Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 4 - Témoignages du 5 mars 2014
OTTAWA, le mercredi 5 mars 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 17, pour étudier le projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale (troubles mentaux) dont il a été saisi.
Le sénateur Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Bienvenue à mes collègues, aux invités et aux membres du public qui suivent les débats du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale (troubles mentaux). Le projet de loi modifie le régime prévu au Code criminel afin de préciser que la sécurité du public est le facteur prépondérant dans le processus décisionnel. Le projet de loi crée aussi un mécanisme afin de prévoir que certaines personnes qui reçoivent un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux puissent être déclarées des accusés à haut risque. Il accroît aussi la participation des victimes. Nous tenons aujourd'hui notre deuxième séance sur cette mesure législative.
Sans plus tarder, je vous présente, de l'Association du Barreau canadien, Ian Carter, membre de l'exécutif, Section du droit pénal et Gaylene Schellenberg, avocate et membre de l'Association du Barreau canadien. De la Criminal Lawyers' Association, nous accueillons Anita Szigeti, présidente et directrice du portefeuille de la santé mentale et de la région de Toronto. Madame Szigeti, vous avez la parole.
Anita Szigeti, présidente, Portefeuille de la santé mentale et directrice, région de Toronto, Criminal Lawyers' Association : Merci. C'est un honneur et un privilège pour moi que de témoigner au nom de la Criminal Lawyers' Association.
Comme vous le savez sans doute, la Criminal Lawyers' Association représente les avocats de la défense criminaliste surtout de l'Ontario, mais aussi des autres régions du pays. Nous nous intéressons particulièrement aux troubles mentaux.
Pour ma part, je suis spécialisée dans le droit relatif aux troubles mentaux. J'ai représenté plus de 6 000 personnes souffrant de troubles mentaux graves dans le cadre de poursuites civiles et pénales. Je pense donc avoir à peu près tout vu.
Dans les quelques minutes dont je dispose, je voudrais vous dire trois choses. Premièrement, j'aimerais vous parler du titre. Nous estimons que, si on était vraiment honnête, ce projet de loi s'appellerait la Loi sur la responsabilité des personnes non criminellement responsables. L'idée maîtresse de ce projet de loi est d'imputer aux délinquants la responsabilité de leurs actes, et ce, même si, depuis des centaines d'années, la règle de droit veut qu'on ne tienne pas responsables ceux qui ne le sont pas.
Deuxièmement, je vous expliquerai pourquoi les modifications contenues dans ce projet de loi sont inconstitutionnelles. Troisièmement, je vous expliquerai comment ces dispositions rendront nos rues moins sûres.
Quand on est avocat et qu'on est aux prises avec des enjeux constitutionnels liés aux troubles mentaux en droit criminel, on doit parfois réfléchir longuement avant de se prononcer sur la constitutionnalité de certaines modifications législatives. Dans le cas qui nous occupe, je n'ai pas ce genre de doute. En toute déférence, ce projet de loi ne serait pas jugé conforme à la Charte. Voici pourquoi : ce projet de loi supprime du Code criminel toutes les dispositions touchant les troubles mentaux qui le rendent conforme à la Charte. En 1991, dans l'arrêt Swain, la Cour suprême a statué qu'on ne pouvait emprisonner ces délinquants pour une période indéterminée. Or, le projet de loi prolongerait jusqu'à trois ans la détention des accusés non criminellement responsables sans aucun examen.
Deuxièmement, à l'heure actuelle, la décision qui doit être prise relativement à un accusé non criminellement responsable doit être la décision la moins privative de liberté. Le projet de loi abolit ce facteur pour le remplacer par le critère de ce qui est nécessaire et indiqué, critère déjà rejeté par la Cour suprême du Canada.
Troisièmement, nos rues seront moins sûres, car nous, les avocats criminalistes de la défense, conseillerons à nos clients de ne pas plaider la non-responsabilité criminelle si cela signifie la détention indéfinie sans examen et très peu de privilèges, si privilèges il y a. Ces accusés seront envoyés en prison où ils n'auront aucun traitement, aucun service et aucune possibilité de réinsertion sociale. À leur sortie, ils présenteront un danger tout aussi grand, sinon plus grand, qu'à leur entrée en prison. Nous voulons que les accusés souffrant de troubles mentaux invoquent la défense de la non-responsabilité criminelle, mais ce projet de loi milite contre ce choix. Ce sont là mes remarques.
Le président : Merci beaucoup.
Madame Schellenberg, vous avez la parole.
Gaylene Schellenberg, avocate, Association du Barreau canadien : Je m'appelle Gaylene Schellenberg et je suis avocate à la Section de la législation et de la réforme du droit de l'Association du Barreau canadien. Merci d'avoir invité l'ABC à présenter ses vues sur le projet de loi C-14.
L'ABC est une association nationale de plus de 37 500 avocats, notaires, étudiants en droit et universitaires. Un des aspects importants du mandat de l'ABC est l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. C'est dans cette optique que nous témoignons aujourd'hui.
Je suis accompagnée d'Ian Carter, membre de l'exécutif de la Section du droit pénal de l'ABC. Cette section représente des avocats de la Couronne et des avocats de la défense de toutes les régions du pays. M. Carter est avocat de la défense ici, à Ottawa.
Je lui cède la parole, il vous présentera notre mémoire et répondra à vos questions.
Ian Carter, membre de l'exécutif, Section du droit pénal, Association du Barreau canadien : Merci de nous avoir invités. J'ai passé en revue les exposés des témoins que vous avez entendus à votre dernière séance, ainsi que ceux qui ont comparu devant le comité de la Chambre pour savoir quels sujets avaient été abordés. Je ne répéterai pas les arguments qui ont déjà été avancés. Je préfère me concentrer sur une question en particulier, car, selon moi, elle n'a pas été l'objet de beaucoup d'attention ou de débat; c'est le sujet de la lettre que nous vous avons envoyée récemment, après notre mémoire. Il s'agit de la notification à remettre à la victime.
Sous sa forme originale, le projet de loi prévoyait que la victime soit informée de la mise en liberté sous condition ou de l'absolution de l'accusé NCR. Cela s'ajoutait à l'avis de tenue d'une audience d'examen que les victimes reçoivent déjà. Le projet de loi exigerait aussi du tribunal ou de la commission d'examen qu'elle détermine s'il est souhaitable ou non d'imposer des conditions relativement aux personnes avec lesquelles l'accusé NCR pourra communiquer et les endroits où il pourra aller à sa remise en liberté.
L'ABC appuie ces deux changements. Nous estimons important et même crucial que les victimes soient informées et qu'elles comprennent le processus. Mais comme vous le constaterez à la lecture de notre récente lettre, nous croyons aussi que quand un projet de loi est modifié à la dernière minute, comme c'est souvent le cas et comme cela a été fait en l'occurrence, les mesures positives du projet de loi à cet égard auront des effets négatifs avec ce changement. Le comité de la Chambre a apporté un amendement aux dispositions sur les avis aux victimes, et ce n'est pas un amendement négligeable.
Aux termes de cette nouvelle disposition, toute victime aurait le droit d'être informée du lieu de résidence projeté de l'accusé NCR au moment de sa remise en liberté. Cela soulève des questions de protection de la vie privée et de sécurité comme à l'égard d'autres aspects du droit.
Nous avons envoyé une lettre le 26 février où nous soulevons cinq questions; j'aimerais étoffer un peu nos propos.
Premièrement, c'est l'ordonnance de non-communication qui constitue la meilleure façon d'apaiser les craintes — tout à fait légitimes — qu'ont les victimes de croiser l'accusé NCR. C'est ce que prévoyait la première version du projet de loi, et nous appuyons cette mesure. C'est une bonne solution, car elle s'attaque directement au problème en interdisant toute communication, ce qui est la véritable crainte dans ces cas. Ce type d'ordonnance est couramment utilisé en droit pénal, que ce soit pour le cautionnement ou l'approbation. C'est le premier point.
Deuxièmement, comme nous l'indiquons dans notre lettre, cette disposition pourrait aller à l'encontre de l'un des principaux objectifs du régime NCR, à savoir le traitement et la réinsertion sociale des accusés. N'oubliez pas que l'accusé NCR n'a été reconnu coupable d'aucun crime.
Comment cette modification pourrait-elle nuire au traitement et à la réinsertion sociale? Comme la Section du droit pénal de l'ABC est constituée d'autant de procureurs de la Couronne que d'avocats de la défense, j'ai pensé qu'il serait utile de demander l'avis d'un procureur de la Couronne travaillant dans ce domaine, d'autant plus qu'il n'y a pas eu d'avocat de la Couronne qui se soit prononcé sur cette question parmi vos témoins.
J'en ai donc parlé à un des membres de l'ABC, Lyle Hillaby, qui est procureur de la Couronne en Colombie-Britannique et plaide devant les commissions d'examen depuis 23 ans. Nous avons eu une longue conversation, et il a fait valoir que, de son point de vue, la réinsertion sociale est cruciale parce que les accusés NCR ne restent pas sous garde à perpétuité. Un jour, ils retournent dans la collectivité. Pour que cela se fasse bien, il leur faut un endroit où vivre. Il m'a indiqué que, dans la vaste majorité des cas, les accusés NCR ne sont pas propriétaires fonciers et doivent donc trouver un logement à louer. Il a ajouté qu'il était extrêmement difficile de trouver des propriétaires prêts à prendre des accusés NCR comme locataires. Il craint que, si on exige un avis du lieu de résidence projeté, ces informations soient rendues publiques et que les propriétaires soient encore moins susceptibles d'offrir leurs logements aux accusés NCR par crainte des problèmes qui pourraient surgir.
Troisièmement, le libellé même de la disposition est vague. L'expression « lieu de résidence projeté » n'est pas définie. Il n'est pas non plus précisé si c'est une obligation à vie, et la victime devra être informée chaque fois que l'accusé NCR change d'adresse.
Quatrièmement, divulguer des informations sur une personne qui n'a pas été reconnue coupable d'un crime soulève d'importantes questions de protection de la vie privée. En ajoutant cet amendement à la hâte à une disposition par ailleurs louable, on prête le flanc à une contestation judiciaire.
Enfin, nous craignons que cette mesure encourage ceux qui veulent se faire justice eux-mêmes. Je précise que cette inquiétude n'est pas fantaisiste mais bien fondée sur des preuves. Je signale qu'à l'heure actuelle, aucun avis n'est donné de l'inscription d'un délinquant au registre des délinquants sexuels, au niveau fédéral ou en Ontario. Autrement dit, le lieu de résidence projeté des délinquants sexuels n'est révélé ni au public, ni aux victimes. Vous ajoutez ici une disposition punitive qui vise des personnes qui n'ont même pas été reconnues coupables d'un crime, alors que d'autres, des contrevenants reconnus coupables des crimes sexuels, n'y sont pas assujettis.
Je signale qu'on a émis des craintes relatives aux gens qui voudraient s'imposer comme justiciers ou harceler les contrevenants. Dans une affaire dont la Cour suprême était saisie en décembre, les médias ont demandé à pouvoir publier les trois premiers caractères du code postal d'un délinquant sexuel libéré, trouvé dans le registre provincial de l'Ontario. Le procureur général de l'Ontario a refusé et le dossier s'est rendu jusqu'en Cour suprême. C'est dans le chaos de cette procédure que le procureur général de l'Ontario a déposé l'affidavit d'un surintendant de la police provinciale de l'Ontario spécialisé dans le domaine. Il formulait des préoccupations sincères au sujet de la divulgation de renseignements sur les allées et venues d'un délinquant. Il parlait des problèmes que cela pouvait susciter, notamment les actes de citoyens justiciers et le harcèlement des contrevenants et de leurs familles. Il s'agit du témoignage d'un policier.
Le projet de loi suscite beaucoup d'objections, comme celles présentées par Mme Szigeti, entre autres, mais cette modification récente est particulièrement troublante et je vous prie d'envisager son retrait. Merci.
Le sénateur Baker : Encore une fois, remercions l'Association du Barreau canadien pour son mémoire, encore une fois si bien pensé. Monsieur le président, je tiens à attirer votre attention sur Mme Anita Szigeti, notre témoin, qui a un excellent bilan jurisprudentiel. Elle a à son nom 500 dossiers, d'après Quicklaw et Westlaw Carswell. Nous l'admirons énormément. Je pense qu'elle pratique le droit depuis environ 1999. Je ne sais pas si elle était en droit avant, mais la première affaire à son nom date de 1999 et il y en a plus de 500.
Madame Szigeti, vous affirmez que le projet de loi n'est pas conforme à la Charte. Je me mets à votre place. Si ce projet de loi et ses diverses dispositions qui touchent votre clientèle sont adoptés, vous présenterez sûrement une contestation en vertu de la Charte, auprès de la commission, qui a maintenant compétence pour tout argument relatif à la Charte. Un membre du comité a été président d'une commission. Pendant 25 ans, il a présidé la commission du Nouveau-Brunswick et il connaît le sujet sous toutes ses coutures.
Réfléchissez bien à la question que voici : vous contestez la loi en vertu de la Charte. D'après les arguments que vous nous présentez, vous invoqueriez une violation des principes de justice fondamentale prévus à l'article 7, à cause de la détention arbitraire de trois ans. Vous pourriez probablement aussi invoquer l'article 12.
Mme Szigeti : Je ne laisserai rien de côté.
Le sénateur Baker : En effet. Vous demanderiez ensuite réparation, puisque c'est bien beau de présenter un argument en vertu de la Charte, il faut aussi chercher réparation. Et vous le feriez en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, qui permet au tribunal compétent de rendre une décision convenable eu égard aux circonstances.
Si je ne m'abuse, c'est dans la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c.Conway qu'il a été statué que la commission avait compétence, si vous voulez présenter des arguments en vertu de la Charte. Il y a eu infraction à la Charte, mais la réparation ne pourrait être accordée à cause des circonstances de la personne que vous représentez. Je crois que dans ce cas-là, vous étiez un intervenant devant la Cour suprême du Canada.
Mme Szigeti : Nous étions là.
Le sénateur Baker : Si ce projet de loi est adopté et que vous demandez réparation en présentant vos arguments en vertu de la Charte, que demanderez-vous? Comment vous y prendrez-vous pour obtenir réparation pour votre client?
Mme Szigeti : Merci beaucoup pour cette question réfléchie et pour votre gentillesse. Vous me rajeunissez considérablement. Je pratique le droit depuis 23 ans, soit depuis 1992, mais désormais, je dirais comme vous que c'est depuis 1999, cela me convient vraiment mieux.
Dans l'arrêt Conway, la Cour suprême du Canada nous a bien dit que les commissions d'examen peuvent être saisies de questions relatives à la Charte et accorder des réparations. Ce qui n'est pas clair, à mon avis, c'est si on peut contester la constitutionnalité d'une disposition législative à cause de son libellé même, devant la commission d'examen, ou si nous sommes limités à ce qui se rapporte à l'article 24(1) de la Charte, pour les intervenants de l'État. Si par exemple dans un hôpital, il y avait une réclusion injustifiée, on peut demander réparation à la commission, en vertu de la Charte. Mais pouvons-nous nous adresser à la commission pour juger de la constitutionnalité d'une disposition législative? Je n'en suis pas certaine. Je l'essaierai certainement, en invoquant l'article 7, l'article 9 et certainement l'article 12. Pour ce qui est de la réparation, tout dépendrait de l'aspect du projet de loi qui viole les droits de mon client.
Pour la désignation de délinquant à risque élevé, il faudrait que je conteste la décision d'un tribunal puisque, comme vous le savez, seul un tribunal peut décider de cette désignation.
Dans une certaine mesure, c'est la commission d'examen qui décide des examens auxquels elle procède. L'une des réparations qu'on pourrait demander, c'est que les examens soient plus fréquents. Nous voulons des examens réguliers et fréquents, particulièrement pour les accusés à risque élevé, puisque si la thérapie donne des résultats, alors les examens doivent être plus fréquents. Sauf votre respect, je pense que la disposition la plus nuisible, c'est l'interdiction des sorties avec escorte, sauf pour des raisons de compassion. On parle vraiment de mettre les gens sous les verrous et de jeter la clé pour longtemps. La réparation que nous demanderions, pour ces cas-là, serait l'accès à la communauté avec escorte, si cliniquement c'est indiqué. En bref, nous voudrions ramener les choses à la situation actuelle, sachant qu'actuellement, la loi est conforme à la Charte. La Cour suprême du Canada a examiné cette loi plus que toute autre, de manière soigneuse, et nous avons actuellement une loi qui respecte la Charte et qui fonctionne bien. Que ce soit à la Commission, à la Cour supérieure, à la Cour d'appel et certainement à la Cour suprême du Canada, la réparation demandée serait de rétablir la loi dans sa forme actuelle, puisqu'elle est tout à fait conforme à la Charte, qu'elle fonctionne bien et qu'elle n'a causé de risque pour personne.
Dans l'arrêt Conway, la Cour suprême a affirmé qu'on ne peut demander une libération inconditionnelle pour une personne qui continue de représenter un risque pour la sécurité publique. Je présume que cela ne changera pas. C'est le cœur même de la loi. Il en a toujours été ainsi et je n'arrive pas à comprendre pourquoi on veut modifier la loi pour dire que la sécurité publique doit primer, alors que la loi et la jurisprudence l'établissent déjà.
Nous ferions certainement une tentative et il est probable que nous gagnerions. Qu'il s'agisse de la commission, de la Cour supérieure, de la Cour d'appel ou de la Cour suprême du Canada, au bout du compte, nous allons gagner. Il ne s'agit pas de savoir quand, mais pour combien de temps on assujettira des gens aux effets dommageables de ces modifications.
Le sénateur McIntyre : Merci aux deux associations pour leur exposé.
Dans les motifs de sa décision, un tribunal doit prendre en considération la preuve, le témoignage oral des témoins, les déclarations des victimes, les plaidoiries des avocats et les facteurs décrits à l'article 672.54 du Code criminel, y compris l'exigence que la décision rendue soit la moins sévère et la moins privative de liberté pour l'accusé, compte tenu du besoin de protéger le public contre une personne dangereuse, de la réinsertion de l'accusé dans la société, de son état mental et de ses autres besoins.
Nous savons que le projet de loi C-14 remplace l'expression « la moins sévère et la moins privative de liberté » par « qui est nécessaire et indiqué dans les circonstances ». Je remarque que vous proposez que l'article 672.54 ne soit pas modifié pour supprimer l'expression « moins sévère et moins privative de liberté ». Je vous dirai que le libellé est conforme à l'arrêt Winko. Autrement dit, la liberté de l'accusé déclaré NRC ne sera pas limitée plus que nécessaire pour protéger la sécurité du public.
Je pense qu'il faut se rappeler l'intention du législateur. La modification n'est pas destinée à éliminer l'expression « moins sévère et moins privative de liberté » mais à faciliter sa compréhension par le public.
Voici ma question : Cette modification n'est-elle pas conforme à la Charte?
Mme Szigeti : C'est à moi que vous posez la question?
Le sénateur McIntyre : Oui.
Mme Szigeti : Bien entendu, si dès que la loi est modifiée, toutes les commissions d'examen provinciales et territoriales interprètent immédiatement « nécessaire et indiqué » comme voulant dire « moins sévère et moins privative de liberté » la question se pose : À quoi la modification aura-t-elle servi? Pour que la Charte soit respectée, il faut interpréter le libellé modifié comme le libellé existant. Si c'est ce que vous voulez faire, alors, la loi respecte la Charte.
Le terme « indiqué » a été étudié par la Cour suprême du Canada dans des affaires semblables, Tulikorpi et Pinet, et a été jugé inapproprié, autrement que correspondant à la mesure la moins sévère et la moins privative de liberté.
Si l'on veut laisser entendre que « nécessaire » qualifie le terme « indiqué » d'une certaine façon, alors, nous n'avons pas d'objection. Mais il faudrait alors que l'interprétation soit uniforme pour toutes les commissions d'examen des provinces et territoires et qu'elle ne soit pas modifiée sur appel par le poursuivant ou par un hôpital qui, vous le savez bien, peut être une partie à la cause.
Il y a moyen d'interpréter la modification d'une manière qui respecte la Charte, et c'est peut-être l'interprétation qui sera faite par tous, mais pour mon association, il est préférable d'éviter les risques et de conserver l'article 672.54 en l'état, puisqu'à notre avis, il respecte la Charte et n'a causé aucun problème.
M. Carter : Quand un argument constitutionnel est soulevé en cour, il faut d'abord interpréter la disposition puisque s'il y a moyen de l'interpréter dans le respect de la Charte, c'est cette interprétation qui prévaudra, avant qu'on abroge la loi.
Ce que veut dire Mme Szigeti c'est à quoi servira tout cela? Si l'interprétation nécessaire pour préserver la loi est l'interprétation actuelle, pourquoi changer le libellé, pourquoi consacrer du temps, de l'argent et des ressources à des contestations éventuelles, pourquoi courir le risque que des décisions divergentes soient rendues ici et là au pays, et qu'il soit nécessaire de s'adresser à la Cour suprême au bout du compte? Pourquoi consacrer du temps et des ressources à cette question quand on connait déjà l'issue potentielle? S'il faut que ce soit conforme à la Charte comme ce l'est maintenant, pourquoi modifier le libellé?
Le sénateur McIntyre : Je pense qu'on veut modifier la loi parce que la plupart des provinces et territoires craignent que la sécurité publique ne soit pas le facteur prépondérant, par rapport aux autres facteurs que doivent prendre en considération les tribunaux et les commissions d'examen, comme la réinsertion sociale de l'accusé, son état mental et ses autres besoins. À mon avis, c'est la raison d'être de ce projet de loi.
La sénatrice Jaffer : J'ai deux questions. Veuillez répondre brièvement pour qu'on ne m'interrompe pas.
Monsieur Carter, je m'intéresse à vos propos sur les ordonnances de non-communication. Je n'y avais pas songé. Pour moi, l'avis est une méthode passive. L'ordonnance de non-communication impose à l'accusé de s'assurer qu'il ne soit pas à proximité de la famille de la victime, ce qui est plus sûr pour cette personne. Pourriez-vous me dire pourquoi vous proposez les ordonnances de non-communication?
M. Carter : Nous appuyons cette idée et je le dis parce que je pratique en droit criminel, parce que c'est un moyen efficace de contrer le problème. Le problème, c'est que la victime ne veut pas croiser l'accusé NRC et on le comprend parfaitement. Nous appuyons cela. Il faut donc imposer à l'accusé NRC d'éviter de le faire, sous peine de sanctions. Si vous le faites, on portera d'autres accusations contre vous ou on vous ramène en institution. C'est un mécanisme d'exécution de la loi. L'autre méthode qui consiste simplement à donner l'adresse de l'accusé est une solution passive qui a des conséquences potentielles plus graves pour la vie privée et pour ce qui est des conséquences inattendues dont j'ai déjà parlé.
La sénatrice Jaffer : J'ai bien du mal à accepter la désignation d'accusé à haut risque, principalement à cause de la période de trois ans. J'ai souvent posé cette question : Qu'est-ce qui arrive si l'accusé va mieux? On m'a dit qu'il y avait un examen chaque année. Alors comment s'applique la règle des trois ans? Vous connaissez bien le sujet, pourriez-vous nous l'expliquer? Pour moi, si l'accusé va mieux, pourquoi resterait-il interné?
Mme Szigeti : C'est une excellente question. Il faut bien expliquer ces modifications dont on a fait tout un plat dans les médias et ailleurs. La désignation d'accusé à haut risque peut être faite par le tribunal à la demande du poursuivant, dès le début. Les examens aux trois ans sont une question distincte. Cette période de trois ans demeure à la discrétion de la commission d'examen; en ce moment, la commission peut décider de procéder aux examens à une fréquence minimale de 24 mois, selon les demandes. Il est possible que personne n'attende trois ans pour un examen. C'est possible. Actuellement, sauf pour cette exemption, l'examen se fait annuellement.
Pour la désignation à haut risque, le problème n'est pas nécessairement qu'il leur faudra attendre trois ans pour un examen, même si c'est possible. Pour un accusé, on pourrait combiner la désignation d'accusé à haut risque et trois ans sans examen, ce qui voudrait dire essentiellement trois années d'internement sans permission de sortir. Ce serait désastreux pour qui que ce soit.
La désignation d'accusé à haut risque pose problème parce qu'elle enlève le pouvoir discrétionnaire des commissions, au profit des experts du tribunal. En faisant cette désignation, on enlève aux experts de la commission d'examen la possibilité d'accorder toute permission de sortir, même avec escorte, dans la communauté. C'est ce qui rend cette disposition fondamentalement inconstitutionnelle, illégale et répressive.
Le sénateur Plett : Merci à nos témoins. Au comité de la Chambre, l'ABC a déclaré :
[...] le régime proposé relativement aux accusés à haut risque est fondé sur l'hypothèse que l'accusé NCR va récidiver simplement parce qu'il a commis une infraction grave. Les données accessibles portent à croire que c'est exactement le contraire.
Paul Burstein, de la Criminal Lawyers' Association, a aussi cité un rapport au comité de la Chambre, intitulé Description and processing of individuals found Not Criminally Responsible on Account of Mental Disorder accused of ``serious violent offences.'' Je ne sais pas s'il a lu les statistiques comme je l'ai fait, ou si je les interprète mal, mais j'aimerais vous les lire, si vous permettez, monsieur le président. De l'ensemble des infractions graves avec violence, 38,8 p. 100 avaient été commises par quelqu'un qui avait été déjà condamné ou déclaré NRC. Plus précisément, 35,8 p. 100 des infractions graves avec violence ou IGV, ont été commises par un accusé qui avait déjà été condamné auparavant, 6,1 p. 100 par un accusé déjà déclaré NRC et 50 p. 100 des accusés NRC accusés d'infractions sexuelles avaient déjà été condamnés ou déclarés NRC, 47,6 p. 100 avaient une condamnation préalable et enfin, 9,5 p. 100 avaient déjà fait l'objet d'un verdict NRC. Enfin, parmi les accusés NRC de meurtre ou d'homicide, 27,6 p. 100 avaient un passé criminel, 25,9 p. 100 avaient déjà été condamnés au moins une fois et 5,2 p. 100 avaient fait déjà l'objet d'au moins un verdict NRC.
Comment expliquez-vous ces statistiques? Ce sont les statistiques employées par Paul Burstein, devant le comité de la Chambre des communes, et vous dites qu'il n'y a pas de preuve. Le rapport montre le contraire. J'aimerais savoir ce que vous en pensez tous, s'il vous plaît. Je pense que vous avez comparu devant le comité de la Chambre des communes.
M. Carter : Je n'ai pas ces statistiques sous les yeux. Tout ce que je peux dire, c'est qu'en préparant notre mémoire, nous avons examiné les documents et par suite de cet examen, nous avons estimé que les faits ne justifiaient pas les graves préoccupations exprimées à ce sujet.
Au sujet de cette dernière portion que vous avez lue, sur les homicides, j'ai essayé de noter les chiffres et corrigez-moi si j'ai tort : le pourcentage élevé que vous avez donné sur la perpétration d'une infraction grave avec violence se rapporte aux condamnations judiciaires préalables et non à leur traitement en santé mentale, n'est-ce pas?
Mme Szigeti peut en parler plus que moi puisqu'elle a eu de nombreux clients de ce genre. Ce qui se passe, c'est qu'ils ont des démêlés avec la justice avant qu'un diagnostic soit posé et qu'un traitement adéquat soit donné. Certains problèmes ne sont pas décelés tout de suite. Ainsi, la maladie mentale peut se manifester plus tard, après qu'ils aient eu des démêlés avec la justice et sans qu'ils aient profité d'une thérapie. Les condamnations peuvent s'accumuler avant que le système s'occupe d'eux.
Je pense que c'est la réponse.
Mme Szigeti : Je conviens volontiers de tout ce que Paul Burstein a pu vous dire ou vous dira. Je suis d'accord avec lui.
Je ferai la même observation que M. Carter au sujet des statistiques que vous avez citées. Les nombres sont très petits. Pour toutes les statistiques que vous nous avez données, on parle de 4, 5 ou 6 p. 100 de la clientèle, il s'agit de ceux qui finissent par être accusés d'une IGV comme une tentative d'homicide, ou un homicide et qui ont déjà été déclarés NRC. On parle du plus petit pourcentage.
Les statistiques que nous présentons dans l'article appuient cette idée. Nous avons d'ailleurs présenté un mémoire à la Chambre à cet effet. La statistique qu'il ne faut pas perdre de vue est celle qui indique que moins de 10 p. 100 — et cela se rapproche plutôt de 7 p. 100 — des gens qui sortent de notre système actuel de commission d'examen récidivent. En revanche, si ces personnes n'optent pas pour une défense NCR ou une défense en vertu de l'article 16 et qu'elles finissent par être incarcérées dans une prison, leur taux de récidivisme est beaucoup plus élevé. C'est précisément ce que l'on peut voir : des gens accusés d'avoir commis un crime violent et qui finissent par se faire déclarer NCR, alors que, auparavant, ils avaient été reconnus coupables et avaient été envoyés en prison en raison de leur déclaration de culpabilité.
La plupart de mes clients avaient pour infraction désignée un homicide, une tentative d'homicide ou une autre infraction violente grave. Il ne leur reste plus de famille, car ils ont tué leur mère, leur père et leurs frères et sœurs. Certains de mes clients répondent très bien à un traitement dans un établissement psychiatrique. Après avoir pris des médicaments appropriés pendant quelques semaines, ils ressentent du remords, sont stables et ne récidivent jamais. Ils sortent ensuite du système et ont reçu un soutien dont ils avaient besoin et ont pu être réinsérés et réhabilités pleinement dans la société.
Bien entendu, on veut que les gens se retrouvent dans le système, mais on veut également réduire les restrictions au fur et à mesure que leur situation s'améliore. Ce mode d'évaluation et de traitement fonctionne.
Ainsi, les statistiques que vous m'avez présentées ne me troublent pas. Ce que j'en conclus, c'est ce que j'espère que Paul Burstein a indiqué à la Chambre des Communes : Les gens qui sortent du régime NCR ont le moins de chance de récidiver.
Le sénateur Plett : J'aimerais faire une observation. Cinquante pour cent des NCR qui ont été accusés d'avoir commis une infraction sexuelle avaient, auparavant, été déclarés NCR. Ce pourcentage est loin d'être faible. Et même s'il ne s'agissait que de 7 ou 10 p. 100, cela ne serait pas une grande consolation pour Tim McLean que Vince Li en fasse partie.
Le sénateur Joyal : Merci de nous avoir fait part de vos réflexions au sujet de la nature de ce projet de loi. J'aimerais revenir à l'article 9. Il modifie l'article 672.54, qui, essentiellement, énonce à nouveau les trois critères qui avaient été établis par la Cour suprême. En revanche, on y fait primer la sécurité du public qui est présentée comme étant le « facteur prépondérant » du projet de loi.
D'après vous, si vous vous fondez sur la décision de la Cour suprême, croyez-vous que cela résisterait à une contestation judiciaire? En d'autres termes, le fait de modifier l'équilibre sur lequel la cour s'était fondée — le fait que l'on y fasse primer un critère qui semble être plus important que les deux autres — est-ce que cela serait contraire à la décision de la Cour suprême?
Mme Szigeti : Me permettez-vous d'intervenir?
Je peux comprendre qu'on puisse croire, à tort, que les quatre facteurs ont une valeur égale. En effet, de prime abord, si l'on regarde le libellé de l'article 672.54, ils peuvent sembler avoir la même importance. Les quatre facteurs protègent les gens de personnes dangereuses, on tient compte de l'état psychologique de l'accusé, des autres besoins de l'accusé et du besoin de le réinsérer dans la collectivité.
Mais ces facteurs n'ont jamais eu une valeur égale. En fait, la sécurité du public a toujours été un facteur prépondérant. Le juge Binnie de la Cour suprême du Canada, dans les affaires Tulikorpi et Pinet, nous a indiqué clairement que la sécurité du public était un facteur prépondérant. Toutes les décisions qui sont prises par la commission d'examen tiennent compte de la sécurité du public.
Il s'agit donc d'une codification de la common law existante qui a été établie par la Cour suprême du Canada. Si des commissions d'examen dans les provinces ou les territoires ne reconnaissent pas le fait que la Cour suprême du Canada les oblige à tenir compte de la sécurité du public en tant que facteur prépondérant, l'on peut régler ce problème en les sensibilisant à cet effet. La semaine prochaine, je me rendrai au Nunavut, afin de parler avec des avocats qui pratiquent dans ce domaine. Il faut sensibiliser les commissions d'examen à l'échelle provinciale et territoriale afin qu'ils mettent en œuvre l'interprétation législative prônée par la Cour suprême du Canada.
Alors, non, le fait de mettre l'accent sur la sécurité du public ne pose pas problème. En effet, le régime a déjà fait en sorte qu'il s'agisse d'un facteur prépondérant et la Cour suprême l'a dit également — sauf en français, où elle indique « particulièrement la réinsertion de l'accusé dans la collectivité. » Alors, vous souhaiteriez peut-être changer cela. Outre ce point, nous n'estimons pas qu'il faille changer quoi que ce soit.
M. Carter : Il est vrai que la jurisprudence est extrêmement claire à cet endroit. Mme Szigeti l'a bien expliqué. Nous ne croyons pas que cela pose problème.
Le sénateur Joyal : J'aimerais vous poser une autre question au sujet de l'article 12 du projet de loi. L'on y rajoute le nouvel alinéa 672.64(1)b) qui stipule que :
... il est d'avis que les actes à l'origine de l'infraction étaient d'une nature si brutale...
Est-ce que le concept de « brutalité » est nouveau et devrait être interprété au cas par cas? Quels paramètres déterminent la « brutalité »? Ces paramètres sont-ils physiques ou psychologiques? D'après vous, comment faudrait-il plaider au sujet de la « nature brutale » d'une infraction?
M. Carter : Comme nous l'avons indiqué dans notre mémoire, l'ABC craint justement que l'expression ne soit ambiguë et vague. Nous l'avons notamment expliqué dans notre mémoire et avons soulevé plusieurs questions à la page 12. Ainsi, par exemple, comment peut-on définir la « nature brutale »? Comment peut-on la quantifier?
Comme c'est le cas pour n'importe quelle disposition, il faudrait, au bout du compte, que cela soit interprété par une cour. Cette expression n'est pas facile à définir et cela est particulièrement vrai dans ce contexte. Étant donné que je n'ai pas autant d'expérience dans le domaine que Mme Szigeti, j'aimerais revenir à la conversation que j'avais eue avec l'avocat de la Couronne de la Colombie-Britannique. J'en ai parlé avec lui et, d'après ses 23 années d'expérience — et je crois que cela s'applique également à Mme Szigeti — du lien que l'on pourrait faire entre la brutalité de l'infraction et les chances que le traitement soit réussi soient extrêmement faibles. En fait, il appuie ce que dit Mme Szigeti dans la mesure où, parfois, dans les cas les plus brutaux, les délinquants réagissent très bien et rapidement à leurs médicaments. Alors, le fait de mettre l'accent sur la brutalité pose problème. En effet, cette expression est vague et n'est pas réellement liée à ce que l'on souhaite faire avant tout, soit traiter ces personnes afin de veiller à la sécurité du public.
Mme Szigeti : Je suis tout à fait d'accord. Il y a deux problèmes. La brutalité n'est pas un concept reconnu par les psychiatres. J'imagine que vous avez déjà entendu les témoignages de médecins.
Il convient de souligner que ces amendements ont créé des drôles de liens. Ainsi, les avocats de la défense et les psychiatres légistes avec lesquels nous avons souvent des désaccords et notre commission d'examen font tous front commun pour s'opposer à ces amendements. Il est intéressant de noter que nous partageons tous le même point de vue à cet égard.
La psychiatrie n'est pas familière avec le concept de brutalité en tant que concept que l'on peut quantifier. On demande ainsi à un juge, qui n'est pas expert en la matière, de déterminer la brutalité d'une infraction afin de déterminer si la personne serait désignée accusée à haut risque, il faudrait consulter un psychiatre pour obtenir un avis et ils n'ont pas les instruments actuariels pour ce faire. Dans une certaine mesure, l'on cherche un délinquant dangereux souffrant de troubles mentaux. Au lieu de parler de délinquants dangereux, on pose des questions qui ne sont pas appropriées en cas d'absence de responsabilité.
De plus, les instruments d'évaluation actuarielle du risque, tels que le Guide d'évaluation du risque de violence, démontrent qu'il y a une corrélation inverse entre la brutalité d'une infraction désignée et le risque de récidivisme. C'est paradoxal, mais c'est comme ça.
Donc, non seulement n'y a-t-il pas de corrélation positive — plus l'infraction désignée est brutale et plus cette personne risque de récidiver — mais, en fait, c'est l'inverse. La science fondée sur les preuves dicterait donc que la brutalité de l'infraction désignée ne devrait pas être un facteur dont on tient compte dans l'évaluation du risque. Si l'on agissait de la sorte, on verrait sans doute l'inverse : il faudrait que tous les clients, qui ont été entendus par la Commission d'appel pendant au moins une décennie, pour des raisons de méfait, d'occupation illégale d'un logement ou encore d'infractions liées aux biens, devraient passer rapidement à travers le système, car leurs infractions désignées ne sont pas violentes. Mais ce n'est pas comme cela que ça marche.
Il y avait des zones grises dans les dispositions sur les troubles mentaux dans le code. On a fini par s'en débarrasser. Il s'agissait notamment des dispositions de plafonnement. Mais si l'on veut revenir à ces propositions, alors, il faudrait permettre aux gens qui ont commis des infractions désignées mineures et qui n'ont jamais fait de mal à une mouche de sortir rapidement du régime de la commission d'examen. Or, on n'en parle pas dans le projet de loi.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup pour vos présentations. Un peu comme le disait le sénateur Plett, je comprends très bien vos mémoires; vous êtes du côté de la défense et des gens qui sont criminalisés et nous, nous sommes du côté de la représentation des victimes.
Face à votre pessimisme concernant ce projet de loi, je n'ai pas le même pessimisme. Vous dites que 7 p. 100 des gens récidivent, alors que le projet de loi touchera 1 p. 100 des gens qui ont des problèmes de santé mentale. Il y a donc encore 6 p. 100 des gens à risque qui récidiveront.
Je disais la semaine passée qu'à peine 4 p. 100 des personnes participent aux audiences d'une commission, mais je me suis trompé; c'est plutôt 0,4 p. 100.
Le Tribunal de la santé mentale au Canada consiste en des audiences qui se tiennent à huis clos. Les victimes n'y sont pas du tout. Vous semblez avoir beaucoup de réticences à ce qu'on informe les victimes du lieu de résidence du criminel, alors que, déjà, la Commission des libérations conditionnelles du Canada, dans beaucoup de cas, pour les criminels à risque, informe les victimes du lieu de résidence du criminel. Les victimes vont aussi de plus en plus revendiquer la Charte canadienne des droits et libertés. Selon l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, nous avons droit à la sécurité. Historiquement, les victimes ne se sont jamais prévalues de ce droit; c'est beaucoup plus les criminels qui se sont prévalus des droits contenus dans la charte.
Ma question est relativement fondamentale; on vient ici tenter d'équilibrer la sécurité de la population et des victimes. Il faut se rappeler qu'une ordonnance de la cour n'assure pas une sécurité aux victimes. Mme Gaston, dont les deux enfants ont été assassinés par son mari, a rencontré ce dernier dans un centre commercial alors qu'il était en libération de week-end de l'Institut Philippe-Pinel. Elle n'avait jamais été avisée que cet individu serait remis en liberté un week-end. Pour tout le processus de remise en liberté et de questionnement, les victimes sont complètement évacuées. Et je dirais que, à la limite, la population est complètement évacuée. On ne se concentre que sur le malade qui a des problèmes de santé mentale.
Peut-on en arriver à un équilibre entre la sécurité de la population et le droit à la réhabilitation pour la personne qui a commis des crimes graves?
Ce projet de loi n'apporte-t-il pas, selon vous, un équilibre dans le système alors qu'est complètement évacuée la sécurité de la population?
[Traduction]
M. Carter : Puis-je répondre à cette question? Tout d'abord, nous appuyons une grande partie du projet de loi qui porte sur les avis. Il ne sert à rien que je vous parle des points sur lesquels nous sommes d'accord. Nous n'avons pas besoin d'en débattre et nous n'avons donc pas mis l'accent là-dessus.
Mais nous avons indiqué clairement, dans nos remarques liminaires et dans nos mémoires, que nous sommes d'accord avec certaines parties des dispositions qui portent sur les avis aux victimes. Nous sommes bien d'accord que les victimes devraient être avisées en cas de libération. Nous convenons que les victimes devraient recevoir des avis tout au long du processus. De plus, nous estimons qu'il est approprié que l'on émette des ordonnances pour que la personne libérée n'ait pas de contact avec la victime et qu'on lui impose des restrictions géographiques, qu'il sera tenu de respecter sous peine de faire face à des conséquences. Cela va bien plus loin que de tout simplement fournir une adresse à quelqu'un. Nous avons souligné que ces amendements sont importants et protègent les droits des victimes.
Nous estimons que le dernier amendement n'ajoutera pas beaucoup au projet de loi initial, dans lequel il y avait des amendements rigoureux que nous appuyions. La disposition qui, à notre avis, n'ajoutera pas grand-chose, pose par contre problème pour plusieurs raisons. Ainsi, cela pourrait nuire à la vie privée et avoir des effets négatifs en ce qui a trait au traitement, au fait d'éloigner les gens, de ne pas leur donner d'endroit où rester et tous les problèmes qui se produisent lorsque les gens ont l'impression qu'ils n'ont nulle part où se réfugier. C'est ce qui nous préoccupe. Mais j'aimerais indiquer clairement que nous appuyons certains aspects de l'avis aux victimes.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Historiquement, au Canada, lorsqu'on a donné l'adresse du criminel à la famille de la victime, il n'y a pas eu de cas d'agression où les gens se sont fait justice eux-mêmes. Il n'y en a pas.
Est-il normal que le criminel ou la personne ayant un problème de santé mentale connaisse l'adresse de la victime? Souvent, celle-ci a été agressée chez elle, alors qu'on interdit à la victime de connaître l'adresse où demeurera la personne qui l'a agressée.
[Traduction]
M. Carter : Pardon, y avait-il une question?
Le sénateur Boisvenu : Oui.
M. Carter : Je reconnais qu'ils le savent peut-être. Encore une fois, nous soulignons qu'il y a des protections qui fonctionnent. Il n'y a rien de parfait. On ne peut pas avoir une protection parfaite. Mais les dispositions proposées — qui comprennent les restrictions de non-communication, les restrictions géographiques et l'avis de libération — sont adéquates.
Le sénateur Boisvenu : Mais pas l'adresse?
M. Carter : Pas l'adresse.
La sénatrice Batters : Madame Szigeti, à l'heure actuelle, la commission peut prolonger de deux ans la période d'examen, n'est-ce pas?
Mme Szigeti : C'est exact.
La sénatrice Batters : Ce projet de loi ne ferait que prolonger cette période d'un an, pour qu'elle passe à trois ans. Vous nous dites qu'à cause de cela, cette partie serait inconstitutionnelle?
Mme Szigeti : Non.
La sénatrice Batters : C'est parce que vous avez répondu à une question du sénateur Baker en indiquant que, à l'heure actuelle, nous avons une législation qui fonctionne bien et est conforme à la Charte. Il me semble que c'est précisément ce que vous avez dit.
Mme Szigeti : Oui.
La sénatrice Batters : Vous avez indiqué que ces dispositions ne respecteraient pas la Charte si elles faisaient passer à trois ans la période d'examen. À l'heure actuelle, cette période n'est que de deux ans. Je ne comprends pas pourquoi vous pensez que le seul fait de rajouter une année fera en sorte que cela ne respecterait plus la Chartre.
Mme Szigeti : Cela me fait réfléchir. Il s'agit d'une excellente question. Peut-être que la période de deux ans n'est pas conforme à la Charte non plus. Il va falloir que j'y réfléchisse. Je pense que ça ne m'avait pas particulièrement dérangée.
La sénatrice Batters : Vous ne l'avez jamais contestée.
Mme Szigeti : Non. Je ne l'ai jamais utilisée avec mes clients. Les commissions d'examen tiennent particulièrement compte du besoin d'avoir un examen annuel, car les besoins de traitement et la santé mentale des gens changent. Le risque qu'ils posent pour autrui change également. Je n'ai jamais été confrontée à cela. Lors d'une de mes audiences, la Couronne a demandé à une reprise qu'il y ait une période d'examen de 24 mois. Ils ont ensuite laissé tomber lorsqu'il est devenu évident que ce ne serait pas accordé.
La période de trois ans n'est pas ce qui me préoccupe le plus. Ce qui me préoccupe le plus, c'est la désignation à haut risque et le fait qu'on enlève le cœur de l'article, avec la clause la moins onéreuse et restrictive.
La sénatrice Batters : Vous venez de dire que, d'après votre expérience — et votre expérience est vaste — on n'a pas souvent recours à cette période de deux ans. Ainsi, il me semble fort possible que les commissions d'examen agissent avec la même diligence en ce qui a trait à cette période de trois ans.
Mme Szigeti : J'imagine que oui. J'imagine que cela ne changera pas grand-chose.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos trois invités. Vous comprendrez, monsieur Carter, que le but du projet de loi — et je pense que le sénateur Boisvenu l'a bien exprimé — est de protéger les victimes d'une récidive.
Il a mentionné le cas du Dr Turcotte, que vous connaissez sûrement et qui a été reconnu non criminellement responsable. Il avait été libéré avec certaines réserves. Je vous dirais que, étant donné que le procès avait été largement médiatisé, il a même été reconnu dans un quartier où des citoyens ont averti la police parce qu'ils le voyaient dans un dépanneur et qu'il y avait une crainte parmi les citoyens. Le taux de récidive après trois ans pour les infractions graves et violentes est d'environ 10,4 p. 100.
J'aimerais vous poser deux questions relativement simples. Premièrement, j'aimerais connaître votre définition d'une action grave et violente; et, par la suite, j'aimerais savoir si vous avez une idée du taux de récidive des gens qui ne sont pas reconnus criminellement responsables.
[Traduction]
M. Carter : Je n'ai pas ce chiffre avec moi. L'avez-vous, madame Szigeti?
Mme Szigeti : Pouvez-vous me répéter la question s'il vous plaît? Mon écouteur est tombé pendant votre présentation et je ne comprends pas aussi bien le français que je ne l'aurais souhaité.
M. Carter : Le taux de récidive pour des infractions violentes de la part d'un accusé NCR suite à sa libération. Ai-je bien compris la question?
Le sénateur Dagenais : Oui.
Mme Szigeti : Merci. J'ai beaucoup aimé écouter le français. Malheureusement, je n'avais compris que quelques mots, alors ma réponse aurait été étrange.
Moins de 10 p. 100 des gens qui sortent du régime de commission d'appel récidivent. Si vous recevez une mise en liberté inconditionnelle, cela veut dire qu'un tribunal d'experts a jugé que vous ne posiez plus de risque important pour la sécurité publique. Moins de 10 p. 100 — et il me semble qu'il s'agit plutôt de 7,5 p. 100 — récidiveront. Je suis certaine de ces chiffres. Les statistiques proviennent de l'étude Crocker que vous connaissez. Les taux de récidive sont bien plus élevés pour les gens qui ont purgé une peine dans un pénitencier et qui n'ont pas reçu de traitement. C'est logique. Le traitement que ces gens reçoivent permet, à long terme, de réduire le risque qu'ils posent à la société. C'est l'objectif du régime NCR. Je ne sais pas si ma réponse était utile.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Pouvez-vous également répondre à ma première question? Comment définissez-vous une action grave et violente?
[Traduction]
M. Carter : Si vous me demandez ma propre définition d'infraction violente grave, alors il s'agirait de meurtre, de tentative de meurtre, de voies de faits graves ou d'agressions sexuelles graves. Ça pourrait également être une voie de fait causant des lésions corporelles et ça pourrait englober — et cela était le cas traditionnellement dans le droit criminel — des formes de dommages psychologiques.
La sénatrice Frum : J'aimerais vous parler de l'idée selon laquelle des avocats pourraient conseiller à leurs clients accusés de tenter d'obtenir une peine de prison plutôt que de demander une désignation NCR. Croyez-vous que cela serait fréquent? Qu'en est-il des questions éthiques et déontologiques que cela pourrait poser pour un avocat de la défense qui se retrouverait dans cette situation?
Mme Szigeti : Nos obligations en tant qu'avocats de la défense pour des clients atteints de troubles mentaux graves ne diffèrent pas de celles que nous avons envers nos autres clients. Nous ne prenons pas de décision à leur place, qu'ils présentent une défense en vertu de l'article 16 ou non. C'est leur décision. Tant qu'ils sont aptes à subir leur procès, c'est à eux qu'appartient la décision de vouloir obtenir une désignation NCR. Et ils décident s'ils souhaitent ou non que la Couronne s'oppose à ce genre de décision. En revanche, tout comme c'est le cas avec n'importe quel autre client, il nous incombe de les renseigner pleinement sur les conséquences et ce qu'ils peuvent réalistement prévoir. Même maintenant, des avocats responsables diront à des gens qui ont commis des infractions très mineures, et qui pourraient avoir recours à une défense NCR en vertu de l'article 16, qu'il vaudrait peut-être mieux plaider coupable, car ils risquent de se retrouver de manière indéterminée dans le régime de commission d'examen, car il n'y a pas de disposition de plafonnement. Ainsi, ils pourraient être détenus pendant 10 ou 20 ans, alors que leur infraction désignée n'est pas de nature violente. Nous devons leur fournir ce conseil. Ils prennent leurs propres décisions.
Les gens pour qui le régime actuel fonctionne le mieux sont ceux qui ont commis des infractions graves, et qui sont capables de recevoir l'aide dont ils ont désespérément besoin grâce au système de commission d'examen qui les envoie à l'hôpital pour qu'ils obtiennent les traitements adéquats. Ils sont ensuite lentement réinsérés dans la collectivité d'une manière prudente et mesurée. En revanche, même les gens qui ont commis des infractions graves voudront réfléchir deux fois avant de vouloir se faire désigner accusé à haut risque. Ce n'est pas quelque chose que je recommanderais à un client en sachant que, jusqu'à ce que la contestation en vertu de la Charte ait gain de cause, cette personne sera enfermée et n'aura pas accès à la collectivité, même en étant accompagnée et ne pourra sortir de l'unité à moins que quelqu'un ne meure ou qu'il y ait une urgence médicale ou dentaire. C'est très préoccupant. Je ne conseillerais à aucun client de risquer de se faire désigner accusé à haut risque en vertu des nouvelles dispositions. Ce n'est pas un conseil que je leur fournirais. Je suis convaincue que cette décision sera rejetée en cour, mais cela prendra du temps. Alors, il faudrait que vous vous posiez la question suivante : pendant combien de temps et combien de personnes êtes-vous prêts à assujettir à ce type de préjudice où l'on viole leurs droits tout en sachant que ces amendements ne résisteront pas à un examen en vertu de la Charte?
La sénatrice Frum : Alors vous me dites que, même si vous aviez un client qui était schizophrène, et qui ne prenait pas de médicaments, vous pourriez quand même leur conseiller de ne pas obtenir cette désignation?
Mme Szigeti : Je leur indiquerais ce qu'ils peuvent s'attendre réalistement à vivre dans un établissement psychiatrique. S'il me semble qu'ils pourraient être admissibles à être désignés accusés à haut risque si la Couronne décide de proposer cette motion et qu'elle est accordée par le juge — ce n'est pas à moi de déterminer ce qu'il décidera — je dois aviser mon client que, s'il emprunte la voie NCR ou ne conteste pas cette désignation et est désigné accusé à haut risque, cela veut dire qu'il sera enfermé dans une unité sécurisée dans un hôpital et qu'il n'aura pas la capacité d'être réinséré, réhabilité ou de sortir de l'établissement. Il sera condamné à une existence extrêmement restrictive pendant au moins un an, voire trois, sans examen.
Le président : J'aimerais vous poser une question complémentaire. D'autres témoins en ont également parlé. Ne croyez-vous pas qu'il y ait un problème éthique, par rapport à vos devoirs envers le client ou le public — et il me semble que cela se retrouve dans le code de déontologie du Barreau du Haut-Canada — de laisser entendre que vous n'êtes pas tenu d'aviser la cour des craintes que suscite l'état de votre client?
Mme Szigeti : L'état de mon client ne m'inquiète pas, car je n'émets pas de jugement personnel à cet effet. Ce dont nous parlons, c'est le fait de choisir entre un emprisonnement ou une détention indéterminée dans un établissement psychiatrique. Mes obligations envers le Barreau ne m'inquiètent pas. Cela fait 23 ans que je pratique. Je pense que j'ai un bon sens de l'éthique. J'estime que la sécurité du public est très bien protégée dans le régime actuel et que de restreindre encore davantage les droits et libertés des accusés ne représente rien d'autre que des représailles et des châtiments.
Le président : Je comprends. Je pense tout de même que par souci de sécurité publique, vous devriez au moins envisager d'exprimer vos craintes aux tribunaux.
Qu'en est-il de la procédure actuelle d'avis? Y a-t-il une exigence selon laquelle il faudrait aviser les agences policières dans les collectivités que la personne a été libérée? Y a-t-il des exigences d'avis à l'heure actuelle?
M. Carter : Les services policiers sont avisés. Cela ressemble un peu à ce qui se passe à l'heure actuelle avec le registre des délinquants sexuels. Il faut s'inscrire. Vous devez inscrire votre adresse et, chaque fois que vous déménagez, vous devez vous inscrire de nouveau. Il s'agit d'un mécanisme interne qui permet à la police de faire le suivi.
Le président : J'aimerais revenir à cette question et qu'un autre témoin y réponde. Dans ma collectivité de Brockville, il y a une unité de police et, dans le passé, les agents m'ont dit qu'il y avait des gens dans la collectivité qui avaient commis des crimes graves, mais qu'ils n'étaient pas au courant de leur présence dans la collectivité.
Qu'en est-il des gens qui reçoivent une mise en liberté inconditionnelle? Qu'en est-il du contrôle de l'emplacement où ils habitent — vous en avez parlé vous-même, monsieur Carter. Il y a eu un cas récemment à Brockville. Je ne sais pas comment le public l'a su, mais quelqu'un avait loué un logement près d'une école. C'était un délinquant sexuel. C'était un pédophile qui avait commis des crimes graves. Bien entendu, le public a fait part de ses préoccupations au sujet de son emplacement. Quelles exigences ont été mises en place à l'heure actuelle pour composer avec ce genre de situations?
M. Carter : En ce qui a trait au système de justice criminelle régulier? Vous parlez de délinquants sexuels...
Le président : En ce qui a trait au NCR.
M. Carter : En ce qui a trait au NCR, une mise en liberté inconditionnelle est une mise en liberté inconditionnelle. À ce moment-là, vous avez été libéré. Il n'y a donc plus d'avis en cours. Ce que l'on change dans ce projet de loi, c'est que la victime sera désormais avisée lors de la libération. Cela ne se trouvait pas auparavant de manière formelle dans la législation. Il s'agit d'un bon pas en avant que d'en aviser la victime. Outre cela, il n'y a pas d'avis après la mise en liberté inconditionnelle.
Mme Szigeti : Sauf tout le respect que je lui dois, je ne suis pas tout à fait d'accord avec la perspective de l'ABC. Toutes les améliorations que l'on se propose d'apporter dans ces amendements afin d'aviser les victimes de la libération existent déjà dans la législation. En 2010, lorsqu'il y avait une possibilité de libération, on exigeait que les victimes soient avisées. En Ontario, les victimes sont avisées si elles témoignent le moindre intérêt à être avisées. Elles sont avisées de chaque audience. On les avise de leur droit de fournir une déclaration de la victime. Il s'agit de choses merveilleuses que le gouvernement a déjà faites pour les victimes, soit de leur faire prendre part au processus et leur permettre de participer pleinement en 2010. Le seul nouvel ajout consiste à dire à la victime où la personne libérée habitera dans la collectivité. Cela a d'ailleurs déjà été fait dans bon nombre d'ordonnances. Si une personne est libérée, mais assujettie à des conditions de libération, elles sont souvent libérées à un domicile particulier, comme cela serait le cas pour une ordonnance de probation. Ainsi, bon nombre de ces données sont déjà rendues publiques. En revanche, le fait d'obliger à fournir l'adresse dans tous les cas pose certainement problème.
Le président : Nous comprenons que c'est votre position. Je vous demanderais de ne pas continuer à réitérer ces opinions, parce que six sénateurs voudraient poser des questions lors de la deuxième ronde de questions.
Vous avez exprimé vos préoccupations à propos des juges qui doivent être qualifiés pour traiter d'une demande à risque élevé. Normalement, lorsque vos groupes comparaissent, vous parlez de l'élimination de la discrétion du juge. Il s'agit d'une situation où le juge participe à la désignation de non-responsabilité criminelle au début. Les juges écoutent les témoignages et tirent cette conclusion, ou le jury et le juge. Comment établir un équilibre à ce niveau-là? Vous dites que vous êtes préoccupé par leur capacité à faire cette désignation à risque élevé, mais en même temps, ces juges participent à la désignation de non-responsabilité criminelle. Il semble y avoir une contradiction.
Mme Szigeti : Selon moi, un des problèmes fondamentaux de cette loi sur les troubles mentaux est l'écart important entre la désignation de non-responsabilité criminelle et ce qui se passe par la suite à la commission d'examen. Le verdict de non-responsabilité criminelle ne tient pas du tout compte de la dangerosité. Il s'agit tout simplement de déterminer si la personne avait ou non un trouble mental qui l'empêchait de comprendre les conséquences de ce qu'elle faisait, ou l'aspect moral ou juridique. On ne parle jamais de dangerosité. Quelqu'un peut être reconnu non-responsable criminellement mais ne pas représenter un quelconque danger. Par la suite, devant une commission d'examen, on ne parle que de la dangerosité et plus du tout des troubles mentaux. Par le passé on disait : « C'est à cause de la colère qu'on se retrouve à l'intérieur, c'est à cause d'un mauvais comportement qu'on y reste ». Si quelqu'un représente un danger, il reste au sein du système de révision peu importe s'il n'a plus de troubles mentaux, s'il en est guéri ou s'il n'en a jamais eu de toute façon. C'est l'écart qui existe.
Les juges reçoivent des opinions psychiatriques divergentes sur la question d'une non-responsabilité criminelle. Ils feraient la même chose pour les contrevenants à risque élevé. Ça va coûter cher et il y aura des contestations. Le tout se trouvera devant la commission. La commission va renvoyer la balle et recommander au tribunal d'enlever la désignation. Nous allons jouer à ce jeu pendant bien longtemps. Je ne dis pas que c'est impossible. Je crois tout simplement que la commission d'examen a déjà les connaissances psychiatriques nécessaires et je préfère qu'elle s'en occupe.
Le président : Je comprends. Je demanderais aux six prochains sénateurs de poser des questions très brèves et que les réponses soient comparables.
Le sénateur Baker : Je voudrais une précision — vous l'avez dit à plusieurs reprises — quant à la définition de « nature brutale ». L'expression « nature brutale » a fait l'objet de décisions à plusieurs reprises en vertu, si je ne m'abuse, des dispositions sur les contrevenants dangereux. Les tribunaux dans cette province-ci ont statué que l'expression n'est pas vague. Elle reste. La Cour d'appel de l'Ontario a fourni une définition utile de l'expression « nature brutale ». Êtes-vous d'avis que la définition n'est pas claire dans le cadre de cette loi et de son application en vertu de cette loi? Il ne s'agit pas de la définition de l'expression « nature brutale »?
M. Carter : En gros, oui, c'est notre position. Je voudrais revenir à quelque chose qu'a dit Mme Szigeti et avec laquelle je suis d'accord. Les psychiatres ne sont pas en mesure de définir le mot « brutal ». Lorsqu'on travaille sur une demande de déclaration de contrevenant dangereux, et souvent la Couronne demande le rapport, on reçoit une copie du rapport, et dans tous ces rapports je vois toujours la même chose, parce que les psychiatres passent à travers chaque section pour offrir leur avis. Chaque fois, ils disent la même chose : « En tant que psychiatre, je ne suis pas en mesure d'offrir une opinion sur « brutal ». » Il s'agit d'une phrase de deux lignes qui figure sous cette rubrique sur chaque demande de déclaration de contrevenant dangereux que j'ai faite. Le problème c'est que ces audiences et la nature de la question portent sur des individus qui ont été reconnus non responsables criminellement. Inclure une expression qui n'est pas reconnue par des psychiatres et qui n'est d'aucune utilité pour eux ne vaut pas la peine.
Le sénateur Plett : J'aimerais parler un peu de la question de la récidive. Madame Szigeti, vous avez indiqué que le taux de récidive est de 7 p. 100. Cependant, le rapport Crocker dont vous nous avez parlé contient toutes sortes d'autres renseignements. Vous avez indiqué à un certain moment que vous appuyez le rapport Crocker, mais ensuite vous changez d'idée. Si un individu décapite une personne sur un autobus Greyhound et est retrouvé non criminellement responsable, et si cette personne est mise en liberté deux ans plus tard et commet un viol brutal, il ne s'agit pas du même acte criminel. Est-ce de la récidive?
Mme Szigeti : Hypothétiquement, cette personne aurait obtenu une sortie et aurait récidivé.
Le sénateur Plett : Qu'il ait obtenu une sortie ou non. Vous avez indiqué que ce n'est pas de la récidive. Quand vous parlez de ce 7 p. 100, voulez-vous dire qu'ils ne commettent pas le même crime ou qu'ils ne commettent aucun autre crime? J'utilise le mot brutal même si les psychiatres ne le font pas. Certains individus commettent d'autres crimes brutaux. S'agit-il oui ou non de récidive?
Mme Szigeti : J'apprécie votre question et je comprends vos préoccupations. Les chiffres que j'ai cités parviennent de ceux qui sont passés par le système de commission d'examen.
Le sénateur Plett : Même si c'est quelqu'un qui est passé par ce système. S'ils commettent un autre crime mais que ce n'est pas exactement le même que le précédent, font-ils partie de ce 7 p. 100?
Mme Szigeti : Oui, il s'agit là de récidive.
Le sénateur Plett : C'est de la récidive?
Mme Szigeti : Absolument.
La sénatrice Jaffer : J'aimerais éclaircir un point : le seul devoir d'un avocat est envers son client, n'est-ce pas?
Mme Szigeti : Si seulement. Il y a notre devoir en tant qu'officier de la justice...
La sénatrice Jaffer : Oui, bien sûr.
Mme Szigeti : ... et il y a des limites. Nous ne pouvons pas mentir au tribunal. Mais, en effet, je suis là pour représenter mon client.
La sénatrice Jaffer : Vos conseils sont pour vos clients uniquement.
Mme Szigeti : Mon client, c'est exact.
La sénatrice Jaffer : La désignation « à risque élevé » me préoccupe. C'est un juge qui décide de la désignation à risque élevé; c'est une désignation que l'on décide d'imposer. Si le procureur demande une désignation à risque élevé et que celle-ci est imposée, il faut retourner devant les tribunaux pour la faire renverser.
La seule chose dont on n'a pas parlé dans toute cette histoire est l'aide juridique, parce que la plupart de vos clients sont...
Mme Szigeti : Le processus pousserait le système d'aide juridique à la faillite.
La sénatrice Batters : J'aimerais revenir rapidement sur les remarques et les questions des sénateurs Frum et Runciman, madame Szigeti. Vous avez indiqué tout à l'heure que le modèle d'évaluation et de traitement fonctionne bien pour ensuite nous dire que le système pénal actuel n'est pas bien équipé pour composer avec les personnes atteintes d'une maladie mentale. Mais malgré ces deux observations — le modèle d'évaluation et de traitement fonctionne bien et ensuite vous avez parlé des répercussions négatives découlant de la présence des personnes atteintes d'une maladie mentale sur le système carcéral — cela ne devrait-il pas faire partie de vos conseils à vos clients? Cela ne devrait-il pas faire partie de vos conseils en ce qui a trait à la décision de plaider non criminellement responsable ou non?
J'aurais cru que ces conseils seraient importants à offrir à vos clients.
Mme Szigeti : Je comprends, et c'est une question réfléchie. Si je croyais qu'ils obtiendraient le traitement et l'évaluation en vertu du système actuel, je changerais peut-être d'avis, même s'ils étaient désignés être à risque élevé.
Mais, si on se fie aux modifications actuelles, ils pourraient recevoir des traitements pharmacologiques et être forcés de prendre des antipsychotiques, mais dans quel but? En vertu du système actuel, si des personnes réagissent très bien à un traitement, qu'ils soient forcés ou non, le niveau de risque diminue, et ce risque est évalué de façon régulière. Ils reçoivent ce traitement et, à mesure que leur niveau de risque diminue, on augmente leur liberté et ils sont réintégrés dans la collectivité. Voilà l'objectif du système. S'en éloigner poserait problème.
Le président : Je suis désolé. Nous devons passer au prochain.
Le sénateur Joyal : Je suis tenté de vous poser une question qui relève du gros bon sens. Vous avez beaucoup d'expérience à travailler avec des personnes qui se trouvent dans un tel état mental. Comment faites-vous pour expliquer à une personne atteinte d'une maladie mentale ses droits ou les conséquences de certains choix?
Mme Szigeti : Cela prend beaucoup de temps. C'est très difficile si un client est inapte. Cependant, lorsqu'un client a été jugé apte à subir son procès, je considère comme acquis qu'il est en mesure de me donner des directives et de comprendre ce qui se passe devant le tribunal. Si je suis certaine qu'un client est apte à comprendre, je lui donne le plus clairement possible les renseignements nécessaires. C'est sa vie, et c'est à lui de prendre les décisions, tant et aussi longtemps que je suis certaine de lui avoir donné le plus de renseignements possible. Par contre, je ne peux pas m'imposer et prendre ces décisions pour lui. À mon avis, ce serait inacceptable. Je ne le ferais jamais.
Le sénateur Joyal : Avez-vous connu des cas où vous étiez entièrement convaincue qu'une personne ne pouvait pas donner son consentement éclairé à une proposition que vous pourriez lui faire?
Mme Szigeti : Dans presque tous les cas, je suis convaincue que mes clients me donnent des directives qui vont à l'encontre de leurs propres intérêts.
Le sénateur McIntyre : J'ai examiné la documentation que vos deux organismes nous ont présentée, et il me semble que vous avez des préoccupations concernant la désignation à haut risque. En d'autres mots, le projet de loi ne devrait pas être adopté, ou certaines dispositions devraient être reformulées ou éliminées, s'il l'était.
En vertu du projet de loi C-14, ce sont les tribunaux et non la commission d'examen qui auraient le pouvoir de déterminer qu'un accusé est un accusé à haut risque. Je comprends pourquoi ce rôle serait réservé aux tribunaux, puisque ce sont eux — et non la commission d'examen — qui ont le pouvoir de déterminer si une personne est apte à subir son procès et si elle est non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux.
Les tribunaux ont également le pouvoir de prononcer un arrêt des procédures à la suite d'une recommandation de la commission d'examen, si l'accusé est irrémédiablement inapte à subir son procès et que cela ne présente pas de menace importante à la sécurité du public.
Le président : Veuillez poser votre question, s'il vous plaît.
Le sénateur McIntyre : Les tribunaux sont les premiers à avoir le pouvoir de rendre une décision.
Je crois que la désignation à haut risque est nécessaire, parce que dans le système, un accusé pourrait commettre un crime très grave et comparaître devant une commission d'enquête qui pourrait lui accorder une absolution inconditionnelle ou sous condition.
Grâce à la désignation à haut risque, l'accusé serait envoyé dans un hôpital...
Le président : Sénateur, posez votre question.
Le sénateur McIntyre : Voici ma question. Ne trouvez-vous pas que la désignation à haut risque est importante?
Mme Szigeti : Je ne crois pas qu'elle soit utile. Dans votre question, vous avez indiqué que les commissions d'examen sont chargées de toutes les évaluations du risque, qu'elles évaluent le statut des personnes inaptes et qu'elles recommandent également qu'une personne jugée irrémédiablement inapte soit libérée ou qu'on lui accorde un sursis. C'est en ligne avec l'opinion publique, à savoir que la sanction doit refléter la brutalité de l'infraction à l'origine de la peine et qu'elle doit comprendre une période d'incarcération. Avec égard, je dois indiquer que cette approche est inappropriée et inconstitutionnelle dans le contexte des personnes atteintes d'une maladie mentale.
Le président : Merci beaucoup d'avoir été des nôtres aujourd'hui. Nous vous sommes vraiment reconnaissants de votre apport à nos délibérations.
Notre prochain témoin représente la Toronto Police Association. Je souhaite la bienvenue à M. Rondi Craig, qui est directeur des Services régionaux pour les membres en uniforme. Monsieur Craig, merci d'être avec nous aujourd'hui. Je présume que vous avez préparé une déclaration. Je vous donne la parole.
Rondi Craig, directeur, Services régionaux, membres en uniforme, Toronto Police Association : Oui, merci. Bonjour à tous. Je m'appelle Rondi Craig et je suis directeur des Services régionaux pour les membres en uniforme au sein de la Toronto Police Association. Je tiens à remercier le Comité sénatorial des affaires juridiques de nous avoir invités et de nous donner l'occasion de vous parler du projet de loi C-14.
Notre association représente plus de 8 000 membres du Service de police de Toronto. Avant de débuter, j'aimerais faire une mise en contexte au sujet de mes commentaires concernant mon appui et celui de notre association à l'égard du présent projet de loi. J'aimerais dire quelques mots sur mon parcours pour que vous puissiez comprendre ma perspective.
Avant d'être élu au conseil d'administration, j'ai travaillé comme policier durant 15 ans. J'ai travaillé dans l'un des quartiers les plus difficiles au centre-ville de Toronto, où j'ai souvent dû intervenir auprès de personnes atteintes d'une maladie mentale. Je connais très bien les difficultés avec lesquelles sont aux prises ces personnes au quotidien et les défis des policiers qui doivent intervenir auprès d'elles.
En tant que policier, je faisais partie de la 14e Division et j'ai travaillé de près avec les gens du milieu et traité de toutes sortes de questions reliées à l'application de la loi, y compris le trafic de la drogue, la prostitution, les activités des gangs et les crimes de rue violents.
En tant que policier, j'ai directement participé à des interventions pour répondre aux besoins de personnes atteintes d'une maladie mentale. J'ai notamment aidé ces personnes à répondre à leurs besoins essentiels, dont ceux de se nourrir et de se loger, et j'ai participé à des arrestations et à de violentes altercations. Je vous fais part de tout cela pour vous donner un certain contexte et vous expliquer pourquoi mon association appuie le projet de loi et les modifications proposées aux dispositions du Code criminel concernant les personnes reconnues non criminellement responsables.
Comme vous le savez sans doute déjà, le 12 janvier 2011, le sergent Ryan Russell, un membre en uniforme du Service de police de Toronto, est mort dans l'exercice de ses fonctions. Il portait l'uniforme et se retrouvait près de sa voiture de police avec les gyrophares allumés, quand Richard Kachkar l'a assassiné. M. Kachkar a été arrêté et accusé de meurtre au premier degré. À la suite d'un procès hautement médiatisé, le jury a déterminé que M. Kachkar était inapte à comprendre la nature de son geste et à reconnaître que ce qu'il avait fait était mal. Il a donc été reconnu non criminellement responsable.
La preuve présentée pendant le procès a confirmé que M. Kachkar souffrait d'une maladie mentale grave au moment de la mort du sergent Russell. Il souffrait de dépression et de schizophrénie, et il était peut-être également atteint d'un trouble de la personnalité.
La veuve du sergent Russell, Mme Christine Russell, a comparu devant le comité de la Chambre des communes qui examine le projet de loi contenant les modifications proposées aux dispositions sur la non-responsabilité criminelle dans le Code criminel.
En février, le premier ministre a présenté le projet de loi C-54, la Loi sur la réforme de la non-responsabilité criminelle. Selon nous, l'objectif principal du projet de loi semblait être de nous assurer que la sécurité du public est une priorité, comme elle le devrait, dans le processus de prise de décisions quant aux accusés qui sont reconnus non criminellement responsables. Cela renforcerait le sentiment de sécurité des victimes et favoriserait une plus grande participation de leur part dans le processus concernant la maladie mentale dans le Code criminel.
Les membres du public ont le droit de se sentir en sécurité dans leur collectivité et d'être protégés contre les délinquants violents et dangereux tels que M. Kachkar. Notre association appuie la désignation d'accusé à haut risque non criminellement responsable présentée dans le projet de loi C-14, qui donnerait aux tribunaux l'autorité de désigner les délinquants non criminellement responsables les plus violents comme des accusés à haut risque.
La défense de non-responsabilité criminelle est rarement utilisée. Elle n'apparaît que deux fois sur mille dossiers criminels, et elle est encore moins souvent utilisée dans le cas de délinquants violents, qui représentent à peu près 10 p. 100 de tous les cas de verdict de non-responsabilité criminelle. La désignation d'accusé à haut risque non criminellement responsable s'appliquerait seulement à ce petit nombre d'accusés reconnus non criminellement responsables qui présentent une menace importante à la sécurité publique.
Rob Nicholson a fait état de données intéressantes lors d'un débat à la Chambre des communes le 1er mars :
Un peu plus de 27 % d'entre elles avaient reçu un tel verdict par le passé; 38 % des personnes déclarées non criminellement responsables de leur geste et accusées d'une infraction d'ordre sexuel avaient déjà reçu auparavant au moins un verdict de non-responsabilité criminelle; 27 % des personnes accusées de tentative de meurtre avaient été au moins une fois déclarées non criminellement responsables; 19 % des personnes accusées de meurtre ou d'homicide avaient été au moins une fois trouvées non criminellement responsables.
La Toronto Police Association est d'accord avec les modifications proposées dans le projet de loi C-14, à savoir notamment que les délinquants à haut risque ne seraient pas libérés avant qu'un tribunal — et non pas la commission d'examen provinciale — convienne de retirer leur désignation d'accusé à haut risque, que les délinquants à haut risque seraient inadmissibles à des sorties sans escorte dans la collectivité et que la période d'examen obligatoire pour les délinquants à haut risque passerait d'un à trois ans.
Nous soutenons tous ces changements, étant donné que nous avons été témoins de la revictimisation des victimes et de leur famille qui vivent ce processus tous les ans.
Notre association soutient l'augmentation de la sécurité des victimes et de la participation de ces dernières dans le processus relatif aux troubles mentaux. Le présent projet de loi accorde aux victimes un plus grand rôle en exigeant que les tribunaux et les commissions d'examen provinciales prennent en compte la sécurité de la victime dans la prise de décisions concernant des personnes reconnues non criminellement responsables. Il exige aussi que la commission avise la victime, sur demande, de la libération de l'accusé.
Le 29 avril 2013, la Commission d'examen de l'Ontario, après avoir entendu le dossier de M. Kachkar, a ordonné son envoi au Centre des sciences de la santé mentale Ontario Shores, ce qui a mis en relief les graves carences et les problèmes systématiques énormes du système actuel des commissions d'examen. Les membres de la commission ont convenu à l'unanimité que Richard Kachkar souffrait d'une grave maladie mentale et qu'il représentait une menace importante à la sécurité publique.
Lors de l'audience, un psychiatre de la commission a demandé au vice-président des affaires médicales du Centre Ontario Shores, le Dr Klassen, pourquoi il recommandait un traitement antipsychotique pour M. Kachkar à ce moment-ci, soit 30 jours après le verdict de non-responsabilité criminelle. Rappelez-vous que tout au long de la détention préventive de deux ans de M. Kachkar en attendant d'être jugé pour le meurtre du sergent Russell, personne n'avait soulevé cette question ou décidé de lui administrer des antipsychotiques.
En l'absence d'une évaluation en règle, la commission a accordé à l'hôpital — c'est essentiel — le pouvoir d'octroyer à M. Kachkar des privilèges dans la collectivité, tout en étant escorté ou accompagné des membres du personnel hospitalier. Le personnel médical de l'hôpital se voyait remettre le pouvoir de prendre des décisions au sujet de la sortie de M. Kachkar dans la collectivité. Si jamais cette sortie avait lieu, M. Kachkar serait accompagné ou escorté par le personnel médical, plutôt que par des policiers qui peuvent recourir à la force, le cas échéant.
Le projet de loi établit qu'un accusé à haut risque non criminellement responsable ne pourrait pas sortir dans la collectivité, que ce soit avec ou sans escorte, et n'obtiendrait ce privilège que dans des circonstances très particulières et — c'est essentiel à nos yeux — assujetties à des conditions suffisantes pour assurer la sécurité publique.
Le plus troublant dans tout cela était que les dispositions permettant à M. Kachkar de sortir dans la collectivité n'avaient pas été demandées par son avocat. Elles lui ont été consenties sans vraiment comprendre la gravité de la maladie mentale de M. Kachkar. Il n'avait même pas été proprement diagnostiqué. Ses problèmes de santé mentale étaient graves, et il représentait une menace importante à la sécurité publique; or, la Commission d'examen de l'Ontario lui permettrait de sortir dans la collectivité. Nous nous inquiétons que la commission, sans aucune discussion ou preuve, en soit arrivée à cette décision, à savoir que M. Kachkar serait autorisé à réintégrer la collectivité dans 30 jours.
Dans votre examen du projet de loi C-14, nous vous exhortons à fournir plus de lignes directrices législatives à l'égard des commissions d'examen provinciales. Ces lignes directrices devraient créer un processus équilibré fondé sur des preuves entre la nécessité de protéger le public et l'obligation de traiter les personnes atteintes d'une maladie mentale qui commettent des infractions criminelles.
La Toronto Police Association appuie les initiatives prévues dans le projet de loi C-14, mais nous ne sommes pas insensibles aux problèmes des personnes atteintes d'une maladie mentale. Nous avons été témoins des ravages que la maladie mentale peut provoquer pour la personne qui en est atteinte, sa famille et sa collectivité. Dans le cas tragique du sergent Ryan Russell, Christine et sa famille en sont devenues les victimes innocentes.
Ce projet de loi ne vise pas les personnes atteintes de troubles mentaux ou dont la maladie ne constitue pas une menace pour autrui. Il ne vise pas non plus à punir les personnes jugées non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux. Ce projet de loi cible les personnes qui commettent des crimes horribles et atroces et qui, comme M. Kachkar, sont reconnues non criminellement responsables.
Les services de police ont à cœur de protéger les collectivités. Notre défi consiste à trouver des moyens de réduire les possibilités de récidive des personnes reconnues non criminellement responsables, à veiller à ce que ces personnes reçoivent les soins médicaux dont elles ont besoin, ainsi qu'à protéger d'éventuelles futures victimes.
En tant qu'intervenants clés dans le régime relatif aux troubles mentaux, nous voulons nous assurer que les personnes obtiennent des soins médicaux, qu'elles prennent leurs médicaments, qu'elles ne peuvent pas communiquer avec leurs victimes et qu'il existe un système de soutien pour superviser leur santé mentale et réduire les chances de récidive.
Le système judiciaire devrait à tout le moins être en mesure d'imposer des conditions qui appuient ces mesures de protection et qui pourraient inclure l'établissement de limites, des conditions de logement, la participation à des plans de traitement, l'interdiction de consommer des narcotiques et de l'alcool et l'obligation de ne pas s'approcher des victimes pour éviter leur revictimisation.
Aux termes des dispositions actuelles sur les personnes non criminellement responsables, il n'est pas possible d'imposer de telles conditions au moment de la libération. La réforme proposée vise à protéger la collectivité, mais aussi à protéger la personne atteinte de troubles mentaux d'elle-même.
Voilà mes observations au nom de la Toronto Police Association.
Le président : Merci, monsieur Craig. Nous commencerons la série de questions par le vice-président du comité, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Monsieur, merci de votre excellent exposé et de vos opinions.
Dans votre exposé, vous avez critiqué les décisions de la Commission d'examen de l'Ontario. Les commissions d'examen sont créées en application d'une loi fédérale. D'après le Code criminel, le président de la commission d'examen doit avoir été juge dans un tribunal ou, exceptionnellement, être qualifié pour l'être. La commission compte également deux psychiatres et d'autres experts du monde médical. Néanmoins, vous critiquez la décision de la commission de l'Ontario dans un cas particulier.
Préconisez-vous des changements qui auraient pour effet de limiter le pouvoir des commissions d'examen ou avez-vous des propositions à faire au sujet de la composition de ces commissions? Avez-vous une opinion sur ce sujet?
M. Craig : Merci de votre question. Ce serait bien que des policiers y siègent. Dans cet ordre d'idées et au sujet des critiques que j'ai faites, si vous parliez à la famille Russell et écoutiez ses membres vous raconter leur malheur, vous verriez qu'ils comprennent le concept de la non-responsabilité criminelle. Ce n'est pas réconfortant, mais il faut reconnaître que cela existe. Nous le comprenons, mais c'est choquant de voir une personne réintégrer la collectivité après aussi peu de temps.
Le sénateur Baker : Manque-t-il dans le projet de loi des dispositions que vous aimeriez y voir ou qui devraient y figurer à votre avis pour combler les lacunes dont vous avez parlé?
M. Craig : Je dirais que nous sommes d'avis que le projet de loi est satisfaisant pour l'instant. Quant aux autres outils qui pourraient exister, nous devrons peut-être en faire un examen plus approfondi, mais nous sommes satisfaits du projet de loi C-14 dans sa forme actuelle.
Le sénateur Baker : Je vous rappelle que notre comité compte un ancien policier du Québec, le sénateur Dagenais, qui exprime ses préoccupations tout comme vous. Et bien sûr, un ancien président d'une commission d'examen, le juge McIntyre, siège aussi au comité.
Le sénateur McIntyre : Je ne suis ni juge, ni ancien juge, mais j'ai déjà présidé une commission d'examen au Nouveau-Brunswick. Dans le système actuel, un tribunal ou une commission d'examen a trois possibilités de verdict : la détention dans un établissement hospitalier, l'absolution sous conditions ou une absolution assujettie de conditions ou l'absolution inconditionnelle. Le choix entre la détention dans un établissement hospitalier plutôt que l'absolution inconditionnelle ou sous conditions dépend de la dangerosité de la personne.
Quand j'étais président d'une commission d'examen, je me rappelle que les cas qui préoccupaient le plus les policiers concernaient les accusés qui recevaient une absolution sous conditions. Une absolution sous conditions est assortie de plusieurs conditions, notamment l'obligation de maintenir la paix et de bien se conduire.
Diriez-vous que les policiers demeurent toujours plus préoccupés par les délinquants atteints de troubles mentaux qui bénéficient d'une absolution sous conditions que par ceux qui reçoivent une absolution inconditionnelle?
M. Craig : Oui, je crois que c'est exact. Comme nous le savons tous, les conditions sont d'excellents outils. Si le but est la réinsertion sociale du délinquant et que ces conditions peuvent la favoriser, les conditions sont utiles. Elles sont aussi utiles aux policiers, parce qu'elles permettent de veiller à ce que la personne qui réintègre la collectivité ne fasse pas ce qui lui est interdit de faire. Si le délinquant doit résider à une adresse précise et s'abstenir de consommer de l'alcool ou des narcotiques, ces conditions sont vraiment très utiles aux policiers. Je crois par contre que l'absolution inconditionnelle pose un problème extrême, car le délinquant réintègre tout bonnement la collectivité sans avoir à se plier à quelque condition que ce soit.
Le sénateur McIntyre : Le suivi auprès de la collectivité est très important, plus particulièrement en ce qui concerne les centres de santé mentale, par exemple. Si le délinquant enfreint ces conditions, il doit de nouveau se présenter devant la commission d'examen dans le cadre d'examens annuels ou discrétionnaires.
M. Craig : Oui.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup d'être venu nous rencontrer aujourd'hui. Je viens de la Colombie-Britannique. Je passe beaucoup de temps dans les rues de Vancouver. J'ai un très grand respect pour votre travail, car c'est le plus difficile — je sais que vous venez de Toronto, mais je suis sûre que la situation est la même. Vous intervenez auprès de personnes atteintes de problèmes mentaux dans les rues et vous les amenez dans les hôpitaux où vous essayez de leur trouver une couverture chaude. Votre travail dans les rues est pénible, et la situation ne fait qu'empirer.
Tôt ou tard, cette personne réintégrera la collectivité. Vous en êtes témoin. Le projet de loi devrait-il contenir des dispositions qui vous aideraient en matière de réinsertion sociale? Du point de vue des services de soutien, quelles mesures pourraient vous être utiles pour la réinsertion sociale de ces personnes? Vous devrez tôt ou tard intervenir auprès de ces personnes. Comment peut-on améliorer la sécurité publique en offrant de bons services de soutien à la réinsertion sociale?
M. Craig : Eh bien, dans le cas de Toronto, l'un des programmes qui ont donné d'excellents résultats consiste à faire travailler ensemble une infirmière et un policier spécialement formé. Ces équipes s'occupent de problèmes graves ou bénins, mais au final, rien ne passe entre les mailles du filet. Elles agissent dès qu'elles reçoivent l'information. Grâce à cette relation et aux bonnes relations avec les hôpitaux locaux et leur personnel de soutien, ces équipes veillent à ce que les personnes reçoivent les soins de santé dont elles ont besoin. Je sais de source sûre que ces équipes vont même jusqu'à discuter avec des responsables de centres locaux d'emploi. Il s'agit d'un effort concerté afin que tous les intervenants visent le même objectif et que ces personnes soient réintégrées là où elles doivent l'être.
C'est certainement de plus en plus difficile. Cela ne fait aucun doute. Souvent, les policiers doivent régler les mêmes problèmes de première ligne à plusieurs reprises. Avec l'établissement de relations sur lesquelles nous pouvons compter, Toronto montre un très bon exemple. Je ne sais pas si cela se fait ailleurs, mais je sais que c'est bénéfique pour Toronto. Cela a permis une meilleure compréhension des problèmes liés à la maladie mentale, parce que notre but n'est pas simplement d'enfermer les gens dans les oubliettes. Ce n'est pas ce que nous voulons ou ce qui nous motive. Les policiers sont prêts à aider lorsque c'est possible.
La sénatrice Jaffer : Vous ne connaissez peut-être pas la réponse à cette question maintenant ou vous pourrez envoyer votre réponse à notre greffière, si vous souhaitez y réfléchir. Y a-t-il des mesures qui pourraient être ajoutées au projet de loi pour vous aider à la réinsertion sociale des délinquants?
M. Craig : C'est une bonne question. Je pourrais y penser et je serais tout à fait prêt à voir, probablement en collaboration avec l'Association canadienne des policiers, si des mesures devaient être ajoutées au projet de loi. Si nous pouvons examiner cette question, nous nous ferons un plaisir de vous répondre.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Craig, merci de votre présentation très pratique. D'autres témoins ont comparu ici tantôt, avant vous, et je leur ai dit que, dans le cadre du système actuel, à peine 0,4 p. 100 des victimes participent aux audiences. On peut statuer sur le fait que ce processus est axé exclusivement sur les droits du malade.
Il y a également une autre statistique qui est inquiétante; à peine 45 p. 100 des procureurs de la Couronne participent aux audiences, alors que plus de 70 p. 100 des avocats de la défense participent aux audiences. On voit que, encore là, les gens qui pourraient s'objecter à la remise en liberté sont en minorité à ces comités ou à ces commissions.
La question que je veux vous poser, monsieur Craig, est en rapport à votre travail de policier, mais aussi en rapport à la sécurité des victimes. J'examinais les statistiques à Montréal, et en ce qui concerne les arrestations la nuit, deux personnes sur trois ont des problèmes de santé mentale. Je suis convaincu qu'à Toronto cela doit être environ dans les mêmes proportions.
Comment ce projet de loi va-t-il améliorer, d'abord la sécurité et le travail des policiers, et comment va-t-il aussi améliorer la sécurité des victimes?
[Traduction]
M. Craig : Si j'ai bien compris votre question, vous voulez savoir comment ces mesures protégeront les policiers. Si l'on veut favoriser la réinsertion sociale des délinquants, les conditions sont essentielles pour nous, car le savoir, c'est le pouvoir. Il nous est toujours utile de bien comprendre la situation et d'avoir un tableau complet des cas et des personnes auxquels nous avons affaire. Plus les policiers sont informés, et mieux ils sont en mesure de faire leur travail; de plus, cela leur permet également de se protéger — et de protéger les victimes.
Permettez-moi de revenir au cas de Christine Russell. On peut à peine imaginer ce que la famille aurait ressenti si elle savait qu'elle vivait à proximité de M. Kachkar et que Christine aurait pu le croiser tous les jours après la remise en liberté de ce dernier. Pour nous, ce n'est pas acceptable.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Un des témoins ayant comparu plus tôt avant vous a dit que, dans tous les cas, la Commission de santé mentale de l'Ontario avisait les corps policiers lorsqu'un individu comparaissant devant la commission était remis en liberté. Est-ce le cas? Est-ce que les corps policiers, dans tous les cas où une personne ayant un problème de santé mentale est remise en liberté par la commission, sont avisés?
[Traduction]
M. Craig : Je crois que oui, mais je ne pourrais pas dire que c'est le cas de tous les services; je n'en suis pas certain. Je peux m'informer.
Le sénateur Boisvenu : Pourriez-vous le vérifier?
M. Craig : J'en prends note et je vous informerai de la réponse.
Le président : Ce nous serait utile, car je crois que cela pourrait être à la discrétion de l'hôpital.
Le sénateur Joyal : J'ai bien écouté votre exposé. J'aimerais revenir à la page 3, où on peut lire, dans le paragraphe du milieu :
Le plus troublant dans tout cela était que les dispositions permettant à M. Kachkar de sortir dans la collectivité n'avaient pas été demandées par son avocat. Elles lui ont été consenties sans vraiment comprendre la gravité de la maladie mentale de M. Kachkar. Il n'avait même pas été proprement diagnostiqué. Ses problèmes de santé mentale étaient graves, et il représentait une menace importante à la sécurité publique; or, la Commission d'examen de l'Ontario lui permettrait de sortir dans la collectivité.
Quand je vous ai entendu et que j'ai relu ce passage, j'ai été tenté de poser une question. Le problème provient-il du fonctionnement de la commission, de la réglementation ou du cadre dans lequel la commission fonctionne ou est-ce tout le système qui a fait défaut? Autrement dit, devrions-nous examiner le fonctionnement des commissions d'examen; disposent-elles des lignes directrices qui devraient s'appliquer avant qu'elles puissent remettre un délinquant en liberté? Le problème est-il dû à une lacune dans les dispositions actuelles du Code criminel ou le système a-t-il tout simplement fait défaut? Comprenez-vous ma question?
M. Craig : Oui, je la comprends.
Le sénateur Joyal : Vous dites que le problème se posera de nouveau. C'est ainsi que cela fonctionne dans le cas de personnes atteintes d'une maladie mentale qui présentent un grave risque pour elles-mêmes et pour la société en général.
M. Craig : Si vous me demandez si le système a fait défaut dans le cas en question, je dirais que oui.
Quand les cadres des hôpitaux peuvent déterminer si une personne peut sortir de l'établissement, avec ou sans escorte... Au final, si une personne qui présente de toute évidence un risque élevé choisit de partir, comment le personnel de l'hôpital pourrait-il l'en empêcher? Il ne le pourrait pas. En fait, je crois que le protocole qu'applique le personnel consiste à appeler les policiers en espérant que ces derniers arrivent suffisamment rapidement pour retrouver le délinquant. À mon avis, le personnel hospitalier n'est pas en mesure de prendre de telles décisions dans le cas de personnes à risque élevé comme celui-là.
Le système a-t-il fait défaut? Je dirais que oui. Par conséquent, notre association a eu de nombreuses discussions sur les commissions d'examen. Nous continuons de collaborer avec des politiciens locaux sur les scènes provinciale et fédérale afin que les mesures qui s'imposent soient prises. Elles ne l'ont pas été dans le cas dont nous parlons, et cela nous préoccupe gravement.
Le sénateur Joyal : D'autant plus qu'on peut lire dans votre document que personne ne comprenait vraiment l'étendue des problèmes mentaux de M. Kachkar, parce que le psychiatre qui siégeait à la commission n'a pas demandé l'évaluation adéquate. C'est la même histoire du côté de l'avocat de M. Kachkar — même s'il est de son devoir de s'assurer que tous comprennent l'état mental de son client et que la commission est en mesure de prendre une bonne décision. Il semble qu'un élément ait cloché à chaque étape de la commission.
M. Craig : Vous avez probablement raison. De nombreuses erreurs ont été commises dans ce dossier.
Le sénateur Joyal : Oui, les erreurs se sont accumulées, ce qui a donné un tel résultat.
Est-ce dû à la façon dont le système fonctionne ou s'agit-il plutôt, comme je l'ai dit, d'un cas particulier dans lequel il s'est produit une erreur dans le processus décisionnel?
C'est essentiellement ce que j'essaie de déterminer pour l'instant, c'est-à-dire s'il existe des problèmes dans la définition et la mise en œuvre des lignes directrices et des responsabilités ou s'il s'agit d'un cas qui a exceptionnellement passé au travers des mailles du filet.
M. Craig : Si les lois actuelles sont bien mises en œuvre et si de bonnes décisions sont prises... De toute évidence, dans le cas en question, le travail n'a pas été fait de façon rigoureuse, parce qu'autrement une telle décision n'aurait pu être rendue aussi rapidement.
Le sénateur Joyal : Je comprends cela. C'est intrigant, car si cela s'est produit dans le cas en question, il se peut que cela se soit produit dans d'autres cas. Autrement dit, il y a une faille dans le système.
M. Craig : Ce qui est encore plus étonnant, à mon avis, c'est qu'il s'agissait d'un cas très médiatisé; alors, comment a-t-on pu laisser cela passer au travers des mailles du filet?
Le sénateur Joyal : Exactement.
En fait, nous devrions être inquiets du fonctionnement des commissions d'examen. Nous devrions examiner ce fonctionnement afin de bien en comprendre les étapes, les directives et les paramètres à chacune des étapes afin de veiller à ce que le système atteigne son objectif de protéger la population et le délinquant contre lui-même et de prêter dûment attention aux souffrances de la victime.
Nous devons garder tout cela à l'esprit quand nous modifions le Code criminel, mais je ne crois pas que nous disposions à l'heure actuelle d'un tableau complet qui nous permettrait de nous assurer que ce qui s'est produit dans le cas de M. Kachkar ne se reproduise plus jamais à l'avenir.
M. Craig : J'estime que le soutien aux victimes est essentiel, parce que ces dernières se trouvent dans de telles situations sans que ce soit leur faute, et nous devons nous assurer de les soutenir après les faits. Qu'un délinquant puisse aussi rapidement réintégrer la collectivité n'est pas acceptable.
Le sénateur Joyal : Bien entendu.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Craig, merci d'être ici ce soir. C'est toujours un plaisir de revoir mes anciens collègues de travail.
Vous êtes un policier d'expérience. Vous avez mentionné, dans votre préambule, que les policiers vivent souvent une grande frustration due au fait qu'après des enquêtes qui sont parfois longues, après avoir établi une procédure sans faille, souvent la personne, parce qu'elle est reconnue non criminellement responsable, sera libérée après un ou deux ans. Et je comprends que cela peut être frustrant pour les policiers et pour les victimes.
De plus, comme vous l'avez mentionné, dans les grandes villes — à Toronto comme à Montréal, et sûrement à Vancouver —, on fait face à de nombreux problèmes liés à l'itinérance. Les gens qui se retrouvent dans la rue souffrent souvent de troubles mentaux, et les policiers doivent parfois faire office de travailleurs sociaux en plus d'exercer leur travail de policiers. C'est un contexte qui n'est pas facile.
Lorsqu'un criminel est retiré du processus pénal, c'est le système de santé qui le prend en charge. Savez-vous si le système de santé fait vraiment son travail lors de la prise en charge de cette personne? Ou est-ce que, pour quelque raison que ce soit, le criminel est examiné par un psychologue à l'hôpital, qui le remettra ensuite souvent à la rue, ce qui fait que le cercle vicieux recommencera?
[Traduction]
M. Craig : Lorsque des policiers interviennent auprès d'une personne et qu'ils croient avoir des motifs aux termes de la Loi sur la santé mentale pour l'arrêter, ils le font. Ils l'amènent ensuite à un hôpital. Ce que j'ai trouvé très frustrant par le passé, quand on intervient auprès d'une telle personne, quel que soit le problème qui a amené les policiers à le faire — il y a toutes sortes de situations —, les policiers ont arrêté cette personne en application de la Loi sur la santé mentale et l'ont amenée à un hôpital. Il m'est arrivé de voir de telles personnes sortir de l'hôpital avant même que nous soyons sortis du stationnement. C'est la réalité. Est-ce frustrant? Absolument. C'est extrêmement frustrant, parce qu'on essaie d'aider cette personne, de lui rendre service. Nous savons tous que les hôpitaux ont des ressources insuffisantes. Bien des choses se passent, surtout dans une ville comme Toronto. Parfois, la procédure n'est pas rigoureusement suivie; par conséquent, ces gens quittent l'hôpital aussi rapidement qu'ils y sont arrivés.
Le sénateur Plett : Merci, monsieur Craig, d'être venu nous rencontrer, mais merci également des services que vous offrez à Toronto et en fait à tout le pays dans votre travail au quotidien. Nous vous en sommes vraiment reconnaissants.
Je suis de Winnipeg, et on a vu récemment dans les nouvelles un verdict de non-responsabilité criminelle. Les gens de Selkirk s'inquiètent que Vince Li se promène dans leur ville. Comme j'habite Winnipeg, je suis inquiet de ne pas savoir où Vince Li se retrouvera. Or, il obtiendra des sorties sans escorte.
Que diriez-vous aux gens qui disent que la divulgation aux victimes de la date de libération et du lieu prévu de résidence d'un accusé reconnu non criminellement responsable enfreindrait les droits à la sécurité et à la vie privée de ce dernier? J'imagine que la majorité d'entre nous se soucient surtout des droits à la sécurité et à la vie privée des victimes; par contre, que répondriez-vous à ceux qui font valoir cet argument pour critiquer le projet de loi?
M. Craig : Je leur répondrais qu'il faut trouver un juste équilibre dans la protection des droits des gens — et je comprends cela, mais dans un scénario comme celui-là, comment peut-on même prétendre que c'est juste? Je ne crois pas que cela puisse l'être, et c'est une bonne chose de pouvoir savoir quand cette personne sera libérée et où elle résidera dorénavant. Les collectivités peuvent ensuite prendre des décisions en conséquence. Comme je l'ai dit, le savoir, c'est le pouvoir. Nous ne voulons certes pas qu'il y ait des comportements de justiciers. Cependant, n'est-il pas juste de dire que pour protéger la victime dans ce cas en particulier ou d'autres cas, de même que les collectivités dans lesquelles les délinquants habiteront, les gens devraient pouvoir savoir où se trouvent ces derniers? Les gens devraient le savoir, à mon avis.
La sénatrice Batters : Monsieur Craig, merci beaucoup de venir nous parler aujourd'hui d'une mesure législative importante. Je n'ai que quelques observations. Je tiens à vous remercier de votre service, surtout de tout ce que vous faites pour aider les personnes atteintes d'une maladie mentale. Les policiers sont souvent les premiers sur place à traiter directement avec ces personnes, qu'il s'agisse d'un acte criminel ou, malheureusement, et sans doute beaucoup plus fréquemment, d'une tentative de suicide. La déstigmatisation de la maladie mentale est une question qui me tient fort à cœur, et je vous remercie beaucoup des statistiques que vous nous avez signalées aujourd'hui et qui démontrent clairement que le projet de loi n'a pas pour effet de stigmatiser la maladie mentale. Au contraire, la désignation de non-responsabilité criminelle s'applique plutôt à un minime pourcentage des millions de personnes qui, malheureusement, souffrent d'une maladie mentale au Canada. J'ai aussi trouvé très utile l'exemple que vous nous avez donné aujourd'hui en vue de nous expliquer, grâce à un contexte, la nécessité du projet de loi. Merci beaucoup de votre témoignage.
M. Craig : Je vous remercie de vos observations.
Le président : Nous sommes tous reconnaissants de votre témoignage aujourd'hui. Nous remercions votre association. Dans ma collectivité, les incidents de ce genre ont été plus nombreux qu'ailleurs au pays, peut-être parce qu'on y trouve un service de médecine légale, mais vous avez parlé de sorties avec escorte. Il y a quelques années, nous avons vu le cas d'une personne en sortie avec escorte qui s'est arrêtée à un Tim Hortons. Les accompagnateurs étaient demeurés dans la camionnette. Le délinquant est entré dans le Tim Hortons, il a suivi un jeune enfant aux toilettes et l'a agressé sexuellement. Ce délinquant a maintenant été déclaré un délinquant dangereux, ce qui est probablement une façon de traiter des cas comme ceux-là. J'espère que le projet de loi fournira aussi d'autres solutions. Merci beaucoup d'être venu nous rencontrer.
M. Craig : Cela m'a fait plaisir. Merci de m'avoir invité.
Le président : Demain, à 10 h 30, nous entendrons des représentants d'organismes de soutien aux victimes et d'organismes de santé mentale. La séance est levée.
(La séance est levée.)