
[Traduction]
Le président : Qui aimerait répondre? Il serait peut-être utile que vous vous concentriez sur un aspect autre que ce dont vous avez parlé dans votre déclaration.
Mme Lakeman : Deux aspects importants n'ont pas encore été soulevés. Premièrement, plus vous êtes pauvre, plus vous risquez d'avoir un dossier. Les immigrants et les membres de minorités raciales risquent davantage d'avoir un dossier. L'effet du dossier se multiplie, et les femmes le savent très bien.
Deuxièmement, je tiens à souligner que le pouvoir discrétionnaire de poursuivre est très important et qu'il entre en jeu, car les procureurs généraux, sur lesquels vous exercez de l'influence, disent aux procureurs de poursuivre ou pas, selon la probabilité d'une déclaration de culpabilité. Les facteurs sont nombreux en ce sens, et le dossier en est un. Vous avez la possibilité de trouver le moyen de sensibiliser les procureurs généraux et, par ricochet, de produire un effet sur les procureurs et sur les décisions de poursuivre. La plupart des cas se perdent au moment la rencontre avec le policier, puis de la rencontre avec le procureur. L'influence réciproque de ces deux personnes est importante à nos yeux. Très peu des cas se rendent en cour. C'est tout ce que j'ai à dire.
Le président : Quelqu'un d'autre a quelque chose à ajouter?
Mme Onyalo : C'est avec la police que la personne qui survit à la victimisation a un premier contact. C'est donc là que nous devons chercher à savoir ce qui se passe dans le cadre du processus d'enquête et trouver pourquoi, à Ottawa en particulier, les cas sont si nombreux à être considérés comme étant sans fondement. Notre coalition envisage de mener des recherches sur ces cas. Nous espérons pouvoir faire des recommandations sur les changements à apporter aux mécanismes, aux attitudes et aux comportements actuels de la police.
Le sénateur Meredith : Madame Lakeman, vous avez parlé de recherche réalisée par les groupes féministes et ainsi de suite, de même que de la preuve qui n'est pas disponible. Pouvez-vous rapidement m'en parler un peu plus? Monsieur Sullivan, vous avez parlé d'un système de soutien parfait qui encouragerait les victimes à signaler les agressions. Vous ne faites pas confiance au système de justice actuel. Que recommanderiez-vous au comité?
Mme Lakeman : Ce que j'ai de plus important à dire, c'est que l'indépendance des groupes de défense est essentielle, puisque c'est là que réside principalement notre pouvoir de nous battre pour la transformation du système.
Quand je parle de « recherche », je pense à la recherche menée par des militantes indépendantes qui expriment à quel point l'égalité des femmes leur importe. Ces femmes sont nombreuses, et nous pouvons vous en dresser une liste. De toute évidence, il faut que la recherche soit faite sous cet angle. C'est aussi lié à la recherche que nous réalisons sur le terrain. Nous tenons des dossiers, et je vous jure que je garde le nom de chaque homme qui nous est signalé. On peut entre autres recueillir les histoires des femmes qui s'adressent à nous. C'est le travail que nous faisons.
Il est important de souligner que si une personne raconte son histoire à un élément du système, elle aura beaucoup de difficulté à protéger son dossier. Cependant, si elle relate son histoire à un groupe de femmes indépendant, ce groupe, de par son indépendance même, pourra mieux assurer la protection du dossier. C'est pourquoi nous ne voulons pas que tout soit acheminé au moyen de l'aide aux victimes prodiguée par la police, ni même au moyen de l'aide aux victimes qui relève des tribunaux. Les dossiers risquent davantage de ne pas être protégés si vous dites tout à l'hôpital, plutôt qu'à un centre d'aide aux victimes d'agression sexuelle. Si vous voulez pouvoir dire toute la vérité à quelqu'un, mieux vaut la dire à votre allié politique indépendant.
Le sénateur Meredith : D'après vous, les avocats de la défense utilisent-ils cette demande de dossiers pour gagner leurs causes et, ainsi, faire davantage souffrir les victimes?
Mme Lakeman : Je n'en ai absolument aucun doute.
Le sénateur Meredith : Merci.
M. Sullivan : C'est une question difficile. Dans un système parfait, les dossiers ne feraient pas problème. Dans un système parfait, les antécédents d'activité sexuelle n'entreraient pas en jeu. Pour encourager les femmes à signaler les cas d'agression, il faut leur donner un endroit sûr où le faire. Comment le faire, étant donné que les tribunaux exigent l'accès aux dossiers dans certains cas et estiment que le passé sexuel d'une personne peut parfois être pertinent? Il serait utile, à cette fin, de resserrer les lois.
Le comité sénatorial pourrait envisager de recommander que les dispositions proposées aient pour effet de renforcer la présomption selon laquelle les dossiers ne doivent être divulgués qu'au-delà d'un point donné. Il pourrait en être de même pour le passé sexuel d'une personne. On dirait : « Nous ne discuterons pas de son passé sexuel. » Je ne sais pas s'il faut dispenser de la formation ou donner aux juges le pouvoir de dire en cour : « C'est assez. Cet interrogatoire doit cesser dès maintenant. » Mme Lakeman a raison de dire que les avocats de la défense le font pour intimider les gens. Les personnes qui portent plainte à la suite d'une agression sexuelle ont quelque chose de spécial, pour que nous les laissions faire cela. Nous ne les laissons pas faire dans d'autres cas, ou nous n'y voyons aucune utilité. J'ai répondu brièvement.
Le président : Madame Lomatski, voulez-vous dire quelque chose?
Mme Lomatski : Non.
Le sénateur Meredith : Merci beaucoup pour le travail que vous faites. J'ai une femme, une fille, ainsi que d'autres femmes dans ma vie. Je m'inquiète d'elles et des autres femmes autour de cette table. Nous nous inquiétons tous des personnes qui souffrent au quotidien et qui n'ont pas la protection de l'organisation judiciaire. Je vous félicite du travail de défense que vous faites. Continuez. Mille fois merci.
Le sénateur Fraser : Vous pouvez en conclure que nous sommes nombreux à avoir été intrigués par la suggestion des tribunaux spécialisés. Je comprends qu'il faut les financer convenablement et qu'il faut dispenser à tout le monde une formation convenable et constante, mais certains tribunaux spécialisés sont véritablement de grandes réussites. J'essaie cependant de nous situer dans la vraie vie. Que pourrions-nous recommander de réalisable dans le contexte de réductions budgétaires majeures et généralisées?
Présumons pour le moment que nous pourrions obtenir des tribunaux spécialisés, mais pas tout de suite. Madame Lomatski, le sénateur Angus a posé la question que je voulais initialement vous poser à propos de la réaction négative. Votre réaction m'a confirmé à première vue qu'il faut assurer la formation des juges, mais il faut une bonne formation. Une mauvaise formation ne sert à rien, car elle devient source de moqueries pour les personnes auxquelles elle est destinée. Elle est perçue comme de la foutaise. Une bonne formation coûte cher, et il faut donc régler ce problème.
Ma question s'adresse à vous et à M. Sullivan, qui possède de l'expérience à divers niveaux. Serait-il utile, par exemple, que le gouvernement fédéral établisse une unité de formation de petite taille, mais très qualifiée, qui ne ferait que dispenser de la formation aux juges — aux nouveaux juges — année après année, et ce, partout au pays? Je sais que c'est tiré par les cheveux, mais si une telle unité était efficace, et si les directives du processus de sélection judiciaire précisaient clairement que vous ne pourrez être nommé à une cour d'appel que si vous avez eu cette formation? Des commentaires?
Mme Lomatski : Votre question n'est pas simple.
Le sénateur Fraser : Je sais, mais il fallait que je dise tout avant que le président nous interrompe.
Mme Lomatski : Pour ce que j'ai pu saisir de votre question, je dirai qu'en ce qui concerne l'équipe spécialisée de formateurs itinérants, il faut veiller à ce qu'elle ait un fondement politique solide et soit axée sur la communauté, en plus d'avoir un cadre juridique qui vous permet de conjuguer les deux aspects. Devant une telle ampleur, bon nombre de nos membres finissent toujours par s'inquiéter de ce que la structure s'éloigne des besoins en formation et de ce que des étapes s'ajoutent. En ce qui concerne la violence familiale, nous avons des avocats de l'aide juridique qui suivent une formation liée à la violence familiale et qui peuvent ensuite prendre des cas de cette nature. Cependant, c'est l'uniformité et la permanence de la formation qui comptent. Il faut la matière et la fréquence, pour qu'il soit possible de comprendre les complexités de la violence sexuelle.
Le président : Quelqu'un d'autre a des commentaires à faire?
M. Sullivan : J'abonde dans le même sens, particulièrement en ce qui concerne la contribution communautaire. Il faut aussi un mécanisme qui permet de déterminer l'efficacité de la formation. Ce pourrait être un nouveau processus pour accéder à la Cour suprême.
Le sénateur Fraser : La cour d'appel, en réalité.
M. Sullivan : Ou la cour d'appel. Comme Mme Lakeman l'a dit, il faut des décisions écrites — il ne suffit pas de vous afficher comme un défenseur des victimes d'agression sexuelle, d'un côté ou de l'autre — de sorte que nous sachions que vous n'avez pas qu'assisté à la formation, mais que vous comprenez et intégrez cette formation dans vos décisions. Sans les décisions, nous ne savons pas si la formation produit de l'effet. Je suis d'accord, mais je crois qu'il faut une autre étape.
Le président : Madame Onyalo?
Mme Onyalo : Je n'ai rien à ajouter.
Mme Lakeman : Je crois que votre vision est trop étroite. Je pense qu'il faudrait exiger une formation en droit de l'égalité. Pourquoi est-il possible d'être juge sans rien savoir du fait que les femmes sont privées de leurs droits?
Le sénateur Fraser : Eh bien, nous pourrions tous écrire des livres sur ce sujet, mais on ne nous laissera pas faire.
Mme Lakeman : Je ne crois pas que le problème fondamental se situe dans l'ignorance du droit. Les commentaires révèlent clairement l'ignorance du sexisme et de son fonctionnement.
Le président : Chers collègues, c'est là-dessus que nous mettons fin à notre séance d'aujourd'hui. En votre nom à tous, je remercie chacune des personnes qui sont venues témoigner. Nous pouvons bien lire des rapports, le projet de loi, toutes sortes de documents, mais grâce à votre présence aujourd'hui, nous arrivons à comprendre ce qui se passe à la base, dans la vraie vie. Vous avez très bien présenté vos arguments. Je peux vous dire qu'ils sont gravés dans notre esprit. Cela ne fait aucun doute.
Je vous remercie infiniment. Nous aurons peut-être dans l'avenir des occasions de vous inviter de nouveau. Vous nous avez présenté d'excellents exposés, très approfondis.
Chers collègues, nous nous réunirons de nouveau demain matin à 10 h 30. Je vous rappelle que nous allons examiner le rapport préliminaire sur les frais d'utilisation liés au pardon. Si j'ai bien compris, le rapport préliminaire a été distribué cet après-midi; vous ne l'avez peut-être pas encore vu, mais il a été distribué. Je demande à chacun de l'examiner soigneusement et de l'apporter demain. C'est un document confidentiel, bien entendu, jusqu'à notre étude de demain.
Sur ce, je vous remercie.
(La séance est levée.)