Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 15 - Témoignages du 15 mars 2012


OTTAWA, le jeudi 15 mars 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été déféré le projet de loi C-19, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les armes à feu, se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur John D. Wallace (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue à vous, chers collègues sénateurs, invités et membres du public qui regardent la séance d'aujourd'hui sur le réseau CPAC. Je m'appelle John Wallace, je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Chers collègues, nous poursuivons notre examen du projet de loi C-19, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les armes à feu. Ce projet de loi a été présenté à la Chambre des communes par le ministre de la Sécurité publique le 25 octobre 2011.

Le sommaire du projet de loi stipule que ce dernier modifie le Code criminel et la Loi sur les armes à feu afin de supprimer l'obligation d'enregistrer les armes à feu autres que les armes à feu prohibées ou à autorisation restreinte, incluant les armes d'épaule non enregistrées. Le projet de loi prévoit également la destruction des registres et fichiers relatifs à l'enregistrement des armes à feu autres que les armes à feu prohibées ou les armes à feu à utilisation restreinte qui se trouvent dans le Registre canadien des armes à feu et relèvent des contrôleurs des armes à feu.

Notre processus législatif veut que le Sénat soumette la plupart des projets de loi à différents comités pour qu'ils en fassent un examen approfondi et détaillé. Les comités sénatoriaux invitent souvent des particuliers, des spécialistes, des groupes de personnes concernées, des fonctionnaires et des ministres de la Couronne à témoigner devant eux pour recueillir des informations concernant le projet de loi à l'examen. Le 8 mars 2012, le Sénat a confié le projet de loi C-19 à ce comité pour qu'il l'examine et l'étudie en profondeur.

Le comité entend tenir des audiences publiques sur le projet de loi C-19 au cours des quelques semaines à venir. Ces audiences seront ouvertes au public et seront diffusées sur le web à l'adresse parl.gc.ca. Des informations additionnelles sur le calendrier des témoignages peuvent être consultées sur le site parl.gc.ca sous la rubrique « Comités sénatoriaux ».

Je vais vous présenter nos invités dans un instant, mais j'aimerais d'abord profiter de l'occasion pour donner la chance aux membres du comité de se présenter, s'ils le veulent bien. Allons-y d'abord avec la vice-présidente, le sénateur Fraser.

Le sénateur Fraser : Je m'appelle Joan Fraser et je suis un sénateur du Québec.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Bonjour, je suis le sénateur Céline Hervieux-Payette, de Bedford, dans les Cantons- de-l'Est.

Le sénateur Chaput : Bonjour, je suis le sénateur Maria Chaput, du Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur Jaffer : Mobina Jaffer, Colombie-Britannique.

Le sénateur Lang : Sénateur Dan Lang, Yukon.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour, je suis le sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec.

Le sénateur Boisvenu : Bonjour, je suis le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur White : Vern White, Ontario.

Le sénateur Runciman : Bob Runciman, Ontario, Mille-Îles et lacs Rideau.

Le président : Merci, sénateurs.

Nous tenons aujourd'hui notre deuxième séance sur le projet de loi C-19 et je suis ravi d'accueillir de nouveau une personne qui a déjà pris place à cette table, l'ombudsman des victimes d'actes criminels, Mme Sue O'Sullivan. Je vous souhaite la bienvenue, et je crois que vous avez une déclaration préliminaire.

[Français]

Sue O'Sullivan, ombudsman fédérale des victimes d'actes criminels, Bureau de l'ombudsman des victimes d'actes criminels : Bonjour, mesdames et messieurs membres du comité. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui au sujet du projet de loi C-19, sur l'abolition du registre des armes d'épaule.

[Traduction]

Depuis des mois, le projet de loi C-19 fait l'objet de vives discussions dans les médias, parmi les Canadiens et au Parlement.

En m'invitant ici aujourd'hui, vous prenez une part active dans l'inclusion des victimes d'actes criminels dans ce débat, et je vous en remercie. De mon point de vue d'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, j'estime que nous devons nous interroger à savoir si le registre des armes à feu est un outil utile à la réduction de la victimisation. À mon avis, il l'est. Le registre des armes d'épaule joue un rôle important dans la réduction de la victimisation, et c'est pour cette raison que je m'oppose au projet de loi qui vise à l'abolir.

Le bureau a été créé afin d'être la voix des victimes d'actes criminels, et mon engagement d'ombudsman fédéral consiste à mener mon mandat à bien en faisant ce qu'il faut, où c'est possible, pour amplifier la voix des victimes et des organismes d'aide aux victimes de tout le pays. Dans le cadre de cet engagement, mon bureau a discuté de la question du registre des armes d'épaule avec de nombreuses victimes et de nombreux organismes d'aide aux victimes dans tout le pays. Beaucoup de gens qui se sont adressés à nous nous ont parlé du fond du cœur des conséquences dévastatrices que peut entraîner la violence armée.

Bien qu'il n'existe pas de consensus sur la question, la vaste majorité des gens avec qui j'ai parlé étaient pour le maintien du registre. Mais outre l'opinion générale, il faut se demander si le registre peut aider à réduire la victimisation et, si c'est le cas, comment son efficacité s'est manifestée. Le registre des armes à feu sert essentiellement à aider les services de police à établir un lien entre une arme d'épaule et un individu, une information dont la valeur peut s'avérer inestimable pour prévenir un crime ou mener une enquête criminelle.

Pour illustrer mon propos, je vais prendre l'exemple d'une femme agressée par son conjoint qui contacte la police parce qu'elle craint pour sa sécurité et sa vie. Dans une telle situation, la police peut d'abord consulter le registre pour savoir s'il y a, au domicile, des armes d'épaule qui pourraient être utilisées. Dans les cas où le risque est jugé élevé, les organismes d'application de la loi peuvent alors saisir et confisquer les armes, réduisant ainsi les chances qu'elles fassent une victime. Sans le registre toutefois, la police n'a aucun moyen de savoir si un individu en particulier possède une arme d'épaule, ce qui peut avoir pour effet de laisser la femme dans une plus grande situation de danger.

Pour ce qui est des enquêtes, sans l'obligation d'enregistrer les armes d'épaule neuves ou le transfert de propriété des armes existantes, la police ne peut plus établir de lien direct entre celles-ci et leur propriétaire.

Fait tout aussi important, le projet de loi C-19 ne contient aucune disposition qui rétablisse l'obligation de marchands d'armes à feu de tenir un registre de leurs ventes. Ces facteurs ont d'importantes conséquences sur le déroulement des enquêtes portant sur des crimes commis à l'aide d'armes d'épaule. Sans la possibilité de savoir qui est le propriétaire d'une arme de façon rapide et efficace, la police se trouve privée d'une piste importante. De plus, puisqu'aucun certificat d'enregistrement n'aura à être produit lors du transfert de propriété des armes d'épaule, n'importe qui pourra se procurer plusieurs armes dans l'unique but de les remettre à des personnes à qui l'on a interdit l'achat ou l'obtention d'une arme. Pour ce qui est de réduire le nombre de victimes, il y a là un oubli flagrant.

On peut cependant dire qu'il ne s'agit que d'exemples théoriques. Il faut fournir des preuves de l'efficacité du registre. Même s'il est difficile d'établir un lien de causalité entre des facteurs complexes, nous savons que les armes d'épaule constituent le type d'arme à feu le plus souvent utilisé dans les homicides conjugaux. Entre 1991 et 2002, 71 p. 100 des homicides conjugaux ont été commis à l'aide d'un fusil de chasse ou d'une carabine. Bien que les homicides commis à l'aide d'armes d'épaule continuent de représenter le pourcentage le plus élevé des homicides conjugaux commis à l'aide d'une arme à feu, de récentes statistiques indiquent que ce pourcentage a beaucoup diminué et est maintenant de 50 p. 100.

Par ailleurs, il y a eu une baisse considérable du nombre total d'homicides commis à l'aide d'armes d'épaule depuis l'adoption de mesures réglementaires plus sévères en matière de contrôle des armes à feu (1991) et l'adoption de la Loi sur le registre des armes à feu en 1995.

Selon les données de 2010, le nombre d'homicides commis à l'aide d'armes d'épaule a chuté de 41 p. 100 depuis l'adoption de la Loi sur les armes à feu. Mais au-delà des statistiques, il y a d'autres raisons de maintenir le registre des armes d'épaule : les conséquences sur les victimes d'actes criminels. Comme beaucoup d'entre vous le savent, la fille de la défenseure des victimes Priscilla de Villiers a été tuée avec une arme à feu en 1991. Elle a souvent exprimé en public son souhait que le registre soit maintenu. Pour citer Mme de Villiers :

Le fardeau que portent les propriétaires d'armes à feu est bien léger en comparaison de celui que nous, les victimes, avons à porter quand les armes se retrouvent entre les mauvaises mains.

Le sentiment de dévastation et le traumatisme qui découlent de la perte d'un être aimé par suite d'un crime violent sont écrasants. Les victimes qui doivent endurer ce fardeau peuvent souffrir sur plusieurs plans, notamment sur les plans émotionnel, mental, physique et financier. Il est vrai que chaque victime vit sa tragédie différemment, mais la majorité des victimes avec lesquelles j'ai parlé vous diront ceci : elles ne souhaitent à personne de vivre ce qu'elles ou leur famille ont vécu. Le registre des armes d'épaule est l'un des outils qui peuvent aider les responsables de l'application de la loi à réduire la victimisation. L'efficacité du registre a été prouvée par la diminution des homicides commis au moyen d'une arme d'épaule, et on peut donc dire qu'il est un outil utile pour les responsables de l'application de la loi.

Enfin, le Canada doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher d'autres tragédies de se produire, et cela comprend l'utilisation des outils dont nous nous sommes munis pour protéger les collectivités, comme le registre des armes d'épaule. À la lumière des commentaires de bon nombre de victimes et d'organismes d'aide aux victimes de partout au Canada ainsi que des recherches que nous avons effectuées et des renseignements que nous détenons au bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, je ne peux soutenir l'adoption et l'entrée en vigueur du projet de loi C-19.

Merci. Je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions.

Le président : Passons maintenant aux questions. Je commence avec notre vice-présidente, le sénateur Fraser.

Le sénateur Fraser : Bonjour, madame O'Sullivan; bienvenue encore une fois. C'est toujours agréable d'avoir de vos nouvelles. Si ma mémoire est bonne, vous avez été policière dans une autre vie.

Mme O'Sullivan : Oui, je l'ai été.

Le sénateur Fraser : J'imagine que ce que vous nous dites ici ce matin est fondé sur cette expérience en plus d'être fondé sur ce que vous vivez maintenant à titre d'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels.

Mme O'Sullivan : Je suis ici en tant qu'ombudsman. J'ai bien 30 ans d'expérience dans le milieu policier, mais c'est à titre d'ombudsman que je vous présente ces informations aujourd'hui.

Le sénateur Fraser : J'apprécie cela, mais vous n'auriez pas volontairement ajouté quelque chose que vous auriez appris lors de votre expérience antérieure.

Mme O'Sullivan : Bien sûr que non, absolument pas.

Le sénateur Fraser : Avez-vous eu l'occasion de consulter le registre des armes d'épaule? Je ne vais pas m'éterniser là- dessus, c'est ma seule question à ce sujet.

Mme O'Sullivan : Oui, je l'ai consulté.

Le sénateur Fraser : Merci beaucoup. Pour ce qui est de demander aux gens de consigner des informations, si je me souviens bien, il existait avant la création du registre un système qui demandait aux marchands d'armes à feu d'enregistrer l'identité des gens qui achetaient certaines armes.

Mme O'Sullivan : Je crois que cette exigence est entrée en vigueur en 1977.

Le sénateur Fraser : Nous retournerions donc au statu quo d'il y a 35 ans, voire plus.

Mme O'Sullivan : Non. À ce que je comprends de la loi qui nous intéresse en ce moment, plus personne n'aurait à consigner ces informations.

Le sénateur Fraser : Exactement. Nous reviendrions donc à la façon de faire d'avant 1977.

Mme O'Sullivan : C'est bien cela.

Le sénateur Fraser : Je vois. Comme vous le savez mieux que la plupart d'entre nous, certains types d'armes ne sont pas considérés comme « prohibés » ou « à autorisation restreinte », puisque les armes de ces deux catégories continueront d'être enregistrées, mais sont très controversés. L'exemple classique, je l'ai mentionné hier et je vais le répéter aujourd'hui : c'est l'arme qui a servi lors de la fusillade à l'École polytechnique. Il y aurait aussi des armes de tireurs de précision — certaines peuvent percer la carrosserie d'un véhicule blindé à une distance de deux kilomètres. Ces armes ne sont toutefois pas prohibées et leur autorisation n'est pas restreinte. Selon la loi actuelle, elles doivent être enregistrées, mais elles n'auront plus à l'être.

Mme O'Sullivan : C'est ce que je comprends.

Le sénateur Fraser : Recommanderiez-vous à la GRC de revoir la classification de sorte que ce type d'armes à feu doive être enregistré?

Mme O'Sullivan : J'en reviens à la position de notre bureau : nous n'approuvons pas cette loi. Nous croyons que toutes les armes devraient continuer d'être enregistrées.

Le sénateur Fraser : Comme deuxième avis, si nous n'obtenons pas cela?

Mme O'Sullivan : Je le répète pour être bien claire : nous voulons que le gouvernement conserve le registre et les informations. J'encourage le comité à prendre connaissance de tous les amendements qui ont pu être proposés par d'autres organismes, comme l'Association canadienne des chefs de police ou la Coalition pour le contrôle des armes. Nous voulons le maintien du registre.

Le sénateur Lang : Je tiens à souhaiter la bienvenue à notre invitée d'aujourd'hui. Vous avez clairement pris position — c'est sans équivoque.

J'aimerais revenir sur ce que vous venez de dire à propos de vos discussions avec les groupes d'aide aux victimes d'un peu partout au pays. Il semble y avoir beaucoup de renseignements erronés ou de mauvaise compréhension à propos de ce qui restera en place et de ce qui se fait par rapport à la loi. Comme vous le savez, les exigences en matière de permis resteront en place, ce qui veut dire que les propriétaires d'armes d'épaule seront obligés de suivre un cours, de se soumettre à une vérification policière et de renouveler leur permis. Le renouvellement a lieu tous les cinq ans et la vérification se fait en même temps.

Lorsque vous parlez avec ces groupes de victimes — et c'est quelque chose qui nous préoccupe tous — leur expliquez- vous clairement ce que contient la loi et ce qui reste en place? Beaucoup de renseignements erronés circulent au sujet des détails de ce projet de loi. Leur expliquez-vous en détail les conditions qui demeurent en ce qui concerne les permis, par exemple, et que la vérification policière va continuer d'avoir lieu? Leur expliquez-vous dès le départ ces stipulations qui font en sorte qu'un individu qui souhaite obtenir un permis d'arme d'épaule doit répondre à ces obligations? Le soulignez- vous lorsque vous leur expliquez cela?

Mme O'Sullivan : Je peux vous dire que, tout juste cette semaine, j'ai parlé à une victime qui, je vous l'assure, connaît très bien les dispositions du projet de loi C-19 et la différence entre l'obtention d'un permis et l'enregistrement. Elle était non seulement préoccupée par le fait que la loi concernant les armes d'épaule n'exigera plus l'enregistrement, mais aussi par le fait que vous n'obligerez plus les commerçants à consigner des informations sur leurs ventes.

Je peux en fait vous dire que les gens à qui je parle sont très informés et savent ce qui va être éliminé et ont exprimé de sérieuses préoccupations, notamment en ce qui a trait à l'élimination de la possibilité d'obtenir les informations qui auraient pu servir aux enquêtes et à la prévention. En fin de compte, je peux dire sans hésiter que les victimes et les organismes d'aide aux victimes à qui j'ai parlé comprennent la loi et continuent d'exprimer les mêmes préoccupations, surtout à propos des deux questions que sont l'absence de l'enregistrement et le recours au libre arbitre des personnes qui vendent des armes. Il est possible de vérifier si le vendeur détient un permis valide, mais ce n'est pas obligatoire. Cette question suscite d'importantes préoccupations.

Le sénateur Lang : Pour être clair, lors de la vente d'une arme d'épaule, l'acheteur doit avoir un permis. Le vendeur est tenu par la loi de vérifier la validité de ce permis et il pourra être tenu responsable si l'on découvre plus tard qu'il n'a pas procédé comme il faut. Il en a été question hier, à titre de preuve, et on l'a clairement dit. Que ce soit clair. C'est le problème avec cette loi. Je ne dis pas cela méchamment, mais il y a beaucoup de cas où des demi-vérités deviennent des vérités parce que les informations qui circulent ne permettent pas à ceux qui les reçoivent de bien comprendre ce qui se passe.

À ce propos, lorsque vous avez discuté avec les groupes de victimes, avez-vous précisé que le registre dont nous parlons, celui qui sera éliminé si la loi est adoptée, est mal structuré? En fait, il est si déficient que les organismes d'application de la loi — et vous pouvez parler des chefs de police, mais parlons aussi des policiers sur le terrain — ainsi que bon nombre d'agents ne croient pas à son utilité parce qu'ils estiment que les informations qu'il contient ont été mal enregistrées. Ainsi, ce que nous avons est un registre — ou plutôt un ordinateur rempli de noms et de numéros qui ne sont pas nécessairement exacts. Pourquoi voudrions-nous d'un registre aussi mal fait?

Mme O'Sullivan : J'ai entendu beaucoup d'opinions différentes sur l'état du registre. Je m'en remets à l'appréciation de l'Association canadienne des chefs de police et de l'Association canadienne des policiers. Je crois que leur position est très claire à ce sujet. Je n'ai d'autre choix que de me fier aux informations de ces deux associations nationales.

Lorsque je discute avec des victimes et des organismes d'aide aux victimes, je constate qu'ils sont informés. En fait, beaucoup de ces gens travaillent depuis des années sur des questions qui concernent cette loi. Mon travail consiste à leur faire écho à cette table. Je vous assure que les victimes et les organismes d'aide aux victimes ont étudié cette loi attentivement et que leur position est très claire quant à leurs réserves et leurs préoccupations au sujet de l'abolition du registre des armes d'épaule.

Le sénateur Lang : Pour finir très rapidement, je crois qu'il est très important de reconnaître que les exigences en matière de permis demeurent en place, puisque c'est un aspect important de l'acquisition d'une arme d'épaule, tout comme la vérification policière qui sert à savoir si un individu ne devrait pas posséder d'armes à cause de ses antécédents. Il est très important que les gens sachent dès le départ que ces mesures restent en place.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Si vous me le permettez, j'aimerais vous lire une lettre d'une maman qui a perdu sa fille à l'École Polytechnique, et ensuite vous pouvez me dire si cela reflète le sentiment général des personnes que vous représentez.

En parlant de sa fille, Anne-Marie Edward, et de sa souffrance suite à la perte de sa fille, elle nous dit que la souffrance issue d'une telle perte est au-delà de tout ce qu'on peut imaginer. Elle dit qu'elle se permet de vous dire qu'avec le projet de loi C-19, la perte de sa foi dans la volonté du gouvernement de protéger nos collectivités pourrait être tout aussi incommensurable que la souffrance et la peine ressenties depuis la perte de sa fille.

Est-ce le sentiment général que vous retrouvez chez les personnes avec qui vous avez eu affaire?

[Traduction]

Mme O'Sullivan : Je le mentionne toujours lorsque je m'adresse à des victimes qui ont perdu un être cher lors d'un crime commis avec une arme à feu parce que ces personnes veulent que leur perte mène à un changement, et le registre a été créé pour augmenter la sécurité et aider la police et les enquêteurs.

Le meilleur exemple que je puisse vous donner, en tant qu'ancienne policière, est que lorsque vous répondez à un appel, vous souhaitez disposer du meilleur entraînement et des meilleures informations qui soient pour réagir à la situation qui vous attend. Et dans un pareil cas, les meilleures informations sont celles qui figurent dans le registre des armes à feu, peu importe la nature de la situation.

Une mère m'a fait des remarques très éloquentes, et j'ai cité Mme De Villiers, qui souligne que l'obligation d'enregistrer une arme n'est en rien comparable à la perte d'un être cher due à un acte de violence commis à l'aide d'une arme.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Plus tôt, il a été question d'achat d'arme par une tierce partie, à savoir une personne qui a un permis pour détention de plusieurs armes et qui les vendrait à des personnes qui n'auraient pas de permis.

Le fameux permis est-il selon vous administré, de façon générale, de la même façon partout au Canada? Est-ce que toutes les provinces administrent la question des permis de port d'arme à feu de la même façon? Qui contrôle le contenu des renseignements de la personne qui obtient une arme à feu? À quelles conditions une personne peut-elle détenir une arme à feu? Et ce permis est accordé pour combien de temps? Est-ce pour le restant de ses jours, quels que soient les aléas de la vie de cette personne, problèmes de ménage, de santé mentale ou autres? Y a-t-il des façons de retirer le permis à cette personne?

[Traduction]

Mme O'Sullivan : Je ne suis pas du tout le témoin idéal pour répondre aux questions concernant les responsabilités des provinces et des territoires à l'échelle nationale. Je peux toutefois vous dire ce que les victimes souhaitent en termes de prévention. Si un individu souffre de troubles mentaux, a un comportement violent ou s'est montré menaçant, le registre des armes à feu permet de poser davantage de gestes préventifs à son endroit. Si l'on regarde certaines des informations recueillies entre 2008 et 2011, plus de 4 600 armes à feu ont été confisquées de façon préventive pour des raisons de sécurité publique. Cet outil pourrait certainement vous aider sur le plan de la prévention.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : J'étais propriétaire d'une firme de psychologues lorsque l'incident est arrivé à Concordia. M. Fabrikant possédait une arme, peut-être plusieurs, je ne sais pas, mais sa femme et l'université auraient pu lui retirer ses armes. Tout le monde sait que le fait d'avoir un registre n'aurait pas prévenu ce drame, mais la question reste de savoir quel est le meilleur système.

Selon vous, quels seraient les recours d'une femme qui vit une situation conjugale difficile pour s'assurer que son conjoint ne puisse plus posséder d'arme à feu? Comment pourrait-on intervenir dans une telle situation? S'agit-il simplement de loger un appel au 911 pour demander qu'on vienne chercher l'arme du mari alors que la conjointe est déjà terrorisée à la maison? Quelle sera la procédure dorénavant? Il semble que le mécanisme de sûreté pour les femmes qui sont victimes de violence soit pratiquement inexistant puisqu'on ne pourrait même connaître la provenance de l'arme à feu.

[Traduction]

Mme O'Sullivan : Il est souvent difficile de répondre aux questions formulées à partir de cas uniques, mais notre position est bien claire : nous croyons que le registre est un outil parmi d'autres et qu'il peut aider à réduire le nombre de victimes, spécialement si l'on tient compte des données sur les décès causés par une arme à feu, dans les cas d'homicides conjugaux, notamment, et de la diminution du nombre de meurtres par arme à feu qui a lieu depuis que le Canada légifère sensiblement en matière de propriété des armes à feu.

Nous croyons évidemment que le pays doit conserver tout ce qu'il peut pour aider à réduire le nombre de victimes et garder les femmes hors de danger. Nous devons nous munir de tous les outils possibles pour pouvoir réduire la violence et les situations de danger auxquelles sont exposées les femmes et les gens qui se trouvent dans ce genre de situations.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Je crois que vous n'avez pas compris ma question. Quel recours aura la conjointe menacée après l'adoption du projet de loi C-19?

Hier, on nous a dit que ce n'étaient pas les armes à feu qui étaient dangereuses, mais seulement les individus. Que fera-t-elle, le soir au coucher, pour s'assurer que son mari ne prendra pas l'arme à feu?

C'est plus difficile de tuer avec une arme à feu qu'avec un couteau. C'est plus rapide et cela fait moins de dégâts. C'est cynique de parler de la sorte, mais il reste que d'utiliser un couteau pour attaquer une personne est plus compliqué que de prendre un fusil en plus d'être à distance pour tuer la personne. Alors, quel est le recours de cette femme?

[Traduction]

Mme O'Sullivan : En ce qui a trait à la violence dans la société et les collectivités, si nous voulons assurer la santé et la sécurité de nos collectivités, la solution aura évidemment divers aspects. Il devra y avoir de la prévention, des interventions précoces, de l'application de la loi, de l'éducation et ainsi de suite. Les collectivités devront se munir de nombreuses ressources pour améliorer leur santé et leur sécurité. Si une femme se trouve dans une situation de danger en ce moment, quelqu'un doit communiquer avec le service de police responsable pour qu'il prenne des mesures sécuritaires. Ils doivent travailler de concert. C'est le genre de choses qu'il faut faire.

Pour répondre à votre question avec plus de précision, si une femme est en danger en ce moment, nous leur dirions de contacter leur service de police ou de commencer à prévoir des mesures sécuritaires et à penser à ce qui pourrait être fait. Chaque situation et chaque ensemble de faits et de circonstances sont uniques lorsqu'une personne se trouve dans une possible situation de danger. Il faut donc disposer des meilleures informations et des meilleurs appuis qui soient pour voir à sa sécurité.

Vous dites que sans la loi C-19 il y aurait un outil de moins dans la boîte à outils, mais avec cette loi, c'est de la prévention et du pouvoir d'enquêter dont nous serions privés. S'il survient une tragédie, comment fera la police pour savoir à qui appartient l'arme s'il n'y a pas de registre? Et qu'en est-il du point de vue de l'enquête? Si un individu n'a pas le droit de posséder d'armes à feu mais la police sait que neuf armes sont enregistrées à son nom, elle saura au moins qu'elle cherche neuf armes, peut-être plus, mais elle aura au moins ces informations. J'en reviens à dire qu'il faut disposer des meilleures informations qui soient lorsque nous tentons de protéger les gens et de préserver la sécurité des collectivités, et le registre des armes d'épaule est un outil qui répond à ces besoins.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour, madame O'Sullivan. J'ai évidemment beaucoup de respect pour le travail que vous faites.

Les statistiques nous ont longuement démontré que les chiffres ne nous indiquent pas clairement que le registre aurait fait baisser ou augmenter le nombre de victimes. On spécule, par exemple, sur les suicides, les campagnes de sensibilisation, et tout cela. Vous savez, ce ne sont pas tous les policiers qui trouvent que le registre est efficace. Lorsqu'on arrive sur les lieux d'une plainte de violence conjugale, il y a plusieurs moyens de vérifier s'il y a des armes. Évidemment, il y a eu beaucoup trop de meurtres de policiers depuis la création du registre, malheureusement. Il y en a eu à Laval, à Montréal, à Mayerthorpe. Ce n'est pas nécessairement la meilleure protection pour les policiers dans l'exercice de leurs fonctions.

Je comprends bien la démarche des victimes que vous représentez. Cependant, croyez-vous sincèrement que les personnes qui ont tué avec une arme à feu, qu'il y ait un registre ou non, n'auraient pas pu s'en procurer une autre? J'aimerais vous entendre là-dessus.

[Traduction]

Mme O'Sullivan : Oui, si les gens sont déterminés. Mais, avec le registre, si la loi C-19 entre en vigueur — lorsqu'il est question de la vente d'une arme à feu d'une personne à une autre — je comprends que le vendeur n'est pas obligé de vérifier la validité du permis de l'acheteur. Cela va faciliter la tâche des personnes qui veulent se procurer des armes, peut-être pour de mauvaises raisons. Avec les processus formels qu'il comprend, le registre permet au moins d'effectuer ces vérifications. Voilà un point.

Je sais que vous avez vous aussi des expériences antérieures. Nous savons tous les deux qu'il est possible d'obtenir des armes illégalement, mais la plupart des armes sont toutefois légales à leur mise en circulation. Vous allez maintenant éliminer l'enregistrement des ventes légitimes d'armes à feu. Les personnes qui achèteront ces armes pourront les revendre à des gens qu'elles croient titulaires d'un permis en règle. Peut-être qu'elles ne vérifieront même pas, si elles se sentent sures, et il pourrait arriver que l'acheteur ne soit même pas titulaire d'un permis. Je sais que des exemples de ce genre de cas ont été présentés au comité. Mais au bout du compte, nous parlons d'un outil parmi d'autres qui nous aide à faire tout ce que l'on peut pour restreindre l'accès aux armes à feu. Je crois que l'élimination du registre va faciliter cet accès.

Le sénateur Jaffer : Encore une fois, merci d'être ici avec nous. Il me semble que vous étiez ici il y a quelques jours.

Après avoir travaillé sur le projet de loi C-10, dont le thème était la sécurité des rues et des collectivités, le projet de loi C-19 semble tout à fait contradictoire. Lors des travaux concernant le projet de loi C-10, nous parlions de la sécurité des rues et des collectivités. Maintenant, des gens comme moi se demandent si les rues seront sécuritaires, spécialement d'où je viens, à Vancouver. Quand nous travaillions sur le projet de loi C-10, de nombreuses victimes sont venues nous parler de leur souffrance, et nous faisons actuellement en sorte qu'il y ait d'autres victimes.

Vous avez mentionné plusieurs fois qu'il s'agit d'un outil de plus dans la boîte à outils. Beaucoup de policiers qui sont venus témoigner dans le cadre du projet de loi C-10 nous ont répété : « Oui, la loi C-10 est un outil dont nous avons besoin. » Vous en avez parlé, elle nous aide à préserver la sécurité de nos villes et de nos rues. Les policiers consultent le registre 16 000 fois par jour.

Par quoi allons-nous le remplacer? Qu'est-ce que les victimes seront en mesure de trouver? Nous retirons un outil de la boîte. Voilà l'enjeu.

Je sais que votre ministère a mené des recherches à ce sujet. Pouvez-vous nous dire quels en ont été les résultats?

Mme O'Sullivan : Nous avons notamment étudié les données sur les homicides, comme beaucoup d'autres témoins que vous avez reçus. Vous avez souligné, sénateur Fraser, qu'en 1977 — si l'on recule jusque-là — les marchands d'armes étaient tenus de garder un registre de leurs ventes et que des changements ont été apportés à la loi en 1991, puis en 1995 avec l'arrivée du registre. Nous savons que les armes d'épaule sont les armes les plus utilisées dans les homicides conjugaux. Les statistiques montrent une tendance à la baisse. Prenons par exemple les changements observés en 2010. Depuis 1991, 65 p. 100 des homicides ont été commis à l'aide d'une arme d'épaule, mais la proportion des homicides commis à l'aide d'une arme d'épaule entre l'adoption de la Loi sur les armes à feu, en 1995, et 2010 est de 41 p. 100. Il y a donc eu une baisse importante.

Je respecte évidemment la remarque du sénateur Dagenais, nous avons tous les deux été dans la police, qu'au bout du compte — et j'ai entendu cette remarque de nombreuses fois — nous répondons toujours à chaque appel avec un certain état d'esprit. Nous voulons toutefois répondre à chacun de ces appels en étant les mieux informés possible pour prendre des décisions et choisir nos actions. Le registre contient ces informations supplémentaires qui peuvent faire la différence, tant du point de vue de la prévention que des enquêtes subséquentes. Comment les services de police vont-ils enquêter sur les armes et les armes d'épaule utilisées pour commettre un meurtre? Sans l'accès à un registre ou à des données qui puissent révéler l'origine d'une arme, les enquêtes seront beaucoup plus difficiles. À ceux qui utiliseront l'argument du coût, je répondrai que les enquêtes coûteront beaucoup plus cher encore.

Le sénateur Jaffer : Les policiers avec qui je travaille à Vancouver me disent toujours que les appels qui les inquiètent le plus sont ceux où ils doivent entrer dans un domicile, car ils ne savent pas à quoi ils auront affaire. Parfois, les situations les plus dangereuses sont celles qui ont lieu dans un domicile où il y a de la violence conjugale ou le climat est tendu. Vous comprenez certainement cela, en tant que policière. Encore une fois, je suis préoccupée par le fait que les policiers seront privés de cet outil et que les victimes seront...

Mme O'Sullivan : C'est exactement ce qui préoccupe les victimes, oui.

Le sénateur Runciman : Je vous remercie d'être ici. Même les agents de police ont des opinions différentes sur le sujet. J'ai deux filles; l'une souhaite le maintien du registre, l'autre croit que c'est un énorme gaspillage d'argent.

J'accorde certainement de la valeur aux remarques des groupes de victimes qui souhaitent que des mesures soient prises en réaction aux pertes tragiques qu'elles ont subies. Je crois cependant qu'il faut avant tout prendre des mesures efficaces. Au début de ma carrière, je crois que les gens qui s'étaient opposés à ce projet dès le départ disaient qu'il ne serait pas efficace, et certainement pas aussi efficace que ce qu'on aurait plutôt pu faire avec les ressources qu'il demandait. Je crois que ça a finalement couté plus de 2 milliards de dollars au lieu des 2 millions estimés au départ. Si cet argent avait été investi dans les activités des policiers sur le terrain, par exemple, il aurait pu avoir un effet direct et très concret sur la sécurité publique.

Il y a eu exagération des deux côtés sur ce sujet, j'en suis sûr, mais je sais que nous avons souvent entendu dire que le registre est consulté entre 14 000 et 15 000 fois par jour. Il faudrait toutefois préciser qu'une bonne partie de ces consultations sont indirectes. Il s'agit plutôt d'accès au CIPC et pas de consultations directes visant à recueillir des informations du registre. Je crois que ces chiffres grossissent injustement l'importance du registre. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

Mme O'Sullivan : Ce sont des données fournies par la communauté policière, alors elles lui appartiennent. Les policiers effectuent une vérification sur un individu pour savoir si on lui a interdit de posséder des armes à feu. Je crois que c'est un aspect important parce qu'il permet aux policiers de savoir quoi faire ou ne pas faire.

Pour ce qui est de l'ordre de ces données, c'est l'affaire des personnes qui en sont à l'origine, c'est-à-dire la communauté policière. Je ne suis pas placée pour répondre à cela. Ce sont leurs données et ce sont eux qui devraient défendre leur validité et traiter de ce genre de choses.

Le sénateur Runciman : Mais vous les avez utilisées dans votre présentation au comité de la Chambre.

Je crois que lorsqu'on utilise des statistiques il faut être en mesure de les appuyer et de faire un lien avec ce que Statistique Canada dit sur le sujet. Les statistiques indiquent que la baisse la plus marquée du nombre d'homicides conjugaux commis à l'aide d'une arme d'épaule est survenue entre 1990 et 1995. Or, cette période précède la création du registre des armes à feu. Qui plus est, le nombre total d'homicides commis à l'aide d'une arme d'épaule a chuté de 131 à 66 entre 1989 et 1994, soit une baisse de plus de 50 p. 100 au cours des cinq années qui ont précédé la création du registre.

Dire qu'il y a eu une baisse de plus de 50 p. 100 avant la création du registre nous ramène à la question toute simple dont je vous parle, celle de l'efficacité. En tant que partisan du projet de loi C-19 et que critique de longue date des effets du registre, je crois que ces statistiques remettent sérieusement en question ce que vous avancez.

Mme O'Sullivan : En réalité, l'Autorisation d'acquisition d'armes à feu a été instaurée en 1977, date charnière à laquelle non seulement l'AAAF, mais également de nombreuses autres règles ont été adoptées. Nous utilisons les mêmes données depuis 1991 et je pense que c'est en 1977 que le règlement concernant l'Autorisation d'acquisition d'armes à feu a été mis en œuvre. En 1991, il y a eu les modifications des pouvoirs de réglementation prévus au Code criminel, puis, en 1995, il y a eu le registre. En effet, nous avons observé un déclin constant depuis la mise en place d'un plus grand nombre de restrictions entourant la législation sur les armes à feu.

Le sénateur Runciman : Vous allez dans mon sens. Le problème vient du fait que la législation et les initiatives instaurées avant le registre avaient cet effet. Vous dites que c'est à cause du registre, mais je pense que les effets étaient déjà ressentis avant la mise en application du registre.

Le sénateur Baker : Je suis un peu perdu avec les statistiques sur les armes d'épaule, et je trouve qu'on ne peut pas s'y fier. C'est, du moins, ce que je constate. Il est bien dommage que le ministre ne soit pas venu avec des hauts fonctionnaires à ce comité, parce que certaines des questions auxquelles nous tentons de répondre maintenant auraient trouvé de meilleures réponses auprès des experts du ministère de la Justice ou du Bureau du procureur général. Je vous parle d'armes d'épaule, car un calibre 12 est une arme d'épaule, mais si vous n'avez pas d'entretoise de chargeur ou si vous pouvez charger plus de trois cartouches, cela devient une arme à autorisation restreinte. C'est comme une arme semi-automatique comparée à une arme automatique. Un calibre 22 est une arme d'épaule, mais le nombre de balles que vous pouvez mettre dans la chambre et la vitesse à laquelle vous pouvez les charger peut transformer cette arme en arme soumise à autorisation restreinte.

J'aimerais revenir sur l'une de vos réponses. Quand la police enquête sur le propriétaire d'un véhicule, elle a deux façons de le retracer. Elle retrouve le numéro de série en passant par l'Agence du revenu du Canada, l'ARC, car il y a un programme d'échange entre l'ARC et la police et les enquêteurs peuvent donc trouver cette information tout de suite.

Quand vous vendez une voiture, vous notez le numéro de série du véhicule. Quand quelqu'un vend une arme, la pratique actuelle, avant même les dispositions de ce projet de loi, consiste à montrer d'abord un certificat d'acquisition avec une photo. Le sénateur Lang en a un ici. Oui, j'en ai un, c'est vrai. Je ne voulais pas atténuer l'impact de ma question.

Il faut vérifier cela avant d'acheter l'arme. Puis l'arme est vendue. Quelle est la première chose que fait le vendeur? Il prend note du numéro de série. Il doit le faire en vertu de la Loi sur l'impôt sur le revenu. Il doit facturer des taxes qui sont communiquées à la fin de la semaine ou à la fin du mois à l'Agence du revenu avec le relevé des ventes. Il ne peut pas simplement dire à l'ARC qu'il a vendu une arme à telle ou telle date.

Dans votre témoignage vous nous avez dit avoir entendu qu'il n'est plus nécessaire de soumettre le numéro de série d'une arme quand elle est revendue. À moins qu'il n'y ait eu un changement à la Loi sur l'impôt sur le revenu, je ne vois pas comment vous pouvez dire ça?

Mme O'Sullivan : Nous parlons ici du projet de loi C-19. Le projet de loi C-19 indique que si vous détenez légalement une arme et que vous vendez cette arme à quelqu'un d'autre, vous...

Le sénateur Baker : Vous vendez des armes. Vous êtes Wal-Mart.

Mme O'Sullivan : D'accord, il n'est pas exigé de conserver une trace. C'était le cas depuis 1977, mais cela a été éliminé en 1995 quand le registre a été instauré, car il a alors pris le relais.

Le sénateur Baker : Il n'est pas nécessaire de conserver cette trace au titre du registre, mais pour toutes les autres raisons; effectivement.

Mme O'Sullivan : L'information est disponible aux services de police pour enquêtes. Alors vous dépendez de...

Le sénateur Baker : Par le truchement de l'ARC.

Mme O'Sullivan : Vous devez quand même pouvoir obtenir cette information. Cela se fait de deux façons, soit par consentement, soit par vérification. Lors d'une enquête au sujet d'un acte criminel, il est possible de contacter les vendeurs d'armes et de leur demander, si c'est encore permis, à voir leurs fichiers. Cela aide à l'enquête.

Le sénateur Baker : Le numéro de série.

Mme O'Sullivan : Vous ne pouvez pas demander aux services de police de traiter avec l'ARC, mais actuellement, si vous faites une recherche à partir d'un numéro de série, normalement vous pouvez savoir sous quel nom l'arme est enregistrée et avoir toutes ces informations. Pourquoi éliminer ça?

Le sénateur Baker : Ce n'est pas ce que je suggère. J'essaie juste d'y voir clair. Vous avez dit qu'il n'y aurait aucune trace de la vente de l'arme à un particulier et je me demande comment c'est possible.

Mme O'Sullivan : Je ne peux pas parler au nom de tous les vendeurs d'armes, je ne sais pas s'ils transmettent ces informations à l'ARC et s'ils gardent des preuves officielles.

Le sénateur Baker : Ou s'ils tiennent un fichier des numéros de série.

Mme O'Sullivan : Je suis certaine que vos témoins auront parlé au nom des détenteurs d'armes. Je ne suis pas en mesure de vous dire à quel point ils respectent les règles.

Le sénateur Baker : Malheureusement le ministère n'est pas venu.

Mme O'Sullivan : Pour prendre le point de vue de la victime, le fait de pouvoir déterminer qui est le propriétaire de l'arme, s'il y a des restrictions, combien d'armes la personne possède sont certainement des informations que devrait avoir la police dans ses enquêtes, ne pensez-vous pas?

Le sénateur Fraser : J'ai des doutes, mais je ne sais pas si l'ARC conserve vraiment des archives électroniques de chaque enregistrement — pour chaque numéro de série de chaque arme vendue — pendant longtemps.

Une voix : La TPS.

Le sénateur Fraser : L'ARC conserve peut-être des échantillons, mais je doute qu'il y en ait beaucoup. Je n'en sais rien et je ne pense pas que quelqu'un ici le sache. Pourrais-je vous demander de contacter l'ARC pour vous renseigner sur la question, en espérant que vous aurez une réponse rapide?

Le président : Nous pouvons tout à fait faire ça. Ça ne répond peut-être pas directement à votre question, mais certains d'entre nous savent que l'ARC exige de conserver les fichiers pendant au moins sept ans. Bien sûr, cela s'applique aux commerces, aux particuliers et aux entreprises. Quel est le lien avec ces fichiers? Je crois que c'est ça la question.

Le sénateur Fraser : À quel niveau de détail et pendant combien de temps? C'est une chose de dire que les formulaires de déclarations de revenus ou de TPS d'un commerce doivent être conservés, mais à quel niveau de détail? Et de quoi ont besoin les services de police pour y avoir accès, si ces documents sont conservés?

Le président : Je serais ravi de faire cela, sénateur.

Le sénateur Lang : C'est ce que je voulais dire, monsieur le président, le commerce doit tenir un dossier pendant un certain temps. Ce n'est pas juste pour l'ARC.

Le président : Je crois que nous avons traité cette question. Sénateur Baker, avez-vous posé toutes vos questions?

Le sénateur Baker : Oui, monsieur le président et merci de m'avoir permis de poursuivre sur cette question.

Le président : Je ne vous dirais jamais non ou quasiment jamais.

Le sénateur Baker : Vous attendiez la question.

Le président : Merci, sénateur.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je voudrais poursuivre dans la même veine que mon collègue le sénateur Runciman. C'est un débat très émotif sur le registre des armes à feu parce que cela fait référence à des périodes historiques très dramatiques. Je veux essayer d'être le plus objectif possible. Vous savez que le Registre des armes à feu, a commencé dans les années 1992 et1993. Sa mise en œuvre a été très longue et s'est terminée en 2003. En 2001, c'était les permis de possession, en 2003, l'enregistrement obligatoire. La mise en œuvre de ce projet de loi a été très longue et c'est sans doute ce qui a fait que cela coûté des milliards de dollars. Vous êtes une policière de carrière, je pense.

[Traduction]

Mme O'Sullivan : Oui.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : C'est évident que vous avez travaillé avec les statistiques pendant de nombreuses années parce que les policiers travaillent beaucoup avec cela pour faire la preuve de leur efficacité. Vous avez dit tantôt que depuis le registre des armes à feu, en 1995, il y a eu une baisse remarquée de la criminalité. Comme policière, si vous voulez faire la preuve qu'un outil de prévention est efficace, il faut analyser la période où l'outil est mis en place par rapport à une période où il ne l'était pas.

Là, on compare les données en fonction de ceci : avec cet outil, est-ce qu'on a connu une baisse plus accélérée que lorsqu'il n'existait pas?

Selon les statistiques — un rapport fait par Kathryn Wilkins, de Statistique Canada — sur les décès liés aux armes à feu, donc suicides et homicides, pour la période de 1979 à 1994, donc avant qu'une mesure du registre soit mise en place, le taux de suicides ou d'homicides est passé de six par 100 000 habitants à quatre par 100 000. Il a donc été réduit de deux par 100 000 habitants. Le registre a été mis en place en 1995, et jusqu'en 2004, le taux a baissé de 1,4.

Est-ce que, comme analyste, je peux affirmer qu'avant d'avoir le registre, la baisse de décès était plus forte? Le taux a baissé de deux par 100 000 habitants, et au moment où on met le registre en place, il baisse de 1,4. Comment vous expliquez cela?

[Traduction]

Mme O'Sullivan : Pour ce qui est des données sur les homicides, est-ce que l'on parle de tous les homicides ou seulement de ceux commis avec une arme d'épaule?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Tous les homicides avec une arme à feu, les suicides inclus. Tous les décès au Canada liés à une arme à feu. Si on regarde le nombre de décès, en 1979, il y avait six décès par 100 000 habitants. En 1995, le taux est rendu à quatre décès. Donc, il a baissé de deux par 100 000 habitants. Le registre entre en fonction en 1995, et en 2004, le taux est passé de quatre à 3,6. On a baissé seulement de 1,4 pendant cette période. Ce que je peux affirmer, en tant qu'analyste, c'est qu'on était plus efficace avant qu'après, en termes de mortalité liée aux armes à feu.

[Traduction]

Mme O'Sullivan : Les données que vous examinez sont pour toutes les armes à feu alors que les données présentées aujourd'hui à ce comité sont pour les armes d'épaule uniquement. Les données ne sont pas comparables. De plus, je parle de deux dates, 1991 et 1995. Je crois que le sénateur Runciman a été chercher des données encore plus loin; donc, si on examine l'historique des règlements sur les armes à feu dans ce pays nous remontons à 1977. Dans mon introduction, je vous ai parlé du fait que, lorsque l'on examine les chiffres pour les armes d'épaule seulement, on observe une baisse du nombre de meurtres. Les données que vous regardez sont pour les homicides par arme à feu en général.

Ensuite, il faut faire des comparaisons. Pour dégager une tendance, il faut examiner les données sur une période d'au moins 10 ans comme vous l'avez fait. Pour ce qui est des données, une fois de plus, les miennes sont spécifiques aux armes d'épaule, les autres concernent tous les types d'armes à feu. Les chiffres peuvent varier. En fin de compte, pour le projet de loi C-19, nous avons actuellement des informations qui, d'après nous, contribueront à réduire le nombre de crimes parce que nous pourrons recourir davantage aux ordonnances prohibitives, aux mesure préventives et qu'il sera possible de mieux aider la police dans ses enquêtes sur les drames impliquant l'usage d'une arme d'épaule. Nous pensons qu'il faut conserver cet outil, cette capacité qui contribuera à améliorer la situation.

Je sais que beaucoup de vos témoins ont parlé des façons de quantifier la prévention, mais comment savoir quelle serait la situation sans prévention? Ces données couvrent les armes à feu en général, pas juste les armes d'épaule, tout comme certaines autres données que vous avez examinées. En revanche, on sait qu'entre 2008 et 2011, plus de 4 600 armes ont été saisies au nom de la sécurité publique. Qui sait quel a été l'effet de cette prévention. Vous avez tout à fait raison, lorsqu'on regarde les données, il est parfois difficile de quantifier les aspects préventifs.

Un grand nombre de ces informations nous aident à réagir de façon appropriée. Si quelqu'un menace quelqu'un d'autre et qu'on sait que la personne possède une arme à feu, on est forcément sur ses gardes. Comment chiffrer cela? Je sais que de nombreux autres experts de Statistique Canada ou autre sont venus témoigner devant vous, mais ce qu'il faut retenir c'est qu'il y a eu une réduction du nombre d'homicides depuis que le Canada a commencé à instaurer des mesures de restriction pour les armes à feu. Le nombre de meurtres a baissé. Je vous ai donné les chiffres spécifiques aux armes d'épaule, je ne me répèterai pas.

Donc pourquoi se retirer la possibilité de savoir qui a des armes, d'où elles viennent, qui en est le propriétaire et d'en faire un suivi?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Selon les statistiques sur la criminalité avec des armes de poing, en 1995, il y a eu 95 homicides. Il y en a eu 112 en 2004, et c'est en augmentation. Est-ce que le vrai défi des policiers est de mieux contrôler les armes de poing, les armes illégales, que les armes de chasse?

[Traduction]

Mme O'Sullivan : Toutes les armes.

[Français]

Le sénateur Chaput : Ma question porte sur un autre élément qui se retrouve dans le projet de loi C-19, pas nécessairement sur le registre. Il s'agit de l'abolition de l'obligation du vendeur d'obtenir une validation du permis de l'acheteur avant la vente. Comme vous le savez, auparavant, le vendeur avait cette obligation. Maintenant, le projet de loi C-19 ne l'oblige plus à obtenir la validation du permis de l'acheteur avant de lui vendre l'arme. Qu'en pensez-vous?

[Traduction]

Mme O'Sullivan : Je pense que ça permettra aux personnes qui ne devraient pas avoir d'armes, aux gens qui n'ont pas de permis valides ou qui sont soumis à des restrictions d'avoir accès à des armes. Cela fera peser un risque accru sur les citoyens en général, particulièrement dans les situations de violence familiale, car il n'y aura plus ces garde-fous.

Le sénateur White : Merci d'être venue, j'ai bien noté vos observations. J'ai bien aimé vos remarques relativement au processus d'acquisition des certificats d'armes à feu ces 10 dernières années et à la procédure de délivrance des permis de possession et d'acquisition.

Je voudrais m'assurer que vous comprenez que les exigences imposées aux détenteurs d'armes ne changeraient pas. En effet, les exigences au Canada en matière d'acquisition de certificats, certainement les plus strictes de tous les pays ayant un processus transparent, ne changeraient pas. Sénateur Baker, les vérifications des antécédents, la divulgation d'informations relatives aux ex-époux et conjoints ainsi que d'autres exigences soulevées hier ne changeraient pas. Ces exigences s'appliquent à l'individu.

Je ne cherche pas à influencer votre opinion, mais lorsqu'il s'agit de la sécurité des Canadiens, ce qui est important c'est de comprendre la menace ou les risques que représente un individu. Il ne s'agit pas de savoir si la personne détient un 410 Mossberg ou un 410 Remington, mais de savoir quel genre de personne c'est. Et les exigences permettant de déterminer cela seront toujours en place. Comprenez-vous bien?

Mme O'Sullivan : L'obtention du permis, oui, je comprends.

Le sénateur White : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : On a beaucoup dit que vous aviez été policière. Je veux juste revenir sur les crimes familiaux parce qu'il en a été question plus tôt. Est-ce que vous conviendriez avec moi que lorsqu'on regarde le profil des meurtriers avant le crime, dans la très grande majorité des cas, ils ne représentaient pas de traits de caractère évidents, qui auraient permis de leur refuser l'achat d'un permis pour une arme longue?

[Traduction]

Mme O'Sullivan : Si je comprends bien votre question, sénateur Dagenais, vous me demandez si des personnes n'ayant jamais eu d'activité criminelle démontrée ou ne présentant pas d'autres signes de danger ont déjà reçu des permis d'armes à feu?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Tout à fait. Souvent, dans des situations de violence conjugale, la personne qui s'est procuré un permis pour acquérir une arme longue ne présentait pas un trait de caractère permettant de lui refuser ce permis. Vous le savez comme moi, lors d'un drame familial, tout va bien, et six mois plus tard, cela ne fonctionne plus. Cependant, la personne pouvait être un chasseur et tout lui permettait d'obtenir un permis pour acquérir une arme longue. Six mois plus tard, à cause d'une situation familiale qui se dégrade, la violence existe et là, il va commettre le crime. Avant cela, on ne pouvait pas prévoir et n'importe qui pouvait avoir un permis parce qu'il ne présentait pas un trait de caractère évident. J'aimerais vous entendre là-dessus.

[Traduction]

Mme O'Sullivan : Ah! Est-ce qu'il y a des personnes qui commettent un meurtre sans qu'il y ait eu des signes précurseurs? C'est là toute la nature de la violence conjugale, le crime est caché. Si nous avions le registre, nous saurions, à tout le moins, si des menaces ont été proférées ou s'il y a eu un comportement particulier, qu'il y a présence d'armes à feu. Une ordonnance de protection peut être prise d'urgence. Cette information serait à notre disposition et, avec un peu de chance, elle pourrait nous aider à diminuer le danger pour une personne.

En outre, si un incident se produisait, cela nuirait à l'enquête policière. Ce sont deux choses qu'il faut garder à l'esprit dans cette étude. Y a-t-il des personnes qui reçoivent un permis et qui n'ont pas affiché de signes précurseurs? Je vais décrire un long processus, comme l'a indiqué le sénateur White.

Le président : Chers collègues, notre prochain groupe est prévu pour 11 h 30 et l'un des participants communiquera par vidéoconférence. Comme les préparatifs prendront un moment, nous devons donner congé à Mme O'Sullivan. Merci beaucoup, comme d'habitude. C'est toujours utile.

Nous allons maintenant poursuivre notre examen du projet de loi C-19 qui, vous le savez, est une Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les armes à feu. Comme je le disais plus tôt, le projet de loi modifierait le Code criminel et la Loi sur les armes à feu dans le but de supprimer l'obligation d'enregistrer les armes à feu qui ne sont pas prohibées et n'ont pas de restriction, ce qui comprend les armes d'épaule non enregistrées. Le projet de loi prévoit aussi la destruction des dossiers du Registre canadien des armes à feu, qui sont en possession des contrôleurs de l'enregistrement de ces dernières.

Chers collègues, pour notre second groupes de témoins, j'ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à Me Solomon Friedman. Me Friedman est avocat en défense criminelle et fait partie du cabinet Edelson Clifford D'Angelo Barristers, s.r.l., à Ottawa. Outre son expérience étendue du droit criminel, Me Friedman se spécialise en droit des armes à feu. Bienvenue à vous maître Friedman.

Nous sommes heureux d'accueillir Wendy Cukier par vidéoconférence. Elle est présidente de la Coalition pour le contrôle des armes et professeure de gestion en technologie de l'information à l'Université Ryerson.

Bienvenue professeure; nous sommes très heureux de vous compter par nous également.

Solomon Friedman, avocat, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs. Je m'appelle Solomon Friedman et je suis criminaliste dans un cabinet privé. Dans l'exercice de mes fonctions, je représente régulièrement des propriétaires d'armes à feu dans toutes les instances judiciaires en Ontario. Je peux me permettre de dire que je suis très bien placé pour observer l'effet et l'inefficacité tant du registre des armes à feu que du cadre plus large du contrôle de ces dernières.

Je commencerai par m'aventurer plus loin que le registre des armes d'épaule et le projet de loi C-19. Je compte ainsi vous expliquer pourquoi le registre des armes à feu particulier est tellement resté en travers de la gorge des propriétaires d'armes à feu et de certains autres Canadiens aussi.

Pourquoi les députés ont-ils été inondés de correspondance sur ce projet de loi? Pourquoi la question du registre des armes à feu, sur laquelle le gouvernement actuel a fait campagne, était-elle à l'avant-plan et est-elle en partie la raison pour laquelle le gouvernement a remporté une majorité si importante? Il est crucial que vous compreniez pourquoi l'abolition espérée du Registre des armes à feu a tant galvanisé la population canadienne, aussi bien les propriétaires d'armes à feu que d'autres qui n'en possèdent pas. Elle est d'autant plus complexe à la lumière de la genèse du programme de contrôle des armes à feu employées à des fins criminelles au Canada.

Tout au long des années 1990, d'innombrables armes à feu ont été reclassifiées arbitrairement, voire confisquées à des citoyens respectueux de la loi. Dans presque tous les cas, elles avaient été classifiées non pas selon leur fonction, mais uniquement en raison de leur aspect. Si elles semblaient faire peur ou étaient en plastique noir au lieu d'être en bois, elles étaient frappées d'une interdiction. La simple possession de ces armes à feu est devenue un acte criminel punissable, dans certains cas, d'une peine d'emprisonnement obligatoire de trois ans. Même si cela semblait illogique et futile, le projet est devenu loi. « Tout pour la sécurité publique... » avait-on dit aux Canadiens.

Lorsque l'article 102 de la Loi sur les armes à feu a été édicté, lequel conférait aux contrôleurs des armes à feu le droit d'inspecter le domicile de propriétaires d'armes à feu respectueux de la loi, sans mandat ou suspicion d'infraction, nombreux sont ceux qui ont remis en question cette apparente violation de droits fondamentaux et du respect de la vie privée. Le Parlement a néanmoins adopté cette loi. « Si cela sauve une seule vie... » avait-on dit aux Canadiens.

Au lieu d'adopter des mesures législatives sérieuses pour lutter contre la criminalité, le Parlement a fait du théâtre. Il a ainsi sacrifié la véritable sécurité publique pour un semblant de sécurité publique. Dans la foulée de tragédies et du tollé public, le Parlement s'est confiné à jouer les législateurs paresseux. Plutôt que de s'attaquer aux causes fondamentales de la criminalité — la pauvreté, les maladies mentales et les toxicomanies — le Parlement a imposé la Loi sur les armes à feu aux propriétaires d'armes respectueux de la loi, soit une série de dispositions alambiquées et complexes assorties de sanctions pénales. Au Canada, le contrôle des armes à feu n'a été rien de plus qu'un moyen d'amadouer le public, pour distraire son attention au lieu d'une véritable prévention du crime et de la vraie sécurité publique.

Or, les sympathisants du programme de contrôle des armes à feu au Canada formulent leurs arguments par des platitudes et dans des termes hystériques, pas en se basant sur des faits ou des preuves empiriques. Ils citent des incidents isolés et des anecdotes exagérées pour appuyer leurs vues.

Vous devriez trouver révélateur que ceux qui favorisent le registre des armes à feu mentionnent rarement les conclusions de la vérificatrice générale, Sheila Fraser, au sujet de la situation du contrôle des armes à feu au Canada. En 2006, elle a écrit qu'il n'y avait aucune preuve de la manière dont cette loi aurait aidé à réduire au minimum les risques pour la sécurité publique en démontrant les résultats basés sur des données probantes, à savoir une baisse du nombre de morts, de blessures et de menaces liées aux armes à feu.

Il n'a pas été question non plus d'une étude récente évaluée par un comité de lecture à l'Université McMaster, publiée dans le Journal of Interpersonal Violence, qui a démontré de manière concluante que la Loi canadienne sur les armes à feu n'a eu aucun effet appréciable ou bénéfique par rapport aux homicides par arme à feu ou homicides conjugaux par arme à feu.

On dit que lorsque tout ce qu'on a c'est un marteau, tout a l'air d'un clou. Depuis 40 ans, le seul outil que le Parlement a utilisé pour réglementer les citoyens respectueux de la loi et leur utilisation d'armes à feu a été la masse puissante qu'est la législation criminelle. Par l'adoption de ces dispositions inutiles et sévères, les membres de votre chambre, lieu connu pour effectuer un second examen objectif, a plié devant un appel émotif, écarté le bon sens et, ultérieurement, laissé tomber les Canadiens.

Vous savez, le registre des armes d'épaule n'est pas l'élément le plus répugnant ou illogique de la Loi sur les armes à feu. C'est simplement la goutte qui a fait déborder le vase. Les Canadiens ont finalement tenu tête à ceux qui ont voulu criminaliser les propriétaires d'armes à feu respectueux de la loi et se servir de la législation criminelle pour réglementer les activités inoffensives de simples citoyens. Je vous exhorte donc à adopter le projet de loi C-19 rapidement et sans modification, non pas comme mesure finale mais comme un premier geste pour regagner la confiance des citoyens respectueux de la loi, comme d'honorables parlementaires croyant au bon sens et au bon jugement.

Le président : Merci, maître Friedman.

Wendy Cukier, présidente, Coalition pour le contrôle des armes : Merci beaucoup. Je suis reconnaissante de l'invitation du comité et vous remercie d'avoir accepté que je témoigne par vidéoconférence.

J'ai, bien sûr, un point de vue assez divergent sur la question; nous faisons appel au Sénat pour qu'il procède à un second examen objectif et qu'il se fonde sur des données probantes.

La Coalition pour le contrôle des armes est un organisme sans but lucratif fondé il y a une vingtaine d'années. Sa position sur les armes à feu et la législation afférente est appuyée notamment par l'Association du Barreau canadien, l'Association canadienne des chefs de police, l'Association canadienne de santé publique, l'Association canadienne des médecins d'urgence, l'Association canadienne de justice pénale et la plupart des organismes de sécurité publique du pays qui, je pense, se targuent d'élaborer des politiques fondées sur des données probantes.

Le mémoire que nous avons remis comporte la liste complète.

Ces groupes voient la Loi sur les armes à feu, dans sa forme actuelle, comme une composante importante de notre stratégie nationale de prévention des décès et blessures causés par des armes à feu et un moyen de faire respecter les lois. Contrairement à ce que prétendait le témoin précédent, il existe un nombre assez imposant de recherches empiriques et de publications examinées par un comité de lecture qui en étayent la valeur. Certaines d'entre elles ont été reconnues à l'échelle internationale. En fait, le Canada a été louangé pour sa législation en la matière par, notamment, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l'homme.

Je déplore le fait que vous n'aurez probablement pas le temps d'entendre tous les experts en sécurité publique, mais nous pouvons certainement veiller à ce que vous receviez leurs mémoires. Ils soutiennent que certaines dispositions du projet de loi C-19 mettront la vie des Canadiens en péril par la modification des règlements relatifs aux armes à feu sans restriction. De nombreuses armes à feu semi-automatiques puissantes sont actuellement classifiées comme des armes sans restriction, dont le Ruger Mini-14, qui a été utilisé à la Polytechnique, de même qu'une série de fusils de tireurs d'élite comprenant des variantes de calibre .50.

Il est vrai que les caractéristiques létales des armes à feu sont variables, mais je crois que, parfois, la rhétorique associée à ce qu'on appelle les « fusils pour la chasse au canard » fait abstraction du fait que la plupart des Canadiens qui ont été tués par une arme à feu sont victimes, chaque année, de carabines et de fusils de chasse, particulièrement dans les cas de violence conjugale, de suicide et de blessures accidentelles.

La plupart des policiers abattus au Canada ces dernières années l'ont été par des armes sans restriction comme celles qui seront visées par cette loi.

Dans les grandes comme dans les petites villes, les armes sans restriction représentent une proportion considérable des armes récupérées après des actes criminels. À Toronto et à Montréal, il s'agit du tiers environ, alors que dans la région de York, deux carabines et fusils de chasse sont saisis pour chaque arme de poing.

Les dispositions du projet de loi C-19 portant modification des règles relatives à la délivrance des permis font l'objet d'une préoccupation particulière. Il s'agit d'une législation complexe qui, a priori, visait à éliminer l'enregistrement des carabines et fusils de chasse, mais elle va beaucoup plus loin en réalité. Il ne serait dorénavant plus obligatoire selon ce projet de loi que les permis soient vérifiés lorsque quelqu'un achète une arme d'épaule. Ceci nuira aux dispositions législatives concernant les permis. La Cour suprême s'est prononcée très clairement en affirmant que l'enregistrement et les dispositions relatives aux permis sont inextricables, si bien que la suppression de l'enregistrement sera dommageable pour la délivrance de permis en général. Cette disposition aura donc des conséquences préjudiciables pour la sécurité des Canadiens.

Le projet de loi C-19 supprime également l'obligation pour les marchands de conserver un reçu de vente. Cette disposition avait été introduite en 1977, soit l'Autorisation d'acquisition d'armes à feu, et elle exigeait que les entreprises tiennent un registre de leurs ventes d'armes à feu. Bien que pas aussi efficace que le système central informatisé d'enregistrement, ce système de registres rendait tout de même possible de faire un suivi et de retracer les armes à feu. Le projet de loi C-68 a fait disparaître cette disposition parce que l'enregistrement des armes à feu avait été jugé comme plus important que le besoin de documentation des ventes par les marchands d'armes. Or, si cette disposition n'est pas rétablie, le projet de loi C-19 ne nous fera pas reculer en 1995, mais jusqu'en 1976. Je ne crois pas que ce soit intentionnel, mais ce sera la conséquence de son adoption.

Les policiers affirment que l'information est cruciale pour leur travail. L'une des dispositions les plus inquiétantes de ce projet de loi tient à la destruction obligatoire de données sur 7,1 millions d'armes d'épaule — dont la collecte a été payée chèrement par les autorités fédérales et provinciales, ainsi que par les contribuables canadiens — malgré le fait qu'un certain nombre d'obligations internationales exigent que ces documents soient conservés. Cette information a été très utile pour nous aider à poursuivre les criminels en justice; d'ailleurs quelque 3 000 affidavits ont été déposés chaque année au regard de ces données. Certains diront que les données du registre ne sont pas à jour et ne seront pas complètes après l'élimination de l'enregistrement, mais n'oublions pas que nos bases de données sur les empreintes digitales et l'ADN ne sont pas complètes non plus. Elles sont pourtant des instruments d'enquête utiles.

Il y a de nombreux cas documentés, et certainement dans ses témoignages antérieurs, cités à maintes reprises par l'Association canadienne des chefs de police, qui sont également documentés dans nos mémoires. Dans l'un de ces cas bien connus, celui du meurtre de quatre agents de police à Mayerthorpe, Alberta, le fait que l'arme d'épaule ait été laissée sur place a permis d'utiliser l'information sur l'accessoire du meurtre aux fins de la condamnation.

Le projet de loi C-19 nous empêchera de donner suite à certaines pistes dans des situations douteuses. Le personnel du registre a déjà documenté des occasions où, pendant l'achat d'une arme à feu, des indices ont permis d'identifier des personnes qui, par exemple, n'avaient pas le droit d'en faire l'acquisition. Il en résultera aussi la destruction d'un outil utilisé par la police tous les jours, d'autant plus que le gouvernement s'est lui-même voué à la prévention du crime, particulièrement du suicide.

Le lien qui existe entre le permis de possession et l'enregistrement des armes à feu n'est pas bien compris, mais essentiellement le processus d'enregistrement fait en sorte que les titulaires de permis sont redevables et diminue le risque que des armes licites soient utilisées à des fins criminelles. Même si aucune loi ne peut prévenir toutes les tragédies, les données sur les décès et blessures causés par une arme à feu sont assez convaincantes. Nous avons été témoins d'une baisse importante du nombre et de la proportion de femmes assassinées par arme à feu depuis l'introduction de cette loi. Au total, le nombre de Canadiens tués par arme à feu dans les cas d'homicide, de suicide et de blessure accidentelle est passé d'un peu plus de 1 100 à moins de 800 par an. C'est près de 400 morts de moins par an, malgré l'augmentation de la population. Aucune loi n'est une panacée, mais de nombreux groupes en sécurité publique partout au pays insistent pour dire que, d'après les chiffres, le Registre a permis d'améliorer la qualité de vie et la sécurité des Canadiens, et aidé les policiers à faire leur travail. Merci beaucoup.

Le président : Merci, madame Cukier.

Nous passons maintenant aux questions. J'ai toutefois quelque chose à dire. J'ai l'impression que, durant nos discussions ici, lorsque certains membres du comité posent des questions ou font des commentaires, d'autres sénateurs ajoutent leurs remarques. Je vous demanderais de vous en abstenir. Vous aurez tous l'occasion de commenter, mais la parole est au sénateur qui pose une question à ce moment-là.

Le sénateur Fraser : J'ai une question pour chacun d'entre vous et je vais commencer par Me Friedman. Vous avez dit que vous représentez des propriétaires d'armes à feu dans toutes les instances judiciaires en Ontario. Je me demandais de quel genre de cause il s'agit. Est-ce que ce sont des gens qui n'ont pas verrouillé l'armoire où ils rangent leurs armes ou des gens qui n'ont pas le droit de posséder des armes? Quelles sont les causes les plus communes?

Me Friedman : Lorsque j'ai parlé de représenter des propriétaires d'armes à feu, je faisais allusion à des gens qui respectent la loi et qui, pour une raison quelconque, sont accusés d'une infraction criminelle aux termes de la Loi sur les armes à feu ou du Code criminel. Fidèle à cette grande tradition en droit britannique, j'accepte tous les clients au criminel. Par contre, je parlais ici de sportifs, de tireurs sportifs ou de chasseurs qui, par exemple, sont accusés d'une infraction criminelle en vertu de la Loi sur le registre des armes d'épaule. Ils sont accusés de violations relatives à l'entreposage sécuritaire et sont l'objet d'un mandat de sécurité publique à cause d'une plainte d'un collègue ou d'un voisin, de sorte qu'ils sont obligés de se défendre dans le système de justice pénale à grands frais pour eux.

Le sénateur Fraser : Quel genre de plainte un collègue déposerait-il?

Me Friedman : Selon les articles 117.04 et 117.05 du Code criminel, n'importe qui peut remplir un rapport de police. La GRC offre une ligne directe pour ce qu'on appelle une plainte de sécurité publique. On dirait par exemple « Je me suis disputé avec mon voisin et il était fâché », ou un collègue affirmerait : « Mon collègue parlait d'armes à feu et ça m'a rendu nerveux. » C'est vrai, croyez-le ou non; c'est le genre de chose que je vois; en fait j'ai une audience prévue la semaine prochaine dans cette affaire même. Il arrive souvent qu'un mandat de perquisition soit exécuté et que des armes à feu soient retirées du domicile d'une personne. Normalement la police saisit les armes au nom de la Couronne et le permis de la personne est révoqué.

Le plus révélateur dans tout ce processus, c'est que la personne dont les armes ont été saisies est tenue en vertu de la loi de prouver au tribunal qu'elle n'est pas une menace pour la sécurité publique.

Le sénateur Fraser : Ce n'est pas une infraction au registre des armes à feu.

Me Friedman : C'est une infraction à la Loi sur les armes à feu. Quand je parle d'infraction au registre, il s'agit par exemple de cas où il est établi qu'une arme à feu n'a pas été enregistrée. En dépit de l'amnistie, les services policiers dans cette province, et dans beaucoup d'autres, continuent de déposer des accusations criminelles. Vous êtes confrontés à toute la force d'une sanction criminelle si vous n'avez pas enregistré une arme d'épaule sans restriction auprès du Registre des armes à feu. J'assure la défense de personnes accusées de ce type de délit.

Le sénateur Fraser : Je sais que le président souhaite ardemment que nous avancions; je vais donc passer à Mme Cukier.

Merci beaucoup, madame Cukier, de comparaître. Je me rends compte que vous avez à peine eu le temps de gratter la surface, mais vous avez bien résumé. Pourriez-vous élaborer davantage sur ce que vous pensez être les implications du projet de loi C-19 pour le trafic illégal d'armes à feu tant au pays qu'à l'étranger?

Mme Cukier : Le principe de la législation sur les armes à feu — et c'est quelque chose à propos de quoi j'ai publié avec plusieurs spécialistes internationalement reconnus — c'est en gros la réduction des risques. Les permis pour les propriétaires d'armes et le registre des armes à feu ont pour but de réduire le risque que les propriétaires légaux ne fassent un mauvais usage de leurs armes, mais aussi de faire en sorte que les armes enregistrées restent entre les mains des propriétaires légaux. Les dispositions du projet de loi qui suppriment le registre des armes à feu signifient que, si vous êtes propriétaire d'une arme à feu et titulaire d'un permis, vous pouvez acheter autant d'armes à feu que vous voulez, sans restrictions, et il n'y aura aucune trace, ni dans le magasin ni dans un quelconque registre. Par conséquent, si vous choisissez, comme l'ont fait les complices des meurtres de gendarmes en Alberta, de donner vos armes à feu à quelqu'un qui n'a pas de permis ou qui s'est vu interdire la possession d'armes à feu, il n'y a aucun moyen de vous retracer à l'origine de ces armes.

Cette législation a été initialement introduite sous cette forme notamment pour empêcher le détournement d'armes obtenues légalement vers les marchés illégaux. Certes, le problème des armes de poing de contrebande est bien plus important que celui des fusils et des carabines vendus illégalement. Cependant, il ne fait guère de doute que la suppression du registre permettant de savoir qui possède des armes, et lesquelles, ainsi que la destruction du registre des propriétaires des 7,1 millions d'armes à feu enregistrées éliminera une des mesures en place qui permettait de réduire le risque que des armes déclarées finissent sur les marchés illégaux.

Le sénateur Fraser : Selon vous, en quoi le projet de loi C-19 cadrera t-il avec les différents traités internationaux, protocoles et autres instruments du même type pour lequel le Canada est partie ou qu'il a signé, voire ratifié?

Mme Cukier : Le Programme d'action de 2001 requiert des mesures pour s'assurer que des registres précis seront tenus aussi longtemps que possible sur la fabrication, la détention et le transfert des armes à feu. Le protocole sur les armes à feu de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée requiert également le maintien, pendant au moins 10 ans, des informations relatives aux armes à feu et, lorsque c'est possible, des pièces détachées et des munitions. La Convention interaméricaine contre la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu, de munitions, d'explosifs et d'autres matériels connexes requiert également le maintien, pour une durée raisonnable, des informations nécessaires au traçage et à l'identification des armes provenant du trafic illégal. L'Instrument international des Nations Unies sur le traçage des armes légères requiert lui aussi que des données soient conservées sur les propriétaires d'armes à feu.

La plupart des ONG engagées dans ces processus, à l'exception peut-être de la National Rifle Association, considèrent que l'élimination du registre des armes à feu et en particulier la suppression de tout traçage au point de vente, sapera nos engagements internationaux de combattre le commerce illégal des armes à feu.

Le président : A ce stade, je voudrais dire à M. Friedman et à Mme Cukier que si une question vous est destinée à l'un ou à l'autre, et je ne dis pas ça pour vous encourager à forcément contredire toutes les déclarations des autres témoins, et que vous souhaitez dire quelque chose d'extrêmement important, dites-le moi et je vous en donnerai la possibilité.

Le sénateur Lang : Je voudrais dire à Mme Cukier que personne autour de cette table n'a l'intention de remettre en cause la sécurité des Canadiens. Ce n'est absolument pas le but. La question est de savoir si le registre est efficace et s'il fonctionne. De nombreux Canadiens, surtout ceux qui possèdent des armes d'épaule, disent qu'il ne fonctionne pas, que c'est un gâchis de l'argent des contribuables et qu'ils préfèreraient que cet argent soit dépensé autrement.

Pourriez-vous, pour la transcription, clarifier la position de l'organisation que vous représentez et peut être aussi votre position personnelle? Quel est votre point de vue sur la possession d'armes à feu au Canada, en dehors de ce qui est police et armée? Êtes-vous pour?

Mme Cukier : Oui. Notre position est très claire. Nous sommes en faveur de la possession d'armes à feu dans des buts légitimes. Nous voulons que toutes les armes à feu soient enregistrées et que tous les propriétaires aient un permis. Nous sommes en faveur d'un stockage sûr et de l'interdiction des armes à feu classées comme armes d'assaut militaires. Contrairement à ce qu'a déclaré l'autre témoin, l'administration des alcools, tabacs et armes à feu aux États-Unis a défini toute une série de critères, comme l'a fait la GRC, indiquant ce qui constitue une arme militaire par opposition à une arme conçue pour un usage civil.

Le sénateur Lang : J'aimerais approfondir une autre question avec le témoin, concernant le registre lui-même. Je voudrais souligner que Sheila Fraser, ancienne vérificatrice générale, a été citée tout à l'heure par l'autre témoin. Je crois qu'il est important d'y revenir. En 2006, elle a affirmé qu'il n'y avait pas de résultats fondés sur des données probantes, telles qu'une baisse du nombre de menaces, de décès et de blessures attribuables aux armes à feu, démontrant que cette législation contribue à minimiser le risque pour la sécurité publique.

Si l'on se réfère à nouveau à l'ancienne vérificatrice générale, Sheila Fraser, elle a fait une enquête approfondie sur le registre des armes à feu en 2002 et a souligné que 90 p. 100 des certificats d'immatriculation contenaient des erreurs. C'est l'ancienne vérificatrice générale en personne qui l'a dit. Voici ce qui me pose problème : pourquoi devrions-nous soutenir un registre qui est plein d'erreurs et de failles et continuer à dépenser de l'argent pour cela tout en sachant que ces données sont incorrectes, en grande partie du moins.

Mme Cukier : Je voudrais répondre. C'est vraiment intéressant car beaucoup d'opposants à la législation aiment citer Sheila Fraser. Je vous renvoie à son témoignage devant le comité de la Chambre à propos de cette législation. C'était assez intéressant, car un jour, le dirigeant de la Fédération canadienne des contribuables la citait et le lendemain, elle était présente pour expliquer très clairement ce qu'elle avait dit ou pas. Ce qu'elle a effectivement dit, ce n'est pas que le registre des armes à feu était inefficace, mais qu'aucune étude n'avait été faite par son service au sujet de la rentabilité ou de l'efficacité de cet instrument. Il est important de ne pas la citer hors contexte. Je vous renvoie à son témoignage devant le comité de la Chambre des communes à propos d'une version antérieure de cette législation. Ce point est très important.

Le second point concerne le coût. Plusieurs personnes ont parlé du coût du registre et ont dit que l'argent dépensé pour les permis et le registre dépassait les objectifs, et ainsi de suite.

Il est important de rappeler que l'essentiel de cet argent n'a pas été dépensé pour l'immatriculation des armes à feu, mais pour donner des permis à leurs propriétaires. Selon la GRC, les futurs coûts d'immatriculation des carabines et des fusils seront de 2 à 4 millions de dollars par an, puisque la plupart des carabines et des fusils ont déjà été immatriculés. Il s'agit d'une opération unique. Nous avons les données.

Il y a certainement des approximations dans la base de données, mais comme l'ont dit beaucoup de policiers. L'information que nous avons vaut mieux que pas d'information du tout. Je vous renvoie une fois de plus à d'autres types d'outils de sécurité publique, comme par exemple la banque de données génétiques ou le système informatisé de dactyloscopie, qui donne accès aux empreintes digitales.

Le système informatisé de dactyloscopie ne contient pas les empreintes digitales de tous les Canadiens. La banque de données génétiques ne contient pas l'ADN de tous les Canadiens. Néanmoins, cette information même partielle constitue un outil inestimable pour la police. Tandis que certains disent qu'ils voudraient plus de données, le fait est que même les données incomplètes dont ils disposent sont considérées comme un outil utile.

Notre argument principal, qui est corroboré par la majorité des organisations de police du pays, est que les données contenues dans ce registre sont non seulement précieuses, mais méritent que l'on continue d'investir pour les maintenir.

Le président : Monsieur Friedman, souhaitez vous ajouter quelque chose?

Monsieur Friedman : Je voudrais répondre brièvement aux propos de l'autre témoin qui a dit que des données inexactes valent mieux que pas de données du tout. Je me souviens des propos d'un membre de la Coalition pour le contrôle des armes à feu devant le comité de la Chambre des communes et peut-être aussi devant le Sénat. Il disait quelque chose comme « le registre des armes à feu n'a jamais tué personne; sa suppression pourrait le faire ».

Ceux qui connaissent les affaires des agents de police de Laval Daniel Tessier ou Valérie Gignac, savent que, dans les deux cas, la mort tragique de ces deux policiers a été imputée à la confiance dans le registre des armes à feu, qui contenait des erreurs et qui a été mal utilisé par la police. Il me semble que, lorsqu'un policier se sent en sécurité, à tort, parce la vérification d'une résidence dans le registre des armes à feu donne un résultat négatif, alors non seulement nous ne garantissons pas la sécurité des Canadiens, mais en plus nous mettons en danger la vie des policiers.

Le sénateur Lang : J'ai une question pour le témoin liée à ses antécédents.

Le président : S'agit-il du point qu'il vient d'aborder?

Le sénateur Lang : Il s'agit de ce qu'une salle d'audience accepte comme témoignage.

Le président : Je crois que nous allons devoir passer à la suite, monsieur le sénateur.

Le sénateur Baker : Je vais poser la question.

Le président : Si vous avez une question, vous leur poserez. Peut-être pourrons-nous obtenir davantage d'information des témoins.

Le sénateur Hervieux-Payette : Aux fins de la discussion, je vais parler anglais, car je ne sais pas si la traduction fonctionne bien pour Mme Cukier.

J'ai une question au sujet de l'étude qui a été menée par de nombreux universitaires. Avez-vous connaissance d'autres études qui contrediraient ce que vous avancez dans votre mémoire? Je sais que les universitaires ont généralement des doctorats et qu'ils font leurs études de manière rigoureuse. On nous a dit qu'aucune étude ne permettait d'établir un rapport direct entre le registre et la diminution des meurtres. Au cours de votre carrière, dans vos recherches, avez-vous lu des études qui contredisent celle à laquelle vous vous référez?

Mme Cukier : Les sciences sociales ne sont pas des sciences exactes, concernant des politiques complexes, les points de vue peuvent diverger. Lorsque l'on examine les études qui ont été faites, en particulier au Canada, sur l'impact des législations sur les armes à feu, publiées dans des revues à comité de lecture réputées, il est clair que la majorité des articles publiés, surtout dans le domaine de la santé publique, sont en faveur du renforcement de la législation. Parallèlement, il y a des gens comme Gary Mauser, professeur émérite de mercatique à l'Université Simon Fraser, qui a publié de nombreux résultats suggérant que la sécurité va de pair avec l'augmentation du nombre d'armes, que le fait d'armer la population à des fins d'autodéfense réduirait le crime, et ainsi de suite. Il existe aussi des études qui vont dans ce sens.

Je vous induirais en erreur si je disais que toute la recherche conforte mon point de vue, mais il me semble qu'il existe un socle suffisant dans la recherche empirique pour confirmer ma théorie. Je crois aussi que l'importance et le nombre des organisations de sécurité publique sans intérêt direct qui soutiennent la législation actuelle plaident également en faveur de mes arguments.

Le sénateur Hervieux-Payette : Qui finance généralement les études de ce professeur émérite de Colombie- Britannique? Je sais que la NRA a financé certaines de ses études. D'où viennent vos données? Proviennent-elles de Statistique Canada ou d'autres banques de données? Je veux savoir d'où viennent ces données.

Mme Cukier : En ce qui a trait aux études de M. Mauser sur le thème « s'armer pour se protéger », nous savons qu'elles ont été en partie financées par la National Rifle Association, ce fait étant amplement documenté dans le renvoi constitutionnel contre la loi et les dépositions correspondantes.

Les données dont je me suis servie dans mes recherches proviennent de diverses sources, dont Statistique Canada. Comme je l'ai dit, on peut relever les tendances globales et s'interroger sur leur raison d'être. Par exemple, si le nombre de meurtres de femmes par arme à feu a décliné nettement plus rapidement que ceux perpétrés par d'autres moyens, y a-t-il un facteur qui puisse expliquer cela? Si les suicides par arme à feu ont chuté en flèche alors que les autres types de suicide n'ont pas tellement varié, y a-t-il lieu d'en déduire que la Loi sur les armes à feu y est pour quelque chose? Voilà des exemples de l'orientation que l'on peut donner aux recherches.

Quant aux études que nous avons menées sur le trafic des armes à feu et leur circulation illicite, ces données nous proviennent des services de police locaux. La police nous a permis de consulter les dossiers sur les armes à feu récupérées sur la scène de crimes et les travaux de dépistage correspondants. C'est là le fondement de nos propos au sujet de la provenance des armes illicites, le genre d'armes à feu qui sont récupérées à la suite d'un crime. J'espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Hervieux-Payette : Avez-vous interviewé des gens directement impliqués, des victimes, des agents de police ou autres, ou est-ce que vous vous êtes contentée de faire une étude empirique?

Mme Cukier : J'ai participé aux deux types de recherches. En fait, j'ai directement collaboré à l'étude de certaines de ces questions avec l'Association canadienne des chefs de police, dont j'ai été membre associée pendant quelques années. J'ai certainement eu l'occasion de parler à de nombreux chefs de police et policiers du rang. Par ailleurs, comme la plupart des grands organismes qui se portent à la défense des victimes au pays sont affiliés à la Coalition canadienne pour le contrôle des armes, j'ai également pu m'entretenir avec de nombreuses victimes.

Le sénateur Runciman : Monsieur Friedman, je crois que l'on n'a pas assez insisté sur l'opinion de Sheila Fraser à l'égard de l'exactitude des données. Je me demande à quel point la question de l'exactitude des données est importante de votre point de vue, en tant qu'avocat. Avez-vous déjà été confronté à des aléas judiciaires que ce genre d'inexactitude aurait pu causer aux gens, parmi vos clients, ou à d'autres personnes dont vous ayez entendu parler?

M. Friedman : La question de l'exactitude des données occupe le premier plan dans de nombreuses causes auxquelles je participe à la défense de propriétaires d'armes à feu respectueux des lois. Par exemple, j'ai plaidé la cause de personnes ayant fait l'objet de mandats de perquisition — ce qui est une intrusion dans le domicile privé de la personne — qui se fondaient sur des données figurant toujours dans le registre, même si elles étaient périmées depuis plus d'un lustre.

Autrement dit, on cherchait une certaine arme à feu et selon les données du registre, celle-ci appartenait au client en question. Cette information a été portée à l'attention d'un juge, de bonne foi, j'en suis persuadé; un mandat a été émis et comme ce mandat se rapportait à une arme à feu, le risque était considéré élevé. On a donc eu recours à une équipe des armes spéciales et tactiques, qui a pu ainsi défoncer la porte sans autre forme de procès, laissant la maison dans un triste état, le tout parce que l'on avait prêté foi à une donnée erronée. En plus de devoir ramasser les morceaux, la personne a dû débourser d'importants frais juridiques.

Cela peut vous paraître étrange, mais je m'efforce d'éviter d'accepter ce genre de cause dans mon cabinet. Je voudrais avoir moins de clients de la sorte, de préférence aucun.

Des données inexactes et le mauvais usage et l'interprétation erronée du registre des armes à feu et d'autres données du Centre des armes à feu Canada sont souvent la cause de nombreuses poursuites vouées à l'échec.

Le sénateur Runciman : Je me range à votre avis à ce sujet. Je crois que la description que vous faites du scénario du contrôle de la criminalité résume parfaitement la chose, c'est-à-dire que l'on ne prend pas les mesures qu'il faut.

J'ai récemment lu des articles dans les journaux contenant les remarques de divers commentateurs sur l'effet pernicieux que cette loi a exercé sur le comportement de Canadiens comme vous et moi, la criminalisation de citoyens respectueux de la loi et leur comportement à l'égard de la police et des agents de la paix. Avez-vous assisté à ce genre de choses?

M. Friedman : Tout à fait. Je crois que s'il est un constat important à tirer de cela, c'est que l'on s'aperçoit que cela a créé une profonde division entre la police et un groupe de Canadiens qui étaient autrement de ses alliés les plus inconditionnels et qui demeurent des citoyens parfaitement responsables et respectueux de la loi, c'est-à-dire les propriétaires d'armes à feu.

Mettez-vous dans les souliers de, disons, un propriétaire d'arme à feu âgé de 65 ans. Il possède certaines armes à feu. Il les reçoit d'une certaine façon. Elles sont absolument légales. Pendant ce temps, le Parlement continue à créer des infractions criminelles pour un oui ou pour un non. Ce qui était autrefois une conduite parfaitement légale n'est plus seulement une conduite réglementée mais réglementée de surcroît avec toute la force exécutoire du droit pénal. S'il y a quelque chose à déduire de ma présentation, c'est que la politique publique se sert du droit pénal comme d'une véritable massue, au lieu d'y aller au scalpel.

Quand nous parlons de contrôle et de prévention de la criminalité, nous parlons, par exemple de l'arrivée d'armes à poing illicites au Canada et d'enjeux afférents à la sécurité frontalière et aux agents de police en première ligne. Or, quelle a été l'inquiétude numéro un de la Loi sur les armes à feu au Canada? Si vous l'examinez d'un bout à l'autre — et j'en ai un exemplaire sur mon bureau, gros comme ça — il n'y est pas une seule fois question de l'usage d'armes à feu à mauvais escient, à des fins criminelles. Autrement dit, il n'y a pas la moindre allusion à commettre un délit avec une arme à feu ou à utiliser une arme à des fins criminelles. La loi vise exclusivement les citoyens respectueux de la loi, des gens qui respectent la loi envers et par-dessus tout.

La loi a été plus qu'une simple distraction; elle a été utilisée à mauvais escient en s'adressant aux personnes qu'il ne fallait pas, ce qui a malheureusement créé une profonde division entre les propriétaires d'armes à feu et les autorités policières.

Mme Cukier : Puis-je y répondre?

Le président : Oui.

Mme Cukier : Si vous parcourez le témoignage de Sheila Fraser sur l'exactitude des données sur les armes à feu, qui se trouve dans le hansard de 2006, vous verrez qu'elle se rapporte concrètement aux données transposées du registre des armes à autorisation restreinte à celui des armes à feu. Sa préoccupation réside dans le fait que les données sur les armes à poing d'utilisation restreinte ne sont pas entièrement exactes car ces armes n'étaient pas enregistrées de nouveau; une bonne partie de ces données ont simplement été transférées. Je n'ai pourtant entendu personne suggérer que nous nous débarrassions du registre des armes à autorisation restreinte. Je crois que c'est important.

À en croire les sondages, un tiers des propriétaires d'armes à feu seraient en fait en faveur de la loi. Or, il importe de reconnaître qu'il y a des divergences d'opinion même parmi ce groupe d'électeurs. Par exemple, 60 p. 100 des gens qui vivent avec des propriétaires d'armes à feu sont en faveur du registre. L'idée que c'est là quelque chose qui se heurte à une opposition unanime dans les foyers où il y a des armes à feu, fait abstraction à mon sens du fait que les femmes votent, elles aussi.

Quant aux comportements à l'égard de la police, l'Association canadienne des chefs de police et l'Association canadienne des policiers continuent à appuyer la loi, ce qui semble indiquer qu'elles ont constaté que ses avantages l'emportent sur les coûts.

Le président : Sénateur Runciman, vous avez une autre question rapide.

Le sénateur Runciman : Je pourrais en dire davantage sur la question touchant la police, mais je m'abstiendrai.

Le témoin faisait allusion dans son mémoire et dans sa déclaration verbale à une étude jugée par les pairs effectuée par l'Université McMaster, qui indique que la loi ne contient aucun élément susceptible d'éviter les homicides par arme à feu, conjugaux et autres. Pouvez-vous développer la question et dire dans quelle mesure cette constatation se rapporte au projet de loi qui nous occupe aujourd'hui?

M. Friedman : Je la développerai volontiers sous réserve de préciser que je ne suis pas un statisticien; je suis un avocat criminaliste.

J'ai fourni un exemplaire de cette étude en même temps que mon mémoire à la greffière du comité. Il s'agit d'une étude effectuée par la Dre Caillin Langmann, médecin urgentiste expert qui a témoigné devant le comité de la Chambre des communes. À ce que j'ai compris, il a compilé des données de Statistique Canada et d'autres sources en observant notamment le déclin du taux des homicides et de la criminalité en général au Canada depuis 1974, c'est-à-dire avant l'obligation d'avoir une autorisation d'acquisition d'arme à feu, ou avant la prise de toute autre mesure contemporaine que l'on sait pour le soi-disant contrôle des armes à feu. Il a plutôt réussi à faire la corrélation entre la chute des homicides par arme à feu, conjugaux et autres, et d'autres facteurs sociaux, dont par exemple le nombre d'agents de police par habitant ou le vieillissement de la population. Il n'a en fait trouvé aucune corrélation statistique entre la Loi sur les armes à feu et les préjudices qu'elle cherchait à empêcher. Je vous ai présenté cette étude afin que vous puissiez en prendre connaissance.

Le sénateur Jaffer : Une petite précision, si vous le voulez bien, monsieur Friedman. Vous avez dit qu'il n'y avait aucune allusion — je me trompe peut-être en reprenant vos propos, alors n'hésitez pas à me corriger — à la négligence criminelle dans la Loi sur les armes à feu. Est-ce bien cela? Est-ce que je vous ai bien entendu?

M. Friedman : Ce que j'ai dit c'est que la Loi sur les armes à feu ne s'occupe pas de l'usage des armes à feu à mauvais escient, soit à des fins criminelles. Elle s'occupe de questions d'ordre administratif, dont les règlements s'appliquant à l'entreposage et au transport sécuritaires des armes à feu. Elle ne s'occupe pas du recours aux armes à feu pour commettre des actes criminels.

Le sénateur Jaffer : Ces actes sont néanmoins visés dans le Code criminel, n'est-ce pas?

M. Friedman : Certainement.

Le sénateur Jaffer : Ils sont mentionnés ailleurs également.

M. Friedman : Oui en effet. En fait, les dispositions du Code criminel sont venues s'ajouter les unes aux autres, qu'il s'agisse de l'utilisation d'une arme à feu pour commettre une infraction ou simplement le fait de braquer une arme à feu sur quelqu'un. La Loi sur les armes à feu est le recueil des lois qui s'appliquent aux propriétaires d'arme à feu respectueux de la loi, sans viser l'utilisation criminelle de ces armes.

Le sénateur Jaffer : En tant que criminaliste, vous savez que le Code criminel couvre la plupart des actes de négligence criminelle, n'est-ce pas?

M. Friedman : Le Code criminel s'occupe très certainement de la majorité de ce que nous pourrions appeler de vrais crimes.

Le sénateur Jaffer : Merci. J'ai une question à poser à Mme Cukier, si possible. J'aimerais vous demander de vous reporter aux dispositions sur la délivrance de permis. Je voudrais que vous m'expliquiez quelque chose.

Si vous regardez à la page 5, l'article 23 de la loi, je veux dire bien entendu le projet de loi C-19. L'article 23 prévoit qu'une personne peut céder une arme à feu à une autre, mais pour ce faire, le cessionnaire doit être titulaire d'un permis l'autorisant à acquérir et à posséder une telle arme à feu et le cédant ne doit avoir aucun motif de croire que le cessionnaire n'est pas autorisé à acquérir et à posséder une telle arme à feu.

Quand je vous ai entendu parler, vous aviez des inquiétudes à l'égard de la cession des armes à feu. Pourriez-vous me donner quelques précisions?

Mme Cukier : Oui. La Loi sur les armes à feu, dans son libellé actuel, comprend une disposition exigeant la vérification de la validité du permis. Au lieu de se contenter d'exiger que quelqu'un présente son document, elle exige que le permis soit vérifié. C'est une des dispositions qui font défaut dans le projet de loi.

Lorsqu'il s'agissait d'acquérir une arme à feu, il y avait une exigence voulant que l'achat soit enregistré et que le registraire soit informé, et que la validité du permis soit confirmée. Ce n'est plus le cas.

Le sénateur Jaffer : À ce que j'ai compris, les armuriers et commerçants d'armes à feu ne sont pas tenus de conserver des registres de vente. Pouvez-vous élaborer?

Mme Cukier : Il s'agit-là de l'un des changements qui ont été apportés et qui pourraient avoir des conséquences non voulues. Comme je l'ai expliqué, quand la loi de 1977 est parue, il fallait posséder un certificat d'acquisition d'arme à feu si on voulait se procurer une arme à feu, et l'achat de ces armes n'était pas consigné dans un registre central. L'information était conservée dans le magasin avec le numéro d'AAAF correspondant, indiquant le nom de la personne et les armes à feu qu'elle avait achetées. Quand l'obligation d'enregistrer les armes a été introduite en 1995, cette démarche n'était plus exigée puisque les armes à feu étaient consignées dans un registre central.

Ce projet de loi éliminerait l'enregistrement des armes à feu sans pour autant introduire un mécanisme quelconque pour retracer la vente d'armes à feu jusqu'à l'armurier ou le commerçant d'armes, et cela va entièrement à l'encontre des engagements que le Canada a pris pour lutter contre le commerce illicite des armes à feu. Il n'y aura aucun registre des ventes d'armes à feu nulle part. Nous aurons moins de registres des ventes d'armes à feu qu'ils ont aux États-Unis où ces armes peuvent tout au moins être retracées jusqu'à leur premier point de vente.

M. Friedman : En ma qualité de criminaliste, j'ai signalé, et je crois que toutes les personnes qui s'occupent d'activités policières en auront fait autant, qu'il y a de nombreux moyens d'obtenir des armes à feu illicites. Nous n'avons pas encore assisté à des tentatives de contrefaçon des permis d'acquisition et de possession d'armes à feu. Imaginer un scénario où quelqu'un utiliserait un permis faux ou périmé relève purement de la conjecture, car à l'heure de céder l'arme à feu, les propriétaires ont tendance à agir de manière responsable et à s'abstenir de céder des armes à feu, de s'engager dans le trafic des armes à feu ou de se servir de personnes interposées aux points de vente. Il en est ainsi dans le régime actuel et il en sera toujours ainsi dans le régime futur. Il n'y a aucune preuve que cela s'est produit par le passé et je ne sais pas pourquoi nous devrions présumer que cela se produira à l'avenir.

Le sénateur Jaffer : Là n'était pas ma question.

J'aimerais attirer l'attention du président et du comité sur le fait que nous avons parmi nous Meaghan Hennegan et Kathelene Dixon, toutes deux victimes de la fusillade au Collège Dawson, ainsi que Louise de Souza, Heidi Rathgen et Jeff Larivée, victimes de la fusillade à l'École Polytechnique. Ils sont parmi nous aujourd'hui pour suivre nos délibérations.

Le président : Merci de nous l'avoir signalé. Ils sont certainement tout à fait les bienvenus ici.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à Mme Cukier. Si vous voulez acquérir une arme de chasse au Québec, vous devez vous présenter dans un poste de police, vous devez faire la demande de permis d'acquisition d'arme à feu, vous devez démontrer que vous avez suivi un cours de maniement des armes. Par la suite, évidemment, les policiers vont devoir faire enquête. Si vous n'avez pas de dossier criminel, on va vous délivrer votre permis d'arme à feu et c'est la Sûreté du Québec qui contrôle les permis. Il y a une division des permis spécialement pour cela. Si par la suite vous commettez un crime ou si vous êtes trouvé coupable ou simplement accusé d'un acte de violence conjugale, évidemment, lorsque vous allez comparaître à la cour, vous allez être interdit d'arme à feu, même si vous n'êtes pas encore reconnu coupable.

Étiez-vous au courant de cela? Cela existait avant la mise en place du registre et ça existe encore. Alors, est-ce que vous étiez au courant de cette façon de faire? Et là je parle pour le Québec, je ne le sais pas pour les autres provinces.

[Traduction]

Mme Cukier : Je suis tout à fait consciente de la situation au Québec. Comme vous le savez, sénateur, la dernière fois que je vous ai rencontré, c'était quand vous m'avez présenté un prix au nom des associations de police québécoises pour mes travaux dans le domaine du contrôle des armes à feu.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Effectivement, c'est moi qui vous l'ai donné.

[Traduction]

Mme Cukier : Il y a peut-être un problème de traduction, mais les certificats d'acquisition d'armes à feu n'existent plus. Ils ont été éliminés en 1995 au moment de l'adoption du système des permis. Oui, la norme au Québec est plus stricte, mais les propriétaires d'armes à feu n'étaient plus obligés de se rendre au poste de police pour obtenir leur permis d'armes à feu. Comme vous le savez, les permis ont été proposés en 1995 et mis en œuvre à partir de 1998.

Le problème, que la police du Québec connaît très bien et qui est la raison pour laquelle elle est particulièrement favorable à un renforcement des contrôles sur les armes à feu, tient au fait que si l'on accorde un permis de port d'armes à feu, mais que l'on n'assure pas le suivi de ces armes, on n'a aucun moyen de faire respecter les permis. La police du Québec, chefs et officiers du rang, a été parmi les plus ardents défenseurs des dispositions sur le permis et l'enregistrement en raison des nombreuses lacunes dans le système.

Je suis sûre que vous vous rappelez vos anciens collègues qui sont intervenus les premiers à l'École Polytechnique où un homme détenteur d'un certificat d'acquisition d'armes à feu avait acheté une Ruger Mini 14 et a tiré sur 27 personnes, tuant 14 jeunes femmes. Cet événement a montré la nécessité d'un meilleur dépistage, ce que prévoient les dispositions relatives aux permis. La deuxième question était liée à la localisation des armes à feu elles-mêmes. D'ailleurs, vos collègues qui sont intervenus en premier au Collège Dawson nous diront que c'est leur vérification de la plaque d'immatriculation du tueur qui leur a permis de connaître son identité et de savoir qu'il possédait un fusil. Les premiers intervenants lors de cet incident vous diraient que le registre leur a permis de répondre plus efficacement que s'ils n'avaient pas eu accès en temps réel aux renseignements sur le propriétaire des armes et sur ses armes.

Le sénateur Baker : J'ai une question pour Me Friedman au sujet de la signification de certains mots.

Maître Friedman, êtes-vous le Solomon Friedman qui a récemment gagné une cause sur la garde et le contrôle devant la Cour supérieure de l'Ontario?

M. Friedman : J'étais avocat adjoint pour un appel. Je ne sais pas si c'est ce à quoi vous faites allusion.

Le sénateur Baker : C'est en effet ce à quoi je fais allusion; au sujet de la signification en droit des termes « garde et contrôle ». C'est un cas remarquable. Félicitations.

Nous parlons ici de contrôle des armes à feu, et je veux vous poser une question sur un article du projet de loi dont on a beaucoup parlé au cours de ces audiences. L'article 11 indique que l'article 23 de la Loi sera remplacé par le texte suivant :

(b) Le cédant n'a aucun motif de croire que le cessionnaire n'est pas autorisé à acquérir et à posséder une telle arme à feu.

Dans vos remarques, vous avez fait allusion à un « second examen objectif » ici au Sénat. Ce que nous faisons très bien ici, c'est de demander l'explication et le sens de certains mots et l'intention qui se cache derrière. Le sénateur Fraser a demandé sans détour au ministre ce que ces mots signifiaient, quelle en était l'intention et quel était le fardeau de la preuve, et le ministre a fixé une norme très stricte pour faire la preuve qu'il n'y a « aucun motif de croire ». Il a expliqué en détail comment on veillait à ce que la personne soit un titulaire légitime de permis.

Est-ce qu'un juge va regarder cet article et dire : « Que signifie cette phrase? » et simplement donner un motif, ou bien le tribunal va-t-il plus probablement revenir à ce qu'était l'intention du ministre quand il a comparu devant le comité sénatorial et l'appliquer à la norme à utiliser?

Pourriez-vous donner une explication pour le comité et le public?

M. Friedman : La réponse à cette question est à deux volets. Le premier est celui de l'interprétation générale en matière juridique et constitutionnelle. Par exemple, lorsqu'on a un compte rendu des débats ou des témoignages en comité dans lequel un ministre ou des fonctionnaires du gouvernement expliquent l'intention d'un texte de loi, les tribunaux ne sont pas liés par cette explication. Elle est instructive, elle est intéressante et elle peut contribuer au débat, mais comme nous l'avons vu dans l'interprétation de l'article 7 de la Charte des droits et libertés, les tribunaux n'ont tout simplement pas tenu compte de certaines déclarations.

Ce sera au tribunal d'interpréter l'intention du Parlement en fonction du sens ordinaire, du contexte et d'une foule d'autres facteurs interprétatifs. Par conséquent, le témoignage du ministre devant ce comité ne serait pas un facteur déterminant; il serait intéressant et instructif pour un tribunal, mais pas un facteur décisif.

Le sénateur Baker : Quel serait le poids accordé à l'interprétation du ministre?

M. Friedman : C'est une question d'ordre juridique, mais cela dépendrait des autres facteurs en cause dans l'interprétation de cette phrase. Par exemple, les tribunaux examineraient sa position dans le texte de loi dans son ensemble. Ils tiendraient compte de ce qu'elle essaie de modifier exactement et de l'existence d'autres dispositions similaires. Je pourrais peut-être vous être utile à cet égard, et c'est la deuxième partie de la réponse

Je pense que cette disposition reflète l'interdiction pénale en vigueur, qui existe déjà dans le Code criminel — et dans le Code criminel depuis l'adoption de l'AAAF, et ensuite le système de permis — c'est-à-dire l'interdiction du trafic illicite des armes à feu. Cela veut dire que la cession, voire l'offre de cession d'une arme à feu ,à quelqu'un qui n'est pas autorisé à en posséder une est, a été et restera une infraction criminelle.

Je ne veux pas donner l'impression de donner une leçon, mais la norme générale en droit criminel — toujours — pour une infraction criminelle est ce que l'on appelle la mens rea, l'intention criminelle; il faut activement, subjectivement avoir commis cette infraction. Nous ne privons pas à la légère la liberté des gens. Un tribunal doit être convaincu hors de tout doute qu'une personne avait l'intention de commettre une infraction criminelle, quelle qu'elle soit.

C'est ce que je ferais valoir en tant qu'avocat de la défense, mais permettez-moi de tenter d'expliquer la norme. Une personne a cédé une arme à feu. Comment la personne a-t-elle satisfait à cette exigence? Que veut dire « aucun motif de croire »? Je suppose qu'il est tout à fait possible que les tribunaux y introduisent une sorte de diligence raisonnable : A- t-on recherché un permis? Savait-on que cette personne avait obtenu un permis?

Mais comme aucun processus n'est défini, il incomberait à la Couronne de prouver que la personne savait, pour une raison quelconque, que le cessionnaire n'était pas autorisé à acquérir l'arme à feu. Le fardeau de la preuve incomberait à la Couronne, et je pense que la norme de diligence raisonnable satisferait probablement à cette exigence.

Le sénateur Baker : Et tiendrait-il compte des déclarations du ministre devant le comité pour appuyer sa proposition?

M. Friedman : Je ne peux pas parler des déclarations du ministre car je ne sais pas exactement ce qu'il a dit au comité.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Friedman, ma question s'adresse à vous. Je pense que vous connaissez très bien le registre et son historique. Je me souviens, en 1992 ou 1993, lorsqu'il y a eu un débat pour savoir quelle sorte de registre on voulait se donner, on a opté pour l'autoenregistrement. Les chasseurs devaient eux-mêmes s'enregistrer.

Est-ce que cette condition de l'autoenregistrement qu'on a eue au départ à fait en sorte qu'aujourd'hui, les données sont tout à fait inexactes? On parle de 90 p. 100 de taux d'erreur.

J'ai un ami à Québec qui, pour tester ce qu'on pouvait rentrer comme donnée, a enregistré un manche à balai comme arme. Aujourd'hui, combien nous en coûterait-il pour se doter d'un registre vraiment efficace et pour le maintenir efficace? On ne pourrait pas maintenir l'autoenregistrement à long terme parce qu'on va se retrouver dans 10 ans avec le même type de registre qui contient de l'information inopportune, même dangereuse, vous l'avez dit tantôt.

Donc le choix qu'on aurait, ce serait d'avoir un registre similaire au registre des permis d'autos où l'État, chaque année, contacte le citoyen — dans le cas du registre des armes à feu, ce serait le chasseur — pour s'informer s'il a changé d'adresse ou s'il possède encore ses armes. Il y aurait un contrôle beaucoup plus serré à faire.

Selon votre expérience, combien ce contrôle nous coûterait-il?

[Traduction]

M. Friedman : Je vous remercie, sénateur. Je ne suis évidemment pas qualifié pour parler de ce qui concerne l'administration financière et de ce qu'il en coûterait au gouvernement pour imposer un autre type de système d'enregistrement. Mais je pense que le coût d'un système d'enregistrement, par auto-vérification et autres, a été énorme du fait qu'il a été mis en œuvre dans le cadre du droit pénal, c'est-à-dire qu'il est associé à des sanctions pénales et des conséquences en droit pénal.

Nous avons tous entendu parler de l'enregistrement d'agrafeuses et de sèche-cheveux. Personne ne préconise ce genre de méfait, mais il souligne le fait que les données seront toujours intrinsèquement inexactes et difficiles à vérifier. Ayant travaillé sur le terrain avec des personnes accusées ou faisant l'objet d'une enquête en vertu de la Loi sur les armes à feu, je pense que la mise en place de l'enregistrement des armes à feu s'est faite de façon toute théorique, c'est-à-dire sans tenir compte précisément de la façon dont les Canadiens ordinaires utilisent leurs armes à feu.

Par exemple, on dit que les données du registre sont utiles pour informer la police sur la présence ou non d'armes à feu dans une résidence. Cette supposition ne tient absolument pas compte de la réalité de la loi sur le registre. Si on possède une arme à feu non restreinte, on est autorisé à la prêter indéfiniment à toute personne autorisée. On peut d'ailleurs le faire sans vérifier le permis, pour ce qui est de l'application de l'article 23. C'était la loi et elle continuera d'être appliquée. On n'a pas besoin d'informer le gouvernement et on n'a pas besoin d'appeler l'entité qui administre le registre. Si l'autre personne est titulaire d'un permis et que vous en êtes convaincu, vous pouvez placer cette arme à feu chez elle sans jamais en informer quiconque.

Lorsque ce point a été soulevé, les défenseurs du contrôle des armes ont souvent dit : « Pourquoi faut-il informer la police chaque fois, par exemple, que l'on déplace une arme à feu? » Les armes à feu sont utilisées des dizaines de milliers de fois par jour, probablement plus souvent que ces contrôles du registre. Les armes à feu sont utilisées et sont déplacées de maison en maison, en milieu urbain et en milieu rural. On ne tient tout simplement pas compte de la fréquence de l'utilisation innocente des armes à feu au Canada.

C'est la raison pour laquelle les coûts ont grimpé en flèche : personne ne s'est demandé comment les Canadiens respectueux de la loi utilisaient les armes à feu et combien il en coûterait d'établir un registre.

Le sénateur Fraser : J'ai une autre question à ce sujet, mais j'attendrai la prochaine série de questions s'il y en a une.

Le président : On vous laissera le temps.

Le sénateur White : Merci de votre présence aujourd'hui, monsieur Friedman, et madame Cukier également.

Certains disent que la bonne utilisation des armes à feu repose sur la formation, l'éducation et les permis. Le projet de loi laisserait intactes les exigences relatives à chacun de ces aspects.

Avez-vous une opinion, juridique ou autre, monsieur Friedman, concernant le maintien de ces exigences dans de futures lois sur les armes à feu si le projet de loi est adopté?

M. Friedman : J'ai effectivement une opinion à ce sujet et je pense que c'est une question de cible. Je vais au palais de justice d'Ottawa tous les jours et je constate que les rôles pour les audiences de renvoi ou de mise en liberté sous caution concernent souvent des infractions liées aux armes à feu. Je peux vous dire, d'après mes conversations quotidiennes avec mes collègues et les agents de police, que l'utilisation criminelle des armes à feu est le fait de personnes qui n'auraient jamais dû obtenir un permis pour commencer. Ce sont des personnes qui font déjà l'objet d'ordonnances d'interdiction. Ce sont des personnes qui commettent des crimes avec des armes à feu de contrebande.

Je pense qu'il est temps que le Parlement, par la législation, oublie cette imposition aux propriétaires d'armes à feu respectueux de la loi de règlements de plus en plus stricts depuis 40 ans. Il est temps de consacrer les ressources limitées à autre chose. Deux milliards de dollars, c'est beaucoup d'argent, et un coût d'entretien continu allant jusqu'à 50 millions de dollars pour l'ensemble du programme des armes à feu, c'est aussi beaucoup d'argent. Il vaudrait mieux cibler la prévention de la criminalité et la lutte contre la criminalité et non, comme je l'ai dit, le cinéma de la lutte contre la criminalité.

Le sénateur Fraser : Deux milliards de dollars ont été dépensés; on ne peut pas les récupérer. Selon la GRC, l'abolition du registre des armes d'épaule ne permettra d'économiser que 4 millions de dollars par an.

Ma question avait trait aux fréquentes erreurs dans le registre des armes à feu. Je suis sûre que des erreurs sont commises dans n'importe quelle activité humaine, pourquoi pas dans le registre des armes à feu. Quelle proportion de ces erreurs, d'après votre expérience, serait attribuable à la désuétude possible d'une bonne partie des renseignements contenus dans le registre en raison de l'amnistie en vigueur depuis maintenant six ans?

M. Friedman : Je vais dire deux choses très brèves à ce sujet. Premièrement, malgré l'amnistie en vigueur, la police continue de porter des accusations criminelles et de procéder à des poursuites au criminel pour violation du registre des armes d'épaule. Ce n'est pas que l'on ait suspendu l'application, tout au moins ici, du registre des armes d'épaule. Par conséquent, je ne suis pas sûr de son effet éventuel sur l'enregistrement des armes à feu.

Le registre des armes à feu contient des erreurs tout comme n'importe quelle base de données du gouvernement. Les erreurs que contient le registre des armes à feu ont les conséquences les plus graves imaginables selon notre droit. Il n'y a pas de sanction plus sévère que celle imposée par le droit pénal et il n'y a pas de processus plus lourd qu'une accusation au criminel. On peut avoir des erreurs dans le registre des immatriculations de véhicules automobiles. La police ne viendra pas défoncer votre porte et perquisitionner parce que les chiffres sur votre plaque d'immatriculation ne correspondent pas aux numéros sur votre permis de conduire, mais cela pourrait arriver, et est d'ailleurs arrivé, à des Canadiens à la suite d'erreurs dans le registre des armes à feu.

Le sénateur Fraser : Je pense que votre réponse à ma question c'est « Je ne sais pas ».

M. Friedman : Je pense qu'il est très difficile de déterminer — en tout cas pour moi, qui n'ai pas d'antécédents en statistiques — l'effet que l'amnistie a pu avoir sur les propriétaires d'armes à feu. Je dis simplement que l'on continue comme avant quand il s'agit d'engager des poursuites et de donner suite aux accusations de violation du registre des armes d'épaule. Il m'est arrivé souvent d'aller jusqu'au jour du procès avant de dire : « À propos, il y a une amnistie. » J'ai déjà informé la Couronne à ce sujet, et le juge, par exemple, me dit : « D'accord. On ne tient pas compte de ces accusations. »

Mme Cukier : La province où vous travaillez est celle où le sénateur White était récemment le chef de la police, et c'est un contexte complètement différent de ce que je connais. Je sais qu'au Québec, par exemple, on n'a pas donné suite à des accusations lors d'une saisie de drogues qui avait permis de découvrir 20 fusils et fusils de chasse non enregistrés, principalement en raison de l'amnistie. Il y a eu un cas dans l'Ouest où un homme qui avait été accusé de laisser son fils utiliser une arme non enregistrée, qui a ensuite été utilisée dans l'assassinat d'un agent de police, n'a pas été inculpé en raison de l'amnistie.

Il serait intéressant que le Sénat, et ce comité en particulier, demande des preuves précises de cas où des gens respectueux de la loi ont été jetés en prison pour des problèmes administratifs par rapport à des cas où des accusations ont été abandonnées en raison de l'amnistie.

N'oubliez pas que certaines des données qui figurent dans le système ont été raisonnablement bien vérifiées, car ce sont des données entrées au départ. Les données susceptibles d'être erronées sont normalement des données auto-déclarées qui étaient normalement censées être corrigées et mises à jour au fil du temps.

Je reviens à ce que je disais au début, à savoir que les données du registre ont été utilisées avec succès dans des milliers de déclarations sous serment pour soutenir des milliers de cas et souvent aussi par la police partout au pays pour retirer des armes à feu dans des situations dangereuses.

Le sénateur Lang : Je voudrais préciser, pour mémoire, que tout au moins là d'où je viens, les choses continuent comme avant pour le renouvellement des permis et la vérification du registre. Je parle d'expérience.

Je pense que l'on peut dire avec certitude que si nous faisions une étude exploratoire dans l'ensemble du pays, nous verrions que malgré l'amnistie, tous ceux qui ont une arme d'épaule et un permis doivent le renouveler et passer par le processus. Je serais surpris qu'il en soit autrement.

J'aimerais également dire que M. Friedman, et peut-être ceux qui militent pour le maintien du registre des armes à feu, ne se rendent pas compte de l'ampleur de la menace de poursuites pénales pour les personnes qui ont des armes chez elles et de la menace de voir la police entrer dans leur maison à tout moment sur la base de preuves substantielles fragiles, si tant qu'il y en ait. Vous n'avez aucune idée de ce que l'on peut ressentir. On peut ne pas en tenir compte, mais le fait est que c'est une réalité, et c'est pourquoi, en grande partie, nous étudions cette question aujourd'hui.

Ma question s'adresse à M. Friedman. Elle a trait à l'inexactitude de l'enregistrement. Nous continuons de revenir au registre, et le fait est que l'enregistrement lui-même comporte beaucoup d'erreurs, ce qui met en doute sa crédibilité. C'est une chose de dire que nous avons un registre, mais c'en est une autre de dire : Est-il valable et sert-il à quelque chose? S'il contient des erreurs, alors je dirais qu'il ne sert à rien.

Monsieur Friedman, vous avez abordé ce point tout à l'heure. Du point de vue d'un agent de police qui comparaît dans un tribunal et utilise le registre comme preuve, peut-il déclarer sous serment que c'est une preuve et qu'elle peut être utilisée dans un tribunal?

M. Friedman : C'est une question intéressante. Je sais très bien — et Mme Cukier a raison à ce sujet — que d'innombrables déclarations sous serment sont obtenues en se fondant sur les données du registre. Je ne sais pas si je dois trouver cela rassurant ou préoccupant, mais le fait est que les agents de police jurent de l'exactitude des données du registre et que les juges de paix délivrent des mandats de perquisition sur cette base.

Quand vous parlez de la menace d'accusation au criminel, je pense qu'il n'y a rien de rassurant dans le fait que les propriétaires d'armes à feu ne sont pas régulièrement « jetés en prison » pour ces violations. Une simple accusation au criminel est bouleversante pour le citoyen moyen, et la perspective d'un casier judiciaire dans notre société n'est pas quelque chose que l'on peut prendre à la légère et dire : « Ne vous inquiétez pas. La police va régler le problème. On va porter des accusations et on les abandonnera plus tard. »

Absolument, l'inexactitude des données du registre des armes à feu a conduit à de nombreuses accusations au criminel par erreur et a éventuellement nui à d'autres poursuites.

Le président : Je vais revenir à vous, madame Cukier, dans une minute.

Le sénateur Baker : Juste une autre question sur ce point afin d'être bien clair pour ceux qui nous regardent et nous écoutent. Monsieur Friedman, vous nous dites qu'un mandat est délivré par un juge de paix. En exécution du mandat, les policiers utilisent des tactiques qui sont inhabituelles parce qu'ils croient que des armes à feu peuvent se trouver dans le logement où ils entrent. Autrement dit, c'est un des facteurs dont la police tient compte. Elle utilise « l'équipe tactique et de secours », sans frapper.

M. Friedman : C'est exact.

Le sénateur Baker : Ils abattent la porte, jettent tout le monde par terre et mettent les menottes. Est-ce qu'ils utilisent également ces grenades sonores en Ontario?

M. Friedman : Des dispositifs de diversion ou incapacitants.

Le sénateur Baker : Oui, les grenades incapacitantes, et le premier groupe arrive avec des mitrailleuses.

M. Friedman : L'équipe tactique utilise souvent des fusils d'assaut.

Le sénateur Baker : Oui. Ce serait la façon normale de procéder dans ce cas particulier, n'est-ce pas, tout simplement parce qu'il est question d'armes à feu? Il est regrettable que cela se produise, mais je voudrais vous demander quel est l'article du code en cause. Est-ce l'article 487.01 qui est invoqué dans ce cas?

M. Friedman : On utilise différents articles selon les cas.

Le sénateur Baker : Quel article est invoqué dans ce cas-ci?

M. Friedman : Il s'agit souvent de l'article 117.04, dans le cas d'une demande de perquisition d'un domicile pour des raisons de sécurité publique en raison de la présence ou de la présomption de la présence d'armes à feu.

Je me permets de ne pas être d'accord, sénateur Baker, sur le fait que...

Le sénateur Baker : Allez-y. Je savais que vous ne seriez pas d'accord.

M. Friedman : Je ne pense pas qu'il soit acceptable que la police, de façon routinière, sous prétexte qu'elle recherche des armes à feu, utilise, par exemple, une entrée dynamique ou défonce la porte. La Cour suprême, dans l'affaire Cornell, a conclu que lors de la planification de la méthode d'entrée, la police doit examiner les facteurs propres au cas et fondés sur des faits qu'elle a établis pour décider si elle dérogera à la règle normale dans ce pays qui est la règle constitutionnelle de l'avertissement préalable à l'entrée.

La simple présence d'armes à feu, même si un mandat d'entrée sans avertissement peut être justifié dans certaines circonstances, ne peut en aucun cas devenir une permission générale donnée à la police de ne pas avertir avant d'entrer.

Le sénateur Baker : Un juge a décidé qu'un mandat de perquisition serait délivré par un juge de paix.

M. Friedman : Il n'y a pas eu de décision.

Le sénateur Baker : Il faut regarder la déclaration sous serment qui est à l'origine du mandat de perquisition, l'information donnée sous serment pour l'obtenir.

M. Friedman : Il ne faut pas oublier qu'une information donnée sous serment pour obtenir un mandat est obtenue ex parte; personne ne peut la contester ou faire valoir un point de vue différent.

Le sénateur Baker : C'est vrai. C'est la loi.

M. Friedman : Quand on prend une décision, on tient compte des deux côtés. Ceci n'est pas une décision. Je comprends que c'est le processus à suivre et que c'est une bonne solution; en général, on n'informe pas les gens que l'on va exécuter un mandat de perquisition.

Le sénateur Baker : Les gens vont disparaître.

M. Friedman : Mais le juge de paix est quand même obligé, en vertu de notre droit, d'examiner de façon critique à la fois les éléments de preuve qui justifient le mandat et la manière dont la police a l'intention de mener la perquisition. Que j'estime qu'ils sont trop déférents, en particulier dans les cas d'armes à feu, est une autre affaire.

Le président : Madame Cukier, vous vouliez faire une dernière observation.

Mme Cukier : Oui. Merci beaucoup. On a beaucoup parlé d'exactitude. Il est important de faire la différence entre les perquisitions avec et sans mandat. Un certain nombre des observations qui ont été faites laissent entendre que la simple présence d'une arme à feu autorise la police à faire une perquisition sans mandat. Ce n'est pas vrai. La loi prévoit des inspections des collectionneurs avec préavis s'ils possèdent plus de 15 armes à feu. Je pense qu'il est très important de s'appuyer sur les faits.

Je voulais également faire remarquer, et le comité pourrait vouloir en tenir compte, qu'un grand nombre des questions qui ont été soulevées ont concerné les préoccupations au sujet des accusations au criminel portées contre des citoyens respectueux de la loi pour de simples infractions administratives.

Une des recommandations, par exemple, que l'Association canadienne des policiers a présentée à ce sujet était l'ajout d'une accusation non pénale qui pourrait être utilisée dans les cas où des gens ont enfreint les dispositions. Personne autour de cette table ne semble envisager cette solution pour éliminer l'enregistrement des armes à feu et la destruction des données.

Je vous conseillerais d'examiner attentivement les sanctions actuellement en place et d'essayer d'obtenir des données précises sur les cas qui vous ont été mentionnés concernant l'exécution de mandats de perquisition avec des grosses bottes et des bris de portes, à la suite de la fourniture de renseignements inexacts provenant du registre. Je pense que vous devriez vous renseigner sur ces cas. Nous serions heureux de fournir des preuves sur l'utilité de la loi, parce que je pense qu'il y a beaucoup de conjectures et de désinformation et beaucoup de situations hypothétiques qui ont été transformées en déclarations de fait. Vous pourriez peut-être aller un peu plus loin, si vous avez le temps, sur la base de ces arguments et des données empiriques que nous serons ravis de vous fournir. Merci beaucoup de votre temps.

Le président : Merci. Nous avons entendu des exemples hypothétiques des deux côtés. C'est à nous de faire le tri et de fonder notre décision sur des faits.

M. Friedman : Brièvement, pour conclure. Aucune des descriptions de l'utilisation du registre des armes à feu et des autres outils de contrôle des armes à feu dans la Loi sur les armes à feu et le Code criminel que j'ai mentionnées n'est hypothétique en aucune façon.

Je pratique le droit pénal dans l'est de l'Ontario, de Cornwall à Belleville et dans beaucoup d'autres endroits entre les deux. Ils représentent des juridictions différentes et un large éventail de services de police, y compris le Service de police d'Ottawa, la GRC et la PPO. Cela n'a rien d'hypothétique pour les propriétaires d'armes à feu. La sécurité publique et les infractions au registre sont souvent invoquées comme prétexte pour obtenir un mandat qui n'aurait jamais été délivré pour d'autres motifs, ou comme simple prétexte pour procéder à des perquisitions et des saisies chez des Canadiens ordinaires. Merci beaucoup.

Le président : Merci de cette précision.

Mme Cukier : Obtenez les faits.

Le président : Voilà qui conclut notre discussion avec ce groupe. Madame Cukier, merci beaucoup. Nous avons pris plus de temps que prévu, mais cela nous a été très utile.

Monsieur Friedman, merci beaucoup.

Nous allons lever la séance jusqu'à mercredi de la semaine prochaine.

(La séance est levée.)


Haut de page