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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 36 - Témoignages du 9 mai 2013


OTTAWA, le jeudi 9 mai 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 16, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac), et le projet de loi C-299, Loi modifiant le Code criminel (enlèvement d'une jeune personne), se réunit aujourd'hui, à 10 h 32, pour examiner les projets de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui assistent aujourd'hui aux délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Aujourd'hui, nous terminerons l'étude article par article du projet de loi S-16, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac). Ensuite, nous poursuivrons l'examen du projet de loi C-299, Loi modifiant le Code criminel (enlèvement d'une jeune personne). Ce sera notre deuxième réunion consacrée à l'étude de ce projet de loi.

J'informe les membres du comité que nous accueillons parmi nous aujourd'hui un représentant du ministère de la Justice du Canada, M. Paul Saint-Denis, avocat principal à la Division de la politique en matière de droit pénal. S'il y a des questions d'ordre technique, M. Saint-Denis y répondra avec très grand plaisir.

Est-il convenu de procéder à l'étude article par article du projet de loi S-16, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac)?

Des voix : D'accord.

Le président : L'étude du titre est-elle reportée?

Des voix : D'accord.

Le président : L'étude de l'article 1, qui contient le titre abrégé, est-elle reportée?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 2 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Joyal : Avec dissidence.

Le président : Adopté, avec dissidence.

L'article 3 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté, avec dissidence.

L'article 4 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

Le projet de loi est-il adopté?

Le sénateur Joyal : Avec dissidence.

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté, avec dissidence.

Le comité souhaite-t-il annexer des observations au rapport?

Le sénateur Baker : Pendant nos délibérations, je suis certain que le sénateur White et le sénateur Dagenais ont été frappés par le témoignage du surintendant Carson Pardy, le directeur des opérations de la Police provinciale de l'Ontario pour la région de l'Est, lorsqu'il a répondu à une question concernant la décision de la Cour de justice de l'Ontario dans l'affaire R. c. Boudreau, 2006 CarswellOnt 8965.

Le président : Je suis désolé, sénateur Baker, puis-je demander une précision? Dites-vous que vous souhaitez annexer une ou plusieurs observations?

Le sénateur Baker : C'est exactement ce que je propose.

Le président : Je devrais vous aviser que conformément à l'article 12-16(1)d) du Règlement, nous avons le choix de mener la discussion à huis clos ou en public. Je laisse le comité en décider.

Le sénateur Baker : Aussi bien en discuter en public, parce que c'est lié au témoignage de la Police provinciale de l'Ontario.

Le président : Le comité est-il d'accord? Très bien; allez-y, s'il vous plaît.

Le sénateur Baker : Dans cette affaire, le juge a rejeté toutes les preuves relatives à la contrebande de tabac, soit plus de 60 000 cigarettes trouvées dans deux véhicules. La raison principale invoquée par le juge de première instance, c'est que dans leur territoire, les agents de la Police provinciale de l'Ontario n'avaient pas le pouvoir d'effectuer une fouille du véhicule en vertu de l'alinéa 99(1)f) de la loi. C'est à la GRC qu'est conféré ce pouvoir. Le juge a mentionné le fait que dans cette disposition, ce qui prévaut pour la fouille d'un véhicule est le « doute raisonnable », tandis que le sénateur White a souligné qu'en vertu des dispositions du Code criminel, c'est « soupçon ». Pour avoir un doute raisonnable, le soupçon ne suffit pas; il faut plus de preuves.

En étudiant la jurisprudence, j'ai constaté que les forces policières du Québec sont soumises à certaines restrictions. Selon le témoignage que nous avons entendu, il ne fait aucun doute que l'approche coordonnée entre les agents des douanes et accises et la GRC fonctionne. Cependant, rejeter des preuves pendant un procès parce qu'un policier de la Police provinciale de l'Ontario ou de la Sûreté du Québec n'a pas les mêmes pouvoirs qui sont conférés en vertu de la Loi sur les douanes ou de la Loi sur la GRC à un étudiant embauché pour l'été par Douanes Canada ne devrait certainement pas être toléré. Je suis contre une disposition qui indique qu'un policier peut fouiller un véhicule en fonction de soupçons, mais c'est ce qui est prévu dans la Loi sur les douanes. Ce pouvoir est accordé à quiconque travaille sous le régime de la Loi sur les douanes. C'est aussi dans la Loi sur l'accise, mais cette même restriction est fondée sur la définition d'un « agent », qui doit être un agent de la GRC ou une personne ayant ce pouvoir en vertu de la loi.

Le comité devrait annexer au rapport une observation selon laquelle la Chambre des communes — ou le gouvernement — devrait à l'avenir songer à modifier ces deux lois de façon à permettre l'inclusion automatique de la Sûreté du Québec et de la Police provinciale de l'Ontario, étant donné que toute la jurisprudence que nous examinons par rapport à ce projet de loi concerne les provinces de l'Ontario et du Québec, et à inclure ces policiers dans la définition d'un « agent » dans ces deux lois fédérales. C'est ce que je propose.

Le sénateur White : Je suis d'accord. Les témoins considèrent cela comme une lacune de la loi. Je suis heureux de constater que nous discutons des observations plutôt que de retarder l'adoption du projet de loi. Je pense que ce serait un pas en avant et je considère qu'il n'y a rien de négatif à ce que le gouvernement se penche aussi sur la question. En étudiant cette question, nous avons constaté que l'Ontario et le Québec sont deux des provinces qui posent le plus problème, et je pense qu'étendre ce pouvoir à deux corps policiers provinciaux importants leur faciliterait beaucoup la tâche pour régler les problèmes auxquels ils sont confrontés.

Le sénateur Joyal : Je ne suis pas seulement d'accord, mais nous ne pourrions apporter ces modifications parce que nous ne sommes pas saisis de la Loi sur la taxe d'accise. Ce dont nous sommes saisis, c'est le Code criminel. Même si nous voulons régler le problème, nous ne pouvons le faire parce que dans sa forme actuelle, le projet de loi ne comporte que des modifications au Code criminel. C'est la seule façon que nous pouvons faire connaître notre consensus à cet égard. Même la Chambre des communes ne peut résoudre le problème, à moins de présenter un nouveau projet de loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise. À cette étape-ci, je pense que c'est la seule façon d'indiquer que nous convenons que la Loi sur la taxe d'accise devrait être modifiée.

Le président : Je pense que nous avons un consensus à cet égard.

Le sénateur Baker : Monsieur le président, nous reconnaissons qu'en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, le ministre a l'autorisation de désigner des corps policiers; le représentant fort compétent du ministère de la Justice acquiesce de la tête. À ma connaissance, une telle disposition n'existe pas dans la Loi sur les douanes. Cela dit, je pense que le témoignage de la Police provinciale de l'Ontario nous indique que nous devons conclure, d'après la jurisprudence — et je vais la fournir aux gens présents pour qu'ils puissent prendre des notes directement — que la définition d'un « agent » devrait inclure les corps policiers provinciaux de l'Ontario et du Québec.

Le président : Souhaitez-vous proposer un libellé précis?

Le sénateur Baker : Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que le libellé précis devrait être laissé à la discrétion du ministre lorsqu'une modification sera proposée, s'il y a lieu, mais étant entendu qu'il faut régler le problème que l'on constate dans les exemples de la jurisprudence qui nous ont été fournis. Le problème devrait être réglé de façon à ce que l'on ne reconnaisse pas seulement la GRC en plus de ceux qui se voient conférer l'autorité en vertu des deux autres lois, mais aussi les forces policières du Québec et de l'Ontario qui sont quotidiennement aux prises avec ce problème.

Le sénateur Joyal : Je déteste être en désaccord avec mon éminent collègue, mais je crois que dire « tout corps policier provincial » serait plus judicieux, parce que nous en avons eu un exemple dans les Maritimes. Je pense qu'il serait préférable d'avoir un libellé plus général.

Le sénateur Baker : Je suis d'accord avec vous sur ce point.

Le sénateur Joyal : Je n'aime pas vous contredire, mais je pense que l'on devrait s'en tenir à l'expression plus générale qu'est « police provinciale ».

Le président : Est-il convenu que le comité de direction soit habilité à approuver le texte final des observations? Nous pouvons nous assurer que ce sera conforme à ce que vous proposez aujourd'hui. Êtes-vous d'accord?

Des voix : Oui.

Le président : Est-il convenu que la présidence fasse rapport du projet de loi au Sénat, avec les observations?

Des voix : D'accord.

Le président : D'accord.

Le sénateur Joyal : Monsieur le président, puisqu'il y aura des observations, je me demande s'il est nécessaire que vous en fassiez rapport immédiatement. Je propose que le sénateur White et le sénateur Baker — chacun de leur côté, peut-être — examinent le texte des observations de façon à ce que cela puisse être fait avant le dépôt du projet de loi.

Le président : Certainement.

Le sénateur Joyal : Si vous ne tenez pas à le déposer aujourd'hui, cela pourrait se faire lors de la première réunion après notre retour.

Le président : Le parrain du projet de loi y voit-il un problème?

Le sénateur White : Non.

Le président : Nous procéderons donc ainsi. La greffière m'indique qu'il faudra peut-être prévoir du temps pour la traduction.

J'aimerais passer immédiatement aux prochains. Chef, pourriez-vous vous avancer, s'il vous plaît? Je sais que nous avons des problèmes d'horaire aujourd'hui; nous aimerions donc traiter de ces questions le plus rapidement possible.

Nous allons maintenant poursuivre notre étude du projet de loi C-299, Loi modifiant le Code criminel (enlèvement d'une jeune personne). Le projet de loi propose une peine d'emprisonnement minimal de cinq ans lorsque la victime d'un enlèvement est âgée de moins de 16 ans, pourvu que la personne qui commet une infraction ne soit pas un parent ou une personne ayant la garde légale de la victime.

Aujourd'hui, nous avons la chance d'accueillir M. Rodney B. Freeman, le chef du Service de police de Woodstock.

Soyez le bienvenu, chef. Nous sommes heureux de vous accueillir ici. Je crois que vous avez une déclaration préliminaire.

Rodney B. Freeman, chef, Woodstock Police Service : En effet.

Monsieur le président, honorables sénateurs, mesdames et messieurs, permettez-moi d'abord de remercier chacun des membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui pour présenter mes observations sur cet enjeu très important. C'est vraiment un très grand honneur et un privilège d'être ici avec vous. Je m'appelle Rodney Freeman et je suis le chef de police de la ville de Woodstock, ce dont je suis très fier.

Permettez-moi de vous présenter le contexte, brièvement. Le 8 avril 2009, à 15 h 30, Victoria Stafford, huit ans, a été kidnappée alors qu'elle venait de partir de son école primaire pour retourner chez elle, à pied. Sous prétexte de lui montrer un chiot, Terri-Lynne McClintic l'a attirée vers un véhicule stationné où l'attendait son complice, Michael Rafferty. Une fois dans l'automobile, Victoria a été entraînée de force sur le siège arrière et a été immédiatement forcée à se coucher sur le plancher entre les sièges.

Après avoir enlevé Victoria à Woodstock, les ravisseurs ont emprunté l'autoroute 401 en direction est à peine quelques minutes plus tard et l'ont conduite à 130 kilomètres de l'endroit où elle a été enlevée, dans un secteur isolé tout juste à l'extérieur de Mount Forest, en Ontario. Pendant environ deux heures et demie, Victoria a vécu l'horreur d'être amenée de force par des étrangers loin de sa mère, de son frère, de sa famille, de ses amis et de notre ville. Assise sur le plancher à l'arrière de la voiture et cachée sous un veston, elle était constamment violentée et terrorisée par Michael Rafferty qui visait ainsi à la contrôler et à la garder hors de vue de tout témoin potentiel. Pendant tout ce temps, Terri-Lynne McClintic feignait de rassurer Victoria en sachant très bien l'horreur qui attendait la petite fille.

Ce crime odieux s'est poursuivi lorsqu'ils sont arrivés à destination, près de Mount Forest : Victoria a été sauvagement violée à répétition par Rafferty. Après avoir fait subir à Victoria une violence innommable, Rafferty et McClintic l'ont assassinée ensemble à coups de marteau répétés à la tête. Ses ravisseurs ont mis son corps brisé dans des sacs à ordures qu'ils ont ensuite dissimulés sous des roches. Au terme de la plus importante recherche au sol menée par les forces policières dans l'histoire de l'Ontario, nous avons découvert le corps de Victoria 103 jours après son enlèvement, le 19 juillet 2009. Son corps a ensuite été remis à sa famille afin qu'elle soit inhumée dans la dignité.

Après avoir plaidé coupable à l'accusation de meurtre au premier degré, McClintic s'est vu infliger une peine d'emprisonnement à perpétuité. À la suite d'un procès devant jury qui a duré trois mois et qui s'est terminé en mai dernier, Rafferty a été déclaré coupable d'agression sexuelle grave, d'enlèvement et de meurtre au premier degré. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.

Je suis ici aujourd'hui pour vous parler au nom de Victoria, une victime innocente qui a perdu la vie aux mains de deux des criminels les plus démoniaques que j'ai vus dans ma carrière. Je parle aussi au nom de sa famille, au nom de tous les gens chargés de l'application de la loi qui ont participé à l'enquête pendant trois ans et aussi au nom de notre collectivité. Tous ces gens ont vécu une peine et une angoisse énormes en raison du crime odieux qui a commencé par l'enlèvement d'une innocente fillette de huit ans.

J'espère que ma modeste contribution à votre discussion permettra la création de stratégies de prévention de la criminalité afin de protéger nos enfants, les citoyens les plus vulnérables de notre pays, et d'empêcher que des tragédies comme celle de Victoria ne se produisent. Victoria a connu un destin qu'aucun enfant sur cette terre ne devrait jamais avoir à subir. Les mesures proposées visent la mise en place d'une peine d'emprisonnement minimal de cinq ans afin de dissuader les délinquants potentiels de faire de nos enfants des victimes où que ce soit au pays. Elles visent à ce que les criminels démoniaques qui s'en prennent à nos enfants répondent pleinement de leurs actes devant les tribunaux.

À l'échelle provinciale, mon inspecteur des opérations policières, M. Bill Renton, entre autres, collabore avec notre député provincial, Ernie Hardeman, dans le but de créer ce qui sera, nous l'espérons, la loi de Tori, qui obligera toutes les écoles primaires à s'équiper d'un système de surveillance vidéo pour dissuader les délinquants de s'attaquer à nos écoliers et à fournir aux enquêteurs des preuves vidéo précieuses lorsque nos enfants sont victimes d'un crime. Les preuves vidéo fournies à nos enquêteurs à Woodstock ont été d'une importance cruciale dans les premières heures de la disparition et de l'enlèvement de Victoria.

Je sais qu'au cours des derniers mois, des tentatives d'enlèvements semblables ont été signalées, et ce, seulement à l'échelle locale, dans nos régions de Woodstock/Durham et de Guelph. Une fillette de huit ans y a été abordée par un homme, mais elle a réussi à se réfugier rapidement à la maison. Nous détenons un suspect dans cette affaire, qui est toujours devant les tribunaux. L'enquête a révélé qu'un véhicule suspect avait été aperçu à neuf reprises aux abords d'une école à des heures précises, avant et après les heures de classe. La preuve vidéo a été extrêmement utile dans cette affaire pour retracer le suspect et procéder à son arrestation.

En mars dernier, il y a eu un autre cas. Dans la ville d'Ajax, une fillette de 11 ans a été abordée par un homme qui prétendait que la mère de celle-ci l'avait enjoint de la ramasser à l'école. Cela s'est produit juste en face de l'école. Il s'agissait d'une autre équipe de délinquants composée d'un homme et d'une femme. La femme attendait dans la voiture. L'enfant est devenue méfiante parce que, Dieu merci, l'homme qui l'avait abordée ne connaissait pas le mot de passe familial. L'enfant a commencé à se méfier, et les délinquants se sont enfuis. L'incident est survenu en plein dans l'enceinte de l'école, mais celle-ci n'est pas dotée de caméras de vidéosurveillance.

En avril, la police de Chatham-Kent a enquêté sur deux incidents distincts au cours desquels un homme suspect — dont la description coïncide dans les deux cas — a abordé deux enfants, soit une fillette de neuf ans et un garçon de 12 ans, alors qu'ils retournaient à la maison à pied, après l'école. Il a tenté en vain de les attirer dans sa voiture.

Je vais laisser mon exposé de côté pendant une minute. Je crois qu'au Canada, les enfants ont absolument le droit de se rendre à l'école et d'en revenir en toute sécurité, du lundi au vendredi. Lorsque nous, les parents, envoyons nos enfants à l'école, nous nous attendons à les retrouver sains et saufs à la fin de la journée.

En tant que chef de police, j'appuie fermement les amendements législatifs proposés dans le projet de loi C-299, qui contribueront à rendre les collectivités canadiennes plus sûres et à protéger nos enfants. Tout acte criminel, au cours duquel un inconnu enlève un enfant de moins de 16 ans, menace directement et mortellement la vie de la victime. Dans notre cas, les meurtriers avaient acheté le marteau qu'ils allaient utiliser pour tuer Victoria avant d'atteindre leur destination finale, sachant — et cette citation est tirée des éléments de preuve présentés devant le tribunal — qu'ils ne pouvaient « ni la garder, ni la relâcher ». Ils savaient ce qui allait se produire.

Les Canadiens doivent savoir que leurs services de police et leurs représentants à tous les ordres de gouvernement travaillent ensemble à assurer leur sécurité et surtout celle de leurs enfants et des autres personnes les plus vulnérables. Voilà pourquoi je suis ici aujourd'hui. Les citoyens de ma ville de Woodstock et tous les Canadiens veulent avoir l'assurance que leurs enfants sont en sécurité dans leur quartier mais que, s'ils sont victimes d'un crime, les délinquants seront traités fermement par le système de justice pénale et devront assumer les conséquences de leurs actes criminels graves, comme une peine minimale d'emprisonnement de cinq ans, s'ils ont kidnappé un enfant de moins de 16 ans.

Le président : Merci, chef. Nous allons amorcer les séries de questions en commençant par le sénateur Boisvenu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup pour votre témoignage. L'histoire de Victoria a été entendue à travers le Canada. Au Québec, nous avons eu le cas de Cédrika Provencher, à Trois-Rivières, où les policiers ont poursuivi leur enquête pendant des mois et des mois sans qu'on connaisse jamais la fin de cette histoire.

Dans ce cas, on a reproché aux policiers de prétendre que c'était une fugue et le délai dans l'intervention des spécialistes en disparition a fait en sorte que l'enquête a piétiné pendant longtemps. C'est le corps de police municipal qui a amorcé l'enquête qui a ensuite été transférée à la Sûreté du Québec. Et tout cela a créé un délai que les gens considèrent comme étant une des raisons pour lesquelles la disparition de Cédrika Provencher n'est toujours pas résolue.

Est-ce que vous avez vécu quelque chose de semblable dans le cas de Victoria, où les policiers locaux sont intervenus dans l'enquête et l'OPP est ensuite intervenue avec l'équipe de disparition? Est-ce que cela c'est passé ainsi?

[Traduction]

M. Freeman : Je vous remercie de votre question. Je serais ravi d'avoir l'occasion d'y répondre.

Avec le recul et les renseignements dont nous disposons maintenant, nous savons que Victoria a été kidnappée à 15 h 30, alors qu'elle quittait l'école. Lorsqu'elle ne s'est pas présentée à la maison, sa mère et sa grand-mère sont parties elles-mêmes à sa recherche. Elles pensaient que, comme c'était souvent le cas, elle jouait avec des amis quelque part et qu'elle n'était simplement pas revenue à la maison.

À 18 h 4, la grand-mère de Victoria a signalé sa disparition au quartier général de notre police locale. C'est à ce moment-là que le service de police de Woodstock a initialement mis en branle son enquête. Les agents qui ont enregistré le signalement ont immédiatement senti que cette enquête avait quelque chose de particulier. Chaque année, des centaines de personnes sont portées disparues à Woodstock, et 99,9 p. 100 de ces disparitions sont résolues sans que la criminalité y ait joué un rôle. Toutefois, dans le cas en question, les agents de police ont immédiatement senti que quelque chose clochait vraiment dans cette enquête.

Nous avons appelé les agents en repos, les pompiers volontaires et les bénévoles de la collectivité. Nous avons mené une recherche au sol très étendue. Différents témoins nous avaient indiqué qu'ils pensaient avoir vu Victoria dans différentes parties de la ville, dont une en particulier qui se trouve dans le sud de celle-ci. Par conséquent, les agents et les bénévoles ont concentré leurs efforts de recherche dans ce secteur.

J'ai été informé des événements à environ 20 heures. J'ai donné aux agents l'ordre d'utiliser toutes les ressources nécessaires pour ramener Victoria à la maison. J'ai également senti que les circonstances avaient quelque chose de louche.

Le même soir, nous avons demandé qu'une alerte AMBER soit diffusée. La Police provinciale de l'Ontario nous a indiqué qu'à ce moment-là, les circonstances de notre affaire ne répondaient pas aux critères requis, ceux-ci étant trop restreints. Depuis, j'ai participé à divers comités en vue d'élargir ces critères. Ainsi, un enfant porté disparu aura plus de chance de satisfaire aux conditions du programme d'alerte AMBER.

Nous avons également fait appel à l'hélicoptère de la Police provinciale de l'Ontario et à quelques ressources locales de cette dernière afin qu'ils nous aident à mener notre enquête. Dès le début, notre propre service de police a chargé environ 20 détectives d'enquêter sur l'affaire en suivant les pistes. Ce n'est qu'à peu près 18 heures plus tard que nous nous sommes rendu compte que Victoria avait été kidnappée, lorsque nous avons découvert la séquence de vidéosurveillance qui est maintenant tristement célèbre et qui montre la femme à la doudoune blanche s'éloignant de l'école avec Victoria. Nous avons alors su qu'une adulte avait enlevé Victoria, mais nous ne savions toujours pas pourquoi. Nous envisagions une vaste liste de motifs pouvant justifier son enlèvement, motifs qui comprenaient la culture de la drogue, tout comme les problèmes familiaux. L'enlèvement par des étrangers figurait toujours sur la liste mais, à ce stade très précoce, il était loin d'être au haut de celle-ci.

À mesure que l'enquête progressait, le public nous communiquait des indices à un rythme très rapide. Il a fallu que nous communiquions avec la Police provinciale de l'Ontario, afin d'obtenir des enquêteurs supplémentaires. Environ une semaine plus tard, 500 enquêteurs de la Police provinciale de l'Ontario nous apportaient leur aide.

Pendant un mois, j'ai continué d'espérer que nous retrouverions Victoria saine et sauve, qu'elle réapparaîtrait au milieu de la nuit dans un magasin populaire ou dans un hôpital quelque part. J'ai nourri des espoirs pendant un mois. Nous savons maintenant qu'à l'heure où nous avons été informés de sa disparition, les délinquants venaient probablement d'arriver à Mount Forest avec Victoria. Pendant que nous accélérions notre enquête, les délinquants étaient en train de la brutaliser et de l'assassiner, et ils étaient de retour dans notre ville de Woodstock, au plus tard à 21 heures ce soir-là. Nous en étions aux premières étapes d'une grave enquête sur la disparition d'une personne, et nous demandions déjà à diverses ressources locales ou régionales de la région de Waterloo ou du service de police de London, de même qu'à la Police provinciale de l'Ontario, de nous aider.

Sénateur, je peux vous assurer que, dès que la police a été mise au courant de l'absence inexpliquée de Victoria, toutes les ressources disponibles ont été mises à profit. Au bout du compte, 1 100 agents de police, 500 membres du personnel de soutien civil et de 18 à 20 millions de dollars ont été consacrés à l'enquête entourant la disparition de Victoria. Au début, il s'agissait simplement d'une absence. Puis nous avons appris qu'elle avait été enlevée et assassinée.

Le sénateur McIntyre : Je crois comprendre que vous ne voyez pas d'objection à ce que le projet de loi C-16 prévoie une peine minimale d'emprisonnement de cinq ans dans les cas d'enlèvement d'une personne âgée de moins de 16 ans, et que l'article 279 prévoie l'imposition d'une peine minimale d'emprisonnement de sept ans en cas de récidive et d'usage d'une arme à feu. À votre avis, est-il raisonnable d'imposer une peine d'emprisonnement de sept ans dans des cas de récidive? Dans la négative, pensez-vous que le code devrait être modifié, afin de tenir compte de la gravité de l'acte même?

M. Freeman : Sénateur, je suis évidemment très lié à cette enquête, sur le plan émotionnel. Le jour où nous avons trouvé le corps de Victoria, c'est-à-dire le 19 juillet 2009, était mon premier jour à titre de chef de police de Woodstock. J'ai noué des rapports étroits avec la famille de cette merveilleuse fillette que je n'ai jamais eu l'occasion de rencontrer.

En ce qui me concerne et en ce qui concerne la majeure partie de notre collectivité et de la société canadienne, si ces gens font peser une telle menace sur nos enfants, nous aimerions qu'ils soient incarcérés pendant très longtemps, à un endroit où ils peuvent peut-être suivre les programmes de réadaptation requis, si c'est possible. Nous ne pouvons tolérer que ces gens se promènent dans nos rues et côtoient nos enfants. Il faut qu'on les retire de notre société jusqu'à ce que leurs problèmes personnels soient réglés, ou qu'ils aient reçu un châtiment approprié. Je pense que les étrangers qui enlèvent des enfants devraient purger une peine d'au moins cinq ans.

Le sénateur McIntyre : Qu'en est-il des cas de récidive?

M. Freeman : Dans les cas de récidive, sept années d'emprisonnement ne suffisent pas. La peine minimale devrait être de 10 à 15 ans. Cela dépend également des circonstances, parce que l'horrible histoire de Victoria a commencé par une infraction d'enlèvement d'un enfant de moins de 16 ans, à laquelle se sont rapidement ajoutées de très graves infractions qui ont alourdi la peine.

Le sénateur Joyal : On nous a dit que les heures les plus cruciales d'un enlèvement sont celles qui suivent immédiatement l'infraction. Comme vous l'avez dit, on pense alors que l'enfant joue avec des amis ou qu'il sera en retard pour le souper. Vous avez admis que ces heures étaient cruciales.

Je me demande si le protocole que la police observe lorsqu'un enfant est porté disparu devrait être revu afin d'éviter que la situation soit mal interprétée et que, par exemple, l'on présume pendant ces premières heures que l'enfant s'est arrêté quelque part pour jouer ou s'est laissé distraire par quelque chose en cours de route. Que suggérez-vous dans des cas comme celui-là? Recommandez-vous des mesures précises? Vous devriez être bien placé pour nous renseigner à cet égard?

M. Freeman : J'ai repassé notre enquête dans ma tête un millier de fois au milieu de la nuit, et j'ai tenté de déterminer ce que nous pourrions faire différemment, le cas échéant. Dans ce cas en particulier, compte tenu des circonstances et des renseignements dont nous disposions à ce moment-là, je ne crois pas que nous aurions changé quoi que ce soit dans notre approche.

Pour vous donner une idée de l'ampleur du problème, je vous préciserais qu'environ 47 000 enfants ont été portés disparus en 2011. On pense qu'il s'agissait d'enlèvement par des étrangers dans seulement 25 de ces cas. Certains de ces enfants n'ont pas encore été retrouvés. La disparition d'un enfant peut être expliquée par un vaste éventail de raisons légitimes, et on doit commencer par interroger les gens afin d'identifier la personne qui a aperçu l'enfant pour la dernière fois et de déterminer la direction qu'il prenait. C'est ce que mes agents faisaient pendant ces premières heures, c'est-à-dire assurer le suivi de tous les aperçus de l'enfant qui nous étaient signalés. Nous informions les médias afin que la population sache que nous recherchions une fillette disparue, bien que nous ignorions à ce moment-là qu'il s'agissait d'un enlèvement et que nous ne disposions pas du signalement d'un véhicule suspect. Nous enquêtions également sur les membres de la famille, les amis et les voisins, afin de déterminer la cause profonde de son absence.

Comme je l'ai dit, dès la première étape de cette enquête, tous savaient à quel point elle était grave, et nous n'avons pas hésité à faire appel à toutes les ressources requises, y compris les hélicoptères, les bénévoles, les chercheurs et les enquêteurs. Aucun moyen n'a été négligé.

Le sénateur Joyal : À quel moment signalez-vous la disparition d'un enfant? Par exemple, un membre de sa famille le signale disparu — et nous allons parler en termes généraux afin d'éviter, comme vous pouvez le comprendre, d'être submergés par nos émotions en mettant l'accent sur une personne en particulier. À quel moment parvenez-vous à la conclusion que la disparition de l'enfant doit être communiquée à toute personne qui peut être prévenue, qui peut apporter une aide ou qui peut vous fournir des renseignements utiles?

M. Freeman : C'est l'enquêteur en chef qui prend cette décision en fonction de ce que les enquêteurs découvrent en interrogeant les amis, les membres de la famille et les voisins. L'âge de l'enfant est un facteur déterminant. Ce qui rendait le cas de Victoria particulier, c'était le fait qu'elle était âgée de huit ans. Il ne s'agissait pas d'une enfant de 14 ans qui s'était peut-être déjà enfuie de la maison et qui avait peut-être des problèmes de comportement. Avant de prendre cette décision, il faut analyser chaque enquête et sa dynamique.

Cependant, les médias sont des ressources qui nous sont très précieuses et dont nous n'hésitons pas à tirer parti, lorsque les circonstances s'y prêtent.

Le sénateur Joyal : Vous avez parlé de l'utilisation de la vidéosurveillance autour des écoles. Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par là, et jusqu'où cela irait?

M. Freeman : Nous espérons instaurer la loi de Tori, probablement à l'échelle provinciale. C'est là que nous avons commencé à promouvoir l'idée. Nous serions ravis de la voir adopter partout au pays, mais nous allons commencer par l'Ontario. Nous espérons exiger que chaque école primaire installe un système de vidéosurveillance de base qui contrôle les sorties et une partie de la cour d'école et du parc de stationnement. Nous n'aurions recours à ces enregistrements vidéo que lorsque nous enquêtons sur une infraction criminelle.

Je crois comprendre que de nombreux conseils scolaires qui construisent de nouvelles écoles prévoient des systèmes de vidéosurveillance, mais que faisons-nous des écoles qui existent depuis 15 ou 20 ans? L'école de Victoria n'était pas dotée d'un système de vidéosurveillance. La précieuse séquence de vidéosurveillance que nous avons obtenue provenait d'une école secondaire située à 300 mètres de là. Cela a constitué notre premier élément de preuve concret, notre première chance de résoudre cette affaire. Nous ne cherchons pas à imposer des coûts inutiles aux contribuables, mais cette technologie est utilisée pour protéger des parcs de stationnement et des véhicules. Dans le comté d'Oxford, ils envisagent d'installer un système de vidéosurveillance pour réduire le vandalisme dont la bibliothèque fait l'objet. À mon avis, nos enfants sont beaucoup plus précieux et prioritaires que le vandalisme. Si nous prenons de telles mesures pour prévenir le vandalisme, ne devrions-nous pas en faire autant pour nos enfants?

Le sénateur Joyal : Bien sûr.

Avez-vous discuté avec les administrations scolaires de la possibilité d'enseigner aux enfants de ne jamais accepter de monter dans la voiture d'un étranger, ou de l'accompagner quelque part? D'après votre expérience et ce que j'ai lu dans votre mémoire, c'est un problème qui semble se reproduire. Avez-vous élaboré un genre de programme de sensibilisation que les enfants suivent à l'école afin de leur recommander de ne pas faire cela et de s'entendre avec leurs parents sur un mot de passe ou sur une mesure de ce genre, ou de leur faire prendre conscience des risques qui existent?

M. Freeman : Sénateur, j'ai 56 ans, et je me souviens des programmes de sensibilisation à la sécurité que j'ai suivis quand j'étais à l'école primaire. Ce concept n'a rien de nouveau pour les systèmes scolaires; les programmes Prudenfants sont enracinés dans ceux-ci. En fait, à Woodstock, un programme traditionnel existait déjà, mais nous l'avons renforcé après la disparition de Victoria. En même temps, il nous a fallu faire attention de ne pas trop effrayer les enfants.

Le sénateur Joyal : Oui, pour éviter de traumatiser les jeunes.

M. Freeman : Exactement. Le meurtre de Victoria a profondément marqué notre communauté, et je suis convaincu que pendant encore longtemps, les parents auront leurs enfants particulièrement à l'œil. J'ai moi-même des fils de 12 et 13 ans. Ils étaient étroitement surveillés et ils le sont maintenant encore davantage. Ce n'est que pour les protéger, et ils le comprennent. Les services de police incitent constamment les parents et les enseignants à encourager les jeunes à rester en sécurité, à se méfier des étrangers et à établir un mot de passe familial.

Le sénateur White : Ce que j'aimerais savoir, c'est si cette mesure aura un effet. Les débats à l'autre chambre ont en partie porté sur les enlèvements parentaux. Considérez-vous que le présent projet de loi va assez loin en ne visant que les enlèvements attribuables à des étrangers? Devrait-il être plus exhaustif?

M. Freeman : Les dynamiques sont différentes pour les enlèvements parentaux. Ce serait au juge et au jury de prendre une décision dans ces cas précis de kidnapping, car les émotions et les dynamiques sont différentes. Je crois que tout le monde ici sait que les enlèvements perpétrés par des étrangers sont généralement à motif sexuel. Quand un étranger enlève un jeune de moins de 16 ans, une fois le crime commis, son instinct lui dicte de se sauver. Dans le cas présent, il ne veut pas seulement blesser la victime, mais la tuer afin qu'elle ne puisse agir à titre de témoin.

Le sénateur White : Considérez-vous que le projet de loi permettra de lutter contre la traite et l'exploitation sexuelle des personnes, par exemple quand quelqu'un utilise la force pour contraindre un jeune de moins de 16 ans, qui a souvent d'autres problèmes, à travailler dans le commerce du sexe illégal?

M. Freeman : Certainement, sénateur. Il y a certaines similitudes dans ces types de cas également, car bien souvent, un motif sexuel entre en jeu.

La sénatrice White : Merci de comparaître, monsieur.

Le sénateur Batters : Merci beaucoup, monsieur, de témoigner aujourd'hui. Je vous remercie également du travail que vous avez accompli dans cette affaire des plus tragiques et du réconfort que vous avez apporté à la famille.

Je veux porter à l'attention du comité sur une affaire qui s'est produite très récemment dans ma province, la Saskatchewan. Yorkton a été le théâtre d'une affaire d'enlèvement par un étranger. Comme l'a rapporté le Leader-Post de Regina, Melvin Koroluk a reçu sa peine dans un tribunal de Yorkton à la fin d'avril. Comme c'était sa première infraction, il a été condamné à deux ans moins six jours d'emprisonnement parce qu'il avait droit à un crédit pour avoir passé quelques jours en prison après avoir plaidé coupable. Cet homme avait brièvement enlevé une petite fille. Ses intentions étaient claires, mais la petite a heureusement réussi à s'enfuir. Aucune autre accusation n'a pu être portée dans cette affaire. D'après vous, est-ce là le type de cas auxquels nous tentons de nous attaquer ici, c'est-à-dire les enlèvements où la victime a la chance de s'échapper et où il n'y a pas d'agression sexuelle ou de tentative de meurtre? Est-ce le genre de cas que nous visons ici?

M. Freeman : C'est exactement ce genre de cas. Si un témoin avait vu Victoria se faire pousser de force à l'arrière de la voiture et si — nous parlons de « si » — nous avions pu arrêter le véhicule avant qu'il n'emprunte l'autoroute 401, l'affaire se serait limitée à l'enlèvement d'un jeune de moins de 16 ans par un étranger. Nous savons ce qui s'est produit parce que nous n'étions pas là.

Dans le cas particulier de la petite fille qui a pris la fuite, nous savons ce qui allait et ce qui aurait pu se passer. Nous savons que nos enfants, malgré toutes les mises en garde que nous leur servons sur la sécurité dans la rue, peuvent facilement se laisser convaincre d'approcher une voiture. En présence de délinquants ayant l'intention de commettre ce type d'acte criminel dégradant, je crois que le moins que nous puissions attendre à titre de parents, sénateurs et agents d'exécution de la loi est une peine minimale de cinq ans prévue expressément pour les affaires de ce genre.

La sénatrice Batters : Dans cette affaire en particulier, les médias ont indiqué que le juge a statué que l'individu condamné était incapable d'énoncer des stratégies concrètes d'autogestion pour garantir qu'il n'aurait plus jamais de tel comportement et indiqué qu'il ne devrait jamais se trouver en présence d'enfants; pourtant, cette personne a été condamnée à deux ans moins un jour d'emprisonnement.

Je veux vous interroger au sujet de la nouvelle loi provinciale que vous vous efforcez de promouvoir. Vous dites que selon vous, les nouvelles écoles ont déjà été dotées de dispositifs de surveillance vidéo; pourquoi alors ne pas inclure cette précaution dans la loi provinciale pour faire en sorte que c'est un facteur?

M. Freeman : C'est ce que nous espérons faire, car nous avons parlé à la Thames Valley School Board, le conseil des écoles publiques. Nous n'avons pas encore rencontré les diverses écoles; nous ne savons donc pas si elles font la même chose. La plupart des écoles sont maintenant des établissements modernes équipés de systèmes de surveillance de technologie supérieure. Nous espérons que toutes les écoles élémentaires, point — les anciennes comme celles du futur — disposent d'un système de base. Nous ne réclamons qu'un système de base.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Freeman, de votre témoignage. Je sais que, pour les policiers, ce ne sont jamais des enquêtes faciles; ce sont des enquêtes qui se font avec beaucoup d'émotion car vous êtes aussi des pères de famille et je suis certain que vous avez tout mis en œuvre pour retrouver la personne.

D'après votre témoignage, je comprends que la jeune fille avait quitté l'école à 15 heures et que les parents avaient déjà fait des recherches eux-mêmes avant de vous appeler, vers 18 heures. Vous dites que vous avez déclenché l'alerte orange. Ai-je raison de comprendre que c'est ce qu'on appelle l'alerte AMBER?

[Traduction]

M. Freeman : Le programme d'alerte AMBER avait une portée limitée. Il fallait être certain que la personne concernée est victime d'un acte criminel, disposer d'une description de délinquant ou de véhicule, et savoir que la victime court un danger imminent. Le programme avait une portée étroite alors. Quand nous avons présenté le cas de Victoria à la police provinciale de l'Ontario pour déclencher une alerte AMBER, on nous a répondu quelques heures plus tard que l'affaire ne correspondait pas aux critères et que nous ne pouvions nous prévaloir du programme. Depuis, tout le monde a convenu que le programme était trop restrictif et qu'avec le peu d'information que nous avions, nous aurions dû pouvoir utiliser le système AMBER pour diffuser aussi rapidement que possible l'alerte dans les médias à l'échelle de la province.

À défaut d'accéder au programme d'alerte AMBER par l'entremise de la police provinciale de l'Ontario, nous avons de solides relations avec les médias locaux et régionaux. Nous avons pu faire diffuser rapidement une annonce indiquant que nous recherchions une petite fille de huit ans portée disparue et que nous faisions appel à l'aide du public. Rien ne nous a empêchés de communiquer avec le public.

L'enquête relative à Victoria a eu pour seul résultat favorable d'élargir le programme d'alerte AMBER, ce filet, afin d'englober plus de cas à l'échelle provinciale, et un jour viendra où ce programme permettra de sauver des vies et de faciliter les enquêtes.

La sénatrice Frum : Monsieur, permettez-moi de vous féliciter pour les efforts que vous déployez afin de faire adopter la loi de Tori, qui me semble une bonne idée.

Je veux vous poser des questions sur l'incident qui s'est produit à Guelph dont vous avez parlé dans votre exposé. Il s'agit d'une tentative de kidnapping, qui a avorté. J'aimerais savoir si vous savez quelles accusations sont portées dans cette affaire et les peines qui pourraient s'appliquer.

M. Freeman : Je crois que ce sont des accusations de tentative d'enlèvement. J'ai parlé à l'un des enquêteurs hier pour être certain de pouvoir traiter de cette affaire. Comme cette dernière se trouve devant les tribunaux, je dois faire un peu attention à ce que je dis à ce propos. Je dirais toutefois que le délinquant s'expose à une longue peine, car des vidéos montrent clairement qu'il rôdait délibérément dans les environs au cours de la période visée, c'est-à-dire entre 15 et 16 heures, et à trois ou quatre occasions à 9 heures.

Si un enfant avait été enlevé à 9 heures, son absence en classe n'aurait pas manqué de provoquer des réactions. La situation est plus floue à 15 ou 16 heures, dans notre cas, car la communauté, sans être laxiste, accepte peut-être toutes sortes de raisons pour lesquelles l'enfant ne rentre pas à la maison. Voilà pourquoi, selon nous, le délinquant a choisi ce moment de la journée.

La sénatrice Frum : En vous appuyant sur votre expérience, dans l'affaire d'enlèvement que la sénatrice Batters a évoquée et qui s'est soldée par une peine de deux ans moins un jour d'emprisonnement — et une tentative constitue aussi un crime grave —, vous estimez-vous satisfait des paramètres de la peine imposée pour ce crime?

M. Freeman : Il me faudrait répondre oui, sans y réfléchir en profondeur.

J'ai comparu devant le Comité de la justice et des droits de la personne l'an dernier, ici, au Parlement. Les affaires d'enlèvement d'enfant dont nous avons parlé il y a quelques instants se produisent dans toutes les régions du pays. Quand des bambins sont enlevés, le danger est grand. Les premières heures de l'enquête sont cruciales, comme l'a démontré notre cas.

Il faudrait que dans ces affaires, il soit très clair qu'un enfant sans défense a été enlevé par un étranger. On ne peut qu'imaginer ce qui se serait passé si les forces d'exécution de la loi n'étaient pas intervenues pour sauver l'enfant ou si ce dernier ne s'était pas échappé. À mon avis, le délinquant devrait recevoir une peine minimale de cinq ans de pénitencier. Il peut suivre toute une panoplie de programmes de réhabilitation ou je ne sais quoi d'autre en prison, mais je suis d'avis que ces personnes constituent une menace pour les communautés du pays et qu'il faut les extraire de la population, de la société, et les envoyer dans un endroit où elles peuvent recevoir le traitement dont elles ont besoin ou assumer la responsabilité de leurs actes, comme elles le devraient.

En cas de tentative d'enlèvement, je me fie encore beaucoup au système judiciaire pour peser tous les facteurs qui jouent un rôle dans l'enquête. Il s'agit d'enquêtes complexes comprenant une myriade de niveaux et de dynamiques. Un jury et un juge sont toutefois encore pleinement capables de déterminer la peine qui s'impose.

La sénatrice Frum : Vous considérez qu'une peine de cinq ans pourrait s'appliquer à une affaire de tentative d'enlèvement.

M. Freeman : Cette peine satisferait le chef de police que je suis.

La sénatrice Frum : Elle me satisferait également, mais que croyez-vous qu'il se passera?

M. Freeman : Je l'ignore pour ce cas précis, car je ne connais pas suffisamment les détails.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Encore une fois chef, félicitations pour votre travail. Au Canada, on a une structure policière très complexe, la GRC, la police provinciale, régionale, municipale et amérindienne. Au Québec, on a 34 corps policiers avec des niveaux de responsabilités très complexes.

Il n'y a pas de fichiers centralisés au Canada sur les disparitions. Chaque province est assez autonome. N'a-t-on pas un système de structure policière qui facilite ce type de crime, à savoir que souvent, c'est une question de rapidité d'intervention. Que proposeriez-vous en tant que chef de police pour améliorer le travail policier comme structure ou intervention? Car ce sont les dossiers les plus frustrants pour les familles, une disparition d'enfant non résolue, et il y a beaucoup d'enlèvements criminels non résolus. Un enlèvement non résolu, c'est un récidiviste qui court les rues. Qu'est-ce que vous suggéreriez comme amélioration à partir de votre expérience?

[Traduction]

M. Freeman : L'Ontario compte à l'heure actuelle 53 services de police, dont la police provinciale de l'Ontario et environ une dizaine de corps policiers régionaux. Les autres sont des forces municipales comme la mienne.

Nous appliquons également ce que nous appelons des normes de conformité, qui sont des politiques et des procédures de référence pour toute une variété d'enquêtes, dont celles portant sur des enfants disparus. Nous fonctionnons tous d'une manière un peu différente, peut-être en raison de l'environnement où nous nous trouvons, de la taille de notre organisation ou des ressources dont nous disposons, mais nous travaillons tous ensemble. Dans le cas précis de Victoria, 32 forces policières ont contribué à résoudre l'affaire. Voilà pourquoi j'ai parlé de 1 100 agents de police. Quand nous avons lancé l'alerte en indiquant que notre enquête portait sur une affaire grave, j'ai reçu des appels de corps de police de toutes les régions de l'Ontario.

Selon moi, notre structure est tout à fait adéquate en ce qui concerne le service de police et nos procédures d'enquête, et elle n'en est que meilleure du fait que nous travaillons tous avec les mêmes règles de base. Les chefs de police de la province n'ont pas hésité une seconde à nous offrir les ressources dont nous avions besoin, qu'il s'agisse de ressources d'enquête, d'agents de recherche ou d'enquêteurs.

J'ai joué le stratège de salon pour mon propre service de police à bien des occasions dans le cadre de cette enquête, et j'ai pu voir les autres corps de police à l'œuvre. En Ontario, nous sommes en excellente forme, mais nous avons affaire à des êtres diaboliques. Rafferty n'avait pas de casier judiciaire avant de poser son geste, et il est maintenant condamné à perpétuité. McClintic a pour sa part un passé coloré truffé d'infractions avec violence. Ils ont frappé à Woodstock et ont marqué à vie bien des gens.

Pour ce qui est de la réaction de la police, nous sommes très liés avec la famille, y compris la famille élargie, et je ne crois pas que nous ayons pu faire mieux. Au final, nous avons arrêté les deux délinquants et les avons envoyés derrière les barreaux pour le reste de leurs jours, et nous avons remis Victoria à sa famille pour qu'elle soit inhumée dans la dignité.

Le sénateur Baker : En ce qui concerne une question posée par la sénatrice Frum, j'ignore si nous entendrons d'autres témoignages pour nous indiquer si une tentative est visée par les dispositions du projet de loi ou par la définition de « tentative » figurant au paragraphe 24(1) du Code criminel. La punition, pour une infraction totalement distincte de la commission de l'acte, se trouve à l'article 463, qui prévoit une peine pouvant aller jusqu'à 14 ans d'emprisonnement. Une simple lecture du Code criminel semble indiquer que la tentative ne serait pas visée, mais comme le chef l'a indiqué, la peine d'emprisonnement serait tout de même substantielle.

[Français]

Le sénateur Rivest : Quelle est la proportion des enfants qui sont disparus près des écoles? Il peut y avoir des disparitions qui ne sont aucunement liées au milieu scolaire.

[Traduction]

Quelle est la proportion?

M. Freeman : D'après mon expérience, sénateur, les quelques affaires que j'ai pu répertorier se sont produites très récemment et très près de Woodstock. Habituellement, les enfants sont abordés par des étrangers sur le chemin de l'école ou à leur retour à la maison. C'est là que les parents leur accordent un peu de liberté et d'indépendance, et il semble que ce soit le maillon faible où les enfants sont les plus vulnérables.

Il y a au pays des enfants qui disparaissent au terrain de jeu ou au parc. Cela arrive certainement, mais ils semblent être particulièrement vulnérables quand ils reviennent de l'école ou se trouvent dans un contexte lié d'une manière ou d'une autre à l'école.

Le président : Merci beaucoup, monsieur, de nous apporter une aide précieuse dans le cadre de nos délibérations. Nous vous en sommes reconnaissants. Nous vous souhaitons bonne chance.

M. Freeman : Merci beaucoup, mesdames et messieurs. Ce fut un vrai privilège que de comparaître ici. Jamais je n'aurais pensé avoir l'occasion de le faire au cours de ma carrière.

Le président : Voici maintenant notre deuxième groupe de témoins d'aujourd'hui. Sénateurs, veuillez souhaiter la bienvenue à Michel Surprenant, président, et à Christian Bergeron, qui témoigne à titre personnel, pour l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues, ainsi que Pina Arcamone, directrice générale chez Enfant-Retour Québec.

Vous pouvez faire vos exposés.

[Français]

Michel Surprenant, président, Association des familles de personnes assassinées ou disparues : Je suis le père de Julie Surprenant qui est disparue le 16 novembre 1999. En ce qui a trait au projet de loi C-299, qui consiste à imposer une peine minimale de cinq ans, voici la réflexion que j'en ai.

La première chose qui me vient à l'idée, c'est qu'il ne faut pas que la sentence ou l'emprisonnement soit une occasion de passer l'hiver au chaud pour un prisonnier, c'est-à-dire de profiter de ce temps pour se faire faire des tatouages, aller chez le dentiste, effectuer une remise en forme avec des services d'escorte, et cetera, pour ensuite être en état de récidiver.

Je pense que la réhabilitation passe premièrement et avant tout par la responsabilisation du criminel, et cela ne veut pas dire des larmes de crocodile commandées par son avocat.

Je prends le cas de Michel Dunn, qui est resté 17 ans en prison, mais qui a pris sept ans avant d'admettre sa responsabilité face au geste qu'il a commis. Et encore là, c'est parce qu'il savait qu'il n'était pas admissible à la libération conditionnelle sans premièrement passer par l'admission de ses crimes.

Présentement, 80 p. 100 de la population carcérale sont des récidivistes et c'est l'une des raisons qui justifie le fait d'avoir un emprisonnement plus significatif pour amener la responsabilisation du criminel. Il ne faut pas remettre en liberté un criminel en état de nuire. Lorsqu'on parle de prédateurs sexuels, on sait qu'il n'y a pas de guérison possible. Pour moi, plus longtemps dure l'emprisonnement, mieux c'est.

De ce que je comprends, l'enlèvement sera sentencié indépendamment de l'agression dans le projet de loi. Ce ne sera donc pas une peine consécutive, mais bien cumulative.

[Traduction]

Le président : Madame Arcamone, avez-vous un exposé à faire?

Pina Arcamone, directrice générale, Enfant-Retour Québec : Oui.

Merci beaucoup, monsieur le président. Je remercie également le comité de me donner l'occasion de témoigner aujourd'hui. J'ai l'honneur de comparaître à titre de directrice générale d'Enfant-Retour Québec devant la comité sénatorial pour parler en faveur du projet de loi C-299, Loi modifiant le Code criminel pour reconnaître la gravité de l'enlèvement d'un jeune de moins de 16 ans par un étranger et, particulièrement, imposer une peine minimale de cinq ans d'emprisonnement à toute personne déclarée coupable d'un tel acte.

Je suis également profondément honorée de vous parler en ce moment tout particulier de l'année, puisque le mois de mai est dédié aux enfants disparus. Le samedi 25 mai, aux quatre coins du monde, on se souviendra des enfants disparus à l'occasion de la Journée nationale des enfants disparus.

En 1985, deux femmes exceptionnelles ont eu le courage d'affirmer que les larmes ne suffisaient pas quand Maurice Viens a été enlevé à l'âge de quatre ans alors qu'il jouait devant la maison. Un homme l'avait attiré avec une montagne de bonbons empilés sur le siège avant de sa voiture, l'invitant à se servir. Jeune et innocent, Maurice a commis l'erreur fatale d'accepter l'invitation. Son petit corps a été retrouvé cinq jours plus tard. Il avait été brutalement battu, violé et tué. Son assaillant n'a jamais été retrouvé, et cette horrible tragédie a incité deux parfaites étrangères à unir leurs forces pour créer Enfant-Retour Québec.

Depuis 28 ans, notre organisation appuie et accompagne les familles aux prises avec le pire cauchemar des parents. Fondée sur la croyance selon laquelle tout enfant a le droit de vivre en sécurité, la mission d'Enfant-Retour Québec est d'une importance capitale et vise expressément les quatre objectifs suivants : soutenir les familles dont l'enfant a été enlevé par un étranger ou un membre de la famille ou a fait une fugue; collaborer avec les organismes d'exécution de la loi et du gouvernement pour retrouver les enfants disparus et les ramener sains et saufs à leur famille; prévenir l'enlèvement, l'agression et l'exploitation des enfants et réduire le nombre de fugues chez les jeunes; et enfin, informer la population au sujet de la sécurité personnelle des enfants et la prévention des disparitions.

J'ai également le plaisir de vous informer qu'à ce jour, nous avons aidé les organisations d'exécution de la loi à retrouver 890 enfants disparus. Nous sommes extrêmement fiers de savoir qu'en ce moment même, ces enfants sont en sécurité à la maison, endormis dans leur lit, au milieu des membres de leur famille. Nous avons également contribué à donner à plus de 160 000 enfants d'âge scolaire les compétences nécessaires pour reconnaître les situations dangereuses et éviter d'être victimes d'une agression.

Cependant, chaque jour au Québec, la province où notre organisation est établie, la disparition de quelque 22 enfants est rapportée aux organismes d'exécution de la loi. À l'évidence, nous devons faire davantage et mieux, car nos enfants ne méritent rien de moins.

Au pays, la majorité des enfants disparus sont des cas de fugue et l'enlèvement par un membre de la famille constitue la forme la plus fréquente de kidnapping. Le fait que les enfants soient rarement enlevés par un étranger n'est guère réconfortant pour les parents et la communauté.

Il faut être conscient du fait que ces dangers sont une réalité constante. L'enlèvement d'un enfant par un étranger, c'est le pire cauchemar que nous puissions vivre, et le temps devient rapidement notre plus grand ennemi lorsqu'il est question de mettre des mesures en place pour le retrouver sain et sauf. Chaque fois qu'on signale un incident, on provoque une onde de choc dans tout le pays. Ces incidents nous rappellent à quel point les enfants sont vulnérables et que nous, en tant qu'adultes, avons la responsabilité de veiller tous les jours à leur sécurité et à leur bien-être.

Nous avons réalisé de grands progrès au Québec au cours des dernières années. Plus d'enfants que jamais sont retrouvés sains et saufs. Aujourd'hui, les policiers sont mieux formés et équipés qu'à l'époque. Nous avons instauré le programme d'alerte AMBER et nous avons aussi élaboré l'application ADR-Alerte, qui permet au public de recevoir immédiatement les photos d'enfants portés disparus et leurs présumés ravisseurs.

Tous peuvent désormais consulter les alertes d'enfants portés disparus sur Facebook, Twitter ou un téléphone intelligent, et se joindre aux recherches afin d'aider les policiers à retrouver les enfants sains et saufs. Nous en sommes aux dernières étapes de la mise en œuvre d'un nouvel outil qui nous aidera à localiser les enfants vulnérables disparus, mais dont la disparition ne répond pas aux critères d'une alerte AMBER.

En préparant mon témoignage, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à ce qui arriverait aujourd'hui, compte tenu de tous les efforts que nous avons déployés ces dernières années, si un étranger enlevait un jeune garçon ou une jeune fille. Tout d'abord, une alerte AMBER serait lancée rapidement, mobilisant aussitôt des collectivités entières pour repérer l'enfant et son ravisseur. Ensuite, lorsque le ravisseur verrait qu'il est coincé, il relâcherait l'enfant indemne au bord de la route. Nos tribunaux feraient-ils preuve d'indulgence à l'égard du ravisseur qui n'a pas eu le temps de faire du mal à cet enfant? Je pense qu'il faut montrer clairement que l'enlèvement de jeunes enfants ne sera en aucune circonstance toléré au Canada.

La victimisation des enfants est un problème grave au sein de notre société. Elle a un effet dévastateur non seulement sur les enfants et leur famille, mais aussi sur la communauté tout entière. Enfant-Retour Québec, par l'intermédiaire de ses programmes de prévention et de sensibilisation, déploie beaucoup d'efforts pour sensibiliser le public aux enlèvements, aux agressions et à l'exploitation des enfants, et fournit aux familles, aux éducateurs et aux policiers les outils et les ressources nécessaires en vue de réduire la victimisation des enfants.

En tant que communauté, nous avons la responsabilité de protéger nos enfants et de leur enseigner des aptitudes qui contribueront à leur sécurité. La sensibilisation à la sécurité est le meilleur moyen d'amener les enfants à prendre de l'assurance et à développer leur pensée critique. Ils seront ainsi mieux en mesure de faire face à une situation potentiellement dangereuse.

Enfant-Retour Québec reconnaît également la nécessité d'imposer des peines plus sévères aux personnes déclarées coupables d'enlèvement d'enfants. En imposant une peine obligatoire minimale de cinq ans d'emprisonnement à quiconque enlève un enfant, au sens de l'article 279, nous envoyons haut et fort le message que ni les crimes ni la violence à l'égard des enfants ne seront tolérés au pays et que nous, les Canadiens, ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger nos enfants contre l'exploitation. Par conséquent, nous sommes favorables à toute mesure pouvant dissuader ne serait-ce qu'une personne de commettre un crime aussi horrible.

La protection des enfants est au cœur même de la mission d'Enfant-Retour Québec depuis 1985. Nous croyons sincèrement que nos enfants méritent de vivre dans un monde où ils peuvent n'être que des enfants, c'est-à-dire innocents, en sécurité et aimés.

Le président : Merci.

Monsieur Bergeron, je vous invite à faire votre déclaration.

[Français]

Christian Bergeron, à titre personnel : Je vous demanderais, monsieur le président, d'être indulgent à mon égard. C'est la première fois que je fais cela.

Je me nomme Christian Bergeron, j'ai 43 ans et j'habite la ville de Québec. Si je suis ici aujourd'hui, c'est pour vous donner mon avis et partager avec vous mon expérience en tant que victime d'enlèvement.

Mon histoire a commencé le 1er juin 1974, alors que j'avais quatre ans. En face de la résidence familiale, j'ai été enlevé et amené à trois kilomètres de la maison dans un boisé.

L'agresseur m'a agressé sexuellement, battu à coup de bâton, laissé pour mort dans un trou. J'ai été retrouvé quelques heures plus tard par des passants. En 2009, j'ai suivi une thérapie ultime qui a bien fonctionné. Elle m'a permis de m'en sortir et de partager mon histoire.

J'appuie fortement le projet de loi C-299. Un minimum de cinq ans, c'est un minimum. Pour les victimes, il fait bon savoir que si elles dénoncent leur agresseur et que celui-ci est accusé, le minimum sera de cinq ans. Après en avoir discuté avec plusieurs personnes de mon entourage, elles me disent qu'elles sont en faveur de cette réforme de la loi. À mon avis, l'opinion populaire est très favorable.

Je rêve que le Canada durcisse ses lois. Il ne faut jamais sous-estimer les conséquences des traumatismes chez les enfants. Les enfants qui survivent à de telles épreuves en souffriront leur vie entière, avec des conséquences irréversibles. C'est pour cette raison que nous devons être proactifs et démontrer que la justice, face à des cas de ce genre, sera impitoyable et très sévère. Un bon départ serait que nous devenions un exemple et une référence, au Canada, dans le traitement de ces dossiers. Certains peuvent penser qu'il y a peu de cas d'enlèvements d'enfants, mais un seul cas est déjà un de trop. Une bonne façon de commencer serait d'imposer des peines beaucoup plus sévères et fermes. Beaucoup trop d'échappatoires permettent à des agresseurs de s'en sortir rapidement pendant que les victimes subissent pour le reste de leur vie.

Non seulement j'ai à faire ma vie avec mon fardeau, mais comme père de trois enfants j'ai dû leur confier mon histoire lorsqu'ils ont eu l'âge de raison. Il fut très difficile pour moi de leur en parler.

Maintenant, 39 ans plus tard, les images sont toujours aussi claires dans mon esprit. J'ai eu la chance d'être retrouvé et de survivre. Tous n'ont pas cette chance. Un minimum de cinq ans, c'est bien peu pour une vie brisée. Pour l'agresseur, ce peut être l'occasion de suivre une thérapie adéquate, qui sait?

Le sénateur Boisvenu : Merci à vous trois, et merci à M. Bergeron. Il faut un grand courage pour relater des événements de sa vie que l'on voudrait souvent enterrer. Je vois que votre thérapie a bien fonctionné.

M. Bergeron : Pas si pire.

Le sénateur Boisvenu : On espérerait qu'elle fonctionne aussi bien chez les criminels. Dans votre cas, le criminel n'a pas été retrouvé. Si un autre enfant a disparu dans le voisinage où vous êtes disparu, il est possible qu'il s'agisse du même auteur.

J'ai posé une question tout à l'heure au chef de police. Ce que je constate, dans le dossier des disparitions au Québec et au Canada, pour y avoir travaillé depuis 10 ans avec les familles, c'est la complexité des structures policières. On l'a vu dans le cas de Cédrika Provencher — et Pina était très impliquée dans ce dossier. La police locale a pris quelques jours avant de transférer le dossier à la Sûreté du Québec. Au Québec, c'est un des dossiers qui n'a pas été résolu.

J'ai posé la question au chef de police plus tôt à savoir si, en termes d'outils et de structure, au Canada et au Québec, on est bien organisé. Pourrait-on apporter des améliorations? Sa réponse fut de dire que les policiers communiquent entre eux et échangent beaucoup d'informations. Le système semble bien fonctionner.

Toutefois, en regardant les statistiques, on constate que les taux de résolution dans les cas de disparitions d'enfants varient entre 10 et 30 p. 100, selon les provinces. Donc, dans 70 à 90 p. 100 des cas, l'enfant n'est pas retrouvé, lorsqu'il est question d'une disparition criminelle. Je vois donc une contradiction entre le chef de police qui nous dit que les choses vont bien et le taux de résolution qui est si bas.

Je pose ma question à vous trois. Que devrait-on améliorer? Où les policiers devraient-ils améliorer leur travail pour faire en sorte que l'on puisse retrouver ces enfants et surtout les criminels? Il est important de retrouver les criminels qui ont enlevé les enfants et qui peuvent récidiver.

Mme Arcamone : Si je peux me permettre de répondre à cette question, sénateur Boisvenu?

Le sénateur Boisvenu : Allez-y.

Mme Arcamone : C'est une très bonne question. On a vécu un dossier, la semaine dernière, à Laval, où un jeune de 10 ans a été porté disparu depuis 19 heures la veille, or nous n'avons été informés qu'à 6 heures du matin, donc plusieurs heures plus tard. Une des premières choses est la communication entre les corps de police et, au Québec, la Sûreté du Québec, qui peut vraiment tout mettre en œuvre pour retrouver un enfant. Il est important d'insister sur la rapidité d'exécution lorsqu'il y a disparition. Il faut également mieux connaître le portrait des disparitions. Encore aujourd'hui, la première thèse est bien souvent que l'enfant est en fugue. Parce qu'il pourrait être en fugue, on n'enquête pas de la même façon qu'on le ferait si on croyait que l'enfant avait été enlevé par un criminel.

Je crois qu'on a besoin de mieux communiquer et mieux connaître les ressources dans la province aussi.

[Traduction]

Cela ne devrait pas être une question de territoire. C'est ce que nous avons constaté maintes et maintes fois.

[Français]

M. Surprenant : Je suis d'accord sur ce qu'a dit Mme Arcamone plus tôt. À partir du moment où il s'agit d'un enlèvement, même si on n'en connaît pas la teneur exacte, il faut déployer au maximum. Puis, en fonction des éléments d'enquête, on passe au niveau 1, 2, 3, 4 ou 5. Au départ, il faut ouvrir la machine car c'est toujours les premiers instants qui comptent.

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Bergeron, vous avez été victime.

M. Bergeron : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Vous avez été retrouvé par hasard.

M. Bergeron : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Il arrive fréquemment que, lorsqu'on retrouve un enfant avant qu'il ne soit assassiné, c'est par hasard. À votre avis, comment peut-on prévenir ce type de crime?

M. Bergeron : Le chef de police a parlé plus tôt des écoles et des caméras. À l'époque ces outils n'existaient pas. Je me suis fait enlever dans une cour d'école clôturée. On retrouve maintenant des caméras pratiquement partout. On l'a vu à Boston, lors des attentats, tout est filmé un peu partout.

Les cours d'écoles sont un beau jardin de tulipes pour les agresseurs. Dans mon cas, 25 ans plus tard, j'étais persuadé de savoir qui était mon agresseur. Je suis retourné à la police, et ceux-ci avaient détruit les dossiers après 15 ans car le dossier n'avait pas été résolu — ce qui est une toute autre histoire en soi. Je trouve cela complètement absurde.

Il est vrai qu'en 1974 on ne prélevait pas d'ADN. Toutefois, 15 ans plus tard, étant donné que le crime n'est pas résolu, on jette le dossier à la poubelle. C'est tout à fait absurde.

Dans les cas d'agressions sexuelles, la plupart du temps les gens dénoncent 5, 10 ou 20 ans plus tard. La honte qui s'empare de nous, c'est un sujet tabou, et pour un gars ce n'est pas gagnant non plus.

Le sénateur Rivest : J'aimerais d'abord m'excuser, au nom des sénateurs du caucus libéral, le sénateur Joyal et le sénateur Baker, qui malheureusement ont dû quitter. Je suis donc seul.

[Traduction]

Je suis seul face aux forces conservatrices, mais je n'ai pas peur du tout parce que je sais que la vérité se trouve de ce côté-ci de la table.

[Français]

Monsieur Surprenant, le sénateur Boisvenu a parlé des moyens dont disposent les policiers en matière de prévention autour des écoles. On parle de sentences minimales de cinq ans. monsieur Surprenant, vous sembliez sceptique devant cette proposition. Au fond, le crime et l'horreur du crime de l'enlèvement d'un enfant constituent une peine non pas de cinq, mais de 10, 15 voire 100 ans. Il faut toutefois que le législateur mette un chiffre.

C'est sans commune mesure avec l'horreur du crime, tout le monde en convient. Cependant dans l'administration des choses, selon votre expérience à l'association, les gens qui ont été condamnés, mettons qui ont fait cinq ans de prison, il y en a qui obtiennent la libération conditionnelle. Quelle est la valeur de cette libération conditionnelle quant au taux de récidive?

Deuxième question : je connais le combat de M. Surprenant et du sénateur Boisvenu pour les victimes et leur famille, ils sont beaucoup plus compétents que moi en la matière. Une fois qu'on aura donné une sentence de cinq ans ou plus, cela pourrait être plus selon la gravité de l'offense, comment associer les victimes au processus de libération conditionnelle? Monsieur Surprenant, vous l'aviez dit, vous êtes très sceptique sur la possibilité de réhabiliter un agresseur sexuel d'enfant.

M. Surprenant : J'aimerais vous dire, entre autres, en parlant de réhabilitation, que j'ai entendu des gens qui disaient qu'il y avait des places en Gaspésie où on offrait des thérapies au prédateur sexuel. Ma curiosité a été de savoir quelle était cette fameuse thérapie. Ma stupéfaction a été de comprendre que la seule chose qu'ils se contentaient de faire, c'est de faire en sorte que le criminel admette que ce qu'il fait est mal. Bref, cela laisse une interprétation. Cela veut à peu près dire qu'il n'y a rien à faire. Cela veut aussi dire, quand on sait qu'un prédateur sexuel est une personne manipulatrice, qu'il dira à son interlocuteur ce qu'il veut entendre pour avoir son certificat, si on peut appeler cela comme cela. C'est un indice comme quoi la réhabilitation ne fonctionne pas. C'est un indice comme quoi on essaie de donner un sens aux gens qui sont payés pour essayer de les traiter ou essayer de leur faire dire quoi que ce soit, mais la réalité, c'est que cela ne guérit pas.

Tantôt ce que j'ai dit, c'est qu'ici, au Canada, on parle de réhabilitation. Par contre, la première étape avant d'en arriver là, c'est la responsabilisation du criminel face au geste qu'il a commis.

Il ne faut pas que ce soit l'avocat qui dise à son client quoi dire et au bout du compte, on se rend compte qu'il s'agit de larmes de crocodile. En bref, il aurait dit ce qu'il fallait dire pour aller en libération conditionnelle. Au niveau de la réhabilitation, cela n'a pas fonctionné. C'est passé comme une lettre à la poste, il ne s'est rien passé.

Ce que j'en comprends, c'est que la première étape pour arriver à une réhabilitation, c'est la réflexion. La réflexion arrive par la durée de l'incarcération où l'individu comprend que sa seul issue pour sortir de là est de réfléchir au geste qu'il a commis et arriver à comprendre que ce qu'il a fait, c'est mal et que s'il veut être réhabilité, il a une thérapie à suivre et il doit suivre la thérapie avec succès.

Là où le bât blesse, quand on parle de prédateurs sexuels, les statistiques à travers le monde démontrent qu'on n'en guérit pas. Un prédateur sexuel remis en liberté, c'est six mois maximum avant qu'il ne récidive. Cela veut dire que ça ne se guérit pas.

Malheureusement, on se doit d'avoir une attitude répressive envers le prédateur sexuel pour ne pas faire en sorte qu'on le remette en état de nuire en le remettant en liberté. Plus longtemps ils seront en dedans, mieux ce sera.

Comme j'ai dit tantôt, on a pris le cas de Michel Dunn, qui avait tué son associé. Cela a pris sept ans d'incarcération avant qu'il admette sa responsabilité face au geste qu'il a commis. Encore là, c'était des larmes de crocodile. Il savait que sans l'admission de son crime, il ne pouvait avoir droit à sa libération conditionnelle. On voit le côté manipulateur de ces gens qui ont comme premier but leur intérêt personnel, c'est-à-dire d'être remis en liberté.

Une fois que la remise en liberté est faite, car le système actuel nous l'impose, c'est le suivi qu'il y aura par rapport au prédateur sexuel. Encore là, le suivi n'est pas seulement de se présenter une fois aux deux semaines. Car à partir du moment où tu réponds bien à deux ou trois questions, on lui dit ça va, tu peux y aller, ça va bien.

Il faut comprendre une chose : le prédateur sexuel, quand il sévit, le moment où c'est frais, vous pouvez toujours l'interroger. Mais la première chose qu'il fait, c'est qu'il entre ça en dedans de lui et ça ne ressort plus.

Je vous donne un exemple, s'il commet un acte à caractère sexuel le lundi et qu'il passera à la commission seulement deux semaines après, il a eu le temps de digérer son crime et d'avoir son « poker face » comme on dit et faire en sorte que ça passe comme une lettre à la poste. Il doit donc y avoir un suivi et il doit être fait avec la première considération que le prédateur sexuel, la principale chose qu'il veut, c'est de retrouver l'anonymat pour pouvoir récidiver.

Si je vulgarise un peu plus, c'est comme un animal sauvage, tapi dans la brousse, il attend le moment propice pour bondir. Si c'est lui qui est traqué, il ne bougera pas. C'est un peu simpliste, mais ça donne une idée de ce qu'il faut faire pour empêcher qu'un criminel récidive à partir du moment où on est obligé d'accepter que les lois le remettront en liberté après un certain temps.

Le sénateur Rivest : Je vous ai entendu le dire, la science, les psychiatres et tout ça, on les entend de gauche à droite sur les possibilités de réhabilitation. Je vous ai déjà entendu là-dessus mais j'aimerais vous entendre à nouveau.

M. Surprenant : Ce que je regarde dans le moment, les spécialistes auront un discours beaucoup plus approprié par rapport à qui les payera. Les spécialistes ne donnent pas des avis juridiques, mais des opinions. Ils ne sont donc pas redevables de ce qu'ils disent. Donc qui paie a ce qu'il veut.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur le président, madame, messieurs, merci de vos présentations. L'enlèvement d'une jeune personne demeure et demeurera toujours très douloureux pour les proches. L'attente de son retour est toujours pénible et trop souvent, le retour ne se fait pas, parfois oui.

Je remarque que cela a été le cas il y a quelques jours alors qu'on apprenait la découverte de trois jeunes Américaines âgées de 14, 16 et 21 ans, tenues captives dans une maison de Cleveland, en Ohio. Elles avaient été séquestrées depuis plus de 10 ans. Depuis, elles ont retrouvé leur famille après un bref séjour à l'hôpital. On assiste donc à une décennie de cauchemars.

Dans le cas de Mme Arcamone et de M. Surprenant, je comprends que vous êtes représentants d'associations impliquées dans des cas semblables. Comment voyez-vous cette découverte des jeunes Américaines? Est-ce que cette découverte vous fortifie dans vos recherches au point de vous donner une certaine lueur d'espoir?

Mme Arcamone : Pour Enfant-Retour Québec, oui. C'est une question quand même assez complexe, parce qu'on se réjouit du fait que ces trois jeunes filles ont été retrouvées après 10 ans. Cela valide la mission qu'on s'est donnée en 1985. On se fonde sur l'espoir. On représente l'espoir, mais pas le faux espoir aux familles. Nos familles demeurent assez réalistes. Ce qu'on veut leur donner, c'est une réponse à savoir si leur enfant est toujours en vie ou non. Par contre, cela nous fait poser beaucoup de questions, je vous dirais.

Cela fait 19 ans que je suis à Enfant-Retour Québec et ma première réaction, lorsque j'ai appris la découverte de ces trois jeunes femmes, c'est d'avoir été sous le choc. Parce que c'est quasiment inattendu, inespéré. Mais nous savons que nous n'avons pas de boule de cristal, donc que nous n'avons pas la réponse.

Toutefois, cela nous fait remettre en question le travail qui a été fait lorsque ces jeunes filles ont été signalées comme étant portées disparues et l'intervention qui s'est faite. Les familles se sont fait dire que leurs enfants étaient aujourd'hui décédés. Il n'y avait donc plus de recherches qui étaient faites tout au cours de ces années. Dans ces trois cas, les familles sont restées à leur propre compte, chaque année, soulignant l'anniversaire de disparition de leurs trois filles. Ce sont des familles qui recherchaient des réponses.

Une des premières choses, c'est qu'on ne peut pas laisser des familles toutes seules dans leur deuil. Ces familles ont besoin d'être appuyées. Ces familles ont besoin d'aide lorsqu'elles sont trop fatiguées et dépassées par le nombre d'années qui viennent de passer sans avoir de nouvelles. Quelqu'un doit prendre la relève et nos organismes jouent ce rôle.

On continue d'appuyer, mais on continue aussi de mettre une certaine pression sur les corps policiers. On pourra effectuer des vieillissements de photos, par exemple, et continuer à faire circuler les avis de recherche. On continue de demander l'aide du public. L'important, c'est que ces jeunes ne soient jamais, jamais, oubliés. Oui, cela nous a donné de l'espoir et cela nous questionne par rapport à ce que nous faisons dans nos propres organismes aussi. Nous n'avons pas la réponse, mais on ne peut plus que dire qu'on pense que cet enfant est décédé parce que quelqu'un a vu un jeune garçon être pris et que l'on n'a pas de nouvelles. On doit continuer nos recherches pour que les familles puissent avoir une réponse un jour.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Surprenant, vouliez-vous commenter?

M. Surprenant : Oui. Dans mon cas, vous savez que c'est ma fille qui est disparue en 1999. Pour un cas tel celui de Cleveland, la première chose que cela apporte — c'est sûr, un regain d'énergie —, c'est l'espoir. L'espoir, c'est ce qui fait vivre. Cela ravive l'espoir et nous permet de continuer à espérer la possibilité d'un événement heureux. Mais cela met aussi en lumière l'importance de la vigilance par rapport à la population et par rapport à ce qui nous entoure.

Le simple fait de l'information qui a été envoyée, par exemple, par notre association depuis 2004, pour faire connaître les dangers d'un prédateur sexuel, ce que c'était, et cetera, a entraîné de la vigilance chez les citoyens. Quand on reçoit une telle nouvelle, pour nous les parents des victimes, comme pour les victimes, c'est un bagage qu'on traîne jour après jour. Cela fait partie de notre quotidien et on a appris à s'en servir comme un bagage d'expérience et non comme étant un boulet.

Ce que cela veut dire, c'est qu'on a une attitude rationnelle par rapport à ces choses. Cela ne veut pas dire que parce qu'on a retrouvé trois enfants à Cleveland qu'on va se mettre à courir le Québec d'un bord et de l'autre. Ce que je veux dire par là, c'est qu'on a une attitude rationnelle et cela nous apporte un regain d'espoir.

Le sénateur Dagenais : J'aimerais remercier nos trois témoins. Madame Arcamone, avez-vous des comparaisons concernant le traitement des kidnappeurs d'enfants ailleurs dans le monde, à savoir comment ces gens sont traités?

Mme Arcamone : Je crois que les sentences sont pas mal plus sévères. Si on se fie à la Belgique, après l'histoire de Marc Dutroux qui avait séquestré deux jeunes filles, tout un mouvement s'est par la suite créé. Une cellule de personnes disparues a même été créée par le gouvernement. Il y a une équipe de 49 personnes qui gère la cellule et qui intervient automatiquement dans tous les types de disparitions, que ce soit des enfants ou des adultes aujourd'hui, et leur taux de résolution est vraiment impressionnant. On ne l'accepte pas, et lorsqu'un kidnappeur est condamné, il va en prison pour presque le restant de ses jours.

Je suis d'accord avec Michel; plus longtemps ces prédateurs restent derrière les barreaux, mieux c'est pour notre société, parce que ces prédateurs n'ont jamais besoin d'utiliser la force pour enlever un enfant. C'est très rare qu'ils utilisent un couteau ou qu'ils pointent une arme sur un enfant. Ils savent leur parler, les charmer, les manipuler avec des formules telles que : « J'ai perdu mon chien, peux-tu m'aider à le retrouver? » ou « Je me suis blessé au bras, peux- tu m'aider à monter mes sacs d'épicerie? »; c'est ce que Ted Bundy a fait aux États-Unis et il a enlevé la vie à beaucoup de femmes. Les sentences sont donc plus sévères.

À titre de représentante chez Enfant-Retour, je peux vous dire que, jusqu'à maintenant, nous sommes intervenus dans 1 260 dossiers de disparitions depuis les 28 dernières années, dont 28 étaient des enlèvements criminels. Je peux vous dire que 17 de ces dossiers ont été résolus, donc il nous reste encore plusieurs dossiers en activité et on se demande s'ils seront résolus un jour.

Le sénateur Dagenais : Doit-on faire une différence entre les kidnappeurs qui sont des étrangers par rapport à un membre de la famille de la victime?

Mme Arcamone : C'est une très bonne question, sénateur Dagenais. Quand il s'agit d'un enlèvement parental, on doit toujours considérer le meilleur intérêt de l'enfant. Nous sommes intervenus dans des centaines et des centaines de dossiers où les jeunes ont été localisés, ramenés chez eux au bout de plusieurs années. Quelques-uns de ces enfants ont subi un lavage de cerveau et se sont fait dire, par exemple, que leur mère ne voulait plus d'eux, que leur mère avait essayé de les tuer, que leur mère était décédée, et cetera. L'enfant revient et il ne sait plus à qui faire confiance, parce que son père lui a dit telle chose, que sa maman a été méchante durant des années et, maintenant, on le renvoie vers maman.

Également, il faut se poser la question de savoir si le fait qu'un des parents séjourne en prison est dans le meilleur intérêt de l'enfant. Ce n'est pas une question à laquelle on peut répondre en quelques minutes; il faut vraiment prendre le temps et se pencher sur cette question. S'il y a eu aliénation parentale, je pense qu'il est impératif que le jeune, qu'on suspende les visites avec le parent ravisseur, le temps que le parent ravisseur se responsabilise, reconnaisse ce qu'il a fait.

Malheureusement, dans beaucoup de cas, ces parents ne reconnaissent pas avoir commis une offense et ils menacent même de reprendre leur enfant. On doit donc suspendre les contacts, mais l'enfant vit avec ses deux parents. Comme l'a dit M. Bergeron, on vit avec les conséquences, et ces enfants aussi vont vivre avec les conséquences pour le reste de leurs jours. Dans les cas d'enlèvement parental, je pense qu'il sera important de passer, avant tout, par la prévention et d'essayer de sensibiliser les parents avant même de poser ce geste. Lorsqu'on impose des peines, qu'il s'agisse de peines d'une durée de deux ans ou de quatre ans, il faut vraiment considérer le meilleur intérêt de cet enfant qui continuera d'évoluer et de vivre et qui devra faire confiance à d'autres adultes dans sa vie et qui devra par la suite faire des choix.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci beaucoup pour vos trois excellents exposés. Je vous remercie également de votre présence.

Madame Arcamone, je suis heureuse que vous ayez soulevé dans votre exposé la question de l'indulgence à l'égard des ravisseurs qui n'ont pas eu le temps de faire du mal aux enfants. De même, si l'amendement dont nous sommes saisis aujourd'hui devait être adopté, on enverrait haut et fort le message que la violence faite aux enfants ne sera pas tolérée et que nous ferons tout ce qui est possible pour protéger nos enfants contre l'exploitation.

Je ne sais pas si vous étiez présente au moment de la comparution du témoin précédent, mais j'ai parlé brièvement d'un récent cas d'enlèvement dans ma province natale, la Saskatchewan, dans une petite ville appelée Yorkton. Le ravisseur en était à sa première infraction. Par chance, l'enfant a réussi à s'enfuir dans un délai relativement court avant que le pire ne survienne. N'empêche, le ravisseur s'est vu infliger une peine de deux ans moins un jour. Selon moi, cela illustre bien ce dont il est question ici et les mesures qui s'imposent. Vous êtes probablement d'accord avec moi là- dessus.

Mme Arcamone : Absolument. J'estime qu'il faut punir tout individu commettant un crime à l'endroit d'un enfant.

J'approuve ce que M. Bergeron a dit au début. Je pense que le Canada est un merveilleux pays. Mes parents y ont immigré il y a de nombreuses années et nous en avons fait notre patrie. En défendant cette position, le Canada ferait figure de pionnier dans ce domaine. On dit souvent que les enfants sont notre avenir. Il n'y a rien de plus vrai, mais ils doivent d'abord et avant tout être notre présent. Pour ce faire, nous devons prendre soin d'eux aujourd'hui afin qu'ils puissent prendre la relève plus tard. Je suis tout à fait d'accord avec vous.

La sénatrice Batters : Monsieur Bergeron, je salue votre courage. Chose certaine, cela a dû vous en demander une bonne dose pour venir ici aujourd'hui. Je vous suis reconnaissante d'avoir accepté de nous raconter votre expérience. J'espère que le témoignage que vous nous avez livré, à nous et à tous les Canadiens, sera un pas de plus vers votre guérison. Merci.

M. Bergeron : Merci.

Le sénateur White : Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui.

[Français]

Je vous remercie de votre participation, en particulier M. Bergeron.

[Traduction]

Je sais que cela a été très difficile, mais en même temps, c'est très important pour nous tous.

Sachez que ces délinquants sont extrêmement résistants à la thérapie. Je pourrais vous fournir un tas de preuves scientifiques à cet effet. De plus, ces prédateurs font souvent de nombreuses victimes. Si on retourne en arrière, on peut penser à des enseignants comme Ed Horne, par exemple, qui a agressé sexuellement une centaine d'enfants, pendant plus d'une décennie, dans 11 collectivités. On en retrouve beaucoup d'autres exemples ailleurs au pays et dans le monde.

Je suis d'avis que l'incarcération n'est pas la meilleure solution pour tous les délinquants. Je crois également que dans le cas de certains délinquants, plus longtemps ils sont derrière les barreaux, mieux on se porte. C'est ce que j'essaie de confirmer. C'est aussi ce que vous avez dit dans votre témoignage. Selon vous, certains individus doivent rester en prison, ne serait-ce qu'un jour, une semaine ou une année de plus, en vue de protéger un enfant. Est-ce exact?

Mme Arcamone : Absolument.

Le président : J'aimerais savoir ce qu'il en est au Québec. Cette province tient-elle son propre registre des délinquants sexuels?

[Français]

M. Surprenant : Il y a au Québec un registre pour les prédateurs sexuels.

[Traduction]

Le président : Ce n'est pas un registre indépendant, mais plutôt un registre canadien?

[Français]

M. Surprenant : Par contre, le registre a un défaut, il est administré que par deux policiers de la Sûreté du Québec. S'il arrive un incident à caractère sexuel et que n'importe quel corps de police au Québec veut avoir accès au registre, il faut absolument passer par ces gardiens de ce « coffre-fort ». Je fais le parallèle avec les États-Unis. Il y a aux États- Unis un site Internet qui s'appelle le Sex Offender. Vous inscrivez votre code postal et instantanément, vous allez savoir le nom, l'adresse et le casier judiciaire des prédateurs qui sont dans votre environnement immédiat. Alors, pour faire une comparaison, ici, c'est un « coffre-fort ». J'aimerais que ce registre soit accessible au moins à tous les corps de police sans interférence. De cette façon, on aurait une efficacité accrue pour les corps de police par rapport à ces gens. Il reste que si le policier ne voit pas l'importance d'aller au registre, une information pourrait lui échapper. Il n'ira peut- être pas voir parce que c'est compliqué. On me dit que des policiers sont attitrés à ce « coffre-fort » 24 heures par jour. Toutefois, je doute que par un dimanche après-midi, alors qu'il fait beau et qu'il est sur le bord de sa piscine, le policier va se rendre aux bureaux de la Sûreté du Québec pour fouiller dans le registre. Il va probablement remettre cela au lendemain. C'est pour cette raison que je dis qu'il est important qu'il soit accessible en tout temps par tous les corps de police.

[Traduction]

Le président : Au Québec, si un prédateur sexuel est libéré et présente un risque élevé pour la collectivité, les corps policiers ont-ils le droit d'en informer la population locale?

[Français]

M. Surprenant : Pour l'instant, cela se fait en Ontario et je crois que cela se fait également en Alberta. Au Québec, on est très frileux sur ce plan. À partir du moment où il y a une mise en accusation et que c'est d'ordre public, on pourrait placarder les poteaux et ce serait légal, mais on est encore frileux là-dessus.

[Traduction]

Le président : Votre organisation prend-elle des mesures à cet effet, de façon à ce que les policiers aient la capacité d'aviser la population lorsqu'ils considèrent qu'il y a un risque important?

[Français]

M. Surprenant : Cela fait partie du travail de sensibilisation pour faire connaître les droits du citoyen; comment se prémunir de façon légale par rapport aux prédateurs sexuels qui nous entourent, par la prévention, par le placardage, et cetera, en allant chercher seulement les éléments qui sont d'ordre public. C'est un travail à faire.

L'une des priorités lors de la mise en place de l'association a été d'informer la population face à la gravité ou le danger que représente le prédateur sexuel dans la société.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre a soulevé la question des femmes qui ont été séquestrées en Ohio, et monsieur Bergeron, vous avez été vous-même une victime. Je me demandais si vous aviez reçu de l'aide à l'époque pour surmonter cette épreuve et si cela se compare à ce qui est offert aujourd'hui. Je serai curieux de vous entendre là-dessus. Nous avons parlé de l'aide et des thérapies offertes aux délinquants, mais je pense qu'il faut surtout se pencher sur la disponibilité des ressources destinées aux victimes.

[Français]

M. Bergeron : En 1974, lorsque je me suis fait enlever, les ressources n'étaient pas les mêmes, enfin je l'espère, parce que je n'ai eu que quatre ou cinq rencontres avec un psychologue, c'est tout.

Pour ce qui est de la thérapie, elle devrait être au même titre pour la victime que pour l'agresseur. J'ai dû faire trois thérapies. J'en ai fait une en 1998. J'ai tout arrêté parce que la psychologue pleurait à ma place. En 2005, j'y suis retourné parce qu'il y a tout le temps un élément déclencheur. Cette fois, la « thérapeute » avait des diplômes erronés. J'ai tout arrêté encore une fois.

Puis en 2009, j'ai rencontré une thérapeute exceptionnelle. Je crois que je suis correct aujourd'hui. Toutefois, j'ai de la difficulté à croire que l'agresseur sera guéri après une thérapie. Je n'y crois pas. Je ne suis pas un spécialiste. Je ne suis pas thérapeute, mais Dieu sait que c'est pratiquement impossible. Lorsqu'on se retrouve devant le thérapeute, on a qu'à lui dire ce qu'il veut entendre puis tout est beau. C'est comme cela qu'ils obtiennent leur libération. Ce sont des manipulateurs. Ils sont capables de convaincre tout le monde.

En réponse à votre question sur les ressources disponibles, je vous dirais que le thérapeute, le spécialiste en cette matière — et j'ai eu de la difficulté à le trouver — c'est Marc Bellemarre, l'avocat de Québec, qui me l'a présenté. Si je n'avais pas connu M. Bellemarre, jamais je n'aurais rencontré cette personne.

[Traduction]

Le président : Y a-t-il d'autres questions?

Cela dit, merci à tous de votre présence. Vous avez été d'une grande aide.

Oui, monsieur, vous avez une remarque à faire?

[Français]

M. Surprenant : J'aimerais ajouter quelque chose aux propos de M. Bergeron. Il y a deux semaines, il y a eu un colloque à Québec. Je vous dirais que l'un des points visés, c'est d'en arriver à ce que les victimes aient au moins les mêmes services que les criminels ont en prison, voilà, au moins une parité des services. Quand vous êtes la victime, l'agresseur en prison a droit à tous les services; quand vous être victime comme monsieur, pour chaque service dont il a besoin, il doit payer pour. La parité des services serait le minimum à atteindre. Il faut faire en sorte que les droits du criminel ne passent pas en avant des droits de la victime. C'est une question de common law, si on peut dire.

[Traduction]

Le président : Merci encore. Je tiens particulièrement à féliciter M. Bergeron pour sa comparution d'aujourd'hui.

Merci aux membres du comité. Nous allons nous réunir le mercredi 22 mai pour poursuivre notre étude du projet de loi C-299. Bonne fête de la Reine.

(La séance est levée.)


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