Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 15 - Témoignages du 3 avril 2012
OTTAWA, le mardi 3 avril 2012
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour faire une étude sur les raisons pouvant expliquer les inégalités entre les prix de certains articles vendus au Canada et aux États-Unis, étant donné la valeur du dollar canadien et les répercussions du magasinage transfrontalier sur l'économie canadienne.
Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, ce matin nous poursuivons notre étude spéciale sur les raisons pouvant expliquer les inégalités entre les prix de certains articles vendus au Canada et aux États-Unis.
[Traduction]
C'est avec plaisir que nous accueillons ce matin M. Tony Hernandez, directeur, Centre d'étude de l'activité commerciale, et titulaire, Chaire Eaton sur le commerce au détail, Université Ryerson, au centre-ville de Toronto. Monsieur Hernandez, je pense que vous allez présenter un bref exposé. Nous passerons ensuite aux questions et réponses. La parole est à vous.
Tony Hernandez, professeur, Université Ryerson, à titre personnel : Merci, bonjour. J'ai des copies de mon exposé en anglais.
Le président : Quelqu'un en veut-il un exemplaire?
M. Hernandez : Il contient des graphiques auxquels je vais me référer.
Le président : Si personne n'y voit d'inconvénient, nous allons distribuer les copies. Le document sera traduit. Si vous voulez nous envoyer votre exposé d'avance la prochaine fois, nous pourrons le faire traduire avant votre témoignage.
M. Hernandez : Honorables sénateurs, merci de l'invitation à participer à votre étude. Les différences de prix entre le Canada et les États-Unis sont plus manifestes pour les consommateurs canadiens ces dernières années. Si on demandait à des consommateurs canadiens de parler des différences de prix entre le Canada et les États-Unis, je suis sûr que bon nombre aurait une histoire à raconter ou, à tout le moins, une opinion à formuler. Compte tenu du nombre croissant de détaillants américains qui entrent sur le marché canadien et de la quasi-parité du dollar canadien, les différences de prix intéressent de plus en plus les consommateurs.
Je suis le directeur du Centre d'étude de l'activité commerciale, une unité de recherche universitaire de l'École de gestion Ted-Rogers, à l'Université Ryerson. Comme le président l'a indiqué, nous sommes situés au centre-ville de Toronto, à côté du Centre Eaton. Je suis aussi titulaire de la Chaire Eaton sur le commerce au détail de l'Université Ryerson, une chaire de recherche établie en 1994 par la fondation Eaton pour célébrer le 125e anniversaire de la compagnie T. Eaton. Notre centre d'étude a été mis sur pied en 1992, et je m'y suis joint en 1999. J'en suis le directeur ainsi que le titulaire de la Chaire Eaton depuis 2005.
Le Centre d'étude de l'activité commerciale est un centre de recherche universitaire sans but lucratif qui travaille en partenariat avec plus de 60 organisations très diverses des secteurs public et privé, comme de grands détaillants, des propriétaires de centres commerciaux, des promoteurs de projets commerciaux, des entreprises de location immobilière, des organismes gouvernementaux, des sociétés de conseils, des fournisseurs de données et des associations industrielles.
Nos recherches se concentrent avant tout sur l'emplacement des détaillants et des services. Nous dressons la liste des magasins que comptent les grandes chaînes de détaillants partout au Canada et nous évaluons les ventes au détail des grands conglomérats, que nous appelons les principaux détaillants. Nos données permettent de connaître l'évolution de la concentration des détaillants au Canada, la présence accrue des chaînes de détaillants américains, les emplacements privilégiés et leur influence sur la part de marché.
Nous recueillons des données sur les emplacements et l'activité du commerce au détail dans le Grand Toronto et le Golden Horseshoe. Nous effectuons aussi le sondage des grands centres de détaillants partout au pays. Les grands centres sont formés de nombreux détaillants à grande surface, dont bon nombre sont des chaînes américaines bien connues comme Walmart, Home Depot, Best Buy, et cetera. Ces grands centres sont un aspect essentiel de l'expansion des détaillants à grande surface depuis le début des années 1990. Nous mettons l'accent sur les stratégies et les changements d'emplacement des détaillants au Canada.
Mon exposé se fonde sur nos données et notre analyse relatives à la concentration des chaînes de détaillants américains au Canada. Je crois qu'il facilitera votre étude.
La concentration des grands détaillants au Canada augmente ces dernières années. Notre classement des grands détaillants est d'abord axé sur les chiffres d'affaires des conglomérats. Par exemple, Walmart Canada gère Walmart et Walmart Supercentres. Il gérait aussi Sam's Club. Les conglomérats dont les revenus atteignent ou dépassent 100 millions de dollars sont pour nous des grands détaillants. Mais c'est une règle générale, car nous considérons que certains détaillants aux revenus inférieurs sont des grands détaillants. Par exemple, nous incluons les grands détaillants étrangers qui n'ont que quelques magasins au Canada, mais qui sont bien connus à l'échelle internationale.
Nos données de l'exercice 2010 indiquent que les ventes de 122 conglomérats gérant 400 chaînes de détaillants se sont élevées à 220 milliards de dollars. C'est près de 75 p. cent des ventes au détail au Canada si on ne tient pas compte de l'industrie automobile. Nous excluons les véhicules et l'essence des chiffres d'affaires au Canada, car nous ne suivons pas l'activité commerciale de ces secteurs.
De 2009 à 2010, la concentration des grands détaillants au Canada s'est accrue en moyenne de 0,5 p. 100. La part de marché des détaillants canadiens a diminué de 0,4 p. 100 pour s'établir à 59,5 p. 100 des ventes de détail au Canada, tandis que celle des détaillants américains a augmenté de 0,5 p. 100 pour s'établir à 38,6 p. 100.
Avec un chiffre d'affaires combiné estimé à 68,6 milliards de dollars et 3 104 magasins, les trois grandes sociétés au Canada en 2010, le groupe Weston, Walmart et la compagnie Empire, détenaient un peu plus de 23 p. 100 du secteur de la vente au détail, si on exclut l'industrie automobile. Avec près de 20 000 magasins, 31 entreprises au Canada ont réalisé un chiffre d'affaires d'au moins un milliard durant l'exercice 2010. Leurs chiffres d'affaires combinés ont totalisé environ 192 milliards de dollars, soit 87 p. 100 des ventes générées par les grands détaillants examinés. Comme prévu, les grands détaillants tendent à concentrer leurs activités dans les quatre provinces où se situent les principales villes canadiennes : l'Ontario, le Québec, la Colombie-Britannique et l'Alberta.
Même si l'expansion des compagnies étrangères au Canada semble plus marquée ces dernières années avec l'arrivée de grands détaillants comme Apple, Zara, H&M, Lowe's, Victoria's Secret et Marshalls, pour n'en nommer que quelques-uns, l'internationalisation constitue depuis nombre d'années un élément majeur de l'évolution du commerce de détail au Canada. L'installation au Canada des détaillants américains s'est effectuée par vagues et remonte à 1897, lorsque la compagnie F.W. Woolworth a pris de l'expansion au pays. Cette compagnie est devenue Woolco, que Walmart a acheté à son arrivée au Canada en 1994. Les détaillants américains représentaient 95 p. 100 des détaillants étrangers au Canada en 2010 et 28,9 p. 100 des ventes au détail, si on exclut le secteur automobile. Je répète que leurs chiffres d'affaires combinés se sont élevés à 38,6 p. 100 des ventes des grands détaillants au Canada.
J'attire votre attention sur la ligne du temps de l'annexe 1, qui montre l'arrivée de grandes chaînes de détaillants au Canada. La plupart de ces détaillants viennent des États-Unis. L'annexe 2 présente par secteur des chaînes de détaillants étrangers installés au Canada en 2010. Les secteurs sont établis d'après le système de classification des industries de l'Amérique du Nord. Dans tous les secteurs, on trouve bon nombre de grands détaillants étrangers, dont la grande majorité sont établis aux États-Unis.
En résumé, la concentration et la part de marché des grands conglomérats de détaillants augmentent au Canada, si on exclut le secteur automobile. Même s'il s'agit d'une tendance assez constante dans les dernières décennies comme le montre l'annexe 1, davantage de détaillants américains s'implantent au Canada dernièrement. Les consommateurs canadiens ont donc un accès accru à ces détaillants au Canada, et les détaillants américains devraient poursuivre leur expansion.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Hernandez. Je vais vous laisser donner des précisions sur votre exposé, mais nous tenons à savoir pourquoi les prix des produits semblent bien plus élevés au Canada qu'aux États-Unis, à un point tel que les Canadiens traversent la frontière pour y faire leurs achats. Ils ne vont pas seulement faire le plein d'essence; ils se procurent bien d'autres produits.
Devons-nous penser que la concentration des détaillants est un facteur? Le Canada profite-t-il de l'expansion des grands détaillants américains au pays? L'écart de prix va-t-il diminuer, si on tient compte des variations du dollar?
M. Hernandez : Mon exposé visait à montrer l'ampleur de la concentration des détaillants. Assez peu de grands détaillants au Canada détiennent une part substantielle des ventes. Leurs décisions peuvent donc avoir un impact important sur le commerce de détail au pays.
On peut aussi envisager la question sous l'angle des détaillants étrangers au Canada. Concernant les différences de prix, les Canadiens allaient peut-être aux États-Unis il y a 20 ans pour avoir accès aux produits, mais les détaillants américains ont maintenant des magasins au Canada. La donne a changé pour les consommateurs.
Les voyages aux États-Unis pour profiter de la valeur du dollar s'expliquaient peut-être par les détaillants qui s'y trouvaient, mais ils sont désormais établis au Canada.
Je pense que les différences de prix deviennent de plus en plus manifestes pour les consommateurs canadiens. La différence, ce n'est pas seulement que nous allions aux États-Unis pour faire des achats. Étant donné que les produits sont maintenant en vente au Canada, c'est très facile de comparer les prix aux États-Unis et ici des produits offerts par le même détaillant.
La situation a changé. Si on exclut le secteur automobile, les détaillants américains détiendraient près du tiers des ventes de détail au Canada. C'est une part de marché plutôt considérable.
Le président : Quelle tendance observez-vous? La concurrence accrue liée à la venue d'un plus grand nombre de détaillants américains au Canada permettra-t-elle de combler l'écart entre les prix ici et aux États-Unis?
M. Hernandez : La concurrence est une question intéressante. Pour chaque secteur, nous mesurons le taux de concentration des entreprises. Nous examinons le RC4, les quatre principales compagnies de chaque secteur. Pour les articles d'usage courant, les quatre principaux détaillants détiennent plus de 80 p. 100 des ventes. Dans la mode, c'est bien moins. Chaque secteur est différent. Le nombre de concurrents varie d'un secteur à l'autre.
Les entreprises du secteur des articles de tout genre sont très peu nombreuses. Target va s'implanter au Canada en avril 2013 et renforcera peut-être la concurrence. C'est difficile de dire si c'est un nouveau détaillant qui s'installe au Canada. Zellers appartient à la société américaine NRDC Equity Partners. Target remplacera Zellers et fera augmenter la concurrence dans le secteur.
Il faut se pencher sur la concurrence dans un secteur à la fois. Pour avoir consulté certains témoignages fournis jusqu'ici, j'indique que les secteurs du commerce au détail présentent des différences.
Le président : Selon nous, c'est très évident dans certains cas, comme pour le secteur de l'édition, lorsque nous constatons une inégalité des prix au Canada et aux États-Unis pour un même livre de poche, par exemple. Ce genre de chose saute aux yeux. Les Canadiens se demandent pourquoi il en est ainsi, et nous tentons d'aider le gouvernement à comprendre.
Le sénateur Runciman : Je vous remercie de votre présence. Nous vous en sommes reconnaissants.
Dans son budget, le gouvernement a annoncé des changements concernant les exemptions pour une durée de séjour à l'étranger de 24 et de 48 heures. J'ai remarqué que certains grands détaillants s'en sont plaints et croient que cela aura des répercussions négatives. Qu'en pensez-vous? D'autres témoins nous ont dit qu'il en résulterait une accentuation de la pression concurrentielle, ce qui est une bonne chose pour les consommateurs. Que pensez-vous de ces changements?
M. Hernandez : Je pense que la hausse des plafonds des exemptions est en quelque sorte une arme à double tranchant. D'une part, les détaillants canadiens veulent réduire le plus possible le nombre de ventes au détail qui se font de l'autre côté de la frontière plutôt qu'ici. Ce changement dans le secteur est un enjeu important pour les détaillants canadiens.
Sur le plan opérationnel, je pense que la mesure rendra le magasinage transfrontalier moins problématique pour les consommateurs canadiens quant à ce qu'ils déclarent ou non. J'ai examiné les questions soulevées par les spécialistes de l'Agence des services frontaliers du Canada qui ont témoigné devant vous, qui disaient qu'il ne fallait pas traiter les Canadiens comme de vulgaires criminels; du moins, je crois que ce sont les mots qu'ils ont employés.
Il y a des avantages sur le plan opérationnel, mais il est certain que la pression s'accentuera pour les détaillants canadiens. À long terme, la mesure aura-t-elle une influence sur les inégalités? Les détaillants du Canada auront-ils la pression de réduire l'écart entre les prix?
Le sénateur Runciman : Avez-vous pris en considération les frais de lancement et les coûts d'occupation, comme l'impôt foncier et les coûts des services publics, dans les deux pays? Quel rôle jouent-ils dans l'établissement des prix?
M. Hernandez : Notre objectif n'était pas vraiment d'étudier le phénomène du magasinage transfrontalier. Il s'agissait de faire une analyse structurelle du commerce de détail au Canada et d'examiner les changements concernant les détaillants au Canada.
Le sénateur Runciman : Êtes-vous en train de dire qu'il y a moins de différences structurelles avec le temps?
M. Hernandez : Nous constatons une concurrence accrue et le fait que les plus grands détaillants contrôlent une plus grande part du marché du détail. Le problème, c'est qu'un petit nombre de détaillants ont probablement plus d'influence que tous les autres dans l'ensemble des ventes au détail.
Depuis les trois ou quatre dernières années en particulier, le Canada est considéré comme un lieu de croissance. Les détaillants américains et européens considèrent que le Canada constitue un marché très viable pour étendre leurs activités.
Le sénateur Runciman : J'ignore si cela faisait partie des témoignages, mais notre recherchiste indique ici que les fabricants vendent leurs produits plus chers aux importateurs canadiens qu'aux importateurs américains. Est-ce que c'est ce que vous avez constaté également? Y a-t-il des raisons qui le justifient?
M. Hernandez : Nous n'avons pas étudié ce facteur. Comme je l'ai dit, nos recherches sont très axées sur l'emplacement.
Lorsqu'on examine les différences entre les prix, un certain nombre de facteurs semblent constants, qu'il s'agisse de l'étendue, des coûts inhérents aux affaires ou des taxes et des tarifs. Quelle étape du commerce de détail a-t-elle le plus d'influence sur la différence entre les prix? Si c'est lié au fabricant ou au fournisseur, il y aura des répercussions sur toute la chaîne.
S'il y a des différences dans la façon dont les prix des détaillants canadiens sont établis entre les détaillants américains menant leurs activités aux États-Unis, cela se répercutera évidemment sur toute la logistique de détail, car on a des coûts supplémentaires au départ. Ils ne sont pas inhérents aux affaires; ce sont des coûts engagés parce que le coût de base pour intégrer le produit est plus élevé.
Le sénateur Runciman : Vos études se traduisent-elles par des recommandations? Les municipalités et les gouvernements provinciaux et fédéral ont-ils un rôle à jouer à votre avis?
M. Hernandez : Une grande partie de notre travail consiste à examiner la façon dont la structure commerciale change; nous nous penchons donc sur la vitalité des centres d'achats et des mégacentres commerciaux, et nous examinons la façon dont évolue la structure de la vente au détail. Nous examinons en grande partie les choses du point de vue de l'aménagement du territoire.
Le sénateur Runciman : Est-ce davantage à l'échelle municipale?
M. Hernandez : En partie. Par exemple, dans la région de Toronto, nous examinons la planification provinciale de la croissance intelligente.
[Français]
Le sénateur Ringuette : Bonjour. J'ai conclu de votre présentation que vos données concernent uniquement les magasins à rayons qui ont pignon sur rue au Canada. Avez-vous également des données concernant les achats par Internet?
[Traduction]
M. Hernandez : Nos données portent surtout sur l'emplacement, et nous créons des bases de données sur les grands magasins de détail à succursales et suivons leur évolution. Nous le faisons depuis 10 ans, et nous suivons l'évolution des détaillants dans la région de Toronto depuis 20 ans.
Nous faisons référence aux renseignements de Statistique Canada lorsque nous examinons le commerce électronique. Nous utilisons des données secondaires lorsque nous nous penchons sur le commerce électronique.
J'aimerais faire deux ou trois observations sur le commerce électronique et ses répercussions sur le secteur du commerce de détail; en ce qui concerne l'immobilier, on s'inquiète de plus en plus de la proportion d'achats au détail qui se fait en ligne et des répercussions possibles sur la viabilité de certaines propriétés et la demande d'espaces pour la vente au détail au Canada. Nous nous penchons sur un certain nombre de questions liées au commerce électronique, mais nous faisons les liens avec les problèmes qu'il crée dans le secteur immobilier.
Le sénateur Ringuette : D'après l'annexe 1, dans votre document, les activités américaines au Canada ont connu une croissance remarquable au cours des 20 dernières années. Quelles sont les répercussions sur les détaillants canadiens?
M. Hernandez : Je crois que pour toutes les entreprises de vente au détail, les répercussions sont liées à ce qui se produit quant à leur part de marché. L'augmentation du nombre de concurrents entraîne une diminution de la part de marché des autres détaillants. Le graphique montre un fait intéressant. Seulement quatre des entreprises qui y figurent, à ce que je sache, ne font plus affaire au Canada : Office Depot, Sports Authority, Linens 'n Things et Sam's Club. Les détaillants qui sont entrés persévèrent et mènent encore des activités au Canada. Certains détaillants sont établis au Canada depuis 20 ans et plus. Imaginez à quoi ressemblait le secteur de la rénovation avant la venue de Home Depot ou, plus récemment, de Lowe's. Ces entreprises prennent une partie de la part de marché des autres détaillants, mais c'est le contexte de la concurrence.
Le sénateur Ringuette : De plus, tout cela a des répercussions négatives sur bon nombre de petits et moyens détaillants. L'accroissement des activités des détaillants américains au Canada ne s'est par contre pas traduit par une diminution des prix. Le prix d'un article vendu chez Walmart au Canada est d'environ 20 p. 100 supérieur à celui du même article vendu chez le même détaillant aux États-Unis. Leur arrivée dans le marché canadien n'a mené en rien à une réduction du prix pour les consommateurs. Il faut ajouter qu'elle a engendré la fermeture d'un grand nombre d'entreprises canadiennes.
Je sais que vous analysez l'aspect géographique du commerce de détail. Où cela va-t-il nous mener? Vous devez avoir extrapolé sur ce vers quoi nous nous dirigeons. Aurons-nous un système dans lequel les détaillants canadiens seront complètement absents ou très peu nombreux? Serons-nous à la merci des grands magasins américains?
M. Hernandez : Bon nombre de grands détaillants canadiens existent depuis longtemps et travaillent fort pour répondre aux besoins de leurs clients. Ils font face à des pressions concurrentielles au fur et à mesure, comme n'importe quelle entreprise.
D'après ce que nous avons observé, bon nombre des détaillants dont il est question ici sont les plus grands détaillants à grande surface qui se sont concentrés sur les mégacentres commerciaux. Un certain nombre d'études portent sur les répercussions qu'ont les grands détaillants sur les petits et les moyens. Au bout du compte, tout dépend de l'endroit où les consommateurs canadiens font leurs achats. Les grands détaillants prennent de plus en plus de place dans le secteur de la vente au détail canadien.
Le sénateur Ringuette : Oui, et avec la nouvelle politique, les Canadiens peuvent traverser la frontière et augmenter leur pouvoir d'achat de 400 p. 100.
M. Hernandez : L'une des questions sous-jacentes à laquelle le comité doit tenter de répondre est la suivante : qu'est-ce qui, dans le processus, cause la différence entre les prix? Est-ce l'étape de la fabrication? Est-ce attribuable à la nature de notre marché? Est-ce purement à cause de l'étendue et de la taille du marché? On nous dit toujours que notre marché représente 10 p. 100 de celui des États-Unis et que notre poids ne serait pas le même si notre marché était plus grand. En ayant un marché 10 fois moins grand, il est certain qu'on est désavantagé. Le comité doit étudier les causes des écarts de prix et les différences entre les secteurs.
Je ne suis pas au courant de ce qui se dit au cours des réunions de détaillants durant lesquelles ils examinent leurs modèles d'établissement des prix et prennent des décisions au sujet des fournisseurs, et cetera. Le comité doit tenter de comprendre d'où vient cette inégalité majeure des prix. L'étendue du marché constitue-t-elle le problème majeur? Est-ce que c'est le fait que nous avons un grand pays et que le transport des produits coûte alors très cher?
Grâce aux données que nous recueillons au centre d'étude, nous déterminons les répercussions. Nous évaluons les ventes de ces détaillants dans le pays. À mesure qu'il y a des changements dans les ventes, nous voyons les répercussions. Ils prennent les parts de marché d'autres détaillants, qu'ils soient de petits ou de moyens détaillants, canadiens ou américains. L'un des mythes au sujet du commerce de détail, c'est que ce sont exclusivement des détaillants américains qui entrent au Canada et qui font concurrence à ses détaillants. Les détaillants américains viennent faire concurrence à d'autres détaillants américains. Lowe's est un détaillant de rénovation qui rivalise avec Home Depot. Target fait son entrée au Canada et sera en concurrence directe avec Walmart, de même qu'avec d'autres détaillants. C'est l'une des autres questions.
Souvent, on oppose Canada et États-Unis. Je ne pense pas que cela fonctionne vraiment de cette façon. Pour l'essentiel, nous avons des détaillants canadiens dont le bureau central est aux États-Unis.
Le sénateur Ringuette : Néanmoins, les détaillants américains et canadiens peuvent se faire concurrence pour la part du marché. Toutefois, ils ne fournissent pas de meilleures structures de prix pour les consommateurs canadiens par comparaison avec leurs opérations au détail aux États-Unis.
Vous avez dit que vous aviez des données sur la concurrence entre les détaillants américains dans le marché canadien. Ai-je bien compris?
M. Hernandez : Nous avons des données sur les ventes estimées pour des chaînes américaines qui ont des activités au Canada qui rivalisent avec d'autres chaînes américaines qui ont des activités au Canada. Nous avons évalué les données relatives aux ventes de Home Depot et de Lowe's. Au fil du temps, on peut comparer les changements pour les deux entreprises.
Le sénateur Ringuette : Vous n'avez pas de données précises sur les prix.
M. Hernandez : Nous ne suivons pas précisément l'évolution des prix. Nous examinons l'emplacement et les stratégies des entreprises, les marchés dans lesquels elles vont et leurs préférences quant à l'emplacement. Il s'agit en grande partie d'avoir un aperçu de l'aspect financier. Nous ne tentons pas de décortiquer les marges, la rentabilité, les actifs, les frais de lancement, et cetera. Nous n'axons pas nos efforts sur ce facteur.
Le sénateur Marshall : Votre annexe énumère tous les détaillants américains qui s'installent au Canada. Je comptais sur les effets de la concurrence, mais vous avez dit que quatre détaillants accaparaient environ 80 p. 100 du marché.
À votre avis, cela aura-t-il des répercussions sur les prix? Pensez-vous que les Canadiens se disent que la concurrence va faire baisser les prix? Mais, en réalité, les quatre grands détaillants accaparent le marché, ce qui empêchera les prix de diminuer.
M. Hernandez : J'aimerais préciser que les trois principaux détaillants auxquels j'ai fait référence, c'est-à-dire Western Group, Walmart et Empire Company — qui sont essentiellement des détaillants de fournitures de tout genre et d'épicerie —, accaparent 23 p. 100 du marché et ils sont les trois détaillants les plus importants au Canada. En 2010, leurs ventes ont représenté 23 p. 100 de l'ensemble des ventes au détail.
Nous avons aussi une autre mesure : le ratio de concentration par secteur. Nous repérons les quatre détaillants les plus importants d'un secteur, et nous calculons ensuite la part de marché qu'ils contrôlent, en pourcentage, dans ce secteur.
En ce qui concerne les fournitures de tout genre, les quatre entreprises les plus importantes du secteur accaparent plus de 80 p. 100 du marché. Dans le cas de la rénovation domiciliaire, cette proportion est de 70 p. 100. Pour les produits de pharmacie et de soins personnels, elle dépasse tout juste 68 p. 100. Ce sont des estimations très approximatives, mais je peux vous fournir les données exactes plus tard.
Par contre, dans le cas des vêtements et des accessoires, les quatre entreprises les plus importantes accaparent seulement environ 20 p. 100 du marché, car il s'agit d'un type de magasinage plus comparatif. Nous étudions les différentes répercussions dans chaque secteur. Par exemple, le fait d'ajouter quelques détaillants de mode n'a pas nécessairement le même effet que l'arrivée d'un autre important détaillant de fournitures de tout genre, car dans ce secteur, l'activité est déjà très concentrée.
C'est notre représentation du marché.
Le sénateur Marshall : Dans ce cas, en tenant compte de votre exemple, le fait que quatre détaillants dominent la catégorie des fournitures de tout genre a-t-il des répercussions, à votre avis, sur la concurrence? On pense que plus il y aura d'entreprises américaines qui s'installeront au pays, plus les prix vont diminuer. Toutefois, si cela se limite à quatre entreprises, pensez-vous qu'on verra une différence dans l'écart des prix?
M. Hernandez : Il s'agit d'une question difficile, car cela ne dépend pas uniquement du nombre de détaillants.
Les données concernant le secteur des fournitures de tout genre sont un peu faussées, en raison du regroupement entre certains grands magasins traditionnels et le nouveau type de magasins de fournitures de tout genre. Au milieu des années 2000, Statistique Canada a cessé de publier des données sur les grands magasins du Canada, car honnêtement, leur nombre n'était plus assez élevé pour divulguer les données sans compromettre la confidentialité.
Il ne faut pas tenir seulement compte du nombre, mais aussi de la nature des détaillants qui se font concurrence. Par exemple, Walmart et Target se livrent une concurrence directe aux États-Unis; d'une certaine façon, le Canada devient ainsi un autre champ de bataille pour eux.
Par contre, le fait d'ajouter quelques détaillants de mode dans un centre commercial n'a pas nécessairement un effet important sur l'ensemble du secteur. Je ne dis pas que les détaillants de mode ne sont pas importants; au contraire, il est même essentiel, pour un grand nombre de nos centres commerciaux, d'être en mesure d'attirer les nouveaux et les meilleurs détaillants de mode. À mon avis, la question ne se résume pas au nombre; je pense que la nature des concurrents importe davantage.
Le sénateur Marshall : Vous avez mentionné la société Target — probablement au cours de votre exposé — et vous venez juste de la mentionner de nouveau. D'après ce que vous dites, vous pensez que son arrivée sur le marché canadien devrait avoir des répercussions importantes ou aura une incidence quelconque sur les prix?
M. Hernandez : Je pense que Target offrira, potentiellement, une gamme de produits légèrement différente de celle qu'on retrouve actuellement sur le marché.
En ce qui concerne la question des prix, étant donné que Target est un détaillant à prix intermédiaires et que Walmart offre des prix un peu plus bas, cela pourrait influer un peu sur les prix que paient les Canadiens. Toutefois, ce n'est pas nécessairement une question de prix réduits; on peut aussi parler de la différenciation de produits et offrir aux Canadiens une variété de produits à différents prix, au lieu de vouloir réduire tous les prix. Nous devons modifier un peu notre perspective. À mon avis, la question de l'écart entre les prix concerne surtout les différences de prix importantes entre deux produits identiques de même marque qui sont vendus à des prix différents aux États-Unis et au Canada. Quelles sont les raisons qui expliquent ces différences lorsqu'il s'agit d'un produit de la même marque? C'est exactement le même produit. Nous devons vraiment nous efforcer de ne pas parler de prix uniquement selon la perspective du prix le plus bas.
Le sénateur Marshall : C'est exact, et nous ne devrions pas comparer des pommes et des oranges, mais comparer la même chose.
M. Hernandez : C'est exact. Par exemple, j'ai entendu dire que les magasins d'usine feront partie du processus d'examen du comité. Au Canada, le magasin d'usine sera probablement la prochaine étape du développement de la vente au détail.
Quelques promoteurs envisagent d'aménager des sites. Je ne sais pas si vous connaissez le magasin d'usine Cookstown, qui a été acheté par une entreprise appelée Tanger, un important promoteur de projets de magasins d'usine aux États-Unis. Un autre promoteur immobilier, Simon Property Group — un important promoteur de centres commerciaux aux États-Unis —, a établi un partenariat avec Calloway REIT. Tanger a établi un partenariat avec RioCan en vue d'aménager des magasins d'usine, et Calloway a fait de même avec Simon Property Group, car ils envisagent de construire un centre dans la région de Halton Hills.
Le magasinage transfrontalier se résume en grande partie à cela. Les gens traversent la frontière pour profiter des aubaines offertes par les magasins d'usine.
J'ai assisté à un exposé livré par le PDG de Tanger Outlets, Steven Tanger, et j'ai été surpris d'apprendre que 80 p. 100 des produits — ce sont ses paroles, il faut donc vérifier — qui sont vendus dans les magasins d'usine sont, de nos jours, spécialement fabriqués pour ce type de magasin. Il y a maintenant une différence entre l'article à prix fort et celui à prix réduit. Par exemple, une chemise de marque se vend 120 $ en boutique. On trouve la même chemise, dans le magasin d'usine de cette marque, à seulement 40 $; elle a la même coupe et elle semble être fabriquée dans le même tissu, mais en réalité, le coton est de qualité un peu inférieure. Dans ce cas, la différence de prix n'est pas une différence réelle. Les deux chemises sont de la même marque et le produit semble le même, mais elles sont, potentiellement, différentes.
Il s'agit de l'un des autres défis, car une grande partie du magasinage transfrontalier se déroule, en fait, dans les magasins d'usine. Il serait utile de se pencher sur le prix réduit comparativement au prix fort, et vérifier si l'on compare bien des pommes avec des pommes. C'est la chose la plus importante en ce qui concerne l'écart des prix. Il est facile de comparer des produits qui, selon vous, sont comparables, mais en fait, ils n'ont jamais été conçus dans ce but.
Le président : Vous soulevez un point intéressant.
Le sénateur Marshall : C'est intéressant. Merci.
Le sénateur Hervieux-Payette : Cela complique un peu les choses, car je magasine chez trois détaillants : IKEA, de la Suède, Miele, de l'Allemagne, et Benetton, d'Italie. Nous pouvons nous demander pourquoi leurs produits ne sont pas vendus au même prix, par exemple, sur la côte Est, même si les coûts liés au transport sont les mêmes. Est-ce seulement une question de volume? Nous avons déjà parlé du fait que les automobiles importées d'Europe sont beaucoup plus dispendieuses au Canada qu'aux États-Unis. Comment expliquez-vous cela? Ce n'est pas une question de qualité. En fait, les produits d'IKEA, de Miele et de Benetton sont de qualité supérieure. Les produits de Miele sont fabriqués en Allemagne, où la main-d'œuvre est très dispendieuse. Pourquoi le même produit, qu'il s'agisse d'appareils électroménagers, d'automobiles ou de vêtements, est-il différent aux États-Unis et au Canada?
M. Hernandez : Cela revient à la série de considérations que le comité a comparées, je pense, à une mort à petit feu. Il pourrait s'agir de n'importe quelle série de facteurs parmi ces considérations. S'agit-il du prix des fournisseurs? Ou des tarifs? À quel moment les frais de carburant entrent-ils en jeu? Il faut littéralement se pencher sur ces facteurs, secteur par secteur. Par exemple, à quel point les prix sont-ils différents dans le secteur de l'habillement? Quelle différence y a-t-il entre les coûts engendrés pour desservir l'Est du Canada comparativement au reste du pays? L'entreprise exerce-t-elle ses activités partout au Canada, ce qui l'oblige à vendre ses produits partout au pays, et ainsi à assumer des coûts supplémentaires? Quels sont certains des facteurs? Les produits sont-ils distribués à l'échelle nationale? Il faut se pencher sur une série de considérations différentes.
Si je devais en pointer une seule du doigt, je n'aurais aucune idée laquelle.
Le sénateur Hervieux-Payette : Vous avez parlé des vêtements; des témoins nous ont dit que la plus grande partie des vêtements, même s'ils sont importés des États-Unis, sont fabriqués en Chine. En fait, c'est un organisme américain qui les commande, et ils sont ensuite envoyés au Canada ou aux États-Unis. Ces produits n'ont donc pratiquement aucun contenu américain. Pourquoi ne seraient-ils pas les mêmes? Encore une fois, nous avons peut-être des règles entre le Canada et les États-Unis pour créer un marché plus libre, mais lorsqu'il s'agit de Benetton, c'est peut-être lié au coût. Je ne suis pas certaine dans le cas des électroménagers, et IKEA vend surtout des meubles; pratiquement personne ne fabrique ces produits au Canada. Quelques-uns sont toujours fabriqués aux États-Unis, mais la plupart le sont en Chine. Nous pouvons comprendre qu'en raison de la taille de notre pays et de notre marché, il peut y avoir une certaine différence, mais lorsque dans le cas d'une automobile, par exemple, la différence est de plus de 10 000 $ pour le même produit, il ne s'agit pas seulement du coût de l'article. Il y a une certaine relation.
Nous aimerions entendre vos suggestions pour réduire l'écart.
M. Hernandez : Vous devez trouver où se situe l'écart.
Le sénateur Hervieux-Payette : C'est ce que nous essayons de faire.
M. Hernandez : Cela dépend si le détaillant ne fait que refiler les coûts supplémentaires. On entend souvent parler des prix abusifs et on accuse les détaillants, mais est-ce qu'ils refilent vraiment le coût supplémentaire aux consommateurs? Où ces coûts sont-ils réellement engendrés? Où est la différence de prix? Dans quels cas l'écart de prix peut-il être justifié? Honnêtement, c'est dans ces cas que les détaillants doivent comparaître et vous expliquer, documents à l'appui, qu'ils essaient de fournir le meilleur rapport qualité-prix aux consommateurs canadiens, et comment ils s'y prennent. C'est ce qui doit être fait.
J'ai examiné quelques témoignages qui ont été présentés au comité, et il semble que les mêmes thèmes reviennent : l'étendue du marché, le commerce et les droits de douane, les coûts liés à la main-d'œuvre, les frais liés au carburant, les prix des fabricants et des fournisseurs, la marge de distribution, et les intermédiaires. D'une certaine façon, s'ils souhaitent que vous les croyiez, les détaillants doivent vous fournir de meilleures preuves. Pour le moment, il ne s'agit que d'une série de thèmes, et il est difficile de mettre en évidence une question précise et d'y répondre.
Quelle est la différence entre le secteur automobile et celui des vêtements? Comment le secteur des vêtements est-il différent de celui de la rénovation domiciliaire? Comment la rénovation domiciliaire est-elle différente du secteur de l'électronique? C'est ce qu'il faut savoir, et à mon avis, seuls les détaillants sont en mesure d'expliquer ces différences.
Le sénateur Hervieux-Payette : Nous savons, par exemple, que le secteur de l'essence ne compte que quelques joueurs. Si l'essence se vend 1,40 $ à un endroit, toutes les autres stations d'essence en viendront miraculeusement à le vendre au même prix. Évidemment, il n'y a aucun problème avec nos lois sur la concurrence.
À votre avis, si nous avons seulement quatre détaillants dans un secteur, adopteront-ils le même modèle? Devrions-nous aborder certaines de ces questions en tenant compte de notre Loi sur la concurrence?
M. Hernandez : D'après ce que je comprends, la Loi sur la concurrence vise à éviter les activités anticoncurrentielles, par exemple, les cartels. Les deux choses dont nous devons toujours tenir compte, au sujet du marché canadien, c'est sa taille et son étendue.
Si notre pays compte trois ou quatre détaillants de fournitures de tout genre, et qu'en tenant compte de notre population et de notre géographie, nous les comparons au nombre de détaillants et de magasins semblables aux États-Unis, et que nous concluons que parce que nous avons moins de détaillants, nous sommes moins concurrentiels, je pense qu'il faut comprendre que la concurrence, dans son ensemble, ne se résume pas seulement au nombre de détaillants. Il s'agit aussi de la qualité de la concurrence, des prix que vous pouvez offrir aux Canadiens et des produits que vous pouvez leur offrir à différents prix. Il ne s'agit pas de se demander si quatre détaillants représentent un nombre trop élevé pour le Canada. En fait, trois détaillants représenteraient un nombre trop élevé, s'il y avait collusion. Selon ma perspective, on pourrait parfaitement en avoir cinq, s'ils pouvaient être rentables et offrir un bon rapport qualité-prix aux consommateurs canadiens. Au bout du compte, le système de vente au détail n'est-il pas conçu pour offrir un bon rapport qualité-prix aux consommateurs tout en réalisant des profits?
La question ne se résume pas au nombre de détaillants. Cela dépend de la composition de ces détaillants, tout en tenant compte de la taille de notre pays et de sa géographie.
Le sénateur Buth : Il est intéressant de comprendre où se situent les détaillants, surtout en fonction de la ligne de temps que vous avez produite.
Je pense que vous êtes entré dans le vif du sujet. Je veux m'en éloigner un peu, pour y revenir plus tard.
Parfois, nous présumons que nous payons des prix plus élevés dans l'ensemble et selon une certaine ligne de temps, mais à mon avis, depuis l'arrivée de certaines de ces entreprises américaines, les prix sont moins élevés au Canada. Il suffit de comparer les prix de Walmart à ceux de certains magasins de fournitures de tout genre que nous avions auparavant. Nous avons enfin un IKEA à Winnipeg, et il me semble que notre ville commence à croître en raison de l'arrivée de ce magasin.
J'examine ses prix et je les compare à ceux d'autres endroits, et à mon avis, les consommateurs canadiens profitent maintenant de prix moins élevés. Je soupçonne que dans certains cas, les détaillants vont essentiellement ajuster leurs prix à la capacité du marché.
Vous avez parlé un peu du fait que vous ne suivez pas les prix, et cetera, et vous avez mentionné qu'il était important d'aborder cette question en comparant des pommes avec des pommes.
J'ai deux questions. Tout d'abord, savez-vous si on a effectué des recherches — même dans d'autres pays — sur la comparaison des prix et les facteurs qui influent sur les prix dans une zone particulière, peut-être même dans la zone euro? Deuxièmement, il est extrêmement difficile d'obtenir des renseignements sur la façon dont les détaillants établissent leurs prix et les répercussions engendrées par ces prix sur le Canada et les États-Unis. Selon vous, quels détaillants devrions-nous inviter à comparaître pour nous parler de l'écart des prix entre le Canada et les États-Unis?
M. Hernandez : En ce qui concerne votre première question, j'ai plutôt examiné les quelques études qui portaient sur les prix au Canada et aux États-Unis. D'après les travaux que j'ai effectués au Royaume-Uni, la question des prix régionaux était beaucoup débattue là-bas, surtout en ce qui concerne l'alimentation au détail. La dynamique de l'établissement des prix est différente là-bas. Si nous parlons des prix de chaque côté de la frontière, qu'en est-il des prix dans différentes provinces? Je connais certains des documents produits à ce sujet au Royaume-Uni, mais ils remontent à quelques années. Je ne sais pas si des études récentes ont été entreprises dans la zone euro, par exemple.
Pour ce qui est des détaillants à qui vous pourriez vous adresser, je peux vous transmettre notre liste de 122 conglomérats. Je peux vous montrer la liste des magasins à succursales qu'ils possèdent, et vous pourrez arrêter votre choix sur ceux qui vous intéressent. Je crois qu'il faudrait sélectionner un échantillon représentatif de détaillants issus de différents secteurs, ou de faire appel à des associations représentant un échantillon représentatif de détaillants de différents secteurs. Ce serait plus difficile.
Je travaille dans une université où je côtoie beaucoup de jeunes Canadiens pour qui leur téléphone est devenu le prolongement d'eux-mêmes. Les priver de leur téléphone pendant une demi-heure, c'est un peu comme leur annoncer la fin du monde. Les médias sociaux font partie intégrante de leur vie, et ils sont constamment exposés à des examens de produits et à des comparaisons de prix. De plus en plus, les détaillants devront composer avec le fait que les consommateurs — et la génération Y sera la prochaine vague importante de consommateurs — utiliseront cette technologie pour comparer les prix. Ils n'iront pas consulter d'études sur les écarts de prix; ils vont aller voir directement sur leur téléphone intelligent et sur les sites de comparaison de prix.
Je vais vous donner des chiffres tirés d'une étude réalisée par comScore, une importante entreprise de téléphones intelligents. Il est important pour le comité de le savoir, car c'est là que bien des Canadiens trouvent de l'information sur les différences de prix. Comment trouvait-on cette information auparavant? Il fallait se rendre à l'étranger. On savait que c'était moins cher parce qu'on en avait entendu parler. Aujourd'hui, tout est immédiat, instantané. Cette information provient de comScore et porte sur ce que font les propriétaires de téléphone intelligent quand ils magasinent chez un détaillant. Ils photographient le produit; on parle de 24 p. 100. Ils envoient un message texte à leurs amis ou à leur famille ou les appellent pour leur parler du produit. Ils balaient le code à barres. Ils trouvent l'emplacement du magasin. Ils comparent les prix; et c'est à 14 p.100 que cela se conclut. Ils trouvent des coupons ou de bonnes affaires. Ils ont consulté les caractéristiques du produit et ils ont vérifié sa disponibilité.
La prochaine génération de Canadiens aborde le magasinage d'une toute autre manière. Elle a accès à une foule de comparaisons de prix, à des groupes de pairs, aux médias sociaux et à une communauté. Il est important pour les détaillants de ne pas décevoir leur communauté. On a en fait déjà vu des détaillants et des consommateurs s'élever contre des différences de prix.
Le travail du comité est vraiment important, parce que c'est l'enjeu auquel fait face l'industrie du détail en ce moment. La technologie est rendue là. Nous savons qu'il y a des écarts. Pour bien des détaillants, le problème réside dans le fait que la plupart des consommateurs ne regardent que le prix. Le comité doit entendre le témoignage de détaillants, qui pourront lui parler des coûts et lui dire à quoi sont attribuables les augmentations. Leurs marges de profit ne sont ni plus basses ni plus hautes. Ils ne font pas de profits faramineux et tentent de fonctionner de façon économique et intelligente. Ils veulent faire preuve d'innovation. C'est un point de vue que vous devez absolument entendre également.
Nous menons actuellement un sondage sur l'utilisation des téléphones intelligents auprès de 10 000 étudiants à la Ted Rogers School of Management. Ce sera fascinant de savoir comment ils utilisent ce genre de technologie pour faire leurs achats, parce que c'est un tout autre monde.
Le président : Est-ce que cette étude est en cours?
M. Hernandez : Oui. Le sondage est en ligne en ce moment.
Le président : Quand pensez-vous pouvoir en publier les résultats?
M. Hernandez : D'ici la fin avril. C'est un sondage en ligne, avec code QR. C'est ainsi que les étudiants veulent travailler.
Le président : Pensez-vous que même ceux d'entre nous qui n'utilisent pas les téléphones intelligents pour comparer les prix vont aussi profiter des résultats des recherches de ceux qui le font?
M. Hernandez : Comme c'est quelque chose que les consommateurs signalent aux détaillants, il devient nécessaire d'expliquer d'où proviennent les écarts. Pour le gouvernement, il s'agit de mettre en place les politiques voulues pour appuyer l'industrie du détail au Canada, de façon à ce qu'elle soit le plus viable et dynamique possible.
Le président : Ce sont d'excellentes suggestions.
Le sénateur Callbeck : Vous êtes le directeur du CEAC, le Centre d'études des activités commerciales.
M. Hernandez : Oui, c'est exact.
Le sénateur Callbeck : Si j'ai bien compris ce que vous nous avez dit, vous mettez à jour tous les ans des données sur certaines choses. Effectuez-vous des études spéciales aussi?
M. Hernandez : Oui. Nous produisons entre huit et 12 rapports chaque année, et notre travail consiste principalement à mettre à jour les coordonnées des détaillants. Nous suivons l'emplacement des magasins, et nous versons ces informations dans une base de données géographiques.
Le sénateur Callbeck : Qui détermine quel sera le sujet de ces études spéciales? Je vois ici que vous avez 60 organisations partenaires. Ont-elles leur mot à dire sur ce que vous allez étudier?
M. Hernandez : Nous n'avons pas d'entente exclusive avec nos membres pour limiter la collecte de données ou les études à un membre en particulier. Toutes nos études appartiennent au domaine public. Nous avons un groupe consultatif. Je rencontre évidemment beaucoup de nos membres assez régulièrement pour avoir leur rétroaction et savoir quels sont les sujets chauds. Au centre, nous nous assurons de mener des études qui sont pertinentes pour nos partenaires. Bon nombre d'entre eux sont dans les secteurs de l'immobilier et du commerce de détail.
Le sénateur Callbeck : Contribuent-ils financièrement à vos études?
M. Hernandez : Ils ne contribuent pas nécessairement financièrement aux études; nous dirigeons une unité de recherche académique sans but lucratif, mais notre but n'est pas de perdre de l'argent non plus.
Le sénateur Callbeck : Ils y contribuent quand même, n'est-ce pas?
M. Hernandez : Oui. Il y a des frais d'adhésion, qui varient selon l'inscription. J'ai aussi des analystes qui travaillent pour moi essentiellement pour gérer toutes les données recueillies.
Le sénateur Callbeck : Quels sont les frais minimum et maximum d'adhésion?
M. Hernandez : On est loin des honoraires de consultant. Les frais d'adhésion maximum s'élèvent à 10 000 $ par année.
Le président : À ce sujet, si je peux me permettre, parce que nous avons posé la question plus tôt à propos du rapport que vous préparez sur les téléphones intelligents, pourriez-vous nous faire un bon prix pour ce rapport?
M. Hernandez : Je peux vous transmettre la version PDF par voie électronique.
Le sénateur Callbeck : Vous dites ici que vos données peuvent servir à modifier les taux de concentration de l'industrie de la vente au détail au Canada et la présence accrue de chaînes au détail américaines, dont vous avez parlé. Vous parlez ensuite des « préférences géographiques des détaillants ».
M. Hernandez : Oui.
Le sénateur Callbeck : Vous recueillez des données depuis 20 ans. Pouvez-vous nous parler brièvement de quelle façon ont changé les préférences géographiques des détaillants au cours de ces 20 années, et vers quoi croyez-vous que le secteur du commerce de détail se dirige pour les 10 prochaines?
M. Hernandez : Très simplement, je vous dirais que plus il y aura une suburbanisation de la population, plus ce sera le cas également pour les activités commerciales. Le format qui est préconisé par le marché suburbain est celui du mégacentre commercial, c'est-à-dire le regroupement de détaillants à grande surface, généralement situé sur un grand terrain de stationnement. Je parle souvent d'îlots commerciaux dans une mer de stationnement pour décrire ce modèle.
Bon nombre des détaillants qui figurent à l'annexe 1 sont des détaillants à grande surface que certains qualifient de discompteurs spécialisés, des magasins-entrepôts. Les détaillants à grande surface ont connu une période de croissance dans les zones suburbaines, nourrissant la croissance démographique constatée dans nos principaux marchés. Les centres commerciaux déjà en place intègrent de plus en plus ces magasins-entrepôts. Ils évoluent pour répondre aux besoins des grands détaillants.
Nous avons effectué des études sur l'évolution des centres commerciaux au Canada. Ils ont de plus en plus tendance à fusionner quelques locaux pour permettre à un magasin à grande surface de s'y installer.
Nous avons remarqué une transition vers les magasins à très grande surface, qui travaillent évidemment à la notion d'échelle pour leur propre offre de détail. C'est le facteur dominant depuis 15 ou 20 ans.
Pour les années à venir, je crois que les anciens centres commerciaux offrent de grandes possibilités de redéveloppement. Les centres commerciaux qui arrivent à la fin de leur cycle de développement entrent dans une phase de transition.
Le sénateur Callbeck : Selon vous, où cela nous mènera dans une dizaine d'années?
M. Hernandez : Je pense qu'une grande proportion des commerces au détail du marché canadien demeureront dans les mégacentres. Chaque année, on recense près de 500 centres à l'échelle du Canada, pour quelque 160 millions de pieds carrés de commerces au détail. Les mégacentres seront toujours dans le portrait. Les grands centres commerciaux ont toujours réinvesti dans leurs locaux, alors les mégacentres régionaux offriront divers types de magasins au détail. Je pense aussi que d'autres modèles verront le jour; plus de centres de magasins d'usine, et plus de centres « style de vie », qui regroupent davantage des commerces de gamme moyenne ou supérieure. Compte tenu du départ à la retraite des baby-boomers, je crois qu'on verra de plus en plus de centres commerciaux annexés à des complexes d'habitation, afin de répondre aux besoins des consommateurs plus âgés.
Le président : C'est très intéressant. Les mégacentres nous obligent à prendre notre voiture d'un magasin à l'autre.
M. Hernandez : Oui. On oublie qu'on a des jambes, et on préfère y aller en voiture.
Le président : J'ai constaté que les personnes âgées préféraient les centres commerciaux traditionnels, où ils peuvent garer leur voiture quelque part puis marcher d'un commerce à l'autre. Vous pensez toutefois que la tendance semble s'éloigner de ce modèle?
M. Hernandez : Non, je pense que le développement immobilier va répondre aux besoins de la population vieillissante. Il s'agit d'une importante vague démographique. Les baby-boomers n'auront pas tous les mêmes niveaux de revenu. La génération des baby-boomers ne forme pas qu'un groupe hétérogène; elle représente différents groupes d'âge, entre autres choses. La collectivité demeurera un facteur déterminant du commerce au détail, et de son aspect social. Le commerce électronique existe depuis une vingtaine d'années. Certains ont avancé qu'il allait signifier la fin des commerces de briques et de mortier, mais ces murs de brique ont quelque chose d'intrinsèquement social et tangible, et je crois que c'est une des choses qui vont permettre au secteur du commerce au détail de garder de sa vitalité.
Le président : Merci beaucoup. J'ai épuisé ma liste d'intervenants, et notre temps est écoulé.
Chers collègues, je vous prie de vous joindre à moi pour remercier M. Hernandez, de l'Université Ryerson de Toronto, de s'être joint à nous aujourd'hui et de nous avoir aidés à mieux comprendre ce volet fort intéressant de l'étude que nous effectuons actuellement.
M. Hernandez : Merci de l'invitation.
Le président : C'est ce qui conclut notre séance.
(La séance est levée.)