Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 9 - Témoignages du 30 avril 2014
OTTAWA, le mercredi 30 avril 2014
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 22, pour examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international.
Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bon après-midi, sénateurs. Je déclare la séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ouverte.
Aujourd'hui, nous avons le plaisir de recevoir M. Stephen Poloz, gouverneur de la Banque du Canada, et M. Tiff Macklem, premier sous-gouverneur. Ils sont ici pour nous parler des prévisions économiques de la Banque du Canada et de son plus récent rapport sur la politique monétaire, ainsi que pour donner au comité une mise à jour sur l'état de santé général de l'économie canadienne.
Avant de céder la parole au gouverneur, j'aimerais attirer votre attention, chers collègues, sur deux jalons importants dans la carrière du gouverneur et de M. Macklem. Le premier, qui tombera le vendredi 2 mai, marquera le premier anniversaire de la nomination de M. Poloz au poste de gouverneur de la Banque du Canada.
Le deuxième jalon est qu'aujourd'hui marque la dernière journée de M. Macklem au poste de premier sous- gouverneur. Au cours des prochains mois, M. Macklem deviendra doyen de l'École de gestion Rotman de l'Université de Toronto.
Au nom de tous les membres du comité, je tiens à vous remercier tous les deux de votre travail à la banque.
Sur ce, je cède maintenant la parole au gouverneur pour ses remarques liminaires. Gouverneur, la parole est à vous.
Stephen S. Poloz, gouverneur, Banque du Canada : Merci beaucoup et merci de votre invitation, à Tiff et à moi, à venir vous présenter aujourd'hui les faits saillants des plus récentes prévisions économiques publiées par la Banque du Canada.
La banque s'est engagée à communiquer ouvertement et efficacement afin que les Canadiens sachent comment elle s'y prend pour réaliser son mandat, qui consiste à favoriser la prospérité économique et financière du pays. Je pense qu'un des meilleurs moyens pour ce faire est de venir témoigner devant votre comité et de répondre à vos questions.
J'exposerai dans un premier temps les perspectives d'évolution de l'inflation établie par la banque, puis celles concernant la croissance de l'économie mondiale et de l'économie canadienne. Nous aborderons ensuite certains travaux de recherche menés récemment par la banque et nous terminerons par les tendances observées à l'heure actuelle.
Commençons par l'inflation. L'inflation demeure faible au Canada. Nous prévoyons que l'inflation mesurée par l'indice de référence restera nettement en deçà de notre cible de 2 p. 100 cette année et qu'elle retournera à la cible d'ici deux ans. En revanche, l'inflation mesurée par l'IPC globale devrait se rapprocher de la cible au cours des prochains trimestres en raison de facteurs temporaires.
Permettez-moi de vous expliquer ces deux différences. Nous nous attendons à ce que les capacités excédentaires au sein de l'économie et la concurrence accrue dans le commerce de détail maintiennent l'inflation mesurée par l'indice de référence sous la cible jusqu'au premier mois de 2016. En même temps, les prix à la consommation de l'énergie plus élevés, notamment le pétrole et le gaz naturel, et le niveau plus faible du dollar canadien contribueront à faire remonter l'inflation mesurée par l'IPC globale très près de la cible. L'inflation mesurée par l'IPC globale demeurera relativement près de la cible tout au long de la période de projection, alors même que la pression à la hausse exercée par les prix de l'énergie s'estompera, car les effets de la concurrence dans le commerce de détail vont s'amenuiser graduellement, et les capacités inutilisées, se résorber. Avec ces deux effets, l'inflation mesurée par l'indice de référence remontera graduellement à 2 p. 100 et rattrapera l'inflation mesurée par l'IPC globale.
[Français]
Passons aux perspectives économiques. La croissance mondiale devrait se raffermir au cours des trois prochaines années à mesure que les vents contraires qui ont bridé l'activité se dissiperont.
Dans l'ensemble, le taux de croissance de l'économie mondiale devrait augmenter pour s'établir à 3,3 p. 100 en 2014 et à 3,7 p. 100 en 2015 et 2016. Au Canada, la croissance du PIB réel devrait avoisiner 2,5 p. 100 en moyenne en 2014 et en 2015, avant de ralentir pour se situer autour de 2 p. 100.
Ces chiffres concordent pour l'essentiel avec les prévisions de la banque publiées en janvier, mais ils ne rendent pas compte de l'aspect qualitatif des perspectives, qui ont changé de façon notable, surtout en ce qui concerne les pays émergents et l'Europe.
La croissance en Europe est modeste, mais l'inflation demeure trop faible et la reprise, qui donne des signes encourageants, pourrait être compromise par la situation concernant la Russie et l'Ukraine.
[Traduction]
La Chine et d'autres économies émergentes affichent une croissance solide, quoique les vulnérabilités financières soient plus préoccupantes, en particulier l'intensification de la volatilité sur les marchés en raison de l'incertitude politique.
Cependant, la reprise économique aux États-Unis se déroule comme prévu, malgré les chiffres peu élevés enregistrés dernièrement, qui sont en grande partie attribuables aux conditions météorologiques inhabituelles. De fait, la demande privée pourrait se révéler plus forte qu'escomptée.
Par ailleurs, les difficultés auxquelles l'économie canadienne est confrontée ne vous sont pas inconnues. Les défis sur le plan de la compétitivité pèsent encore sur la capacité des exportateurs canadiens de profiter du renforcement de la croissance à l'étranger. Compte tenu de l'importance du secteur des exportations dans une économie ouverte comme la nôtre, et du décalage grandissant entre les exportations canadiennes et la demande étrangère, la banque a approfondi son analyse du secteur des exportations, et notamment des exportations hors énergie.
Quand on subdivise le secteur des exportations hors énergie en un grand nombre de sous-secteurs — 31, pour être plus précis —, des tendances et des faits intéressants se dégagent. Premièrement, on découvre que certains sous- secteurs, comme les machines et le matériel, les matériaux de construction, les services commerciaux et les aéronefs et pièces d'aéronef, évoluent en phase avec les facteurs fondamentaux, voire font mieux que les sous-secteurs américains correspondants. Cela donne à penser qu'à mesure que la reprise aux États-Unis gagnera en vigueur et se généralisera, beaucoup de nos exportations en bénéficieront. Le niveau plus faible du dollar canadien contribuera aussi au redressement de ces sous-secteurs.
D'autres sous-secteurs, dont les constructeurs de camions et de véhicules automobiles, les fournisseurs d'aliments et de boissons et les fabricants de produits chimiques, profiteront eux aussi d'un dollar plus faible, mais dans une moindre mesure, étant donné qu'ils doivent faire face à de plus grands défis sur le plan de la compétitivité. Leur reprise sera ainsi plus lente.
Le portrait global de la situation laisse entrevoir une convergence graduelle entre le taux de croissance des exportations canadiennes et celui de l'économie américaine. Mais cette étude plus détaillée indique que le décalage entre les exportations et la demande étrangère est appelé à persister. Ce décalage représente de 35 à 40 milliards de dollars en exportations qui ont, de fait, disparu.
Ne vous y trompez pas. Ce décalage est réel et important. La bonne nouvelle, c'est que nous savons maintenant plus précisément ce qu'il touche : la moitié environ de nos exportations hors énergie. La mauvaise nouvelle, c'est que la tenue de ces sous-secteurs est pire qu'on ne le pensait précédemment. Cette compréhension plus approfondie de ce secteur est précieuse, mais elle n'atténue pas nos inquiétudes concernant les défis qui nous attendent.
Nous croyons encore que la hausse de la demande mondiale de biens et de services canadiens, conjuguée au niveau élevé postulé pour les prix du pétrole, stimulera les investissements des entreprises au Canada et contribuera à réorienter l'économie sur une trajectoire de croissance plus soutenable.
[Français]
Nous continuons à nous attendre à un atterrissage en douceur dans le marché du logement et à une stabilisation du ratio de la dette au revenu des ménages canadiens. Néanmoins, les déséquilibres restent élevés dans le secteur du logement et poseraient un risque important si la situation économique se détériorait. Nous observons, de manière anecdotique, du moins, que de plus en plus de gens sont conscients de ce risque. Les consommateurs se comportent de façon responsable. Par exemple, les acheteurs optent pour des maisons moins chères que ce que leur crédit leur permettrait, et ce afin d'éviter de se retrouver surendetté si les taux d'intérêt montent.
Les banques se montrent également plus prudentes dans l'octroi de prêts. Elles veillent à ce que les emprunteurs soient en mesure d'assurer le service de leurs dettes si les taux augmentent. Ainsi, même si le risque pourrait être notable, nous sommes convaincus qu'il n'est pas démesuré.
[Traduction]
En somme, la banque est encore d'avis que les moteurs déterminants de la croissance et de l'inflation se raffermissent graduellement au Canada. Toutefois, ce point de vue est fortement tributaire du redressement projeté des exportations et des investissements.
Selon un consensus de plus en plus large, quand l'inflation aura regagné la cible, les taux d'intérêt demeureront plus bas que ce à quoi nous étions habitués dans le passé — en raison de l'évolution démographique et parce que, après s'être maintenus à des niveaux exceptionnellement bas pendant une période aussi longue, les taux d'intérêt n'auront pas à varier autant pour exercer le même effet sur l'économie.
L'inflation sous-jacente devant rester sous la cible pendant quelque temps, les risques à la baisse entourant l'inflation demeurent importants, de même que les risques associés aux déséquilibres dans le secteur des ménages.
La banque estime que la résultante de ces risques reste dans la zone pour laquelle la politique monétaire actuelle est appropriée et, comme vous le savez, elle a décidé le 16 avril de maintenir le taux cible du financement à un jour à 1 p. 100. Le moment et l'orientation du prochain changement du taux directeur seront fonction de l'influence des nouvelles informations sur la résultante des risques.
Avant que Tiff et moi répondions à vos questions, j'aimerais prendre un moment pour dire quelques mots sur l'homme assis à mes côtés. La relation de Tiff avec la banque remonte à loin, à 1984, à l'époque où, nouvelle recrue, il venait d'obtenir sa maîtrise, et je venais de l'embaucher. Les contributions qu'il a apportées tout au long de sa carrière ont été considérables. À la banque, son intelligence et ses compétences en gestion nous manqueront. Mais nous regretterons aussi l'excellent ami qu'il était pour de nombreux collègues, moi y compris.
Nous savons néanmoins que Tiff continuera à contribuer au bien-être financier du Canada en tant que doyen de l'École de gestion Rotman, où il s'attachera à assurer la formation de la prochaine génération d'économistes et de chefs d'entreprise qui garantiront au Canada un avenir prospère.
Tiff s'est acquitté de ses fonctions de premier sous-gouverneur avec un tel brio que pour le remplacer, nous avons dû scinder son poste en deux et trouver deux personnes pour lui succéder. J'ai le plaisir d'annoncer que nous serons en de bonnes mains. Je me réjouis à la perspective de vous présenter Carolyn Wilkins, la prochaine première sous- gouverneur, en temps et lieu. Carolyn supervisera la planification stratégique et les opérations de la banque, et partagera la responsabilité de la politique monétaire.
Je serai heureux également de collaborer avec notre nouveau chef de l'exploitation, Filipe Dinis. Il sera chargé de la gestion de l'ensemble des fonctions administratives de la banque.
Sur ce, Tiff et moi serons heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur le gouverneur, de vos remarques liminaires.
Le sénateur Black : Avant de vous poser mes questions, monsieur Macklem, j'aimerais d'abord, au nom de tous les Albertains, vous remercier de vos contributions. Vous êtes un modèle pour la fonction publique et pour votre contribution au bien commun du Canada, et nous vous en sommes reconnaissants.
Comme le gouverneur l'a dit, l'Université de Toronto est très chanceuse de vous avoir. Je vous souhaite bonne chance. Vous allez nous manquer à Ottawa, mais comme le gouverneur l'a aussi dit, nous comptons sur vous pour que la prochaine génération nous surpasse.
Ma première question concerne un article que j'ai lu cette semaine au sujet de l'éclatement de la bulle immobilière chinoise. Si cela se produisait, quelles seraient les conséquences pour notre économie?
M. Poloz : Dans votre rapport sur la politique monétaire, nous avons relevé les risques en Chine comme étant importants et à surveiller de près. Cela est peut-être un peu moins précis que le risque que vous avez soulevé, celui de l'immobilier, mais c'est surtout lié au système financier, qui pourrait évidemment être catalysé par le genre de risque dont vous avez parlé.
La Chine, bien sûr, a enregistré une croissance extraordinaire sur une longue période, et elle a déjà connu des ratés. Mais en gros, ils n'ont pas eu d'effets à long terme. Ils étaient le genre de ratés que l'on voit dans des économies qui se développent de cette manière.
Le système financier présente un certain nombre de vulnérabilités, et nous aurions certainement peur de croire que nous serons à l'abri. Ce n'est pas du tout le cas. Rappelez-vous les États-Unis, au début de la crise en devenir de 2007. Des articles à l'époque prédisaient que le monde y échapperait aussi parce que le monde possède deux voies de croissance. Or, nous nous sommes aperçus que nous sommes plus intégrés que jamais.
Nous sommes très attentifs à la situation. Ce qui se passerait, c'est qu'il y aurait une perturbation qui entraînerait un ralentissement important de l'économie de la Chine. Même si la croissance de l'économie ralentissait à seulement 5 p. 100, ce qui peut quand même sembler peu négligeable, cela aurait une incidence considérable sur les marchés mondiaux des produits de base en particulier. Bien des pays, y compris le nôtre, verraient une détérioration de ce qu'on appelle les termes de l'échange, comme le cours du pétrole et du charbon et de quelques autres principaux produits exportés. Le prix des ressources, entre autres, baisserait. Nous ne serions pas, évidemment, les seuls touchés. Il y a une grande corrélation entre les termes de l'échange du Canada et ceux du Brésil, du Mexique et d'autres encore. Donc, bien des pays en ressentiraient les répercussions.
L'incidence immédiate, pour nous, serait une réduction des recettes de nos échanges commerciaux, un ralentissement important de l'économie, une diminution de l'investissement dans ces secteurs et beaucoup d'incertitude sur la durée probable de cette situation. Elle pourrait aussi, bien entendu, se répercuter sur notre propre système bancaire. Ce système est très vigoureux, mais il en souffrirait néanmoins. Donc, il ne faut pas prendre ce risque à la légère.
Quand on dit qu'il faudra environ deux ans avant que l'inflation reprenne la trajectoire souhaitée, on suppose que rien de tout cela ne se produit. Si une telle situation venait qu'à nous désarçonner, il faudrait réévaluer les risques relatifs que présente le déséquilibre dans le secteur des ménages et le risque en matière d'inflation. Le taux d'inflation est déjà bien inférieur à l'objectif visé, et il pourrait ainsi être encore plus poussé à la baisse.
Le sénateur Black : Monsieur le gouverneur, peut-être cela vient-il des commentaires que vous avez faits la semaine dernière à Saskatoon, sur lesquels vous avez encore insisté aujourd'hui, à savoir — et ce sont là mes mots, peut-être pas les vôtres — que les producteurs non compétitifs perdent une part du marché en raison de ce que vous décrivez comme un écart. Je comprends que la banque sait où surviennent ces problèmes. Ce qui m'intéresse, c'est pourquoi nous en sommes arrivés là. Quel est le problème?
M. Poloz : C'est une question complexe, et cela varie beaucoup d'une firme à l'autre, d'un secteur à l'autre. Mais partons de la base. Le Canada n'a pas de solides antécédents pour ce qui est de la génération de nouvelle croissance de la productivité. Nous en sommes tous conscients. Si nous remontant une génération en arrière, nous avions une croissance de la productivité de quelque 30 points de pourcentage de moins que les États-Unis. Il y a toutes sortes d'explications possibles à cela. Les économies ne sont pas les mêmes, et il y a beaucoup de facteurs statistiques. Nous n'entrerons pas dans ce sujet.
Le fait est que nous avons en moyenne sous-investi dans l'équipement visant à accroître la productivité, dans l'infrastructure peut-être et dans toutes sortes de facteurs qui entrent en compte dans l'équation de la compétitivité. Néanmoins, depuis peu, la compétitivité d'une compagnie dépend de sa productivité, et au bout du compte, des coûts de sa production. Ses concurrents peuvent bien être au Mexique, aux États-Unis ou ailleurs. Si elle ne tient pas la cadence et que le taux de change augmente, cela ne fera qu'aggraver la situation.
Ce qui se passe depuis la crise ou peut-être un peu avant, comme je le disais, c'est qu'il y a eu une augmentation dans les termes de l'échange, c'est-à-dire le coût global des ressources que nous produisons comparativement à d'autres choses.
De nos jours, les termes de l'échange sont d'environ 25 p. 100 supérieurs en moyenne à ce qu'ils étaient dans les années 1990. Le principal catalyseur, c'est le cours mondial de l'énergie — le pétrole —, mais il ne s'agit pas que du pétrole.
Bien sûr, c'est une mesure positive. Voilà sur quoi portait surtout mon discours à Saskatoon. Donc, pour tout ce que nous faisons, il y a quelqu'un qui est prêt à nous payer encore plus. Alors aujourd'hui, le revenu moyen du Canada est d'environ 7 p. 100 plus élevé qu'il le serait sans cette augmentation des prix du pétrole. Tout le monde en profite. Cependant, une des conséquences à long terme, c'est que les termes de l'échange et le taux de change ont tendance à être liés, si bien que le dollar canadien a une plus grande valeur qu'il y a 10 ans pour de nombreuses raisons, dont l'amélioration des termes de l'échange, qui en est une très importante.
Voilà en partie comment la richesse est distribuée. Ce mécanisme augmente de façon générale notre pouvoir d'achat. Par contre, cela veut dire que si vous êtes une entreprise qui ne vend pas de pétrole ou d'autres ressources, votre capacité de livrer concurrence aux autres s'est détériorée, quelle que soit votre productivité.
Cela fait partie du mécanisme d'ajustement que les économistes comprennent. Cela signifie que pendant une certaine période, mesurée en années, il y a une économie à deux vitesses : l'économie des ressources à haute vitesse, et la vitesse plus basse. Disons le « secteur manufacturier », mais c'est plus précis que cela.
Il y a cette voie plus lente, et disons que nous obtenons en moyenne 2,5 p. 100. Cet ajustement prend du temps, et plus d'investissement et plus de main-d'œuvre se déplacent vers les secteurs en évolution rapide à partir des secteurs au ralenti. C'est un processus d'ajustement qui se poursuivra pendant la reprise. Nous aurons ces deux vitesses.
Les entreprises s'en apercevront avec la montée du dollar. Elles ne comprendront pas que c'est ce qui s'est produit. Bien sûr, comme vous pouvez le voir, c'est beaucoup plus compliqué, mais c'est un facteur très important, et la perte d'environ deux tiers de la compétitivité des 10 dernières années est due à la valeur du dollar.
Le sénateur Black : C'est une réponse très utile.
[Français]
La sénatrice Hervieux-Payette : Merci. Je réitère mes souhaits de bienvenue à nos collègues, et je souhaite bonne chance, et surtout, beaucoup de plaisir dans son nouveau travail à M. Macklem, et je tiens à le remercier pour l'excellent travail qu'il a fait avec nous. Monsieur Poloz, vous avez une grosse tâche devant vous. Vos prédécesseurs ont fait un travail fantastique; vous devez donc partir d'assez haut pour vous mesurer à ces champions.
Il y a un mythe que j'aimerais éclaircir. On nous dit que les États-Unis ont continué à stimuler l'économie, surtout à cause de l'impact de la crise économique, et qu'ils ne se sont pas mis, eux, en position de restreindre leurs dépenses, mais qu'ils ont continué à dépenser alors que la Banque mondiale, qui joue un rôle marquant, a imposé des restrictions importantes à la reprise en Europe.
Il me semblait y avoir une dichotomie entre la façon dont les États-Unis abordaient la question et le rôle qu'a joué la Banque mondiale qui, peut-être, a ralenti la croissance économique en Europe.
Est-ce un mythe que de penser que le fait que des restrictions épouvantables aient été imposées en Grèce, par exemple, et probablement aussi en Italie, a ralenti la reprise et que, finalement, le remède était peut-être trop fort pour la maladie?
M. Poloz : Je pense qu'il faut aborder cela en ayant une compréhension du choc qui a eu lieu aux États-Unis. C'était un choc mondial. Moi, je me le représente comme une bulle financière qui a affecté le marché financier mondial. Après la bulle, il reste un cratère qui est de même taille que la bulle. Ce n'est pas par hasard que la bulle a mis presque sept ans à se construire. Je pense que ça va prendre approximativement sept ans pour la corriger. Ça nous laisse deux ans pour reconstruction et faire les ajustements.
Durant cette période, le choc est apparu en Europe, où les implications étaient différentes, parce que, dans ce contexte, il y a eu des problèmes fiscaux dans quelques pays d'Europe. Donc, les ajustements, même s'ils ont été difficiles aux États-Unis, étaient moins faciles à faire en Europe, car la complication était, en fait, un risque de défaut de la part d'un gouvernement. C'est pourquoi les ajustements d'austérité ont été mis en place, et par conséquent, on a vu des exemples où, me semble-t-il, les politiques ont restreint la croissance au lieu de l'inverse.
D'autre part, c'est le mélange des politiques qui compte. Nous avons des taux d'intérêt à zéro; c'est très stimulant, et c'est le mécanisme le plus important, quant à moi, pour corriger la situation. Et on voit que la reprise s'amorce en Europe. C'est encore une reprise fragile, et c'est pourquoi on mentionne que les problèmes entre l'Ukraine et la Russie pourraient peut-être miner la confiance, les investissements, et cetera, en Europe. Alors cette reprise fragile est maintenant remise en question. En même temps, le taux d'inflation est très bas. C'est une situation très, très difficile du point de vue d'une politique monétaire.
Je ne sais pas si cela répond à votre question.
La sénatrice Hervieux-Payette : Ça me donne une idée.
Tiff Macklem, premier sous-gouverneur, Banque du Canada : J'aimerais ajouter quelques points. Aux États-Unis, le choc a été très grand. Il est important de souligner que, même si ça a été très difficile et très complexe durant la crise, quand on regarde la situation aujourd'hui, ils ont pris des mesures assez agressives : beaucoup de détente monétaire, un stimulus monétaire très agressif.
Ils ont injecté des fonds propres dans leurs banques pour augmenter leur capital; ils ont fait des tests de tension très rigoureux pour restaurer la confiance dans le système financier. Ces mesures ont pris du temps, mais on voit maintenant que l'économie américaine commence à prendre plus de force, on le voit dans nos prévisions. Cela reflète le fait qu'ils ont pris ces mesures.
En Europe, plusieurs pays prennent des mesures, mais il s'agit d'un système politique plus compliqué, et ça a pris plus de temps. Maintenant, ils ont une opportunité, car la Banque centrale européenne est en train d'effectuer des tests de tension sur leurs banques. C'est une occasion de rétablir la confiance en leurs banques. Ils ont une reprise, mais elle est en retard sur celle des États-Unis et est plus fragile, donc il y a plus de risques.
[Traduction]
La sénatrice Hervieux-Payette : Comment va Bâle III? En général, est-ce que l'on va dans la bonne direction, avec tous les autres acteurs?
M. Poloz : Oui. Je pense qu'il n'y a aucun doute que le système financier d'aujourd'hui est plus sécuritaire que celui que nous avions avant. Il contient plus de capitaux. Il a plus de liquidités et s'ajuste mieux à ce qui passe. Nous croyons que la source du problème était un effet de levier excessif dans le système bancaire, alors toute cette nouvelle architecture réglementaire nous a placés dans une meilleure position. Il reste d'autres choses à régler, et nous en viendrons à une conclusion naturelle au sommet des dirigeants cet automne en Australie. Il restera 20 p. 100 des questions à résoudre. Nous aurons réglé 80 p. 100 des questions cette année.
On pourrait dire que ce mouvement mondial — c'est peut-être trop général — est surtout allé dans ce qu'on appelle une « direction canadienne ». Une culture du risque plus prudente fait partie des caractéristiques de ces nouveaux règlements.
M. Macklem : Pour vous donner un chiffre, les banques d'Amérique du Nord et d'Europe — surtout les banques américaines et européennes — ont attiré environ 660 milliards de dollars en capitaux frais, et c'est surtout dû au fait que l'accord de Bâle a attiré des capitaux et en a accru la qualité. Des détracteurs disaient que l'accord écraserait la reprise et empêcherait les prêts. En fait, l'inverse s'est produit. On a rétabli la confiance envers le système financier, et c'est un aspect clé de la reprise.
Le sénateur Tkachuk : Bienvenue, monsieur le gouverneur et monsieur Macklem. Je voudrais poser deux questions. La première concerne le dollar canadien, dont la valeur diminue ces derniers temps par rapport au dollar américain, après avoir été au même niveau pendant une longue période. Hier, monsieur le gouverneur, vous avez dit que le dollar est un facteur qui a contribué au déclin du niveau attendu d'exportations canadiennes. J'imagine que cette baisse — je pense qu'il vaut 90 cents aujourd'hui — contribuera à renverser cette tendance, bien que ce ne soit pas le seul facteur. Le déclin masquera un autre facteur, dont vous avez parlé, à savoir la productivité. C'est un peu un cercle vicieux. J'ai eu d'excellentes conversations avec le gouverneur Dodge à propos du dollar à 65 ¢ et de l'effet sur la productivité. Je ne sais pas si c'était un cauchemar qui a toujours des répercussions aujourd'hui sur la productivité, mais j'aime quand le dollar est fort. Je n'aime pas quand le dollar est en baisse, mais, bon, je ne suis pas un économiste. Je suis un simple politicien des Prairies qui s'inquiète du coût des importations et des intrants qui, pour nous, sont presque toujours importés d'autres pays, ce qui fait bien entendu monter le coût des intrants dans notre région. Peut-être pourriez-vous nous en parler un peu, et j'aurai ensuite une autre question. J'essaierai de me limiter à deux, monsieur le président.
M. Poloz : En gros, votre résumé est exact, et cela démontre à quel point cette question est complexe. Premièrement, nous ne pouvons choisir d'aucune façon quelle sera la valeur de notre dollar. J'ai déjà dit que les termes de l'échange étaient un facteur important pour donner de la force au dollar. La semaine dernière, j'ai comparé cela à prendre une marche dans le parc avec son chien. Après avoir marché dans le parc — vous êtes les termes de l'échange et le chien est le dollar — avec une de ces laisses qui s'étirent et qui reviennent s'enrouler, les empreintes laissées ressembleront beaucoup au tableau d'un économiste, car les empreintes du chien croiseront les vôtres. Ce qui est important, c'est que lorsque vous sortirez de l'autre côté du parc, vous soyez toujours ensemble. Voilà en gros la relation entre les termes de l'échange et le dollar.
Les économistes évaluent cela en donnant un prix au pétrole dans une équation qui décrit la montée et la baisse du dollar, afin que la relation soit régulière. Mais réellement, ce sont les prix des ressources qui, en général, causent les fluctuations. Lorsque nous regardons le tableau — il y a un bon tableau dans le rapport sur la politique monétaire de janvier qui comprend les termes de l'échange et le dollar —, nous pouvons voir que sur, disons, 30 ans, il y a une très bonne approximation. Les termes de l'échange étaient très faibles lorsque le dollar valait 60 cents,, et ils sont maintenant beaucoup plus élevés qu'avant. Donc le dollar vaut plus. Ce n'est pas un choix. La relation est presque arithmétique, mais il y a des périodes où il semble y avoir un plus grand écart. Le chien s'écarte un peu trop vers la gauche ou la droite, et il y a donc tous ces facteurs qu'on ne peut pas très bien expliquer. Sur cette base, on a l'impression que lorsque le dollar était au-dessus de la parité, c'était surtout parce que le dollar américain était faible par rapport à toutes les autres monnaies. C'est parce que la crise aux États-Unis qui avait tout fait baisser là-bas a fait paraître le Canada comme un bon refuge pour les investisseurs, et relativement, cela a fait monter le dollar canadien un peu plus haut que cette relation l'aurait indiqué. Alors que l'économie américaine a repris du dynamisme au cours des six à neuf derniers mois, de nombreuses monnaies ont enregistré un léger recul, et pas seulement la nôtre. Le dollar canadien a perdu environ 10 ¢ par rapport à ces niveaux, et cela ressemble de près ou de loin, j'imagine, à la relation à long terme entre le chien et son maître que j'ai décrite. Ce n'est pas un modèle très fiable, si on veut, mais c'est une relation qui s'exprime sur de longues périodes.
Bref, je ne suis un adepte ni du dollar fort, ni du dollar faible. Le dollar est ce qu'il est. Nous allons nous concentrer sur l'inflation; il y a un an, nous pensions que les exportations seraient maintenant plus vigoureuses. Nous sommes déçus. Selon les facteurs économiques fondamentaux, l'économie américaine récupère, ce qui n'est pas le cas de nos exportations. Le décalage est maintenant passé de 35 à 40 milliards de dollars. C'est le montant des exportations que nous aurions autrement réalisées. Cela aurait eu d'énormes répercussions sur notre croissance économique. Mais nous avons été déçus, et comme nous avons été clairs et avons révisé nos perspectives, les marchés l'ont perçu. On a interprété cette révision comme l'annonce d'un retour à des taux d'inflation normaux encore plus loin dans l'avenir que prévu et, par conséquent, les marchés ont décidé que le dollar canadien devait être plus faible. Voilà ce qui s'est produit, mais nous ne savions pas jusqu'où cela irait, ou quelle devrait être la valeur du dollar. J'espère que ma réponse vous aide à comprendre le phénomène. C'est une question difficile.
Le sénateur Tkachuk : Je me souviendrai pendant longtemps de l'histoire du chien en laisse.
M. Poloz : Oui, c'est fort utile. Ça m'aide.
Le sénateur Tkachuk : J'avais lu quelques articles à ce sujet. Je suis politicien, donc je me crois expert, ou quelque chose du genre. En ce qui concerne la productivité, sujet qui m'a toujours préoccupé, nous n'avons pas réussi, dans le cadre de nos discussions, à déterminer avec précision ce que nous pourrions faire pour l'améliorer. Toutefois, il me semble qu'à mesure que nous comptons de plus en plus sur les ressources naturelles pour notre richesse — à l'instar d'autres pays qui n'ont que des ressources naturelles, tels l'Arabie saoudite ou le Venezuela, qui ne misent que sur le pétrole et, en gros, laissent tout le reste dégénérer —, cela a pour effet d'attirer davantage de capitaux. Le secteur pétrolier attire les personnes les plus compétentes et les plus intelligentes, car c'est là où se trouve l'argent. Voilà peut- être une partie de notre problème. Nous ne sommes pas Hong Kong, là où se trouve tout l'argent. Là-bas, il n'y a pas de ressources, si bien qu'ils n'ont d'autre choix que de se creuser les méninges, de fabriquer d'énormes quantités de produits et de trouver d'autres moyens de faire énormément d'argent.
C'est probablement un facteur. Je n'en suis pas certain, mais je me demande s'il existe des études à ce sujet. Le prix des ressources est très bon, ce qui nous permet de faire beaucoup d'argent. Je suis certain que ce secteur attire énormément de capitaux et de cerveaux.
M. Poloz : Vous avez tout à fait raison. C'est ce que j'ai dit dans le discours que j'ai fait la semaine dernière à Saskatoon pour aider les gens à bien comprendre. Ces forces sont externes. Ce n'est pas à nous de choisir de le faire ou non; c'est plutôt les marchés qui font tout le travail, qui attirent les capitaux.
C'est justement pour cette raison que ce secteur de l'économie canadienne prend de l'expansion beaucoup plus rapidement que les autres : il est plus rentable, les salaires sont supérieurs, tout est supérieur. L'Alberta et la Saskatchewan affichent un taux net de migration positif pour ces mêmes raisons. Il s'agit de processus d'ajustement naturels auxquels il serait difficile de résister.
En fait, le niveau de productivité du secteur des ressources est plus faible, en moyenne, que celui du secteur manufacturier. Les fabricants peuvent perfectionner leurs machines, leur équipement et ainsi de suite, tandis que dans le secteur des ressources, on procède à des activités de forage, qui ne sont pas toutes couronnées de succès, ce qui exerce une pression à la baisse sur le niveau de productivité. De plus, les investissements de départ, qui sont nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise, sont beaucoup plus élevés.
À mesure que la proportion du secteur à plus faible productivité prend de l'ampleur au sein de l'économie, le niveau moyen de productivité paraîtra plus faible que si ce changement ne s'était pas produit. Je crois que cela décrit bien ce qui nous arrive.
Je suis certain que le collègue assis à ma droite, expert en la matière, a quelque chose à ajouter, mais il est important de garder à l'esprit que le Canada ne retirera aucun avantage supplémentaire en tentant de freiner ces processus et d'augmenter sa productivité en fabriquant des produits que personne ne veut vraiment, au moment où nous devrions plutôt investir dans ce secteur, le faire croître afin de générer plus de revenus pour tous les Canadiens. Lorsqu'il y a un choc des termes de l'échange et que la valeur de notre pétrole s'apprécie, ceux qui en profitent ont besoin d'un Tim Hortons, d'une camionnette, de toutes sortes de choses pour leurs enfants. Ils dépensent leur argent; ainsi, c'est toute l'économie qui en bénéficie. Toutes les provinces en ont bénéficié, pas seulement celles où se trouvent les ressources énergétiques.
Tiff, auriez-vous quelque chose à ajouter?
M. Macklem : J'aurais simplement quelques points à ajouter. Vous nous avez demandé s'il existait des études à ce sujet. En fait, il y en a d'innombrables. Comme l'a dit le gouverneur, ces études montrent que dans le secteur de l'extraction des ressources, il faut toujours forer de plus en plus creux; il faut donc plus d'intrants pour extraire les ressources accessoires, ce qui fait diminuer l'indice de productivité. Nous sommes d'avis qu'il est souhaitable de poursuivre les activités tant et aussi longtemps que les prix sont élevés; c'est très bénéfique pour le Canada.
Cela dit, le secteur des ressources n'explique pas à lui seul le casse-tête de la productivité au Canada. En examinant la productivité d'autres secteurs, comme les secteurs de la fabrication, des affaires et des services, nous constatons que le rendement du Canada est inférieur à celui des États-Unis, pays auquel nous avons naturellement tendance à nous comparer. Il ne faut évidemment pas oublier les entreprises canadiennes qui connaissent un énorme succès et qui sont très concurrentielles à l'échelle internationale; il y en a plusieurs. Mais s'il y en avait encore davantage, cela aurait une incidence positive sur les indicateurs de productivité.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Merci à vous deux d'être parmi nous.
J'aimerais profiter de l'occasion pour vous remercier, monsieur Macklem, au nom de tous les Canadiens et Québécois, pour votre compétence et votre engagement. Vous offrez d'excellents services au Canada. Je suis heureux que vous demeuriez un bon Canadien. C'est très apprécié.
J'aimerais revenir sur un sujet dont on a déjà discuté, soit vos projections, vos prévisions sur le modèle. Tout cela est très rassurant. Vous avez de bonnes explications aux questions qu'on vous pose.
Mais je ne sais pas si je suis vraiment rassuré, parce que je remarque que même le gouverneur a dit, il y a quelques semaines, que le modèle est brisé. Vous avez utilisé les mots « uncharted waters ». Vous avez déjà fait le commentaire, dans le passé, que les prévisions faites il y a quatre ou cinq ans annonçaient une croissance régulière. Mais lorsqu'on regarde les rapports de la Banque du Canada ou ceux du Fonds européen de développement (FED), on a toujours une explication rassurante du passé, bien que l'on se soit continuellement trompé dans les prévisions.
Il y a donc des imprévus, et comme vous l'avez dit, peut-être que le modèle ne s'applique plus. On a même un cahier de plusieurs pages qui nous laisse penser que l'on sait où on s'en va, mais est-ce qu'on le sait vraiment? Est-ce qu'on devrait être rassuré?
Vous n'avez pas toujours l'air certain de vos prévisions. Peut-être parce que c'est nouveau, peut-être qu'on va vivre la même situation que le Japon a vécue. Il y a peut-être quelque chose qui ne fonctionne pas.
On parle des exportations, on parle de milliards. Est-ce qu'on devrait être vraiment rassuré ou est-ce qu'on se dit : merci, bonne lecture, mais on ne le sait pas?
M. Poloz : Pour commencer, franchement, je dois dire que je n'ai pas vraiment confiance en ces prévisions. Ces prévisions sont toujours une question de jugement en combinaison avec nos modèles. Et l'incertitude est certainement plus grande que d'habitude.
Il n'est pas étonnant de dire que parce que nous avons vécu une expérience extraordinaire, c'est quelque chose qui n'était pas prévu. Ce n'est pas incorporé dans nos modèles et les modèles ne peuvent pas vraiment expliquer l'effet de ces chocs.
Mais il y a des parties de nos modèles qui démontrent des comportements très fondamentaux, des éléments intrinsèques, qui ne vont pas changer; ce sont les comportements des consommateurs et des entreprises. Mais ce sont d'autres niveaux de modèles qui ont été touchés par ces développements.
Ce qu'on a fait, c'est qu'on a utilisé les modèles comme un point de départ. C'est pour entamer la conversation et se demander ce qui diffère du passé dans ce que l'on voit. Est-ce qu'on peut développer des modèles satellites pour mieux expliquer les développements depuis la crise, par exemple, et investir dans ces modèles?
Et deuxièmement, on parle aux gens qui gèrent les entreprises au Canada pour comprendre ce qu'ils voient et voir quelles seront leurs réactions.
Ce qu'on entend, c'est qu'ils sont très incertains de l'avenir. D'après leur expérience, ils hésitent à faire des investissements et à mettre leur argent sur la table, parce qu'ils se sont brûlés durant les années passées. Même leurs conseils d'administration ne leur permettent pas de faire les investissements parce que la situation est trop incertaine.
Alors ce qu'on attend, c'est que la confiance augmente. La reprise aux États-Unis a pris une impulsion, et les exportations vont croître. Tous ces éléments sont présents, mais ils ne sont pas aussi sûrs que par le passé.
À un certain point, tous les dominos vont se mettre en place, mais c'est difficile de prévoir exactement quand. Tous les ingrédients sont là pour faire le gâteau, mais on vient à peine de le commencer, ce gâteau.
Le sénateur Massicotte : Vous avez déjà dit, il y a deux ou trois semaines, que vous vous fiiez de plus en plus aux entrevues avec les industries pour préparer vos prévisions, parce que le modèle standard ne fonctionne pas bien. Mais personnellement, je ne trouve pas cela très rassurant.
On se base sur des anecdotes. Je crois que la Banque du Canada fait cela depuis des années. J'ai même contribué, il y a plus de 20 ans, et j'ai demandé un certain nombre de documents pour faire des rapports sur vos prévisions, des planifications d'embauche, et cetera. Mais c'est loin d'être certain et c'est loin d'être scientifique parce que vous vous basez sur les impressions de certaines personnes. Vous évaluez même la confiance des consommateurs, qui n'est pas un bon indicateur de la croissance économique. Le monde se trompe continuellement. Lorsque vous dites qu'on aura, en 2014-2015, une prévision d'une croissance de 2,5 p. 100, comme on se base sur des anecdotes, ce sera peut-être 1,5 p. 100 ou 3,5 p. 100. C'est un potentiel d'erreur de 40 p. 100. On se sent bien preneur jusqu'à ce qu'on découvre qu'on s'est encore trompé.
M. Poloz : Premièrement, vous avez peut-être eu l'impression dans le passé que c'est un processus scientifique, et cela est un peu exagéré. Deuxièmement, c'est moins scientifique qu'aujourd'hui, mais ce n'est pas zéro. Dans le comportement, il y a certains éléments du comportement qui sont très réguliers. Il y a une partie qu'on ne peut pas expliquer, mais en même temps, il y a une partie qui est régulière.
J'ai mentionné les 31 secteurs d'exportations, dont la moitié a un comportement régulier accompagné des variables habituelles. C'est dans l'autre partie qu'il y a des problèmes. On peut prévoir que la partie qui a un comportement régulier va répondre à la reprise aux États-Unis, comme d'habitude. Peut-être même davantage, parce que le dollar canadien a déprécié. Nous émettons une prévision que l'on peut mesurer, nous la présentons, ainsi que sa zone d'incertitude, qui revient à un détail. Alors il faut développer notre politique monétaire pour minimiser les risques dans ces zones. Ce n'est pas une question scientifique ou d'ingénierie mais une question de gestion de risque. Il s'agit d'une meilleure catégorisation de la politique monétaire qu'auparavant.
Le sénateur Massicotte : Je me demande si, tous les 30 ou 40 ans, on change de modèle. Depuis 30 ou 40 ans on se fie au contrôle de l'inflation. Si on contrôle l'inflation, éventuellement, avec les taux d'intérêt et la politique monétaire, il y aura une croissance économique. Comme vous le savez, l'histoire est pleine d'erreurs de modèle; on est convaincu que le modèle est exact, mais peut-être que dans cinq ans on va dire que c'est encore le mauvais modèle. Est-ce que c'est le cas?
M. Poloz : Je ne le sais pas, franchement. Mais je dirais que oui, je pense qu'au cœur de ces modèles il y a quelque chose qu'on va garder. Quand Tiff et moi étions jeunes, le modèle de prévision à la banque n'était pas fondé sur les puits de pétrole. Ce n'était pas dans le modèle parce que, historiquement, ce n'était pas très important comme explication pour le comportement de l'économie. Mais au fil des ans, l'importance du secteur pétrolier a augmenté, et c'est grâce à Tiff et à la thèse qu'il a faite à l'Université Western que la banque l'a incorporé dans le modèle. Ce modèle est supérieur au modèle qui était utilisé auparavant. Alors voilà, nous avons une situation où l'on comprend beaucoup mieux le modèle que dans le passé.
M. Macklem : Il est peut-être temps d'élaborer un nouveau modèle. Par exemple, si l'on prend les exportations, elles se chiffrent maintenant à environ 130, 140 milliards de dollars de moins que dans le cadre d'une reprise typique ou normale ou moyenne. La plus grand partie de ce montant, à peu près 100 milliards de dollars, s'explique par le fait que la reprise aux États-Unis est la plus faible depuis la Deuxième Guerre mondiale. Si on intègre cette réalité dans le modèle, on explique à peu près 100 milliards de dollars de cette faiblesse. Mais il y a un autre élément, qu'on a de la difficulté à expliquer avec les modèles, et qui se chiffre à environ 30 ou 40 milliards de dollars. Donc, le modèle est encore utile, mais il démontre ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas expliquer. Il faudra plus de données et plus d'expérience pour formuler et tester d'autres hypothèses pour améliorer les modèles. Durant cette période, la meilleure chose à faire c'est de parler à des entreprises, à des personnes qui prennent des décisions et d'obtenir leur perspective. Ce n'est pas parfait.
Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur le président.
Le sénateur Maltais : Bienvenue, monsieur le gouverneur. Merci, monsieur Macklem, pour les services rendus aux Canadiens et bonne chance dans le futur.
Monsieur le gouverneur, lors de vos conférences et dans vos déclarations, vous parlez beaucoup de l'amélioration des produits manufacturiers et des fabricants. Est-ce qu'un traité de libre-échange Canada-Europe pourrait accélérer la reprise de la production de produits manufacturiers?
M. Poloz : Oui, en principe. C'est généralement le cas. Si on enlève les barrières des échanges, on crée un marché plus large pour les exportateurs et les fabricants. En même temps, on augmente la compétition parce qu'il y a des fabricants qui, peut-être, feront la même chose en Europe. On parle beaucoup de cet effet de compétition entre les fabricants des deux pays, à savoir lesquels seront les gagnants et lesquels vont réduire la production. Mais la chose la plus importante dans un accord de libre-échange, c'est que tous les prix diminuent; les consommateurs des deux pays peuvent acheter n'importe quoi et cela augmente la demande pour tous. Cela, c'est le plus important. Mais il est difficile pour un fabricant spécifique de savoir quel sera le résultat pour lui.
Le sénateur Maltais : Vous parlez aussi beaucoup des ressources naturelles, particulièrement du pétrole qui est une ressource fort importante. Mais que dire de l'industrie minière canadienne? Par exemple, vous parlez particulièrement des mines du Québec et les alumineries; est-ce que vous voyez dans l'avenir une reprise du secteur minier au Canada et une hausse du prix de l'aluminium? Est-ce que cela peut arriver un jour ou l'autre?
M. Poloz : Pour le secteur minier, oui; je suis convaincu que le « super cycle » est un facteur qui va permettre aux prix des ressources de demeurer élevés durant les prochaines années, peu importe les ressources : les métaux, l'énergie, ainsi de suite.
Au cours des années, nous avons pu examiner des cycles dans de domaine. C'est difficile à prévoir, mais nous prévoyons que le monde va gagner en croissance, prendre de l'impulsion et que les prix vont augmenter.
En ce qui concerne le prix de l'aluminium, c'est une question un peu plus complexe. Les nouveaux producteurs d'aluminium ont un coût de production qui est moindre parce que le coût de l'énergie est un facteur très important, au Moyen-Orient par exemple. Il est difficile de prédire le coût marginal de l'aluminium, mais en général, je m'attends à une augmentation des prix.
[Traduction]
La sénatrice Ringuette : Monsieur Macklem, je ne puis que répéter ce que mes collègues ont déjà dit de manière probablement plus élégante.
Lorsque je me suis renseignée au sujet des prévisions, je suis tombée sur une manchette qui disait : « Le Canada perd des parts de marché étranger, passant à côté de quelque 40 milliards de dollars d'exportations, selon les déclarations faites mardi par le gouverneur de la Banque du Canada. »
J'ai ensuite lu un autre article qui disait : « Les prévisions sont bonnes pour les échanges commerciaux du Canada ». Cet article faisait état d'une allocution prononcée par Peter Hall, vice-président et économiste en chef d'Exportation et développement Canada devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Selon lui, la croissance des exportations se chiffrera à 6 p. 100 par année pour les deux prochaines années.
Ne s'agirait-il là que du secteur énergétique? Je me pose la question, car vous dites que nous passons à côté de 40 milliards de dollars d'exportations. Au bout du compte, on en revient à la question du modèle dont a parlé le sénateur Massicotte.
Les experts canadiens examinent-ils différents modèles? Vous évoquez un décalage de 40 milliards de dollars, mais cet autre expert prédit un avenir prometteur, avec un taux de croissance de 7 p. 100 pour les deux prochaines années.
M. Poloz : Vous ne serez pas étonnée d'entendre que nous entretenons de très bonnes relations de coopération avec EDC.
La sénatrice Ringuette : C'est en effet ce que je m'imaginais.
M. Poloz : Ces deux prévisions ne se contredisent pas. Je m'explique. Ce dont nous discutons en ce moment — ce qui nous préoccupe aujourd'hui —, c'est le décalage entre l'augmentation réelle des exportations et les attentes en fonction de nos modèles — c'est le terme d'erreur dont a parlé M. Macklem. Sur un total de 500 milliards de dollars d'exportations, notre terme d'erreur s'élève à environ 130 milliards de dollars — dont 100 milliards de dollars que nous expliquons par la lenteur de la reprise américaine. Il reste donc entre 30 et 40 milliards de dollars, montant considérable que nous qualifions d'exportations manquées, en quelque sorte. Je ne cherche pas à minimiser l'importance de cette somme, mais vous comprendrez que nos modèles et ceux d'EDC servent à expliquer la majeure partie de ce montant.
Nous prévoyons une reprise des exportations plus tard cette année et au début de l'année prochaine; d'ailleurs, les taux de croissance sont assez semblables. Ce qui nous cause du souci, c'est que ces pertes sont permanentes, malgré les taux de croissance.
Si la situation évolue comme nous le pensons, nous prévoyons que la croissance de nos exportations sera à peu près la même que celle des États-Unis, ce qui représente tout de même une perte de 30 à 40 milliards de dollars, une perte sèche, qui durera jusqu'à ce que la compétitivité soit rétablie dans les secteurs dont nous avons parlé. Il n'y a pas que l'énergie. De nombreux autres secteurs dont nous avons parlé connaîtront cette croissance, et c'est important à nos yeux, parce qu'il n'y a pas suffisamment de croissance dans nos prévisions pour réduire l'écart de production au cours des deux prochaines années, ce qui signifie que l'inflation sera de nouveau à surveiller. Si, pour une raison ou une autre, cela ne se produit pas, ou si cela se produit dans une moindre mesure, il faudra revoir nos prévisions ainsi que notre cible pour l'inflation.
Il n'y a pas de contradiction à proprement parler entre ces deux versions. Votre résumé présente les choses un peu différemment. Je le comprends, mais la croissance des exportations est très semblable.
La sénatrice Ringuette : Il y a pour moi une autre incohérence, et c'est une grande préoccupation. Il y a six ans, le Parlement a approuvé une réduction de l'impôt sur les sociétés, à la condition qu'une telle mesure donne aux sociétés canadiennes certaines liquidités qu'elles pourraient ensuite réinvestir dans leur efficience. Quelques années plus tard, on a constaté que cet argent était resté entre leurs mains et qu'il n'avait pas été réinvesti.
Le Parlement a ensuite approuvé une réduction tarifaire sur des biens manufacturés essentiels, dans le cadre d'un projet de loi omnibus qui comptait quelques centaines de pages. On a donc réduit de beaucoup, voire éliminé, les tarifs à l'importation pour que les entreprises puissent acheter du nouveau matériel moderne afin d'améliorer leur efficience. Je regarde les résultats : on ne semble pas avoir atteint les objectifs souhaités.
De quels autres moyens le Parlement dispose-t-il pour favoriser l'efficience du secteur manufacturier, pour réduire cet écart dont vous parliez, non seulement l'écart actuel, mais aussi ceux de l'avenir? Il semble que le secteur manufacturier canadien n'ait pas réinvesti les sommes qui ont été dégagées.
M. Poloz : C'est une question complexe et les réponses varient d'une entreprise à l'autre, d'un secteur à l'autre, mais j'avais au moins essayé de vous donner des renseignements.
Il est important de voir les choses du point de vue de l'entreprise. Quand convient-il pour une entreprise d'investir dans du matériel qui la rendrait plus efficiente ou qui augmenterait sa productivité? Je dirais que c'est lorsque l'économie est en grave récession ou lorsque les exportations sont 50 p. 100 moins importantes qu'il y a deux ans. Je parle donc de 2009, 2010. Cela n'aura pas beaucoup d'effet sur l'entreprise. Si elle n'a plus de clients, elle ne profitera pas de l'argent supplémentaire pour l'investir dans son efficience, n'ayant pas de clients pour ses produits.
Je décris là une entreprise qui a survécu, mais nous savons que 8 000 ou 9 000 sociétés exportatrices du secteur manufacturier ont tout simplement disparu pendant le ralentissement économique. On ne peut pas s'attendre à une reprise, ni à un investissement correspondant aux modèles énoncés, puisque ces entreprises n'existent plus. C'est un autre facteur qui complique les choses et qui échappe à notre contrôle. Et il n'y a vraiment rien que le Parlement puisse envisager pour y remédier. Nous avons connu une grave récession causée par des circonstances à l'extérieur du pays. C'est très important, et il serait risqué de l'oublier. Mais il faut comprendre le contexte dans lequel ces observations sont faites.
Il faut se poser la question suivante : comment est-ce qu'une entreprise compose avec sa compétitivité et qu'est-ce qui permet de définir cette compétitivité? Je répondrai comme suit : cela concerne tout ce qui a une incidence sur les coûts de l'entreprise, bien au-delà de son équipement. Une société pourrait faire concurrence à sa rivale d'en face du simple fait qu'elle soit dotée du bon équipement, et cetera. En revanche, elle n'a peut-être pas un aussi bon système de logistique en ce qui a trait à la livraison pour les clients. Peut-être que ses coûts sont plus élevés parce qu'elle a du mal à obtenir de bons travailleurs. Il peut également y avoir une compétitivité entre les frontières. Comme nous l'avons mentionné tout à l'heure, le taux de change peut avoir un effet considérable sur les coûts, selon que l'entreprise se trouve aux États-Unis ou au Mexique. Qu'en est-il du coût des travailleurs? Nous avons une étude de cas qui indique qu'un travailleur en Géorgie ou en Caroline du Sud, dont le taux salarial est beaucoup plus faible qu'en Ontario, a néanmoins un meilleur niveau de vie, car le logement est moins coûteux dans ces régions. Comment peut-on tenir compte de toutes ces données?
En ce qui a trait à la compétitivité, si vous devez payer davantage les travailleurs canadiens, peu importe leur productivité, et que votre concurrent dans le sud des États-Unis peut payer ses travailleurs à un taux plus faible tout en leur offrant un meilleur niveau de vie en raison du coût de la vie dans cette région, alors il sera très difficile de soutenir cette concurrence. Plusieurs facteurs peuvent faire augmenter ces coûts : l'infrastructure, les frais de logement lorsqu'on crée un nouveau quartier, les frais municipaux, et cetera. Il y a toutes sortes de choses qui font partie de ce tableau de la compétitivité; bien entendu, cela va plus loin que les questions macroéconomiques sur lesquelles nous nous penchons quotidiennement.
Du point de vue des entreprises, si vous leur demandez pourquoi elles n'ont pas investi, elles pourraient invoquer plein de raisons qui les retiennent. Comme je l'ai dit tout à l'heure, tout d'abord, il faut savoir qu'elles ont encore peine à croire que la reprise économique américaine est bien réelle. Il s'agit du facteur le plus important. Tout le reste est secondaire par rapport au fait de se demander s'il y aura une clientèle pour acheter les produits. Si l'on est certain d'avoir des clients, alors on investit, on accroît les capacités et on gagne en efficience. Les entreprises ont attendu, et je crois comprendre pourquoi.
La sénatrice Ringuette : On aurait peut-être dû utiliser ces fonds pour investir dans l'infrastructure afin qu'elles soient désormais dotées d'une infrastructure moderne dans laquelle elles pourraient investir.
[Français]
La sénatrice Bellemare : C'est un privilège de pouvoir avoir une conversation avec la Banque du Canada. J'ai deux questions un peu différentes l'une de l'autre. La première est un peu dans le même ordre d'idées que celle du sénateur Massicotte, et l'autre concerne la politique monétaire, proprement dite, du Canada.
Ma première question concerne votre rapport sur l'état de la situation du Canada, mais je veux dire auparavant que je suis tout à fait ravie de la conduite de la politique monétaire actuellement. J'ai été rassurée, dernièrement, en lisant des propos au sujet de la position que vous avez adoptée par rapport au taux de change et à la balance, en tout cas quant à l'aspect positif expansionniste de la politique monétaire que vous entendez suivre.
Ma question a trait à des questions à long terme, aux problèmes nouveaux qui émergent peut-être aujourd'hui. Je fais la lecture suivante à partir de vos prévisions à court terme, d'un enseignement qu'on pourrait peut-être en tirer pour les prévisions à long terme. Quand on examine vos prévisions à court terme, on voit que c'est la demande intérieure qui contribue le plus à la croissance de l'économie. Or, au sein de la demande intérieure, il y a les dépenses de consommation des ménages. Quant à la demande extérieure, soit les exportations moins les importations, elle est beaucoup plus faible. Mais on sent que vous n'avez pas d'autre choix, en termes de politique monétaire, que d'essayer de faire augmenter la demande extérieure.
Pour ma part, ce que je vois ici, c'est qu'il y a une limite, à un moment donné, à ce que la demande intérieure, et en particulier les dépenses de consommation, peut générer comme croissance économique. Nous tenons compte de l'enseignement tiré de la coordination que la banque a effectuée avec notre ministre des Finances, Jim Flaherty, au sujet du plan d'action économique en 2008, dans le cadre duquel on a accéléré et augmenté les projets d'investissements publics partout au Canada, ce qui nous a permis de traverser la récession d'une meilleure façon que d'autres pays.
En partant de ce constat, et aussi de votre constat général selon lequel l'optimisme n'y est pas et que vous êtes prudent dans vos prévisions, on tient compte du fait que, quand on évalue les grandes crises qu'on a connues dans le passé, et en particulier la crise des années 1930, qui a été une période de stagnation internationale très importante, dont on s'est sorti par des investissements pour répondre à des problèmes politiques qu'on ne voudrait jamais revoir sur notre planète — c'était une guerre terrible —, on ne veut pas s'en aller dans cette direction et attendre des chocs de cette nature pour s'en sortir.
Alors ma question est la suivante : dans ce contexte, je me rappelle que l'OCDE, lors d'une conférence du G20, je crois, autour de 2008-2009, disait que la meilleure façon pour se sortir de cette grande crise — qui est différente des autres, qui est une crise financière, et cetera, on n'entrera pas dans l'analyse —, c'est de coordonner les politiques sociales et les politiques de l'emploi avec les politiques fiscales et monétaires. Il s'agirait donc que dans tous les pays, dans le cadre de leurs politiques sociales et de leurs politiques de l'emploi, les gouvernements interviennent pour créer des emplois et répartir un peu, soutenir la demande de consommation, avoir une politique fiscale d'investissement public et une politique monétaire qui répond à tout ça.
Qu'est-ce que vous en pensez? En d'autres mots, c'était un plaidoyer contre les politiques d'austérité des différents pays d'Europe où on disait devoir faire des coupures en raison des déficits publics, pour éviter une dette et être en déficit de paiement.
Qu'est-ce que vous pensez de ça?
M. Poloz : C'est une question intéressante, certainement. Les conditions des années 1930 étaient différentes de celles d'aujourd'hui, évidemment. Mais il est peut-être possible que la recette soit presque la même. Je dirais que les deux éléments différents les plus importants étaient que, durant les années 1930, les gouvernements avaient pris des mesures protectionnistes. Il y avait beaucoup de protectionnisme. C'est le premier élément.
Le deuxième élément, c'est que la politique monétaire était beaucoup plus restrictive qu'elle ne l'est aujourd'hui. Aujourd'hui, comme Ben Bernanke l'a dit : « Not on my watch », car il est un expert de cette période. Il est vrai qu'on n'a pas pris ces mauvaises décisions, cette fois-ci. En même temps, je suppose qu'il est possible que la coordination n'ait pas été optimale, mais on pourrait dire que c'était pas mal. Dans une grande mesure, on a évité le pire. Alors ce n'est pas un succès au sens de la perfection, mais c'est quelque chose de préférable. Il ne faut pas oublier cela; cette situation est bien meilleure qu'elle n'aurait pu l'être.
C'était une politique optimale, c'était une grande question. Je ne sais pas vraiment. Il est évident que le cycle n'est pas terminé, il y a encore du temps — comme je le disais, peut-être deux ans, peut-être plus.
Nous faisons du mieux que nous pouvons. Je suppose que ce n'est pas une réponse idéale, mais...
La sénatrice Bellemare : C'est quand même une bonne réponse. Ma deuxième question a trait à la politique monétaire. Je suis une admiratrice de la gouverneure de la réserve fédérale, Mme Yellen.
M. Poloz : Moi aussi.
La sénatrice Bellemare : C'est une économiste et spécialiste du marché du travail. Les États-Unis ont adopté en 1976 une loi selon laquelle la politique monétaire américaine devait viser deux objectifs : la stabilité des prix mais aussi l'emploi, au maximum. Entre les deux, il y a des arbitrages à faire. Dernièrement, les États-Unis ont quand même un peu changé leur orientation en se fixant des cibles.
Je me demandais si vous étiez d'accord avec cette approche et si vous seriez d'accord pour qu'on ajoute à votre mandat proprement dit la poursuite de la création d'emplois. Car à l'heure actuelle, votre mandat ne comprend que la stabilité des prix, même si vous prenez cela en considération. Si c'était inclus, seriez-vous d'accord?
M. Poloz : Ce n'est pas officiellement notre mandat. Notre mandat vise la stabilité des prix et le taux d'inflation. Quant à moi, les deux sont cohérents. Notre objectif d'inflation à 2 p. 100 serait un objectif dans lequel l'écart de production serait fermé et, je l'espère et j'en suis convaincu, éventuellement l'écart de la capacité dans le marché du travail sera fermé aussi. Donc ces choses sont cohérentes. Ce n'est pas un vrai compromis entre les deux. Ça semble l'être pour les observateurs mais ce ne l'est pas vraiment. C'est un faux compromis à mon avis. Dans le fond, toutes les conditions seront optimales, avec un taux d'inflation stable, prévisible et conforme à notre objectif.
La sénatrice Bellemare : Finalement, ce que vous me dites, c'est qu'on pourrait combiner les deux objectifs dans le mandat et il n'y aurait pas de problème.
M. Macklem : Comme vous êtes économiste, je vous dirais qu'il n'y a pas une courbe de Philips stable à long terme, donc il n'y a pas de compromis. Donc, les deux sont cohérents. Même la réserve fédérale, quand elle explique ses politiques, son premier objectif est de maintenir les anticipations d'inflation bien ancrées, parce que si elles ne le sont pas, il n'y aura pas de croissance d'emplois; il y aura plusieurs problèmes dans l'économie. Cela se reflète dans les politiques. Les cadres ne sont pas tellement différents. Ils sont expliqués un peu différemment, mais dans le fond, ils sont fondés sur les mêmes objectifs.
[Traduction]
Le sénateur Greene : Merci beaucoup d'être des nôtres. Ma question est un peu hors sujet, mais elle porte sur votre travail ainsi que sur le travail qu'effectue le comité. Notre comité prend part à une étude sur la devise numérique et nous nous penchons plus particulièrement sur le bitcoin. Je crois que l'on peut conclure que le bitcoin est sans doute le premier parmi bon nombre de devises numériques. Le bitcoin pourrait se transformer en quelque chose de plus puissant et de plus acceptable. Il se pourrait également que l'on mette sur pied une autre monnaie artificielle à l'avenir.
En tant que banquier central, comment évaluez-vous l'incidence qu'aura une devise numérique sur les opérations de la banque centrale et ses effets sur la masse monétaire?
M. Poloz : Je vais d'abord répondre à la question, puis céder la parole à Tiff, qui suit cette question de très près. Ce sera pour lui une occasion en or de nous présenter toutes ses connaissances la veille de son départ.
Comme vous l'avez indiqué dans votre question, nous en sommes encore au tout début de ce nouveau domaine. Nous sommes chargés de la politique monétaire et des systèmes de paiement. Jusqu'à présent, les devises numériques ne correspondent pas encore à ce que nous appelons de l'argent. Elles ne satisfont pas encore à tous les critères. Il vaut peut-être mieux les considérer comme des systèmes de règlement ou de paiement, auquel cas on peut comparer leurs lacunes et les risques connexes. Nous suivons ce dossier de près. Nous sommes dotés d'une équipe qui analyse tout cela et qui collabore avec des chercheurs à l'extérieur de la banque. Nous allons mettre sur pied un nouveau site web pour faire part de ces renseignements aux gens et encourager d'autres personnes à participer.
À mon avis, nous avons encore du chemin à faire avant de devoir penser aux incidences que cela pourrait avoir sur le plan des politiques. Pour ce faire, il faut être absolument au courant de ce qui se passera par la suite.
Peut-être que vous pouvez fournir plus de détails à ce sujet.
M. Macklem : Il s'agit d'une grande question. Nous sommes ravis que votre comité examine ce sujet. Cela pourrait avoir des répercussions sur la politique monétaire. Le gouverneur a indiqué que l'on en est encore à des suppositions et qu'on a encore du chemin à faire, mais il y a également des répercussions en ce qui a trait à la protection des consommateurs, au blanchiment d'argent et à d'autres enjeux. Il s'agit d'un excellent sujet sur lequel se pencher. Plusieurs de nos collègues ont déjà comparu au comité et, lorsque nous aurons approfondi notre recherche en la matière, nous serons ravis de revenir vous voir pour vous en parler.
Je suis sur le point de quitter la banque. J'ai commencé à y travailler en 1984, il y a 30 ans. Tout au long de toute ma carrière à la banque, on a toujours prédit la disparition de l'argent liquide. Il y a eu des innovations périodiques qui ont amené les gens à penser qu'on allait passer à une société sans numéraire. Mais l'argent liquide a été remarquablement durable, et ce, en dépit d'une utilisation accrue de cartes de crédit et de débit. Nous avons désormais des cartes qu'il suffit d'agiter devant un récepteur. Il est vrai que nous utilisons davantage ces cartes et que nous avons moins recours à l'argent liquide qu'il y a 30 ans. Quoi qu'il en soit, l'argent liquide a fait preuve d'une résilience remarquable. Si vous examinez la croissance de l'argent liquide dans l'économie, vous verrez qu'il a crû à peu près au même rythme que la croissance du revenu nominal. Ainsi, sur le bilan de la Banque du Canada, dont l'essentiel est représenté par de la monnaie, on y voit l'argent liquide à titre de passif. Cela est apparié à nos actifs. En gros, il s'agit des obligations gouvernementales qui nous permettent d'acheter l'argent et, puisque nous gagnons un intérêt sur ces obligations et que nous ne payons pas d'intérêt sur l'argent, il s'agit de notre source de revenu. Les économistes l'appellent le revenu de seigneuriage.
Parlons maintenant des conséquences. Si une solution de rechange à l'argent liquide gagne en popularité et joue un rôle plus important dans notre économie, notre bilan rétrécirait ainsi que le revenu, dont nous remettons la plupart au gouvernement, car nos dépenses ne sont qu'une petite partie de ce que nous gagnons en revenu. Si vous avez un permis pour imprimer de la monnaie, alors il s'agit d'une excellente affaire. Les gouvernements en récoltent les profits. Si notre bilan se rétrécit, alors le gouvernement recevra moins d'argent.
Mais, si nous nous concentrons sur la marge, il ne s'agit peut-être pas d'un si grand enjeu. Tout cela est fort hypothétique, mais il importe d'avoir un bilan pour déterminer la politique monétaire et pour créer une stabilité financière. Durant la crise, par exemple, notre bilan a crû d'environ 40 milliards de dollars, car nous avions créé plusieurs concours de trésorerie pour veiller à ce que le crédit continue à circuler dans l'économie.
Cela ne touche pas seulement la Banque du Canada. Toutes les banques centrales pourraient être concernées. Cela dit, on semble encore très loin d'une telle éventualité. Les enjeux les plus pressants concernent plutôt la protection des consommateurs et le risque d'un usage illicite; de façon plus générale, il faut aussi se pencher sur la monnaie électronique. Il existe toutes sortes de devises électroniques, mais il y a également les paiements électroniques, d'une personne à une autre, et d'une entreprise à une autre. L'innovation et l'amélioration de l'efficacité dans notre système de paiement sont une bonne chose. Même si on tient à établir des règlements adéquats et à protéger les consommateurs, on ne veut pas toutefois freiner l'innovation.
Il existe certaines applications de devises mondiales qui pourraient être fort utiles. Je songe, notamment, à l'envoi de fonds qui peut coûter très cher. On pourrait peut-être le faire de manière plus efficace et à l'échelle mondiale. Cela serait à l'avantage des travailleurs et de leurs familles.
C'est quelque chose qu'il faudra examiner de près. Il y a des pays qui ont commencé à mettre sur pied des règlements et nous examinons ce qui se passe ailleurs dans le monde. Cela ne toucherait pas seulement la Banque du Canada, mais également le ministère des Finances, à qui incomberait une grande partie de cette mesure législative.
On peut également examiner les exemples historiques. Je pense qu'un témoin vous a déjà parlé de l'époque où les banques émettaient leurs propres devises et il vous a expliqué comment, au fil du temps, les gouvernements se sont attribué cette tâche. Il y a de bonnes raisons à cela.
Il s'agit d'un domaine de recherche et d'analyse sur lequel nous nous penchons activement et, comme je l'ai mentionné, nous serons ravis de revenir vous en reparler.
Le sénateur Massicotte : Dans votre rapport, vous avez ajouté une annexe qui porte sur les effets du gaz de schiste sur notre économie. Comme vous le savez, le Canada propose de construire un grand nombre de pipelines afin d'acheminer les ressources qui proviennent surtout de l'Alberta et de les transporter vers les eaux internationales. Nous nous heurtons à certaines difficultés et nous ne savons pas encore ce qui arrivera. À quel point cet enjeu est-il important? Si ce projet n'est pas mené à bien, quel effet cela aura-t-il sur les prévisions que vous avez établies relativement au PIB?
M. Poloz : Je n'ai malheureusement pas de chiffres à vous fournir en ce qui a trait à une infrastructure bien précise, mais nous savons que le secteur énergétique génère une bonne partie du PIB de notre économie. Nous avons connu une convergence relativement bonne entre l'Ouest canadien et les prix mondiaux, car les limites d'approvisionnement ont été allégées, principalement grâce à l'utilisation du chemin de fer, mais aussi grâce à certains projets de construction de pipelines.
Si nous avons plus de capacités et qu'il y a plus de demande, la capacité d'approvisionnement se traduira par une augmentation directe de notre PIB; l'investissement connexe fera également augmenter le PIB. C'est quelque chose que nous pourrions analyser si nous disposions de toutes les données et que nous savions que cela avait lieu.
Comme vous pouvez le voir, l'économie va bon train. À mon avis, il ne s'agit pas de se demander si l'économie va en souffrir ou si elle va se rétablir. Il ne s'agit pas d'un enjeu qui est sur la corde raide; c'est plutôt une initiative qui permettrait d'accroître, au fil du temps, notre capacité d'approvisionner une économie mondiale croissante en pleine expansion.
Le sénateur Massicotte : C'est toujours important, mais ce n'est pas matériellement important pour l'économie canadienne?
M. Poloz : J'estime que c'est important dans la mesure où nous fonctionnons avec des limites et que l'économie est toujours en train d'essayer de trouver des moyens de s'y adapter. Ce serait mieux s'il n'y avait pas de limites, mais il s'agit d'un problème épineux en matière d'optimisation.
Notre économie affiche un très bon bilan dans ce secteur; alors, malgré l'indécision au sujet des pipelines, est-ce que les choses iraient mieux? Bien sûr que oui, dans une certaine mesure, mais je ne pourrais pas chiffrer cela. Toutefois, ce n'est pas comme si le fait de ne pas avoir de décisions freinait l'économie. Les choses vont bon train.
La sénatrice Hervieux-Payette : Si nous voulons créer des emplois, il faudra accroître notre compétitivité et nos exportations. Notre marché est limité. À la maison, j'ai un époux allemand qui a de la famille dans son pays d'origine et nous y voyageons fort souvent. D'ailleurs, je travaille avec la Chambre canadienne allemande du commerce au Canada. Les Allemands touchent des salaires élevés et ils bénéficient d'avantages sociaux qui s'apparentent aux nôtres. L'euro coûte très cher, ce qui devrait poser des obstacles aux exportations.
Le seul avantage qu'ils ont par rapport à nous, c'est la formation de la main-d'œuvre ainsi que le partenariat entre le gouvernement et les entreprises. En Allemagne, on trouve des chambres de commerce que le gouvernement finance très généreusement, mais les sociétés y contribuent également, partout dans le monde. Il y a aussi une tradition. Depuis plusieurs années, l'Allemagne se classe deuxième après la Chine.
En ce qui concerne nos propres entrepreneurs, je ne pense pas aux grandes entreprises comme Bombardier, mais aux entreprises de deuxième catégorie, que nous ne connaissons pas nécessairement. Monsieur le gouverneur, vous en savez plus que nous tous, ayant travaillé dans le secteur de l'exportation. Avons-nous un tel réseau international pour le soutien, la formation et la vente? Une fois résolu le problème de l'investissement et de la modernisation de nos entreprises, comment veiller à ce qu'elles soient concurrentielles, pour ne pas uniquement compter sur le pétrole et le gaz?
M. Poloz : C'est une question qui va bien au-delà de la politique monétaire. Vous avez donné l'exemple de l'Allemagne, qui jouit d'une économie en pleine forme. Vous avez cerné des éléments positifs.
Vous avez fait mention de la formation de la main-d'œuvre. La question est très large. En Allemagne, il existe un très bon système d'appariement. Les associations de Mittelstadt, qui regroupent les entreprises de taille moyenne, se concertent régulièrement. Ainsi, elles savent quelles sont les compétences recherchées, quels emplois sont à pourvoir et qui suit une formation d'apprenti. Les associations travaillent en collaboration avec les écoles, et le tout semble fonctionner rondement. Je n'en suis pas un expert, mais de ce point de vue général, il semble que ce système fonctionne extrêmement bien.
En revanche, nos systèmes ne laissent pas à désirer, mais au Canada, la question est plus complexe. Notre pays est beaucoup plus vaste et il se caractérise par des différences géographiques et sectorielles. Le risque d'inadéquation est plus élevé au Canada, d'où le besoin de faire des ajustements. Votre prémisse est tout à fait juste, à savoir que malgré leurs coûts élevés et la force de leur devise, les Allemands semblent obtenir des résultats. Dans ce secteur industriel, leur taux de productivité est très élevé. Les investissements qu'ils ont faits portent leur fruit.
Leur image de marque est également très forte, et ce, pour bien des raisons. Je suppose que nous pouvons en tirer des enseignements, mais je vous rappelle que notre pays est beaucoup plus vaste et plus diversifié. Nous devons faire des ajustements qui sont beaucoup plus importants que les leurs.
La sénatrice Hervieux-Payette : Vous avez oublié le partenariat étroit entre l'État et les entreprises. Je pense à la Corée, qui jouit d'un lien très étroit avec ses entreprises; il en va de même pour la France. Au Canada, c'est peut-être le cas pour les grandes entreprises, mais pour les moins grandes, je ne crois pas que nous leur donnions les moyens de réussir à l'échelle internationale.
M. Macklem : C'est peut-être de la conjecture, mais sur le plan de la productivité, les entreprises canadiennes ont moins renouvelé leur matériel que leurs homologues américains. Ces nouvelles technologies sont essentielles pour la croissance de la productivité.
Même lorsque nos entreprises y ont investi, le taux de productivité ne semble pas augmenter comme dans d'autres pays. L'Allemagne, par exemple, fait figure de proue. Elle investit beaucoup, mais ses investissements sont rentables.
À propos des entreprises de taille moyenne, l'Allemagne compte des entreprises qui en aident d'autres à optimiser leur nouveau matériel et leurs processus. Il ne s'agit pas d'acheter la machine, de l'installer, de l'allumer et de s'attendre à une augmentation de productivité. Il faut adapter ses processus et tirer profit au maximum du nouveau matériel. En Allemagne, il y a un secteur qui s'y spécialise, et je crois qu'il serait utile de s'en inspirer.
[Français]
La sénatrice Bellemare : J'ai été fascinée par le tableau 1, où on voit que la part du PIB mondial en pourcentage est actuellement pour les États-Unis de 20 p. 100 et pour la Chine de 15 p. 100. Quand croyez-vous que la Chine surpassera les États-Unis? Est-ce pour bientôt selon vos prévisions et est-ce que cela changera l'équilibre dans la politique économique?
M. Macklem : Cela a déjà changé.
M. Poloz : Cela change très rapidement, c'est vrai. On ne peut pas oublier l'importance de cette réalité. Cela augmente. Par exemple, si on parle du taux de croissance de la Chine, il y a cinq ans, il était de 8 à 10 p. 100. Tout le monde pense que cela va continuer, mais on voit que les taux de croissance sont plus bas que prévus, soit autour de 6 à 8 p. 100. Cela semble beaucoup moins que 8 ou 10 p. 100, mais la taille est tellement grande maintenant que cela ajoute plus de demandes à l'économie mondiale qu'auparavant. Du point de vue du Canada, ce n'est pas le taux de croissance qui compte, mais la taille de la demande.
Il est évident qu'il ne faudra pas beaucoup de temps à la Chine pour devenir la plus grande. En même temps, ce processus d'augmentation du revenu par personne est beaucoup plus important. Cela prendra une génération au minimum, peut-être même 40 ans ou quelque chose comme cela.
La Corée du Sud, par exemple, a pris environ 30 ans. Cela a commencé comme au Japon. En 1960, le Japon était peut-être à 25 p. 100 du niveau de vie des États-Unis. Trente ans plus tard, en 1990, il était arrivé au même niveau que les États-Unis. On verra presque le même phénomène en Chine probablement.
La sénatrice Bellemare : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président : Cela met fin à nos questions. Monsieur le gouverneur, et monsieur le premier sous-gouverneur, nous vous remercions de votre présence ici aujourd'hui.
D'habitude, je termine la séance en remerciant tout le monde qui est autour de la table — et aujourd'hui, je m'adresse particulièrement à vous, Tiff —, mais je ne pense pas avoir besoin de le faire parce que chacun des membres du comité vous a déjà exprimé sa reconnaissance pour les services que vous avez rendus au Canada et les éclaircissements que vous avez maintes fois fournis à notre comité.
Je dois dire que quand j'y repenserai, je ne pourrai que reconnaître votre grande intelligence, mais aussi la grâce avec laquelle vous l'affichez.
J'ai déjà signalé à mes collègues, dans mes observations, que c'est aujourd'hui votre dernier jour à la Banque du Canada, Tiff. Je tiens à préciser que je n'ai pas dit que ce serait votre dernière comparution devant le Comité des banques, que ce soit pour parler du bitcoin...
La sénatrice Hervieux-Payette : Dans ses fonctions actuelles.
Le président : Dans ses fonctions actuelles, c'est bien ce que je dis. Ce ne sera pas sa dernière comparution devant notre comité, que ce soit pour parler du bitcoin, comme le disait le sénateur Greene, ou d'autres sujets qui pourraient être soulevés.
Nous sommes impatients de vous revoir devant le comité et, encore une fois, nous vous offrons nos meilleurs vœux pour l'avenir. Merci.
Le sénateur Massicotte : Je crois qu'il faut souligner que Tiff a volontairement choisi de prendre sa retraite après avoir témoigné devant nous, ce qui met en valeur l'importance de sa contribution au Canada. Il nous aura donc servis jusqu'à la dernière minute. De toute évidence, nous comptons beaucoup pour lui, et c'est sa façon de montrer sa reconnaissance envers nos services.
M. Macklem : Je tiens à dire que c'est un immense privilège et je vous remercie de l'intérêt que vous portez à la Banque du Canada.
Le président : Avant de mettre fin à la réunion, je précise que nous commençons demain à 10 h 30. Nous allons procéder à l'étude du projet de loi C-31, puisqu'on nous a chargés d'examiner certains aspects de ce projet de loi. Nous allons entendre tout d'abord les observations liminaires du ministre des Finances, M. Oliver, et il sera accompagné de fonctionnaires. Nous avons été autorisés à siéger une heure de plus, au besoin, puisque nous recevrons un grand nombre de fonctionnaires. Nous allons poursuivre nos études.
(La séance est levée.)