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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 15 - Témoignages du 8 octobre 2014


OTTAWA, le mercredi 8 octobre 2014

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour procéder à l'étude sur l'utilisation de la monnaie numérique.

Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Nous tenons aujourd'hui la 11e séance sur notre étude sur l'utilisation de la monnaie numérique, qui porte notamment sur les risques, les menaces et les avantages potentiels de ces formes électroniques d'échange. Encore à l'étape de concept, le comité a écouté des exposés du ministère des Finances, de la Banque du Canada, de l'Agence du revenu du Canada et de l'Association canadienne des paiements. Nous avons entendu des témoignages d'universitaires des domaines de l'économie, de l'histoire monétaire et de la cryptographie. Le comité a en outre reçu des exposés du Bitcoin Strategy Group, de l'entreprise d'échange de bitcoins CAVIRTEX et de BitAccess, le fabricant des guichets automatiques Bitcoin, que j'ai utilisés pour acheter 0,18 bitcoin ici au comité. Même si j'essuie une perte substantielle jusqu'à présent, je suis enchanté de voir que M. Kemper, qui a facilité la transaction, assiste à notre séance aujourd'hui. Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur.

Nous avons aussi entendu l'avis d'entreprises proposant des systèmes de paiement, comme Interac, PayPal, Visa et MasterCard, lesquelles utilisent toutes des monnaies fiduciaires, ainsi que BitPay, un système de paiement par bitcoin.

La semaine dernière, le comité a recommencé à entendre des témoins s'occupant directement d'une des monnaies numériques, le bitcoin : l'Ambassade Bitcoin, la Bitcoin Alliance of Canada et la Fondation du Bitcoin.

Aujourd'hui, nous avons le plaisir de recevoir M. Andreas Antonopoulos, considéré comme le gourou du bitcoin, qui nous a été suggéré par plusieurs témoins précédents. M. Antonopoulos est à la fois entrepreneur et auteur dans le domaine du bitcoin. Ce diplômé en informatique de l'University College de London a un champ d'expertise qui englobe le bitcoin, les cryptomonnaies, la sécurité de l'information, la cryptographie, l'infonuagique, les centres de données, Linux, les codes sources ouverts et la conception de logiciels de robotique. Il a fait imprimer plus de 200 articles et est publié aux quatre coins du monde. Il est en outre professionnel agréé de la sécurité des systèmes d'information depuis plus de 12 ans et invité permanent de Let's Talk Bitcoin, une webdiffusion portant sur le bitcoin.

M. Antonopoulos est également un orateur prolifique qui a notamment pris la parole récemment lors du Toronto Bitcoin Expo 2014, un événement qui a eu lieu plus tôt cette année et auquel, je tiens à en informer le comité, nos analystes ont assisté. M. Antonopoulos a littéralement écrit sur le bitcoin un livre intitulé Mastering Bitcoin : Unlocking Digital Crypto-Currencies.

C'est avec grand plaisir que je cède la parole à M. Antonopoulos pour son exposé, après quoi vous pourrez lui poser vos brillantes questions.

Monsieur Antonopoulos, bienvenue. La parole est à vous, monsieur.

Andreas M. Antonopoulos, auteur de Mastering Bitcoin, à titre personnel : Merci, monsieur le président et honorables membres du comité. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion d'apporter ma contribution au débat sur la monnaie numérique.

J'ai de l'expérience principalement en sécurité informatique et en architecture de réseau. J'ai une maîtrise en réseaux et systèmes décentralisés, domaine dans lequel je travaille depuis 1992. J'ai travaillé pendant 20 ans dans les réseaux et les centres de données de sociétés de services financiers avant de découvrir le bitcoin à la fin de 2011. Je travaille à plein temps dans l'espace bitcoin depuis deux ans et j'ai écrit un livre sur le sujet pour les créateurs de logiciels.

Aujourd'hui, je suis heureux de pouvoir vous parler de la sécurité du bitcoin, l'architecture décentralisée qui sous- tend la sécurité du bitcoin, et des répercussions de cette architecture sur la protection des renseignements personnels, l'habilitation individuelle, l'innovation et la réglementation.

Jusqu'à l'invention du bitcoin en 2008, la sécurité et la décentralisation semblaient être des concepts contradictoires. Les modèles classiques de réseaux de paiement financier et bancaire reposent sur des contrôles centralisés pour assurer la sécurité. L'architecture des réseaux financiers classiques est fondée sur une autorité centrale comme une chambre de compensation. En conséquence, la sécurité et le pouvoir sont exercés par un acteur central. Le modèle de sécurité qui en résulte ressemble à une série de cercles concentriques avec un accès très limité au centre et un accès accru à mesure qu'on s'éloigne du centre. Même le cercle le plus éloigné du centre, toutefois, ne peut se permettre un accès ouvert. Dans un pareil modèle de sécurité, le système est soigneusement protégé par un contrôle de l'accès qui fait que seuls les particuliers et les organisations triés sur le volet peuvent s'y connecter.

Les entités se trouvant près du centre d'un réseau financier classique sont investies d'un énorme pouvoir, exercent une totale autorité et doivent donc être très soigneusement vérifiées, réglementées et surveillées. Les réseaux financiers centralisés ne peuvent jamais être totalement ouverts à l'innovation parce que leur sécurité est tributaire du contrôle de l'accès. Les titulaires de pareils réseaux utilisent effectivement le contrôle de l'accès pour étouffer l'innovation et la concurrence sous prétexte de vouloir protéger les consommateurs.

Les réseaux financiers centralisés sont fragiles et nécessitent plusieurs couches de surveillance et de réglementation pour veiller à ce que les acteurs centraux n'abusent pas de leur pouvoir pour leur propre bénéfice. Malheureusement, l'architecture centralisée des systèmes financiers classiques concentre le pouvoir, créant des relations malsaines entre les initiés de l'industrie et les organismes de réglementation, ce qui mène souvent à une faible surveillance réglementaire, à des contrôles laxistes, à de la corruption et, enfin, à des crises financières. Le bitcoin et les autres devises numériques fondées sur une architecture de blocs de chaîne sont fondamentalement différents.

Le modèle de sécurité des devises fondé sur les chaînes de blocs est décentralisé : le réseau n'a ni centre, ni pouvoir central, ni concentration de pouvoirs, ni acteur en qui avoir une confiance totale. Au lieu de cela, les fonctions de sécurité de base sont confiées aux usagers finaux du système. Dans pareille architecture, la sécurité repose sur la collaboration croissante des milliers de participants au réseau et n'est pas fonction d'une seule autorité.

En plus des différences d'architecture, on note des différences fondamentales sur le plan des paiements en tant que tels. Les devises numériques, comme le bitcoin, ressemblent plus à de l'argent liquide qu'à un compte bancaire ou à une carte de crédit. Le transfert de valeur au bitcoin est un mécanisme d'introduction plutôt que d'extraction, comme c'est le cas avec les cartes de crédit et de débit, et les autres paiements numériques. Un paiement par bitcoin n'est pas une autorisation d'extraire de l'argent de votre compte; c'est plutôt une opération par laquelle on « pousse » le montant précis du paiement comme un jeton de valeur directement vers un destinataire désigné. Une seule transaction n'autorise pas de futures transactions et n'expose pas l'identité de l'utilisateur. La transaction elle-même ne peut être falsifiée ou modifiée. En conséquence, les paiements par bitcoin peuvent être transmis en clair dans n'importe quel réseau et peuvent être stockés dans des systèmes non protégés sans risque de compromission.

L'architecture et le mécanisme de paiement sans pareil du bitcoin ont d'importantes incidences sur l'accès aux réseaux, l'innovation, la protection des renseignements personnels, l'habilitation individuelle, la protection des consommateurs et la réglementation. Si un mauvais acteur a accès au réseau Bitcoin, il n'a aucun pouvoir sur le réseau en tant que tel et ne compromet donc pas la confiance accordée au réseau. Il s'ensuit que le réseau Bitcoin peut être ouvert à tout participant sans examen approfondi, authentification identification ou autorisation préalable. Non seulement le réseau peut-il être ouvert à quiconque, mais encore il peut l'être à toute application logicielle, encore une fois sans examen approfondi ou autorisation préalables. La capacité d'innover sans permission à la périphérie du réseau Bitcoin est la même force fondamentale qui a mené l'innovation à un rythme effréné dans Internet pendant 20 ans, créant une immense valeur pour les consommateurs, la croissance économique et l'emploi.

La nature décentralisée du bitcoin assure la protection des consommateurs de la manière la plus puissante et la plus directe, soit en donnant aux utilisateurs du bitcoin le contrôle direct sur le caractère privé de leurs transactions financières. Le bitcoin ne force pas les utilisateurs à divulguer leur identité à chaque transaction et à faire confiance à une chaîne d'intermédiaires supposément sûrs à se charger de la tâche d'accéder aux données des transactions, de les stocker de façon sécuritaire, de les protéger et de protéger aussi les identificateurs de comptes vulnérables. Les transactions du réseau Bitcoin n'exposent jamais les identificateurs de comptes vulnérables, et les utilisateurs du bitcoin peuvent protéger les renseignements personnels de leurs transactions sans devoir faire appel ou faire confiance à des intermédiaires.

Étant donné que, dans le système bitcoin, on n'a pas à faire confiance à des acteurs centraux, aucune réglementation ou surveillance centralisées ne sont nécessaires. Si leur architecture est bien conçue, les services financiers bitcoin ne sont pas vulnérables à des défaillances centrales qui nécessiteraient une surveillance et une réglementation lourdes. Au contraire, le pouvoir est confié à l'utilisateur final, dont l'intérêt principal consiste à protéger ses propres fonds. Bien que les portefeuilles de bitcoins individuels puissent être ciblés et compromis s'ils ne sont pas adéquatement protégés, le réseau Bitcoin, en revanche, n'est pas exposé aux risques systémiques centralisés.

Contrairement à la croyance populaire, le bitcoin n'est pas sans réglementation. En effet, plusieurs aspects du réseau et du système financier Bitcoin sont régis par un algorithme mathématique. La réglementation algorithmique du réseau Bitcoin offre aux utilisateurs des résultats prévisibles, objectifs et mesurables, comme un taux prévisible d'émission de monnaie. Ces résultats ne sont pas assujettis à l'humeur d'institutions ou de comités centralisés, qui, souvent, peuvent être corrompus et échapper à la surveillance démocratique. Un utilisateur de bitcoins peut prédire ce que sera l'offre monétaire dans 30 ans au lieu de s'en remettre au choix de mots de quelque haut responsable de la banque centrale, qui, par un seul adjectif, peut changer complètement l'orientation de la croissance monétaire la semaine suivante.

L'architecture décentralisée du bitcoin ne se conforme pas facilement aux attentes et aux expériences des consommateurs ou des organismes de réglementation parce qu'il n'y a jamais eu de réseau décentralisé sécurisé de grande envergure auparavant. La combinaison de décentralisation et de sécurité est la nouveauté au cœur de l'invention du bitcoin. En tentant de comprendre la protection des consommateurs, la surveillance, l'audit et la réglementation du bitcoin, on court le risque que bien des gens tentent d'appliquer les modèles du passé qu'ils connaissent à ce nouveau système de monnaie numérique. Ces modèles sont tous centralisés et conçus pour assurer la réglementation et la surveillance des réseaux financiers centralisés. Les solutions centralisées seront certes plus faciles à comprendre et sembleront plus communes, mais il reste qu'elles sont toutes inefficaces et mal adaptées à cette nouvelle forme de réseau financier décentralisé.

Je vous exhorte à résister à la tentation d'appliquer des solutions centralisées à ce réseau décentralisé. Si on centralise le réseau Bitcoin, on affaiblira sa sécurité, on émoussera son potentiel novateur, on lui enlèvera ses caractéristiques les plus perturbatrices, certes, mais aussi les plus prometteuses, tout en déresponsabilisant ses utilisateurs et en habilitant les titulaires. La protection des consommateurs ne sera pas assurée par la suppression des caractéristiques de protection interne des renseignements personnels du réseau Bitcoin. En demandant des identificateurs d'utilisateur et l'ajout de mécanismes de contrôle d'accès au réseau Bitcoin, pour ensuite remettre ces identificateurs entre les mains d'une chaîne d'intermédiaires, on ne fera que répéter les erreurs du passé en introduisant des points faibles dans un réseau qui n'en a pas. Nous ne pouvons pas protéger les consommateurs en leur enlevant la capacité de contrôler leurs renseignements personnels, pour ensuite leur demander de les confier aux mêmes intermédiaires qui les ont laissés tomber tant de fois auparavant. La plupart des défaillances de la sécurité du bitcoin résultent de tentatives mal avisées de centralisation et de déresponsabilisation des utilisateurs. Dans ce nouveau réseau financier décentralisé, nous avons l'occasion d'inventer de nouveaux mécanismes de sécurité décentralisée fondés sur des innovations, comme l'entiercement à de multiples signatures, les contrats intelligents, les portefeuilles d'ordinateur, l'audit décentralisé et les preuves de réserves algorithmiques. Ce sont là les nouveaux outils de sécurité et de réglementation décentralisés qui conviennent le plus aux monnaies numériques décentralisées.

Je vous remercie de m'avoir invité à vous donner mon point de vue.

Le président : Merci, monsieur Antonopoulos, de votre exposé. Il a clairement trouvé écho auprès du comité et suscité un certain nombre de questions.

Avant de laisser les sénateurs vous poser des questions, j'aimerais simplement faire une observation. Dans vos remarques, vous avez indiqué que le modèle de sécurité décentralisé des devises fondé sur les chaînes de blocs est bel et bien sécuritaire et que les services financiers bitcoins ne sont pas vulnérables aux défaillances centrales, lesquelles nécessiteraient de la surveillance et de la réglementation. Par conséquent, si je vous comprends bien, vous en êtes arrivé à la conclusion que le gouvernement et d'autres organismes de réglementation ne devraient pas s'occuper de cette devise, affirmant que, et je cite : « Si on centralise le réseau Bitcoin, on affaiblira sa sécurité. »

Pendant que j'écoutais attentivement vos propos, je n'ai pu m'empêcher de remarquer que vous ne faites absolument aucune mention des activités criminelles soutenant une cryptomonnaie comme le bitcoin. J'ai été étonné que vous ne parliez pas du blanchiment d'argent, du terrorisme financier et d'autres utilisations abusives rendues possibles par la nature anonyme et ouverte du bitcoin.

Je pense que vous avez indiqué dans votre exposé que le réseau Bitcoin peut être ouvert à qui conque sans examen approfondi, authentification, identification ou autorisation préalable.

Je me doute que l'utilisation possible du bitcoin à de mauvaises fins inquiète les Canadiens et le comité. Auriez-vous quelque chose à dire à cet égard? Peut-être que d'autres sénateurs voudront aborder le sujet dans leurs questions également.

M. Antonopoulos : Certainement. Je crois qu'il y a un grand malentendu au sujet du fait que l'utilisation du bitcoin ou que le réseau lui-même soit anonyme. Au contraire, le grand livre public central permet à tout participant d'observer les transactions effectuées sur le réseau. Ces transactions ne sont pas toujours liées à une identité précise, mais avec les mécanismes d'application de la loi traditionnels, quand une identité est rattachée à une transaction donnée, cette dernière peut être suivie à travers le réseau, qui ne confère donc pas plus d'anonymat.

En fait, il est plus facile d'instaurer des fonctions de transparence et de responsabilité sur le réseau que de réussir à assurer un solide anonymat sur le réseau Bitcoin.

En outre, je pense que le bitcoin ne constitue pas un réseau très pratique pour de telles utilisations. La vaste majorité de ces activités s'effectuent en espèces, en dollar américain, de fait. Je ne considère pas le bitcoin comme le principal moyen de mener de telles activités illicites. Mais je vois l'immense potentiel de l'utilisation du bitcoin pour la population de plus de six milliards de personnes qui, dans le monde, ont un accès très limité aux devises, aux marchés du crédit et au commerce internationaux. Je pense que cette utilisation est beaucoup plus importante que l'infime minorité de cas où on pourrait utiliser quelques devises à des fins illicites.

Le président : Merci de ces observations. Sur ce, je vais commencer ma liste.

Le sénateur Massicotte : Je pense que le sénateur Tkachuk a la même question. Il faut essayer d'expliquer comment tout cela fonctionne. Pouvons-nous essayer de le faire?

Le président : Quand son tour sera venu, nous lui laisserons la parole.

Le sénateur Black : Merci beaucoup, monsieur Antonopoulos, de comparaître. Je me découvre un réel intérêt à l'égard de ce que vous avez à dire.

Tout d'abord, permettez-moi de dire ce que j'espère comprendre grâce à vous. Je suis intéressé à apprendre ce qu'il est nécessaire de faire pour permettre à cette innovation de se développer. C'est mon point de départ, qu'il soit valable ou non. Pour faire suite aux observations initiales du président, j'ai une ou deux questions à vous poser.

Quand CAVIRTEX a témoigné devant le comité, ses représentants ont indiqué qu'ils souhaitaient qu'on réglemente le bitcoin le plus rapidement possible pour qu'on sache clairement comment cette monnaie est classifiée. Comme ils l'ont dit au comité, ils considèrent que cela permettrait au bitcoin de prospérer au Canada. Dans votre exposé, vous avez déclaré que le bitcoin ne devrait pas être réglementé de manière centrale, car cela étouffera l'innovation. Comme d'autres groupes ont fait écho aux propos CAVIRTEX, aidez-moi à comprendre la disparité entre le témoignage de CAVIRTEX et ce que vous avez dit aujourd'hui.

M. Antonopoulos : Volontiers. Je crois que le meilleur moyen de soutenir le bitcoin est d'assurer la clarté quant à son traitement et de veiller à ce qu'il ne soit pas essentiellement obligé à cadrer avec des structures réglementaires conçues par des banques pour des banques ou avec en tête des modèles financiers traditionnels, lesquels sont surtout centralisés. Il faut comprendre que le bitcoin est une monnaie programmable dotée de capacités comme l'entiercement à de multiples signatures numériques et offrant bien plus de moyens de répondre aux besoins de protection des consommateurs.

Par exemple, dans l'environnement bancaire traditionnel, à moins de détenir de l'argent comptant, chaque compte dont un consommateur est titulaire est un compte de garde. Cela signifie que les fonds qui y sont déposés sont détenus en fiducie par une banque et que le consommateur reçoit essentiellement en retour une note indiquant que l'argent sera encore là demain matin. La banque contrôle essentiellement l'argent.

Le bitcoin permet de bénéficier d'un éventail bien plus diversifié de modes de contrôle entre un consommateur et l'établissement de services financiers qu'il peut utiliser, allant d'un contrôle complètement décentralisé, dans le cadre duquel le consommateur ou l'utilisateur final est le seul à détenir le contrôle total sur l'argent, à des comptes en garde complète, pour lesquels l'établissement de services financiers a entièrement accès aux clés et le consommateur n'en a aucun.

Entre les deux se trouvent également des modèles hybrides dans le cadre desquels la banque joue un rôle de signature; elle ne peut changer la direction des fonds, seulement approuver les transactions. Dans ce large éventail de possibilités, certains aspects doivent évidemment être réglementés. J'entends par là que si on simule un environnement financier traditionnel avec un compte de garde où on contrôle tous les fonds de l'utilisateur, ces fonds se trouvent maintenant à l'extérieur du modèle de sécurité bitcoin. Ils ne sont plus protégés par le contrôle de l'utilisateur sur les clés ou par la chaîne de blocs. Ils se trouvent maintenant dans une zone grise où ils ne sont pas couverts par les exigences de la réglementation en ce qui concerne la suffisance en capital, les vérifications, la sécurité, le contrôle et d'autres aspects, pas plus qu'ils ne le sont par un modèle de sécurité bitcoin.

Nous avons vu que chaque fois que cela se produit, cela tourne à la catastrophe. Presque tous les échanges en bitcoin qui ont été attaqués reposaient sur un modèle de compte de garde comme celui-là. Ce n'est toutefois pas le seul modèle qui existe. Il y a des portefeuilles bitcoin numériques sur lesquels l'utilisateur exerce un contrôle total, mais où les transactions ne peuvent s'effectuer à moins qu'une signature supplémentaire ne soit apposée par une institution agissant essentiellement à titre de gestionnaire de risque pour veiller à ce que même si les systèmes de l'utilisateur sont compromis, l'argent ne peut être volé : c'est un modèle hybride.

Si on assujettit tous ces modèles à une seule réglementation unificatrice, en présumant qu'ils sont tous similaires à une banque, on perd alors des occasions de créer de meilleures solutions pour cette nouvelle monnaie programmable.

Je crois que certains modèles d'utilisation du bitcoin doivent être réglementés. Si le contrôle des fonds de l'utilisateur est centralisé, alors l'institution fait courir un risque aux consommateurs. Mais l'instauration d'un modèle décentralisé dans le cadre duquel l'utilisateur a encore le contrôle total de ses fonds et l'institution ne peut voler d'argent en vertu de la même réglementation est non seulement malavisée, mais elle ne permet pas à cette technologie de se développer davantage.

Le sénateur Black : Merci beaucoup de cette précision. Que proposeriez-vous alors au comité de faire au sujet de la réglementation, le cas échéant?

M. Antonopoulos : Je pense que cette technologie en est encore à ses tout premiers pas. Non seulement le bitcoin est- il nouveau, mais il évolue rapidement.

Par exemple, la technologie permettant d'effectuer des transactions à signature multiples, dans le cadre desquelles il peut y avoir jusqu'à 20 signatures différentes pour une seule transaction et où une transaction peut être contrôlée par n'importe quel ensemble de signatures, a été instaurée en 2012, quatre ans après l'arrivée du bitcoin. Elle est arrivée à pleine maturité ou a été entièrement utilisable en 2013. Le bitcoin offre donc de nouvelles capacités programmables fascinantes pour assurer la sécurité des utilisateurs.

Je considère que cette technologie a besoin qu'on lui laisse du temps pour s'épanouir. Il faut du temps pour montrer tout le potentiel de ce qui est possible avec la monnaie programmable décentralisée. D'ici là, je pense qu'en ouvrant la porte à ces possibilités en faisant des distinctions claires, là où la technologie le permet, entre les modes de fonctionnement centralisés et décentralisés afin d'en comprendre les nuances, on peut créer des niches où les nouveaux acteurs peuvent pénétrer le marché des services financiers et lancer des innovations, stimuler la concurrence et, bien honnêtement, causer des perturbations dans l'industrie bancaire en mettant à l'essai de nouveaux modèles pour assurer la protection des consommateurs. Ces modèles sont, selon moi, supérieurs à ceux qui existent aujourd'hui.

Le sénateur Black : Quelle est donc votre réponse au sujet de ce que le comité devrait faire, s'il doit effectivement intervenir?

M. Antonopoulos : Attendez que la technologie soit mieux comprise de tous.

En outre, comprenez qu'il existe dans cette technologie des nuances qui exigent un traitement très minutieux, car un traitement uniforme, comme si le bitcoin n'était qu'une devise, alors qu'il s'agit d'un réseau monétaire, et comme s'il n'avait qu'une application, ce qui n'est pas le cas, étoufferait cette technologie dès le départ.

Le sénateur Campbell : Merci beaucoup de témoigner aujourd'hui.

Je me souviens quand j'ai eu une machine à écrire IBM Selectric dotée d'une touche de retour en arrière me permettant de corriger des lettres, je me suis dit qu'il était impossible de faire mieux que cela. J'ai 67 ans. C'est ma génération.

Vous affirmez que la technologie a besoin de temps pour s'épanouir. Serait-il juste de dire que la jeune génération comprend mieux que ma génération?

M. Antonopoulos : C'est le cas pour toute nouvelle technologie.

Le sénateur Campbell : Pensez-vous qu'il soit juste de dire, par exemple... Je doute énormément que je vais adopter le bitcoin. Je ne le comprends même pas encore et nous en sommes à notre 11e séance. Le sénateur Massicotte le comprend, lui.

Mais quand je parle de notre comité aux jeunes, ils comprennent tout à fait. Ils n'ont aucune question à poser. Ils disent : « C'est vers cela qu'on se dirige et c'est ainsi qu'on va y arriver. » Je me suis fait dire de ne pas mettre mon vieux nez là-dedans. Je pense que vous avez expliqué de quoi il en retourne. Combien de temps cette technologie a-t-elle besoin pour s'épanouir? Combien de temps pensez-vous qu'il faudra? Avec quelle rapidité cette technologie s'imposera- t-elle?

M. Antonopoulos : J'estimerais que le bitcoin est dans la même position qu'Internet l'était en 1992. À l'époque, il fallait maîtriser les lignes de commande UNIX pour envoyer un courriel, et c'était très difficile. Environ 10 ans plus tard, le courrier électronique était déjà adopté par le grand public, particulièrement par les jeunes. Presque exactement 20 ans plus tard, ma mère a eu son premier iPad et a pu envoyer son premier courriel.

Il a fallu un certain temps pour que cette technologie, qui était autrefois quelque chose de très ésotérique que seul pouvait comprendre quelqu'un travaillant en informatique, soit maîtrisée du bout des doigts par ma mère, une technophobe avérée.

Cela peut donc prendre un certain temps. Mais je peux vous affirmer que cette technologie évoluera trois fois plus vite parce que nous ne déployons pas d'infrastructure physique et que nous avons déjà Internet à notre disposition pour propager la technologie.

Je pense que d'ici huit ans, on verra arriver de nouvelles applications grand public qui seront bien plus sécuritaires et faciles à utiliser, lesquelles permettront aux consommateurs d'utiliser le bitcoin en se sentant très à l'aise. Mais nous n'en sommes pas encore là.

Le sénateur Campbell : D'accord. J'ai une autre question.

Si on n'a pas besoin de surveillance centralisée pour suivre ce qui se passe, vous dites que ce sont les utilisateurs initiaux et finaux qui contrôleront tout le réseau. Mais si personne ne sait qui est l'utilisateur initial, comment peut-on être certain que l'État islamique en Irak et au Levant ou un autre groupe délinquant ne se serviront pas du réseau pour transférer des fonds un peu partout dans le monde?

M. Antonopoulos : Je suis convaincu que la possibilité qu'on utilise cette technologie à des fins positives dépasse de loin l'infime risque qu'on en fasse un usage illégitime. En vérité, l'EIIL utilise probablement des palettes d'argent qu'il a volées aux alliées pendant son règne de terreur plutôt que des bitcoins.

Il faut vraiment comprendre que c'est limiter une technologie pouvant permettre l'inclusion économique de milliards de personnes qui ne bénéficient pas de cette inclusion actuellement — de la même manière que le téléphone cellulaire a permis à des nations entières de sauter l'étape de la ligne terrestre pour arriver dans un domaine technologique où elles jouissent de communications autrefois impensables —, et le bitcoin peut faire la même chose dans le domaine des banques et de la finance. Il peut habiliter des milliards de personnes de par le monde dans des domaines comme les envois d'argent, les finances et le crédit internationaux, l'accès aux liquidités et aux prêts, et d'autres choses comme cela.

À l'instar de toute technologie, celle-ci sera le reflet de la société, et une minorité infime tentera de s'en servir à de mauvaises fins. Mais je suis entièrement convaincu que l'application appropriée des capacités d'exécution de la loi peut permettre de suivre l'argent sur le réseau Bitcoin aussi bien, et probablement mieux, qu'on peut le faire dans les réseaux financiers traditionnels.

En outre, je pense que le bitcoin est la plus ouverte et la plus transparente des crypto-monnaies. Il en existe déjà 500 autres, et je pense que si on ne laisse pas au bitcoin l'occasion de fonctionner d'une manière qui habilite les gens, les criminels finiront par recourir à des monnaies bien plus discrètes et bien moins ouvertes.

Le sénateur Campbell : Merci de comparaître aujourd'hui. Je vous en suis très reconnaissant.

Le sénateur Greene : Merci beaucoup de témoigner. C'est sans contredit le sujet le plus intéressant que nous ayons examiné depuis que je suis membre du comité. Je suis tout simplement épaté.

En lisant votre document hier soir, il m'est venu à l'esprit — et je veux connaître votre avis à ce sujet — que le bitcoin et les devises semblables ne peuvent être piratés parce qu'il n'y a rien à pirater. Est-ce exact? Dans l'affirmative, pouvez-vous nous expliquer ce principe en termes très simples, puisqu'il y a probablement bien des gens qui regardent la séance?

M. Antonopoulos : Le portefeuille bitcoin individuel — le mien — peut être piraté, comme nous avons été à même de le constater. Mais le système dans son ensemble ne peut l'être. Je l'affirme avec confiance, car au cours des cinq dernières années, particulièrement récemment, au cours de la dernière année et demie, pendant laquelle plus de 5 milliards de dollars américains ont été transférés sur le réseau, il n'a pas manqué de gens qui ont tenté de pirater le bitcoin. S'il est une chose que nous avons observée, c'est que le bitcoin a modifié la dynamique même de la cybercriminalité et du piratage. Il a suscité une hausse des attaques et constitué pour les pirates une cible très fluide parce qu'elle réside sur l'ordinateur des gens, et certains ont tenté d'en profiter.

Je sais que le bitcoin ne peut être piraté simplement parce que des gens ont sans cesse essayé de le faire depuis cinq ans, et en vain. Il existe donc une différence considérable entre le système dans son ensemble, lequel est dynamique et réagit aux tentatives de piratage, et les portefeuilles individuels.

Je pense que l'évolution est très semblable à celle d'Internet. Je me souviens d'un temps où un groupe de pirates pouvait paralyser Yahoo, Microsoft et Google pour une journée; ils n'en sont plus capables aujourd'hui, et ce n'est pas faute d'essayer. C'est parce qu'un système dynamique constamment exposé à des stimuli menaçants développera une résistance et résistera mieux à ce genre d'attaques. C'est un concept souvent appelé « antifragile », en vertu duquel le système devient dynamiquement stable et résistant aux attaques.

Le bitcoin n'est pas statique; il continue d'évoluer et résiste toujours mieux aux attaques au fil du temps.

Le sénateur Greene : En répondant à l'intervenant précédent, vous avez indiqué qu'il existait environ 500 autres crypto-monnaies. Comment le bitcoin se compare-t-il à ces monnaies? Ces dernières sont-elles de sérieuses concurrentes ou sont-elles des imitations?

M. Antonopoulos : Je dirais qu'il s'agit d'imitations dans la plupart des cas. Selon moi, la répartition des crypto- monnaies suit une courbe à longue traîne ou de la loi de puissance en ce qui concerne la taille du marché, l'adoption, les utilisateurs, et cetera. La vaste majorité se concentre dans peut-être une poignée de monnaies, derrière laquelle s'étire une traîne qui comprend des milliers de devises de moindres importances.

La dynamique nécessaire à la création de monnaies à volonté établit un environnement qui comptera des milliers — peut-être des dizaines de milliers — de devises dans l'avenir. Seule une poignée d'entre elles auront une viabilité économique et une valeur marchande, mais cela ne change pas la nature du phénomène. À mon avis, les gens créeront des monnaies comme ils créent des mèmes Internet. Dans bien des cas, il s'agira de mèmes Internet, comme on l'a vu avec les monnaies.

On est en présence ici d'un laboratoire d'évolution et d'innovation, où les nouvelles idées sont mises à l'essai, et certains des meilleurs résultats sont souvent des échecs totaux de petite envergure qui guident les concepts futurs du bitcoin.

Le sénateur Greene : C'est étonnant.

Prévoyez-vous qu'un jour, dans l'intérêt du développement économique ou pour un autre motif, un État-nation décidera d'abandonner sa devise pour adopter le bitcoin?

M. Antonopoulos : C'est une question difficile, car je pense que la nature même des devises est en train de changer. Je pense que l'économie, si l'on veut, ou l'organisation qui adopte la monnaie est Internet, et c'est une entité transnationale. Je considère que cette monnaie a des implications encore plus importantes pour l'avenir que les devises nationales. Le bitcoin est déjà plus important que certaines devises nationales et il pourrait bien, dans l'avenir, devenir plus important pour l'activité économique que des dizaines de devises nationales de moindre importance.

Je prévois que dans l'avenir, les banques centrales nationales utiliseront peut-être la technologie de chaîne de blocs pour soutenir la devise numérique nationale.

Le sénateur Greene : Merci.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie de témoigner devant nous. Vos propos sont très intéressants et très utiles. Permettez-moi de faire suite à la question de notre président.

Dans votre exposé, vous nous avez découragés de recommander une forme quelconque d'identification, faisant valoir que c'est toujours visible. Vous avez raison, la chaîne est visible. Mais on ne voit pas qui se trouve derrière la chaîne. Voilà pourquoi, je présume, les gens ayant des objectifs et des moyens illégaux sont disposés à utiliser ce mécanisme, puisqu'ils s'en servent apparemment pour transférer et blanchir de l'argent.

Je crois comprendre que vous dites que c'est un aspect négatif, mais que vous nous priez de ne pas mettre de mesures en place pour restreindre le flot de transactions parce que l'utilité de ces mesures pour découvrir qui se cache derrière les transferts est moindre que l'utilité que peut en tirer notre société si on laisse ce système de développer. Est-ce exact? La chaîne est visible, mais pas l'identité de la personne, et c'est sur ce point sur portait la question du président.

M. Antonopoulos : Je reconnais deux aspects. Tout d'abord, les tentatives visant à imposer l'identité au bitcoin seront, selon moi, inefficaces, car il existera toujours des moyens permettant d'effectuer des transactions non identifiables, que ce soit en bitcoin ou en d'autres monnaies, et cela fera disparaître un des principaux avantages.

Sénateurs, j'ai reçu aujourd'hui trois appels automatisés du service de prévention de la fraude de Visa parce que j'ai utilisé ma carte au Canada. Ce service m'a appelé toute la journée. Cela m'arrive chaque fois que je voyage. C'est un symptôme qui montre qu'en envoyant un identifiant qui permet à d'autres d'utiliser mon compte et qui lie chaque transaction à une de mes activités, non seulement je renonce à la protection de mes renseignements personnels, mais je mets aussi ma propre sécurité en danger chaque fois que j'utilise ma carte de crédit. Ce système n'est pas viable. Aux deux ou trois semaines, j'apprends à la télévision qu'un autre groupe a perdu l'identité et les cartes de crédit de 50 millions de consommateurs. Pour le consommateur moyen, cela signifie qu'il faudra protéger son identité du risque pendant des mois. Ce sont les intermédiaires qui s'occupent de nos identités. Au cours des deux dernières décennies, nous avons constaté qu'il est impossible de protéger les systèmes de sécurité de l'information d'une manière permettant de prévenir ces types de vols. L'erreur consiste à accoler une identité à chaque transaction et à créer des systèmes qui peuvent constamment accéder à nos comptes.

Le bitcoin est fondamentalement différent. Le fait de rompre avec ce modèle pour faire un lien avec une identité que n'importe quelle personne malintentionnée peut aisément contourner ne nous protégera pas davantage, tout en ayant des effets néfastes sur les consommateurs.

Le sénateur Massicotte : En conclusion, même si vous reconnaissez que cette forme de système pourrait encourager le blanchiment d'argent, vous nous exhortez à ne rien faire à cet égard parce que les avantages que retirerait la société de cette forme de transfert sont plus importants. C'est là votre argument en principe? Je conclus que c'est ce que vous dites.

M. Antonopoulos : Mon argument, c'est que l'invention des technologies de chaîne de blocs permet à n'importe lequel de ces systèmes de servir à des fins malveillantes sans identité et qu'on ne peut rien faire pour empêcher quelqu'un d'en abuser.

Le sénateur Massicotte : On ne peut même pas essayer.

M. Antonopoulos : Je pense que cela nuirait à la vaste majorité des gens qui en font bon usage.

Le sénateur Massicotte : Nous sommes plus vieux que vous. Je regarde toujours du côté des banques centrales parce que nous formons le Comité des banques et qu'elles nous présentent de nouvelles théories tous les 20 ou 30 ans sur l'offre monétaire, la croissance monétaire et la façon de maîtriser l'inflation ou la monnaie en général. On apprend toujours au bout de 30 ou 40 ans qu'elles se sont trompées. Autrement dit, il y a toujours quelque chose qui cloche.

Je regarde votre algorithme. Vous nous dites : « Nous allons prévoir la croissance nécessaire de cette monnaie » — c'est une forme de transfert — et « Nous avons raison ». Je suis toutefois presque sûr que dans 20 ou 30 ans, on va se rendre compte que vous n'aviez pas raison. Quand vous essayez de prévoir l'avenir, quelles sont les deux ou trois petites choses sur lesquelles vous pouvez vous tromper? Autrement dit, quelles sont les deux faiblesses pour lesquelles vous vous dites : « Je me suis peut-être trompé »?

M. Antonopoulos : Il faut comprendre que la politique monétaire du bitcoin n'est que l'une des recettes possibles. Le bitcoin et d'autres monnaies nous permettent d'appliquer des recettes monétaires à volonté et d'en établir de nouvelles pour chaque monnaie. Si la recette monétaire du bitcoin n'est pas bonne, les gens vont se tourner vers une autre monnaie ayant les mêmes caractéristiques de décentralisation, mais selon une autre recette monétaire. Ce n'est que l'un des choix possibles.

Je ne sais pas si c'est bon ou mauvais, mais je sais où en sera le bitcoin dans 30 ans exactement. Je peux vous dire, au millionième près, combien il y aura d'unités de monnaie dans 140 ans, en bitcoins. Que vous aimiez ou non la recette, que vous soyez d'accord ou non, elle crée de la certitude et de la prévisibilité, elle permet aux gens de revoir leurs attentes en conséquence. Que ce soit ou non la bonne politique monétaire, ce nouveau modèle permet à chacun de créer sa propre monnaie selon une politique monétaire différente. C'est la meilleure qui l'emportera. La concurrence est ouverte.

Le sénateur Massicotte : L'offre est définie en fonction de la formule algorithmique. Il y a des gens comme notre président qui en ont acheté, l'offre est donc peut-être limitée. Sera-t-elle égale à la croissance de la demande? Qui sait?

M. Antonopoulos : Personne ne le sait.

Le sénateur Massicotte : Par conséquent, le prix de cette monnaie pourrait fluctuer énormément si vous vous trompez, parce que l'objectif de l'algorithme est évidemment de prévoir la croissance future le plus possible. L'offre est peut-être définie, mais pas le prix. Si sa valeur fluctue beaucoup, il sera moins tentant de l'utiliser.

M. Antonopoulos : Tout à fait. En ce moment, je pense que la volatilité vient actuellement du peu de liquidités en bitcoins. La recette qui s'applique au bitcoin est très circonscrite, elle consiste à simuler la courbe de l'offre d'un métal précieux comme l'or. C'est une théorie monétaire particulière.

Selon une théorie monétaire différente, on pourrait créer une monnaie différente grâce à la technologie des chaînes de blocs, dont l'offre pourrait même être définie par un comité composé de 12 gestionnaires de banques centrales, qui inviterait les utilisateurs à l'adopter. Ce sera encore plus transparent que notre système monétaire actuel.

Le sénateur Wells : Je suis content d'être ici aujourd'hui en remplacement de quelqu'un. Nous nous sommes croisés un peu plus tôt aujourd'hui, monsieur le président, et vous m'avez dit que ce serait une rencontre très intéressante, et c'est vrai.

Monsieur Antonopoulos, je vous remercie d'être ici et je vous remercie de vos réponses jusqu'à maintenant.

Qui sont les plus grands détracteurs du bitcoin et pourquoi sont-ils contre le bitcoin?

M. Antonopoulos : Je ne sais pas trop qui sont les plus grands détracteurs du bitcoin. Je peux vous dire que moi- même, comme tous ses autres grands défenseurs que je connais, j'en ai d'abord été un détracteur. Ma première réaction lorsque j'ai découvert le bitcoin a été de dire : « C'est une monnaie pour technophiles, cela ne peut pas marcher. » En fait, quand Satoshi Nakamoto a inventé le bitcoin et en a fait l'annonce sur la liste d'envoi cryptographique, tout le monde autour de lui a réagi à peu près de la même façon.

Le cercle des défenseurs de ce système, qui se comptent désormais en millions de personnes, se compose uniquement de personnes qui ont d'abord été de grands sceptiques. La différence, c'est que la première fois que j'en ai entendu parler, c'est la réaction que j'ai eue. La deuxième fois, j'ai lu un article sur le sujet et j'ai compris qu'il ne s'agissait pas d'une monnaie, mais d'un modèle de réseau décentralisé de sécurité financière et de confiance, qui permet de créer une monnaie, mais qui permet bien d'autres choses. Cela m'a littéralement renversé. J'ai alors compris que c'était bien plus gros. Nous avons tous été des sceptiques au départ.

Je ne sais pas si tous les sceptiques changent d'idée avec le temps, mais je vois que la plupart des gens qui examinent attentivement le système de bitcoins se rendent compte qu'il représente bien plus qu'il n'y paraît à première vue.

Le sénateur Wells : Quelle serait la plus grande menace à la croissance du bitcoin? Serait-ce la peur de l'inconnu? Serait-ce l'aspect de la sécurité, le niveau de technologie ou la sécurité des nœuds, qui ne serait peut-être pas aussi élevée que celle de l'ensemble du système?

M. Antonopoulos : Il y a des problèmes de sécurité importants liés à la propriété et à la manipulation des clés cryptographiques et des portefeuilles personnels de bitcoins.

La simple vérité, c'est que nous n'assurons la sécurité de l'information que depuis quelques dizaines d'années. Nous n'arrivons pas encore à l'assurer efficacement, qu'il s'agisse de protéger le crédit ou les bitcoins des utilisateurs. La beauté du bitcoin, c'est que le risque qu'il comporte est compartimentalisé. Il n'y a donc pas de risque systémique.

Je pense que dans quelques années, nous allons assister à la création de porte-monnaie électroniques, comme ceux qui commencent déjà à apparaître sur le marché. Pour chaque problème que je vois dans le bitcoin, en tant qu'entrepreneur, je vois immédiatement une incroyable occasion d'affaires.

Quand on analyse l'histoire d'autres technologies perturbatrices, on voit qu'en 1994, il y avait des dizaines est des dizaines d'articles sur le déclin d'Internet, parce que plus personne n'arriverait à y trouver quoi que ce soit. Sergey Brin et Larry Page y ont vu une occasion d'affaires et non un problème. Pour le bitcoin, chacun de ces problèmes est porteur d'un potentiel de création d'une nouvelle entreprise financière novatrice qui offrirait des solutions.

Le sénateur Wells : Parmi les millions d'utilisateurs du bitcoin en ce moment, quel serait le plus grand groupe d'utilisateurs? Celui des transactions financières internationales? Quel en serait le plus grand utilisateur en ce moment, le groupe avec la plus grande pluralité?

M. Antonopoulos : Honnêtement, je pense qu'il y a quelques études statistiques qui peuvent nous en donner une idée. Je ne connais pas les chiffres exacts. L'usage le plus commun du bitcoin est le don de charité et le pourboire.

Je serais porté à dire que le portrait démographique des utilisateurs en ce moment ressemble probablement beaucoup à celui des débuts d'Internet, un portrait très étroit de professionnels de la technologie. Il y a beaucoup de technophiles dans cet espace. Je ne peux pas vous répondre avec certitude, mais cette tendance suit celle d'autres technologies. Elle devient de plus en plus attirante avec le temps pour un plus vaste public.

Pour moi, le plus intéressant n'est pas ce que le bitcoin peut apporter aux pays occidentaux développés, parce que nous avons déjà des systèmes bancaires assez élaborés. Je suis plutôt fasciné à l'idée de pouvoir déployer le bitcoin sur un téléphone intelligent Nokia au Kenya et à Lagos, au Nigeria, afin d'offrir des services en ligne à l'économie mondiale, à des gens qui n'ont jamais eu accès à des services financiers ni à du crédit international et qui pourraient désormais être liés au reste du monde en toute équité. C'est ce qui m'enthousiasme et c'est le plus grand besoin que le bitcoin peut combler.

La sénatrice Ringuette : C'est très impressionnant. Vous avez commencé par dire avoir passé 20 ans à travailler pour les réseaux et les centres de données de sociétés de services financiers. Je pense qu'elles auraient cruellement besoin de vous réembaucher.

Compte tenu de toutes les connaissances que vous avez accumulées sur les cryptomonnaies, quelle serait votre estimation pour ce qui est de créer une cryptomonnaie similaire?

M. Antonopoulos : Je ne suis pas certain de comprendre votre question.

La sénatrice Ringuette : Comme vous l'avez dit, il existe 500 monnaies différentes sur les réseaux. À combien estimeriez-vous le coût de création d'une cryptomonnaie semblable au bitcoin?

M. Antonopoulos : Chaque jour, quelqu'un décide que le bitcoin n'est pas la solution et qu'il en a une meilleure à proposer. Les gens essaient de concevoir une meilleure cryptomonnaie. La technologie de la chaîne de blocs fait de l'inclination très naturelle des gens à créer des monnaies une forme de langage, d'expression de valeur. Ce phénomène existe dans toute société, depuis l'époque préhistorique où l'on utilisait des perles et des plumes, jusqu'à l'époque moderne, où l'on utilise les dollars de récompense d'entreprise, les certificats cadeaux et toutes les formes de monnaies qui existaient avant l'institution du monopole de la monnaie nationale fédérale.

Cette possibilité non seulement de créer une monnaie, mais que cette monnaie ait instantanément un caractère mondial, qu'elle soit sécurisée, rapide, prévisible et transparente, signifie qu'un jeune de 10 ans pourrait désormais créer une monnaie qui serait aussi sûre que la monnaie créée par un monarque il y a quelques siècles.

Tout comme l'Internet a mis la publication et les communications entre les mains des individus et leur a permis de faire ce qui n'était auparavant que du ressort de ceux ayant accès à des presses de la taille d'un terrain de football, la technologie de la chaîne de blocs démocratise l'accès à la création de monnaies. Par conséquent, quiconque souhaite créer une monnaie, pour des raisons sérieuses ou totalement futiles, peut le faire. Cette monnaie aura instantanément un caractère mondial, sécuritaire et infalsifiable.

La sénatrice Ringuette : Le tout sans frais.

M. Antonopoulos : Sans frais. En fait, vous pourriez aller sur un site web et créer l'écu Ringuette dès aujourd'hui pour un cinquième de dixième de bitcoin, pour une toute petite somme en tout cas, et très bientôt, ce sera gratuit.

Je m'attends à voir des unités de monnaie créées par des enfants, des artistes, des équipes de football, dont la plupart n'auront qu'une fonction ou une valeur de divertissement. Certaines vont nous surprendre et entrer dans la sphère de la valeur économique. Cela change la relation fondamentale entre les individus et l'utilisation d'une monnaie comme forme d'expression.

La sénatrice Ringuette : Vous avez dit que les portefeuilles électroniques de bitcoins peuvent être attaqués s'ils ne sont pas bien sécurisés. Comment peut-on bien sécuriser un portefeuille électronique de bitcoins?

M. Antonopoulos : C'est très difficile en ce moment, il faut posséder de grandes compétences techniques. Ce sera l'un des problèmes à régler au cours des prochaines années pour rendre le bitcoin plus accessible à l'utilisateur moyen. En ce moment, il est difficile de les sécuriser parce que nos systèmes informatiques ne sont pas conçus pour sécuriser de l'argent n'ayant qu'une forme numérique et qui ne se trouve que sur un iPhone ou un ordinateur.

Pour les experts et les spécialistes, il y a de nouveaux appareils qui entrent en marché, comme des porte-monnaie complètement intégrés à un petit dispositif qu'on peut brancher à un ordinateur et qui contient toutes les clés de bitcoin de la personne. Pour ma part, j'imprime mes clés cryptographiques de bitcoins sur du papier que je place dans un coffret de sécurité à l'épreuve du feu et j'en laisse une deuxième copie dans un coffre bancaire, ce qui est ironique, parce que je sécurise mes bitcoins en les laissant dans la chambre forte d'une banque. Mais le fait de leur donner une forme physique me permet de leur impartir la plus grande forme de sécurité que je sache utiliser, parce que la sécurité physique est souvent celle que nous connaissons le mieux.

La sécurité de l'information s'accélère en raison du bitcoin, et il y a beaucoup d'innovation dans cet espace, ce qui est très emballant.

La sénatrice Ringuette : Vous avez mentionné qu'on pourrait acquérir un prêt en bitcoins. Comment est-ce possible?

M. Antonopoulos : Il y a déjà des organisations qui appliquent le concept de prêt de pair à pair, qui existe pour les monnaies classiques. Par exemple, pour les monnaies classiques, il existe des entreprises comme lendingclub.com qui me permettraient de consentir un prêt à un autre Américain, qui paierait pour cela un taux d'intérêt inférieur à celui d'une carte de crédit, mais qui me permettrait d'obtenir un taux d'intérêt supérieur à ce que me rapporterait un certificat de dépôt. Si je diversifie suffisamment mes prêts et que je n'investis qu'une petite somme dans chacun, je peux n'encaisser qu'un faible taux de non-remboursement.

Ce modèle peut désormais être reproduit à l'échelle mondiale, et je pourrais prêter de l'argent en bitcoin (il y a des entreprises qui le font déjà) à une personne située n'importe où dans le monde. En fait, le cas échéant, j'investirais probablement dans deux ou trois milliers de prêts différents, si bien que le taux de non-remboursement d'un prêt ne toucherait pas l'ensemble de mon portefeuille et diversifierait mon risque.

Cela ouvre la porte à une véritable transformation du crédit dans le monde, parce que ce système permet non seulement aux gens des pays en développement d'avoir accès au crédit, mais il permet aux gens des pays développés d'investir leur agent directement auprès des emprunteurs, sans intermédiaires, à un coût très inférieur. Cela se fait déjà.

La sénatrice Ringuette : Oui, mais il y a un intermédiaire. Il y a l'organisation qui fait le lien entre ce que vous êtes prêt à prêter et les gens qui veulent souscrire un prêt.

M. Antonopoulos : C'est vrai, pour l'instant, mais pour le bitcoin, c'est l'une des choses extraordinaires qui se passe : beaucoup de services financiers classiques peuvent désormais être transformés pour prendre une forme complètement décentralisée, sans intermédiaires. La magie du bitcoin, c'est la suppression des intermédiaires et le lien direct entre les acheteurs et les vendeurs, les prêteurs et les emprunteurs, les consommateurs et les marchands, sans intermédiaires. C'est ce que cette invention nous permet de faire, sans devoir établir la confiance au préalable.

Le bitcoin ouvre donc la porte à un marché totalement décentralisé pour le crédit et le prêt, à l'échelle mondiale, presque instantané et offre accès à un vaste bassin de crédit, un potentiel très emballant.

La sénatrice Ringuette : Si le Canada décidait de réglementer la chose, comme certains témoins nous l'ont demandé, bien que les pays du G7 n'aient pas adopté de règlement du genre, quels en seraient les avantages et les inconvénients?

M. Antonopoulos : Ce serait intéressant, parce qu'il y a déjà énormément de fragmentation réglementaire. Il y a un organisme de règlementation, dans l'État de New York, qui a décidé de réglementer ce système en fonction de la loi de l'État de New York. Son règlement s'apparente beaucoup à la règlementation des banques classiques et n'est pas très bien adapté au bitcoin.

En même temps, il va y avoir d'autres formes de réglementation. Ainsi, aux États-Unis, on risque fort de se retrouver avec un ensemble disparate de règlements d'États, locaux et fédéraux. Je pense que la même chose risque d'arriver dans bien d'autres pays.

La technologie du bitcoin est telle qu'elle peut traverser les frontières très facilement, si bien que les sociétés de gestion du bitcoin peuvent migrer vers les États où la règlementation est la plus souple, qu'elle tient le mieux compte des nuances et de leurs besoins particuliers et y créer de l'emploi, de l'innovation et de la croissance.

Bref, je pense que le Canada et les autres pays qui étudient attentivement des projets de cadre réglementaire, plutôt que d'en adopter à la hâte, ont l'occasion de créer un milieu favorable à ces entreprises et d'attirer une industrie susceptible de créer des milliers d'emplois aujourd'hui, rien de moins, chose qu'on ne peut pas dire de tellement d'autres industries.

Le sénateur Meredith : Je vous remercie infiniment de votre exposé. J'ai lu vos notes d'allocution hier soir, et je vais enchaîner sur le même thème que ma collègue : la réglementation. Nos comités sénatoriaux visent à préparer des recommandations à présenter au gouvernement sous forme de rapport dans l'espoir qu'elles donnent naissance à des lois protégeant les Canadiens.

Vous avez parlé de personnes qui se sont fait pirater et d'entreprises, que vous avez nommées, qui ont dépensé des millions de dollars sur leur architecture de sécurité pour protéger les données fournies par leurs consommateurs. On voit à quel point elles sont vulnérables, et ces données se sont perdues. Les grandes banques ont affirmé quelques mois plus tard avoir été piratées elles aussi, à la grande surprise des consommateurs qui y ont des cartes de crédit et des données.

Vous militez donc pour un système décentralisé, alors que le système bancaire classique est fondé sur toutes les mesures de sécurité mises en place pour protéger les consommateurs. Nous sommes là pour protéger les Canadiens.

Pour revenir à la façon d'établir le système que vous proposez, celui des bitcoins, j'en comprends la justification du point de vue de l'accès, surtout pour ce qui est des régions isolées et de l'Afrique. On voit bien comment la révolution de la téléphonie cellulaire change la dynamique des communications et des transactions.

Parlez-nous un peu de la sécurité et de la façon dont nous pouvons protéger les Canadiens qui effectuent des transactions et qui vont en effectuer de plus en plus.

M. Antonopoulos : L'un des grands échecs de la réglementation des banques classiques, c'est que la centralisation des identifiants et de la réglementation créent une centralisation du risque. Donc quand une société comme Home Depot ou Target est victime de cyberattaques et qu'elle perd les renseignements personnels de 60 millions de consommateurs, les conséquences sont énormes parce qu'elle gardait les renseignements personnels de 60 millions d'utilisateurs en un seul et même endroit. Si les pirates devaient plutôt cibler ces 60 millions de consommateurs un à un pour les attaquer, le risque s'en trouverait infiniment plus bas. Bref, l'avantage d'un environnement décentralisé, c'est qu'il n'y a pas de registre central, de filière principale, de cache, ni de chambre forte où l'on garde les données personnelles de tout le monde et donc, où l'on peut porter atteinte à l'identité de tout le monde en même temps.

Le bitcoin propose un modèle différent dans lequel le risque et les mécanismes de contrôle sont repoussés vers l'extérieur, entre les mains des utilisateurs, ce qui rend le système beaucoup plus résistant au risque systémique. En revanche, il confère aux utilisateurs eux-mêmes d'énormes pouvoirs, qui viennent avec d'énormes responsabilités. Ces mécanismes de contrôle les exposent à un risque individuel.

Le sénateur Meredith : Comment peut-on atténuer ce risque?

M. Antonopoulos : L'innovation l'atténue déjà. D'une part, l'exposition au risque augmente pour chaque personne, individuellement, mais d'autre part, l'argent est programmable. Le caractère programmable de l'argent nous permet d'inventer de tout nouveaux modèles de sécurité, soit par des appareils spécialisés qui protègent les clés et ne les exposent jamais à l'environnement Internet, soit par des transactions à signatures multiples pour lesquelles de multiples signatures sont requises pour que les fonds soient libérés. Ces signatures peuvent venir de deux appareils différents que l'utilisateur porte. Il pourrait par exemple devoir autoriser une transaction simultanément de son ordinateur portable et de son téléphone cellulaire, ce qui lui garantirait un degré plus élevé de sécurité. Il pourrait également y avoir des mécanismes de contrôle secondaires ou tertiaires conservés en format papier ou dans un appareil hors ligne, dans un coffre-fort à l'épreuve du feu, à la maison, dans une chambre forte, je ne sais trop. C'est le genre de précautions de base qu'on prend en ce moment.

Cela dit, avec cette technologie, on voit déjà des entreprises offrir des services aux consommateurs pour surveiller chaque transaction qu'ils effectuent. Elles proposent une troisième signature pour autoriser la transaction en fonction d'une évaluation du risque. Ces entreprises ne détiennent toutefois pas elles-mêmes les fonds. Elles ne peuvent pas se les approprier. Elles ne peuvent que signer ou non une autorisation de transaction. Elles évaluent les risques, un point c'est tout.

Ce sont des modèles très intéressants que nous n'avions jamais explorés auparavant parce que l'utilisateur n'avait pas assez de pouvoir et que le réseau n'était pas assez ouvert pour permettre ce type d'expérience et d'accès. La technologie sous-jacente n'était pas assez flexible.

Je fais donc très confiance à ce système. Dans les deux dernières années seulement, où cette technologie s'est répandue, toute l'innovation déployée pour résoudre ce problème s'est accélérée exponentiellement, et je pense que nous sommes en train de gagner la bataille pour protéger le portefeuille des utilisateurs.

Dans ce contexte, il me semblerait ridicule d'obliger les utilisateurs à joindre des données d'identification à chaque transaction, puis de toutes les enregistrer dans un fichier central, comme l'exige le règlement de New York, puisqu'on se priverait de l'occasion unique de concevoir une nouvelle méthode et qu'on s'exposerait du coup au même risque systémique de failles centralisées que présentent les cartes de crédit. J'espère donc qu'on va laisser le marché élaborer des solutions.

Le sénateur Meredith : Pour la suite des choses, mon collègue, le sénateur Black, a parlé du temps qu'il faudrait prendre pour avoir un peu de recul, et vous en avez parlé aussi, mais quel serait un horizon réaliste pour nous? De toute évidence, cette technologie évolue et se développe. Cependant, nous croyons qu'il faut mettre une forme de règlement en place pour régir tout cela, un peu comme nous l'avons fait pour régir les questions de confidentialité, les demandes d'information et tout le reste dans le contexte de l'Internet.

Si nous voulions adopter une quelconque loi, pour régir le bitcoin et ses transactions, dites-nous de combien de temps de recul nous aurions besoin à votre avis.

M. Antonopoulos : Je pense que si l'on se fie à l'expérience de l'Internet, il a été extrêmement efficace de lui laisser le temps de développer ses propres modèles d'autoréglementation, puisque cela a avantagé beaucoup de gens. En fait, je mentionne avec ironie que l'année où le Sénat américain a finalement décidé de réglementer les pourriels, la technologie a résolu le problème. Dans certains cas, le mieux est donc d'attendre.

Je ne crois pas qu'il y ait de grand problème au fait que des consommateurs utilisent le bitcoin en ce moment, du point de vue des risques qu'il présente pour eux. Cependant, je crois qu'il y a des questions sur lesquelles votre comité pourrait porter un éclairage pour clarifier les choses. Premièrement, il faudrait établir clairement la distinction entre les comptes dépositaires centralisés et les modèles décentralisés de fonctionnement du bitcoin, pour ne pas confondre les deux. Les comptes dépositaires centralisés sont dangereux pour les consommateurs. Ils les exposent au même risque qu'une institution financière centralisée, sauf que dans ce cas-ci, il n'y a aucune surveillance ni contrôle qui s'exerce sur ces institutions puisqu'elles fonctionnent hors du milieu des banques.

Par exemple, quand les gens de CAVIRTEX sont venus vous demander de réglementer ce secteur, c'était très sensé, parce que CAVIRTEX détient le plein pouvoir sur les clés des utilisateurs et fonctionne selon un modèle de compte centralisé classique. Cependant, je pense qu'il serait bon de permettre la conception de solutions décentralisées et de reconnaître qu'elles n'exposent pas les consommateurs aux mêmes risques et que le genre de règlement qui s'applique aux comptes dépositaires ne s'y applique pas, n'y est pas adapté. Cela serait porteur d'un grand potentiel d'innovation.

Je pense qu'il importe aussi de tenir compte des exceptions. Il y a déjà des exceptions prévues dans les lois existantes, pour l'utilisation personnelle de petites valeurs d'échanges. Par exemple, si je change quelques dollars américains en dollars canadiens au coin de la rue, je ne me ferai pas arrêter pour avoir fait des transactions sans permis de transfert d'argent.

Je pense qu'il importe d'exposer clairement dans la loi qu'il ne faut pas de permis d'activité pour les petites opérations effectuées à des fins personnelles et que l'usage personnel d'un consommateur n'est pas assujetti à la même réglementation que les banques, parce que ce serait très utile pour favoriser l'essor de cette technologie.

Le sénateur Meredith : Une dernière question, monsieur le président. Vous avez parlé des voyous et du petit pourcentage qu'ils représentent. Quels sont les mécanismes actuellement en place pour gérer les personnes qui abusent du système?

M. Antonopoulos : Les forces de l'ordre traditionnelles ont eu énormément de succès pour ce qui est de suivre et d'interrompre de telles activités sur le réseau, et ce, à maintes reprises. Jusqu'à présent, je n'ai pas entendu parler de la nécessité de changer la façon dont le réseau fonctionne, et en fait, une telle demande resterait lettre morte, car c'est un réseau mondial qui n'est pas gouverné par un seul individu. Je ne contrôle pas les bitcoins, pas plus que personne d'autre.

Le réseau en soi offre suffisamment de transparence aux forces de l'ordre.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Si vous me le permettez, je vais vous poser des questions en français, puisqu'il n'y a eu aucune intervention en français.

À l'heure actuelle, y a-t-il des pays qui reconnaissent et qui ont encadré le bitcoin?

[Traduction]

M. Antonopoulos : Je crois que plusieurs pays ont reconnu le bitcoin de diverses façons, que ce soit dans le cadre d'une procédure législative ou juridique. Ces pays reconnaissent que le bitcoin est une monnaie et est donc assujetti aux mêmes règles et aux mêmes règlements en matière d'imposition et d'utilisation. Cette reconnaissance est également accompagnée de certaines libertés, telles que la liberté d'association et la liberté d'expression. Dans bien des pays, par conséquent, le bitcoin s'insère aisément dans le cadre existant des monnaies. J'ignore cependant si un pays a adopté une loi particulière visant le bitcoin.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : J'ai une très courte question qui fait suite à une question posée plus tôt. Si la sénatrice Ringuette lançait un bitcoin Ringuette cette semaine et que notre président avait son bitcoin depuis quelques mois, quelle serait la valeur de l'un par rapport à l'autre?

[Traduction]

M. Antonopoulos : Les rapports entre les diverses monnaies existantes sont établis en fonction d'un taux de change flottant, et ce taux établi par le marché est fonction des échanges effectués entre les négociants en bourse, qui vendent et achètent ces monnaies. Il en vaut de même pour le taux de change entre le dollar canadien et le dollar américain, ainsi que pour toutes les autres monnaies du monde moderne. La valeur de toutes ces monnaies est établie en fonction de la valeur marchande flottante.

Je vous dirais que si un marché a très peu de liquidité, il serait difficile d'établir un prix qui soit représentatif de la valeur de cette monnaie. La détermination du prix serait problématique, ce qui conduirait à une forte volatilité. Au fur et à mesure que le bitcoin et d'autres monnaies prendront de l'ampleur, leur volatilité diminuera. En fait, la volatilité du bitcoin observée aujourd'hui n'est pas tellement différente de celle du pétrole pendant la première décennie ayant suivi la découverte que le pétrole pouvait remplacer l'huile de baleine qui servait de carburant à l'époque. C'est le cas des nouvelles technologies : le marché qui s'établit est très volatil au départ, mais avec le temps, le volume et la liquidité du marché vont en augmentant, ce qui réduit la volatilité, jusqu'à ce que ces monnaies deviennent extrêmement stables.

Dans le cas d'une monnaie d'importance mondiale, une valeur de 5 milliards de dollars est négligeable et je m'attendrais donc à ce que le bitcoin demeure volatile pendant de nombreuses années.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : La sénatrice Ringuette peut donc réfléchir aux 5 milliards qu'elle doit investir.

Vous parlez depuis tout à l'heure de la question de la sécurité qui entoure l'usage du bitcoin. Nous sommes des parlementaires et nous fonctionnons au sein d'un Parlement. Après ce comité, j'irai siéger au Comité des finances nationales.

Ma question concerne le contrôle du gouvernement. Si vous faites toutes vos transactions en bitcoins et que la valeur change continuellement, comment un gouvernement peut-il exercer son pouvoir fiscal?

[Traduction]

M. Antonopoulos : Les citoyens de ce pays exerceraient un contrôle direct sur la monnaie du fait qu'ils prennent des décisions et qu'ils détiennent des unités de la monnaie. Dans bien des cas, comme je l'ai indiqué auparavant, le bitcoin fait l'objet d'une certaine régulation. Il est régulé à la fois par les mathématiques et par les marchés dynamiques sur lesquels transigent les participants et les utilisateurs. À la fois le prix du bitcoin, sa valeur observée dans les transactions commerciales et son utilisation, c'est-à-dire ce qu'en font directement les usagers, constituent des forces. Si ces forces peuvent exercer un contrôle direct sur la monnaie, elles le feront.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Si on parle de la valeur au mois de janvier et que l'on prépare notre rapport qui sera déposé en avril, quelle valeur utilisera-t-on, aux fins de conversion, pour pouvoir faire rapport aux autorités fiscales? Il faut tout de même remplir une déclaration de revenus et établir une valeur. Les fluctuations peuvent être très grandes, alors que les quantités ne sont pas énormes. Peu nombreux sont ceux ou celles qui touchent des revenus annuels faramineux. Le Canadien moyen touche environ 45 000 $ par année.

Quelle sera la valeur des revenus qui sera inscrite sur la déclaration de revenus d'un Canadien moyen qui gagne 45 000 $ par année pour les mois de janvier, février et mars? Comment cette personne pourra-t-elle faire le contrôle de ses revenus?

[Traduction]

M. Antonopoulos : Votre question est intéressante et c'est effectivement un domaine où une réglementation claire serait extrêmement utile. La grande majorité de mes revenus proviennent directement du bitcoin. Depuis le mois d'octobre dernier, je touche très peu de monnaies nationales. Je me fais payer en bitcoins, et j'effectue bon nombre de mes dépenses directement en bitcoins.

Pour ce qui est de mes impôts, je déclare mes revenus en bitcoins comme des revenus perçus dans une monnaie étrangère, comme si j'effectuais du travail contractuel pour une société européenne et je me faisais payer en euros. J'évalue la valeur marchande de la transaction à l'époque à laquelle j'ai touché le revenu et le prix du marché à ce moment-là, et je paie mes impôts à l'autorité fiscale dans la monnaie nationale. Après tout, le pouvoir primaire du régime fiscal est d'obliger les usagers à payer leur dû dans la monnaie établie.

Ce qui vient compliquer les choses dans le cas des monnaies, c'est le traitement que je dois choisir selon mes transactions. Si, par exemple, je me sers de mes comptes de courtage pour acheter des euros à des fins d'investissement et je vends ces euros deux mois plus tard en réalisant des gains, je serai assujetti à l'impôt sur les gains en capital. Si, toutefois, je me rends à Paris et j'utilise des euros pour acheter un billet d'entrée au zoo de Paris, et le cours de l'euro change entre le moment auquel j'ai fait usage de la monnaie, le traitement est différent et je ne dois pas payer d'impôt sur les gains en capital.

Le régime fiscal est suffisamment souple pour me permettre de déclarer l'utilisation et ainsi de choisir le traitement fiscal approprié, selon l'usage que j'en fais.

Aux États-Unis, du moins, l'autorité fiscale a décidé que le bitcoin est une marchandise et est donc assujetti à l'impôt sur les gains en capital, ce qui est, à mon avis, erroné. Toutefois, si le bitcoin avait été classifié comme monnaie uniquement, cela aurait aussi constitué une erreur. Il me semble que le traitement accordé devrait dépendre de l'utilisation faite de la monnaie. Si la monnaie sert à des investissements à long terme, il va sans dire qu'elle sera assujettie à l'impôt sur les gains et les pertes en capital. Si elle sert à des dépenses de consommation, on lui réservera un traitement de monnaie et de moyen d'échange.

Le régime fiscal me permet de déclarer la façon dont j'ai utilisé la monnaie et impose des pénalités si ma déclaration est erronée. Ce même régime s'applique à toutes les autres monnaies.

Ce domaine profiterait énormément davantage de clarté, car à ce moment-là nous pourrions utiliser des monnaies comme le bitcoin de la même façon que nous utilisons d'autres monnaies étrangères.

Le sénateur Tkachuk : Je vous remercie d'être venu témoigner aujourd'hui. L'après-midi s'avère fort intéressant.

Existe-t-il d'autres monnaies virtuelles ayant également une base algorithmique, et l'algorithme utilisé est-il le même que celui qui sert au bitcoin?

M. Antonopoulos : Le bitcoin repose sur plusieurs algorithmes. Il y a l'algorithme central, la chaîne à blocs, et le modèle sécuritaire qui se fit au consensus établi par la preuve du travail, une technologie qui permet au réseau d'établir le bilan exact des comptes à partir de la concurrence. Cette innovation technologique centrale est utilisée par la vaste majorité des monnaies. Je l'appelle la chaîne à blocs. Cependant, d'autres algorithmes sont utilisés aux fins du bitcoin, tel que celui qui établit la fréquence et la quantité d'unités émises. D'autres monnaies se fondent sur des structures différentes, auquel cas une politique monétaire différente s'applique.

On observe une vaste gamme de possibilités, allant des monnaies qui ont des tendances beaucoup plus inflationnistes et donc des réserves beaucoup plus importantes, jusqu'aux monnaies qui mettent en pratique un taux d'intérêt de portage, c'est-à-dire un taux d'intérêt négatif, qui favorise la consommation et décourage l'épargne. En étudiant les diverses monnaies, on constate une grande fourchette de politiques monétaires et même de perspectives politiques.

Cependant, la fondation du système est presque le même pour chacune de ces monnaies.

Le sénateur Tkachuk : Lors d'autres séances, nous avons entendu parler des mineurs, c'est-à-dire des gens qui émettent ou minent la monnaie. Il y a eu des articles dans le journal en juin dernier indiquant qu'une société détenait plus de 51 p. 100 du marché de minage de bitcoins, et elle grandissait comme...

La société a-t-elle la capacité de détenir un monopole complet? Est-ce qu'une société peut avoir le monopole total de l'émission des bitcoins, et à ce moment-là y a-t-il un risque pour la monnaie? Exerce-t-on des contrôles et si oui, sous quel régime?

M. Antonopoulos : Il faut savoir que le but du minage est de sécuriser et de vérifier toutes les transactions. La récompense, c'est que l'on reçoit des bitcoins. Or, il ne faut pas confondre la récompense et le but principal. La récompense du minage est l'émission de bitcoins pour avoir sécurisé le réseau, et la récompense sert d'incitatif pour avoir un réseau sûr.

La société en question, qui est une organisation de minage, gère un pool, semblable aux mises de loterie, ce qui veut dire qu'elle n'avait pas le contrôle direct du hachage. La société servait de centrale à de nombreux mineurs indépendants qui pouvaient y mettre en commun leurs capacités de hachage et se servir du pool afin de toucher des recettes plus régulières sur leurs investissements matériels. Si on joue à la loterie seul, on peut gagner, mais de façon très irrégulière. Si l'on joue comme membre d'un pool, on gagne de façon plus fréquente, mais on touche des sommes inférieures.

Ainsi, puisque le minage est une fonction concurrentielle, les particuliers ne s'en sortent pas très avantageusement du fait que les paiements sont très volatiles, et ils décident donc de mettre en commun leurs capacités. Ce qui est intéressant, lorsque la société GHash a frôlé sans atteindre les 51 p. 100, c'est-à-dire lorsqu'elle s'est approchée de 50 p. 100, la réaction du marché a été telle que les mineurs individuels, reconnaissant le risque potentiel d'atteinte ne serait-ce qu'à la réputation du réseau, bien que je ne croie pas qu'il y ait eu de risque technique sérieux, ont retiré leur capacité de minage de ce pool et l'ont confiée à d'autres. Très peu de temps après, GHash.IO a vu sa puissance cumulative de minage chuter, ce qui fait qu'aujourd'hui elle se situe légèrement en deçà de 30 p. 100 de la capacité totale du réseau. Il y a donc une très bonne capacité de protection contre les attaques individuelles, car il s'agissait effectivement d'une bonne part du marché sans pour autant constituer un monopole.

Au chapitre technique, un pool de minage ou un mineur individuel qui détient une part majoritaire du réseau pourrait éventuellement gêner la fonction de traitement des transactions du réseau pendant une courte période. Toutefois, ces acteurs ne peuvent voler ou réacheminer des fonds, ou encore invalider des transactions effectuées par les utilisateurs; ils peuvent seulement les retarder et retarder leur traitement. Le risque n'est donc pas aussi grand que la plupart des gens ne le croient. Vu les mécanismes du marché à la base du système, nous avons vu, de façon répétée, qu'il s'agit d'un système qui s'autocorrige.

Le sénateur Tkachuk : Pour ma propre gouverne, afin de savoir s'il s'agit uniquement d'une bourse d'échange ou d'une monnaie naturelle, admettons que je détiens des yens au Canada. Je ne peux rien en faire. Je dois aller dans une banque et les changer, car aucun commerçant ne les prendra. Je dois me rendre à la banque, les changer contre des dollars canadiens afin de pouvoir acheter quelque chose, et le même vaut dans n'importe quel pays. Dans chaque pays, mes dollars canadiens ont une certaine valeur, et même si le cours du dollar canadien monte ou descend comparativement à celui du dollar américain, et il en va de même pour les autres monnaies, je peux néanmoins transiger en dollars canadiens. La même logique s'applique aux produits canadiens, à moins que les produits ne dépendent lourdement des importations et d'autres facteurs.

Cette sphère virtuelle, a-t-elle sa propre stabilité? En d'autres termes, si l'on établit le prix d'un produit en Europe à un bitcoin et si j'ai un bitcoin, puis-je me procurer ce produit au prix d'un bitcoin même si la valeur de ce bitcoin a changé relativement au cours de ma monnaie nationale ou à celui du dollar américain?

M. Antonopoulos : Le taux de change entre le bitcoin et les monnaies individuelles, tels que l'euro, le dollar canadien et le dollar américain, et j'en passe, est suffisamment liquide que l'on peut arbitrer entre les divers taux de change, ce qui veut dire que le pouvoir d'achat d'un bitcoin est le même quel que soit la monnaie nationale. Les fluctuations sont minimes. Si je peux acheter des bitcoins à un prix qui me coûte moins en dollars canadiens et ensuite les revendre pour obtenir davantage de dollars américains, cela créerait une occasion d'arbitrage immédiate entre les deux marchés. En fait, c'est exactement ce qui se produit. Dans bien des cas, l'arbitrage du bitcoin est même encore plus efficace du fait que le bitcoin peut être transféré, et ce de façon presque instantanée au-delà des frontières, alors que sur les bourses financières traditionnelles, les virements prennent un peu plus de temps.

Les différences entre les monnaies nationales s'aplanissent rapidement et il n'y a aucune fluctuation. Mon pouvoir d'achat en bitcoins, bien qu'il soit généralement volatile, est le même quelle que soit la monnaie nationale.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce donc dans ce sens que nous nous dirigeons, un marché international permettant d'acheter et de vendre des marchandises en bitcoins, quoiqu'il arrive aux monnaies nationales, parce qu'on peut épargner tant en frais de change et ainsi de suite? Est-ce là que nous nous dirigeons?

M. Antonopoulos : Je crois qu'à long terme, le bitcoin sera suffisamment stable qu'il sera possible d'établir directement un prix en bitcoins. À ce moment-là, le bitcoin deviendra presque une monnaie universelle en raison de son utilité sur Internet. Cela le rendrait extrêmement concurrentiel contre les monnaies nationales, du moins sur Internet, en raison de sa facilité d'utilisation et de sa souplesse. Je crois que c'est ce qui va se produire. Il faudra attendre plusieurs années, cependant, avant que la monnaie ne soit suffisamment stable pour permettre l'établissement des prix directement en bitcoins.

Le sénateur Tkachuk : On peut stocker des bitcoins. Sénateur Gerstein, je ne sais pas où vous gardez les vôtres, est-ce dans votre porte-monnaie, où y a-t-il un porte-monnaie virtuel? Est-ce possible?

M. Antonopoulos : Il se peut que je m'exprime en termes trop techniques, mais je vais essayer de vous éclairer. Le bitcoin n'est pas stocké par des particuliers, mais plutôt sur le réseau dans un livre public; le livre public indique qui détient les bitcoins. Le sénateur Gerstein détient les clés qui lui permettent d'autoriser des transactions; il est donc le fondé de pouvoir qui peut dépenser ces fonds. Le stockage des clés peut se faire de nombreuses façons. Au bout du compte, ce ne sont que des chiffres. Moi-même, pour me protéger, je les imprime et je les conserve dans un lieu physique. J'ai également des clés qui me permettent de gérer de plus petits montants de bitcoins, ma petite monnaie si vous le voulez, sur mon téléphone cellulaire. J'en ai également sur mon ordinateur personnel et d'autres stockés sur du matériel informatique à titre d'essai. Les clés de la vaste majorité de mes avoirs sont conservées sur support physique, car c'est plus sûr et il n'y a aucun risque de piratage. Il faudrait en fait cambrioler ma maison.

Le sénateur Tkachuk : Les sociétés des entreprises effectueront tant de transactions, des milliers ou voire des millions en une journée. Le bitcoin peut-il s'adapter à une telle situation? Peut-on faire la liste de paye de 1 000, de 500 ou 200 employés facilement avec des bitcoins? Peut-on effectuer des déductions et tous les autres calculs, ou y aurait-il des problèmes?

M. Antonopoulos : Non seulement c'est possible de le faire, mais un programmeur aux habilités moyennes peut le faire au moyen de quelques centaines de lignes d'un langage de programmation comme Python, en accédant aux réseaux financiers entiers et en lui disant quoi faire. C'est fascinant. C'est même possible d'effectuer des opérations pour 1 000 personnes vivant dans 100 pays différents, ce qui est presque impossible aujourd'hui avec nos monnaies usuelles. Il serait donc possible d'établir une liste de paye. De nombreuses sociétés œuvrent dans le domaine technologique. À titre d'exemple, Google paye des dizaines de milliers de sociétés affiliées pour ses revenus publicitaires. Or, il lui coûte extrêmement cher de payer ces sociétés pour des revenus générés dans le monde entier. Il serait donc possible d'automatiser ces paiements et d'utiliser une seule monnaie pour faire le travail de façon très rapide, efficace et à peu de frais, et ce, dans le monde entier.

Le sénateur Tkachuk : Cela me plaît bien.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je suis d'accord avec mon collègue, le sénateur Campbell, lorsqu'il a dit que les gens d'un certain âge pourraient avoir de la difficulté à utiliser cette monnaie. On a fait venir une machine à bitcoins, et le président a généreusement acheté des bitcoins pour une valeur de 100 $. Il ne nous en a jamais reparlé. On ne sait pas ce qui est arrivé, s'ils ont été perdus dans la brume, mais ce n'est pas votre problème.

Vous avez dit qu'un utilisateur de bitcoins peut prédire ce que sera leur valeur marchande dans 30 ans. Si un utilisateur de bitcoins, comme le président, pouvait prédire ce que sera leur valeur monétaire dans 30 ans, je ne comprends pas que le ministre des Finances ne soit pas déjà venu le chercher pour lui demander conseil sur ce qui pourrait arriver dans au moins cinq ans dans le secteur de l'économie et des finances. Trente ans, c'est loin. Vous êtes de bons devins pour prédire ce que sera l'offre dans 30 ans. Je ne sais pas ce que vous pourriez me dire à ce sujet.

[Traduction]

M. Antonopoulos : Dans le cas du bitcoin, du fait qu'il soit conçu tout spécialement pour simuler l'extraction de métaux précieux, il est tout à fait possible de prédire avec un taux de certitude élevé la quantité de monnaie qui sera disponible sur le marché à une période spécifique. Cela ne veut pas forcément dire que l'offre répondra à la demande ou que l'offre sera ce qu'elle devrait être. Nous savons tout simplement ce que l'offre sera. Aujourd'hui, nous pouvons prédire avec une grande exactitude quelle sera l'offre en or au cours de la prochaine année parce qu'il a été extrait à un taux très prévisible, semblable au bitcoin.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je vous arrête là. N'importe quel actuaire de compagnie d'assurances, lorsqu'il établit une rente sur 30 ans, est tout de même capable de projeter des sommes plus ou moins réalistes. Il n'a pas besoin du bitcoin pour établir l'offre monétaire d'ici 30 ans. Il est capable de faire de bonnes extrapolations à l'aide de formules très simples.

Une chose me chicote, cependant. Ne craignez-vous pas que le système bancaire ne soit en train de doubler le système bitcoin présentement? Les banques voient venir les coups. Elles sont capables de s'adapter à des technologies assez nouvelles. Il me semble que l'Association mondiale des banques, sur le plan du capital, est plus forte en ce qui concerne la recherche dans le domaine de la technologie de monnaie numérique que le réseau Bitcoin peut l'être.

[Traduction]

M. Antonopoulos : Oui, en effet, je crois que l'invention sur laquelle repose Bitcoin, la technologie de la chaîne de blocs, aura une grande influence sur l'avenir du secteur bancaire. J'ai eu plusieurs entretiens avec des banques qui s'intéressent beaucoup à utiliser des systèmes similaires pour créer des réseaux plus efficaces au sein du système bancaire. Par exemple, aujourd'hui, beaucoup des opérations de compensation pour des transferts de fonds internationaux, des réserves et des acquisitions d'actifs sont effectuées par des intermédiaires. Bitcoin aiderait les banques à effectuer ces opérations dans un réseau décentralisé, dans le sens qu'elles pourraient simuler cette technologie. Par ailleurs, les banques dans les pays en développement envisagent d'utiliser Bitcoin pour offrir leurs services dans des régions où il leur serait impossible de créer l'infrastructure. Au début, les entreprises de télécommunications se sentaient un peu menacées par Internet, mais maintenant, elles gèrent leurs réseaux complets à l'aide d'Internet. De la même façon, les banques trouveront des façons d'utiliser cette technologie. Je ne serais pas surpris si une grande partie des services financiers finiraient par être effectués à l'aide de technologies très semblables au réseau Bitcoin, peut-être même à l'aide du réseau Bitcoin lui-même.

[Français]

Le sénateur Maltais : Ceci m'amène à vous demander si vous n'avez pas l'impression d'avoir été avalé avant que vous n'existiez? Les banques ne vous laisseront jamais un champ opérationnel. Je ne parle pas seulement des banques canadiennes ou américaines, mais de toutes les banques au monde. Je ne crois pas qu'elles se laissent avaler ainsi, sans dire un mot.

Dans le moment, vous jouissez de la publicité dans les journaux et auprès des jeunes — et je n'ai rien contre la technologie. Toutefois, je ne crois pas que les banques se laisseront arracher la laine sur le dos sans dire un mot et sans vous avaler. Soyons francs. Bitcoin n'a pas les reins solides. Tout n'est que virtuel.

[Traduction]

M. Antonopoulos : Oui. En fait, je me souviens que, dans le temps, les gens disaient exactement la même chose et pensaient que l'Union internationale des télécommunications serait contrecarrée ou en quelque sorte menacée par la nouvelle technologie qui s'appelait Internet, ce qui semblait ridicule. Les gens pensaient qu'il était absurde de croire que les dirigeants du monde, les États, permettraient aux gens d'avoir une liberté d'expression sur Internet. Il semblait absurde de penser qu'Internet permettrait d'entraver la volonté des despotes du monde entier, et que le réseau ne serait pas instantanément fermé chaque fois que ces despotes considéreraient que leur autorité était menacée. Pourtant toutes ces choses se sont réalisées.

À mon avis, la technologie du réseau Bitcoin, en habilitant les gens — surtout ceux qui n'ont même pas accès aux services bancaires dont nous parlons —, la technologie du réseau Bitcoin créera sa propre économie florissante, une économie qui ne menacerait en rien les banques, mais qui leur offrira au contraire de nouvelles possibilités. En fin de compte, tout comme cela a été le cas pour les entreprises de télécommunications, beaucoup de leurs anciens modèles et de leurs anciennes sources de profits seront fondamentalement perturbés.

Aujourd'hui, le réseau interurbain de AT&T a été décimé, et c'est Skype qui domine cet espace. Pourtant, AT&T n'a pas baissé les bras. Il est devenu le plus grand fournisseur de services Internet du monde.

Selon moi, les monnaies semblables au bitcoin décimeront certaines industries, surtout celles qui engrangent beaucoup de profits mais qui offrent peu de services, telles que celle des transferts de fonds internationaux qui, par nature, exploitent les gens. Toutefois, ces monnaies créeront de nouvelles industries, de nouveaux produits et services, et l'activité économique générée par le rassemblement de milliards de personnes dans un système financier entièrement connecté à l'échelle mondiale sera beaucoup plus importante que les risques qu'elles pourraient présenter à l'égard des profits des titulaires.

Le président : Dans votre exposé, qui était fascinant, vous avez dit qu'une des choses qui vous avait beaucoup motivé à travailler dans ce domaine, c'est que cette technologie va permettre d'offrir des services aux gens qui n'en ont pas aujourd'hui, et je crois que vous avez parlé d'« habiliter » des milliards de personnes d'un bout à l'autre du monde.

À moins que je ne me trompe, je crois que M. Gates, dans le cadre de ces œuvres caritatives en Afrique, utilise la monnaie numérique appelée M-Pesa.

M. Antonopoulos : C'est exact.

Le président : Pourriez-vous nous parler un peu plus des répercussions que le bitcoin, le M-Pesa ou d'autres monnaies courantes en général auront sur l'Afrique?

M. Antonopoulos : Pour ceux d'entre nous qui s'intéressent aux monnaies numériques, M-Pesa est un cas fascinant. Cela nous a montré ce qu'il est possible de faire quand une monnaie numérique est introduite dans un environnement qui n'offre pas beaucoup de services bancaires, sans avoir besoin de créer une infrastructure massive.

Au début, M-Pesa a commencé comme une expérience pour permettre à des gens d'échanger des minutes de téléphone portable entre eux et leurs familles par l'entremise d'un fournisseur de services de télécommunications au Kenya. J'imagine que le moment où M-Pesa est devenu une monnaie courante était un événement très banal, par exemple, quand un client est arrivé à un magasin et a compris qu'il n'avait pas suffisamment d'argent pour acheter une douzaine d'œufs, et qu'il aurait alors demandé : « Est-ce que je pourrais vous donner quelques minutes de téléphone portable à la place? » Ce concept très simple a donné lieu à la naissance d'une nouvelle monnaie.

Ce qui est fascinant dans le cas de M-Pesa, c'est que cette monnaie compte maintenant pour 40 p. 100 du PIB du Kenya. Il s'agit d'un montant d'argent stupéfiant. Essentiellement, une économie principalement clandestine et fondée sur des échanges en argent comptant, qui avait peu de liquidités, qui était inflexible et dont les opérations étaient effectuées lentement, a été turbocompressée en fournissant à son système économique une énorme quantité de liquidités et beaucoup de fluidité.

À l'heure actuelle, le bitcoin n'est pas prêt à être utilisé facilement sur la plateforme la plus déployée au monde, qui est le téléphone polyvalent Nokia, le Nokia 1000, dont le nombre en utilisation se chiffre dans les milliards. Il faudrait mettre en place un peu plus d'infrastructures, mais, petit à petit, nous voyons deux tendances converger. Premièrement, le réseau Bitcoin est appliqué à des technologies de plus en plus simples — d'ailleurs, on se sert déjà de messages textes SMS pour les transmettre. Deuxièmement, le coût de production des téléphones intelligents a chuté — celui d'un Android se chiffrant à environ 25 $.

Certaines applications qui existent déjà dans l'espace Bitcoin permettraient à un seul téléphone Android d'appuyer des milliers de clients SMS particuliers et de leur donner des portefeuilles Bitcoin. Cela permettrait essentiellement à un jeune qui se trouve à Lagos, au Nigeria, d'acheter un téléphone intelligent Android et de devenir une banque qui sert des milliers de clients, ce qui leur donnerait simultanément accès à l'équivalent d'un terminal de la Western Union — une facilité de crédit où il est possible d'acheter des prêts de même qu'à une facilité d'échanges commerciaux sur tous les marchés mondiaux — tout cela à partir d'un simple téléphone Android et de SMS sur des téléphones polyvalents.

M-Pesa nous montre que c'est possible. Maintenant, le réseau Bitcoin va plus loin et crée un phénomène mondial. Selon la Banque mondiale, 2,5 milliards de personnes n'auraient aucun compte bancaire et vivraient dans des sociétés où toutes les transactions se font en argent comptant. Toutefois, cela sous-estime largement le problème.

Si nous tenons compte des autres services bancaires auxquels nous avons accès dans le monde occidental — comme la capacité d'avoir accès à un compte de courtage et à tous les marchés internationaux pour convertir sans contrôle n'importe quelle monnaie que l'on veut en vue de transmettre de l'argent à n'importe quel autre pays du monde, encore une fois, avec très peu de contrôle, et d'utiliser cet argent en tant que simple consommateur —, notre situation est à cent lieues de celle de la plupart des gens.

Si vous considérez les personnes qui n'ont aucun compte bancaire comme des personnes qui utilisent un seul type de monnaie, et que vous y ajoutez les personnes qui n'ont ni accès aux marchés internationaux ni aux services de crédit ou d'échanges commerciaux, plus de 6 milliards de personnes dans le monde vivent avec ce genre de services bancaires, et 2,5 milliards d'entre elles n'ont accès à aucun service bancaire. En moins de 10 ans, le réseau Bitcoin pourrait changer cet environnement de façon radicale.

Le sénateur Black : Je vous remercie encore une fois pour votre contribution. Votre exposé a été extrêmement instructif.

Dans mes dernières questions, j'aimerais clarifier certains aspects. Pour donner suite aux remarques que vous avez faites en réponse à la question de la sénatrice Ringuette, tout au long de cette séance, nous avons exploré la possibilité pour le Canada de tirer profit de cette monnaie sur le plan de l'innovation, si nous faisons bien les choses. Pourriez- vous nous dire brièvement de quel genre de possibilités il s'agirait?

M. Antonopoulos : À mon avis, il y aurait deux aspects. Premièrement, il s'agirait de toutes les possibilités qui existent sur le plan des recherches pures et des innovations technologiques dans l'espace Bitcoin. Je tiens à mettre l'accent sur le fait que le bitcoin n'est pas seulement de l'argent pour Internet. Nous passerions à côté de l'essentiel si nous considérions que c'était seulement de l'argent pour Internet.

Bitcoin est l'Internet de l'argent. La monnaie est seulement la première application. La monnaie est une application qui fonctionne dans un réseau fiable et décentralisé qui repose sur la technologie de la chaîne de blocs, ce qui veut dire que beaucoup d'autres applications existeront.

La monnaie Bitcoin est presque la même chose que les courriels étaient dans le années 1990. Les courriels ont favorisé la croissance d'Internet. C'est l'application clé qui a convaincu les gens qu'il valait la peine d'être sur Internet. Pourtant, elle ne pouvait pas laisser entrevoir les possibilités infinies qui allaient s'ensuivre. Au début des années 1990, nous ne pouvions pas nous imaginer ce que serait le Web, ni même qu'il y aurait Facebook et Twitter et toutes les choses de ce genre qui existent aujourd'hui.

Le bitcoin — la monnaie — n'est que la pointe de l'iceberg. Il s'agit de la proto-technologie qui donne vraiment aux consommateurs accès à ce réseau décentralisé et fiable, mais il y aura d'autres applications, et ce domaine évolue déjà à une vitesse fulgurante. Simplement du point de vue de la recherche et de l'innovation, c'est incroyable.

Même si le Canada a une population hautement bancarisée, il reste quelques petites zones au pays où les habitants ne le sont pas. Aux États-Unis, près de 18 p. 100 de la population a des capacités bancaires très limitées, et c'est probablement le cas dans la grande majorité des pays développés. Il reste quelques petites zones au pays où les gens ont très peu d'accès aux banques.

À mon avis, le fait de faire des recherches primaires sur l'innovation dans ces nouvelles technologies et d'étendre les services bancaires de manière à les rendre accessibles à la population d'autres coins du pays, à la population défavorisée, est une combinaison très puissante — surtout si nous tirons profit des aspects internationaux de cette monnaie.

Le sénateur Black : Quelle erreur est-ce que l'État de New York a commise?

M. Antonopoulos : Je crois que l'État a commis de nombreuses erreurs. Premièrement, il s'est empressé de réglementer la technologie très rapidement, mais, plus important encore, il a réglementé la technologie Bitcoin exactement de la même façon que le système bancaire existant est réglementé, sans tenir compte des différences qui existent entre le réseau Bitcoin et le système existant.

La seule analogie à laquelle je peux penser est celle du proto-Internet. La Federal Communications Commission, aux États-Unis, avait décidé qu'Internet était tout simplement une forme sophistiquée de radio BP et a obligé chaque exploitant de site web d'obtenir un permis. Une telle approche aurait presque certainement détruit l'industrie d'Internet aux États-Unis. Toutefois, en raison de l'énorme besoin d'un tel outil, cela n'aurait pas freiné l'industrie d'Internet ailleurs; cela aurait simplement poussé l'innovation à prendre de l'ampleur ailleurs.

À mon avis, le fait de traiter le réseau Bitcoin comme un compte proto-bancaire qui a certaines caractéristiques originales serait de passer à côté de l'essentiel, et le fait de réglementer la technologie comme si c'était le cas l'étoufferait complètement. Cela la mettrait immédiatement sur le terrain des titulaires. Cela les assujettirait aux mêmes genres de réglementations et les obligerait à se comporter davantage comme une banque, alors que ce qui distingue justement cette technologie des autres, c'est qu'il ne s'agit pas d'une banque.

Le sénateur Massicotte : Merci encore. J'ai une question technique, puis une question plus importante à vous poser.

Du côté technique, beaucoup de pays et de provinces ont jumelé la taxe de vente et l'impôt sur le revenu. Existe-t-il déjà un logiciel pour les commerçants qui utilisent votre monnaie? Pour mes dollars et mes cents, de nos jours, il existe des caisses pas mal sophistiquées. Est-il facile pour ces commerçants de faire la comptabilité et de percevoir la taxe de vente? Est-ce qu'un logiciel existe déjà pour les commerçants?

M. Antonopoulos : Absolument. En fait, c'est plus facile avec Bitcoin, parce que le journal public fournit une liste de toutes les transactions effectuées. C'est comme si tous mes relevés bancaires à partir du premier moment où j'ai utilisé Bitcoin étaient en ligne. J'ai rendu la taxe de vente à l'État de la Californie pour tous les produits que j'ai vendus en utilisant le bitcoin. Je paie aussi mes impôts en dollars américains, en fonction de mon revenu, qui est entièrement en bitcoins. Et je fais toute ma comptabilité en utilisant les logiciels traditionnels.

Le sénateur Massicotte : Vous avez un logiciel qui permet de faire les transferts et les calculs immédiatement?

M. Antonopoulos : Oui, même si c'est plutôt encombrant en ce moment à cause du fait que les modalités sont très différentes. Par exemple, dans ma banque normale — ma banque traditionnelle, si vous voulez —, j'ai une poignée, environ quatre ou cinq, comptes différents. Dans le réseau Bitcoin, j'ai bien au-delà de 2 000 comptes, parce que, avec le bitcoin, c'est plus logique de créer un nouveau compte pour chaque transaction. Ce n'est pas vraiment un compte. Par conséquent, si vous essayez d'appliquer Bitcoin au même modèle, il est difficile de faire les calculs. Toutefois, le logiciel est en cours de développement.

Le sénateur Massicotte : Vous avez essentiellement répondu à la question, mais, d'après moi, il s'agit d'une forme de transfert de propriété hautement sécurisée et anonyme. Vous pouvez l'appeler de la monnaie; vous l'utilisez maintenant comme de la monnaie et un peu comme si vous faites du troc.

Cela semblerait pouvoir être utile pour bien des choses, notamment l'échange de propriétés. Aujourd'hui, beaucoup d'avocats ou de notaires reconnaissent qu'il s'agit d'une façon sécuritaire d'effectuer un transfert de biens immobiliers. Toutefois, il semblerait que cette application pourrait très souvent être utilisée de différentes façons.

Projetons-nous dans cinq ans. À votre avis, comment utilisera-t-on cette technologie dans l'intérêt de notre société? Donnez-moi quelques exemples.

M. Antonopoulos : Il existe des applications très intéressantes. Le registre décentralisé sert en quelque sorte de journal public pour toutes sortes de choses comme l'enregistrement de vélos, de voitures et d'actions d'entreprise.

Il y a deux jours, j'ai assisté à une conférence sur la technologie Bitcoin pendant laquelle un couple s'est marié, et leur mariage est le premier à avoir été enregistré dans la chaîne de blocs. Ils ont utilisé la chaîne de blocs comme un registre d'état civil.

Vous pourriez utiliser la chaîne de blocs pour enregistrer des titres de propriété et pour transférer ces titres de propriété pour n'importe quelle autre forme de propriété, notamment des voitures et des biens immobiliers. Grâce à une simple transaction électronique, vous pourriez effectuer le transfert des titres de propriété d'une voiture. Mieux encore, et plus important encore, la voiture elle-même pourrait automatiquement chercher son titre de propriété et se mettre à la disposition du nouveau propriétaire. Ce concept s'appelle un bien immobilier intelligent, où le bien immobilier reconnaît qui en est le propriétaire en faisant référence à la chaîne de blocs.

Toutes les formes d'enregistrement décentralisées peuvent être effectuées grâce à la chaîne de blocs. De plus, vous pourriez délivrer des certificats d'action ou n'importe quel autre type de bons échangeables. Je pourrais échanger ma largeur de bande et recevoir un bon en retour, que je pourrais alors dépenser pour utiliser la largeur de bande de quelqu'un d'autre. Ou encore, je pourrais créer différentes formes d'échanges commerciaux semblables à ce qui se fait aujourd'hui avec Airbnb ou le partage de voitures. Ces bons numériques pourraient servir à faire beaucoup de choses.

Une entreprise de Toronto a mis au point une application qui permet, au moment de soumettre une transaction sur la chaîne de blocs, de déverrouiller une porte, par exemple, d'un appartement Airbnb. Par conséquent, votre téléphone intelligent pourrait faire le paiement et aussi déverrouiller la porte et vous permettre d'avoir accès à cette propriété.

Le sénateur Massicotte : C'est incroyable. J'ai une question secondaire. Je ne comprends pas pourquoi la chaîne de blocs a été utilisée pour le couple qui s'est marié. Avait-il peur de se tromper de femmes? Quel était le problème?

Le sénateur Campbell : Ne nous lançons pas là-dedans.

M. Antonopoulos : Il s'agissait surtout d'un geste symbolique et d'une preuve que le concept fonctionne. Ce couple était déjà marié en vertu des lois d'États traditionnels. Toutefois, ce qu'ils voulaient faire, c'était de consigner leur mariage à un registre qui était accessible au public, qui ne peut être forgé et qui ne changera pas du tout au fil des années. Cela crée une chronologie permanente qui, en moins d'une heure, est inaltérable et que personne ne pourra jamais altérer. Elle sera préservée tout au long de l'histoire en raison de la valeur des transactions qui sont effectuées.

Le sénateur Greene : Merci beaucoup. Je prends bien note de ce que vous avez dit concernant les dangers de mettre en place une réglementation inappropriée ou prématurée du fait que nous ne savons pas jusqu'où ceci va aller, ni à quelle vitesse les changements vont se faire et que nous ne voulons pas, à mon avis, influencer la vitesse de l'évolution ou changer ce à quoi elle pourrait mener.

Nous sommes chargés de rédiger un rapport, qui comprendra des recommandations. Par conséquent, que diriez- vous d'un rapport qui formulerait une seule recommandation, qui serait de ne pas établir de règlements, mais de réexaminer ce dossier dans, disons, cinq ans?

M. Antonopoulos : À mon avis, ce serait une excellente idée. Je crois qu'il serait aussi possible d'apporter certaines clarifications, notamment concernant le statut fiscal des gens ou au moins le fait que les gens ont le droit de choisir quelle monnaie ils veulent utiliser en tant que consommateurs. Il serait bon d'affirmer qu'il est légal d'utiliser des monnaies numériques pour toutes les formes d'échanges et qu'elles sont complètement équivalentes à n'importe quelle autre monnaie nationale et de reconnaître qu'il s'agit d'une forme privée de troc et de transactions, de reconnaître les principes connexes — que je considère comme étant des principes neutres. Il s'agit de principes éclairés, à savoir la liberté d'association, la liberté d'expression et la liberté de conscience. Par conséquent, à mon avis, il serait utile d'éliminer toute ambiguïté concernant l'utilisation personnelle de cette technologie.

Le sénateur Greene : Je suis d'accord avec vous. Merci beaucoup.

Le président : Monsieur Antonopoulos, votre réputation vous a précédé. Vous vous souviendrez peut-être que, quand je vous ai présenté, je ne vous ai pas appelé « un » gourou du bitcoin, mais bien « le » gourou du bitcoin.

M. Antonopoulos : Vous me faites un grand honneur, sénateur.

Le président : Je pense que je peux parler au nom de tous les membres du comité quand je dis que vous avez plus que soutenu cette réputation, et que nous vous sommes très reconnaissants d'avoir comparu aujourd'hui.

Des voix : Bravo!

Le président : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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