Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 14 - Témoignages du 2 octobre 2014
OTTAWA, le jeudi 2 octobre 2014
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, dans le cadre de son étude sur l'utilisation de la monnaie numérique.
Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Il s'agit de notre 10e réunion dans le cadre de notre étude spéciale sur la monnaie numérique, y compris les relations, les menaces et les avantages éventuels de ces formes de commerce.
Nous avons entendu des témoignages de ministères et d'organismes gouvernementaux, ainsi que de professeurs d'histoire économique et monétaire et de cryptographie. Nous avons également reçu la visite de représentants du Bitcoin Strategy Group, du Canadian Virtual Exchange — CAVIRTEX — et de BitAccess. En juin, nous avons également entendu des représentants d'Interac, de PayPal et de BitPay. Hier, nous avons reçu deux autres entreprises du secteur des paiements, soit Visa et MasterCard.
Aujourd'hui, nous accueillons de nouveau des témoins qui touchent directement à l'une des monnaies numériques, à savoir le bitcoin. Je souhaite la bienvenue à Francis Pouliot, qui est directeur des affaires publiques de l'Ambassade Bitcoin. Située à Montréal, l'Ambassade Bitcoin est un organisme sans but lucratif qui veut accélérer et faciliter l'adoption du système de paiement Bitcoin.
Je souhaite également la bienvenue à Stuart Hoegner, qui est avocat général, et à Michael Perklin, qui est directeur de Bitcoin Alliance of Canada. M. Hoegner se spécialise dans les questions juridiques relativement à la réglementation des monnaies virtuelles et a coécrit avec Jillian Friedman, que je vous présenterai dans un instant, un chapitre sur ce sujet dans une publication à venir. M. Perklin est un éminent conseiller en sécurité et en technologie dans le domaine des cryptomonnaies, dont le bitcoin.
Nous entendrons aussi Jillian Friedman, qui est juriste, et Guillaume Babin-Tremblay, qui est trésorier de la Fondation Bitcoin Canada. La mission de la Fondation Bitcoin Canada est d'aider les gens à échanger plus librement des idées et des ressources au sujet du système de paiement Bitcoin. Mme Friedman est une experte des questions juridiques relatives aux devises légales. M. Babin-Tremblay se spécialise dans les aspects techniques des monnaies virtuelles.
Pour ce qui est du format de la réunion, nous entendrons des exposés de M. Pouliot, puis de MM. Hoegner et Perklin. Ensuite, ce sera le tour de Mme Friedman et de M. Babin-Tremblay. M. Pouliot a 10 minutes, je crois, et les deux autres groupes ont aussi 10 minutes, mais chaque personne aura 5 minutes, étant donné que vous avez tous un exposé.
Sur ce, monsieur Pouliot, vous avez la parole.
Francis Pouliot, directeur des affaires publiques, Ambassade Bitcoin : Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un grand honneur et un privilège pour moi que d'être ici aujourd'hui. Je voudrais d'abord vous remercier de faire cette étude et d'avoir invité l'Ambassade Bitcoin. Je suis directeur des affaires publiques de l'Ambassade Bitcoin, à Montréal, que je représente ici aujourd'hui, mais je suis aussi directeur général de la Fondation Bitcoin Canada. J'ai une formation en analyse des politiques publiques et en économie.
L'Ambassade Bitcoin est un organisme sans but lucratif. Elle a été lancée en août 2013 et est le premier organisme à avoir des bureaux se consacrant à la sensibilisation publique et à l'encouragement du développement de la technologie des cryptodevises. Notre modèle a été adopté par nombre d'organisations de par le monde.
Mon objectif aujourd'hui consiste à parler au nom de l'un des plus importants acteurs de ce processus : la communauté décentralisée des utilisateurs, des développeurs et des sympathisants qui participent à l'écosystème Bitcoin. Mon intervention d'aujourd'hui portera sur la nature de Bitcoin à titre d'écosystème de monnaie numérique, ainsi que sur ses avantages économiques et sociaux.
Il existe un mouvement social mondial au centre duquel se trouvent le bitcoin et d'autres cryptodevises. Qu'il s'agisse de programmeurs et de mathématiciens, d'avocats et de gens d'affaires influents, la communauté du bitcoin est animée par la sincère conviction que les cryptodevises entraîneront des changements profonds et bénéfiques. Nombreux sont ceux qui estiment que l'invention des cryptodevises constitue l'une des plus importantes innovations technologiques depuis celle d'Internet. Qu'entend-on donc exactement par « cryptodevise »? Pour simplifier les choses, je ne parlerai que de la plus importante d'entre elles, à savoir le bitcoin.
Le bitcoin est d'abord et avant tout le produit d'un amalgame de technologies résultant de décennies de recherche en mathématiques, en cryptographie et dans les systèmes distribués. Selon l'éminent expert en cryptodevises Andreas Antonopoulos, le bitcoin peut être considéré comme une ingénieuse combinaison des nouvelles technologies suivantes : un réseau pair-à-pair décentralisé qu'on appelle le protocole Bitcoin; un système d'émission de devises décentralisé, mathématique et déterministique, soit le minage de données; un système de vérification des transactions décentralisé, ou le script des transactions; et un registre public des transactions, ou la chaîne de blocs.
Il est certes important de comprendre comment ces technologies fonctionnent, mais il importe encore plus de saisir ce qu'elles nous permettent de faire : la création d'un écosystème monétaire et financier numérique complètement indépendant et intégré pleinement fonctionnel et en croissance constante. Il s'agit de la plus importante et de la plus déterminante expérience économique de l'histoire récente, et sa réussite aura de profondes répercussions socioéconomiques.
La caractéristique la plus distinctive de Bitcoin est que son réseau et sa devise sont complètement décentralisés, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas contrôlés par un particulier ou une institution financière ou un organisme gouvernemental. Une autre de ses caractéristiques, c'est que la devise et les éléments du réseau de paiement Bitcoin sont liés par ce qu'on pourrait appeler une relation symbiotique : l'un ne peut exister sans l'autre. C'est à la fois le réseau de transactions et l'unité de valeur transmise par ce réseau.
Dans un système monétaire ou financier, certaines tâches doivent être effectuées pour que le système fonctionne. Mentionnons, notamment, l'émission de devises, la prévention de la contrefaçon, la validation des transactions entre utilisateurs, le suivi des bilans et le stockage physique ou numérique de l'argent. Ces tâches sont aujourd'hui effectuées par un oligopole d'institutions financières, de sociétés de cartes de crédit et de banques centrales. La capacité d'une personne d'accumuler et de transférer la richesse est fortement tributaire de ces institutions centralisées.
Les institutions financières et les banques centrales traditionnelles demandent aux consommateurs de leur faire confiance pour avoir accès aux services financiers et se servir des devises nationales. Ces dernières années seulement, nous avons été témoins partout dans le monde d'innombrables cas de fraude par carte de crédit, de sauvetage de banques, d'inflation monétaire, de censure financière, de saisie arbitraire d'actifs et de violation de renseignements personnels. Autrement dit, la confiance des consommateurs s'érode sans cesse.
Avec Bitcoin, ces tâches sont effectuées de manière collective et décentralisée par les participants dans le réseau. Essentiellement, Bitcoin est un réseau consensuel distribué qui maintient un registre sûr et digne de confiance. L'efficacité et la coordination de ces tâches sont assurées, parce que les technologies sous-jacentes de Bitcoin ont été conçues pour produire des structures de mesures incitatives que respecteront spontanément les participants. La confiance dont jouit le système est fondée sur le calcul et le cryptage plutôt que sur l'accès restreint. Cela empêche le risque d'une mauvaise utilisation, d'abus et de faiblesse du système venant du contrôle centralisé du système par quelques personnes.
Bitcoin a aussi d'intéressantes répercussions philosophiques. Dans la pensée libérale, les gens ont des droits qui sont inhérents à leur existence même plutôt que d'être concédés par les pouvoirs publics. Bitcoin constitue la première application pratique de ce concept en matière de droits de propriété. Les actifs numériques sont stockés comme des entrées dans un registre décentralisé, et seul le propriétaire légitime peut y accéder et il ne dépend pas d'une tierce partie, comme une banque, pour le faire.
Au sein du réseau Bitcoin, ce droit est inaliénable et autoprotégé au moyen de techniques de cryptage. La liberté des transactions est également absolue et irrévocable, puisqu'au sein du réseau il est extrêmement difficile ou pratiquement impossible d'arrêter la réalisation d'une transaction.
Les répercussions ne sont pas que philosophiques; le pouvoir libérateur de Bitcoin s'accompagne d'avantages économiques considérables. Le réseau Bitcoin permet aux parties consentantes de négocier instantanément et directement ensemble sans devoir passer par une tierce partie, n'importe où dans le monde, moyennant des frais minimes. Aucune documentation et aucun permis ne sont nécessaires. Bitcoin permet essentiellement à n'importe qui n'importe où dans le monde, peu importe son état ou sa situation financière, de téléporter de l'argent d'une voûte impénétrable à une autre.
En supprimant la nécessité de faire confiance à un intermédiaire pour conclure une transaction, Bitcoin élimine toutes les frictions et tous les désavantages économiques liés à l'intermédiation. Il rend l'activité commerciale et financière moins coûteuse, plus conviviale et plus sûre. Il assure le réinvestissement efficace des ressources précédemment perdues dans les transactions. Pour l'utilisateur moyen, le bitcoin remplira la même fonction que la carte de crédit, mais ce sera plus rapide et cela éliminera le risque de fraude ou de vol d'identité et les frais élevés.
Il est important pour les décideurs de se souvenir de l'origine technologique des cryptodevises. Il ne s'agit pas simplement d'un autre système de paiement que nous pouvons étudier dans le cadre conceptuel des services financiers classiques. Ce n'est pas non plus une nouvelle forme d'argent dont les propriétés macroéconomiques peuvent être examinées hors contexte, comme s'il s'agissait d'une autre devise étrangère, d'un bien ou d'un métal précieux.
La popularité croissante de Bitcoin doit être inscrite dans le cadre du processus de destruction créative, soit le processus par lequel de nouvelles et meilleures technologies remplacent les précédentes, qui sont devenues obsolètes. Tous profitent de ce processus, sauf les modèles d'entreprise qui sont graduellement rendus obsolètes et qui, selon toute vraisemblance, s'efforceront le plus de ralentir la montée des monnaies numériques.
À cet égard, je parle uniquement de Bitcoin, dont la fonction première consiste à transférer de la valeur. Sont en cours d'élaboration d'autres systèmes de cryptodevises favorisant la conclusion de contrats intelligents, la formation de sociétés autonomes décentralisées et la création de marchés de biens, de services et de produits financiers décentralisés. Si ces technologies deviennent fonctionnelles et largement adoptées, il n'y a pas de limites aux gains d'efficience que nous pouvons réaliser.
Évidemment, avec une plus grande liberté vient une responsabilité accrue, ce qui est synonyme de risque accru. Bitcoin a été la cible de cyberattaques, d'atteintes à sa réputation, de faillites, de restrictions gouvernementales et d'incroyables fluctuations de prix. Il a été déclaré mort à plusieurs reprises, mais il est toujours vivant et plus fort que jamais. Cela s'explique par le fait que, dans Bitcoin, les risques sont assumés principalement par les acteurs individuels et ne sont pas transférés dans l'ensemble du système. L'échec d'un acteur n'a pas d'effet néfaste sur la survie du système dans son ensemble. En fait, le système Bitcoin ne craint pas ces échecs qui lui donnent l'occasion d'évoluer et de se renforcer. Par exemple, l'échec de Mt. Gox, qui était à l'époque la plus importante plateforme d'échange de bitcoins, a mené à d'incroyables innovations sur le plan de la sécurité et à l'établissement de modèles d'affaires plus sûrs. Compte tenu de cette qualité évolutive, il ne convient peut-être pas de diminuer artificiellement ces risques par la réglementation, étant donné que l'innovation continue de rendre Bitcoin plus sûr.
En guise de conclusion, je voudrais dire quelques mots sur Bitcoin et le Canada. Le Canada est en train de se doter d'un important avantage concurrentiel comparativement à d'autres pays sur le plan des possibilités d'investissement de capitaux et de création d'emplois dans l'industrie du bitcoin. Notre pays est maintenant considéré comme un chef de file mondial favorable au bitcoin dans le secteur des cryptodevises. Cette réputation acquerra une valeur inestimable lorsque le monde entier adoptera ces technologies. Les données sont rares et difficiles à obtenir, mais nous savons que nous disposons de la plus grande quantité de guichets automatiques de bitcoins dans le monde. Plus tôt cette année, le Canada s'est classé au deuxième rang dans le monde sur le plan des investissements dans Bitcoin. Le Canada est un pays féru de technologie profitant d'un fort taux de pénétration d'Internet et d'une main-d'œuvre hautement qualifiée. Il a aussi la chance de jouir de tarifs d'électricité concurrentiels qui sont susceptibles de faire du Canada une destination de choix pour le minage de cryptodevises.
On compte des groupes de discussion Bitcoin dans presque toutes les grandes villes canadiennes, ainsi qu'au moins cinq organisations Bitcoin influentes. Le Canada pourrait fort bien devenir la plaque tournante mondiale du secteur des cryptodevises, ce qui attirerait des investissements et créerait des emplois de qualité. L'économie des consommateurs de demain sera fortement tributaire des interactions économiques effectuées sur Internet. Nous pouvons entrevoir un avenir où les particuliers de différents pays échangeront des biens et des services, feront des affaires et négocieront directement des contrats autoexécutoires à l'aide de systèmes de cryptodevises. Pour l'avenir prévisible, ces interactions seront effectuées à l'aide de logiciels et de plates-formes en ligne qui doivent nécessairement être conçus et exploités par des gens. Il y aura une demande mondiale pour ces services, et nous pouvons seulement en tirer profit comme pays que si ces services sont conçus chez nous plutôt que dans d'autres pays.
Merci de votre temps. J'ai hâte de répondre à vos questions sur le concept de cryptodevise et les risques et les avantages pour l'économie.
Stuart Hoegner, avocat général, Bitcoin Alliance of Canada : Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ravi d'être avec vous ce matin pour parler de la monnaie numérique. Je voudrais vous remercier de votre invitation à témoigner devant votre comité et remercier également votre greffière, Mme Reynolds, et son personnel de leur aide dans ma préparation.
M. Perklin et moi avons de brefs exposés à faire, après quoi nous pourrons répondre à vos questions. Monsieur le président, vous y avez déjà fait allusion au début, mais je vous présente aussi, pour éclairer les délibérations du comité, un avant-projet de document que Mme Friedman et moi avons rédigé sur le droit du bitcoin au Canada; le document sera publié dans les prochains mois. Nous l'avons fait parvenir à Mme Reynolds.
D'entrée de jeu, je tiens à vous dire que votre travail est suivi avec un vif intérêt par le milieu de la cryptomonnaie. Je ne connais aucun autre organe parlementaire dans le monde entier qui ait publiquement examiné autant de documents et de points de vue que votre comité. Nombre des questions et des discussions que ces réunions ont suscitées ont été excellentes.
Nous représentons la Bitcoin Alliance of Canada, qui est une personne morale fédérale et canadienne sans but lucratif visant à sensibiliser les consommateurs, les commerçants et les décideurs canadiens au système Bitcoin; à en promouvoir l'adoption au Canada; et à poursuivre l'étude et la recherche sur le bitcoin et d'autres cryptomonnaies.
Le droit peut avoir de la difficulté à cerner et à régir des technologies comme le bitcoin. Il ne faudrait peut-être pas s'en surprendre, parce que le système Bitcoin possède tellement de caractéristiques qui le rendent vraiment novateur et spécial. Dans certains secteurs du droit, les structures existantes semblent prêtes et aptes à régir le système Bitcoin. Dans d'autres, ce système ne semble pas bien s'insérer dans les règles existantes. Je voudrais vous parler très brièvement de certaines de ces questions.
Commençons par les modifications au budget 2014 apportées par le projet de loi C-31, qui a reçu la sanction royale en juin dernier. Le gouvernement a choisi de viser particulièrement les monnaies virtuelles en proposant des modifications à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Il a ainsi proposé l'ajout de « le commerce d'une monnaie virtuelle, au sens des règlements » à la définition d'entreprise de services monétaires. Des représentants du ministère des Finances ont parlé de ce changement lorsqu'ils sont venus témoigner devant votre comité ce printemps. Ils ont donné un aperçu du sens qui serait donné au terme « le commerce d'une monnaie virtuelle ».
Bien que cela semble une application raisonnable de l'utilité du bitcoin, nous réservons notre jugement sur ces modifications jusqu'à ce que nous ayons pris connaissance du libellé des nouveaux règlements. Voici l'une des grandes questions que l'on se pose au sujet du système Bitcoin : est-ce de l'argent? On entend par cela l'argent comme nous le connaissons dans la vie de tous les jours, mais aussi ce que le droit veut dire quand il parle de l'argent. Cela semble une bien étrange question, mais elle est vraiment fondamentale, compte tenu de toute l'importance que le droit accorde à ce que nous appelons l'argent. Je vous répondrai que, comme nous le disons dans la conclusion, l'argent ayant cours légal au Canada, à bien des égards, ne comprend vraisemblablement pas le bitcoin. Certes, l'ARC et la Banque du Canada ne considèrent pas le bitcoin comme de l'argent. Ce n'est pas de l'argent ayant cours légal, puisqu'il n'est mis en circulation par aucun État et n'est pas universellement accepté.
Certains se diront « et alors? », mais la réponse à cette question a d'importantes répercussions. Si le bitcoin n'est pas une monnaie ayant cours légal, il ne peut donc pas, par exemple, servir à libeller un titre négociable aux termes de la Loi sur les lettres de change. Dans un tel cas, les titres libellés en bitcoins et les bitcoins eux-mêmes pourraient faire l'objet de créances prioritaires dans les transactions commerciales.
Il n'est donc pas clair que, dans certains cas, la loi peut régir le bitcoin au Canada. Cela ne veut pas dire que le bitcoin n'est pas un outil brillant et qu'il n'est pas profondément novateur. Il l'est. Et cela ne signifie pas non plus que le bitcoin ne trouvera pas sa façon de résoudre ces questions. Ce que cela veut dire, en revanche, c'est que la loi est étroite et qu'elle ne peut pas s'appliquer aussi bien à certaines innovations.
Le dernier point que je voudrais soulever concerne la question de l'observation des dispositions de la lutte contre le blanchiment d'argent. Il y a un mythe voulant que les entreprises recourant au bitcoin ne peuvent être amenées sous le parapluie d'un régime de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes, ou LBA/FAT. L'édification de bons programmes d'observation du régime de LBA/FAT pour le bitcoin est semée d'embûches, mais il reste que nous pouvons résoudre ces difficultés, et c'est ce que nous faisons. Par exemple, on peut identifier les détenteurs des fonds et les lier avec la source des fonds dans ce contexte, le cas échéant. Nous estimons que le défi se présentant aux autorités chargées de l'application des lois est nouveau, mais pas nécessairement plus grand. Je laisserai à Michael le soin de parler des techniques d'enquête de façon plus détaillée.
Je vous remercie du temps que vous nous avez consacré et j'ai hâte de répondre à vos questions.
Michael Perklin, directeur, Bitcoin Alliance of Canada : Je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole devant le comité aujourd'hui. Comme M. Hoegner l'a dit, mes observations d'aujourd'hui seront faites du point de vue d'un enquêteur. Depuis 10 ans, j'ai été employé comme enquêteur en crimes numériques. J'ai mené des enquêtes sur des cas de fraude, de blanchiment d'argent et de vol d'identité réalisés à l'aide des technologies, tant des dispositifs classiques — téléphones cellulaires et ordinateurs — que des dispositifs de pointe, comme les virus informatiques et les maliciels conçus pour voler des bitcoins.
Mes observations d'aujourd'hui porteront sur la façon dont la technologie de la cryptomonnaie influe sur le processus d'enquête utilisé par les banques et les sociétés pour enquêter sur la fraude, le blanchiment d'argent et le vol d'identité.
Le fait est que la cryptomonnaie, comme le bitcoin, peut être utilisée pour blanchir de l'argent et comme instrument dans la perpétration d'un acte criminel. Soulignons, toutefois, qu'on peut en dire autant des dollars canadiens, des cartes prépayées comme des cartes cadeaux et de tout bien de valeur, qu'il soit de nature physique ou numérique. Il incombe à quiconque se sert du dispositif de le faire de manière appropriée et conformément aux lois et règlements applicables. Par ailleurs, il y a d'importantes différences dans le fonctionnement de la technologie de la cryptomonnaie qui procurent des avantages aux enquêteurs pour mieux garantir l'observation des lois applicables. Je voudrais souligner aujourd'hui une de ces plus grandes différences.
Quand, par le passé, on menait des enquêtes sur des cas de blanchiment d'argent, il arrivait souvent de voir des retraits de fonds vers différents comptes bancaires d'un bout à l'autre du pays ou d'autres pays. Pour son enquête, notre équipe demandait les dossiers bancaires liés à un compte donné à la banque en cause, disons la Banque Royale du Canada. Évidemment, ces demandes prenaient du temps; habituellement, il fallait attendre entre deux et quatre semaines pour recevoir la liste des transactions pour ce compte à cette banque. Après avoir examiné cette information, nous passions à l'identification des dépôts faits à cette banque et des retraits faits à d'autres, disons la CIBC. Les enquêteurs devaient alors demander à consulter les dossiers de la CIBC pour ensuite constater que ces dossiers pointaient vers une autre banque, disons la Banque de Montréal.
Soulignons que cet exemple n'a trait qu'aux banques canadiennes. S'il y avait des dépôts dans des banques à l'extérieur du Canada ou des retraits provenant de celles-ci, cela entraînait d'autres complications et d'autres délais.
Tous les jours, d'un bout à l'autre du Canada, des entreprises affectent des membres de leur personnel aux enquêtes sur les crimes financiers, le blanchiment d'argent et le vol d'identité. Cela nécessite beaucoup de travail de la part de chacun des enquêteurs de chacune des équipes, qui doivent collaborer entre elles et les banques.
Avec la monnaie bitcoin, toutefois, c'est très différent. Les pièces bitcoin doivent être individuellement validées pour avoir l'assurance qu'il ne s'agit pas de contrefaçons. Le protocole consiste à inscrire chacune des transactions et à suivre la circulation de chaque pièce d'une adresse à l'autre du réseau. Toute cette information est conservée dans un grand livre commun appelé une « chaîne de blocs ». Si on peut suivre le trajet d'une pièce d'une transaction à l'autre dans ce grand livre jusqu'à la toute première transaction, la pièce est déclarée authentique.
Ces grands livres, ou chaînes de blocs, peuvent être lus par tous. Chacun des numéros de compte est inscrit dans la liste comme une adresse et le solde de ces comptes peut être facilement calculé par l'addition des transactions. En conséquence, l'enquête sur la circulation de l'argent provenant de toute transaction supposément illégale peut être aussi simple et aussi facile que lire une feuille de calcul. Il n'y a pas de délais de deux à quatre semaines et il n'est pas nécessaire de recueillir les transactions de multiples grands livres de divers établissements. Ce mécanisme expose les mouvements de fonds au grand jour et fait des cryptomonnaies comme le bitcoin l'une des formes de valeur les plus facilement retraçables qui soient.
Des entrepreneurs et professionnels canadiens pilotent certains projets importants dans l'espace de la cryptomonnaie. Dans la mesure où les décideurs voudront adopter de nouvelles règles, nous allons continuer de promouvoir une démarche qui ne nuit pas à l'innovation, qui ne fait pas de discrimination contre la cryptomonnaie et qui tient compte soigneusement des avantages de la cryptomonnaie tant pour les consommateurs que pour les commerçants canadiens. Je vous remercie du temps que vous m'avez consacré et j'ai hâte de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Perklin. Madame Friedman, à vous la parole.
Jillian Friedman, juriste, Fondation Bitcoin Canada : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, M. Babin-Tremblay et moi-même sommes tous deux directeurs de la Fondation Bitcoin Canada, ou FBC. Au nom de notre organisation, nous tenons à vous remercier de nous avoir invités à comparaître devant votre comité.
La FBC est une société sans but lucratif à charte fédérale affiliée à la Bitcoin Foundation, une organisation mondiale ayant son siège aux États-Unis. Actuellement, on compte neuf fondations Bitcoin dans autant de pays.
La FBC a pour mandat de diriger et de coordonner les initiatives destinées à protéger et à promouvoir le bitcoin au Canada. Cela se traduit par le suivi des changements législatifs et réglementaires, des campagnes de sensibilisation, ainsi que par l'appui à l'entretien et à l'amélioration du protocole Bitcoin.
Je m'exprime ici aussi en tant que membre du Barreau du Québec, et mon intervention d'aujourd'hui portera essentiellement sur les lois québécoises en matière de protection des consommateurs et sur la monnaie numérique, en l'occurrence le bitcoin.
Pour savoir quelles règles de droit s'appliquent, il faut savoir aussi pour quelles fonctions ou activités le bitcoin est utilisé. Pour reprendre les propos du juge américain Frank H. Easterbrook : « le meilleur moyen de savoir quelles lois s'appliquent aux activités spécialisées, c'est d'étudier les règles générales ». Partant de ce principe, il est clair que ceux qui affirment que le bitcoin n'offre aux consommateurs absolument aucune protection sont tout simplement dans l'erreur.
La question n'est pas tant de savoir si les consommateurs doivent être protégés que de se demander s'ils ont besoin de plus que ce qu'ils ont déjà. Les lois en matière de protection des consommateurs sont vastes et elles s'appliquent aux contrats de consommation de biens ou de services pour lesquels le paiement se fait en bitcoins, que la transaction soit définie comme une entente de troc ou autrement.
Par ailleurs, le chapitre sur les ventes du Code civil du Québec s'applique, mutatis mutandis, aux contrats de change. L'achat par un consommateur de bitcoins à un agent de change ou à un fournisseur affilié serait donc aussi, en principe, régi par ces règles. Qu'est-ce que cela signifie?
Les consommateurs qui veulent effectuer un paiement en bitcoins ou acheter des bitcoins bénéficient des garanties implicites et légales prévues dans les lois sur la protection des consommateurs et le Code civil du Québec. Qui plus est, les services de change de bitcoins assujettis aux lois en matière de consommation au Québec doivent déclarer tous les frais qu'ils font payer aux consommateurs, y compris les frais de change.
Il convient de rappeler que les fournisseurs de services financiers traditionnels sont aussi dans l'obligation de le faire puisqu'ils doivent déclarer les frais de conversion monétaire, comme l'a confirmé la Cour suprême dans un jugement rendu plus tôt ce mois-ci.
Les commerçants doivent aussi donner les instructions nécessaires pour assurer la protection des consommateurs contre les risques ou les dangers dont ils ignoreraient autrement l'existence. Cette obligation prend tout son sens quand on parle d'une technologie aussi nouvelle et complexe que celle concernant le bitcoin, d'autant plus que de nombreux utilisateurs ne sont toujours pas au courant des mesures de sécurité d'usage qu'ils doivent prendre par précaution.
La principale critique au sujet du bitcoin concerne le caractère irréversible des transactions, qui est perçu comme étant à l'avantage du commerçant et au détriment du consommateur. Cela est vu comme un anathème à l'égard des lois en matière de protection des consommateurs, qui sont censées faire le contraire.
Il faut se rappeler, toutefois, que selon le droit relatif à la protection des consommateurs, il n'y a pas d'obligations concernant la technologie de facturation des frais pour la protection des consommateurs qui font des transactions commerciales en ligne. Au Québec, les cybercommerçants doivent s'acquitter de leurs obligations avant d'exiger le paiement, à moins que la transaction se fasse par carte de crédit. Cela signifie que si un cybercommerçant vend des biens et des services pour Bitcoin au Québec, à des consommateurs québécois, il doit fournir le bien ou le service avant que le consommateur doive le payer.
Le secteur du bitcoin s'est montré très intéressé à trouver ses propres solutions au problème de confiance dans les transactions des consommateurs. L'une d'elles est l'utilisation d'adresses multisignatures qui exigent de multiples permissions ou signatures pour transférer des fonds à partir d'un portefeuille Bitcoin. Un dépositaire légal agissant à titre d'arbitre des différends peut détenir une clé du portefeuille multisignatures, et le consommateur et le vendeur, les deux autres clés.
Le droit en matière de valeurs mobilières, qui est fondé sur la protection du public investisseur, est un autre grand aspect du droit relatif à la protection des consommateurs à l'égard du bitcoin et des technologies s'y rapportant. Pour les motifs exposés dans le document soumis par le procureur Hoegner et moi-même, le bitcoin n'est probablement pas une valeur mobilière. Il n'en demeure pas moins que le bitcoin ou d'autres actifs numériques peuvent être utilisés comme unités de compte pour une partie d'une opération sur titres, que ce soit pour une émission ou un fonds d'investissement libellé en bitcoins.
Il importe de voir la monnaie numérique dans le contexte d'une vaste innovation technologique que l'on appelle « organisation autonome décentralisée », ou OAD. Les organisations autonomes décentralisées sont des logiciels créés pour fonctionner de manière autonome et reproduire les opérations d'une société. L'utilisation de la technologie des OAD pour amasser des fonds, les dépenser et verser des revenus grâce à la participation des intervenants est attendue avec beaucoup d'impatience, et elle fait déjà l'objet d'expérimentation.
La délivrance de titres de propriété et leur échange sur le marché secondaire devraient se faire selon les règles provinciales applicables aux valeurs mobilières. Nous devons faire la distinction entre la technologie en matière de monnaie numérique et les programmes et services qui l'utilisent. Lorsque c'est possible, les obligations juridiques doivent reposer sur la fonction plutôt que sur la technologie ou le moyen permettant de l'exécuter. Au nom de l'esprit de concurrence et de la neutralité technologique, le traitement juridique de la monnaie numérique devrait éviter de favoriser l'utilisation d'une technologie plutôt qu'une autre.
Le bitcoin est compliqué et extraordinaire, et il nécessite un haut niveau de compréhension technique. Il est encourageant de voir que le gouvernement du Canada cherche à s'informer avant de prendre quelque décision que ce soit en la matière.
Je suis très honorée d'avoir pu vous faire part aujourd'hui du fruit de mes réflexions et de mes recherches. Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup. Monsieur Babin-Tremblay, nous vous écoutons.
Guillaume Babin-Tremblay, trésorier, Fondation Bitcoin Canada : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis très heureux d'être ici pour m'exprimer devant le comité et partager mon expérience relative aux devises numériques.
Je suis directeur général de l'Ambassade Bitcoin, située à Montréal, ainsi que directeur cofondateur et trésorier de la Fondation Bitcoin Canada. Mon champ de spécialité est la finance quantitative, et j'offre depuis 12 ans des services d'experts-conseils à des établissements financiers du monde entier.
Je me servirai de mon expertise professionnelle en analyse quantitative pour vous présenter certains des grands indicateurs utilisés pour mesurer différents aspects du réseau Bitcoin. Je vous présenterai ensuite mes conclusions qui s'appuient sur les observations de ces indicateurs, des éléments d'analyse fondamentale et mon expérience personnelle dans le secteur, dont les débuts remontent à 2011.
Je vous inviterai, à la période des questions, à solliciter tous les éclaircissements nécessaires au sujet de mes conclusions et de ma méthodologie ou à me poser des questions sur les indicateurs eux-mêmes. Je vous encourage également à m'interroger sur les tendances actuelles et les possibilités d'avenir qui peuvent intéresser le comité.
La première catégorie d'indicateurs est celle des indicateurs de réseau, lesquels offrent de l'information sur l'utilisation du réseau Bitcoin et permettent de mesurer ses caractéristiques internes. Certains d'entre eux comportent des explications intrinsèques, comme le nombre de transactions par jour ou le nombre d'adresses utilisées; d'autres sont moins évidents, comme le nombre de « jours Bitcoin » détruits, qui correspond à la mesure de l'âge moyen de bitcoins circulant à l'intérieur d'une période de donnée.
Outre les indicateurs de réseau, il existe ce que j'appellerais les indicateurs externes, qui font état des liens entre le réseau et le monde physique. En voici des exemples : le taux de hachage actuel du réseau, la consommation d'énergie approximative, la somme de travail collectif accompli par le réseau à ce jour. Ces indicateurs permettent de mesurer combien de ressources les mineurs sont prêts à consacrer à l'obtention de nouveaux bitcoins et de déterminer le coût d'acquisition d'un bitcoin — autrement que par le taux de change.
Dans cette catégorie, j'inclus également les indicateurs de l'industrie, comme le nombre de portefeuilles auxquels de grandes sociétés offrent leurs services, le nombre de distributeurs automatiques de bitcoins par pays, et cetera.
Les indicateurs financiers, enfin, suivent l'interface entre les systèmes de cours forcés et de cryptographie et servent à surveiller le processus continu de découverte du prix du bitcoin. On peut également les considérer comme des indicateurs de synthèse qui expliquent les liens entre les indicateurs de réseau et les indicateurs externes et qui déterminent les différents processus des coûts et avantages liés à l'utilisation du réseau ou aux services qui lui sont offerts. Les indicateurs de base comprennent, bien sûr, le taux de change, le volume et la capitalisation boursière. Des indicateurs techniques peuvent également s'appliquer aux cryptomonnaies, comme l'oscillateur de Chaikin, servant à mesurer la volatilité des taux de change, ou encore l'index du flux monétaire, qui permet d'évaluer la valeur des richesses qui circulent dans le système de devise numérique à différents niveaux de prix.
À la lumière d'observations fondamentales et selon les indicateurs dont je viens de parler, j'en suis arrivé aux conclusions suivantes. Premièrement, d'après presque tous les indicateurs externes et de réseau, la croissance du réseau Bitcoin est linéaire et constante depuis trois ans. Des principes plus convaincants que jamais pointent vers la continuité de cette tendance.
Deuxièmement, pendant la même période, la capitalisation boursière et les taux de change ont suivi les modèles typiques de croissance exponentielle d'un réseau en croissance. Cette conclusion concorde avec la loi de Metcalfe : la valeur d'un réseau correspond à sa quantité de nœuds carrés, comme en témoigne la comparaison des indicateurs utilisés pour appuyer les première et deuxième conclusions.
Troisièmement, la volatilité du taux de change diminue rapidement. On peut s'attendre à une meilleure stabilisation grâce à l'accroissement de possibilités dérivées et de crédits croisés et aux processus accrus de conversion de monnaie fiduciaire en cryptomonnaie, ainsi qu'à l'augmentation générale des liquidités à long terme.
Quatrièmement, la Chine continue d'être le moteur des taux de change du bitcoin : les échanges chinois représentent approximativement 70 p. 100 du volume de tous les échanges et déterminent le plus souvent la fluctuation des prix mondiaux.
Cinquièmement, on prévoit la poursuite de la consolidation à court terme de l'industrie du « cloud mining » en raison de l'accroissement des coûts d'énergie, d'hébergement et de refroidissement par rapport aux recettes de minage prévues, une situation qui devrait permettre de réduire l'écart entre les coûts d'achat et de production d'un bitcoin.
Sixièmement, il est impossible de conserver la position privilégiée du Canada à l'égard du minage de cryptomonnaies, à l'échelle de la concurrence mondiale, en comptant uniquement sur nos coûts énergétiques et de refroidissement relativement peu élevés. Il est toutefois possible d'assurer un rôle durable de chef de file si le Canada met en place un cadre de réglementation et de fiscalité léger et neutre sur le plan technologique. Le Canada sera ainsi un précurseur; il attirera des investissements considérables de la part de sociétés de capitaux de risque et générera des avantages pour l'ensemble de l'économie.
Septièmement, si le remplacement de devises par le bitcoin semble improbable, je pense néanmoins que l'utilisation émergente de cryptomonnaies comme mode de paiement collectif mettra de la pression sur les pays et les dirigeants du secteur privé et qu'ils devront émettre leurs propres cryptomonnaies concurrentielles pour complémenter ou supplanter les monnaies actuelles. Si nous avions un scénario dans lequel un certain nombre de monnaies émises par des États et par des intérêts privés se faisaient concurrence à l'échelle mondiale, tout en étant échangeables sans trop de frictions, on assisterait sans doute à une situation d'efficacité optimale en matière de monnaie et à l'essor du premier véritable réseau de paiement inclusif de toute l'histoire de l'humanité.
J'espère vous avoir fourni de l'information utile; je serai ravi d'entendre vos observations ou de répondre à vos questions.
Le président : Merci à chacun d'entre vous. À voir le nombre de sénateurs qui souhaitent intervenir, je peux dire que vous avez suscité beaucoup d'intérêt.
Permettez-moi de commencer par vous poser une question, monsieur Pouliot. Je dois avouer que je suis vraiment dérouté. À vrai dire, ce n'est pas la première fois, et ce ne sera pas la dernière non plus.
Comme je l'ai dit au début de la séance, au printemps dernier, le comité a entendu des représentants du Bitcoin Strategy Group, du Canadian Virtual Exchange — CAVIRTEX — et de BitAccess. Si je me souviens bien, ils nous ont essentiellement exhortés à réglementer leurs activités.
En revanche, dans votre mémoire, vous dites : « ... il ne convient peut-être pas de diminuer artificiellement ces risques par la réglementation alors que l'innovation continue de rendre Bitcoin plus sûr. »
Pourriez-vous clarifier les prises de position? Voulez-vous des règlements, ou n'en voulez-vous pas?
M. Pouliot : Je parle au nom d'un organisme sans but lucratif. Même si les intervenants et bon nombre de leurs sympathisants sont des entreprises et des acteurs dans l'espace de la cryptomonnaie, je défends le bien-être de tout le système.
Il se peut fort bien que certaines entreprises préconisent la mise en œuvre rapide d'une réglementation pour qu'elles puissent s'y adapter en conséquence, alors que d'autres souhaitent des règlements pour d'autres raisons.
Mais en tant que représentant d'un organisme sans but lucratif qui veille à l'intérêt du système dans son ensemble, je maintiens ce que j'ai dit dans mon exposé.
Le président : Je pourrais poser la question aux autres groupes. Êtes-vous pour ou contre la réglementation? Évidemment, il faudrait que vous sachiez précisément ce dont il s'agit, mais qu'en pensez-vous en principe?
M. Hoegner : Je crois que les participants à l'écosystème de Bitcoin sont déjà assujettis à une réglementation et, comme vous l'avez dit, monsieur le président, le ministère des Finances a annoncé de nouveaux règlements sur les transactions en ligne mettant en jeu des monnaies virtuelles — nous ne savons pas encore ce que ces règlements énoncent — dans le cadre de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Mais je le répète : nous ne connaissons pas encore la teneur de ces règlements.
Cela dit, j'estime qu'il faut examiner attentivement toute nouvelle réglementation, sans faire de discrimination à l'égard des devises numériques, tout en reconnaissant le potentiel d'innovation et de croissance que cet espace offre pour le Canada.
Selon nous, les instruments de Bitcoin et d'autres cryptomonnaies sont déjà réglementés. Ils le seront davantage, comme l'a indiqué le ministère des Finances. Nous sommes favorables à l'idée d'établir de nouveaux règlements sur les transactions en ligne — et je suppose que vous en discuterez durant la deuxième phase de vos délibérations —, à condition que ces règlements respectent cet espace et qu'ils soient neutres sur le plan technologique.
Le président : Monsieur Babin-Tremblay, qu'en pensez-vous?
M. Babin-Tremblay : Je crois que la réglementation est, en soi, un bien grand mot. Sa signification différera selon la personne et le rôle qu'on joue dans l'industrie. À mon avis, ce qui s'impose surtout, c'est une clarification plutôt qu'une réglementation proprement dite.
En tant qu'entrepreneur de Bitcoin, une des difficultés auxquelles je me suis heurté à plusieurs reprises concerne, par exemple, l'ouverture d'un compte bancaire. La plupart des banques au Canada hésitent à travailler avec les entrepreneurs de Bitcoin; je suppose que leur régime de conformité n'inclut pas Bitcoin. Elles ne savent pas comment s'en occuper. Voilà pourquoi il serait très utile d'apporter une clarification pour aider les banques à s'y retrouver et à voir comment Bitcoin cadre avec leur modèle d'affaires actuel.
À mon avis, ce dont on a besoin, ce n'est pas une réglementation en tant que telle, mais une clarification de la place qu'occupe Bitcoin. Mes collègues ici ont d'ailleurs très bien expliqué la situation actuelle.
[Français]
La sénatrice Hervieux-Payette : Je vous souhaite la bienvenue. Mes questions s'adressent essentiellement aux représentants de la Fondation Bitcoin Canada.
Je dois vous dire que je suis très étonnée. En vertu de quelle section de la Loi de l'impôt sur le revenu une fondation peut être créée et reliée à une monnaie? À ce que je sache, il n'y a pas de fondation pour le dollar, pour les euros. Quel est l'objectif de votre fondation? Est-ce un organisme de bienfaisance? Est-ce un organisme qui a un objectif qui, généralement, représente les intérêts du petit consommateur canadien? Je n'ai pas bien compris quelle était la mission de votre fondation.
De plus, pourquoi le gouvernement vous qualifierait-il d'organisme sans but lucratif avec des avantages fiscaux? Je dois dire que cela dépasse mon entendement. J'aimerais savoir comment vous vous êtes qualifié.
[Traduction]
Mme Friedman : Merci de votre question. Je me ferai un plaisir d'y répondre. La Fondation Bitcoin Canada est constituée en vertu de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, laquelle vise des entités juridiques qui remplissent diverses fonctions.
Bon nombre des sociétés sans but lucratif assujetties à cette loi sont des organismes de bienfaisance enregistrés qui ont une vocation traditionnelle d'intérêt public, comme la promotion d'activités sportives pour les enfants. Cette loi s'adresse aussi aux organismes qui œuvrent dans le secteur sans but lucratif.
Notre fondation a pour mandat de sensibiliser le public, de surveiller les changements réglementaires et législatifs et d'appuyer l'entretien et l'amélioration du protocole Bitcoin. Nous ne dirigeons pas activement une entreprise et nous n'essayons pas de réaliser des profits. C'est la principale distinction. La Fondation Bitcoin Canada est une société sans but lucratif, mais il ne s'agit pas d'un organisme de bienfaisance enregistré. Les organismes de bienfaisance enregistrés sont des entités qui bénéficient des avantages fiscaux les plus importants aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, si je ne m'abuse.
[Français]
La sénatrice Hervieux-Payette : II reste que tout l'argent de votre fondation n'est taxé ni par le gouvernement fédéral ni par le gouvernement provincial. Les gouvernements ne bénéficieront pas de votre réussite.
[Traduction]
Mme Friedman : En principe, c'est exact. Je ne suis pas une fiscaliste. Je ne saurais vous dire quelles sont les obligations fiscales précises d'une organisation à but non lucratif.
[Français]
La sénatrice Hervieux-Payette : D'où proviennent vos revenus?
[Traduction]
Mme Friedman : Nos revenus proviennent des dons et des frais d'adhésion.
Le président : J'ai une question complémentaire à la vôtre.
Le sénateur Tannas : Pour que tout soit bien clair, vous n'avez pas un numéro d'enregistrement d'organisme de bienfaisance.
Mme Friedman : Non.
Le sénateur Tannas : Votre fondation est donc assujettie aux mêmes lois que celles qui régissent l'Association des banquiers canadiens, le Bureau d'assurance du Canada, le Conseil des viandes du Canada, et cetera?
M. Pouliot : Oui.
Le président : Merci. Veuillez poursuivre.
[Français]
La sénatrice Hervieux-Payette : Selon l'un des témoignages, la Chine continue d'être le moteur des taux de change du bitcoin. À moins que je ne me trompe, il me semble que, depuis des années, sur le plan international, on reproche à la Chine de ne pas évaluer sa monnaie à sa juste valeur.
Pouvez-vous me dire comment le bitcoin deviendra un moteur économique à 70 p. 100 en Chine? Par rapport au système conventionnel que tous les pays utilisent pour l'évaluation de leur monnaie, les Chinois sont encore loin de la valeur réelle de leur monnaie, même s'ils jouent toutes les règles du jeu sur l'échiquier mondial.
Pouvez-vous m'expliquer comment la Chine peut être un moteur économique tout en ne respectant pas, à mon avis, l'aspect équitable de la valeur de sa monnaie?
M. Babin-Tremblay : Essentiellement, on sait que la Chine possède l'une des économies qui exercent le plus de contrôle sur les capitaux. Par exemple, un résidant non chinois peut difficilement sortir de yuans de la Chine. Ce pays exerce un contrôle monétaire assez important et, à mon avis, Bitcoin est la solution à ce problème. Bitcoin n'est pas sanctionné par les gouvernements. D'ailleurs, depuis environ un an, le gouvernement chinois émet des renseignements assez contradictoires sur le fait qu'il autorise ou non l'utilisation du bitcoin.
Je crois que, ultimement, c'est le peuple qui décide. Les gens là-bas ont besoin d'autres solutions économiques à leur disposition pour pouvoir commercer avec l'extérieur. C'est pour cette raison que Bitcoin connaît une grande popularité dans ce pays. Il s'agit d'une façon de transiger avec l'extérieur du pays, de faire du commerce à l'étranger, selon des règles qui ne sont pas imposées par un gouvernement central, comme le fait la Chine à l'heure actuelle.
La sénatrice Hervieux-Payette : Ce ne serait pas plutôt parce qu'il y a un grand centre financier qui s'appelle Hong Kong, qui est le moteur de tout cela, et que celui-ci n'aime pas les politiques continentales? Est-ce que ça ne serait pas pour cette raison? Ils prendraient ce moyen pour contourner les règles du gouvernement chinois.
M. Babin-Tremblay : C'est probablement l'une des raisons. Cependant, quand je vous ai remis le petit document en annexe, le dernier chiffre qui indique la répartition du volume des transactions Bitcoin est en yuans. C'est réellement la devise la plus utilisée pour les échanges en bitcoins en Chine. Par contre, vous soulevez un très bon point : il y a aussi des échanges importants à Hong Kong dont les auteurs , j'imagine, tentent un peu d'enlever la pression et de laisser des capitaux entrer et sortir plus librement. Cela aussi doit faire partie de l'équation.
La sénatrice Hervieux-Payette : Je vous remercie, monsieur le président.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Merci de vos exposés. Vous pouvez décider qui répondra à mes questions. J'en ai une série. D'abord, qui utilisent les bitcoins?
M. Babin-Tremblay : Beaucoup de gens.
Le sénateur Tkachuk : Je sais, mais s'agit-il de gens d'affaires, de professionnels?
M. Perklin : Bitcoin est une technologie qui permet d'effectuer un paiement immédiat, sans trop de frictions, entre n'importe quels endroits de la planète. Cette technologie est utile pour les gens qui doivent envoyer un paiement n'importe où dans le monde, que le destinataire se trouve tout près ou à l'autre bout du monde. Bref, les bitcoins sont utilisés par n'importe qui, allant des entreprises aux citoyens de n'importe quel pays.
Le sénateur Tkachuk : Bitcoin peut-il fonctionner sans réglementation? A-t-il besoin de règlements pour survivre? Ces questions reviennent sans cesse : faut-il réglementer Bitcoin ou non? Une réglementation s'impose-t-elle? Peut-on lâcher prise? Pourquoi doit-on le réglementer? Si plus de gens s'en servent, pourquoi faut-il le réglementer?
M. Hoegner : Pour répondre directement à votre question, Bitcoin pourrait certainement survivre sans aucune réglementation. D'ailleurs, sur de nombreux marchés, Bitcoin n'est pas réglementé ou, du moins, il l'est très faiblement. Conformément aux règles et aux principes de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes, établis entre autres par le GAFI, le Groupe d'action financière, la prudence nous dicte d'adopter une forme de réglementation concernant les bitcoins, surtout aux goulots d'étranglement. Il est donc approprié d'instaurer, à tout le moins, une certaine surveillance là où les bitcoins sont convertis en monnaie fiduciaire ou vice versa.
Le sénateur Tkachuk : Attribuera-t-on une valeur au bitcoin? En d'autres termes, pour lutter contre le blanchiment d'argent, nous avons des lois qui établissent le montant d'argent comptant que l'on peut transférer au cours d'une seule transaction; supposons que la limite soit de 10 000 $. Si on dépense plus de 10 000 $, il faudra le déclarer. Y aura-t-il une limite quant au montant en bitcoins qu'on peut envoyer? Du coup, le transfert d'argent deviendra beaucoup plus difficile, n'est-ce pas? Ou disons qu'il sera beaucoup plus difficile d'envoyer des bitcoins. Vous ne serez pas en mesure d'effectuer des transactions. Vous serez soumis aux mêmes règles que les banques ou les gens qui utilisent des devises ordinaires.
M. Hoegner : Pour répondre à votre première question, oui. Comme nous l'indiquons dans le mémoire, il y a lieu de s'attendre à ce que les règlements du ministère des Finances correspondent aux seuils actuels établis par règlement dans la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Une fois ces règlements en vigueur — et nous n'en sommes pas certains, car nous n'avons pas encore vu les règlements —, nous prévoyons que divers seuils, en dollars canadiens, s'appliqueront au bitcoin afin de déterminer les différentes exigences en matière de rapports et de tenue de dossiers.
M. Perklin : Pour ce qui est des grosses sommes d'argent, les banques doivent déclarer aux autorités toute transaction de 10 000 $ ou plus. Si quelqu'un décide de payer un tel montant ou plus en argent comptant, il n'est pas obligé de le déclarer; c'est volontaire, en ce sens que les gens qui participent à une telle transaction ont le choix d'en informer les autorités. Il n'y a donc pas de moyen facile de dire si cela se passe sous nos yeux.
Dans le contexte de Bitcoin, étant donné que tout le monde utilise la chaîne de blocs comme registre central, nous pouvons facilement repérer les transactions mettant en jeu de grands volumes de bitcoins. Alors, en comparaison à l'argent comptant, qui pose de tels problèmes, le bitcoin ne présente pas les mêmes difficultés.
Mme Friedman : À la question de savoir si le bitcoin devrait être réglementé, il l'est déjà dans une très large mesure. En effet, le bitcoin est soumis aux principes de droit; il n'existe pas dans un vide juridique. Au Canada, la primauté du droit s'applique à tout le monde, et nos transactions n'y font pas exception. Dans cette optique, à tout le moins, le bitcoin est assujetti à la loi et à la réglementation.
D'après les mesures prises par le ministère des Finances du Canada et d'après les modifications apportées à la loi fédérale sur la lutte contre le blanchiment d'argent, comme M. Hoegner l'a dit, on a cerné les goulots d'étranglement, c'est-à-dire les points où il faut peut-être exercer une surveillance juridique ciblée du bitcoin. C'est d'ailleurs ce que visent les amendements actuels au projet de loi C-31.
Le sénateur Tkachuk : Le bitcoin n'est pas la seule cryptomonnaie; il y en a d'autres. Combien d'autres y en a-t-il? Est-il possible d'échanger une cryptomonnaie contre une autre, et comment fait-on pour en déterminer la valeur?
M. Babin-Tremblay : Il y a probablement entre 500 et 1 000 autres cryptomonnaies. Il s'en crée de nouvelles pratiquement tous les jours. À cela s'ajoutent un certain nombre de plateformes d'échanges d'altcoins; il est très difficile de donner des chiffres précis, mais je dirais qu'entre 50 et 100 plateformes se spécialisent dans l'échange de bitcoins contre d'autres devises. Les utilisateurs créent un compte, où ils déposent des bitcoins; ils peuvent ensuite acheter des litecoins ou dogecoins en échange de leurs bitcoins, s'ils le souhaitent.
Alors, oui, il y a un nombre assez important de plateformes d'échanges, et elles ont toutes leurs propres taux de change, qui sont déterminés en fonction du marché.
Le sénateur Tkachuk : Y a-t-il des frais d'utilisation, comme dans le cas des bureaux de change réguliers?
M. Babin-Tremblay : D'habitude, les frais sont beaucoup moins élevés, de l'ordre d'environ 0,2 p. 100. C'est, en fait, très bas dans le monde numérique. Il y a beaucoup de concurrence, ce qui contribue à la baisse des coûts.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Merci à vous tous d'être parmi nous. C'est très intéressant et très important.
Ma question s'adresse à M. Perklin. Plusieurs témoignages suscitent des interrogations, à savoir si le système Bitcoin est véritablement confidentiel ou s'il encourage plutôt le blanchiment d'argent. Il était mentionné dans votre présentation que vous reconnaissez que le système Bitcoin est assujetti à ce risque et que c'est l'un fait. Est-ce bien le cas? Les témoignages ne sont pas toujours similaires quant à cette question.
[Traduction]
M. Perklin : Pourriez-vous préciser la question, je vous prie?
Le sénateur Massicotte : Le débat n'est pas tranché, car nous entendons différents témoignages. Les transactions en bitcoins sont-elles confidentielles et encouragent-elles le camouflage ou, en gros, le blanchiment d'argent? Est-ce vrai? Ou pouvons-nous retracer l'origine d'une transaction et, le cas échéant, le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada — CANAFE — ou la police peuvent-ils repérer la personne qui est à l'origine d'une transaction?
M. Perklin : Quand on utilise le système Bitcoin, chaque transaction passe par la chaîne de blocs; ainsi, tout le monde peut voir les montants de fonds qui sont déplacés d'un compte numéroté à un autre. Aux États-Unis, il y a déjà eu des arrestations concernant le blanchiment d'argent associé à Silk Road, un site web qui sert à vendre des produits illicites sur Internet. Les gens impliqués dans cette affaire ont été, semble-t-il, identifiés et accusés. Reste à voir s'ils seront reconnus coupables.
Le sénateur Massicotte : Je comprends le concept de la chaîne de blocs. C'est la façon dont le programme informatique fonctionne. Pouvez-vous établir les identités derrière chaque chaîne de blocs?
M. Perklin : Il est possible d'identifier le propriétaire d'un compte précis, grâce à diverses techniques d'enquête. Par exemple, l'adresse IP utilisée pour effectuer une transaction nous permet de déterminer si le compte est associé à une résidence, à une entreprise ou à tout autre...
Le sénateur Massicotte : Par conséquent, il est faux de dire que c'est confidentiel.
M. Perklin : Bitcoin n'est certainement pas confidentiel.
Le sénateur Massicotte : Je comprends cela, mais l'identité n'est-elle pas confidentielle? Je sais que toute la transaction est visible, mais l'identité des gens derrière la transaction n'est pas confidentielle.
M. Perklin : Il faudra certes faire un effort pour les identifier, mais la tâche n'est pas insurmontable. En fait, ce n'est pas plus difficile que les techniques d'enquête traditionnelles que j'ai utilisées dans le cadre de mes emplois précédents relativement aux crimes numériques.
Le sénateur Massicotte : Donc, si les membres de la mafia nous écoutent, ils devraient cesser leurs activités immédiatement, parce qu'ils finiront par être exposés.
M. Perklin : Si une personne commet un crime en utilisant une technologie quelconque, il y a des moyens de l'identifier, oui.
Le sénateur Massicotte : Puis-je poser une autre question?
Le président : Tout à fait.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Hoegner, vous soutenez qu'il est nécessaire d'accroître la réglementation pour qu'elle soit, à tout le moins, comparable aux exigences du CANAFE concernant d'autres devises. Cette question fait l'objet de discussions dans certains pays. Le point tournant consiste-t-il à mieux identifier le commerçant qui s'adonne au minage de la devise? Est-ce là le point tournant? Ou avez-vous besoin de plus de renseignements? Vous n'arrivez pas à ouvrir un compte bancaire, parce que les gens sont méfiants; ils craignent que la transaction serve à blanchir de l'argent sale. La résolution concerne-t-elle le mineur?
M. Hoegner : La résolution a été adoptée et elle a reçu la sanction royale en juin dernier. Elle porte sur les monnaies virtuelles, au sens du règlement — et je le répète, nous n'avons pas encore pris connaissance du libellé. Ce sera le point tournant, et la portée de la définition d'« entreprise de services monétaires » s'en trouve élargie par l'ajout de ces commerçants. Cela englobera-t-il les mineurs? J'en doute. Mais de toute manière, c'est ce que le ministère des Finances du Canada semble s'être fixé comme limite pour la réglementation de cette industrie.
Le sénateur Massicotte : Cela réglera-t-il votre problème avec les banques?
M. Hoegner : Vous devriez plutôt poser cette question aux banques.
Le sénateur Massicotte : Parce qu'elles sont libres de faire ce qu'elles veulent.
M. Hoegner : Qu'elles aient ou non la certitude réglementaire au Canada, les banques sont libres d'accepter ou de refuser n'importe quel client, comme bon leur semble.
[Français]
La sénatrice Bellemare : C'était très intéressant de vous entendre tous. Je m'attendais à voir des gens arriver en jeans ou quelque chose comme ça, mais je vois que la communauté Bitcoin pourrait bien passer pour une communauté bancaire également.
Après tout ce qu'on a entendu, ici, au comité, je suis d'avis que le bitcoin et toutes les cryptomonnaies sont là pour rester. C'est un changement de paradigme qu'il est un peu difficile de comprendre et de bien interroger.
J'ai une première question à laquelle M. Pouliot pourra peut-être répondre. Globalement, vous suggérez de ne pas trop réglementer, parce que cela vous empêcherait d'innover davantage. On comprend cela, puisque la réglementation peut tuer l'innovation. Par ailleurs, le bitcoin, c'est un peu comme la saucisse Hygrade. Je ne veux pas faire de publicité pour aucune saucisse, mais plus on en mange, plus elle est fraîche; alors, pour le bitcoin, plus on l'utilise, plus il est connu et plus il prendra de l'ampleur.
Monsieur Pouliot, selon vous, il y a des risques à l'utilisation du bitcoin, mais vous les percevez comme étant un élément positif, les risques étant assumés par les individus. De mon côté, je vois cela comme un élément négatif qui peut empêcher la prolifération du bitcoin. Y aurait-il moyen, de manière autonome, qu'une assurance collective contre les risques soit créée dans la communauté Bitcoin et, si oui, quel en sera le coût?
M. Pouliot : C'est vraiment une excellente question. Il est important de comprendre que nous en sommes encore aux tout premiers jours du bitcoin et des cryptomonnaies. Elles ne sont pas très faciles à utiliser ni très intuitives. Il y a beaucoup de responsabilités additionnelles auxquelles les consommateurs ne sont pas encore habitués. Avoir le contrôle de son argent, c'est protéger son argent, faire attention où on l'investit et comment on l'utilise. Ce n'est pas un souci très répandu en ce qui concerne les comptes bancaires où les dépôts sont assurés. Cette mentalité va graduellement évoluer et les gens deviendront de plus en plus responsables.
Par ailleurs, il y a énormément de services qui permettent de protéger ces bitcoins. On parle vraiment d'innovations fantastiques. Mme Friedman a mentionné les « multi-signature addresses ». Ce sont des porte-monnaie Bitcoin qui requièrent deux signatures sur trois pour que les bitcoins soient déplacés. On ne peut donc pas les perdre accidentellement. À moins que deux personnes sur trois soient malicieuses, ils ne peuvent pas être volés.
Il faut simplement laisser les choses évoluer un peu avec le temps. Il est vraiment tôt. On pourrait dire que nous en sommes au point où se trouvait Internet au début des années 1990.
La sénatrice Bellemare : Prenons l'exemple d'un jeune qui part en voyage à travers le monde. On retrouve des guichets de bitcoins un peu partout. Supposons que cette personne perde ses cartes de crédit. Elle ne peut pas se promener avec son iPhone pour chercher des bitcoins. La tâche est plus compliquée. On ne remplacera rien, comme on le voit dans les réclames où quelqu'un perd tout et, avec sa carte, se retrouve dans le désert. Bitcoin peut-il faire la même chose?
M. Babin-Tremblay : Oui, tout à fait. Le problème m'est arrivé. Je me suis retrouvé dans une situation où je n'avais pas mon portefeuille et je devais payer pour quelque chose. Heureusement, la personne à qui je devais payer connaissait Bitcoin. J'ai donc pu payer avec mes bitcoins directement.
La sénatrice Bellemare : Avec votre iPhone?
M. Babin-Tremblay : Je possède un Android, mais c'est le même principe.
La sénatrice Bellemare : Un téléphone intelligent.
M. Babin-Tremblay : Certaines compagnies ont commencé à offrir des portefeuilles Bitcoin qui sont assurés. Par exemple, la Lloyds, de Londres, a fait un partenariat avec une compagnie d'Europe justement pour assurer les dépôts de gens qui laissent leurs bitcoins à cet endroit. D'autres technologies sont en train d'être développées. On assiste à plusieurs innovations à ce niveau, notamment le « provable solvency », qui est une façon, dans le cas d'un échange en bitcoins, par exemple, de démontrer en tout temps qu'on possède bel et bien les réserves qu'on prétend posséder. Ceci est impossible dans le cadre du système traditionnel. Actuellement, une banque qui voudrait faire un tel exercice devrait avoir recours à une firme comme Ernst & Young pour vérifier les livres et confirmer que l'argent y est. Dans le cas du bitcoin, on peut le faire sans avoir recours à un auditeur externe, soit directement au moyen d'un mécanisme qu'on appelle le « provable solvency ».
Comme le disait M. Pouliot, de telles innovations sont encore à leurs balbutiements. Il faudra encore quelques années avant que l'on puisse voir leur arrivée sur le marché. On a toutefois déjà prévu le coup dans l'industrie du bitcoin.
La sénatrice Bellemare : Combien de transactions faut-il pour qu'un bitcoin ne meure? Y a-t-il un nombre limité de transactions à l'utilisation?
M. Babin-Tremblay : Non. La mesure à laquelle vous faites référence, soit le « bitcoin days destroyed », c'est le nombre de jours pendant lesquels les bitcoins sont restés dans un porte-monnaie avant d'être déplacés. Si je n'ai pas déplacé les bitcoins de mon porte-monnaie depuis un an et que j'en déplace 100, il en résultera une indication de 100 fois 365 jours. C'est le nombre de jours qui ont été détruits. L'importance d'une telle mesure est de déterminer ce qui se passe avec les « early adoptors », à savoir ce que les gens qui étaient là au début font avec leurs bitcoins.
Prenons l'exemple intéressant de ce qui s'est produit quelques jours avant l'implosion de l'échange Mt. Gox, en février. Vous en avez une représentation graphique à la figure 7. Il y a eu beaucoup de pointes dans le nombre de « bitcoin days destroyed ». L'enquête est toujours en cours, donc on ne connaît pas encore tous les détails. Ce qui a été mentionné dans un document qui a fait l'objet d'une fuite sur Internet, c'est que Mt. Gox avait décidé, pour essayer de réduire son passif, de vendre des bitcoins sur d'autres échanges qui ne leur appartenaient pas — on parle de bitcoins de clients. Cette mesure a été en quelque sorte annoncée par le nombre de « bitcoin days destroyed ». Les observateurs ont constaté le nombre de « bitcoin days destroyed » et ont soupçonné qu'il y avait anguille sous roche. Quelques jours plus tard, en effet, le cours du bitcoin a beaucoup diminué suivant la vente de ces bitcoins.
Cela donne donc une indication de ce qui se passe chez les gens qui détiennent des bitcoins depuis très longtemps.
La sénatrice Bellemare : Un bitcoin ne peut pas mourir comme une pièce de monnaie peut s'user?
M. Babin-Tremblay : En fait, on peut perdre la clef privée. Si j'ai la seule copie d'une clef privée et que je la perds, ces bitcoins sont perdus à jamais.
[Traduction]
La sénatrice Ringuette : Ma première question semblera peut-être naïve, mais je pense que nous devons nous entendre quant au nom que nous donnons à cette monnaie, car notre comité étudie la monnaie numérique. Dans votre document, monsieur Babin-Tremblay, vous parlez à la fois de monnaie numérique et de cryptomonnaie et, monsieur Pouliot, vous parlez également de monnaie virtuelle. Je crois que c'est l'une des questions concernant le phénomène ou la tendance qui doit être éclaircie publiquement. À votre avis, quel nom devrions-nous tous donner à la monnaie?
M. Perklin : Toutes les expressions, soit la monnaie virtuelle, la monnaie numérique et la cryptomonnaie, sont utilisées indistinctement, bien qu'elles aient des significations légèrement différentes. Une monnaie virtuelle est une monnaie qu'on ne peut pas tenir dans sa main. C'est plutôt une monnaie reposant sur un grand livre, comme une carte de crédit et tous les fonds déposés dans votre compte bancaire. Cette monnaie est virtuelle. Nous lisons le chiffre inscrit dans le grand livre lorsque nous consultons notre compte en ligne, en ouvrant une session dans le système bancaire, mais nous ne manipulons pas l'argent en tant que tel.
Une monnaie numérique est une monnaie qui existe seulement sous forme électronique. Dans le présent exemple, l'expression « monnaie virtuelle » désigne la même chose que l'expression « monnaie numérique ». C'est un chiffre inscrit dans mon compte bancaire de la Banque Royale du Canada. Une cryptomonnaie est une notion distincte. C'est une monnaie qui repose sur la cryptographie, c'est-à-dire sur les lois mathématiques.
La sénatrice Ringuette : Alors, étudions-nous la tendance appropriée? Nous devrions plutôt étudier la cryptomonnaie?
M. Perklin : La cryptomonnaie est un exemple de monnaie numérique et de monnaie virtuelle. Si vous traciez un diagramme de Venn, les monnaies virtuelles seraient représentées par un grand cercle qui inclurait le cercle des monnaies numériques. Le cercle des cryptomonnaies se trouverait à l'intérieur du cercle des monnaies numériques. Ces expressions sont employées indistinctement pour parler du bitcoin, c'est-à-dire la cryptomonnaie la plus répandue.
La sénatrice Ringuette : Cela m'amène à parler des autres questions de réglementation, parce que la façon dont on nomme un produit — par exemple, si l'on a fait allusion à une monnaie numérique dans le dernier projet de loi d'exécution du budget —, quelle que soit la façon dont il a été créé, importe énormément en cas de création de règlements ou de mesures législatives.
M. Hoegner : C'est une excellente question. Le projet de loi C-31 fait allusion aux monnaies virtuelles. Vous pourriez penser que c'est un problème parce que l'un des exemples donnés par le gouvernement, lorsqu'il cherchait à renforcer les règlements liés à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, était la monnaie Bitcoin.
Toutefois, ces monnaies doivent être définies dans le règlement. Par conséquent, le gouvernement est libre de les définir comme bon lui semble. Il serait peut-être aberrant qu'aux termes de la loi — la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes —, la monnaie virtuelle soit définie comme étant décentralisée — d'une façon qui s'approche davantage d'une cryptomonnaie —, échangeable, protégée par la cryptographie et fondée sur les mathématiques. C'est certainement possible. Il se peut que cela change. Je le répète, nous ne le saurons pas, tant que le règlement ne sera pas publié. Par conséquent, il se peut qu'ils soient en mesure de respecter les limites de ce cadre.
La sénatrice Ringuette : La définition d'un nouveau mot fait toujours partie de l'élaboration d'un texte de loi; ce n'est pas fait après-coup. J'espère que le ministère des Finances nous écoute, afin qu'il puisse clarifier cette question.
En passant, vos exposés étaient excellents. Monsieur Pouliot, dans votre exposé, vous avez dit que Bitcoin n'avait besoin d'aucun système bancaire, ni d'aucune autorité. Et pourtant, monsieur Babin-Tremblay, vous avez dit avoir demandé à ouvrir un compte bancaire, auprès de notre structure actuelle de banques, et avoir essuyé un refus. Où devrions-nous aller?
M. Pouliot : C'est une bonne question. Il est important de faire la différence entre le caractère technologique de Bitcoin et ses applications dans le monde réel. Bitcoin peut être considéré comme un réseau d'ordinateurs qui échangent des renseignements. Je peux envoyer un bitcoin d'un ordinateur à l'autre. Cela ne pose pas de problème. Si les dépanneurs et les stations-service acceptaient que l'on paie ses achats avec des bitcoins, nous ne sortirions jamais du réseau de Bitcoin.
Le réseau Bitcoin n'est pas suffisamment étendu pour qu'une personne vivant et travaillant à Montréal puisse utiliser des bitcoins pour subvenir à ses besoins. Bitcoin n'a pas atteint un stade de viabilité complète. Nous devons donc posséder des comptes bancaires et avoir accès à des cartes de crédit et du financement. Toutefois, le système Bitcoin est complètement indépendant du système bancaire. Chaque personne qui participe à son réseau participe aussi au monde réel.
Mme Friedman : Si vous me le permettez, je peux vous donner un exemple des points de friction qui existent entre les services bancaires traditionnels et Bitcoin. Imaginez que vous souhaitiez établir une entreprise offrant un service, au moyen de bitcoins ou d'autres sortes de cryptomonnaies ou de monnaies numériques, que vous embauchez des employés et que vous devez les rémunérer. Ces employés souhaitent être payés en dollars canadiens. Vous avez donc besoin d'un compte bancaire pour payer leur salaire.
Pour de nombreuses entreprises qui souhaitent joindre cette industrie, le fait de ne pas pouvoir ouvrir un compte bancaire est un énorme obstacle, même si ces entreprises n'exercent pas nécessairement les fonctions d'une bourse d'échange, c'est-à-dire que leurs activités ne consistent pas à vendre et à acheter des bitcoins. Elles se contentent d'offrir un service auxiliaire à l'aide de cette technologie.
C'est très problématique, car cela entrave la croissance de l'industrie. Ces entreprises ne peuvent pas faire grand-chose, car, comme le sénateur Massicotte l'a mentionné, les banques n'ont pas de comptes à rendre à qui que ce soit lorsqu'il s'agit de choisir les personnes pour lesquelles elles acceptent d'ouvrir des comptes bancaires. De plus, elles ont leur propre protocole à suivre. En ce qui concerne cette technologie qu'en toute honnêteté, les banques ne comprennent pas ou à l'égard de laquelle elles nourrissent des sentiments ambivalents, l'attitude des banques semble être vraiment problématique.
M. Perklin : Mes principales activités consistent à offrir des services de consultation en matière de sécurité. Je facture à mes clients un taux horaire. Je leur donne des conseils relatifs aux cryptomonnaies afin de les rassurer, et je soumets les bourses d'échange à des vérifications.
Au nom de mon entreprise, j'ai tenté d'ouvrir un compte bancaire dans trois grandes banques canadiennes. Elles ont refusé toutes les trois en se fondant uniquement sur le nom de mon entreprise, à savoir Bitcoinsultants. Parce que le mot « bitcoin » figurait dans son nom, elles ne m'ont pas autorisé à ouvrir un compte bancaire. Le fait que je m'occupais de cryptomonnaies leur faisait peur.
Lorsque nous facturons nos clients, nous acceptons qu'ils règlent leur note en bitcoins. Heureusement, mon avocat accepte les bitcoins, tout comme certains de mes fournisseurs. En outre, la plupart de mes employés acceptent que je leur verse leur salaire en bitcoins. Pour rémunérer les autres, je dois convertir des bitcoins en argent. Et maintenant, je dois conserver des sommes d'argent comptant pour les remettre à mes employés, ce qui est regrettable sur le plan de la sécurité. C'est malheureusement ce que nous devons faire, nous les propriétaires d'entreprises liées aux bitcoins, parce que nous ne sommes pas en mesure d'ouvrir des comptes bancaires, même si nos entreprises n'échangent pas des bitcoins.
La sénatrice Ringuette : Étant donné que les banques à charte canadiennes ne veulent pas fournir ce service, deux autres solutions de rechange pourraient être examinées. L'une d'elles serait que la Banque du Canada commence à jouer un rôle dans les cryptomonnaies. Deuxièmement, une autre entité canadienne détient une charte bancaire et a besoin de revenus. Elle s'appelle Postes Canada
Comment réagiriez à ces options?
M. Pouliot : J'espère que c'est seulement une question de temps et que, lorsqu'un nombre suffisant de gens et d'entreprises utiliseront les cryptomonnaies, les banques ne pourront plus se permettre de bouder cette clientèle. C'est peut-être un problème qui se résoudra par lui-même dans peu de temps.
On ne comprend pas clairement pourquoi les choses sont si difficiles et pourquoi les banques sont si effrayées. C'est peut-être une question d'incertitude sur le plan de la réglementation, de politiques internes ou de problèmes de communication. J'ai bon espoir que ce problème se réglera sous peu.
M. Babin-Tremblay : Je trouve intéressant que vous mentionniez Postes Canada, parce qu'il y a quelques mois, le service postal des États-Unis a mené une enquête pour déterminer s'il devrait commencer à vendre des bitcoins.
Les banques reconnaîtront un jour la valeur du bitcoin. En fait, elles la reconnaissent déjà. J'ai rencontré certains haut placés de banques canadiennes, et j'ai été surpris et épaté de constater qu'ils en savaient autant sur le bitcoin et qu'ils s'y intéressaient. Il y aura bien assez de place pour ces nouveaux joueurs qui voudront entrer dans la mêlée.
D'après ce qu'ils m'ont dit, pour le moment, c'est l'incertitude; ils ne savent pas à quoi s'attendre. Voilà pourquoi j'ai dit que cette clarification est très importante. Dès que nous aurons établi dans quoi s'inscrit le bitcoin et comment il devrait être traité, les banques seront plus enclines à offrir des services de ce genre.
À l'échelle de la planète, il y a quelques exemples de banques — je crois qu'il y en a une en Allemagne et une aux États-Unis — qui ont commencé à offrir le bitcoin ou des services liés aux cryptodevises. Par exemple, deux banques américaines annonçaient la semaine dernière qu'elles allaient devenir des portes d'accès au réseau Ripple. Ripple est un autre système de paiement fondé sur la cryptographie. Essentiellement, il s'agit donc de deux banques qui ont décidé d'implémenter ce logiciel pour faire partie du réseau Ripple.
Le mouvement commence à prendre de l'ampleur. En tout cas, il y a un intérêt, cela ne fait aucun doute, mais il reste beaucoup d'aspects qui devront d'abord être clarifiés.
Le sénateur Black : Je souhaite joindre ma voix à celles de mes collègues pour vous féliciter et vous remercier tous pour vos présentations hors du commun. Je suis au Sénat depuis seulement un an et demi, mais c'est sans conteste l'un des meilleurs groupes de témoins avec lesquels j'ai eu le privilège de travailler.
En ce qui me concerne, j'estime que mon rôle dans ce dossier est d'appuyer l'innovation de manière probante, comme vous l'avez mentionné aujourd'hui. Voilà comment j'envisage la question. Comment pouvons-nous appuyer cette technologie novatrice, cette technologie perturbatrice, comme vous l'avez appelée? Vous devez m'aider. Nous avons échangé beaucoup aujourd'hui, notamment au sujet du bien-fondé de réglementer ou de ne pas réglementer, une discussion qu'a amorcée notre président.
J'aimerais avoir des paramètres. Que souhaitez-vous précisément que notre comité fasse pour vous aider à développer cette nouvelle technologie? Qu'aimeriez-vous que nous fassions? La réponse est peut-être : « Rien du tout. » Mais si c'est le cas, dites-le-nous. S'il y a quelque chose que vous devez faire pour améliorer la position du Canada en tant que destination de choix pour l'innovation, je veux le savoir. Cessons de tourner autour du pot : dites ce dont vous avez besoin de nous.
M. Perklin : Je vais commencer. Je suis convaincu que chacun de mes collègues aura ses propres observations à faire à ce sujet.
L'une des choses qui seraient bénéfiques pour l'innovation que mon entreprise essaie d'offrir aux Canadiens serait la possibilité d'ouvrir un compte bancaire. Lorsque j'accepte des fonds de mes clients en échange de mes services, j'aimerais être en mesure d'accepter un chèque, mais je ne le peux pas parce que mon entreprise n'a pas de compte bancaire. Je ne peux pas en ouvrir un. À la fin de l'année financière, lorsque vient le temps de payer mon dû à l'État canadien pour les affaires que j'ai faites ici, je ne peux pas faire de chèque. Je dois demander à l'un de mes employés d'en écrire au nom de mon entreprise, et je dois ensuite le rembourser en bitcoins, car nous ne pouvons pas accepter de fonds autrement qu'en liquide.
Pour répondre plus précisément à votre question, sénateur Black, l'une des choses que j'aimerais voir serait la possibilité pour les entreprises de bitcoins au Canada d'ouvrir des comptes dans nos grandes banques.
M. Hoegner : Je crois que nous aimerions beaucoup que l'écosystème des cryptodevises ait la possibilité de trouver lui-même ses solutions et de voir les résultats qu'elles pourraient donner, du moins, à court et moyen termes. En gardant à l'esprit les modifications qui ont été apportées par le projet de loi C-31 et dans les règlements annoncés, j'aimerais beaucoup que votre comité comprenne vraiment ce qu'est une cryptodevise et qu'il ne cherche pas nécessairement à apporter quelque modification que ce soit aux politiques, du moins, pas pour l'instant.
M. Babin-Tremblay : L'un des problèmes qui n'ont pas encore été réglés est la classification du Bitcoin aux fins d'impôt. Je crois que l'Agence du revenu du Canada le désigne comme une immobilisation qui ne s'apprécie pas. Or, de toute évidence, avec le projet de loi C-31, le Bitcoin est désigné comme produit du recyclage des produits de la criminalité, ou quelque terme semblable. Vous savez de quoi je parle.
L'un des pièges qu'il faut éviter, c'est d'arriver avec une sorte de scénario à double imposition. Si vous établissez que le Bitcoin est une marchandise pouvant être assujettie au gain en capital, vous ne pouvez pas le soumettre aussi à la taxe de vente et le traiter aussi comme une monnaie. Voilà l'un des problèmes en suspens qu'il faut résoudre : aux fins d'impôt, dans quelle catégorie le Bitcoin est-il placé? Je suis convaincu que Jillian a des propositions à faire à cet égard, mais du point de vue d'un entrepreneur, c'est l'une des questions importantes qu'il faut régler.
Mme Friedman : Je crois que M. Hoegner a très bien rendu ce que j'avais l'intention de répondre. J'ajouterais toutefois qu'il faut approcher ce questionnement en gardant à l'esprit qu'il y a une compétition entre différentes technologies et différentes entreprises fournisseuses de services financiers et en évitant autant que possible de favoriser une technologie au détriment d'une autre.
En tenant compte des divers services qui sont offerts, il serait injuste qu'une transaction en monnaies traditionnelles susceptible d'être liée au recyclage des produits de la criminalité soit assujettie à certaines règles alors qu'une autre faisant appel à de la monnaie numérique ne l'est pas. Par souci de « neutralité technologique », si le risque est le même et qu'elles ont toutes les deux une fonction similaire, les deux transactions devraient être traitées de la même façon sur le plan juridique.
M. Babin-Tremblay : Ce serait faire l'inverse de ce qu'ils font dans l'État de New York. À New York, Benjamin Lawsky, surintendant des services financiers, a proposé de créer des « permis bit », ce qui, pour un certain nombre de raisons, a été mal accueilli par l'industrie du bitcoin. On a entre autres reproché à la proposition de ne pas être neutre sur le plan technologique. Les permis imposent des exigences additionnelles auxquelles les entreprises de bitcoins doivent se conformer. Cela contribuera vraisemblablement à isoler l'État de New York et incitera les entreprises à s'installer dans des territoires plus réceptifs, puisqu'il leur sera impossible de se conformer d'un point de vue technologique.
M. Pouliot : L'un des aspects importants est de ne pas porter un jugement discriminatoire sur le bitcoin simplement parce que c'est une technologie différente. Il faut l'envisager pour ses fonctions et pour l'utilisation que les gens en font.
La communauté ne demande pas grand-chose. Je crois que je parle pour la majeure partie de la communauté en affirmant que nous ne sommes pas particulièrement chauds à l'idée de demander une aide de plus au gouvernement. Par contre, je sais que certains ministres du Royaume-Uni ont fait des déclarations laudatives à propos du bitcoin. Je pense entre autres au ministre des Finances de ce pays qui a affirmé que le Royaume-Uni pourrait devenir une plaque tournante pour le bitcoin. La communauté est ouverte à ce que le gouvernement peut dire sur le bitcoin, alors je crois que les déclarations que le gouvernement peut faire pour louer les mérites de cette formidable innovation — et le Canada a effectivement un formidable potentiel pour le bitcoin — sont suffisantes. Le simple fait de le mentionner et la symbolique du geste suffisent.
Le sénateur Tannas : Monsieur Babin-Tremblay, vous avez comparé les coûts de minage et les coûts d'achat. Pouvez-vous nous dire, en dollars canadiens — quelle que soit la valeur de la pièce que vous choisirez —, à quoi se chiffrent les coûts de minage et les coûts d'achat à l'heure actuelle?
M. Babin-Tremblay : Les coûts de minage peuvent varier d'une organisation à l'autre, et selon les différents dispositifs de minage utilisés. La compétition est de plus en plus forte, surtout avec les taux qui sont encore plus bas qu'il y a deux mois.
Mais en gros, le coût de minage d'un bitcoin est actuellement d'environ 310 dollars américains, et le coût d'achat d'un bitcoin à la bourse est, aujourd'hui, d'environ 385 $, alors il y a un écart considérable, mais tout de même beaucoup moins grand qu'il y a un certain temps. Il y a à peine deux mois, le coût de minage était inférieur à 300 $, alors que le prix d'achat sur les bourses était de 900 ou 1 000 $. L'écart se referme donc considérablement. Il y a aussi beaucoup de regroupements dans le monde du minage, alors on commence à voir des entreprises plus grosses offrir des services de « cloud mining ». Au lieu d'avoir beaucoup d'intervenants différents avec leur propre machine dans leur sous-sol, ils se regroupent et installent leur matériel dans de grands centres de données afin de profiter des économies d'échelles.
Il y a encore passablement de chemin à faire avant d'atteindre un équilibre entre les coûts de production et les coûts d'achat des bitcoins, mais nous nous en approchons. À l'heure actuelle, le minage des bitcoins se fait avec une technologie appelée ASIC, pour « application specific integrated circuit » [Traduction : circuit intégré propre à une application]. Auparavant, on utilisait les cartes graphiques, les GPU. Le prix est descendu jusqu'à 2 $, et les coûts d'électricité pour le minage de ces bitcoins étaient à peu près les mêmes que maintenant. Les gens ont commencé à débrancher leurs dispositifs, car le minage des bitcoins n'était plus rentable.
Je ne sais pas si cela va se produire encore cette fois-ci, car la dynamique est très différente avec les centres de données. Habituellement, ce sont des marchés à plus long terme, alors il n'y a pas de raison d'arrêter vos machines même si vous perdez un peu d'argent avec le minage. Vous avez déjà les locaux, vous devez les payer et c'est là votre plus grosse dépense. Il est donc sensé de poursuivre le minage même si vous perdez un peu d'argent. Vous allez perdre moins d'argent que si vous arrêtez complètement.
Le sénateur Tannas : Je sais que ce sera un peu comme jouer à la devinette, monsieur Perklin, mais vous acceptez bien des bitcoins en échange de conseils à propos des bitcoins. Ça ressemble à une activité qui fonctionne en marge de sa valeur intrinsèque, et nous savons qu'il y a tous ces achats spéculatifs, comme l'a fait le sénateur Gerstein, qui nous a apporté son bitcoin et ne l'a pas dépensé.
Le sénateur Tkachuk : Il ne sait pas comment.
Le sénateur Tannas : Quel pourcentage des transactions sont des échanges légitimes de devises pour des choses de valeur dont les gens se servent dans leur vie de tous les jours?
M. Perklin : C'est une très bonne question. Mais permettez-moi de faire une petite correction : mon entreprise, Bitcoinsultants, offre des services d'expert-conseil au sujet du bitcoin. Bien que cela ait aussi trait aux valeurs mobilières que sont les bitcoins, cela touche à tous les genres de titres.
Votre autre question portait-elle sur le pourcentage nécessaire pour vivre avec les bitcoins?
Le sénateur Tannas : À l'heure actuelle, l'échange des bitcoins est-il simplement comme l'échange de cartes de baseball, et ainsi de suite? Si ce n'est pas le cas, quel pourcentage des transactions sert à acheter des choses de valeur dont nous avons besoin?
M. Perklin : Cela dépend des fournisseurs que votre entreprise choisit. Par exemple, avec mon entreprise, certains coûts doivent être versés en dollars et non en bitcoins. Si j'avais à mettre un chiffre, je dirais que 35 à 40 p. 100 de l'argent que nous dépensons doit être converti en dollars pour être remis à nos fournisseurs. Par ailleurs, la grande majorité des dollars versés à nos employés pour le travail qu'ils font, ou à notre comptable ou pour les frais d'avocat restent en bitcoins, pour la simple et unique raison que les fournisseurs que nous avons choisis acceptent aussi ce type de paiement. Cela dépend vraiment des fournisseurs que vous choisissez.
Le sénateur Tannas : Je comprends. J'aimerais que vous me répondiez de façon globale, pour l'ensemble du monde du bitcoin...
M. Babin-Tremblay : C'est quelque chose qui est difficile à chiffrer, car nous ne connaissons pas tous ceux qui se servent des bitcoins et ce qu'ils en font. Un certain nombre d'entreprises de renom ont commencé à accepter le bitcoin au cours de la dernière année. Overstock, Expedia, TigerDirect et Bell sont quelques exemples notables. En gros, disons que les utilisateurs de ces entreprises — donc, leurs clients — ont fait plus d'achats en cryptodevises que ce qu'elles prévoyaient.
Lorsque j'ai commencé, l'environnement était beaucoup plus axé sur la spéculation. Les gens en achetaient pour la promesse d'un gain à venir, mais maintenant, on commence à voir des gens qui s'en servent pour des raisons concrètes, pour acheter des biens et des services, selon ce qui leur est offert. À Montréal, par exemple, bon nombre de cabinets d'avocats ou de comptables acceptent le bitcoin. Ambassade Bitcoin et la Fondation Bitcoin Canada ont utilisé les services professionnels de ces cabinets et les paient en bitcoins.
Les choses vont aller en grandissant. Un jalon très important aura été atteint lorsque vous serez en mesure de payer en bitcoins votre essence et votre nourriture dans la plupart des dépanneurs et des épiceries. Il y a déjà des initiatives en ce sens. Quelques sociétés ont mis au point une carte-cadeau devise-contre-essence que vous pouvez acheter avec des bitcoins et échanger contre de l'essence.
Cela ira en grandissant. Il y a un élément non négligeable de spéculation, et nous ne sommes qu'au tout début. Des progrès marquants restent à venir. Entre-temps, nous verrons de plus en plus d'utilisations pratiques des cryptodevises se matérialiser.
M. Perklin : À Montréal, une entreprise novatrice basée au Canada permet à tout un chacun de régler n'importe quelle créance de services bancaires en ligne, comme votre carte de crédit. Ce service vous permet donc d'acheter n'importe quoi avec votre carte de crédit et de payer le solde directement avec des bitcoins.
Avec de tels services, vous êtes maintenant en mesure de payer 95 p. 100 de vos achats en bitcoins, si ce n'est pas plus.
Le président : Ici se termine notre première série de questions. Il nous reste 20 minutes, et nous avons suffisamment de personnes sur la liste pour passer à une deuxième série de questions.
Le sénateur Tkachuk : L'une de mes questions est complémentaire à la question de la sénatrice Bellemare concernant le nombre d'utilisateurs que le système peut prendre en charge. Quand la demande sera forte, se peut-il que les mineurs ne soient pas en mesure d'y répondre? Comment l'expansion de l'apport en capitaux se fera-t-elle?
M. Babin-Tremblay : L'apport en capitaux pour le Bitcoin est coulé dans le roc. Le plafond est de 21 millions d'unités. Ces unités sont cependant divisibles jusqu'à la 8e décimale. Le taux du marché, le taux de change, servira de valeur tampon pour l'adoption pour la nouvelle valeur. Essentiellement, aucun nouveau bitcoin ne sera mis en circulation. Il sera toutefois possible de diviser un bitcoin en unités plus petites, et la valeur de ces unités augmentera avec le nombre d'utilisateurs du réseau.
Le nombre d'utilisateurs augmentera en fonction de la montée de la valeur des bitcoins. Un nombre accru d'utilisateurs signifie évidemment que chacun aura une plus petite part du gâteau. L'un des graphiques intéressants que j'ai préparés est le premier, le tableau 1, la loi de Metcalfe. Essentiellement, on y apprend que la valeur d'un réseau est proportionnelle à la racine carrée du nombre d'utilisateurs.
Dans ce cas, on peut voir une corrélation presque parfaite entre le taux de change, les transactions quotidiennes et les adresses uniques utilisées, lesquelles sont la meilleure façon d'établir le nombre d'utilisateurs. La corrélation est très serrée. Plus il y a d'utilisateurs, plus il y a d'adresses utilisées, et plus il y a de transferts, plus il y a de chances que les prix emboîtent le pas.
Le sénateur Tkachuk : Je ne sais pas qui a parlé du nombre de guichets automatiques bancaires au Canada, mais combien y en a-t-il qui prennent les bitcoins en charge?
M. Pouliot : Malheureusement, je n'ai pas de chiffres exacts. J'irai avec ce que je connais. À Montréal — et, Guillaume, corrigez-moi si je me trompe — environ huit; à Toronto, avec ceux qui viennent d'entrer en service, le savez-vous?
M. Perklin : Je crois qu'il y en a environ 10.
M. Pouliot : À Ottawa, il y en a environ quatre.
Le sénateur Tkachuk : Je sais qu'il y en a au moins un.
M. Pouliot : Oui. Il y en a vraiment un peu partout. Vancouver en a beaucoup, comme Calgary, Halifax et North Bay. De nombreuses villes en ont.
Le sénateur Tkachuk : Vous dites que la banque ne vous permet pas d'ouvrir un compte Bitcoin si le nom du compte comporte le mot Bitcoin. Vous pourriez vous servir d'un autre nom. Mais comment votre compte sera-t-il administré, en bitcoins ou en devise canadienne?
M. Perklin : J'ai essayé d'ouvrir un compte, et je voulais qu'il s'agisse précisément d'un compte bancaire canadien. Or, lorsque je remplissais le formulaire, voyant le nom de mon entreprise, l'agent bancaire m'a arrêté avant même que j'aie terminé et m'a dit que je ne pouvais pas ouvrir de compte dans cette institution. Il m'a dit qu'ils avaient reçu un courriel de la maison mère — c'était apparemment un courriel d'intérêt général que tous les employés de la banque avaient reçu —, qui leur indiquait de ne pas ouvrir de compte pour les entreprises Bitcoin, en fait, pour toutes celles qui acceptent, remettent, transfèrent ou convertissent des bitcoins. Ils ont donc refusé d'ouvrir quelque compte bancaire que ce soit. J'ai trouvé cette mesure discriminatoire, mais je me suis dit que c'était leur banque et qu'ils avaient le droit de choisir leurs clients.
Le sénateur Massicotte : Deux aspects de votre avenir me préoccupent. D'abord, la question de l'impôt. Vous avez parlé de l'impôt sur le revenu, mais aussi de la manière dont les impôts sous toutes leurs formes vous tombent dessus. Ensuite, il y a la question des taxes de vente.
En ce qui concerne cette deuxième question, j'aimerais aborder l'aspect des délais. Quand vous payez un paquet de gomme à mâcher avec votre carte de crédit dans un dépanneur, je crois qu'il y a un délai de six à huit minutes avant que le marchand puisse confirmer le paiement. Ce délai peut-il être réduit? C'est beaucoup de temps.
M. Perklin : Il y a une différence entre la transmission du paiement et son inscription dans la chaîne de blocs. Lorsqu'un paiement est transmis, n'importe qui peut le voir sur-le-champ. On peut voir que Michael vient tout juste de faire un paiement au sénateur Massicotte. Cependant, pour qu'il soit inscrit au registre public, le délai varie de 30 secondes à 1 heure.
Mais peu importe si le paiement a été inscrit au registre, je sais qu'il a été fait, car je peux repérer et suivre sa transmission sur le réseau. C'est le même processus que lorsqu'on achète un paquet de gomme à mâcher, sauf que la valeur d'une telle transaction est dérisoire. Il faut deux secondes : voilà la monnaie et voilà votre gomme à mâcher. Si vous achetez une maison ou une voiture, il faut passablement plus de temps pour s'assurer que les fonds nécessaires sont bel et bien là.
Le sénateur Massicotte : Mais le problème, c'est que lorsque vous allez dans un dépanneur... Je peux comprendre que vous voyiez la transaction, mais le marchand voudra quand même attendre le paiement, à moins qu'il ne connaisse le client. C'est le même principe qu'un chèque : le receveur veut s'assurer que le chèque passe. N'est-ce pas une forme d'obstacle ou...
M. Perklin : Pas pour les petites transactions. Pour un paquet de gomme à mâcher ou un café, le risque est minime. Mais pour une voiture ou une maison, le vendeur voudra s'assurer que toutes les conditions de la transaction ont été respectées. Vous aurez le temps d'attendre l'heure qu'il faudra pour obtenir confirmation.
M. Babin-Tremblay : Le temps de confirmation dont parle M. Perklin, est le temps qu'il faut pour que la confirmation soit inscrite dans la chaîne de blocs. Mais comme on peut voir la transaction dès qu'elle est transmise, tout le monde sait que le paiement a été fait.
Le recours à ce mécanisme de confirmation vise à décourager certains types d'attaques dont le réseau Bitcoin pourrait faire l'objet. L'une de ces attaques est celle de la double dépense, qui est probablement le risque le plus sérieux que nous tentons d'atténuer par cette mesure. Cela se produit lorsque quelqu'un envoie de l'argent à quelqu'un d'autre et qu'il essaie de renverser la transaction pour pouvoir dépenser cet argent une deuxième fois.
Voilà pourquoi nous avons ce mécanisme de confirmation. Plus il y a de confirmations, plus cher il en coûte à ceux qui tentent de dépenser en double. La personne visée devra en effet disposer d'un équipement de minage considérable pour prendre de court la chaîne principale du réseau, mettre au point leur propre version de la chaîne de blocs, dépenser l'argent et publier leur propre version de la chaîne de blocs, renversant du coup le traitement de toutes les transactions qui ont été faites dans l'intervalle.
Les coûts d'un tel scénario sont prohibitifs.
Si vous achetez un paquet de gomme à mâcher ou une boisson gazeuse, vous ne dépenserez pas les centaines de milliers de dollars, voire les millions, que coûte une telle attaque. C'est un mécanisme d'atténuation du risque qui permet de mettre en perspective le montant transféré. Si vous me dites que vous allez m'envoyer 100 millions de dollars en bitcoins, je vais attendre de recevoir mes six confirmations. Pour un paquet de gomme à mâcher, le risque importe peu.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Monsieur Babin-Tremblay, vous êtes économiste, n'est-ce pas?
M. Babin-Tremblay : Je travaille dans le domaine des finances quantitatives.
La sénatrice Bellemare : Je veux simplement discuter à nouveau d'un point concernant la masse monétaire des bitcoins. Il existe une formule en économie bien classique : MV=PQ; la masse monétaire multipliée par sa vélocité qui donne le prix plus les quantités produites. Dans le cas de la Banque du Canada, avec la monnaie fiduciaire imprimée par une banque, lorsqu'on augmente la masse monétaire, on peut jouer sur les taux d'intérêt.
Cela étant dit, lorsqu'on imprime des bitcoins, il n'y a pas d'impact sur le coût du crédit, mais cela peut jouer sur la valeur du bitcoin. Vous avez dit qu'il y a 21 millions de bitcoins; la valeur aura donc tendance à augmenter. Cependant, il y a aussi le « V » pour la vélocité.
M. Babin-Tremblay : Oui.
La sénatrice Bellemare : Puisque le bitcoin ne meurt pas, la vélocité est là et peut augmenter.
M. Babin-Tremblay : Oui, tout à fait.
La sénatrice Bellemare : C'est la valeur des transactions que nous pourrons effectuer avec 21 millions? Vous ne l'avez pas encore calculée?
M. Babin-Tremblay : C'est ce que j'ai essayé de représenter dans la figure 1. Les transactions journalières sont celles qui ont lieu chaque jour, en moyenne. Cela représente environ 80 000 transactions par jour au moment où l'on se parle. C'est une augmentation assez marquée, c'est une augmentation linéaire depuis le début du réseau des bitcoins.
En 2011, il y avait près de 5 000 transactions par jour et, maintenant, c'est environ 80 000. Donc, il y a clairement une relation entre les deux.
La vélocité exerce une influence assez directe sur le prix. Il y a un besoin d'acquérir des bitcoins pour les échanger. Évidemment, si je devais faire des transactions en bitcoins, il faudrait que je me les procure quelque part.
La sénatrice Bellemare : Lorsqu'on crée des bitcoins, ce n'est pas dans le cadre de transactions comme celles-là?
M. Babin-Tremblay : C'est le minage.
La sénatrice Bellemare : Cela influence la valeur du bitcoin et les coûts de production.
M. Babin-Tremblay : Oui et non. L'algorithme est conçu de façon à ce que si le nombre de personnes qui minent les bitcoins diminue, la difficulté du réseau diminue aussi. Donc, c'est un algorithme qui s'ajuste pour produire un bloc toutes les 10 minutes environ. Or, il y a une récompense associée à la production de ce bloc-là. En ce moment, on parle de 25 bitcoins par bloc, et ce nombre diminue de moitié environ tous les quatre ans. Il n'y a pas de facteur qui permette de figer le minage dans le temps. Cela sera toujours lié à la taille du réseau, en fonction de la production.
La sénatrice Bellemare : Ma dernière question concerne la Chine. En Chine, il y a beaucoup de monde et beaucoup de transactions. Vous avez dit que les Chinois étaient des utilisateurs de bitcoins; est-ce qu'ils s'en servent pour faire des affaires entre eux en yuans ou pour le commerce international?
On sait que Bitcoin est pratique pour les transactions internationales, mais est-ce que les internationaux, les Allemands, veulent acquérir des yuans? Comment est-ce que cela fonctionne en Chine?
M. Babin-Tremblay : C'est difficile d'avoir une image de ce qui se passe. Il faut être sur le terrain pour le constater nous-mêmes. Par contre, on peut présumer que l'une des raisons pour lesquelles on utilise beaucoup Bitcoin en Chine, c'est justement pour les mouvements de capitaux à l'extérieur du pays, qui sont extrêmement contrôlés par le gouvernement chinois. Cela semble être l'une des premières raisons pour lesquelles les gens pourraient vouloir utiliser Bitcoin et pourquoi il est aussi populaire en Chine. La Chine est encore un gouvernement communiste assez autoritaire. Je pense qu'il s'agit d'une réponse aux pratiques de ce gouvernement-là. Les gens utilisent Bitcoin un peu pour se soustraire à certaines pratiques du gouvernement qui seraient considérées comme abusives.
La sénatrice Bellemare : C'est une affirmation politique.
M. Babin-Tremblay : En quelque sorte.
La sénatrice Ringuette : Ma question sera très brève et fera suite à la question du sénateur Black concernant vos attentes et nos recommandations. Est-ce qu'on devrait recommander au receveur général du Canada d'accepter, comme paiement de la taxe sur les produits et services, de l'impôt relatif aux sociétés et de l'impôt personnel, les bitcoins?
[Traduction]
Mme Friedman : À votre connaissance, est-ce que cela se fait ailleurs? Cela a-t-il été tenté auparavant?
M. Pouliot : Non. Je ne le crois pas.
Mme Friedman : Et pourtant.
M. Perklin : Oui, il y en a un endroit où cela se fait. Le nom de la ville américaine où cela se fait m'échappe, mais je sais que l'on peut y payer ses taxes municipales en bitcoins et que le chef de la police est rémunéré en bitcoins. Je m'excuse, mais je ne sais pas le nom de cette ville.
Le président : Je suis certain que le comité serait ravi que vous lui transmettiez cette information par l'intermédiaire de notre greffière. Nous l'attendrons avec impatience.
M. Perklin : Vous l'aurez.
Une petite précision cependant, car je crois qu'il y a eu une erreur de communication un peu plus tôt. Sénatrice Bellemare, à l'heure actuelle, il n'y a pas 21 millions de bitcoins en circulation, mais bien 13,3 millions.
Le sénateur Tannas : J'aimerais revenir sur quelque chose. Les banques ont-elles déjà donné une raison à l'un d'entre vous pour leur refus de vous permettre d'ouvrir un compte? Était-ce à cause de la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, et du fait qu'elles n'arrivent pas à voir le bien-fondé de vos activités et à comprendre ce que vous faites? Ce sont elles qui sont aux premières lignes de la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Si vous faites quelque chose de mal, ce sont elles qui seront envoyées en prison.
Croyez-vous que ce soit leur excuse?
M. Hoegner : Les banques nous ont donné très peu de détails sur leur hésitation à faire affaire avec les intervenants de notre secteur. En définitive, c'est une question qu'il faudra poser aux banques. Elles ont évoqué certaines préoccupations sur la provenance des fonds et la difficulté de lier ces fonds à quelqu'un.
Là-dessus, je dirai deux choses. D'abord, c'est que ces problèmes — qui sont bien réels — peuvent être gérés et résolus. Ensuite, je peux vous affirmer que les banques internationales sont disposées à se lancer dans ce secteur d'activité.
En tenant compte de ces faits, il serait intéressant de poser la question aux banques.
Le sénateur Tannas : Vous êtes des entrepreneurs. Est-ce que l'un de vous a pensé à fonder une coopérative d'épargne et de crédit pour les gens qui s'intéressent au bitcoin?
M. Hoegner : Oui, cela a été envisagé, et certaines des plus grosses institutions de ce type — soyons justes — ne veulent pas accepter d'entreprises de services monétaires. Elles ne font pas de discrimination contre le Bitcoin, mais bien contre les entreprises de services monétaires.
Le sénateur Tannas : Mais qu'en serait-il si vous aviez votre propre coopérative d'épargne et de crédit pour les utilisateurs du Bitcoin?
M. Babin-Tremblay : C'est une possibilité qui a été débattue par la communauté du Bitcoin. Outre les deux raisons que j'ai données pour le refus des banques de faire affaire avec des entreprises Bitcoin, il y a aussi le risque d'atteinte à la réputation. Certaines banques ont parlé d'une concurrence directe. Je ne crois pas que cela en soit une, mais la concurrence directe a été évoquée.
Mme Friedman : Si je peux me permettre d'ajouter quelque chose, je crois qu'il sera intéressant de voir ce qui arrivera lorsque les règlements qui seront établis entreront en vigueur. Les banques pourront voir clairement les exigences auxquelles les entreprises de devises numériques seront assujetties. Lorsque ces obligations seront claires et que les entreprises de devises numériques obéiront exactement aux mêmes règles que les autres entreprises de services monétaires, il sera intéressant de voir si les banques seront oui ou non disposées à accepter ces clients.
Lorsque la loi sur la lutte au recyclage des produits de la criminalité a été proposée avec cette section sur les entreprises de services monétaires, les banques ont aussi fermé les comptes des entreprises de services monétaires traditionnelles. Il s'agissait d'une période d'ajustement durant laquelle les banques ont tenté de trouver des façons d'atténuer leurs propres risques. À cet égard, je crois que l'on peut leur accorder le bénéfice du doute. Or, il sera effectivement intéressant de voir comment elles se comporteront une fois que tout cela aura été un tant soit peu clarifié.
En guise de réponse à votre question sur la possibilité de créer une coopérative d'épargne et de crédit, permettez-moi de formuler une hypothèse. Je suis curieuse de voir comment cela pourrait se faire au Canada, où le secteur bancaire est encadré de très près par la Loi sur les banques, qui, pour la création d'une institution financière ordinaire comme une banque, impose des exigences élevées en matière de capital en plus d'autres obligations très coûteuses. Il se peut que cela soit un obstacle majeur à la création d'une banque canadienne susceptible de prendre en charge les cryptodevises.
Le président : Au nom de tous les membres du comité, je tiens à remercier chacun de nos témoins d'avoir été là aujourd'hui. Vous avez formé un groupe d'experts hors du commun. Nous vous sommes grandement reconnaissants.
Avant de terminer, dans ses observations préliminaires, M. Pouliot a fait allusion à M. Andreas Antonopoulos, expert de renom dans le domaine des cryptodevises. Je tenais à ce que vous sachiez qu'il sera notre témoin de mercredi prochain, une visite qui promet d'être des plus intéressantes.
La séance est levée.
(La séance est levée.)