Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 6 - Témoignages du 25 octobre 2011
OTTAWA, le mardi 25 octobre 2011
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier les raisons pouvant expliquer les inégalités entre les prix de certains articles vendus au Canada et aux États-Unis, étant donné la valeur du dollar canadien et les répercussions du magasinage transfrontalier sur l'économie canadienne.
Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales ouverte.
[Français]
Ce matin, nous allons continuer notre étude spéciale sur les raisons pouvant expliquer les inégalités entre les prix de certains articles vendus au Canada et aux États-Unis.
[Traduction]
Chers collègues, je suis ravi d'accueillir M. Ian Gordon, président de Convergence Management Consultants Ltd. Il a réalisé de vastes recherches sur les écarts des prix au détail entre le Canada et les États-Unis, et nous attendons avec intérêt son exposé de ce matin.
Monsieur Gordon, je crois savoir que vous allez commencer par faire quelques remarques préliminaires. Nous en avons reçu des copies qui vont nous permettre de vous suivre, et ensuite de passer à une période de questions et de réponses. Nous avons scindé la matinée en deux parties et nous vous avons réservé la première d'une durée d'une heure. La parole est à vous.
Ian Gordon, président, Convergence Management Consultants Ltd., à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous au sujet de cette question, si importante. Au début des années 1990, j'ai été le partenaire client, principal auteur et directeur de projet d'une série d'études portant essentiellement sur la même question. Dans l'exposé qui suit, je vais vous donner un aperçu de nos constatations de l'époque et de ce qui a changé depuis pour ensuite voir si les constats d'alors demeurent valables et quelle serait la voie à suivre.
Permettez-moi tout d'abord de vous parler de mes antécédents. J'ai plus de 25 ans d'expérience comme conseiller en gestion, c'est-à-dire que j'aide mes clients à analyser des informations factuelles et à déterminer leur action devant des enjeux stratégiques. Avant de fonder mon entreprise — Convergence Management Consultants Ltd. — il y a 15 ans, j'ai été associé principal dans la firme d'experts-conseils Ernst & Young, où j'étais chargé de la stratégie, du marketing et de la recherche.
J'ai écrit deux ouvrages sur la concurrence et la stratégie concurrentielle, ainsi que des articles sur le commerce de détail, le magasinage en ligne, les magasins à succursales et les réseaux commerciaux. J'ai aussi donné des cours sur les réseaux de distribution aux étudiants de MBA.
Les études des années 1990 portaient sur les écarts de prix de détail et sur la compétitivité des réseaux de distribution, et pas seulement sur la compétitivité dans le commerce de détail. Nous avons constaté que le problème tenait à mille et un facteurs qui avaient un effet sur les prix et dont il fallait s'occuper.
Les études ont porté sur 49 biens de consommation non durables, semi-durables et durables, sur les automobiles et les pièces d'automobile neuves et d'occasion, ainsi que sur des questions sous-jacentes comme les coûts de main- d'œuvre, les coûts de l'immobilier, la fiscalité, les transports et la technologie. Nous avons constaté que le gros des écarts entre les prix de détail tenait aux fabricants, responsables de 37 p. 100 de la différence pour tous les biens étudiés, produits automobiles non compris. Les détaillants, quant à eux, étaient responsables de 9 p. 100. Les compagnies de distribution, détaillants non compris, étaient responsables de 27 p. 100, alors que les 27 p. 100 restants étaient le fait des coûts des transports, des tarifs douaniers, des droits d'importation et d'autres coûts.
La part des fabricants était particulièrement élevée dans le cas de nombreux produits alimentaires à offre réglementée et d'autres produits d'alimentation, ainsi que dans celui de produits particuliers comme les marteaux, les carreaux de plafond, les bottes d'enfants, les cuisinières, les réfrigérateurs et les vélos de montagne. La part des détaillants était plus importante dans le cas des bardeaux, des tables de sciage, des draps, des chaussures, des manteaux, des chemises, des pantalons en molleton et du pain. En revanche, parmi les produits que nous avons analysés, les droits de douane et autres droits jouaient un rôle important dans le cas de l'électronique grand public, des poupées pour enfants, des jeans pour fillettes et des pantalons tout-aller pour garçons.
Le pays d'origine du produit avait un effet sur les prix de vente au détail, et la filiale canadienne, ou l'importateur canadien, était la principale raison pour laquelle les produits fabriqués à l'étranger enregistraient les plus fortes marges de distribution totales. Cela touche l'ensemble du circuit et pas seulement les détaillants.
Certains fabricants pratiquaient des prix plus élevés sur les produits destinés à la vente au Canada parce qu'ils entendaient bénéficier de marges plus élevées ici. Les réseaux commerciaux canadiens étaient moins développés que leurs homologues américains, ce qui avait des conséquences sur leurs coûts unitaires, leur efficience opérationnelle et leur pouvoir de marchandage auprès de leurs fournisseurs.
D'autres coûts, comme les droits de douane et les frais de transport, contribuaient sensiblement aux différences de prix. Il y avait par exemple des différences de droits de douane à l'égard des produits fabriqués dans les pays émergents, comme les chaussures. Les frais de transport aussi étaient plus élevés, et les coûts d'emballage, d'étiquetage et les autres coûts d'observation ajoutaient aussi au coût des produits vendus au Canada.
En résumé, quatre grands facteurs expliquaient les différences entre les prix de détail au Canada et aux États-Unis : Le premier est les questions d'échelle les grossistes et détaillants canadiens travaillent à une plus petite échelle que ceux des États-Unis. Viennent ensuite les réseaux de distribution canadiens qui comportent un participant de plus — un importateur ou une filiale — par rapport à de nombreux réseaux de distribution des États-Unis.
Le troisièmement est les prix à l'entrée dans le réseau de distribution. Les fabricants pratiquaient souvent des prix plus élevés pour les produits destinés au Canada que pour les produits destinés aux États-Unis. Le quatrième est les coûts d'exploitation. Certains facteurs, comme les coûts d'occupation — principalement les loyers — et l'impôt sur les sociétés, coûtaient à l'époque plus cher au Canada.
Si l'on refaisait les mêmes études aujourd'hui, aboutirait-on aux mêmes conclusions? Je parlerai de quelques changements importants qui influent sur certains aspects des études précédentes. Une telle analyse devrait nécessairement être qualitative, puisque nous ne disposerions pas des données quantitatives nécessaires pour nous éclairer.
C'est difficile à imaginer, mais il faut se rappeler que l'Internet grand public n'existait pas au début des années 1990. Ainsi, de nos jours, la frontière est devenue virtuelle dans les achats en ligne par ordinateur ou par téléphone intelligent. Le magasinage par Internet est important, parce qu'il facilite les comparaisons outre-frontière, établit un plancher pour les prix à la consommation au Canada et impose une valeur aux produits achetés sur place.
Par exemple, j'ai acheté ces lunettes de marque chez mon opticien local pour 475 $. Celles-ci, sans marque, ont été achetées en ligne aux États-Unis pour 10 $ incluant les frais de port.
Le sénateur Nancy Ruth : Verres compris?
M. Gordon : Et traitements. Les lunettes de marque étaient un peu plus chères. Je vois très bien avec les deux et je me demande si celles que j'ai achetées ici valent vraiment 465 $ de plus.
Les détaillants américains jouaient déjà un grand rôle dans l'équation il y a vingt ans parce que les Canadiens allaient aux États-Unis pour acheter leurs produits. Maintenant, beaucoup de détaillants américains sont installés ici et les magasins à grande surface et les magasins à succursales ont proliféré. On ne saurait exagérer l'importance des magasins à succursales et des magasins à grande surface comme Wal-Mart, Costco, Home Depot, Lowe's, Canadian Tire, Rona, Best Buy-Future Shop, Chapters-Indigo et maintenant Target. La structure des réseaux de distribution canadiens a évolué depuis 20 ans, mais certaines différences structurelles demeurent, comme les magasins d'usine. Il y a plus de chances maintenant qu'avant que les biens semi-durables vendus au Canada soient fabriqués en Asie ou dans d'autres pays hors Amérique du Nord. Suivant certaines sources, la Chine vendrait 10 p. 100 de ses exportations par l'intermédiaire de Wal- Mart.
Les sens opposés des prix de l'immobilier et de la main-d'œuvre aux États-Unis et au Canada observés dernièrement exacerbent vraisemblablement la pression à la hausse sur les prix de détail au Canada, tandis que l'ALENA et la réduction des impôts sur les entreprises ont l'effet inverse. Les coûts de certains facteurs de production, comme l'énergie, ont passablement changé depuis 20 ans.
À en juger par ce qui précède, les différences d'échelle et les différences de structure des réseaux de distribution ne joueraient plus un rôle aussi important qu'avant et il ne serait peut-être pas nécessaire de s'y attarder outre mesure dans la présente étude. La question des prix pratiqués par les fabricants demeure sans doute importante, en particulier dans le cas des détaillants trop petits pour jouir d'un fort pouvoir de marchandage. Elle peut l'être moins si l'étude porte essentiellement sur les grands détaillants.
En revanche, la question des coûts d'exploitation au Canada est peut-être plus importante que jamais. Vient ensuite la question des procédés et des décisions des détaillants en matière de prix, qui mérite qu'on les étudie.
Les données produites antérieurement sont insuffisantes pour bien analyser certaines questions importantes dans le contexte actuel. La première serait de savoir si les marges relatives au Canada se sont amenuisées, sont restées stables ou ont augmenté depuis l'étude précédente. Il faudrait ensuite se demander si les facteurs qui sous-tendent les coûts d'exploitation ont plus évolué au Canada qu'aux États-Unis depuis vingt ans?
La troisième question viserait à déterminer si les détaillants actifs à l'échelle de l'Amérique du Nord s'attendent, dans leurs activités au Canada, à une marge supérieure à celle qu'ils enregistrent sur leurs activités aux États-Unis, peut-être pour compenser leurs résultats aux États-Unis. La question suivante chercherait à voir si les produits vendus par les détaillants installés dans les deux pays sont identiques des deux côtés de la frontière ou s'ils présentent-ils des différences.
La cinquième question demanderait quelles sont les stratégies d'adaptation des détaillants et à quelle fréquence et suivant quels procédés ceux-ci modifient leurs prix lorsque les taux de change et leurs autres coûts changent? Nous nous demanderions ensuite pourquoi, lorsque les coûts des facteurs changent, les prix de détail semblent-ils évoluer rapidement à la hausse et lentement à la baisse.
La septième question verrait à déterminer si les fabricants continuent-ils de pratiquer des prix plus élevés sur les produits destinés au Canada que sur ceux destinés aux États-Unis. Enfin, la dernière question serait : « En quoi l'évolution des prix de l'immobilier a-t-elle influé sur les coûts d'occupation des entreprises de détail? »
On a par ailleurs grand besoin de données courantes sur les sujets suivants : le niveau absolu des prix des produits similaires vendus par la voie de réseaux de distribution analogues dans des régions frontalières semblables du Canada et des États-Unis; l'attribution des causes des différences de prix aux diverses catégories d'intervenants; les stratégies, les modalités et le calendrier d'ajustement des entreprises pour gérer leur prix, en particulier pour les détaillants travaillant à l'échelle de l'Amérique du Nord; les facteurs sous-jacents qui ont des répercussions sur les écarts de prix et les problèmes d'adaptation; la valeur de la vente au détail sur place, où les prix en ligne peuvent servir de plancher à des fins de comparaison.
Comme dans les études précédentes, les secteurs prioritaires pourraient comprendre les automobiles, pièces et pneus d'automobile, neufs et d'occasion, l'habillement, les appareils électroménagers, le linge de maison, l'électronique grand public, la quincaillerie et les outils, le bois et le matériel de construction, les articles de sport et les jouets. L'étude pourrait englober en outre les livres, les meubles et les fournitures et accessoires d'ameublement de maison, les lunettes et peut-être même les voyages aériens. Cette fois, on pourrait exclure les articles d'épicerie et les produits d'alimentation.
Étant donné l'importance et l'essor des magasins à succursales, il serait approprié de s'y intéresser de près, en se concentrant sur les détaillants travaillant à l'échelle du continent et sur les centres de décision actifs à la fois au Canada et aux États-Unis.
Les facteurs sous-jacents des prix suivants méritent qu'on les étudie : les frais de transport, y compris le transport aérien, les transporteurs d'automobiles, le groupe froid, les semi-remorques à plateau, les charges partielles et les petits paquets, et les coûts connexes, en particulier le coût de l'essence; les coûts d'observation comme ceux qui concernent l'emballage et l'étiquetage; les barrières non tarifaires comme les exclusions de service et de garantie; les coûts d'occupation notamment le subventionnement possible des locataires-clés par les petits détaillants et les taux de location nets, qui étaient auparavant plus élevés de 5 à 10 $ le pied carré au Canada qu'aux États-Unis; les coûts de main-d'œuvre — même si cette question n'était pas importante précédemment; les impôts provinciaux et locaux et les impôts des États. Les travaux réalisés auparavant ont révélé que, globalement, la différence pouvait aller jusqu'à 15,6 p. 100 précédemment. On pourrait examiner aussi la réglementation fiscale applicable à l'amortissement des biens clés.
Je crois qu'il ne faut pas espérer une seule et unique solution au problème; le salut viendra plutôt d'une série d'interventions ciblées visant à atténuer les frictions qui ajoutent aux coûts de distribution et à établir un climat propice à une modification des stratégies et mécanismes d'établissement des prix. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de témoigner. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci d'avoir posé un certain nombre de questions intéressantes. J'aimerais préciser deux points. Vous avez parlé des taxes imposées par les provinces, par les États et par les administrations locales. L'écart entre leurs totaux cumulés atteindrait 15,6 p. 100?
M. Gordon : Oui.
Le président : Le total le plus élevé était au Canada?
M. Gordon : Oui. Dans ce cas particulier, la comparaison a été faite entre le Québec et le New Hampshire. C'est le résultat obtenu dans ce cas précis.
Le président : Cette comparaison a été faite dans le cadre de l'étude d'Ernst & Young de 1992 que vous avez dirigée.
M. Gordon : Oui.
Le président : Cette étude était très détaillée. Savez-vous si des études plus récentes, d'Ernst & Young ou de n'importe quel autre groupe, ont permis d'avoir des données plus à jour?
M. Gordon : J'aimerais pouvoir vous répondre par l'affirmative, mais je n'en connais pas.
Le président : Au haut de la page 4, vous dites : « On a par ailleurs grand besoin de données courantes sur les sujets suivants : » Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par « L'attribution des causes des différences de prix aux diverses catégories d'intervenants. » Qu'est-ce que cela veut dire?
M. Gordon : Nous avons parlé de quatre grands facteurs, soit les questions d'échelle, la structure des réseaux de distribution, les prix à l'entrée de ceux-ci et les coûts d'exploitation. Imaginez que nous dessinions une matrice sur laquelle nous porterions ces quatre facteurs en ordonnée et les divers secteurs en abscisse. Nous aurions alors une intervention possible à chaque intersection de la matrice, et donc plusieurs moyens d'ajustement pour chaque secteur. Cela permettrait à quelqu'un de saisir comment les valeurs se cumulent pour toute une gamme de produits, par secteur, et de voir quel est l'intervenant à l'origine des écarts de prix les plus marqués. C'est ce que j'entends par « l'attribution » des causes des différences de prix aux diverses catégories d'intervenants. Si j'en ai parlé, c'est que c'est le point de départ. La question peut se poser au niveau du détaillant, du grossiste ou du manufacturier.
Le président : Merci. Vous m'avez donné mon explication. Nous aurons peut-être d'autres questions sur ce sujet par la suite.
Le sénateur Gerstein : Je vous remercie, monsieur Gordon, de comparaître aujourd'hui. Sachez tout d'abord combien nous sommes ravis que vous soyez là. Je crois que tout le monde est au courant, mais permettez-moi de rappeler à tous que, avant même que nous entreprenions cette étude, M. Gordon a adressé au président et au vice-président de notre comité une note accompagnée de l'article qu'il a publié dans le Ivey Business Journal.
Vous nous avez donné l'exemple du prix de vos lunettes. Nous avons entendu parler de cas concernant Abercrombie & Fitch, J. Crew et Costco des côtés américain et canadien. Cela m'amène au titre de votre article, qui est : « Pourquoi les prix au détail ne baissent-ils pas au Canada? La vigueur de la devise canadienne et le problème des prix au détail. »
Vous y dites qu'on peut se livrer à des spéculations, mais que les faits ne sont pas encore connus. M. Gordon, vous avez bien soulevé toutes les questions pertinentes. Vous êtes très utile aux travaux de ce comité en énonçant les types de sujets sur lesquels nous devrions nous pencher. Je vais toutefois vous demander d'abandonner un instant votre rôle d'universitaire et de vous mettre dans la peau d'un consommateur et, dans ce nouveau rôle, de vous laisser aller à faire des spéculations. À votre avis, pourquoi les prix canadiens ne diminuent-ils pas? Comment voyez-vous la situation? Il se peut que vous ne disposiez pas de toute l'information et de toutes les données que vous aimeriez avoir pour étayer votre point de vue. De façon intuitive, que se passe-t-il à votre avis?
M. Gordon : Ce n'est pas un exercice auquel je me livre couramment comme consultant.
Le sénateur Gerstein : Je le sais, mais vous avez une vie en dehors de vos comparutions devant un comité sénatorial.
M. Gordon : C'est bien pourquoi je me dois de faire attention à ce que dis.
Étant donné ce que je sais des travaux réalisés il y a 20 ans, comme consommateur, j'imaginerais qu'il y a essentiellement deux raisons qui empêchent les prix de baisser. L'une serait les prix pratiqués par les manufacturiers à l'entrée du canal de distribution et l'autre la structure de l'industrie qui, dans certains secteurs, ne favorise pas nécessairement la concurrence par les prix. Voilà ce que je dirais comme consommateur.
Est-ce que cela conduit à des stratégies, à des modalités ou à d'autres facteurs d'ajustement qui ne conduisent pas à réduire immédiatement les prix? C'est possible, mais je l'ignore. Toutefois, si je me laisse aller à spéculer un peu plus, les deux secteurs sur lesquels je me pencherais seraient ceux des produits électroniques de consommation et, probablement, des livres.
Si je poussais plus loin mes spéculations comme consommateur, je me demanderais pourquoi la structure des ventes au détail au Canada semble passablement différente de ce qu'elle est aux États-Unis. Je voudrais savoir pourquoi la vente des produits de fabricants concurrents posait un problème il y a 20 ans. Les vendeurs d'automobiles ont résolu cette question en faisant l'acquisition de concessions de plusieurs marques, au lieu de s'en tenir à plusieurs marques sous un même toit comme auparavant. Je me demanderais pourquoi les véhicules de haut de gamme sont en général plus chers au Canada. Cela a-t-il à voir avec la structure de l'industrie? Je prendrais deux ou peut-être trois secteurs.
Le secteur de l'épicerie semble très concurrentiel. Le problème dans celui-ci ne se poserait donc sans doute pas au niveau des détaillants. Il pourrait se situer au niveau de la gestion des approvisionnements, mais je n'en sais rien. En me fiant à l'étude faite il y a 20 ans, la plupart des produits dont les prix étaient influencés de façon marquée par des intrants dont l'offre était réglementée étaient nettement plus coûteux au niveau du détail. Nombre de ceux qui n'étaient pas soumis à cette influence ne l'étaient pas.
Je parcours en esprit tous les secteurs de la matrice que j'ai évoquée auparavant. Je ferai des suppositions différentes pour chacun d'eux.
Le sénateur Gerstein : Je réalise fort bien que vous traiteriez ces questions avec toute votre profondeur habituelle. Les points que vous avez soulevés nous sont très utiles.
Nous sommes un comité sénatorial et, dans ma vision des choses, qui peut être erronée, le seul moyen dont dispose le gouvernement pour exercer un contrôle est l'imposition de tarifs ou de droits. J'ignore si vous pensez à d'autres moyens d'action que le gouvernement pourrait utiliser directement, mis à part une force de persuasion morale ou des efforts pour permettre au grand public d'avoir une vision plus juste de la situation.
En pratique, l'imposition de tarifs douaniers est-elle la seule mesure que le gouvernement pourrait utiliser pour agir sur les prix à la consommation?
M. Gordon : Je m'attendais à ce que vous posiez cette question. J'ai préparé une réponse partielle. Dans la mesure où les tarifs douaniers restent un problème, une réaction plus rapide semblerait justifiée. J'ignore si les tarifs douaniers, par exemple sur les chaussures, qui étaient en vigueur et importants il y a 20 ans, ont évolué de façon marquée depuis lors. Si ce n'est pas le cas, il faudrait se demander quelle industrie ils protègent et pour quelle raison les choses n'ont pas changé. J'ignore si la situation a changé ou non.
Il pourrait aussi s'avérer intéressant de vérifier si c'est un problème qui ne se pose que tous les 20 ans ou si un examen permanent de la situation est justifié par la nature de la concurrence au sein d'une industrie ou entre ses circuits de distribution. Il est possible qu'on puisse procéder à des comparaisons de ces données pour s'éviter d'avoir à refaire une analyse détaillée tous les 20 ans. Cela pourrait permettre d'identifier les mesures importantes et de se contenter ensuite d'en faire le suivi pour évaluer en permanence l'état de la concurrence.
Nous avons parlé de la gestion des approvisionnements. J'ignore si c'est hors sujet ou non. Nous avons parlé de façon assez détaillée de l'intensité concurrentielle de la structure de l'industrie et il se peut que le gouvernement ait un rôle à jouer en analysant certains de ses aspects. J'ignore quel rôle il pourrait décider de jouer dans l'examen ou l'étude de certains aspects de ces questions, dans le secteur automobile, par exemple. La structure que celui-ci a mise en place semble, dans une large mesure, en être une de réseau de franchisés des fabricants.
Je pense connaître la réponse à ceci. Si un détaillant voulait importer des véhicules d'une entreprise affiliée aux États- Unis, et les vendre ici comme neuves, il n'aurait probablement pas le droit de le faire, même en veillant à ce que les feux de position soient allumés dans la journée, en modifiant les points d'ancrage des ceintures de sécurité et en s'assurant que toutes exigences canadiennes sont respectées. Il se peut que le gouvernement ait un rôle à jouer dans l'étude de certains aspects de la structure de l'industrie. J'ai choisi le secteur de l'automobile, mais j'ignore si c'est un choix qui convient. Ce sont les trois points qui me viennent à l'esprit.
Le sénateur Finley : Monsieur Gordon, j'ai lu vos divers rapports et articles. Quant à vos mille et un facteurs, cela s'appliquait il y a 20 ans. Je suppose que leur nombre s'est multiplié depuis cette époque.
Certains points précis que vous avez abordés pendant vos remarques préliminaires m'intéressent tout particulièrement. Vous semblez dire que des manufacturiers ont, à un moment donné, vendu plus cher au Canada des produits destinés au marché américain. Cela se serait produit au niveau des intrants du processus de fabrication, probablement pour des produits identiques.
Arrive-t-il encore qu'un manufacturier cherche délibérément à abuser des consommateurs canadiens? Je le dis de façon aussi polie que possible, mais nous savons fort bien que cela se produit. Pour des raisons qui m'échappent, nous n'avons pas l'air de nous en préoccuper.
M. Gordon : Je ne suis pas sûr que je le formulerais de cette façon.
Le sénateur Angus : C'est une façon très écossaise de s'exprimer, vous savez.
M. Gordon : À ce que je sais des manufacturiers, ils estiment devoir réussir sur le marché américain avant d'être en mesure de s'attaquer aux autres marchés mondiaux. Ils doivent faire tout ce qui est nécessaire pour réussir aux États- Unis. Il arrive que, au Canada, nous appelions ça la règle du 10 sur un et nous sentions défavorisés par notre échelle relativement plus petite. Pour l'essentiel, je crois que cela tient au fait que pour réussir partout dans le monde, il faut conquérir l'Amérique, en particulier pour nombre des marques bien connues dont nous parlons. Lorsque les prix sont plus élevés au Canada, c'est essentiellement que notre marché n'est pas aussi important pour eux.
Le sénateur Finley : Vous nous dites donc qu'ils appliquent une majoration de prix?
M. Gordon : Je crois que oui.
Le sénateur Finley : Avez-vous une idée de l'ampleur ou de la gamme de ces majorations?
M. Gordon : Une fois encore, je crois que cela varie beaucoup selon les catégories de produits ou les secteurs d'activités.
Avec l'émergence de détaillants desservant tout le continent, et la planète, et s'approvisionnant au niveau mondial, il se peut que ce facteur perde de son importance parce que, en passant leurs commandes, ils vont tenter de répondre à la demande mondiale. Il se peut que, dans les 20 ans à venir, leurs relations avec les fabricants de marques connues exercent une influence moindre sur les détaillants concernés quand il s'agira de fixer des prix sur un marché national, par exemple celui du Canada, parce que la totalité de ces relations sera alors régie par les détaillants sur ce marché.
Le sénateur Finley : Permettez-moi d'être un peu plus précis. Dans le cas du secteur des produits électroniques de consommation, dont vous et moi discutions brièvement avant d'avoir évoqué ces possibilités, même si je n'ai vu aucun chiffre qui le confirme, l'ensemble formé par Future Shop et Best Buy accaparerait plus de 70 p. 100 des ventes au détail de produits électroniques de consommation au Canada. Je pense que c'est là une approximation raisonnable les concernant.
Une entreprise comme celle-ci a-t-elle un service des achats, probablement situé à l'étranger et je l'imaginerais bien en Extrême-Orient, devant fournir l'ensemble de ses magasins du continent nord-américain et expédiant ses marchandises comme elle le ferait pour une seule entité? Cela constituerait-il une base raisonnable pour analyser un exemple très précis, comme Future Shop ou Best Buy?
M. Gordon : Je ne peux parler précisément de Best Buy ni de Future Shop, mais il n'est pas rare que des détaillants travaillant à l'échelle mondiale aient leurs bureaux d'achat sur le marché où ils s'approvisionnent pour faciliter leurs achats mondiaux.
Le sénateur Finley : Lors de vos diverses analyses et de leurs mises à jour, vous est-il arrivé d'examiner l'incidence des frais portuaires et des frais d'atterrissage dans les aéroports sur la chaîne de distribution. Il se peut en effet, pour revenir à la question du sénateur Gerstein, que le gouvernement du Canada puisse agir dans une certaine mesure sur ceux-ci. Je ne sais pas si c'est possible. Les écarts éventuels entre ces deux types de frais se répercutent-ils dans le réseau de distribution au point d'entraîner des écarts de prix importants, s'il y en a, entre le Canada et les États-Unis?
M. Gordon : Si je me souviens bien, nous n'accordions pas d'importance à cette question il y a 20 ans. Je crois savoir qu'on peut maintenant, et pour un nombre croissant de marchandises, faire procéder aux États-Unis au transbordement en franchise de celles dont la destination finale est le Canada. Elles sont donc réexpédiées une seconde fois à partir des États-Unis au lieu de devoir entrer dans ce pays, puis au Canada. Une fois encore, il se peut que cela dépende de l'entreprise et de ses moyens de logistique.
Le sénateur Finley : J'ai encore mille et une questions, monsieur le président, mais je vais attendre le prochain tour.
Le président : Merci. Je vous inscris donc pour la seconde série de questions. Nous allons poursuivre cette étude pendant six mois et il y aura quantité d'occasions intéressantes. S'il s'avère que nous devions inviter à nouveau M. Gordon parmi nous pour obtenir son aide sur certains points, je suis sûr que ce sera possible.
Le sénateur Marshall : La semaine dernière, nous avons entendu des fonctionnaires du ministère des Finances. L'une des questions que je leur ai posées portait sur les types d'études qui ont été réalisées sur ce sujet. La vôtre d'il y a 20 ans a été la première qu'ils ont mentionnée et j'ai donc commencé par la lire.
Ce qui m'a paru intéressant est sa méthodologie. Lorsque vous avez pris la parole ce matin, vous avez commencé par rappeler votre rapport de 1992 et par évoquer certains aspects qui devraient être traités pour permettre de le mettre à jour. Pourriez-vous nous expliquer quelle a été la méthodologie suivie? Vous avez décomposé votre travail en 10 catégories de produits. Aviez-vous 10 équipes? Je suis curieux de savoir comment l'étude a été réalisée. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet?
M. Gordon : Nous avions sélectionné des critères pour choisir les différentes catégories de produits. Je crois me souvenir qu'il y en avait quatre et que les deux plus importants étaient la présence d'écarts importants dans les prix des produits et d'achats transfrontaliers considérables de ces produits.
En règle générale, sauf une foi où ce fut l'inverse, nous recommandions au client les produits à sélectionner et celui- ci, avec ses conseillers et les différents intervenants, confirmait notre sélection ou nous donnaient de nouvelles orientations. Je crois me souvenir que dans un cas, les choses se sont déroulées à l'envers. On nous a recommandé d'intégrer certains produits à notre étude.
Nous cherchions des produits qui étaient raisonnablement représentatifs des modalités d'achat transfrontalières. Nous ignorions le pourcentage de tous les produits que nous avons couverts. Nous ne pouvons donc dire si notre étude a porté sur 30 p. 100 des produits faisant l'objet d'achats transfrontaliers, ou de quel pourcentage il s'agissait. Toutefois, nous sommes d'avis que ces produits, de façon générale, constituaient une représentation assez juste des biens non durables, durables et semi-durables, ainsi que du secteur automobile.
Le sénateur Marshall : Avez-vous mis sur pied 10 équipes pour faire ce travail? Il a été fait par Ernst & Young, ce qui m'amène à penser que 10 équipes auraient pu être mises sur pied pour réaliser le travail sur le terrain. Pouvez-vous nous dire comment les choses se sont passées? J'essaie d'avoir une idée du temps qui a été consacré à l'étude. Quelle a été l'importance des travaux? Ont-ils nécessité 100, 1 000 ou 10 000 heures de travail? Combien de personnes y ont travaillé? Comment le travail a-t-il été organisé?
M. Gordon : C'est une bonne question. Permettez-moi de vous répondre sur la structure et j'essayerai ensuite de vous donner des ordres de grandeur.
En fonction de nos besoins, nous avons fait appel aux ressources du cabinet d'expertise comptable pour faire le travail. Des gens ont eu à faire passer des séries d'entrevues. Prenons par exemple le cas de la literie et du linge de maison. Quelqu'un se voyait confier la tâche d'organiser ce travail. Le plus souvent, il ne s'agissait pas d'une équipe montée spécifiquement, dans ce cas-ci pour la literie et le linge de maison, mais plutôt d'un genre de tâche précise.
Si l'étude avait des répercussions sur des questions de comptabilité ou de fiscalité, nous demandions alors à quelqu'un du cabinet d'expertise comptable d'apporter ses compétences dans ce domaine particulier. Si une personne se voyait confier le mandat d'interviewer les détaillants de literie et de linge de maison, c'était ce qu'elle devait faire. Tout cela s'organisait sous forme de gestion de projet.
Le sénateur Marshall : J'essaie d'évaluer l'énormité de la tâche.
M. Gordon : Il s'agissait probablement d'un travail à très grande échelle. L'exercice de définition de la portée est, au moins en partie, celui auquel nous avons accordé la priorité pour obtenir le meilleur rendement... Demandons-nous si nous pourrions tout étudier ou si nous devrions abandonner certains sujets en cours de route.
Le sénateur Marshall : Vous avez défini la portée de cette étude en 1992 et, ce matin, vous avez fait quelques suggestions pour la modifier. Toutefois, les fonctionnaires du ministère des Finances nous ont dit, au sujet de cette étude, qu'il s'agissait là d'une entreprise passablement importante, et j'en ai tiré la même conclusion en la lisant. Nous pourrions l'utiliser comme base et pousser les choses plus loin. Est-ce que ce fut un projet important? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
M. Gordon : Oui. J'essayais de me souvenir de l'ensemble des compétences qui se sont avérées nécessaires, et de leur équilibre, et du nombre approximatif d'heures qui y a été consacré. Il était très élevé. À cette époque, c'était un projet très important pour le cabinet.
Si je devais le refaire, permettez-moi de faire des spéculations, au lieu de tenter de collecter toutes les données pour élaborer des réponses à partir de ces données, comme si l'étude d'il y a 20 ans n'avait pas été faite, j'utiliserais celle-ci comme une pierre de touche, poserait les questions et utiliserait les données pour éclairer ces questions. Cela réduirait l'ampleur du travail que vous voulez faire.
Si vous cherchez des réponses aux questions qui n'en ont pas, montons une base de données et cherchons ensuite à en tirer toutes les réponses possibles. Cela pourrait s'avérer la meilleure façon de poser les bonnes questions dès le début si l'objectif visé est de réduire l'ampleur du travail.
Le sénateur Ringuette : C'est très intéressant. J'ai trouvé que la question du sénateur Gerstein sur ce que le gouvernement pourrait faire était intéressante. Il y a au moins deux domaines dans lesquels le gouvernement peut intervenir. L'un est celui du prix de l'essence et du carburant diesel utilisé pour transporter ces marchandises. Il est 32 p. 100 plus élevé au Canada qu'aux États-Unis, essentiellement à cause de taxes.
L'autre question qui est maintenant un fait accompli, mais qui n'était probablement pas présente dans votre étude d'il y a 20 ans, est l'utilisation des cartes de crédit et les coûts que cela entraîne pour les détaillants, qui dépassent cinq milliards de dollars par an au Canada. C'est un coût qui doit être intégré au prix des produits de détail, ce qui n'était pas le cas il y a 20 ans. Ce sont certainement là deux domaines dans lesquels le gouvernement fédéral peut intervenir.
Vous nous avez dit avoir lu la transcription de notre réunion précédente. J'en viens à la question des voitures fabriquées au Canada. Comment se fait-il que les trois fabricants nord-américains d'automobiles, GM, Ford et Chrysler Dodge, fabriquent au Canada des voitures qui sont vendues, en moyenne, 4 000 $ de plus au Canada qu'aux États-Unis? J'ai en même temps examiné ce qu'il en est pour les voitures fabriquées au Canada par Honda et Toyota, et les prix qu'ils pratiquent au Canada ne sont pas différents de ceux en vigueur aux États-Unis.
Il est certain qu'il faudrait faire intervenir bon nombre de nouveaux facteurs par rapport à ceux utilisés dans votre étude de 1992, même si la méthodologie de base restait probablement la même aujourd'hui. Il faudrait cependant tenir compte des dimensions mondiales du marketing, des achats et de la distribution, ainsi que des achats sur Internet.
En ce qui concerne les achats sur Internet, je viens du Nouveau-Brunswick, qui est voisin du Maine. L'examen des écarts de prix entre les biens de consommation des deux côtés de la frontière est devenu un comportement naturel pour les gens qui habitent à proximité.
L'une des choses que j'ai observées concerne les achats sur Internet. Si un Canadien achète des produits en ligne auprès des vendeurs américains, il y a un écart de prix. Lorsque vous ajoutez les coûts d'expédition, l'écart de prix du produit n'est plus si important. Toutefois, le résident américain qui achète le même produit et se le fait livrer dans le Maine, juste sur l'autre rive de la petite rivière à proximité de chez moi, n'a pas à payer ces coûts d'expédition. L'élément des coûts de transport joue donc un rôle important au Canada.
J'ignore si vous avez fait récemment des études. Vous avez parlé des lunettes. Vous vous êtes penchés sur cette question.
M. Gordon : Si je peux revenir au travail fait il y a une vingtaine d'années, nous avons décomposé l'élément de coût des transports. Les coûts de main-d'œuvre se répartissaient entre 28 p. 100 pour le conducteur et 29 p. 100 pour les autres travailleurs, pour un total de 57 p. 100. Les coûts des réparations et des pneus atteignaient 20 p. 100, ceux de l'amortissement 6 p. 100, le carburant 13 p. 100 et les autres éléments 4 p. 100.
Le sénateur Ringuette : À cette époque.
M. Gordon : C'était il y a 20 ans. Je ne connais pas le pourcentage d'augmentation des coûts du carburant, mais disons qu'ils ont doublé. Si on tient compte de ce doublement dans les coûts totaux, il devient un autre facteur à prendre en compte. C'est une question importante, parce qu'il y a là une grande diversité de questions qui, une fois agrégées, constituent l'objet même de l'étude. Toutefois, ce facteur n'est pas aussi important qu'il pourrait sembler quand on situe les coûts de transport dans l'ensemble des coûts qu'il faut analyser, et c'est un pourcentage plus faible du transport en valeur agrégée.
Il est clair, si on prend en compte tous ces coûts, que si l'on devait demander aux détaillants de réduire les prix de l'écart perçu, quel qu'il soit, entre les prix pratiqués au Canada et aux États-Unis, ils devraient vendre entre deux et cinq fois plus qu'ils ne le font actuellement, selon leur marge brute et selon la catégorie de produits, pour réduire leurs prix de 20 à 30 p. 100. Je réalise fort bien que j'adopte une orientation un peu différente de celle à laquelle vous êtes parvenus, mais lorsqu'on examine tous ces coûts et qu'on se demande comment il est possible de les suivre dans toute la chaîne de distribution elle-même, ce n'est pas au détaillant de procéder à la totalité des ajustements.
Le sénateur Ringuette : Je conviens que le fait de disposer d'une population 10 fois supérieure à celle du Canada confère un pouvoir d'achat, mais il est intéressant de remarquer que vous avez également signalé que le marketing mondial constituerait un facteur important, pour le fabricant de n'importe quel produit, pour réussir sa pénétration du marché américain.
Le sénateur Angus : Vous voudrez bien me pardonner si les questions que j'aborde ont déjà été traitées auparavant, mais je remplace ce matin le sénateur Neufeld. J'ai deux questions très courtes.
Quand vous faites référence aux manufacturiers et dites qu'ils fixent les prix, parlez-vous des manufacturiers américains et des manufacturiers canadiens?
M. Gordon : Et également d'outre-mer.
Le sénateur Angus : Donc, pour l'essentiel, au sujet de la fixation des prix des marchandises qui seront consommées au Canada par opposition à d'autres endroits, vous parlez de tous les manufacturiers.
M. Gordon : C'est exact.
Le sénateur Angus : En second lieu, je suis davantage préoccupé par les entraves aux échanges commerciaux entre l'est et l'ouest au sein de notre propre pays que par les entraves du type ALENA, ou par l'élimination de celles-ci. Avez-vous eu l'occasion de constater des situations similaires à celles décrites par le ministre ici l'autre jour concernant, par exemple, les écarts entre les prix pratiqués au Nouveau-Brunswick et au Québec, qui tiendraient au même type de raisons? S'agit-il là d'une question analogue?
M. Gordon : Je ne suis pas sûr, quand je remonte 20 ans en arrière, de bien me souvenir de tous les détails, mais je me rappelle que la margarine avec sa coloration posait un problème. J'ignore s'il est résolu maintenant. Les couleurs variaient selon les provinces. Je ne me rappelle pas d'autres cas précis.
Le sénateur Angus : Je suis davantage impliqué dans les travaux du comité qui se consacre à l'énergie et aux ressources naturelles. Dans ce domaine, nous avons vu des cas dans lesquels l'électricité d'origine hydroélectrique coûte moins cher aux consommateurs américains qu'ici en Ontario. N'est-ce pas là une situation analogue?
M. Gordon : C'est une observation tout à fait juste. Il y a 20 ans, nous n'avons pas estimé que les tarifs de l'énergie posaient un problème. Nous ne nous sommes pas penchés sur les écarts entre les prix de l'essence. Nous avons regardé les écarts entre les taxes provinciales et locales dans la mesure où elles étaient différentes. Une fois encore, nos comparaisons portaient en général sur la dimension nord-sud et non pas est-ouest.
Le sénateur Angus : Je suis un ferme partisan du marché par opposition à l'intervention gouvernementale. En règle générale, les prix sont situés au niveau imposé par le marché en tenant compte de l'offre, de la demande et de facteurs extérieurs. J'ai constaté que, par exemple, les prix des lunettes et d'autres produits de consommation sont plus faibles dans certaines régions du Canada que dans d'autres.
Nous ne devrions pas négliger les questions qui se présentent entre les diverses parties du Canada au profit des comparaisons entre le Canada et les États-Unis.
Le sénateur Runciman : Vous avez indiqué qu'une des questions que nous devrions examiner est celle des coûts d'exploitation des entreprises. Je suis heureux que le sénateur Angus ait parlé des tarifs de l'hydroélectricité parce que, d'ici quelques années, l'Ontario aura les coûts d'électricité les plus élevés dans le monde. C'est certainement là une question que nous devrions examiner.
Dans votre exposé, vous avez parlé de ce que le marché pourra tolérer. Je ne sais pas avec certitude si c'est une hypothèse que vous faites ou si c'est une affirmation qui repose sur vos recherches. Le sénateur Ringuette a soulevé le problème de certains modèles de voiture qui coûtent plus cher au Canada, où ils sont produits, que dans d'autres pays. Je sais que c'est un phénomène que l'on constate dans d'autres domaines que celui de l'automobile.
Au cours de la fin de semaine, je me suis entretenu avec un exploitant d'embarcations, qui achète des produits de Bombardier pour les revendre, et qui m'a dit que ses concurrents de l'autre côté de la rivière peuvent les obtenir à un meilleur prix que lui.
Avez-vous quelques explications à formuler à ce sujet? Votre hypothèse est-elle que cela dépend de ce que le marché peut tolérer?
M. Gordon : Il est risqué de passer de l'anecdotique au général.
Nous avons entendu parler de différentes marques de voiture et de ce qui semble être des stratégies différentes de fixation des prix au niveau du continent. Il faudrait interroger les entreprises concernées sur cette question. Je ne dispose pas d'éléments expliquant pourquoi certaines marques appliquent des stratégies de fixation des prix différentes que d'autres au Canada. Toutefois, je trouve surprenant que certaines voitures produites juste à côté d'ici puissent coûter sensiblement plus cher au niveau local qu'en Floride. Je n'ai rien d'autre à ajouter à ce sujet.
Le sénateur Runciman : Vous pourriez nous en dire plus au sujet du commentaire que vous avez fait auparavant à propos de vos recherches sur ce que le marché peut tolérer. Cette affirmation doit reposer sur quelque chose.
M. Gordon : Oui. Je crois qu'elle s'est dégagée d'entrevues que nous avons faites à l'époque avec des décideurs qui fixent les prix sur le marché canadien. Nous avons remonté la chaîne d'approvisionnement du niveau du détail à celui des manufacturiers. Je crois me souvenir que c'est de là qu'est venue cette observation.
Est-elle encore valide aujourd'hui? Je ne dispose d'aucun élément de preuve pour répondre par l'affirmative ou par la négative, mais il serait intéressant d'étudier quels sont les niveaux de prix et les stratégies d'ajustement utilisées par les manufacturiers dans tout le réseau de distribution.
Le sénateur Runciman : Au sujet des achats transfrontaliers, l'Agence des services frontaliers du Canada fait-elle quelque chose pour exercer un suivi produit par produit? Je vis dans une collectivité frontalière et je sais qu'on nous demande assez souvent si nos achats sont inférieurs à la limite fixée. Je me demande quel est le niveau de précision des mesures des achats des Canadiens de l'autre côté de la frontière. Sur quoi avez-vous basé votre recherche? Vous avez dit avoir basé votre recherche sur une sorte de liste d'achats.
M. Gordon : Les données que nous avions il y a 20 ans reposaient, pour l'essentiel, sur celles publiées par Statistique Canada. En examinant les achats transfrontaliers dans une catégorie donnée de produis, nous nous sommes servis des données publiées par Statistique Canada. Dans le cas des données inédites, nous n'avons procédé à aucune mise à niveau ni expliqué ou comblé par des procédés mathématiques les écarts qu'il pouvait y avoir.
Le sénateur Runciman : À certains égards, celles-ci pourraient être complètement à côté de la plaque, en particulier dans le secteur des aliments.
M. Gordon : Cela pourrait éventuellement être beaucoup plus.
Le sénateur Peterson : Je suis d'avis que les détaillants facturent ce qu'ils peuvent facturer. S'il y avait un rejet important de leurs produits, ils s'adapteraient. Ils devraient modifier leurs pratiques.
Si nous demandons aux détaillants pourquoi ils imposent les prix qu'ils pratiquent, ils vont nous donner de nombreuses raisons. Comme l'a demandé le sénateur Gerstein, que faisons-nous alors? Nos voisins du Sud ont adopté une politique importante appelée « Buy America ». Si nous prenons cette voie, nous savons où cela nous mènera.
Avons-nous une idée quelconque du coût en dollars pour les Canadiens du déséquilibre dont nous sommes censés être victimes?
M. Gordon : Quel est le montant total des achats transfrontaliers?
Le sénateur Peterson : Oui. Quel est le coût total pour les Canadiens de ces écarts de prix? De quel type de montants parlons-nous? Des millions? Des milliards?
M. Gordon : Je n'ai pas ces chiffres. Je n'ai pas creusé cet aspect des choses.
Le sénateur Peterson : Il me semble qu'il serait important de le savoir parce qu'il y aurait sûrement des plus et des moins. Certains prix seraient plus élevés et d'autres plus faibles. Au bout du compte, nous aurions un chiffre et connaîtrions l'importance du phénomène. Ce serait un bon point de départ.
Le président : Monsieur Gordon, vous avez étudié les facteurs qui pourraient être à l'origine de cette inégalité. Lorsque vous avez conclu qu'il y avait des inégalités différentes sur le marché, avez-vous fait des hypothèses ou extrapolé les effets que cela pourrait avoir sur l'économie canadienne, ou les répercussions possibles sur l'inflation et sur l'emploi au Canada?
M. Gordon : Non. Cela ne faisait pas partie du mandat. Il était déjà assez difficile de gérer la portée et les écarts de portée.
Le président : Les suggestions que vous avez faites dans votre exposé nous seront très utiles. Pour choisir les segments particuliers de l'économie que nous pourrions vouloir étudier et nous vous en remercions beaucoup. Comme je l'ai indiqué précédemment, il se peut que le comité souhaite à nouveau vous entendre par la suite. Si vous êtes disponible, nous serions ravis de nous avoir parmi nous à nouveau à une date ultérieure.
M. Gordon : J'en serais ravi.
Le président : Merci beaucoup. Cela met un terme à la première partie de cette matinée, chers collègues. Nous allons maintenant lancer la discussion par téléconférence qui va constituer une partie de notre seconde série de discussions.
Nous sommes ravis d'accueillir M. Tom Vassos, à titre individuel, pour la seconde partie de cette séance. Il a enseigné dans diverses universités, au Canada et à l'étranger, pendant les 30 dernières années. M. Vassos comparaît par vidéoconférence.
Nous sommes également ravis d'accueillir, en direct et dans notre studio, M. Michael Mulvey, professeur adjoint de marketing à l'école de gestion Telfer de l'Université d'Ottawa, qui comparaît à titre individuel.
Nous allons débuter par l'exposé de M. Vassos, puis passer à M. Mulvey. Monsieur Vassos, avez-vous des remarques préliminaires à formuler?
Tom Vassos, Université de Toronto, à titre personnel : Bonjour à tous. Je tiens à remercier les honorables membres du Comité sénatorial permanent des finances nationales de me permettre, par mes compétences, de les aider à comprendre d'où viennent les écarts de prix entre le Canada et les États-Unis.
[Français]
Aux citoyens canadiens de langue anglaise et de langue française, j'espère sincèrement que vous trouverez notre discussion économique d'aujourd'hui informative et éducative.
[Traduction]
Au cours des 30 dernières années, j'ai enseigné à temps partiel à l'Université de Toronto et dans plusieurs autres universités, sur quatre continents. J'ai œuvré dans les domaines des technologies à IBM Canada depuis 32 ans. Les commentaires que je vous adresse aujourd'hui sont les résultats des recherches que j'ai faites à l'Université de Toronto et dans les autres universités et ne devraient en aucune façon être interprétés comme la position d'IBM sur ces questions.
J'ai été ambassadeur commercial du gouvernement de l'Ontario et j'occupe maintenant les fonctions d'ambassadeur de la Greater Toronto Marketing Alliance. Il s'agit d'un organisme de développement économique qui fait la promotion du développement économique et des investissements directs étrangers dans la grande région de Toronto.
Quand il s'agit d'évaluer le prix logique d'un produit américain vendu au Canada, la plupart des Canadiens se contentent d'appliquer le taux de change en vigueur. C'est ainsi qu'ils estiment que, si le dollar canadien et le dollar américain sont à parité, les prix devraient être identiques dans les deux pays. Rien n'est moins vrai.
Les entreprises américaines qui veulent vendre leurs produits sur le marché canadien doivent assumer toute une gamme de coûts.
Permettez-moi de vous en citer quelques-uns. Dans le cadre du cours sur les modèles d'affaires que j'ai donné au programme International Masters of Business Innovation du CEDIM à Mexico, nous avons étudié les coûts auxquels sont confrontées les entreprises qui veulent accéder aux marchés d'autres pays, comme le Canada.
Voyons quelques-uns de ces coûts?
Le total des impôts sur le revenu des provinces et du fédéral atteint 25 p. 100 des recettes. C'est un peu moins que ce que les entreprises peuvent avoir à payer aux États-Unis. Les cotisations sociales au titre du Régime de pension du Canada, de l'indemnisation des accidentés du travail et de l'assurance-emploi peuvent atteindre plus de 3 600 $ par employé. Il faut aussi tenir compte des droits d'importation et des tarifs douaniers imposés aux produits franchissant la frontière, même si 90 p. 100 de ces droits américains et de ces tarifs ont été éliminés dans le cadre des accords de libre- échange. Les coûts de constitution d'une société canadienne avec un conseil d'administration et les coûts connexes de mise sur pied de celle-ci comprennent les frais d'enregistrement ou d'inscription, les permis, la comptabilité, la vérification, la préparation permanente des déclarations de revenus, et cetera. S'ajoutent à cela les dépenses en capital pour les usines et l'équipement servant à la distribution, les caisses enregistreuses, les ordinateurs, les logiciels et les autres fournitures et services. Toutes ces dépenses impliquent d'acquitter des taxes de vente provinciales et fédérales.
Il y a aussi les coûts de transport et de manutention, y compris les taxes sur l'essence qui sont environ trois fois plus élevées qu'aux États-Unis puisqu'elles sont de 33 p. 100 au Canada contre 11 p. 100 aux États-Unis.
Notre marché est très étendu, d'un océan à l'autre, alors que sa population est plus faible que celle de la Californie.
Les fabricants américains qui exportent des produits au Canada doivent acquitter des frais de courtage à l'importation. Ils doivent aussi supporter les coûts liés à la mise en place de réseaux de distribution au Canada, comme des coûts de location ou d'achat d'installations, d'entrepôts pour la distribution, de magasins de détail, ce qui implique le versement de taxes foncières, de primes d'assurance et de commissions immobilières.
Pour mettre sur pied le siège social de leur filiale canadienne, ils doivent se doter de locaux et embaucher du personnel. Outre les coûts déjà cités, il peut y avoir des coûts de marketing, de distribution, de ressources humaines, de publicité, de relations publiques, de finances, d'achat, de logistique, de technologies de l'information, des frais juridiques et des commissions à verser aux représentants des ventes et aux centres d'appels.
Leurs coûts d'inventaire tiennent compte du gaspillage, des réductions sur les produits invendus, de l'obsolescence et des vols. Tous ces coûts peuvent atteindre entre 20 et 40 p. 100, voire plus, de la valeur des biens en inventaire.
S'ajoutent encore à cela les coûts d'étiquetage pour respecter les exigences concernant les unités de mesure et la traduction pour satisfaire aux exigences de bilinguisme. Les coûts de la main-d'œuvre sont parfois plus élevés au Canada. Le salaire horaire minimum varie entre 8,75 et 11 $ au Canada alors que celui fixé par le gouvernement fédéral américain est de 7,25 $.
Les entreprises qui veulent rapatrier leurs gains canadiens en dollars américains doivent payer des frais de conversion aux institutions financières.
Il arrive fréquemment que les multinationales qui fournissent les détaillants canadiens leur vendent plus cher qu'à leurs collègues américains. C'est parce que les grands détaillants américains peuvent obtenir des réductions sur la quantité grâce aux économies d'échelles qu'ils permettent.
Le Conseil canadien du commerce de détail estime que le surcoût pour les entreprises canadiennes peut atteindre de 12 à 25 p. 100. Les entreprises américaines qui pénètrent de nouveaux marchés étrangers doivent aussi tenir compte des fluctuations de cours des devises qui ajoutent au risque auquel elles sont exposées. De nombreuses entreprises choisissent de se protéger contre ces fluctuations, ce qui entraîne des coûts additionnels. Les coûts pour obtenir des rayonnages bien placés sont plus élevés. Au Canada, les grands détaillants facturent aux fabricants des frais plus élevés pour la vente au détail, l'inscription de leurs marchandises, les activités coopératives, le marketing et l'entreposage. Il ne faut pas non plus oublier les frais de transaction sur l'utilisation des cartes de crédit et les taux de conversion des devises.
La liste des coûts est longue.
On voit donc que, au bout du compte, il n'y a qu'un faible pourcentage de l'écart de prix qui contribue réellement à la rentabilité des entreprises américaines. La pénétration d'un marché étranger entraîne de nombreux risques, dont ceux liés aux devises et au risque d'échec du produit dans le pays ciblé.
Pour compenser ces risques, les entreprises peuvent exiger, à juste titre, une marge plus élevée sur les produits vendus au Canada. Sans cela, pourquoi prendre ce risque? J'irais jusqu'à affirmer que, même si le dollar canadien atteint un cours de 1,20 $ US, il y aura encore des produits qui devraient se vendre plus cher au Canada du fait des surcoûts que je viens d'évoquer.
Est-ce à dire que les pratiques déloyales comme la fixation des prix et les pratiques anticoncurrentielles n'existent pas? Certainement pas. Toutefois, la Cour fédérale du Canada a imposé des amendes pour fixation des prix qui ont atteint 2,25 millions de dollars dans le cas du Chinook Group, 1,5 million de dollars dans celui de Pfizer et 1,8 million de dollars dans le cas de Cadbury. Ce sont là des exceptions à la règle. Le gouvernement dispose déjà d'une législation pour lutter contre la fixation des prix et contre les mesures anticoncurrentielles et celle-ci a permis de s'attaquer efficacement à de tels cas, et ferait de même si d'autres devaient se présenter à l'avenir.
Je conviens que ces écarts de prix sont frustrants pour les consommateurs canadiens. Toutefois, à titre de dirigeants d'entreprises et de responsables gouvernementaux, nous devons aider les consommateurs à comprendre comment évacuer cette frustration et comment jouer un rôle pour venir à bout de ce désagrément.
Au bout du compte, les consommateurs ont plus de pouvoir qu'ils ne l'imaginent. Ils votent avec leur argent. Chaque dollar qu'ils dépensent constitue un vote. De par la nature même de la dynamique du marché, les manufacturiers et les détaillants réagiront aux comportements des consommateurs.
[Français]
En terminant, j'aimerais remercier à nouveau les membres du Comité sénatorial permanent des finances nationales pour l'occasion de témoigner devant eux. J'espère que cette session aura fourni de l'information utile aux citoyens canadiens désireux de mieux comprendre les enjeux entourant les différences de prix entre le Canada et les États-Unis.
[Traduction]
J'espère que ces commentaires ont présenté un intérêt pour les membres du comité. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Vassos. Je donne maintenant la parole à M. Mulvey, de l'Université d'Ottawa.
Michael Mulvey, Université d'Ottawa, à titre personnel : Je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir invité à m'adresser à vous aujourd'hui. J'ai expliqué à ma femme que c'est le travail personnel le plus intéressant que j'ai eu à faire depuis longtemps. Il est agréable d'aborder de nouvelles idées et de les analyser en profondeur.
Le sujet à l'ordre du jour me touche aussi bien personnellement que professionnellement. J'ai résidé pendant la moitié de ma vie aux États-Unis pour y faire des études de second cycle et ensuite pour enseigner à la Rutgers University. Mon sujet d'étude a été l'argent et la valeur qu'on lui attribue, et la façon dont les consommateurs rationalisent la dimension financière de leur vie. C'est un sujet qui me tient à cœur.
Le point de vue dont je peux vous faire part est celui d'un chercheur qui étudie les consommateurs. La tâche que je me suis donnée est d'apprendre ce que les gens font, de comprendre pourquoi ils le font et de trouver comment s'y prendre pour appréhender les complexités et les nuances de leurs comportements, le tout dans un contexte de marketing. Comment mieux répondre aux besoins des consommateurs une fois notre travail fait?
Je ne suis pas ici comme défenseur des consommateurs, ni pour prôner les thèses de certains d'entre eux, mais comme un spécialiste en sciences sociales. Je peux vous offrir le point de vue de quelqu'un qui s'efforce de les comprendre. Je sais fort bien que la prise de décisions des consommateurs est motivée par l'émotion et nous devons comprendre cette émotion comme une forme de rationalité ayant une dimension locale. Lorsque les consommateurs procèdent à des achats transfrontaliers, cela répond de leur point de vue à une logique.
J'espère vous apporter un point de vue réaliste. Je vais vous faire une synthèse de ce que j'ai lu sur la question et de ce que l'on sait déjà, en essayant de laisser mes opinions personnelles de côté, et d'adopter un point de vue systématique. J'ai lu certains de vos documents d'information et écouté l'une des séances que vous avez tenues la semaine dernière. En règle générale, je sais ce dont vous avez déjà parlé. Je vais tenter de faire contrepoids dans certains cas, de combler les blancs et, je l'espère, d'amener la discussion dans des directions que vous n'avez pas encore suivies. À partir de là, je vais vous laisser fixer le programme pour la suite.
Le sénateur Gerstein : Monsieur Vassos, j'ai noté dans votre biographie que, comme vous l'avez indiqué, vous aviez été ambassadeur commercial du gouvernement de l'Ontario et que vous occupez maintenant les fonctions d'ambassadeur de la Greater Toronto Marketing Alliance.
Vous avez déclaré dans votre exposé que chaque dollar dépensé par les consommateurs constitue leur vote. Je suis tenté d'en déduire que vous êtes un ambassadeur des détaillants de l'autre côté de la frontière. Si je reprends ce que vous avez dit, cela laisse entendre que si vous deviez acheter quelque chose de l'autre côté de la frontière, le ramener en appliquant les taxes en vigueur, vous réaliseriez encore probablement des économies par rapport par rapport au montant que vous devriez payer au Canada. Je soupçonne que la situation est encore exacerbée aujourd'hui par le fait que, lorsque vous parliez des achats transfrontaliers il y a 20 ans, vous parliez en vérité des collectivités qui sont situées à proximité de la frontière, comme celles de la région d'où vient le sénateur Runciman. Aujourd'hui, avec Internet, peu importe où vous vous trouvez au Canada, vous pouvez faire des achats transfrontaliers. Quel commentaire cela vous inspire-t-il?
M. Vassos : Les consommateurs ont ce pouvoir. Un dollar égal un vote. Pour l'essentiel, les gens vont écouter ce que les consommateurs disent ainsi. Vous avez dit que je semble prendre parti en faveur des détaillants américains, mais j'aborde cette question du point de vue des investissements directs étrangers et de ce que nous devons faire pour rendre aussi attrayants que possible les investissements dans la région du grand Toronto.
On peut en revenir à cette notion d'un dollar égal un vote. Vous pouvez prendre des exemples comme celui de J. Crew, l'un des détaillants américains qui a ouvert chez nous un magasin type de sa chaîne et qui a mis en ligne un site web pour les Canadiens. Devinez ce qui s'est passé. Comme ils faisaient porte le poids de tous les droits qu'ils avaient dû payer par les acheteurs canadiens, les prix se sont révélés supérieurs de 50 p. 100 au Canada à ce qu'ils étaient aux États- Unis. Les consommateurs canadiens ont protesté énergiquement et manifesté leur colère dans les médias sociaux en demandant comment cela se pouvait. Il s'agissait de coûts légitimes qui étaient tout simplement retransmis au consommateur.
J. Crew a entendu les protestations et a décidé de prendre à sa charge les droits en question et d'appliquer des frais de transport fixes de 10 $, en remettant même aux consommateurs une carte-cadeau de 25 $ pour les désagréments qu'ils avaient subis, parce que l'entreprise était vraiment à l'écoute de ses clients. Comme consommateurs, nous avons ce pouvoir, en particulier grâce aux médias sociaux, d'être vraiment entendus par ces détaillants. Je crois qu'ils écouteront. Cela m'incite à croire que les consommateurs peuvent faire appel à certains de ces moyens de communication pour exercer leur pouvoir et pour causer par d'autres moyens des baisses de prix, au lieu de demander au gouvernement de faire appel à la législation.
Le président : Monsieur Vassos, en complément à ceci, a-t-on analysé de quoi étaient composés ces presque 50 p. 100 de plus dans le cas de J. Crew? Vous avez rappelé que lorsqu'on leur a demandé de fournir des explications ils n'ont parlé que des coûts de transport, qui ne représentent qu'une faible partie de ce montant additionnel. Pouvez-vous nous aider à identifier les autres coûts qu'ils ont décidé d'absorber eux-mêmes?
M. Vassos : Pas en détail, mais d'autres éléments comme les frais et les droits liés au franchissement de la frontière qui étaient facturés sur ces types de marchandises, les coûts additionnels de mise sur pied de leurs activités ici au Canada, les salaires minimums plus élevés qu'ils devaient payer au niveau du détail et aux autres membres de leur personnel au Canada. En réalité, il s'agit d'un effet combiné de ces différents éléments qui s'ajoutent pour donner le prix total.
De toute façon, il y a eu d'autres détaillants qui ont adopté une approche pratiquement opposée en déclarant que maintenant que le dollar canadien a pris de la valeur, ils vont réduire leurs prix et les rendre pratiquement équivalents aux prix américains. Une fois encore, plus le nombre de détaillants américains le faisant sera important, et plus les autres devront les suivre à moins que leur marque soit particulièrement bien connue sur le marché, ce qui leur permettrait de facturer un prix accru. Il arrive que cela leur permette de facturer un prix plus élevé que le prix identique aux États-Unis.
Le président : Monsieur Mulvey, avez-vous des commentaires particuliers à faire sur ces questions?
M. Mulvey : Non je n'en ai pas.
Le sénateur Finley : Ma question s'adresse à M. Vassos. Dans une entrevue que vous avez accordée récemment au Toronto Sun, vous avez indiqué que les coûts de la main-d'œuvre contribuent de façon importante à l'écart des prix entre le Canada et les États-Unis. À vos yeux, cela se manifeste à plusieurs niveaux. Ce pourrait être au niveau du manufacturier lui-même, et ensuite probablement dans les coûts de main-d'œuvre qui entrent dans les coûts de transport et enfin, bien évidemment, au niveau des activités de détail.
Quelle est, en général, l'importance cet élément de coûts, dans les prix des produits des deux côtés de la frontière?
M. Vassos : Il me semble que vous avez mentionné certains des facteurs importants à ce sujet. Une fois encore, l'un de ceux que nous ne prenons pas en compte en sus des facteurs de coûts est les facteurs macroéconomiques liés à la nature du marché sur lequel vous arrivez. Au Canada, nombre de ces facteurs macroéconomiques sont, pour l'instant, à notre avantage avec une économie plus dynamique, une meilleure situation des finances publiques qu'aux États-Unis et plusieurs autres éléments qui joueront un rôle déterminant.
Quant à la dimension concurrentielle, il faut savoir que le marché américain est beaucoup plus concurrentiel, avec un beaucoup plus grand nombre de concurrents dans une région donnée qui doivent se battre pour faire des affaires. S'il n'y a pas cette concurrence, une fois encore, cela permettra d'imposer des prix un peu plus élevés.
Vous avez parlé de la réputation de la marque. BMO Capital Markets a étudié les écarts de prix entre des produits canadiens et américains et l'une de celles dans laquelle l'écart était le plus élevé était celle des chaussures de course, avec des prix plus élevés de 48 p. 100 au Canada qu'aux États-Unis. Je soupçonne qu'une partie importante de ce montant n'était pas attribuable uniquement aux coûts, qui représentaient peut-être 10 ou 20 p. 100, mais tenait plutôt à la réputation de la marque et au prix supérieur que les détaillants pouvaient exiger pour une marque très réputée sur un marché moins concurrentiel.
Toute personne qui a un préadolescent ou un adolescent sait bien qu'il tient à avoir un type précis de chaussures de course. Je n'oublierai jamais le véritable dossier d'analyse que j'avais monté pour ma mère il y a 31 ans afin de lui expliquer pourquoi je devais avoir ces chaussures Adidas pour ma rentrée en neuvième année, et que je ne pouvais me satisfaire que de la marque aux trois bandes. C'était là un élément de plus de l'équation du prix.
C'est quelque chose qu'on ne peut pas retirer aux vendeurs. C'est ce à quoi ils aspirent quand ils se développent, de parvenir à avoir une marque qui se détache des autres par sa réputation et par la qualité du produit, ce qui leur permet de facturer un prix plus élevé.
Le sénateur Finley : J'ai peut-être mal formulé ma question, mais j'essayais d'en arriver à un domaine précis, celui des coûts de la main-d'œuvre, en particulier des taux de salaire minimum, du niveau de syndicalisation au Canada en regard des États-Unis, ou en vérité au pays. Quel genre de conséquences cela a-t-il sur les écarts de prix des produits entre les deux pays? Pourriez-vous traiter précisément du volet main-d'œuvre de la structure de coûts ou de la structure des ventes au détail?
M. Vassos : Bien sûr. Comme nous l'avons déjà dit, il y a des taux de salaire minimum de 8 à 11 $ au Canada, précisément de 8,25 $ en Ontario, alors qu'ils sont de 7,25 $ au niveau fédéral américain et oscillent entre 7,25 $ et 8 $ dans de nombreux États. Cet élément n'est qu'un facteur et peut ne se traduire que par une différence de prix de 50 cents à 1$, soit une différence de 5 à 10 p. 100.
Cependant, quand on examine l'ensemble de la situation de l'emploi au Canada, nous devons garder à l'esprit qu'il est sous-tendu par toute la législation sur le travail, qui est probablement plus favorable aux employés au Canada qu'aux États-Unis. Il n'y a pas que les taux de rémunération. Lorsque vous embauchez un employé, la législation sur la main-d'œuvre est plus rigoureuse. Lorsque cette personne travaille pour vous pendant plusieurs années, vous ne pouvez pas simplement la remercier et la mettre à pied. Vous lui devez quelques semaines de rémunération. Dans de nombreux cas, la législation sur la main-d'œuvre vous impose de verser plusieurs mois de salaire. Elle ne vous permet de mettre fin à la relation de travail qu'après avoir versé quelques semaines de salaire ou un montant défini pour chaque année travaillée. Je suis d'avis que cette législation sur la main-d'œuvre est également un élément qui fait grimper les coûts que l'entreprise doit assumer au Canada pour les opérations qu'elle y mène.
Le sénateur Finley : Avec votre permission, j'ai une question à poser à M. Mulvey. Je n'ai pas très bien saisi votre argumentation.
Y a-t-il des différences culturelles ou sociales de nature générale qui distinguent les motivations à acheter des Canadiens et des Américains, les dimensions émotives ou sociétales de leurs modalités d'achats, leurs attitudes face aux marques, ou quoi que ce soit d'autre? Y a-t-il des différences entre les deux?
M. Mulvey : La différence qui me paraît la plus marquante est que les Canadiens se rendent aux États-Unis plus souvent que les Américains ne viennent au Canada. Cela nous permet de mieux connaître les possibilités. Nous nous ouvrons l'esprit davantage, nous apprenons ce qu'il en est des écarts de prix, nous accordons de l'importance au service à la clientèle et au choix dans les magasins. Nous apprenons toutes sortes de choses.
Dans de nombreux domaines, les voyages rendent les consommateurs canadiens plus malins. Cela dit, je pense que la gamme des expériences possibles sur un marché est plus importante pour les Américains que pour les Canadiens, dans les régions où la concentration régionale des prix au détail est plus forte qu'au Canada, dans lesquelles nous avons beaucoup d'industries qui se comportent comme des oligopoles là où les choix sont réduits.
Le sénateur Ringuette : Monsieur Vassos, votre exposé est excellent. Vous avez recensé ici 17 points nous expliquant pourquoi faire des affaires au Canada, et y vendre par exemple des biens de consommation, entraîne des coûts additionnels. Vous nous dites que c'est une réalité qu'il faut accepter et vous citez les 25 p. 100 de la Loi de l'impôt sur le revenu, les cotisations sociales, les coûts de transport qui sont 33 p. 100 plus élevés au Canada qu'aux États-Unis, et cetera.
Avez-vous représenté ces 17 éléments sur un diagramme à secteurs? Il me semble avoir entendu que les écarts de coût des deux côtés de la frontière se situent entre 15 et 20 p. 100 dans certains secteurs. Avez-vous préparé un tel diagramme montrant quels sont les éléments qui jouent un rôle plus important et sur lesquels nous devrions nous concentrer au sujet des écarts de prix?
M. Vassos : Je ne sais pas. J'ai dressé une telle liste, si longue, comme l'a fait le professeur Mulvey, et il y a tant d'éléments. Chacun ne joue concrètement qu'un rôle relativement faible, mais en ajoutant quelques points de pourcentage ici et là, on finit par arriver à cet écart de prix de 15 à 20 p. 100. Une fois encore, l'étude de BMO Capital Markets révèle que les écarts entre la plupart des prix canadiens et américains sont de l'ordre de 20 p. 100. Pour l'instant, je ne suis pas en mesure de vous donner une décomposition plus détaillée de chacun de ces éléments.
Le sénateur Ringuette : Pourrions-nous vous demander de le faire?
M. Vassos : Je ne suis pas sûr de disposer des données à un niveau de détail suffisant pour chacun de ces éléments. Je me ferai un plaisir, comme suivi, de vous fournir des éléments précis de la composition de certains prix qui pourraient vous aider à comprendre ces écarts.
Le sénateur Ringuette : Merci.
Professeur Mulvey, vous avez parlé des décisions émotives des consommateurs. Je me souviens qu'il y a quelques années, ce devait être il y a deux ou trois ans, le fait que des citoyens américains achètent en ligne leurs médicaments d'ordonnance au Canada a soulevé tout un tollé aux États-Unis.
Pouvez-vous nous dire pourquoi les médicaments d'ordonnance coûtent beaucoup moins cher au Canada qu'aux États- Unis? À quoi cela tient-il?
M. Mulvey : Je ne suis pas un spécialiste du secteur pharmaceutique et j'aurais donc du mal à vous donner les raisons précises de la situation que vous avez décrite. Je ne suis pas en mesure de vous parler de la stratégie dans le cadre de laquelle ils facturent des prix plus élevés. Cela tient probablement à nombre des facteurs qui ont déjà été abordés concernant les achats en quantité, les réseaux de distribution mis en place, et des choses comme celles-ci.
Je peux par contre vous parler du volet consommateurs de l'équation. J'éprouve de l'empathie pour les citoyens américains, dont beaucoup ont des revenus fixes, qui ont besoin de certains produits pour leur survie, pour assurer leur santé et leur bien-être. Les prix étaient tels qu'ils ne pouvaient plus se les payer. Comme ils voyaient la situation si près de chez eux, tout près, il était logique qu'ils trouvent une solution. À beaucoup de titres, les rôles étaient inversés pour les Canadiens. Il ne s'agit peut-être pas des produits pharmaceutiques, mais de ce poste de télévision à grand écran que vous rêvez d'acheter depuis 10 ans.
Nous sommes encore jaloux qu'ils aient à payer beaucoup moins cher que nous. D'une certaine façon, cela peut également ralentir l'économie canadienne parce que les gens reportent leurs achats. Ils continuent à attendre. Quand les prix s'aligneront-ils? Je pourrais peut-être me le payer enfin pour 1 200 $ au lieu de 2 000 $ quand le dollar viendra à parité. D'une certaine façon, ces écarts de prix ont presque pour effet de bloquer la croissance de l'économie canadienne, en particulier les écarts mal compris, mal expliqués ou qui n'apparaissent pas justifiés aux yeux des consommateurs.
Ce qu'il y a de bien avec les consommateurs, c'est que lorsqu'ils n'ont pas l'information, ils l'imaginent. Ils vont trouver leurs propres explications. Ils aiment se simplifier la vie. Ils rappellent que ce n'était pas l'objectif de l'ALENA. Nous étions censés avoir les mêmes coûts avec l'ALENA. C'est un point très important que vous pourriez noter sur votre liste en procédant à une analyse systématique, mais ce n'est pas le seul point.
Lorsque les gens sont confrontés à un manque de transparence, ne savent pas ce qui se passe et n'ont pas accès à un site web, et disent que c'est pourquoi les choses sont ainsi, ils ont le sentiment qu'il y a une injustice inhérente sur le marché. Cela les conduit à toutes les solutions, des achats transfrontaliers à la contrebande. Ce n'est pas nécessairement ce que nous voulons.
Le sénateur Ringuette : Monsieur Mulvey, vous nous dites donc que les consommateurs ne comprennent pas les « pourquoi ». Notre ministre des Finances ne les comprend pas lui-même, et il a des milliers de fonctionnaires à son service pour analyser ces données.
Dans le cas de l'essence, il y a un écart de prix de 32 p. 100 qui est dû aux politiques gouvernementales.
M. Mulvey : C'est un point important. Si vous voulez comprendre le phénomène des achats transfrontaliers, dans toutes ses formes, qu'il s'agisse de voyages d'une journée, de remplir son réservoir d'essence ou de prendre des vacances, vous devez réaliser qu'il y a bien là une réalité objective, que ce comité essaie de préciser. Pourquoi y a-t-il de tels écarts?
Il y a également la réalité subjective dans laquelle vit le consommateur. Il faut savoir que le consommateur agit par subjectivité. Si vous voulez vraiment comprendre ce qui motive les comportements des consommateurs, pourquoi les gens agissent de telle façon, pourquoi ils sont frustrés ou pourquoi ils rédigent des lettres de plainte, vous devez saisir l'ensemble du volet consommateur de l'équation qui explique leurs perceptions, d'où vient l'information exacte ou erronée dont ils disposent et tenter de tirer au clair ce volet de cette équation.
Le sénateur Nancy Ruth : J'ai des questions sur les répercussions des achats sur Internet. Comment ces achats sont-ils productifs ou contre-productifs dans la création de marchés canadiens? Ce mode d'achat peut éliminer certains des coûts qui ont été mentionnés, et quels en sont les effets sur le caractère canadien?
M. Mulvey : J'imagine qu'une façon simple de vous répondre est de dire que cette possibilité d'achat en ligne facilite le transfert d'information. Vous pouvez vous connecter et utiliser des robots d'achat qui procèdent aux comparaisons. Il y a là des efficiences incroyables.
Vous pouvez imaginer le côté pratique de l'équation quand vous utilisez ces robots en même temps que la technologie des téléphones intelligents. Vous pouvez chercher quel est le magasin le plus proche qui vend au prix que vous voulez trouver. Prenez ça en compte avec les coûts de la main-d'œuvre. Beaucoup de ces entreprises de vente en ligne sont passablement robotisées. Elles disposent d'entrepôts où elles vont chercher la marchandise, regroupent les divers articles et les emballent automatiquement, ce qui élimine une grande partie des coûts de main-d'œuvre.
Je pense que la tendance à aller dans cette direction incitera les marchés à une plus grande parité. Cela ne se produira cependant pas tout seul. Vous devrez encore tenir compte d'éléments comme les frais de courtage et les délais à la frontière. Il y a quantité de raisons pour lesquelles les gens ne font pas leurs achats en ligne. C'est une question qui mériterait d'être étudiée pour comprendre pourquoi elle n'est pas autant utilisée qu'on pourrait imaginer qu'elle le serait.
M. Vassos : Les achats sur Internet permettent de révéler plusieurs choses. Tout d'abord, ils permettent de rendre les prix américains plus transparents, ce qui vous permet plus facilement de voir les écarts de prix, mais ils rendent aussi les hausses de prix plus évidentes.
C'est ainsi que j'ai acheté récemment des sacoches pour moto qui m'ont coûté 45 $ sur eBay. Toutefois, lorsque j'ai eu payé les frais de transport et les droits de douane, il m'en a coûté plus du double à 100 $ pour leur faire franchir la frontière. Je les ai quand même achetées, parce que le prix du produit était pratiquement le même qu'ici, mais il avait certaines caractéristiques introuvables au niveau local.
Les gens qui font leurs achats de cette manière, maintenant au moins, commencent à dire que les détaillants qui font venir les produits dans leurs magasins au Canada ont les mêmes frais à payer que lorsqu'ils font des transactions sur eBay, comme les coûts de transport, de franchissement de la frontière, les droits de douane, et cetera. Tous ces coûts commencent à devenir visibles.
J'ignore si cela va calmer les consommateurs et les amener à dire qu'ils sont satisfaits maintenant, ou s'ils vont être mécontents et demander pourquoi ces droits sont imposés à la frontière. Pourquoi ces coûts de transport sont-ils si élevés? Ces coûts s'expliquent simplement par la livraison sur un marché plus éloigné de votre marché de départ; les coûts de transport pour rejoindre les clients dans un pays qui va d'un océan à l'autre avec une population plus faible que celle d'un État aux États-Unis. Ces coûts doivent être payés et ils finissent par faire partie du prix.
Je pense qu'il y a quelques autres tendances technologiques qui se révéleront plus efficaces que les achats sur Internet pour contribuer à réduire les prix canadiens. L'une d'elles est l'utilisation des téléphones intelligents et l'autre les outils de comparaison des achats sur Internet.
Auparavant, si vous achetiez un produit dans un magasin canadien, combien de fois alliez-vous dans quelques autres magasins pour comparer les prix? Probablement pas si souvent que cela parce qu'il était trop difficile de conduire d'un magasin à l'autre, puis au suivant, et cetera.
Avec ces outils de comparaison des achats sur Internet, je peux indiquer que je cherche un poste de télévision à écran plat d'une certaine marque et je vais en trouver 200 à proximité de chez moi avec le prix exact de chacun d'eux. Je peux voir quel est le détaillant qui offre les meilleurs prix au Canada, la plus faible hausse possible par rapport au prix américain, et je peux m'adresser directement à ce détaillant.
En ce qui concerne les téléphones intelligents, il est étonnant de voir combien de gens font maintenant leurs achats avec leur téléphone intelligent à la main. Avant d'acheter ce poste de télévision à écran plat, ils comparent les prix sur leurs téléphones. Ils peuvent afficher les prix offerts par plusieurs détaillants en ligne et même les prix de ces mêmes postes de télévision chez plusieurs détaillants de leur région. Ils n'ont plus à se rendre à 10 endroits différents, ils peuvent voir le prix sur leur écran de téléphone. Si le prix est plus faible de 5, 10 ou 20 $ chez un détaillant à quelques rues de lui, le consommateur peut remonter dans sa voiture et s'y rendre pour acheter son poste de télévision à écran plat.
Le fait de disposer de renseignements plus parfaits, alors qu'auparavant nous n'avions que des renseignements imparfaits, devrait également exercer des pressions sur les détaillants canadiens inefficaces qui augmentent d'un pourcentage trop marqué les prix par rapport à ceux en vigueur sur le marché américain. C'est un autre facteur efficace qui, à mon avis, va commencer à faire diminuer les écarts de prix au cours des années à venir.
Le sénateur Nancy Ruth : Allez-y, professeur Mulvey.
M. Mulvey : Je reconnais que cela serait idéal et j'aimerais le voir se produire. Toutefois, pour prendre un point de vue différent, je pourrais également imaginer qu'un entrepreneur élabore un système prenant comme point de départ un déclencheur d'achat — disons par exemple que j'ai besoin de sacoches pour ma moto ou de nouveaux pneus pour mon VUS, mais se demandant ensuite quels autres produits vont avec ça? Vous pouvez vous rendre à Ogdensburg pour obtenir vos pneus et pendant que vous y êtes, vous pouvez peut-être aussi aller au magasin Target et trouver ces accessoires pour votre véhicule, passez la nuit dans ce bel hôtel et mangez dans ces restaurants.
Vous pouvez aborder la question comme un système. Souvent, il ne s'agit pas d'un achat isolé. Il peut déclencher des achats interreliés. Ce phénomène présente également des possibilités d'intervention. Vous pouvez penser que c'est là le problème réel, mais c'est un autre élément qui rend cela possible. Si l'essence coûtait plus cher aux États-Unis, il est probable que moins de gens s'y rendraient.
S'ajoute à cela qu'il y a quantité d'endroits qui vont faire la réception de vos paquets juste dans les villes frontalières du côté américain. Les gens commandent leurs produits et les font expédier à ces endroits. Ces entreprises vont les entreposer pour 8 ou 10 $. Il vous reste ensuite à vous y rendre et à ramener vos affaires. Les coûts encourus par le consommateur dans ce type de cas ne sont pas élevés, si ce n'est qu'ils doivent faire la queue à la frontière, faire face au stress de parler avec quelqu'un et de remplir certains formulaires.
Ce n'est pas uniquement une question de prix. On avait l'habitude de dire qu'un fou connaît les prix de toutes les choses et la valeur d'aucunes. Je trouve époustouflant que les gens soient désireux de chercher ces écarts de prix malgré tous les autres coûts. Ils sont prêts à se déplacer, à acheter de l'essence, à faire la queue à la frontière et à subir le stress. Ils le font toutes les fins de semaine. Je pense que le problème est même plus important qu'il peut en avoir l'air aux premiers abords.
Le sénateur Marshall : Je crois que vous avez déjà répondu partiellement à ma question, mais je vais la poser quand même. Nous avons commencé par parler de l'étude réalisée en 1992. Même si cette étude a été faite, il ne semble pas qu'elle ait réglé le problème, ce qui fait que nous réalisons une autre étude maintenant.
Le consumérisme semble être quelque chose d'extraordinaire parce que les gens trouvent une façon de contourner le problème. Vous parliez des achats sur Internet, des téléphones intelligents et des comparaisons entre les achats en utilisant Internet, des choses de ce genre. Vers quoi nous dirigeons-nous, à votre avis, pour les années à venir?
L'étude de 1992 n'a pas résolu le problème et nous lançons une autre étude qui le réglera peut-être, mais peut-être pas. Je sais que M. Vassos a énuméré 15 ou 20 points qui contribuent à ces hausses de prix, et donc que les prix élevés sont peut-être justifiés.
Comment se présentera l'avenir dans ce domaine à votre avis? Est-il possible de voir des transferts encore plus importants vers d'autres modalités d'achat? Les gens se rendent beaucoup plus aux États-Unis qu'il y a 20 ans. Peut-être que, à un moment donné, les produits qui sont expédiés au Canada pour y être vendus n'auront plus besoin de l'être parce que les consommateurs auront trouvé d'autres solutions. J'aimerais connaître votre avis sur cette question.
M. Vassos : Il est encore plus efficace de faire des achats en gros. Au lieu d'expédier une seule paire de sacoches pour moto des États-Unis au Canada, il est beaucoup plus efficace d'en expédier un chargement complet qui permet de les offrir localement à l'achat dans un magasin de détail canadien.
Toutefois, l'autre élément déterminant est la myriade de caractéristiques que les gens peuvent chercher. Vous ne pouvez pas avoir un million d'options différentes dans un magasin local. C'est là qu'Internet entre en jeu. Même si vous avez un lot beaucoup plus petit sur les étagères du magasin, il y a en plus les millions de choix qui s'offrent à vous sur Internet.
Les magasins individuels font la même chose au niveau microéconomique. Si vous vous rendez dans un magasin en cherchant une taille ou une couleur donnée et que vous ne trouvez pas ce que vous cherchez, certains détaillants vous disent maintenant : « Ne sortez pas du magasin parce que nous avons ce que vous voulez dans notre entrepôt de Brampton. Il vous suffit de nous payer et dans quelques jours votre commande vous sera expédiée. »
On combine donc l'expérience de l'achat en magasin et celle de l'expédition de la marchandise chez le client.
Je vais vous donner un exemple encore plus extrême, qui est passablement surprenant. Il y a en Corée une chaîne d'épicerie du nom de Home Plus, qui appartient à Tesco, qui est loin d'avoir autant de magasins que les chaînes classiques. Elle ouvre des magasins dans le métro et affiche sur les murs des affiches montrant tous ses produits. Vous avez l'impression d'être en plein dans un magasin d'épicerie. Vous voyez le lait, le pain et les œufs, mais c'est uniquement une affiche. En bas de celle-ci, il y a un petit code QR, comparable à un code barres, que les gens peuvent prendre en photo avec leur téléphone intelligent. Vous prenez la photo du pain, celle du lait et des œufs, vous placez votre commande et vous payez. Quelques heures plus tard, ces produits d'épicerie sont livrés chez vous quand vous y êtes.
C'est le lancement d'un modèle d'affaires complètement nouveau. C'est un aspect fascinant et excitant de ce qui se passe alors que nous parlons.
M. Mulvey : Je vais ajouter à la discussion.
Une expression sur laquelle j'ai entendu plaisanter, et les professeurs en administration en sont aussi coupables que les économistes, est « facturer ce que le marché pourra tolérer. » Si vous démontez cette expression, c'est une métaphore horrible. Elle signifie pour l'essentiel que vous mettez le fardeau sur les consommateurs jusqu'à ce qu'ils n'en puissent plus. Il se peut que ce soit l'approche fondamentale avec laquelle nombre d'entreprises canadiennes abordent le marché. Elles se disent « Les consommateurs vont l'accepter; à quel moment vont-ils plier ou casser? » et, souvent, elles ne réagissent que face à des pressions.
De façon traditionnelle, l'un des phénomènes les plus marquants qui s'avéraient bons pour les consommateurs, mais pas nécessairement pour les entreprises canadiennes de détail, était que l'arrivée sur le marché canadien de nombreuses grandes surfaces, comme les Walmart et Home Depots de ce monde, perturbait la situation. Toutefois, personne ne se plaint de l'étendue du choix qui nous est offert. Personne ne les boycotte. Ceux qui affirmaient que l'arrivée de ces grandes surfaces allait tuer leurs collectivités font maintenant leurs courses dans ces magasins. Ils sont la collectivité. Le commerce de détail évolue.
Je reviens à la question de départ : y a-t-il des différences quelconques entre les Canadiens et les Américains? Aux États- Unis, lorsque les citoyens doivent acquitter une taxe d'accise ou un prix plus élevé, ils ne sont pas contents. C'est comme cela qu'il y a eu le « tea party » dans le port de Boston et ce genre d'événements, alors qu'il me semble qu'au Canada nous sommes parfois trop polis aux dépens de nos intérêts. Nous maugréons et nous plaignons, mais nous ne nous organisons pas aussi bien que les autres pays.
J'incite également le comité à pousser son étude au-delà des relations entre le Canada et les États-Unis. Vous pouvez prendre l'Union européenne comme un exemple de groupe qui fait face à des questions majeures en essayant de concilier, d'harmoniser et de traiter des écarts énormes entre les taux et les coûts de la main-d'œuvre. Dans certains cas, vous pouvez aller dans le pays voisin pour acheter vos affaires, sans aucune difficulté. C'est un endroit très pratique maintenant.
Le sénateur Marshall : Merci. Cela ajoute une autre dimension à notre étude.
Le président : En effet, je vous remercie, monsieur Mulvey.
Le sénateur Runciman : Une chose que j'ai observée avec les achats en ligne, qui n'a pas été mentionnée, est la capacité de faire des enchères sur les produits et de voir les prix baisser au fur et à mesure que vous faites des offres, en particulier avec les bâtons de golf, des produits que je connais bien.
Monsieur Mulvey, j'ai été intrigué par un certain nombre de choses que vous avez dites au sujet du comportement des consommateurs. Elles me paraissent tout à fait exactes. Vous pouvez étudier un certain nombre de façons dont les Canadiens et les Américains approchent les problèmes, pas uniquement les produits de consommateur, mais par exemple, la mise en place du système métrique au Canada en regard de ce qui s'est passé aux États-Unis. Chez eux, le système n'a pas été adopté à cause de la résistance des citoyens.
L'un des problèmes soulevés auparavant par le sénateur Ringuette m'intrigue. Je ne sais pas si vous avez étudié cette question en termes de produits. Il y a habituellement des articles coûteux qui sont fabriqués au Canada et vendus aux États-Unis à des prix sensiblement inférieurs. On a parlé des automobiles. Je sais que c'est aussi le cas de certains produits pour bateaux. Est-ce un phénomène que l'un ou l'autre d'entre vous a examiné et analysé et sur lequel vous seriez alors en mesure de nous fournir des explications?
M. Mulvey : Je peux vous faire part de certains éclairages sur cette question, mais ils ne reposant pas sur des analyses précises.
Quand j'étudie cette question, je sais fort bien que c'est une question délicate pour de nombreux consommateurs. Ils sont furieux que la Camaro soit fabriquée ici, près de chez eux, et qu'elle coûte moins cher aux États-Unis qu'ici. Pour moi, cela sent la mauvaise stratégie de marché de la part de ces entreprises, au risque de déplaire aux trois grands.
Vous avez ici des possibilités très intéressantes. C'est un produit d'origine locale; vous avez les gens du cru. Pourquoi ne pas le célébrer et brandir le drapeau du patriotisme sans que cela offense les gens? Nous le faisons très bien aux Jeux olympiques. Pourquoi ces entreprises ne fêtent-elles pas cela et n'essaient-elles pas de le mettre en évidence? Je ne sais pas si elles ont peur de le faire ou si les décisions sont prises ailleurs, mais beaucoup de ces questions se révèlent être des possibilités manquées. Je pense, d'un point de vue entrepreneurial, que je devrais peut-être me procurer un entrepôt à Ogdensburg, avec un camion à 18 roues, et prendre des commandes. Je toucherais ma part du gâteau et tout le monde ferait de bonnes affaires. Nous serions tous heureux à la fin de la journée.
C'est là un exemple d'occasion manquée. C'est un comportement à courte vue. Les décideurs pensent qu'ils peuvent, ici et maintenant, faire payer un peu plus les consommateurs, mais ce n'est pas un modèle durable. Vous allez finir par fâcher vos consommateurs et ils diront : « Laissez tomber. Je ne ferai plus du tout affaire avec eux. » J'ai vécu cette expérience avec des questions de service sur les véhicules, puisque je ne fais plus affaire avec une entreprise parce qu'elle ne m'a pas donné satisfaction. Nous sommes dans un marché merveilleux. Il est très démocratique. J'ai le choix et je ne suis pas tenu de leur donner mon argent.
Le sénateur Runciman : Pour l'essentiel, nous en revenons à une approche du genre « ce que le marché peut tolérer » et à la question du comportement des consommateurs. Nous pouvons aussi parler de produits comme les livres et les magazines. Ce sont des choses dont j'entends parler pour lesquelles les écarts vous sautent aux yeux, malgré la valeur du dollar canadien. Dans le cas des produits alcoolisés, nous savons qu'il y a un prix plancher en Ontario et qu'il est interdit de vendre en dessous de ce prix.
Nous avons aussi au Canada, comme vous le savez, des produits soumis à la gestion de l'offre. J'ignore combien de Canadiens connaissent les implications de ces modalités sur les écarts de coûts. Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez dire sur n'importe laquelle de ces questions?
M. Mulvey : Je suis d'accord avec vous sur ces points, pour l'essentiel, je trouve qu'il s'agit de questions qui sont toutes importantes.
Le président : Et vous, professeur Vassos, avez-vous des commentaires à faire sur n'importe laquelle des questions que nous venons de discuter?
M. Vassos : Non, pas pour l'instant.
Le sénateur Runciman : Je crois avoir abordé pratiquement tout pour l'instant. Je ne sais pas si c'est un sujet que ces messieurs peuvent discuter, mais le sénateur Finley a soulevé la question des taux de rémunération, et des taux de syndicalisation. Il me semble que c'est un sujet sur lequel nous pourrions peut-être, à un moment donné, recueillir plus d'information.
M. Mulvey : Je peux vous éclairer un peu ici. Lorsqu'on étudie les taux de la main-d'œuvre et les achats de services, par exemple les services d'un pédicure à Montréal et à Manhattan, on constate qu'ils sont beaucoup moins chers à Manhattan. Cela tient largement au fait que c'est un type de service à forte intensité de main-d'œuvre. Par contre, ce sont les cas des objets fabriqués de façon automatisée, en recourant à des puces, sans beaucoup d'interventions humaines, qui doivent être examinés plus précisément pour voir s'il y a des écarts de prix importants. Dans le domaine des services, vous en avez parfois pour votre argent, mais il y a également ces types de contraintes structurelles.
Le sénateur Dickson : Je vous remercie, messieurs. Vos exposés étaient excellents. L'organisation de la séance qui nous permet d'obtenir deux points de vue en même temps sur la même question me paraît excellente.
Monsieur Vassos, dans votre document, lorsque vous demandez si les Canadiens retirent réellement des avantages des prix plus élevés pour des produits américains, vous dites que l'un des objectifs de notre étude devrait être d'aider à éduquer le public pour lui apprendre que la plupart des hausses de prix facturés par des entreprises retournent au gouvernement. Pouvez-vous aller plus loin sur cette question. Cela nous ramène aux services que reçoivent les Canadiens, par exemple à notre système de soins de santé.
J'aimerais que vous élaboriez un peu, soit sur les effets de ces politiques et sur les avantages qui en découlent. Le président et le vice-président de ce comité pourraient probablement tenir compte de la conclusion à laquelle nous sommes parvenus au Comité de l'énergie, sous la direction des sénateurs Angus et Mitchell, à savoir que nous devrions avoir un site web consacré à l'éducation du public. J'aimerais connaître vos commentaires sur cet objectif d'éducation du public et sur les initiatives que nous pourrions prendre.
M. Vassos : Oui, et non seulement éduquez ce public, mais également comme un résultat direct de cette enquête, faire savoir aux consommateurs quels sont ces avantages et qui bénéficie précisément de ces taxes.
Le sénateur Dickson : Pourriez-vous élaborer un peu plus sur cet aspect des choses?
M. Vassos : Oui. Dans ce domaine, une fois encore, tous ces coûts se combinent pour nous donner des prix plus élevés, mais si vous vous asseyez avec les consommateurs et leur expliquiez les écarts de prix, je ne crois pas qu'ils voudraient réduire notre salaire minimum de 10,25 $ à 7,25 $, qu'ils estimeraient que nous ne devrions imposer aucun droit ni aucune taxe à la frontière, que nous devrions ramener nos taxes sur l'essence de 33 p. 100 à 11 p. 100. Quand vous commencez à réfléchir à ces aspects des choses, vous réalisez que cette large assiette fiscale permet de financer les travaux routiers, le système des soins de santé, et cetera. Dans le document que je vous ai remis, j'ai essayé d'expliquer que nous devrions utiliser ce lieu de discussion comme un forum pour éduquer les gens afin qu'ils ne réclament plus l'élimination des écarts de prix, mais réalisent plutôt que cet écart de prix de 10 $ permet de bénéficier d'un certain nombre d'avantages, à la fois à eux comme consommateurs et aux personnes qui travaillent dans les magasins de détail et qui obtiennent des taux de rémunération plus élevés. Voilà ce que, à mon avis, les dirigeants d'entreprises et les responsables gouvernementaux que nous sommes devraient faire.
Le sénateur Dickson : Le gouvernement l'a reconnu en partie en attribuant un pourcentage des recettes de la taxe sur l'essence aux municipalités pour leur permettre de réparer leurs réseaux routiers, ce qui intéresse toujours les gens.
Quels commentaires cela vous inspire-t-il?
M. Mulvey : Ce qui frustre les consommateurs au Canada est qu'ils font leurs achats dans le brouillard. C'est comme s'il fallait avoir la foi. C'est une mentalité à la Robin des bois : vous prenez notre argent et, en apparence, vous le donnez à quelqu'un qui en a besoin, mais nous ne savons pas vraiment qui en profite ou quand nous allons obtenir notre juste part. Je crois que c'est l'accumulation de ce type de tensions qui amène les gens à aller faire leurs achats aux États-Unis où les prix sont plus faibles.
L'autre point qu'il faut reconnaître est que les prix plus bas au Canada sont une bonne chose pour l'économie canadienne. Lorsque vous achetez un poste de télévision, vous achetez au même endroit tous les accessoires qui vont de pair avec celui-ci. Lorsque nous gardons l'argent dans les poches des Canadiens, ils peuvent choisir de le dépenser ou de l'épargner. Il y a d'autres raisons pour lesquelles vous voulez permettre aux consommateurs d'exercer un peu de pouvoir avec ce qu'ils ont gagné.
Le sénateur Dickson : Parmi les facteurs micro et macroéconomiques, vous avez énuméré le dynamisme de l'économie canadienne et les nombreuses initiatives du gouvernement actuel qui ciblent l'économie et l'emploi. Vous avez dit que nous obtenons de bien meilleurs résultats qu'aux États-Unis. Vous vous êtes demandé si les gouvernements peuvent réellement influencer ces facteurs macroéconomiques. Les initiatives prises par le gouvernement au-delà des questions de relations commerciales entre le Canada et les États-Unis le montrent bien. Nous négocions des accords commerciaux avec l'Inde et avec d'autres pays. Nous avons conclu davantage d'accords commerciaux mettant l'accent sur les États-Unis sous le gouvernement actuel que sous les gouvernements précédents depuis longtemps.
Pourriez-vous commenter certaines de ces initiatives prises par le gouvernement actuel et nous dire, à votre avis, quelle pourrait être leur efficacité pour s'attaquer à ces questions? Il y a par exemple des initiatives d'harmonisation, de partage d'un même périmètre avec les États-Unis, d'harmonisation de la réglementation et, comme l'a dit auparavant le sénateur Angus, d'harmonisation des législations des diverses provinces. Tout ne relève pas de la responsabilité du gouvernement fédéral. D'autres gouvernements ont également un rôle à jouer dans ce domaine. Personne ne met en doute que le gouvernement actuel a lancé des initiatives très énergiques sur les facteurs macroéconomiques.
M. Vassos : Je dirais que nous n'en avons pas encore fait assez. Prenons par exemple la croissance des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis et l'Europe, qui a été relativement stable, et comparons-la à la croissance dans les pays asiatiques qui atteint des niveaux à deux chiffres. Nous n'en avons pas tiré parti ou n'en avons pas fait assez pour accroître les échanges commerciaux avec les pays asiatiques. Plus nous le ferons et plus nous aurons au Canada de produits asiatiques qui feront concurrence à ces produits américains à prix plus élevés. Cela a pour effet de renforcer la concurrence sur le marché canadien.
J'enseigne aussi à Hong Kong et à Shanghai, et la croissance économique qu'on y voit est époustouflante. Leurs salons commerciaux attirent 20 000 personnes. Je ne peux me souvenir de la dernière fois où un salon commercial a attiré 20 000 personnes ici. Le contexte économique suscite beaucoup d'intérêt et nous n'en tirons pas parti, sauf dans le cas de quelques exceptions comme Manulife et RIM.
Nous n'avons pas fait suffisamment d'efforts pour nous joindre aux organisations commerciales asiatiques comme le Sommet de l'Asie de l'Est et le Trans-Pacific Partnership. Nous n'organisons pas suffisamment de missions commerciales permanentes dans des pays comme la Chine pour y instaurer des relations au lieu de passer notre temps à y entrer et à en sortir. Nous devons en faire davantage.
Il y a plusieurs choses comme celles-ci auxquelles nous devons consacrer davantage d'efforts. J'espère que cela débouchera sur une recommandation de plus. Même si votre mission dans ce cas-ci est beaucoup plus centrée sur les États-Unis, toutes ces choses sont liées quant à la façon dont ces facteurs ont des effets sur la nature concurrentielle du marché au Canada.
M. Mulvey : Nombre des exemples dont j'ai eu connaissance sont ponctuels, c'est-à-dire qu'au nord de la frontière le prix de cet article est tant et qu'il est tant au sud de la frontière. Il faut aussi reconnaître que les prix varient entre les divers marchés américains et entre les divers marchés canadiens. Il est facile de sélectionner des ententes mais, en pratique, on observe des variations sur les deux marchés, et il se peut même qu'elles se recoupent. Un bon acheteur sait qu'il est possible d'obtenir le même prix pour l'essentiel si vous disposez de la bonne information.
J'aimerais revenir aux écarts entre les provinces. Nous devons veiller un peu plus à ce qui se passe chez nous. Mon beau-frère va acheter sa bière au Québec et les habitants de Gatineau viennent acheter leur essence à Ottawa. Les gens vont finir par trouver une autre solution, mais devons-nous vraiment nous les mettre à dos et rendre leurs vies plus compliquées qu'elles ne le sont?
Je sympathise avec les gens qui vivent dans les régions rurales. De nombreux sénateurs ont la chance d'habiter dans des villes situées près de la frontière, mais qu'en est-il des gens qui vivent plus au nord? Ils n'ont tout simplement pas les mêmes possibilités. D'une certaine façon, ces prix sont discriminatoires. Ce ne sont pas tous les Canadiens qui disposent de ces choix sur le marché actuel.
Le sénateur Nancy Ruth : Y a-t-il un problème? Après vous avoir écouté, M. Vassos, j'aurais pensé qu'il n'y en a pas. Je ne sais pas avec certitude ce que vous en pensez vous, monsieur Mulvey, mais s'il y a un problème, comment le définiriez- vous de façon succincte à partir de chacun des points de vue que vous avez utilisés?
Le président : Je vous remercie de la brièveté et du caractère succinct de votre question.
Le sénateur Ringuette : L'une des questions que nous n'avons pas abordées est celle des effets de la livraison immédiatement ou plus tard sur les coûts de l'inventaire en fonction des choix du client. Veut-il son produit immédiatement ou est-il prêt à attendre un peu et à ce que le même produit lui coûte moins cher?
Monsieur Mulvey, vous avez soulevé la question de l'influence exercée par le gouvernement. Je reviens à la Camaro fabriquée au Canada qui coûte 4 000 $ de plus ici qu'aux États-Unis. Les contribuables canadiens ont subventionné ce fabricant à coup de milliards de dollars pour le sauver il y a deux ans. Le gouvernement actuel n'a alors imposé aucune condition concernant ces écarts de prix.
M. Mulvey : Quant à déterminer s'il y a réellement un problème, dans la mesure où il y a des entraves en place qui empêchent le marché de fonctionner efficacement et de permettre aux consommateurs d'atteindre leurs objectifs, je suis d'avis qu'il y a certaines questions qu'il faudrait aborder. Qu'il s'agisse d'accroître la transparence au sujet des raisons d'être de ces droits et tarifs, d'expliquer pourquoi les coûts sont plus élevés et de dire où va l'argent des contribuables, c'est assez important.
Quant aux achats frontaliers, je ne veux pas dire que nous devrions les faciliter, parce que cela pose manifestement quelques problèmes. Cependant, pourquoi ne pas poser la question à l'envers? Qu'est-ce que les Américains viennent acheter au Canada et qu'avaient-ils l'habitude de faire par le passé. Il y a parfois ici des affaires, et il arrive souvent qu'en abordant le problème dans l'autre sens on ait une meilleure perception de sa nature réelle.
Je crois que nous devrions être fiers de ce que nous produisons ici. Nous avons d'excellentes entreprises canadiennes, mais quand elles obtiennent trop d'aide, cela peut avoir un effet de boomerang, et les gens peuvent vouloir s'en tenir loin. C'est un peu comme le syndrome de l'enfant préféré de ses parents.
M. Vassos : Je n'aime pas beaucoup l'idée de mener cette enquête sur l'ensemble des écarts de prix parce que cela revient pratiquement à légitimer dans l'esprit des consommateurs qu'ils sont arnaqués et que c'est la raison pour laquelle les sénateurs consacrent tant de temps à cette analyse. Je crois plutôt, en pensant aux résultats de cette enquête, que le gouvernement et les sénateurs devraient formuler des recommandations précises concernant les écarts aberrants. La Loi sur la concurrence met l'accent sur les entreprises qui ne respectent pas l'éthique en imposant des prix. Il faudrait envisager des tarifs existants. C'est ainsi qu'il se peut que, si nous réduisions ou éliminions les droits d'importation de 13 p. 100 sur toutes les bicyclettes, certains fabricants implantés au Québec en souffriraient mais, à long terme, cela pourrait pousser les fabricants canadiens à s'adapter à ces nouvelles réalités.
Nous devons choisir ce que le gouvernement peut faire pour influencer ces facteurs micro et macroéconomiques en réduisant la bureaucratie et en ayant une législation et des modalités cohérentes dans les 10 provinces et à tous les paliers de gouvernement. Nous devons mettre l'accent sur les aspects que le gouvernement peut contrôler plutôt que de tenter de contrôler des choses comme les écarts de prix qui s'expliquent par des nombres si importants de facteurs divers. De telles mesures n'auraient probablement pas l'effet direct visé, mais exerceraient plutôt une influence indirecte, mettant en place un environnement beaucoup plus concurrentiel au Canada pour les entreprises qui y vont des affaires.
Le président : Je vous remercie beaucoup tous les deux. Vous nous avez soumis beaucoup de sujets de réflexion et nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de réfléchir à ce que vous nous disiez et de nous fournir des explications aussi succinctes aujourd'hui.
(La séance est levée.)