Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 2 - Le deuxième rapport du comité
Le jeudi 28 novembre 2013
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a l'honneur de déposer son
DEUXIÈME RAPPORT
Votre comité, qui a été autorisé à examiner la teneur des éléments des Sections 2, 3, 9 et 13 de la Partie 3 du projet de loi C-4, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 mars 2013 et mettant en œuvre d'autres mesures, a, conformément à l'ordre de renvoi du mardi 5 novembre 2013, examiné ladite teneur du projet de loi et en fait maintenant rapport comme il suit :
En plus de fonctionnaires représentant le ministère des Finances, le comité a entendu la commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique ainsi qu'un représentant de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques et de l'Association des banquiers canadiens. Plusieurs groupes du secteur financier et des milieux juridiques ont été invités à s'exprimer au sujet des amendements proposés aux sections 2, 3, 9 et 13 de la partie 3 du projet de loi C-4. Ces groupes ont décliné l'invitation à comparaître. Le comité a tenu trois réunions pour examiner ces sections; la commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique et les représentants du ministère des Finances ont témoigné le 21 novembre 2013, le président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques a témoigné le 27 novembre 2013 et les représentants de l'Association des banquiers canadiens a témoigné le 28 novembre 2013. La Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada a remis un mémoire au comité.
Section 2
La section 2 de la partie 3 contient deux séries de propositions d'amendements que les fonctionnaires du ministère des Finances ont décrites comme faisant partie de l'effort du gouvernement fédéral destiné à actualiser les dispositions relatives aux conflits d'intérêts dans plusieurs lois. Tout d'abord, la section 2 aurait pour effet de modifier la Loi sur les banques, la Loi sur les sociétés d'assurances et la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt afin de permettre aux mandataires et employés de Sa Majesté du chef du Canada ou d'une province de siéger comme administrateurs au conseil d'administration d'une institution financière sous réglementation fédérale. Ensuite, la section 2 aurait pour effet de modifier la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières et la Loi sur l'Agence de la consommation en matière financière du Canada afin de supprimer l'obligation pour les membres du Comité de surveillance des institutions financières ainsi que pour le surintendant adjoint des institutions financières et le commissaire adjoint de l'Agence de la consommation en matière financière du Canada d'informer le ministre des Finances de leur intention de contracter un emprunt auprès d'une institution financière sous réglementation fédérale. Les fonctionnaires ont fait remarquer que ces dispositions étaient en place avant la promulgation de la Loi sur les conflits d'intérêts et que des changements eurent été apportés au Code de valeurs et d'éthique de la fonction publique; ces dispositions ne sont plus requises.
En ce qui concerne les amendements proposés qui permettraient aux employés du gouvernement de siéger comme administrateurs au conseil d'administration d'institutions financières, les fonctionnaires ont déclaré que le but du changement proposé est de permettre aux institutions financières sous réglementation fédérale de disposer d'un plus grand bassin de candidats aux postes offerts au sein de leurs conseils d'administration. Qui plus est, ce changement permettrait au gouvernement fédéral de trouver plus facilement des membres compétents parmi ses sociétés d'État.
Plusieurs sénateurs ont dit craindre que même s'il n'y a pas de conflit d'intérêts, le changement proposé ne donne la possibilité à un administrateur d'exercer une influence indue sur les politiques gouvernementales en raison de l'emploi qu'il occupe au sein de la fonction publique; qui plus est, l'objectivité de ces employés serait remise en question. Les fonctionnaires ont affirmé que la Loi sur les conflits d'intérêts, les politiques relatives aux conflits d'intérêts adoptées par les différentes sociétés d'État, le Code de valeurs et d'éthique de la fonction publique et les politiques sur les conflits d'intérêts applicables aux conseils d'administration d'institutions financières sous réglementation fédérale — lesquelles sont exigées par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) — permettraient de prévenir tout conflit potentiel. Ils ont ajouté que le Ministère n'avait pas consulté les gouvernements provinciaux au sujet de la section 2; cependant, les politiques sur les conflits d'intérêts applicables aux conseils d'administration d'institutions financières sous réglementation fédérale suffiraient à régler tout problème de conflit d'intérêts concernant des employés provinciaux. Abstraction faite de ces commentaires, plusieurs sénateurs se sont dits plutôt sceptiques quant à la nécessité et au mérite de ce projet d'amendent.
Certains sénateurs ont posé des questions sur les circonstances dans lesquelles un fonctionnaire siégerait au conseil d'administration d'une institution financière. En guise de réponse, les représentants du Ministère ont cité en exemple une coopérative de crédit sous réglementation provinciale pour les fonctionnaires fédéraux, qui compte des employés de la fonction publique fédérale au sein de son conseil d'administration, ce qui en fait une coopérative de crédit fédérale en vertu de la Loi sur les banques. Dans l'état actuel des choses, les fonctionnaires ne seraient pas autorisés à siéger comme administrateurs au sein du conseil d'administration, même s'il n'existait aucun conflit d'intérêts. Les représentants du Ministère ont également indiqué que des institutions financières sous réglementation fédérale avaient communiqué avec le Ministère parce qu'elles cherchaient à recruter un fonctionnaire, et que des membres de conseils d'administration de sociétés d'État s'étaient vu offrir des postes au sein de conseils d'administration d'institutions financières sous réglementation fédérale. Par ailleurs, les fonctionnaires du Ministère ont fait remarquer que le BSIF aurait indiqué publiquement que les conseils d'administration d'institutions financières sous réglementation fédérale devaient être composés de personnes disposant d'une plus grande connaissance du secteur financier. Ils ont toutefois reconnu que le Ministère ignorait s'il y avait des fonctionnaires qualifiés pour siéger au conseil d'administration d'une institution financière.
La commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique a souligné le fait que les conseils d'administration créés en vertu des mesures législatives que le projet de loi C-4 propose de modifier ne sont pas assujettis à la Loi sur les conflits d'intérêts; par conséquent, les fonctionnaires fédéraux siégeant à ces conseils seraient probablement régis par le Code de valeurs et d'éthique de la fonction publique. La commissaire a ajouté que si les amendements proposés devaient faire en sorte que la supervision de certains de ces fonctionnaires fédéraux lui incombe, il n'existe aucune interdiction automatique, dans la Loi, empêchant ces personnes d'accepter des postes au sein de conseils d'administration d'institutions financières. Qui plus est, la commissaire a précisé que le projet de loi C-4 aurait pour effet de modifier la Loi afin de permettre au gouverneur en conseil de déterminer quels groupes seraient visés par la Loi, ce que l'on ignore pour l'instant.
L'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques n'a pas proposé d'amendements au projet de loi C-4. Il remet en question la façon dont les amendements proposés à la section 2 amélioreraient la gouvernance des institutions financières sous réglementation fédérale. Il soutient que si des fonctionnaires devaient recevoir, pour leur travail au sein d'un conseil, une rémunération plusieurs fois supérieure à celle de leur travail dans la fonction publique, ils pourraient devenir complaisants dans l'exécution de leurs responsabilités de fonctionnaires. L'Institut fait aussi remarquer que les conseils d'institutions financières évitent souvent de recruter des fonctionnaires fédéraux en raison de la contribution limitée que ces fonctionnaires pourraient faire comme membres d'un conseil en cas de conflit d'intérêts potentiel. Il a aussi émis des réserves concernant la durée requise du mandat des membres de conseils qui travaillent à temps plein dans la fonction publique. De plus, l'Institut n'est pas d'accord avec l'assertion des représentants du Ministère selon laquelle les institutions financières sous réglementation fédérale ont besoin d'un grand nombre de candidats potentiels pour pourvoir aux postes de leurs conseils; à son avis, le Canada compte suffisamment de candidats potentiels, y compris des fonctionnaires à la retraite.
L'Association des banquiers canadiens a fait savoir que les dispositions du projet de loi C-4 qui auraient un impact sur les institutions financières sous réglementation fédérale étaient principalement de nature technique. Elle a précisé que ni elle ni ses membres n'avaient demandé au ministère des Finances d'apporter de tels changements à la Loi sur les banques.
L'Association des banquiers canadiens a affirmé qu'elle ne voyait pas de problèmes avec les amendements proposés à la section 2, arguant que les gouvernements fédéral et provinciaux disposaient d'un solide cadre, à la fois dans les politiques du conseil des institutions financières et dans le devoir qu'ont les administrateurs, en vertu de la common law, de régler les conflits d'intérêts potentiels. En outre, elle a fait remarquer que l'amendement proposé s'appliquerait à un nombre limité de personnes et que s'il y avait un conflit d'intérêts, il serait réglé au cas par cas; au besoin, la personne concernée pourrait se récuser et s'abstenir de voter. Selon l'Association des banquiers canadiens, il existe un flou quant à savoir quels fonctionnaires seraient autorisés à siéger au conseil d'une institution financière sous réglementation fédérale. Certains sénateurs ont dit craindre que les fonctionnaires siégeant à des conseils aient des loyautés concurrentes; ils estiment que les fonctionnaires doivent leur loyauté aux Canadiens et non aux actionnaires d'une banque.
En ce qui concerne les amendements proposés en vue de supprimer l'obligation, pour certains employés gouvernementaux, d'informer le ministre des Finances de leur intention de contracter un emprunt, les fonctionnaires ont indiqué qu'il est normal qu'une personne ait des prêts d'institutions financières et que les employés du gouvernement ayant obtenu de tels prêts en informent le ministre des Finances. Toutefois, les fonctionnaires ont précisé que si l'un de ces employés tentait d'obtenir un taux d'intérêt inférieur à celui offert à d'autres, il se trouverait en position de conflit d'intérêts, ce qui serait interdit par les lois pertinentes en vigueur ou le Code de valeurs et d'éthique de la fonction publique.
L'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques a déclaré, par exemple, qu'il serait « sage » que le ministre des Finances soit au courant de situations où un dirigeant du Bureau du surintendant des institutions financières emprunterait de grosses sommes d'argent auprès d'une institution financière sous réglementation fédérale.
En ce qui concerne les amendements proposés à l'obligation d'informer le ministre des Finances de l'intention d'emprunter, l'Association des banquiers canadiens a déclaré que ces changements proposés moderniseraient la législation et qu'il n'y avait rien d'exceptionnel au fait que certains dirigeants contractent un emprunt auprès d'une institution financière.
Section 3
En 2012, le projet de loi S-5, Loi modifiant la législation régissant les institutions financières et comportant des mesures connexes et corrélatives, établissait que le ministre des Finances doit approuver les transactions pour des montants supérieurs à un seuil déterminé lorsqu'une institution financière sous réglementation fédérale d'une certaine taille fait l'acquisition d'une institution financière étrangère. La section 3 de la partie 3 du projet de loi C-4 aurait pour effet de modifier la Loi sur les banques, la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt, la Loi sur les sociétés d'assurances et la Loi sur les associations coopératives de crédit afin de préciser que les institutions financières sous réglementation fédérale n'ont pas le droit d'acquérir indirectement des institutions financières étrangères.
Les fonctionnaires ont indiqué que l'amendement proposé garantirait l'exigence de l'approbation ministérielle pour toutes les acquisitions d'institutions financières étrangères, peu importe la forme de l'acquisition. Ils ont fait remarquer, à propos des transactions pour lesquelles l'approbation ministérielle serait requise, qu'il existe des seuils, mais aucun plafond; de plus, ils ont rappelé que la capitalisation des banques reste sous la supervision du surintendant des institutions financières.
Au sujet de la section 3, l'Association des banquiers canadiens a dit que l'amendement proposé devrait être conforme à l'esprit des politiques gouvernementales et des déclarations du ministre des Finances.
Section 9
La section 9 de la partie 3 aurait pour effet de modifier la Loi sur la gestion des finances publiques afin de permettre aux sociétés d'État désignées par le ministre des Finances de donner en gage des liquidités ou des valeurs mobilières pour garantir le paiement de produits dérivés de gré à gré.
Les fonctionnaires ont expliqué que la réforme du marché des produits dérivés de gré à gré, qui a été entreprise par le Groupe des Vingt pays en réaction à la crise financière mondiale, encourage le recours aux garanties financières et à la compensation centrale pour les transactions visant les produits dérivés de gré à gré; les sociétés d'État qui participent au marché des produits dérivés de gré à gré doivent assumer des coûts de transaction plus élevés, car elles sont incapables de donner des garanties. Qui plus est, les fonctionnaires ont indiqué que la section 9 ne permettrait pas de donner de garantie gouvernementale pour les transactions visant les produits dérivés de gré à gré, et qu'elle ne propose pas non plus que le gouvernement fédéral ou ses sociétés d'État agissent comme chambres de compensation centrale. Ils ont fait remarquer, en outre, que le Royaume-Uni, le Danemark et la Suède se sont dotés de politiques semblables.
Section 13
La section 13 de la partie 3 aurait pour effet de modifier la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes afin de préciser que rien, dans la Loi, n'obligerait quiconque à divulguer des informations protégées en vertu du secret professionnel au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE). La section 13 permettrait également de garantir que les renseignements transmis par le CANAFE à des organismes d'application de la loi concernant une contravention à la partie 1 de la Loi, ou à la partie 1.1, lorsqu'elle entrera en vigueur, ne pourront être utilisés par les organismes visés qu'à titre de preuve de la contravention.
Les fonctionnaires ont expliqué que les amendements proposés visent à clarifier les intentions du gouvernement à l'égard de ces dispositions, à la suite de la décision rendue par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Federation of Law Societies of Canada v. Canada (Attorney General), 2013 BCCA 147. Le tribunal a conclu que les articles actuels de la Loi sont ambigus en ce qui a trait à l'interprétation possible de ces dispositions. En réponse aux préoccupations exprimées par les sénateurs au sujet de la possibilité que l'amendement proposé empêche la tenue d'enquêtes criminelles sur le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, les fonctionnaires ont tenu à préciser que les dispositions proposées ne s'appliqueraient qu'au rôle du CANAFE de contrôle de l'application de la Loi.
Dans le mémoire qu'elle a remis au Comité, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada soutient que même si les modifications proposées à la section 13 protégeaient mieux les communications visées par le secret professionnel, elles ne régleraient en rien d'autres aspects de la relation avocat-client qu'il faudrait maintenir, comme l'indépendance des barreaux et le devoir de loyauté de l'avocat envers son client. La Fédération a fait savoir que le Parlement devrait respecter la conclusion de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique selon laquelle les avocats ne devraient pas être assujettis aux obligations de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
En ce qui concerne les amendements proposés à la section 13, l'Association des banquiers canadiens a mentionné qu'elle s'informerait auprès de ses membres quant au fait de déclarer les sommes déposées dans des fiducies.
Respectueusement soumis,
Le président,
IRVING GERSTEIN