Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 11 - Témoignages du 16 octobre 2012
OTTAWA, le mardi 16 octobre 2012
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier les nouveaux enjeux qui sont ceux du secteur canadien du transport aérien (sujet : les questions liées au Nord et aux régions).
Le sénateur Stephen Greene (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Mesdames et messieurs mes collègues, je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
Je voudrais présenter chaque membre du comité à ceux qui nous écoutent : le sénateur Mercer, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Eggleton, de l'Ontario, le sénateur MacDonald, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Verner, du Québec, le sénateur Housakos, du Québec, le sénateur Unger, de l'Alberta et le sénateur Doyle, de la magnifique province de Terre-Neuve-et- Labrador.
Nous poursuivons nos séances sur le secteur canadien du transport aérien. Au cours des prochaines semaines, nous mettrons particulièrement l'accent sur les enjeux pour le Nord et les régions.
Nous accueillons aujourd'hui des représentants de l'Association du transport aérien du Canada : John McKenna, président et chef de la direction; Les Aalders, premier vice-président; Wayne Gouveia, vice-président, Aviation commerciale générale.
Nous entendrons également Michael Pyle, président et chef de la direction d'Exchange Income Corporations et Adam Terwin, chef de la direction financière.
Messieurs, je vous remercie infiniment d'avoir pris le temps de comparaître devant nous. Monsieur McKenna, c'est à vous la parole.
John McKenna, président et chef de la direction, Association du transport aérien du Canada : Mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour.
L'Association du transport aérien du Canada représente l'industrie du transport aérien commercial depuis plus de 75 ans. Nous comptons environ 175 membres œuvrant dans ce secteur dans toutes les régions du Canada et offrant des services dans la majorité des 600 aéroports et quelques.
Nos 85 membres qui sont des exploitants aériens offrent des vols dans toutes les régions du Canada, certains se concentrant dans le Nord, notamment Air North, Canadian North, First Air, Buffalo Airways, Calm Air, Nolinor Aviation et Air Labrador.
[Français]
D'autres membres de notre association incluent Sunwing Airlines, Porter Airlines, Air Georgian, Bearskin Airlines, Harbour Air, Calm Air, Pacific Coastal Airlines, Flair Airlines, Transwest Air, Kelowna Flightcraft, London Air Services et Pascan aviation pour n'en nommer que quelques-uns.
Notre affiliation compte également plus de 50 unités de formation en pilotage et d'autres instituts de formation en aviation qui forment des pilotes partout au Canada et qui ont un rayonnement international puisque 45 p. 100 des licences au Canada sont émises à des étrangers faisant leur formation ici. Nous comptons aussi environ 90 membres associés et affiliés provenant du secteur de services à l'industrie du transport aérien.
[Traduction]
Nous vous sommes reconnaissants de nous donner l'occasion de témoigner ce matin pour vous faire part de nos préoccupations sur les enjeux pour le Nord et les régions. Nous avons été très impressionnés par le rapport que vous avez publié en juin sur l'avenir des déplacements aériens au Canada. Votre rapport a très bien cerné les principaux problèmes auxquels font face notre industrie et, plus particulièrement, les aéroports. Malheureusement, le gouvernement actuel et ceux qui l'ont précédé n'ont jamais reconnu l'aviation canadienne comme un levier socioéconomique, mais bien comme une vache à lait. Non seulement les recommandations du rapport sont pertinentes, mais on les attendait depuis belle lurette.
[Français]
Nous voulons vous entretenir aujourd'hui sur trois aspects qui distinguent le transport aérien ailleurs au Canada et qui justifient pourquoi le Nord mérite une considération spéciale.
[Traduction]
Le transport aérien ouvre la porte du Nord. Il est essentiel à la survie des collectivités nordiques, leur donnant accès aux soins de santé, aux denrées alimentaires, au courrier, à certains carburants et à d'autres biens périssables vitaux. L'aviation est un service essentiel, à cause de l'accès quasi inexistant à cette région par route ou par chemin de fer.
Nous souhaitons insister sur trois thèmes aujourd'hui. Premièrement, le concept de l'utilisateur payeur ne doit pas s'appliquer dans le Nord. Deuxièmement, de meilleures infrastructures sont nécessaires, compte tenu du manque de pistes en dur, des conséquences de ce manque et de la nécessité de fournir de meilleures aides à la navigation et aux communications. Troisièmement, il faut adopter une politique pour favoriser le Nord.
Le concept de l'utilisateur payeur ne fonctionne pas dans le Nord. Comme en faisait état votre rapport, l'aviation canadienne ne peut pas compter sur le soutien financier gouvernemental. De plus, elle doit assumer le coût de son infrastructure et les frais au chapitre de la sécurité nationale. De plus, les exploitants et leurs clients doivent entre autres assumer les coûts liés à l'amélioration des infrastructures ainsi que verser les droits à l'ACSTA et les redevances de navigation aérienne. Les aéroports de catégorie 1 du Canada ne peuvent soutenir la concurrence des grands aéroports américains avoisinants en raison des nombreux frais imposés à l'utilisateur. Cependant, la quantité de passagers assure la survie du système.
[Français]
La situation est très différente dans le Nord canadien. Le plus grand facteur est que la population combinée des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon et du Nunavut s'élève à peine à 112 000 âmes, soit la population d'une ville moyenne canadienne moyenne. Cette population est répartie sur plus de 3,9 millions de kilomètres carrés, autrement dit 0,3 p. 100 de la population canadienne est répartie sur 39,3 p. 100 de la superficie totale du Canada. Aussi, il ne faut pas oublier que le transport aérien dans le Nord canadien dessert également l'industrie des ressources naturelles, qui constitue la clé du développement économique du Canada et de son commerce international. Bien que le transport aérien soit essentiel aux communautés nordiques, son importance va bien au-delà d'une ligne de vie à ces citoyens.
[Traduction]
Nos collectivités nordiques ont besoin d'un engagement financier de la part du gouvernement pour avoir un système de transport aérien semblable à celui du reste du Canada.
Le Nord canadien doit absolument améliorer son infrastructure. Le gouvernement a maintes fois promis son appui, sans toutefois prendre de mesures concrètes en ce sens. Dans le Nord, les projets coûtent plus cher et leur réalisation nécessite plus de temps. En fait, le coût de n'importe quel projet d'infrastructure y est plus élevé qu'ailleurs au Canada. L'équipement et les matériaux doivent être transportés par avion, sur des chemins de glace ou par bateau, si les conditions le permettent, ce qui fait grimper considérablement les coûts. Il faut faire venir par avion la main-d'œuvre spécialisée du Sud : il faut également la loger et la nourrir.
Abordons maintenant le manque de pistes en dur et ses conséquences. Le service aérien commercial est offert dans environ 50 aéroports du Nord, dont 10 seulement sont dotés de pistes en dur. Les autres pistes sont gravelées. Le manque de pistes en dur limite le type d'avion qui peut être utilisé pour desservir ces collectivités. Très peu de gros porteurs peuvent aujourd'hui atterrir sur des pistes gravelées. Le Boeing 737 est le dernier gros porteur qui peut le faire, moyennant un million de dollars par appareil. Les aéronefs à turbopropulseur constituent la seule autre solution, mais ils n'ont pas la portée, la vitesse et la capacité équivalentes.
En raison du vieillissement des appareils et la durée de vie écourtée des avions comme le Boeing 737, il coûte très cher de desservir le Nord, ce qui pourrait entraîner une diminution de la qualité des services offerts à de nombreuses collectivités nordiques.
Voici un exemple justifiant pourquoi le Nord canadien mérite une attention particulière : Transports Canada a l'intention de se conformer à la recommandation de l'OACI visant à doter la plupart des aéroports offrant le service aérien commercial d'aires de sécurité d'extrémité de piste. Il faudra donc ajouter de 90 à 120 mètres à la bande d'atterrissage afin qu'un avion faisant une sortie de piste puisse ralentir et s'arrêter. Cette approche uniformisée est complètement incompatible avec les conditions régnant dans le Nord. Les analyses de risques et de coûts n'en font pas une solution pertinente pour ce territoire.
Passons maintenant à la nécessité d'améliorer les aides à la navigation et à la communication. Dans le Nord, les vols sont radicalement différents que ceux effectués au-dessous du 60e parallèle : le terrain et les conditions météorologiques sont inhospitaliers; la région est vaste; les distances sont longues; les services sont limités. De plus, les mois d'hiver apportent de longues périodes d'obscurité, ce qui restreint considérablement les activités.
Les aides à l'atterrissage sont essentielles pour assurer la sécurité. Dans le Nord, elles sont insuffisantes, ce qui rend les vols encore plus hasardeux dans le meilleur des cas. Les vols sont souvent longs, et les conditions météorologiques changent. Les aides à la navigation actuelles sont insuffisantes. Il faut davantage d'aides à l'atterrissage, notamment des approches GPS, des systèmes de renforcement à couverture étendue et de meilleurs systèmes d'éclairage à grande intensité. Ces améliorations coûtent cher, et il faut beaucoup de temps pour approuver de tels projets.
[Français]
Les renseignements météorologiques sont aussi déficients. Plusieurs bureaux météorologiques ont été fermés et les pilotes doivent compter sur des rapports météo transmis par des gens à des centaines de kilomètres. Les équipements sur place de rapport météo à distance ne sont pas disponibles partout, ce qui oblige les pilotes à faire appel à des gens non formés pour obtenir des informations complémentaires sur place. Aussi, le système Unicon n'est disponible qu'à des heures limitées dans la plupart des aéroports.
[Traduction]
Le manque d'aide à la navigation et à la communication, notamment de bulletins météorologiques, contribue à faire augmenter le risque et à restreindre les services.
Abordons maintenant le troisième point : la nécessité d'une politique favorisant le Nord. Seuls quelques transporteurs aériens offrent un service régulier dans environ 50 destinations du Nord : Air North, Canadian North, First Air, Calm Air et Air Inuit. Ces transporteurs utilisent divers aéronefs en fonction de la demande et des destinations. Certains trajets sont rentables alors que d'autres le sont beaucoup moins. Le problème, c'est que ces transporteurs font face à une concurrence féroce sur les trajets plus rentables, ce qui les rend rapidement moins rentables. En fait, les trajets plus rentables permettent d'offrir des vols sur les trajets moins rentables mais tout aussi essentiels.
Les grands transporteurs nationaux se désintéressent des vols dans le Nord. Ils ne desservent pas les collectivités éloignées. Cependant, ils axent leurs efforts sur les passagers à destination du Sud canadien. Ils vont même jusqu'à accepter un rendement piètre ou négatif sur les trajets vers le Nord pour avoir accès aux passagers à destination du Sud canadien. Par conséquent, il est essentiel d'adopter une politique favorisant le Nord.
Cette politique aurait deux volets. Premièrement, les transporteurs souhaitant offrir des services réguliers dans les collectivités servant de porte d'entrée devraient soit offrir des services au-delà de ces collectivités, soit conclure des accords de partage des codes de vol avec les transporteurs desservant les collectivités au-delà de ces portes d'entrée. Une telle politique procurerait à tous les mêmes règles et favoriserait la croissance du Nord. Les collectivités profiteraient d'un service plus durable. Deuxièmement, il faudrait privilégier l'achat de biens et services du Nord. Les organismes fédéraux travaillant dans le Nord devraient donc, à prix égal, acheter des fournisseurs nordiques.
La politique fédérale en matière de transport aérien devrait reconnaître que les transporteurs aériens du Nord non seulement desservent les collectivités éloignées, mais favorisent également la croissance de l'économie de cette région. Il faudrait encourager les transporteurs nationaux à augmenter les services offerts dans le Nord, en les incitant à conclure des partenariats avec les transporteurs du Nord. Il faudrait encourager tous les transporteurs canadiens à fournir un service intégré de transfert des bagages entre les divers transporteurs.
En conclusion, j'ajouterai simplement qu'il est difficile de décrire en quelques minutes la situation du transport aérien dans le Nord. Dans l'ensemble du Canada, le transport aérien est assujetti à des conditions socioéconomiques et géographiques variées. Le Nord étant vaste et peu peuplé et les conditions de vol y étant dangereuses, les problèmes à surmonter sont exacerbés. Le transport aérien est vital pour les collectivités nordiques. C'est pourquoi le gouvernement devrait lui consacrer toute son attention. Nous vous félicitons d'avoir abordé cette question dans votre étude. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Le vice-président : Les membres du comité poseront leurs questions après la deuxième déclaration préliminaire.
Michael Pyle, président et chef de la direction, Exchange Income Corporation : Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui dans le cadre de votre étude des nouveaux enjeux du transport aérien dans le Nord du Canada. Je ferai une brève déclaration, et je serai par la suite ravi de répondre à vos éventuelles questions.
J'ai pensé qu'il serait préférable de commencer par une brève description de notre entreprise, Exchange Income Corporation et, plus particulièrement, des services que nous offrons aux collectivités nordiques. Nous sommes une société de portefeuille coté à la Bourse de Toronto. Notre capitalisation boursière s'établit à plus de 500 millions de dollars. Notre entreprise se concentre sur deux domaines : fabrication de produits spécialisés et transport aérien dans le Nord du Canada. Elle est la seule propriétaire de cinq compagnies aériennes uniques en leur genre, qui desservent le Manitoba, l'Ontario et le Nunavut. Contrairement aux autres compagnies aériennes qui sont aux prises avec des problèmes financiers à intervalles réguliers, les nôtres sont en activité depuis en moyenne 50 ans et sont fières de la qualité des services qu'elles offrent.
Quatre de nos entreprises utilisent des appareils à voilure fixe, tandis que la cinquième emploie des aéronefs à voilure tournante. Elles transportent toutes des passagers et du fret à bord de vols réguliers et nolisés ainsi que des services d'évacuation médicale dans les collectivités du Nord qui sont peuplées principalement par les Premières nations et les Inuits. Environ 1 700 employés et plus de 100 appareils sont affectés à nos services de transport aérien, qui génèrent des revenus annuels d'environ 300 millions de dollars. Je vous décrirai brièvement chacune de nos cinq entreprises de transport aérien. Pour l'essentiel, chacune possède son créneau. Collectivement, nos entreprises desservent un vaste territoire et s'assurent une clientèle qui permet à EIC d'être un joueur important dans le transport aérien dans le Nord.
Perimeter Aviation possède une flotte d'appareils de 19 à 45 sièges. Elle dessert les collectivités des Premières nations dans le Nord du Manitoba. En hiver, les routes donnant accès à la vaste majorité de ces collectivités ne sont pas praticables sauf pendant une brève période vers la fin de la saison froide. C'est pourquoi l'avion est essentiel au transport des passagers et du fret. Cette entreprise offre des vols nolisés et réguliers ainsi que des services d'évaluation médicale dans l'ensemble du Manitoba.
Calm Air International possède une flotte d'appareils de 42 à 72 sièges. Elle dessert les centres régionaux du Manitoba comme Thompson, Flin Flon et Churchill ainsi que la région de Kivalliq au Nunavut. Elle offre des vols nolisés et réguliers ainsi que des vols pour fret seulement au Manitoba et au Nunavut.
Keewatin Air se consacre principalement à l'évacuation médicale. C'est le seul transporteur à fournir de tels services dans la région de Kivalliq et dans celle de l'île de Baffin au Nunavut. Elle offre également des vols nolisés et réguliers dans certaines parties du Nunavut.
Bearskin Lake Air Service possède une flotte d'appareils de 19 sièges. Elle offre des vols réguliers vers des centres régionaux du Manitoba et de l'Ontario.
Custom Helicopters utilise des aéronefs à voilure tournante de tonnage faible ou moyen au Manitoba et au Nunavut. Elle offre des services à divers clients dans le secteur des mines, de la cartographie, de la lutte contre les incendies et du transport de passagers, dans les diverses collectivités.
Le message que je voudrais vous transmettre aujourd'hui, c'est que l'aviation dans le Nord canadien est très différente que celle dans le Sud canadien. Certains facteurs sont communs aux deux, notamment le prix du carburant ou le taux de change, mais les principales modalités commerciales et financières sont très différentes de l'une à l'autre. Dans le Sud, la demande fluctue en fonction de l'état de l'économie et du prix des billets. Dans le Nord, le transport aérien est un service essentiel où la demande est remarquablement constante et elle est inélastique par rapport aux prix. Dans le Sud, il faut se doter d'appareils modernes à haut rendement énergétique pour être concurrentiel. Dans le Nord, l'infrastructure n'est pas compatible avec ces appareils modernes. Dans le Sud, la concurrence fait baisser les prix, tandis que dans le Nord, les frais d'exploitation élevés et la demande inélastique par rapport aux prix ne permettent pas de soutenir à long terme la concurrence des entreprises qui pratiquent les bas prix, ce qui entraîne même une augmentation des prix dans certains petits marchés. En bref, nous obtenons souvent de mauvais résultats en appliquant au transport aérien dans le Nord la logique et les règles en vigueur dans le Sud du Canada.
Si la concurrence s'intensifie dans un marché traditionnel, le consommateur peut en tirer profit étant donné qu'il en découle une hausse de l'offre, ce qui est censé déboucher sur une baisse des prix. Cependant, le contraire est également vrai en ce qui concerne le marché du transport aérien dans le Nord. Pour y transporter les passagers et le fret, l'avion est essentiel. Étant donné les coûts d'exploitation élevés dans le Nord et le nombre restreint de clients, la hausse de l'offre n'entraîne pas nécessairement une augmentation de la demande ou une réduction des coûts d'exploitation.
Par exemple, lorsque deux transporteurs aériens desservent une petite collectivité nordique presque pas peuplée, le nombre de passagers possible est si restreint que les deux ne pourront vendre que la moitié de leurs sièges. Le coût d'exploitation de chaque appareil restant le même quel que soit le nombre de passagers à son bord, le prix moyen du billet augmentera donc dans ce marché restreint.
Lorsque la taille restreinte du marché est incompatible avec le jeu de la concurrence, on n'obtient pas toujours les résultats souhaités lorsqu'on impose un processus concurrentiel pour les marchés gouvernementaux. Si plusieurs transporteurs aériens se partagent une quantité relativement fixe de passagers et de marchandises, nous nous retrouvons habituellement avec deux possibilités : premièrement, chaque transporteur aérien devra peut-être accepter le fait d'avoir des sièges vides lors de certains vols et chercher à récupérer ce manque à gagner en augmentant le prix exigé aux autres clients. Deuxièmement, il devra essayer de réduire ses coûts en utilisant des appareils de gabarit inférieur pour transporter un nombre plus restreint de passagers. On se retrouve souvent alors avec un appareil moins confortable, moins moderne et, parfois, moins sûr.
Notre entreprise appelée Parameter a réussi à accroître sa part de marché sous un régime de libre concurrence au Manitoba. Les collectivités des Premières nations qu'elle dessert ont ainsi eu droit à une réduction du coût par mile et à des avions plus grands. Grâce à ses facteurs de charge supérieurs, conjugués à sa part de marché accrue, Perimeter a pu accroître la fréquence et la qualité de ses services pour ces collectivités, et ce, à un prix réduit. Sans l'accroissement de sa part de marché, Perimeter n'aurait pu fournir ces avantages à un coût moindre ni accroître de façon inhérente la sécurité grâce à l'utilisation d'avions plus récents, plus grands et plus modernes. Cela aurait été difficile à justifier s'il y avait eu un débit de circulation réduit.
Il est donc impératif que les stratégies mises en œuvre, qu'il s'agisse de politiques législatives ou de politiques d'approvisionnement du gouvernement en lien avec la concurrence sur le marché du Nord, n'entraînent pas une diminution de la sécurité ou un accroissement des coûts pour les clients. En fait, nous pouvons nous retrouver avec des résultats opposés, compte tenu des caractéristiques propres à la clientèle desservie par les compagnies aériennes du Nord. La libre concurrence ou l'attribution gouvernementale selon des zones à part entière, plutôt que la division des zones entre les compagnies aériennes, pourraient mieux fonctionner sur le marché du Nord. Par ailleurs, l'utilisation d'appareils plus petits et moins modernes a tendance à diminuer le côté agréable du voyage et à en faire un mode de transport moins fiable pour les passagers.
Parlons maintenant de la qualité inférieure des installations. À cause de l'infrastructure des aéroports existants, l'exploitation d'aéronefs dans le Nord augmente les coûts pour la clientèle et suscite des préoccupations accrues en matière de sécurité. La plupart des pistes utilisées par nos compagnies aériennes sont revêtues de gravier, ce qui augmente à tout le moins les coûts d'entretien des avions puisque le gravier et les débris viennent user les appareils pendant le décollage et l'atterrissage. Les pistes en gravier limitent également le type d'avions et la technologie d'orientation qu'on peut utiliser pour desservir les collectivités du Nord. Par conséquent, les compagnies aériennes qui exploitent des activités dans ces régions sont forcées d'utiliser des modèles d'avions plus anciens, construits à une époque où les pistes en gravier étaient très répandues. Toutefois, l'utilisation de ces vieux appareils sur le marché d'aujourd'hui entraîne des coûts d'exploitation accrus et soulève des questions de sécurité.
La consommation de carburant est évidemment moins efficace dans les avions anciens que les avions modernes puisque ces derniers sont dotés de technologies améliorées. De plus, trouver des pièces de remplacement pour de vieux avions coûte de plus en plus cher pour les compagnies aériennes, car les fabricants réduisent leur production ou, dans certains cas, l'arrêtent carrément. Il est déjà arrivé qu'un fabricant de pièces annonce son intention de cesser la production d'une pièce donnée, obligeant ainsi nos compagnies aériennes à acheter tout le stock du producteur. Il y a un risque qu'un autre fournisseur décide de ne plus produire ces pièces dans l'avenir, mais nous en aurons besoin pour éviter d'entreposer les avions.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, plusieurs des dispositifs de sécurité installés dans les avions modernes ne sont pas disponibles dans les modèles plus anciens, à moins qu'on soit disposé à payer des sommes considérables. Il y a donc des préoccupations accrues en matière de sécurité puisque les risques associés à l'utilisation de vieux appareils ne sont pas atténués par des dispositifs de sécurité améliorés.
Toujours en ce qui concerne la sécurité, les compagnies aériennes du Nord ont tendance à utiliser des avions plus petits pour avoir assez de place sur les pistes en gravier, ce qui nécessite parfois l'utilisation de monomoteurs. Nos compagnies aériennes ont adopté une politique pour éviter le plus possible l'utilisation de monomoteurs à cause du risque de rencontrer un problème de moteur sur le terrain et dans l'environnement opérationnel. C'est un risque que nous ne sommes pas disposés à prendre pour nos clients, nos employés et nos actionnaires. Nous utiliserons des monomoteurs dans certaines circonstances seulement, si les conditions et la longueur de la piste d'atterrissage empêchent toute autre option. À titre d'exemple, mentionnons les aéroports de Grise Fiord et de Kimmirut, qui ne peuvent pas accueillir d'avions bimoteurs à pression compensée.
Ces facteurs posent problème dans le cadre de notre entreprise d'évacuation sanitaire, Keewatin Air, qui dessert la région de l'Arctique de l'Est, y compris l'île de Baffin. Aux termes de son contrat avec le gouvernement du Nunavut, Keewatin Air est tenue d'utiliser un Learjet pour les vols d'évacuation sanitaire sur de longues distances entre Ottawa et Iqaluit. Dans la plupart des collectivités du Nunavut, on utilise d'abord un avion bimoteur turbopropulsé, comme un King Air, pour transporter le patient à Iqaluit à partir de sa collectivité. Malheureusement, il faut utiliser un avion monomoteur Pilatus pour amener le patient de Grise Fiord à Kimmirut, puis à Iqaluit; de là, il faut ensuite changer d'avion et utiliser un Learjet, un avion moderne, pour se rendre à Ottawa. C'est une perte de temps cruciale pour les patients parce qu'il faut utiliser un avion monomoteur, puis faire une escale pour changer d'avion avant de se rendre à Ottawa pour le traitement médical. L'exigence d'utiliser un avion à double commande entraîne des coûts supplémentaires qui sont refilés aux clients. Cela signifie également que Keewatin Air doit accroître son effectif, car on doit utiliser trois types d'avions et défrayer les coûts d'immobilisation qui s'y rattachent.
Une solution consisterait à mettre en œuvre des normes minimales relatives aux pistes, normes qui permettraient aux compagnies aériennes d'utiliser des avions bimoteurs plus rapides et peut-être plus grands. Ainsi, on augmenterait la sécurité en éliminant les risques associés aux avions monomoteurs. De plus, on réduirait les coûts pour les clients puisque les compagnies aériennes n'auraient plus à exploiter différents types d'avions dans le Nord.
Enfin, les politiques du Sud devraient rester dans le Sud. Les marchés de l'aviation dans le Nord subissent régulièrement les conséquences d'une application unilatérale de règlements basés sur les réalités du Sud dans le domaine de l'aviation, même si les différences entre les marchés rendent impossible l'application d'une même réglementation. Résultat? On se retrouve avec des règlements en matière de sécurité, conçus de bonne foi pour le Sud, qui sont censés aider à accroître efficacement la sécurité des exploitations sur les marchés du Sud, mais qui peuvent avoir des répercussions négatives sur les compagnies aériennes du Nord et réduire la sécurité des exploitations sur le marché de l'aviation du Nord.
En raison du faible volume de trafic aérien et de la limite de capacité disponible sur le marché de l'aviation du Nord, les compagnies aériennes dans le Nord doivent composer avec des coûts accrus, ce qui les oblige à trouver des moyens de réaliser des économies, comme je l'ai expliqué tout à l'heure. Pour y arriver, elles utilisent souvent des avions plus petits et moins modernes. Par conséquent, l'application des mêmes règlements au marché du Nord, règlements qui sont conçus en fonction des réalités du Sud, peut avoir pour effet de réduire la sécurité, ce qui va à l'encontre de l'objet même de la réglementation.
Si nous soulevons cette question, c'est parce que nous la jugeons très préoccupante. Quand vient le temps d'appliquer des règlements uniformes dans le domaine de l'aviation, on ne devrait pas généraliser en les imposant à l'ensemble de l'espace aérien canadien. Il faut envisager de réglementer les marchés séparément et tenir compte des différences entre les régions.
Je vous donne un exemple d'un problème auquel nous sommes confrontés aujourd'hui. Une de nos compagnies aériennes envisage d'investir environ un demi-million de dollars dans chacun de nos avions de 19 sièges afin d'y installer un poste de pilotage à écrans cathodiques, les équipant ainsi d'un matériel de téléguidage et de surveillance météorologique des plus modernes. Grâce à cet ajout, l'avion peut atterrir en toute sécurité en cas de mauvais temps, ce qui arrive plus souvent dans le Nord que dans le Sud. Il s'agit donc de moderniser une technologie vieille de quelques décennies en vue de doter ces appareils d'un matériel qui se trouve dans la plupart des avions d'aujourd'hui. Cette amélioration d'une valeur de 0,5 million de dollars est particulièrement importante, compte tenu du fait que la valeur de ces avions se situe entre 1 et 2 millions de dollars chacun. Notre société est disposée à engager ces dépenses importantes afin d'améliorer la sécurité et d'accroître l'efficacité de ses activités.
Malheureusement, vu les circonstances, Perimeter réexamine maintenant cet investissement après avoir consacré beaucoup de temps et d'argent à l'élaboration d'un prototype pour ce type d'avion. Pourquoi? Parce que Transports Canada envisage de mettre en œuvre certaines normes obligatoires pour élargir les aires de sécurité d'extrémité de piste. Dans beaucoup d'aéroports du Nord, les pistes sont situées dans des zones où il est tout simplement impossible d'avoir ces aires de sécurité à cause de la topographie ou du coût de l'expansion. Nous ne pouvons donc pas utiliser la technologie.
À mesure qu'on raccourcit les pistes pour tenir compte des aires de sécurité d'extrémité de piste, la taille des avions qui peuvent y atterrir diminue également. Dans bien des aéroports du Nord, il faudrait alors utiliser des avions monomoteurs. Voilà pourquoi Perimeter n'est pas disposée à faire ce type d'investissement si le règlement, qui est basé sur le marché du Sud, l'empêche d'utiliser ces avions dans le Nord. Par conséquent, la norme, qui vise à accroître la sécurité, finit par faire le contraire.
Outre le facteur sécurité qui nous préoccupe relativement à l'exploitation de ce type d'avion, il y a le fait que les avions monomoteurs sont moins modernes, d'où les coûts accrus qui seront refilés aux clients dans le Nord.
En somme, le message que je veux transmettre aujourd'hui au Sénat pour le compte d'EIC, c'est que le marché de l'aviation du Nord est unique en son genre et ne peut pas être traité de la même manière que le marché du Sud.
Voilà qui met fin à mes observations. Je tiens à vous remercier de m'avoir donné l'occasion de vous parler aujourd'hui et je suis disposé à répondre à vos questions.
Le vice-président : Merci beaucoup. C'était très intéressant. Nous allons commencer la période des questions avec le sénateur Mercer, qui sera suivi du sénateur Doyle.
Le sénateur Mercer : Tout d'abord, je tiens à vous remercier, messieurs, de votre présence. Comme le président l'a dit, c'était très instructif. Pour ceux d'entre nous qui sont récemment allés dans le Nord, vos observations ne nous surprennent pas. Une approche universelle en matière de réglementation des aéroports ne fonctionne pas dans le Nord, et je pense que nous l'avons vite constaté quand nous étions là.
Vous avez parlé des améliorations à l'infrastructure et du coût de l'ACSTA et de la navigation aérienne. Il faudra bien que quelqu'un définisse le Nord car, après ce que je vais dire, tout le monde voudra en faire partie. Êtes-vous en train de suggérer que Transports Canada assume le coût de l'ACSTA et de la navigation aérienne et contribue de façon plus concrète à l'amélioration de l'infrastructure dans le Nord?
M. McKenna : Eh bien, je ne pense pas que je déléguerais cette tâche à Transports Canada. Le ministère en a déjà plein les bras et éprouve de la difficulté à s'acquitter de ses responsabilités actuelles. Je ne crois pas que le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle accru dans le financement de cette infrastructure.
Le sénateur Mercer : Je suppose que j'ai évoqué Transports Canada seulement par commodité. Cela pourrait être un autre organisme gouvernemental.
Un des problèmes que nous avons découverts lors de notre séjour dans le Nord, c'est qu'il y a un règlement selon lequel tout dépotoir municipal doit être situé à au moins quatre kilomètres de l'aéroport. Dans certaines des collectivités que nous avons visitées, à quatre kilomètres, on se retrouve en plein milieu de l'océan. Il n'y a pas de chemin à quatre kilomètres de l'aéroport. C'est donc difficile. Vous n'avez pas parlé de cette question — qui revient, au fond, à un problème de sécurité —, quoique dans les régions plus au Nord, les oiseaux ne posent pas vraiment de problème puisqu'ils sont rares là-bas.
Vous n'avez pas parlé de ce point précis. Monsieur Pyle, vous n'en avez pas fait mention parce que vous utilisez des avions beaucoup plus petits dans des collectivités très éloignées. S'agit-il d'un problème dont on vous a parlé?
M. Pyle : Dans le cadre de nos activités au Nunavut, nous avons très peu de problèmes avec les oiseaux.
Au Manitoba, par contre, il s'agit d'une préoccupation régulière. Dans certaines collectivités des Premières nations, on ne respecte pas toujours les règlements selon lesquels les dépotoirs doivent être situés à une certaine distance, et les oiseaux constituent un problème de sécurité important lorsque nous utilisons des avions à turbopropulseur.
Le sénateur Mercer : D'accord. Monsieur Pyle, vous avez dit qu'Exchange Income Corporation exploite deux segments — la fabrication de produits de créneaux et l'aviation dans le Nord canadien. Y a-t-il un lien entre les deux?
M. Pyle : Non. En fait, l'entreprise a été lancée en 2004 à titre de fiducie de revenu. L'intention était d'assurer une source de revenus diversifiée. Voilà pourquoi Exchange Income Corporation compte deux entités commerciales qui sont tout à fait distinctes.
Le sénateur Mercer : C'est simplement parce que j'ai trouvé inhabituel de voir les deux ensemble. Je pensais qu'il y avait peut-être un lien qui nous avait échappé.
Par ailleurs, monsieur McKenna, je ne peux m'empêcher de poser cette question parce que vous avez dit qu'il y a, parmi vos membres, 50 écoles de pilotage d'un bout à l'autre du pays. On sait qu'un grand nombre de ces écoles forment des étudiants étrangers. En effet, 45 p. 100 des licences de pilotage émises au Canada sont accordées à des étrangers qui viennent ici pour suivre leur formation.
Depuis les attentats du 11 septembre, les règles ont-elles changé quant à la façon dont les écoles de pilotage fonctionnent et à la façon dont les licences sont attribuées aux pilotes qui ne sont pas canadiens?
M. McKenna : Je vais laisser Wayne Gouveia répondre à cette question. Il est notre spécialiste en ce qui concerne les écoles de pilotage.
Wayne Gouveia, vice-président, Aviation générale commerciale, Association du transport aérien du Canada : Merci, monsieur McKenna. Citoyenneté et Immigration Canada est en cours d'examiner le processus lié à l'attribution de licences de pilotage aux étudiants étrangers au Canada. Nous essayons de nous assurer que les entreprises canadiennes bénéficient de règles du jeu équitables à l'échelle internationale. Pour le moment, Citoyenneté et Immigration Canada, en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères et Industrie Canada, travaillent à élaborer un processus. Par conséquent, les étudiants sont pris en tenaille jusqu'à ce qu'on définisse les exigences.
Ce qui nous inquiète, très franchement, c'est que les étudiants qui viendraient normalement ici pour suivre leur formation se voient refuser l'entrée au Canada et se font accepter aux États-Unis pour suivre une formation selon les exigences de la FAA ou de la TSA. La situation a-t-elle changé? Oui. Avons-nous trouvé des moyens d'assurer la survie de ce segment important de notre secteur? Comme vous l'avez dit, cela représente maintenant 45 p. 100 de toutes les activités liées à la formation de pilotage au Canada. C'est donc un moteur économique pour cet aspect des affaires. Grâce aux revenus générés par ce segment, nous pouvons acquérir de nouveaux aéronefs, de nouveaux simulateurs et de nouvelles technologies. C'est du jamais vu dans ce secteur au cours des 30 dernières années. Voilà pourquoi il s'agit d'une question très importante.
Le sénateur Mercer : J'ai l'impression que, plus de 10 ans après les attentats du 11 septembre, nous en sommes toujours à l'élaboration du processus. On se serait attendu à ce que quelqu'un — et il y a eu deux gouvernements, alors ceci n'est pas une observation politique — s'attarde un peu plus sur cette question. Voilà un sujet qu'on pourrait envisager d'étudier ultérieurement, monsieur le président.
Le vice-président : C'est une possibilité.
Le sénateur Doyle : À quel point est-il difficile pour les entreprises qui desservent le Nord de demeurer financièrement viables? Je me réfère à l'observation suivante que vous avez formulée : « Malheureusement, le gouvernement actuel et ceux qui l'ont précédé n'ont jamais reconnu l'aviation canadienne comme un levier socioéconomique, mais bien comme une vache à lait ».
Est-ce également ainsi que les gouvernements du Nord envisagent l'aviation? Représente-t-elle une source de revenus pour les gouvernements du Nord, ou l'exploitation des aéroports du Nord occasionne-t-elle des coûts aux gouvernements, qu'ils s'en occupent eux-mêmes ou qu'ils vous subventionnent pour le faire? Je ne pense pas que les industries du Nord permettent vraiment aux gouvernements de réaliser des profits.
M. McKenna : Tous les transporteurs sont assujettis à la même règle, quelle que soit la région du Canada où ils exercent leurs activités. Les infrastructures appartiennent aux collectivités du Nord. Bon nombre d'entre elles ont accès à des fonds fédéraux pour gérer certains aspects de leurs infrastructures, mais pas la totalité d'entre eux et très peu de ceux que nous avons abordés. C'est principalement ce qui distingue les collectivités du Nord des collectivités du Sud.
Le sénateur Doyle : Vous avez mentionné que les règlements pourraient devenir plutôt lourds, et c'est également ce qu'on nous a signalé auparavant. Manifestement, certains des règlements que le gouvernement impose aux petits aéroports vous causent des problèmes. Pourriez-vous me donner quelques exemples des problèmes en question?
M. McKenna : À qui adressez-vous la question?
Le sénateur Doyle : À n'importe qui. Je pense que c'est vous qui avez mentionné que les règlements étaient plutôt lourds?
M. Pyle : Le problème n'est pas tant que les règlements sont lourds, c'est plutôt qu'on tente de les appliquer uniformément. C'est une chose d'exiger que nous disposions d'un certain type d'équipement quand nos avions arrivent du Nord et atterrissent à Winnipeg, c'en est une autre d'exiger la même chose à Whale Cove, une collectivité qui compte 400 habitants et une piste d'atterrissage de gravier construite au beau milieu de nulle part. Si les normes à respecter pour pouvoir se servir de matériel moderne à Whale Cove sont trop élevées, la ligne aérienne refusera que nous l'utilisions. Par conséquent, nous desservirons ces marchés à l'aide des mêmes appareils que nous pilotions dans les années 1980, et les conditions météorologiques entraîneront l'annulation d'un plus grand nombre de vols, parce que nous ne serons pas en mesure de tirer parti d'un équipement moderne. Cela aura pour effet de faire grimper les prix.
Cela signifie aussi que nos pilotes doivent affronter des conditions d'atterrissage plus difficiles. L'un des principaux objectifs que je souhaitais atteindre en venant ici était de vous faire comprendre que nous devons réfléchir à la façon de rendre plus sécuritaires les vols à destination de ces aéroports, et non ceux à destination de Winnipeg. Il y a d'énormes différences même entre les divers aéroports du Nord.
Le matériel disponible à Iqaluit, Rankin Inlet ou Yellowknife est très moderne et perfectionné. Ces endroits ne sont pas problématiques. Des gros-porteurs desservent ces marchés. Toutefois, à Arviat, Chesterfield Inlet et Whale Cove ainsi qu'à Shamattawa et St. Theresa Point, au Manitoba, le matériel est presque inexistant, et nous pilotons des petits avions vers ces destinations. Nous devons adapter la réglementation de manière à accroître la sécurité et le contrôle à ces endroits. Nous ne devons pas tenter de donner à ces aéroports l'aspect de celui de Winnipeg, car nous finirons par rendre inabordables les coûts du transport aérien là-bas.
Nous sommes disposés à accroître la valeur de ces avions. Nous sommes prêts à installer des postes de pilotage en verre, qui coûtent un demi-million de dollars, dans des avions qui valent de 1 à 2 millions de dollars, et ce afin de rehausser la sécurité de ces avions. Comme il a été mentionné auparavant, une modification de la réglementation pourrait bien faire obstacle à la modernisation de ces avions que nous allions entreprendre après avoir construit le prototype. Il est ironique qu'un règlement mal adapté à ces marchés nous empêche d'investir dans la sécurité des avions. Nous devons modifier le cadre législatif de manière à ce qu'il reconnaisse que le Nord est différent, tout comme le sont les petits avions et les petites pistes. Permettez-nous d'élaborer des règles de sécurité qui rendent ces aéroports sécuritaires, sans tenter de les faire ressembler aux aéroports de Winnipeg, Toronto, Ottawa ou peu importe.
Le sénateur Doyle : Ce que vous dites, c'est que le gouvernement devrait appliquer ces règlements de manière générale.
M. Pyle : Au lieu de se spécialiser, oui.
Le sénateur Doyle : Les règles qui s'appliquent dans le Nord ne devraient pas nécessairement s'appliquer dans le Sud.
M. Pyle : C'est exact.
Le sénateur Doyle : Dans quelle mesure le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux interviennent-ils? Prennent-ils des mesures pour assurer l'avenir des transports dans le Nord? Ces mesures sont-elles suffisantes? Que devraient-ils faire au juste pour garantir l'avenir des transports dans les régions éloignées? Manifestement, vous dites que leurs mesures ne suffisent pas en ce moment. Premièrement, outre la réglementation, ils devraient investir davantage dans les infrastructures.
M. Pyle : J'ai parlé assez longuement de la réglementation. Si nous pouvions, en plus, améliorer les infrastructures au sol, cela accroîtrait le nombre de différents types d'avions que nous pouvons utiliser. L'un des problèmes à long terme auxquels nous nous heurtons est que, dans les années 1980 et 1990, les avions étaient souvent fabriqués de manière à pouvoir atterrir sur des pistes de gravier. De nos jours, aucun avion à réaction n'est fabriqué de cette manière. De plus, la gamme d'équipements conçus pour utiliser des avions turbopropulsés modernes sur des pistes non revêtues et de prix pour ceux-ci est plutôt restreinte maintenant. Il y aura toujours des collectivités trop petites pour soutenir financièrement une piste pavée. Toutefois, si nous pouvions examiner des technologies conçues pour compacter davantage le gravier et réduire les dommages, et convaincre les fabricants que ces surfaces sont dures, cela nous faciliterait la tâche sur le plan de l'exploitation. Selon nous, les deux principaux problèmes sont les infrastructures et la réglementation.
Le sénateur Doyle : J'imagine que vous recevez des subventions pour les frais de carburant et les choses de ce genre, n'est-ce pas?
M. Pyle : Non. Nous achetons la majeure partie de notre carburant au Nunavut, auprès du gouvernement de ce territoire et, au Manitoba, nous stockons notre carburant nous-mêmes. Nous avons construit des parcs de carburant partout dans la province parce qu'autrement, le carburant ne serait pas disponible. Nous avons bâti notre propre infrastructure.
Le sénateur Doyle : Recevez-vous des subventions à cet égard?
M. Pyle : Non, pas à ma connaissance.
Le sénateur Doyle : C'est incroyable.
[Français]
Le sénateur Verner : Le sénateur Doyle a posé, en partie, ma question. Tout d'abord, merci beaucoup d'être ici. Vos interventions sur les différences factuelles et majeures entre l'aviation dans le Nord et le Sud du pays sont très éloquentes, on ne pouvait faire mieux comme intervention de votre part.
Ma question portait sur le fait que la majorité des aéroports régionaux sont la propriété de gouvernements provinciaux et territoriaux, quand ce n'est pas au niveau des communautés locales. J'aimerais vous entendre sur les besoins.
Depuis le début de notre étude, on entend beaucoup de demandes faites au gouvernement fédéral en matière d'investissements et pour la modernisation des aéroports, les infrastructures et leur sécurité.
Quel est votre point de vue sur le rôle actuel des provinces et des territoires et quel serait un plus grand rôle à souhaiter de la part des gouvernements provinciaux?
M. McKenna : Oui, les aéroports au Québec nordique par exemple sont tous la propriété du gouvernement du Québec. Sauf qu'ils ont été financés en grande partie par le gouvernement fédéral avec entente de transfert de propriété au gouvernement provincial. Donc, la responsabilité de la gestion appartient au gouvernement provincial, mais il ne faut pas oublier que toutes les normes et les standards en aviation viennent du niveau fédéral. Le gouvernement fédéral impose ses conditions et ensuite négocie avec le gouvernement provincial ou non s'il va ou non participer aux améliorations des infrastructures demandées.
Au Québec, les pistes sont toutes en gravier, sauf quelques-unes dans le Nord qui sont pavées, mais c'est très rare. C'est un gros problème, comme on l'a dit dans nos présentations. Une recherche nécessaire doit être faite pour trouver d'autres agrégats moins volatils que le gravier et moins coûteux que le pavage qui peuvent être mis sur le sol. Mais, le pavage est lui- même un problème. Il faut transporter l'équipement de pavage dans ces régions, et cela coûte une fortune. Est-ce qu'il y a d'autres façons de le faire? Est-ce qu'il y a d'autres agrégats possibles à mettre au sol?
Je ne réponds toutefois pas à votre question. Votre question était : quelle doit être la coopération entre les deux gouvernements? Il existe des ententes sur le Nord entre les gouvernements. Nous demandons simplement que les infrastructures aéroportuaires soient l'objet d'entente entre ces deux ordres de gouvernement.
Le sénateur Verner : Les gouvernements provinciaux n'auraient-ils pas un plus grand rôle à jouer, ou vous parlez uniquement de collaboration entre les deux ordres de gouvernement?
M. McKenna : Oui, en ce qui a trait aux frais de gestion, et cetera. Lorsqu'on en vient aux infrastructures, il faudrait remonter aux ententes originales de construction de ces aéroports. Je ne les connais pas par cœur, mais je suis certain que le coût des infrastructures pourrait être partagé d'une façon quelconque.
Le sénateur Boisvenu : Monsieur McKenna, ma question s'adresse à vous. Je viens du Nord québécois. Il y a une problématique magistrale par rapport aux coûts, à l'équipement présent pour l'aménagement des pistes. Existe-t-il un centre de recherche ou une équipe de recherche dans votre association ou ailleurs au Canada qui étudie spécifiquement les problématiques du Nord, aussi bien pour l'entretien que la construction ou encore la gestion des aéroports?
Est-ce qu'il se fait de la recherche? Vous amenez un problème insoluble s'il n'y a pas de travail de recherche.
[Traduction]
Les Aalders, vice-président principal, Association du transport aérien du Canada : Selon nous, le Conseil national de recherches du Canada serait un candidat tout désigné pour mener de telles recherches, en collaboration avec Transports Canada et l'industrie. En ce moment, je ne suis pas au courant de l'existence d'un projet précis, mais je ferai certainement un suivi, car c'est une excellente idée.
Le sénateur Housakos : Nous vous souhaitons la bienvenue, et nous vous sommes reconnaissants de votre exposé. J'imagine que les infrastructures sont le thème de la séance. Par conséquent, je continuerai à parler de cet enjeu. Vous avez mentionné qu'à l'heure actuelle, les aéroports du Nord, des régions et des milieux ruraux avaient d'énormes besoins relativement à la rénovation des pistes d'atterrissage, du matériel de communication et de navigation et de l'éclairage, et que la satisfaction de ces besoins allait requérir beaucoup de ressources. Il va sans dire qu'au sein du gouvernement, notre première préoccupation est évidemment d'étudier constamment les divers besoins, et que ceux-ci sont toujours accompagnés d'exigences en matière de ressources. Bien entendu, une fois que ces décisions sont prises, nous nous efforçons également d'évaluer l'incidence des ressources affectées.
Supposons pendant un instant, et il s'agit là d'une gigantesque supposition, que tout à coup toutes les ressources nécessaires deviennent accessibles auprès du gouvernement fédéral ou des gouvernements locaux. L'origine des ressources est sans importance. Cependant, supposons qu'elles sont toutes là, que nous pouvons effectuer toutes les mises à niveau, que nous pouvons convertir les pistes de gravier en pistes pavées et que nous pouvons obtenir tout le matériel de navigation et l'éclairage requis.
À votre avis, quelle incidence à court terme ces mises à niveau auraient-elles sur le trafic aérien, sur les investissements dans le Nord et sur le coût de l'accès aux transports aériens pour les passagers qui se rendent dans le Nord? Quelles seraient les répercussions sur le tourisme?
Il s'agit là d'une question générale et, comme je l'ai dit, elle est fondée sur une gigantesque supposition. Toutefois, supposons que c'est le cas. Quelle incidence à court terme ces améliorations auraient-elles sur la région et l'industrie?
M. Pyle : Si nous étions les bénéficiaires de ce genre d'investissement et que, d'un seul coup de baguette magique, tout tombait en place, le premier et le plus spectaculaire effet qu'on remarquerait serait l'amélioration de l'aviation dans le Nord, parce que les consommateurs jouiraient d'un plus grand nombre d'options et les lignes aériennes pourraient sélectionner la meilleure technologie qui soit, au lieu de choisir celle qui fonctionne de nos jours dans ces aéroports. Cette amélioration entraînerait, à son tour, une réduction des coûts. Il est vrai qu'un vol à destination d'Hawaii coûte beaucoup moins cher qu'un vol en partance pour le Grand Nord canadien, et cela est imputable au fait que les coûts occasionnés par un vol vers Hawaii sont moindres. Si ces mises à niveau avaient lieu, nous observerions une diminution des coûts.
De plus, la capacité en matière d'exploration minière augmenterait. La mise en valeur des mines coûte très cher. Bien que quelques initiatives soient déjà en cours au Nunavut, nous constaterions une foudroyante accélération de ce processus. En outre, la sécurité des transports aériens en serait grandement rehaussée. Je n'insinue pas que les avions sont peu sûrs en ce moment, mais nous pourrions tirer parti des nouvelles technologies. Nous pourrions prendre des mesures qui permettraient aux gens de voyager par avion même par mauvais temps. L'un des gros problèmes dans le Nord est que les aéroports sont très éloignés les uns des autres. Quand on se rend là-bas en avion et que l'appareil ne peut pas atterrir en raison de la température, le pilote n'est pas en mesure de trouver un autre aéroport approprié à une distance comparable à celle qui sépare Regina de Saskatoon. Il se peut que le pilote soit forcé de parcourir de 500 à 700 miles pour en trouver un. Si nous améliorons la technologie, nous pourrons soit atterrir à ces endroits, soit trouver un autre aéroport approprié plus près, ce qui réduira les coûts une fois de plus.
Cependant, je ne pense pas que cela aurait une énorme incidence sur le nombre de déplacements entre ces collectivités, parce qu'en ce moment, ces allées et venues sont essentielles. Par conséquent, les gens vont et viennent quoi qu'il en coûte. Selon notre expérience, la demande est relativement inélastique par rapport au prix, mais on en retirerait des avantages au chapitre du développement économique ou autre, ainsi que sur le plan de la sécurité.
M. McKenna : Absolument. Nous serions également en mesure de mieux planifier nos déplacements, parce qu'en ce moment, lorsqu'on voyage dans le Nord, on connaît l'heure et le jour de son départ, mais on ne sait jamais quand on reviendra. Vous en avez peut-être fait l'expérience vous-mêmes.
Le vice-président : Nous avons entendu de nombreux témoignages de qualité concernant la nécessité d'envisager le Nord différemment, mais parlons-nous en ce moment de modifier légèrement l'application de certains règlements déjà en vigueur ou d'établir des règlements légèrement différents, ou discutons-nous de la création d'une chose complètement nouvelle et distincte de la politique sur le transport aérien du Sud?
M. McKenna : La politique sur le transport aérien doit comprendre des dispositions relatives à l'aviation au nord du 60e parallèle. Nous devons prendre en considération le fait que les conditions au nord du 60e parallèle sont différentes et que certaines normes ne peuvent simplement pas être respectées là-bas, et au lieu de mettre en œuvre deux règlements parallèles, nous devrions modifier le règlement et y intégrer des exceptions et des aspects à prendre en considération qui tiennent compte de ces facteurs.
M. Pyle : Je suis de votre avis à cet égard, sauf que je dirais que le problème dépasse même les régions au nord du 60e parallèle, parce que certaines parties des provinces qui se trouvent au sud du 60e parallèle présentent bon nombre des caractéristiques du Grand Nord en ce qui concerne leurs infrastructures.
Nous devons modifier les politiques ou y intégrer des exceptions qui indiquent que, dans les aéroports qui présentent, par exemple, certains aspects relatifs à la sécurité, une certaine règle s'applique plutôt qu'une autre. Nous devons être en mesure d'adapter une politique de sécurité conçue pour un aéroport international, afin de l'appliquer à une piste de gravier de 3 200 pieds située sur une île dans le Nord du Manitoba.
Le vice-président : Lorsque vous faites part de vos idées aux représentants officiels du ministère des Transports, ce qu'assurément, vous faites de temps en temps, quelle est leur réaction?
M. McKenna : Nous pourrions vous parler des aires de sécurité d'extrémité de piste, aussi appelées RESA. Elles représentent un gros problème dans le Nord, et nous tentons de leur faire comprendre qu'ils ne peuvent pas appliquer là-bas la même règle qu'ils appliquent ici.
M. Aalders : L'aire de sécurité d'extrémité de piste permet à un avion de dépasser l'extrémité de la piste quand il fait mauvais ou quand d'autres circonstances difficiles surviennent, et de rouler sur une surface molle qui le ralentira avant qu'il ne tombe dans un ravin. Bon nombre d'aéroports du Nord ne disposent pas de l'espace nécessaire pour satisfaire une exigence aussi coûteuse. Nous pourrions utiliser de plus petits avions qui, comme cela a été mentionné plus tôt, ne sont pas visés par cette exigence, mais cela représenterait un recul dans le temps. Nous ne recommandons pas cette option.
Les 10 années que Transports Canada a consacrées à l'élaboration de la règlementation se sont soldées par l'établissement de règlements axés sur le rendement. C'était d'ailleurs l'intention des fonctionnaires de Transports Canada. Notre industrie est très favorable à ce genre de règlements, par opposition aux règlements normatifs. Lorsque les règlements sont axés sur le rendement et que nous sommes autorisés à les utiliser de cette manière, ils nous permettent d'avoir recours à des solutions de rechange. C'est une approche qui aiderait énormément nos exploitants, puisqu'elle leur permettrait de collaborer avec Transports Canada en vue de trouver des méthodes différentes, au lieu de recevoir des réponses sans nuance.
M. McKenna : En règle générale, les employés de Transports Canada sont prêts à reconnaître que l'aviation dans le Nord est différente. Toutefois, il est difficile de transformer cette ouverture d'esprit en des règlements qui s'appliquent. En ce qui concerne la RESA, par exemple, si l'on est incapable de l'ajouter, on doit raccourcir la piste à cet effet. Les fonctionnaires de Transports Canada ont demandé si cela n'allait pas à l'encontre du but recherché. C'est un point faible qu'en règle générale, ils doivent surmonter. Ils comprennent les différences qui existent dans le Nord, mais ils ne savent simplement pas comment les intégrer dans les règlements.
M. Pyle : Nous voulons que votre comité comprenne à quel point ce concept est absurde. S'il y a un lac à chaque extrémité d'une piste de 3 500 pieds, il n'y a aucune façon pratique d'ajouter une RESA. Si cette politique est imposée, la longueur de la piste devra être réduite, et nous devrons installer des attrape-tout à son extrémité. Par conséquent, pour accroître la sécurité de la piste, nous devrons réduire sa longueur et sa sécurité. C'est un non-sens. Il faut que les employés de Transports Canada comprennent que cela n'a pas de sens, que cette règle ne s'applique pas dans le cas présent et que cette mesure ne peut pas être mise en œuvre là-bas.
Cette politique touche mon entreprise, parce que nos appareils atterrissent à bon nombre des aéroports qui ne sont pas encore dotés de RESA. Nos pilotes font atterrir des avions bimoteurs turbopropulsés à ces aéroports depuis des dizaines d'années et, maintenant, nous allons devoir passer à des avions non pressurisés? Pouvez-vous vous imaginer en train d'être informés qu'on va raccourcir votre piste d'atterrissage afin d'accroître sa sécurité?
Le sénateur Doyle : Cela n'a pas de sens.
M. Pyle : C'est incroyablement frustrant pour nous. Je comprends le bien-fondé d'installer une RESA là où c'est possible. Si l'espace disponible permet d'en construire une, nous pourrons utiliser des avions plus gros et plus efficaces. Toutefois, si c'est impossible, c'est impossible, un point c'est tout.
M. McKenna : Nous avons également demandé au gouvernement de nous fournir des chiffres précis pour le Nord en élaborant un dossier de sécurité ainsi qu'une analyse de rentabilité. On ne fait pas de distinction entre le Nord et le Sud dans les analyses de rentabilité et de sécurité.
Le sénateur Mercer : Aucun de nous ici ne vient du Nord; nous sommes tous du Sud. Quand nous étions à Iqaluit, un jour où j'avais quelques minutes de libres, j'ai marché jusqu'à l'épicerie. Afin de mettre les choses en perspective pour les Canadiens qui nous regardent, je dois mentionner que là-bas, le beurre coûte 8 $ la livre et qu'une caisse de 12 canettes de boissons gazeuses coûte 14,99 $. Cette même caisse se vend 10,99 $ à Yellowknife, où le système de transport est meilleur et moins coûteux, et 4,99 $ à Halifax.
Si le scénario évoqué par le sénateur Housakos se réalisait et que les choses s'amélioraient, le prix de certains produits dans le Nord baisserait-il, étant donné que les transporteurs aériens pourraient expédier davantage de produits là-bas, et ce, plus rapidement?
M. McKenna : Il va sans dire que les prix pourraient baisser, mais il y aura toujours un écart. Il y aura toujours une différence de prix entre le transport par camion de tonnes de beurre dans une ville et le transport par avion de quelques centaines de livres de beurre dans une ville située à des centaines de kilomètres. Quant à savoir si le gouvernement veut soutenir cela, c'est une autre question. Je peux vous donner un exemple : le gouvernement du Québec a une politique selon laquelle le prix d'une livre de beurre est le même aux îles de la Madeleine et à Montréal. On subventionne énormément le coût du transport avec cette politique gouvernementale. Si on commence à le faire dans le Nord, on desservira une population de 112 000 personnes répartie dans des dizaines de municipalités, ce qui coûtera une fortune.
Le sénateur Mercer : Nous devons aussi être conscients du coût de la construction dans le Nord. Durant notre séjour là-bas, il a été question du fait que l'on pourrait effectuer des travaux à une certaine piste cette semaine-là, car une asphalteuse était disponible dans la localité. Le mois suivant, elle ne serait peut-être plus là. Je crois que le maire d'Iqaluit nous a dit que pour paver un demi-kilomètre de route, cela coûtait 1 million de dollars. À ce prix, les travaux n'avanceront pas beaucoup.
M. McKenna : Il s'agit là du coût d'une route; pour les aéroports, les normes sont très différentes.
Le sénateur Mercer : Je comprends, mais les routes font partie intégrante du système aéroportuaire dans les grandes collectivités du Nord, mais pas dans les petites, semble-t-il.
M. Pyle : C'est ce que je voudrais souligner. Vous avez parlé du prix des aliments dans le Nord; le sénateur a demandé si cela pouvait se faire en même temps. Cela aurait une incidence sur le prix des produits, mais peut-être pas une incidence importante. Nous avons fait des changements importants, au cours des dernières années, dans la gestion du Programme aliments-poste. Auparavant, on faisait appel à Postes Canada, mais maintenant, on remet des subventions directement aux détaillants. C'est un pas dans la bonne direction. Cette livre de beurre coûte 8 $, mais les détaillants là-bas trouvent des moyens très ingénieux de faire baisser le coût du transport lorsque quelqu'un leur fournit les services. Il est très difficile de satisfaire les exigences des Coopératives de l'Arctique Limitée de façon rentable.
Il y aurait des améliorations en ce qui concerne les prix; pas tellement à Iqaluit même, car il y a déjà une bonne piste, mais plutôt à Whale Cove et à Chesterfield Inlet. Nous pouvons augmenter la taille de l'appareil qui s'y rend afin qu'il puisse transporter des cargaisons plus importantes par rapport aux charges plus petites que l'on transporte à l'arrière d'un avion de passagers.
Le sénateur Mercer : Le sénateur Boisvenu a mentionné sa région du Nord québécois; M. McKenna a parlé du nord du 60e parallèle; et M. Pyle a parlé du sud du 60e parallèle. Comment en arriverons-nous à cette définition? Il n'y a pas de ligne magique. Nous convenons tous que dans le Nord du Québec, le Nord du Manitoba et de la Saskatchewan, il y a des collectivités qui sont tout aussi isolées que celles du Nunavut ou des Territoires du Nord-Ouest. Comment le gouvernement, et pas nécessairement le comité, définira-t-il le Nord afin qu'il soit suffisamment inclusif, si on change la politique, pour que l'on obtienne les résultats voulus?
M. Pyle : Je ne suis pas certain d'avoir la réponse à cette question, mais je dirais que la caractéristique commune aux régions du Nord du Québec, du Nord du Manitoba et du Nunavut est l'inaccessibilité par voie terrestre. La définition pourrait ressembler à : « le nord du 60e parallèle et toutes les installations qui ne sont pas régulièrement accessibles par transport terrestre. » C'est l'absence de transport terrestre qui crée les problèmes.
Le sénateur Mercer : Ce pourrait être une définition d'isolement.
M. Pyle : Oui, tout à fait.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup pour ces informations instructives. Toutes mes excuses auprès de mes collègues et de nos témoins pour mon retard. J'avais un conflit d'horaire.
Ce comité devra faire des recommandations particulièrement pour les problématiques du Nord, et si on veut faire des recommandations réalistes, il faut avoir une vision du temps.
Vous avez décrit la situation comme étant très problématique, je dirais même périlleuse. Selon la perception que vous avez des choses, j'aurais deux questions. Si rien n'est fait ou si peu, est-ce qu'il y a des aéroports dans le Nord qui sont menacés de disparaître? Selon vous, si rien n'est fait, dans quel laps de temps ces aéroports risquent-ils de cesser leurs opérations?
M. McKenna : Vous nous demandez de répondre de façon très hypothétique. Je pense que le service continuerait à être en deçà de la demande. Et avec les aéronefs qui vieillissent, de moins en moins de services seraient disponibles dans ces régions.
En ce moment, très peu d'aéronefs peuvent voler, et la modernisation de la flotte ne prévoit pas l'utilisation de pistes de cette nature, rendant les avions accessibles à ces marchés de plus en plus rares. Donc oui, effectivement, à long terme, certaines communautés pourraient voir leurs services disparaître.
[Traduction]
M. Pyle : Je suis d'accord avec M. McKenna. Et j'ajouterais une chose : dans certaines des collectivités que nous desservons, en particulier dans celles des Premières nations, diverses administrations publiques sont responsables, de façon directe ou indirecte, de la majeure partie des coûts de déplacement. Par conséquent, si nous négligeons de dégager des fonds pour ces pistes, au bout du compte, nous ferons augmenter le prix du billet, car nous ne cesserons pas d'expédier des denrées dans ces collectivités ni de transporter les gens pour leurs rendez-vous médicaux, entre autres. Compte tenu de la diminution du nombre d'avions disponibles et de la hausse des coûts de fonctionnement de ces appareils, la seule chose que nous puissions faire, comme entreprise privée, c'est de compenser en augmentant le prix du billet. En fin de compte, nous aurons un compromis entre les coûts d'investissement et les coûts de fonctionnement et d'amélioration de la sécurité, étant donné qu'il n'existe pas d'autres moyens de sortir de ces collectivités. Je doute que le gouvernement veuille un jour fermer des collectivités; l'autre possibilité est donc de payer les coûts de déplacement, qui augmenteront considérablement, selon moi, à mesure que les avions prendront de l'âge.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Donc, si je comprends bien, il n'y a pas nécessairement de menace de fermeture, mais la menace vise surtout la baisse de qualité de la desserte aérienne?
M. McKenna : En effet. Les distances sont énormes dans le Nord, cela prend des appareils pouvant couvrir ces longues distances. Il y a de moins en moins d'appareils qui sont capables de le faire et cela peut mener à un choix qui fera qu'on ne pourra plus offrir de services dans ces communautés. Ou bien le service se poursuivera, comme le dit M. Pyle, mais de façon très dispendieuse.
[Traduction]
Le sénateur Unger : J'ai trouvé vos exposés extrêmement intéressants. J'aimerais vous poser une question, par simple curiosité. Vous avez parlé des conditions météorologiques et de l'absence de pistes adéquates. Les pilotes ont-ils besoin d'une formation spéciale pour se rendre dans ces régions éloignées?
M. Pyle : Nos pilotes sont formés dans les collectivités que nous desservons. Nous avons une formation spécialisée qui est adaptée aux collectivités. Je n'ai pas entendu parler d'un programme de formation spécialisée pour le Nord.
Ce qui est paradoxal dans l'industrie du transport aérien, c'est que les pilotes commencent par piloter de petits monomoteurs nolisés et peuvent ensuite piloter de plus gros appareils. Lorsqu'ils commencent comme pilotes professionnels, ils se rendent dans les localités où les conditions sont difficiles et les ressources, limitées. Lorsqu'ils ont acquis de l'expérience, ils sont embauchés dans des compagnies aériennes internationales et se rendent dans des aéroports plus gros et mieux équipés. Ce qui est très paradoxal, dans l'industrie, c'est que ce sont les jeunes pilotes qui se rendent dans les collectivités éloignées.
Il est essentiel que l'on s'assure d'avoir des politiques et des méthodes de formation internes adaptées aux conditions et aux normes. Je dirais que la quasi-totalité des compagnies aériennes du Nord, tant la nôtre que celles de nos compétiteurs, établissent leurs propres politiques et normes de formation de façon à s'assurer qu'elles sont respectées.
Par exemple, lorsqu'on arrive à Winnipeg et que le vent souffle dans une direction, on peut choisir diverses pistes pour s'assurer que l'on atterrit dans le sens du vent. Lorsqu'on arrive à St. Theresa Point, il y a une piste de gravier en angle. Il y a deux options : on doit déterminer s'il est sécuritaire d'atterrir et, si ce n'est pas le cas, on n'atterrit pas; ou, lorsqu'on peut atterrir, on doit avoir les compétences nécessaires pour atterrir par vents de travers. Les programmes de formation sont adaptés à la région où l'on pilote. Je ne suis pas sûr que ce soit tant un problème lié au transport qu'un problème interne au sein des compagnies aériennes.
M. Gouveia : Les pilotes qui se rendent dans le Nord le font généralement dans des conditions de vol aux instruments. Ils doivent savoir comment effectuer des approches aux instruments, qui sont courantes lorsqu'on pilote dans de mauvaises conditions météorologiques, et faire face aux longues heures d'obscurité dans le Nord durant les mois d'hiver.
Nos exploitants du Nord ont des procédures de fonctionnement strictes, en particulier pour les pilotes qui exécutent des procédures d'approche à vue au cours desquelles ils ont besoin d'un contact à l'aide de l'intensité des feux de piste. Voilà pourquoi il est important que les pistes nordiques, qui ne disposent peut-être pas d'aides à la navigation pleinement fonctionnelles comme les pistes du Sud, aient des éléments de base comme l'intensité des feux de piste pour le balisage lumineux et l'indicateur visuel de pente d'approche pour l'approche aux instruments, afin d'assurer la trajectoire de descente. Ce sont tous des indices visuels qui sont utiles lors d'une approche aux instruments ou à vue. Les pilotes sont hautement qualifiés pour satisfaire à ces exigences, surtout parce qu'ils exécutent ces manœuvres jour après jour. Les capitaines qui travaillent dans le Nord transmettent cette expérience aux jeunes copilotes.
En ce qui concerne l'atterrissage sur les pistes du Nord, nous sommes persuadés que les procédures d'utilisation normalisées sont évolutives et adaptées à nos opérations et à la longueur des pistes. C'est pourquoi notre discussion au sujet des aires de sécurité d'extrémité de piste était si importante. Si nous réduisons la longueur de la piste, nous limiterons l'espace disponible pour le type d'avions utilisés dans ces conditions.
M. McKenna : Il n'existe pas de réglementation gouvernementale distincte pour le Nord, mais les compagnies aériennes qui desservent cette région misent beaucoup sur la formation de leurs pilotes qui effectuent des approches vers les divers aéroports et qui pilotent dans ces conditions.
Le sénateur Unger : J'ai une autre question concernant les pistes. Il semble très important de trouver des matériaux qui permettront de construire davantage de pistes adaptées au Nord.
Il y a d'autres pays qui ont des aéroports situés dans des régions nordiques éloignées. Y a-t-il des études qui révèlent quels matériaux on utilise? Est-ce le même type de gravier que nous utilisons ici?
Nous avons aussi appris qu'une compagnie minière allemande, je crois, a reçu l'autorisation d'exploiter une mine de fer au Nunavut. Il semble qu'elle construira son propre aéroport et sa propre piste. Quel matériau utilisera-t-elle, le gravier? Ou quelque chose de différent?
M. McKenna : J'ai l'impression qu'elle va payer pour faire construire l'aéroport; elle ne le construira pas elle-même.
Je ne sais pas quelles sont les conditions de vol dans le Nord de la Russie, par exemple. Plus au Nord, il y a beaucoup de glace; les avions se posent donc probablement sur des bandes de glace.
Comme je l'ai dit au sénateur Boisvenu, il y a un manque flagrant de recherches dans ce domaine. Nous ne savons pas s'il existe une recherche de ce genre, mais nous y sommes certainement favorables. Le Canada a ses propres normes de sécurité, qui figurent parmi les plus élevées au monde. Il va sans dire que nous voulons respecter ces normes et ne pas nous fier à des pays qui ne s'y conforment pas sur le plan de la technologie.
Le sénateur Mercer : Vous dites qu'il n'y a pas suffisamment de recherches, mais y a-t-il une formation adéquate? Il se trouve que je dispose d'un avantage, ici. Hier, j'ai passé un peu de temps avec les membres du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Durant notre visite de la Base des Forces canadiennes Shearwater, nous avons pris place dans un simulateur de vol pour les hélicoptères qui se posent sur les navires de guerre canadiens. Une formation et un programme spécialisés sont nécessaires pour faire fonctionner le simulateur.
Y a-t-il un programme spécial dans les simulateurs de vol qui permettrait de former les pilotes qui peuvent être confrontés à des situations particulières dans les aéroports du Nord? Je ne parle pas des aéroports d'Iqaluit ni de Whitehorse, mais de ceux qui sont situés dans les régions plus isolées dont nous avons parlé.
M. Gouveia : C'est le grand avantage de la simulation. Elle nous permet de nous mettre dans diverses situations et diverses conditions météorologiques, et d'essayer divers types de surfaces de piste. La simulation est de plus en plus rentable pour notre industrie. En conséquence, un nombre grandissant de compagnies y ont recours, comme jamais auparavant.
En fait, vous avez soulevé un argument très intéressant. C'est l'une des choses que notre association, qui collabore avec Transports Canada, met à l'essai actuellement. Nous reconnaissons l'importance de la simulation et nous voulons faire augmenter le nombre d'heures de simulation requis pour l'obtention des licences et des qualifications. Oui, la technologie de simulation est devenue plus abordable et elle nous permet de simuler tous les types de conditions météorologiques, d'éclairage, de surfaces de piste, et cetera. Elle constitue un énorme avantage pour notre industrie.
M. Pyle : En fait, c'est un élément de plus en plus important dans le milieu. Compte tenu du prix actuel du carburant, les vols d'entraînement réels coûtent très cher. De plus, il y a certaines manœuvres qu'on ne peut mettre en pratique lors d'un véritable vol. On ne veut pas mettre en pratique un arrêt des moteurs. On n'a qu'une seule chance, alors on veut le faire dans les simulateurs.
Notre entreprise de transport aérien a investi dans la construction de simulateurs pour le type d'aéronefs que nous utilisons. C'est nous qui utilisons le plus d'appareils de type Metroliner. C'est un avion de 19 places; nous en avons 40 ou 50. Comme l'a dit M. Gouveia, nous avons pris le temps de construire un simulateur adapté à cet appareil et nous y avons ensuite intégré les données correspondant à certains aéroports du Nord où nous nous rendons, afin que nos pilotes puissent s'exercer.
Dans l'avenir, nous voulons que Transports Canada permette que de plus en plus d'heures de formation en simulateur puissent compter dans la formation d'un pilote, plutôt que les heures de vol en conditions réelles. À certains égards, la formation en simulateur est plus intensive et meilleure que la formation dans un vrai aéronef.
Le sénateur Mercer : Merci.
Le vice-président : Merci beaucoup. Les sénateurs ont-ils d'autres questions?
Je tiens à vous remercier tous sincèrement de vos témoignages très intéressants. Dans quelques mois, je pense que vos opinions seront reflétées dans notre rapport.
M. McKenna : Si votre premier rapport illustrait bien la rigueur et le courage de vos recommandations, je suis très impatient de lire votre deuxième.
Le vice-président : Merci beaucoup.
(La séance est levée.)