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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 28 - Témoignages du 1er avril 2015


OTTAWA, le mercredi 1er avril 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 32, Loi édictant la Charte canadienne des droits des victimes et modifiant certaines lois, se réunit aujourd'hui, à 16 h 45, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Translation]

Le président : Avant de commencer, à moins de sérieuses objections, je voudrais prolonger la séance d'une demi- heure pour que nous puissions entendre les témoins qui ont eu la grande générosité de nous accorder de leur temps aujourd'hui. Je sais que certains d'entre vous devront peut-être partir pour participer à d'autres réunions ou remplir d'autres engagements, mais j'espère que la majorité des membres du comité pourront entendre les témoignages jusqu'à la fin de l'audience.

Merci à vous tous de votre présence. Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, à nos invités et aux membres du grand public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous sommes réunis aujourd'hui pour poursuivre notre étude du projet de loi C-32, Loi édictant la Charte canadienne des droits des victimes et modifiant certaines lois.

Le projet de loi C-32 crée la Charte canadienne des droits des victimes ou CCDV. Il propose également d'accroître la possibilité pour les victimes de jouer un rôle dans la procédure pénale et la détermination de la peine et leur permet d'obtenir plus de renseignements sur le délinquant qui leur a fait du tort en plus de prévoir un certain nombre d'autres dispositions. Il s'agit de notre troisième séance au sujet de ce projet de loi.

Je rappelle à ceux qui nous regardent que le grand public peut assister aux audiences du comité et les visionner en webdiffusion à l'adresse parl.gc.ca. On trouvera de plus amples renseignements sur l'horaire de comparution des témoins sur le même site web, sous la rubrique « Comités du Sénat ».

Le premier groupe que nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui se compose d'Yvonne Lindfield, cofondatrice, gestionnaire, Éducation et Approche communautaire, de Canadian Parents of Murdered Children and Survivors of Homicide Victims, de Mona Lee et Dale Sutherland qui témoignent à titre personnel, ainsi que d'Alain Fortier, président et Franck Tremblay, vice-président de Victimes d'agressions sexuelles au masculin.

Je rappelle à chacun d'entre vous que nous vous accordons cinq minutes pour vos déclarations préliminaires, après quoi nous passerons aux questions des membres du comité.

Madame Lindfield, pouvez-vous commencer?

Yvonne Lindfield, cofondatrice, gestionnaire, Éducation et Approche communautaire, Canadian Parents of Murdered Children and Survivors of Homicide Victims : Bon après-midi, monsieur le président, honorables sénateurs, mesdames et messieurs. Je vous remercie infiniment de m'inviter à prendre la parole devant le comité au sujet de ce projet de loi historique.

Je m'appelle Yvonne Harvey Lindfield. Comme vous l'avez mentionné, je suis la cofondatrice de Canadian Parents of Murdered Children. Je travaille avec un groupe de gens qui sont devenus des co-victimes ou comme on les appelle souvent, les « survivants d'une victime d'homicide ». Je vous parle aujourd'hui au nom de parents dont un ou plusieurs enfants ont été assassinés, de même que d'autres membres de la famille qui ont perdu un être cher à la suite d'un homicide.

On ne peut pas s'attendre à ce que quelqu'un qui n'a pas été directement touché par un meurtre comprenne la terrible douleur, le profond désespoir de ceux d'entre nous qui ont vécu un événement aussi traumatique qui a changé le cours de leur vie.

La principale victime d'un homicide est morte. Néanmoins, nous pouvons donner aux victimes vivantes la possibilité de se faire entendre, pour faire reconnaître qu'elles ont été directement touchées par le crime commis.

Une société civilisée et prospère repose sur un système de justice pénale efficace et juste. Par conséquent, notre gouvernement a la responsabilité de rééquilibrer le système de justice pénale en tenant compte des énormes conséquences que les actes criminels ont sur les victimes, sur le plan physique, mental, économique et social, si vous voulez, afin que les victimes d'actes criminels soient traitées et soutenues de façon plus humaine. C'est seulement quand ces mesures seront en place que l'égalité sera assurée.

Le projet de loi C-32 est une loi importante dont nous nous réjouissons et qui créera un changement majeur et positif dans la culture de la justice pénale pour la première fois dans l'histoire du Canada.

Il y a des lois portant sur les droits des victimes et les services à leur intention dans chaque province et territoire, mais elles diffèrent beaucoup les unes des autres. Par conséquent, nous incitons vivement la totalité des provinces et territoires à revoir leur législation actuelle et à l'aligner sur la Charte des droits des victimes du gouvernement fédéral.

Pour que le projet de loi C-32 puisse être bien appliqué, un changement social s'impose dans l'ensemble du pays : un changement social qui contribuera activement à centrer sur les victimes la défense des droits, la formation, l'éducation, la politique publique et le partage des ressources dans le domaine juridique. Le financement du gouvernement fédéral assurera la mise en œuvre de ces droits et informera davantage le public des programmes actuellement disponibles. Je fais allusion à l'annonce faite dans le Budget de 2014 selon laquelle la Charte des droits des victimes offrira des ressources en ligne pour aider les victimes à avoir accès aux programmes existants.

Il est indispensable d'offrir aux procureurs, aux juges, aux avocats, aux policiers et aux décideurs politiques, mais pas seulement à eux, une formation au sujet de la signification, de la portée et de l'applicabilité des droits des victimes, au moyen d'exercices pratiques, de cours, de webinaires et de conférences si l'on veut que le projet de loi C-32 assure l'équité et la circulation continue de l'information. C'est particulièrement important pour les victimes de crimes qui ont du mal à comprendre et à affronter un système de justice pénale complexe et intimidant.

En cas d'atteinte aux droits qu'accorde le projet de loi C-32, l'efficacité avec laquelle la procédure interne de plaintes permet de corriger la situation et de la résoudre rapidement est d'une importance primordiale pour éviter de causer des torts supplémentaires à la victime. Des indicateurs de rendement élaborés par chacun des organismes de justice pénale qui interagit avec les victimes devraient servir à évaluer si les droits de ces dernières sont respectés.

Si les victimes obtiennent le statut participatif auprès du système de justice pénale, cela leur conférera le sentiment d'habilitation que nous perdons lorsque nous sommes victimes d'un crime.

Je voudrais parler du coût de la mise en œuvre de cette nouvelle loi et des services qui en résulteront. À l'heure actuelle, des centaines de millions de dollars sont consacrés à l'administration de la justice et à l'incarcération, l'éducation et la réinsertion des délinquants et c'est surtout le gouvernement fédéral qui en assume la dépense.

L'éducation et la réadaptation des délinquants ainsi que les programmes de prévention de la criminalité sont essentiels pour réduire le nombre de crimes et créer des collectivités plus sûres, mais il est tout aussi important d'assurer des droits, des services et une réadaptation aux victimes d'actes criminels. Pour aider à compenser les coûts que les victimes et les familles doivent assumer, il est raisonnable de s'attendre à ce que les délinquants assument leur part de responsabilité financière. Cela relève, bien entendu, de la compétence des provinces et territoires où les services aux victimes laissent actuellement à désirer. Les victimes de crimes horribles ont absolument besoin de services de soutien tangibles sous la forme d'une assistance psychologique ou d'un traitement du trouble de stress post-traumatique. À l'heure actuelle, lorsqu'un financement existe, il est si limité qu'il ne permet pas d'obtenir un résultat positif tangible.

J'applaudis tous les partis politiques d'appuyer le projet de loi et j'exhorte tous les niveaux de gouvernement à travailler ensemble pour assurer une mise en œuvre efficace et rapide du projet de loi C-32.

Enfin, j'exhorte les tribunaux du Canada à respecter cette loi.

Merci.

Le président : Merci.

Dale Sutherland, à titre personnel : Bon après-midi, sénateurs, mesdames et messieurs. Je m'appelle Dale Robert Sutherland. Lorsque j'étais enfant, en Nouvelle-Écosse, dans les années 1970, j'ai été abusé sexuellement par un pédophile condamné à quatre reprises, Ernest Fenwick MacIntosh, à compter de l'âge de neuf ans. En 1995, j'ai été la première des neuf victimes qui l'ont dénoncé et dont six ont participé comme plaignants à deux procès distincts, en 2010 et 2011. Plus de 15 ans après les premières accusations portées contre lui, M. MacIntosh a été reconnu coupable de 17 accusations de grossière indécence et d'attentats aux mœurs pour ce qu'il nous a fait subir.

Il a interjeté un appel qui est allé jusqu'à la Cour suprême du Canada. En avril 2013, il a réintégré la société pour poursuivre son comportement destructif. Pourquoi? Les tribunaux ont jugé qu'il avait été lésé dans ses droits parce que son procès avait trop tardé.

Au cours des deux derniers mois, M. MacIntosh a été de nouveau arrêté au Népal et reconnu coupable d'avoir agressé un jeune garçon handicapé. Il purge actuellement une peine de sept années de prison à Katmandou. Lorsque sa condamnation a été prononcée, il a dû payer immédiatement un dédommagement au garçon et à sa famille. Le Népal, pays du tiers monde, a mis 49 jours à accomplir ce que le Canada n'a pas réussi à faire en plus de 18 ans. À cause des lacunes du système canadien, ce pédophile récidiviste a été relâché dans la société.

Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Je reviens tout juste de Nouvelle-Écosse où nous avons réussi à convaincre le gouvernement provincial de modifier la Limitation of Actions Act pour permettre à toutes les victimes d'agressions sexuelles actuelles et passées de poursuivre le coupable.

Les nouvelles souffrances que nous avons éprouvées pendant la longue procédure judiciaire ont duré plus de 20 ans. Cela a eu d'énormes répercussions négatives sur nous tous et nos familles. Cette épreuve, qui a duré deux décennies, a détruit des mariages et d'autres liens. Elle nous a également causé des problèmes de santé physique et psychologique. Certaines victimes ont trouvé refuge dans la drogue et l'alcool. D'autres ont préféré mettre fin à leurs jours plutôt que de vivre avec leur souffrance.

C'est pour moi un honneur d'être ici aujourd'hui pour parler de la nouvelle Charte canadienne des droits des victimes, le projet de loi C-32. Ce nouveau projet de loi aidera à faire en sorte que les futures victimes n'aient pas à subir le genre d'épreuves auxquelles les autres survivants et moi-même avons été confrontés.

Je voudrais souligner cinq éléments de ce nouveau projet de loi qui auraient beaucoup amélioré les choses pour nous s'ils avaient existé lors de nos tribulations juridiques : premièrement, le droit d'être informé sur la progression de l'enquête et de la procédure pénale; deuxièmement, l'amélioration de la procédure et des lignes directrices pour la présentation de la déclaration de la victime et le droit d'obtenir que cette déclaration soit prise en considération; troisièmement, le droit à une protection contre l'intimidation et les représailles; quatrièmement, le droit de faire part de ses opinions au sujet des décisions prises par les autorités et d'obtenir qu'on en tienne compte et cinquièmement, le droit de demander aux tribunaux d'envisager de rendre, dans tous les cas, une ordonnance de dédommagement contre le délinquant.

Pour conclure, je voudrais lire à haute voix le nom des cinq autres survivants qui m'ont accompagné dans ce voyage : Alvin MacInnis, Weldon Reynolds, Jeffrey Hadley, Barry Sutherland et Bob Martin.

Le président : Merci, monsieur.

Mona Lee, à titre personnel : Bon après-midi, monsieur le président et membres du comité. C'est pour moi un privilège d'avoir été invitée ici aujourd'hui à parler au nom de victimes de crimes pour appuyer le projet de loi C-32, Loi édictant la Charte canadienne des droits des victimes et modifiant certaines lois. Je vous en remercie.

Je voudrais adresser mes remerciements au gouvernement et particulièrement à l'honorable Peter MacKay et l'honorable Steven Blaney ainsi que leur personnel, pour tout le travail qu'ils ont accompli afin que ce projet de loi arrive là où il en est aujourd'hui.

Les victimes de crimes sont des gens de toutes races, origines, convictions et affiliations politiques. J'applaudis tous ceux qui contribuent à édifier les fondements à partir desquels nous pourrons continuer à reconnaître et respecter le rôle que nous avons à jouer dans le système de justice pénale.

Pour ceux qui ne me connaissent pas, j'ai déjà comparu devant le comité pour appuyer le projet de loi C-479, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, au sujet de la libération conditionnelle. Heureusement, ce projet de loi a été adopté et entrera bientôt en vigueur.

Je suis malheureusement devenue experte dans plusieurs des domaines qui sont abordés dans la Charte des droits des victimes en raison de mon expérience personnelle. Ma sœur a été sauvagement assassinée en octobre 1997. Son meurtrier a plaidé coupable de meurtre au second degré après avoir simulé un vol et il a été condamné à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pendant au moins 12 ans. Nous n'avons pas eu à subir les affres d'un long procès. Néanmoins, c'est seulement six ans plus tard que j'ai eu la force de chercher à savoir où il se trouvait.

Lorsque je suis devenue une victime « inscrite », j'ai connu personnellement plusieurs des problèmes que règle ce projet de loi en ce qui concerne le droit à la participation et le droit à l'information. Je me réjouis de voir que la consultation avec la victime est prévue avant et pendant le procès. Dans mon cas, comme le délinquant a plaidé coupable, je ne suis pas intervenue à ce stade, mais il est très important de pouvoir présenter son opinion, surtout sous la forme d'une déclaration de la victime.

Une amélioration qu'il faudrait néanmoins apporter est l'assurance que les déclarations qui sont soumises et approuvées dans les délais voulus puissent être lues sans modification. Je connais des cas où ces déclarations ont été censurées et révisées quelques minutes avant d'être présentées alors qu'elles avaient été soumises un mois avant. Ne pensez-vous pas que cela peut avoir un effet dévastateur sur la victime?

Mon expérience des déclarations de la victime dans le système de libération conditionnelle n'a pas été très positive. Depuis 2007, j'ai dû subir six audiences de libération conditionnelle et préparer six déclarations de la victime. Il est très éprouvant de revivre le crime à chaque fois que vous le faites.

Comme je n'avais jamais vu le meurtrier de ma sœur, j'ai préféré ne pas assister en personne à l'audience qui a eu lieu dans l'Ouest. J'ai fait mes déclarations d'abord par enregistrement audio et ensuite par enregistrement vidéo. Ces audiences ont été la source de nombreuses contrariétés, notamment lorsque la Commission des libérations conditionnelles n'avait pas préparé le bon équipement et qu'on a coupé mon enregistrement au milieu d'une phrase faute d'avoir vu que j'avais oublié de copier une partie de ma déclaration.

Je vous demanderais d'envisager des modifications pour permettre aux victimes qui n'ont pas la possibilité ou n'ont pas la force émotionnelle d'assister en personne aux audiences de libération conditionnelle d'y participer par vidéo ou téléconférence. Dans certains cas, les témoins sont autorisés à le faire lors d'un procès, et je vous demande donc de bien vouloir l'autoriser également pour les audiences de libération conditionnelle.

Tout ce que nous obtenons actuellement c'est un rapport d'audience dont on a expurgé des faits pertinents concernant l'accusé. Nous avons besoin de ces renseignements, mesdames et messieurs, et la disposition du projet de loi qui prévoit de nous donner un enregistrement audio est un pas dans la bonne direction.

Je demanderais également qu'à l'avenir les membres de la famille des victimes soient autorisés à montrer une photo de la victime au cours de leur déclaration lors d'une audience de libération conditionnelle. Vous avez autorisé les victimes à le faire pendant un procès, alors ne laissez pas se perdre le souvenir de la victime au cours de ces audiences. Peu importe le temps qui s'est écoulé, nous avons toujours perdu un être cher et il s'agit de lui témoigner du respect au lieu de se soucier seulement des droits du criminel.

Je voudrais vous remercier d'autoriser les victimes à recevoir une photo récente du criminel avant qu'il ne soit libéré. Ce droit m'a été refusé en 2010 quand le meurtrier a été libéré et il aurait pu se présenter à ma porte sans que je le reconnaisse.

La participation au système de justice pénale en tant que victime est une chose que la plupart des gens ont du mal à comprendre et c'est une épreuve bouleversante. J'espère que les organismes de soutien aux victimes tels que le bureau de la merveilleuse ombudsman Sue O'Sullivan et les autres groupes qui défendent les droits des victimes organiseront des campagnes pour rejoindre les victimes qui désirent participer, afin de leur faire savoir quels progrès nous avons réalisés pour obtenir le respect et le sentiment d'inclusion que nous méritons.

Mais nous ne devons pas nous arrêter là, mesdames et messieurs. Il reste encore beaucoup de travail à accomplir pour permettre aux voix des victimes de se faire entendre haut et fort dans notre pays.

Merci.

Le président : Merci.

[English]

Alain Fortier, président, Victimes d'agressions sexuelles au masculin (VASAM) : Merci de me donner l'occasion de comparaître aujourd'hui. Mon nom est Alain Fortier, et je suis président de VASAM. Je suis accompagné aujourd'hui de M. Frank Tremblay, vice-président. Afin de respecter les cinq minutes allouées, je commencerai la présentation, et M. Tremblay la terminera.

Plusieurs raisons nous motivent à appuyer le projet de loi C-32, y compris le droit d'obtenir des renseignements et le droit à la sécurité, tout particulièrement lors du témoignage de la victime.

En ce qui me concerne, j'ai été victime d'agressions sexuelles à plusieurs reprises, par deux agresseurs différents. Dans le cas de mon premier agresseur, j'ai vécu l'enfer des procédures judiciaires au criminel, procédures qui ont duré plus de cinq ans. J'avais très peu d'information concernant l'avancement de l'enquête, le déroulement des procédures judiciaires, le rôle que j'avais à jouer et les services offerts aux victimes.

Outre cela, ce qui a été le plus difficile pour le petit garçon de 13 ans que j'étais à cette époque a été de témoigner pendant plusieurs heures devant le regard assassin de mon agresseur. J'ai trouvé cette expérience tellement pénible que je n'ai pas dénoncé mon deuxième agresseur. Je ne voulais pas revivre ce cauchemar. Par contre, en raison de mon inaction, il y a eu au moins une autre victime après moi. Cela, je ne pourrai jamais me le pardonner.

Voici la question qui me hante depuis que j'ai pris connaissance du projet de loi C-32 : est-ce que j'aurais dénoncé mon deuxième agresseur si la loi C-32 avait existé à l'époque? La réponse est oui. Merci.

Frank Tremblay, vice-président, Victimes d'agressions sexuelles au masculin (VASAM) : Bonjour à tous, et merci de nous recevoir. Je suis également une victime. J'ai été agressé sexuellement à environ 80 reprises à l'âge de 13 ans, et j'ai dénoncé mon agresseur au criminel et également au civil, où j'ai poursuivi son organisation et lui-même.

Il y a deux points qui retiennent notre attention. Tout d'abord, l'ordonnance de dédommagement. Ce principe simple est déjà énoncé tant dans le Code civil actuel du Québec que dans la common law au Canada. Selon ce principe, quand on brise, on doit réparer. Retenez une chose : quand on brise, il y a une seule façon de réparer; c'est de payer. Le fait de permettre à une victime d'obtenir une compensation monétaire visant à rembourser les pertes liées aux souffrances physiques et, très souvent, psychologiques, par exemple dans le cas d'agressions sexuelles, amènera cette victime à un sentiment de réelle réparation.

Quel que soit le montant, il lui permettra de payer, par exemple, des soins psychologiques. Sachez qu'il est souvent impossible pour une victime, après être passée par le processus judiciaire criminel, de déployer une énergie encore plus grande afin d'aller chercher réparation dans le cadre d'un processus civil. Le fait de permettre à cette même victime d'aller chercher une telle compensation en utilisant les renseignements et la preuve qui vient d'être amenée devant un juge l'aidera réellement, quel que soit le montant.

Il s'agirait également d'un élément de plus pour l'agresseur qui lui permettra de démontrer, lors de son audience pour la libération conditionnelle, son bon vouloir, en vérifiant s'il a ou non remboursé la somme prévue dans l'ordonnance de dédommagement qui a été prononcée à son égard, ou s'il a commencé à la rembourser.

Le deuxième point important concerne l'obligation du conjoint à témoigner. On force les conjoints à témoigner dans le cadre de crimes de nature sexuelle et de crimes commis contre les enfants. Le projet de loi nous permettra d'étendre cette disposition aux cas de conduite en état d'ébriété et de pornographie juvénile. Nous savons, à l'heure actuelle, que lorsqu'on se retrouve devant un crime sexuel, il y a souvent eu une gradation dans la gravité des infractions commises par l'agresseur. La pornographie juvénile constitue la première porte d'entrée pour ces agresseurs. L'obligation du conjoint à témoigner nous donnera accès aux premiers pas de l'agresseur vers le crime sexuel. Ne nous en privons pas.

Pour conclure, le projet de loi C-32, grâce aux multiples modifications qu'il propose, permettra ainsi à notre droit actuel de s'arrimer à la volonté claire des Canadiens de se doter d'un système de justice qui n'a pas comme unique justice que le mot. Merci beaucoup.

[Translation]

Le président : Merci à vous tous. Nous allons entamer les questions en commençant par le vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins de leurs excellents exposés. Vous avez fourni au comité des renseignements qui nous serviront à évaluer le projet de loi.

Pour commencer, je trouve très surprenant que, comme l'a souligné Mme Lee, aucune disposition du projet de loi ne permette aux victimes de participer aux audiences de libération conditionnelle par vidéo ou téléconférence. Je vous ai déjà entendu le mentionner et vous avez présenté des arguments très convaincants. Je suis certain que vous les avez présentés au gouvernement fédéral lorsqu'il a sollicité des avis au sujet de ce projet de loi.

Vous a-t-on mentionné la raison pour laquelle ce n'est pas inclus? Est-ce trop coûteux? Je ne peux pas croire que ce serait coûteux.

Mme Lee : En fait, je n'ai pas participé aux discussions sur ce projet de loi. J'ai participé au projet de loi C-479. On m'a dit que cette possibilité existe actuellement au Québec, je crois. On espère donc que cela s'élargira aux autres provinces. Je pense que ce serait une excellente chose. À l'heure actuelle, dans certains cas, les témoins peuvent participer au procès par vidéoconférence.

Le sénateur Baker : C'est dans le code.

Mme Lee : Cela me paraît simplement logique.

Le sénateur Baker : Monsieur Tremblay, vous avez fait une remarque intéressante au sujet de l'ordonnance de dédommagement. La définition d'une « victime » que contient le projet de loi englobe les dommages psychologiques. Dans la partie du projet de loi concernant le dédommagement, l'ordonnance de dédommagement qui est prévue ne tient pas compte des dommages psychologiques ou, comme vous l'avez mentionné, du soutien dont une personne a besoin après coup, après le procès. Comme vous l'avez souligné, en droit civil, au Québec, il y a toute une procédure à l'égard de ce que nous appelons en anglais les dommages-intérêts généraux, c'est-à-dire la perte de jouissance de la vie. La douleur et les souffrances, tout cela est pris en considération.

Quant à la façon d'en tenir compte dans un procès au criminel, vous avez dit que cela ferait partie de la preuve, si je vous ai bien compris. Autrement dit, les victimes seraient représentées en tant qu'intervenants ou à d'autres titres, pour présenter la preuve au juge afin qu'à la fin du procès ce dernier puisse porter un jugement quantitatif à l'égard des dommages psychologiques, dans la mesure où vous pouvez attribuer une valeur monétaire aux torts, à la douleur et aux souffrances qu'une personne a subis.

Ce n'est pas dans le projet de loi, mais vous avez laissé entendre qu'il serait souhaitable de l'inclure et qu'on ne peut pas supposer que le dédommagement prévu s'applique aux torts psychologiques et autres dommages de ce genre. Ai-je bien compris ce que vous avez dit?

[English]

M. Tremblay : Si je peux me permettre, ma compréhension du projet de loi C-32 est la suivante. Quand je dis que la preuve a été amenée, cela comporte deux volets, que j'ai vécus de manière pleine et entière. Il y a le volet criminel et le volet civil.

Plusieurs individus n'ont pas les capacités psychologiques ou monétaires de se payer le luxe d'aller chercher une réparation. J'entends par réparation ce qui suit. À titre d'individu ayant été agressé alors que j'étais enfant, j'estime qu'on a brisé les barrières de l'enfance, qui ne devraient jamais être franchies. Si je vais chez vous et que je brise votre clôture, je devrai payer. Si je dis que je vais prier pour vous et que je m'excuse, vous allez répondre que c'est parfait. Toutefois, quelqu'un viendra réparer la clôture la semaine prochaine et vous devrez payer.

Si je n'ai pas ce luxe, il en va autrement. J'emploie le terme « luxe », parce que je me suis rendu en recours civil, et que j'ai dû payer des sommes importantes pour y aller, et ce, avant d'avoir été entendu au criminel, ce qui est très exigeant.

Bien entendu, l'ensemble de la preuve et des dommages n'avait pas tout été étalé au criminel. Cependant, bon nombre des souffrances de la victime sont déjà présentées devant le juge dans un procès criminel. Ces éléments existent.

La personne qui ne pourra pas intenter une poursuite au civil aura au moins porté ces éléments devant une cour de justice, et ceux-ci pourront être pris en considération lorsque le juge rendra une ordonnance de dédommagement, en disant que l'on a constaté que monsieur...

[Translation]

Le président : Je dois vous interrompre et rappeler à nos témoins que nous avons un horaire très serré.

[English]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup de vos témoignages très sentis et très forts. Merci aussi de votre courage. Lorsqu'on doit encore une fois parler d'événements de notre passé qu'on aimerait bien enterrer, c'est très difficile, et il faut beaucoup de courage. Yvonne, Dale, Mona, Alain et Frank, merci beaucoup.

La Charte des droits des victimes est une porte que l'on ouvre dans un édifice qui est inachevé pour les victimes d'actes criminels. Au même titre, lorsqu'on a créé la Charte canadienne des droits et libertés, ce fut une porte que l'on a ouverte pour garantir des droits aux criminels au sein du processus judiciaire.

La charte n'est pas une fin en soi. Une fois qu'elle sera adoptée, elle agira comme un coup de départ, et nous commencerons à travailler sur les droits des victimes. Ce sont les décisions des tribunaux et des administrations qui feront en sorte que les droits évolueront dans le temps.

Il y aura, dans le cadre de la Charte des droits des victimes, un processus de plainte. En tant que victime, de quelle façon aimeriez-vous que ce processus soit administré, de sorte à rendre la vie plus facile aux victimes lorsqu'elles portent plainte et à éviter d'ajouter à leur fardeau? Comment ces plaintes devraient-elles être traitées dans le système pour faire en sorte que, au fur et à mesure qu'il y aura des plaintes, les droits des victimes se préciseront et évolueront? Ma question s'adresse à vous tous.

[Translation]

Mme Lindfield : Comme je l'ai mentionné, en cas d'atteinte aux droits que prévoit le projet de loi C-32, il faut que nous ayons une procédure interne de règlement des plaintes très efficace et qu'il y ait une certaine surveillance. Il nous faut des indicateurs de rendement. J'aimerais qu'il y ait un ombudsman impartial pour surveiller ce qui se passe. Comme vous le dites, il y aura de nombreuses contestations devant les tribunaux, ce qui nous inquiète vraiment, car nous constatons déjà que certaines des lois adoptées sont contestées. C'est regrettable car au lieu d'aider les victimes, cela les limite.

Il faut un processus qui accélérera les choses et bien entendu, il va falloir le mettre au point. Vous soumettez une nouvelle fois la victime à d'énormes souffrances et angoisses, car elle pense que le système l'a laissé tomber. En voyant la Charte des droits des victimes, elle se dira : « J'ai un recours » et espérons que nous aurons des indicateurs de rendement efficaces et approfondis.

M. Sutherland : Avec le recul, quand j'ai raconté pour la première fois ce qui m'était arrivé quand j'étais enfant, je dirais que les policiers très mal formés et tous les autres intervenants ne m'ont pas vraiment cru ou ne m'ont pas pris vraiment au sérieux. De toute évidence, ils ont besoin d'une bien meilleure formation. Je ne sais pas si c'est parce que j'étais un homme et qu'une agression sexuelle contre un homme n'était pas jugée bien grave ou pour d'autres raisons, mais on m'a traité comme si ce n'était pas si grave. C'est tout ce que je peux dire. Je ne sais pas ce que nous faisons pour changer ce genre d'attitude. C'est sans doute la principale raison pour laquelle cela a été aussi long dans mon cas et M. MacIntosh s'en est tiré parce que cela a pris trop de temps. Je ne sais pas vraiment comment y remédier.

En général, je ne crois pas que notre société se préoccupe beaucoup des agressions sexuelles, surtout quand cela touche des hommes. Je ne veux pas être mesquin envers les femmes, mais on dirait que les hommes sont censés pouvoir faire face et que ce n'est pas bien grave. Je ne sais pas comment nous allons changer cette attitude.

Mme Lee : Le problème est que la Charte des droits des victimes est un très gros projet de loi comportant un grand nombre d'éléments différents. Il sera difficile de trouver la bonne façon d'appliquer tous ces éléments différents.

Mes critiques portaient principalement sur la Commission des libérations conditionnelles, mais il y a aussi l'élément relatif au procès, soit le dédommagement. Si c'est, comme l'a dit Yvonne, par l'entremise d'un bureau d'ombudsman — Sue O'Sullivan est formidable, mais elle est très occupée. Je ne sais pas si elle aura le temps de s'occuper elle-même de tous ces éléments différents, car il y aura de nombreuses plaintes — et si c'est efficace, les plaintes ne manqueront pas. Qu'on le veuille ou non, les plaintes afflueront. Il faudrait peut-être confier les divers aspects du projet de loi à des personnes différentes qui toutes feraient rapport à quelqu'un d'autre.

[English]

M. Fortier : Pour conclure, le projet de loi C-32 permet aux victimes de se sentir parties prenantes du système judiciaire. Ce qui est important, c'est que le processus soit simple et efficace. Je pense qu'il serait plus simple qu'une personne indépendante reçoive les plaintes. La victime ne doit pas avoir l'impression qu'elle doit se battre pour déposer une plainte.

[Translation]

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie de vos exposés. D'après ce que vous avez tous dit, même si cela remonte à très longtemps, vous avez l'impression que c'est arrivé hier et vous avez donc fait preuve de beaucoup de courage en venant ici.

Madame Lee, vous avez dit que c'est un très gros projet de loi. Je sais qu'il doit être administré en grande partie par les provinces et que chaque province est différente. Quand je m'intéressais de très près à ces questions, je me suis toujours dit que dès qu'un incident arrive, le délinquant obtient un avocat. Je me suis toujours demandé ce que donnerait un modèle comme celui de Minneapolis où le défenseur des droits arrive en même temps que la police pour aider la victime à toutes les étapes. Je voudrais savoir si vous pensez tous, ou certains d'entre vous, que si vous aviez eu quelqu'un pour vous guider à traverser cette épreuve, cela aurait facilité le processus de guérison?

Je vais commencer par vous, madame Lee.

Mme Lee : J'ai eu la chance qu'un groupe de défense des droits des victimes de la province où a eu lieu l'audience a pu se rendre sur place pour me représenter et qu'il a très bien joué son rôle. Ce sont des personnes qui ont connu ce genre de situation dans leur propre famille et elles m'ont beaucoup soutenue. Mais j'ai dû aller à leur recherche. Ce service ne m'a pas été offert. Comme je l'ai dit, j'ai dû devenir une victime inscrite.

Voilà pourquoi je préconiserais que le bureau de l'ombudsman ou d'autres groupes s'efforcent de rejoindre les gens. Je crois que la plupart d'entre eux ne savent pas quels sont leurs droits et c'est là une grosse amélioration. Je pense que cela va dans la bonne direction.

M. Sutherland : Si j'ai mal compris, dites-le moi. Vous demandiez quel processus faciliterait la guérison?

La sénatrice Jaffer : Pas seulement la guérison, mais vous avez le sentiment d'être abandonné. Une fois que vous avez porté plainte, vous vous demandez ce qui se passe. Personne n'est là pour vous l'expliquer patiemment et je me demande si cela serait utile.

M. Sutherland : Oui. C'est un des éléments : le droit à l'information sur l'affaire. J'ai fait des centaines d'appels téléphoniques et écrit des centaines de lettres et de courriels pour demander des renseignements et j'ai moi-même recueilli des informations que la police n'avait pas réussi à obtenir.

Encore une fois, je ne sais pas ce que nous allons faire. Écoutez les victimes. Les gens sont très mal formés.

Ce n'est pas terminé pour moi. M. MacIntosh vient d'être jeté en prison et je n'arrive donc pas à comprendre ce que nous avons fait dans le cas de cet homme. On n'écoute pas les victimes. Elles ne sont pas écoutées. C'est tout ce que je peux dire.

Mme Lindfield : Mon cas est un peu différent. Ma fille a été assassinée à St. John's, à Terre-Neuve, alors que je résidais en Ontario. Je n'ai eu droit à aucun service ou conseil offert aux victimes ici parce que le meurtre n'avait pas eu lieu en Ontario. Je n'ai eu droit à aucun conseil ou aide à Terre-Neuve, parce que je n'étais pas résidante de la province. Je fais partie de ceux qui sont passés à travers les mailles du filet.

Je me réjouis que vous abordiez la responsabilité des provinces, car il ne devrait y avoir aucune différence d'une province à l'autre. Nous avons des frontières provinciales imaginaires qui divisent le pays, mais tout service offert ici aux résidants de l'Ontario aurait dû être mis à ma disposition, peu importe l'endroit où le meurtre a été commis.

Je dirais — et je voudrais féliciter le procureur de la Couronne dans cette affaire, qui était Elaine Reid. Elle a assuré la poursuite et m'a tenue au courant. C'était très important, car je sais que beaucoup de gens ne sont pas informés.

Cela fait huit ans. Nous n'avons pas obtenu de condamnation parce que la police locale, la RNC, la Royal Newfoundland Constabulary, a commencé à interroger l'accusé au cours de la première demi-heure d'interrogatoire, sans lui faire lecture de ses droits. Les policiers lui ont lu ses droits, son avocat lui a dit de ne pas ajouter un mot de plus et les deux enquêteurs de la police ont continué à l'interroger. Nous sommes restés dans l'expectative pendant huit ans. Je viens juste d'apprendre, en février, que la Cour d'appel de Terre-Neuve avait confirmé la décision du juge de la Cour suprême.

Il s'en tire donc impunément. Sa maison est entièrement payée. Il a l'assurance-vie de ma fille. J'ai toujours cru qu'on ne pouvait pas profiter d'un meurtre, mais je suppose que la Charte des droits et libertés l'a protégé.

Je voudrais que les services soient les mêmes. Nous avons un régime d'assurance-santé de base et universel aux quatre coins du pays. Ce qui me préoccupe, c'est de savoir si cette nouvelle loi et ces nouvelles lignes directrices vont être appliquées de façon universelle d'un bout à l'autre du pays.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous de vos exposés.

[English]

Messieurs Tremblay, Fortier et Sutherland, dans vos allocutions, vous avez mentionné que vous avez été agressés sexuellement à plusieurs reprises. À la suite de ces agressions, un ou des chefs d'accusation ont été déposés contre un ou des agresseurs. Une fois les accusations déposées, vous avez dû comparaître en cour à plusieurs reprises.

Cela dit, j'aimerais revoir avec vous la notion du droit en fonction d'un délai raisonnable. Comme vous le savez, un procès judiciaire peut durer plusieurs années. Il y a souvent des ajournements qui sont demandés par les avocats de la défense. Ces ajournements découragent les victimes. Je comprends que les victimes aimeraient tourner la page, oublier tout cela, mais c'est impossible, car elles doivent continuellement se présenter en cour.

Voyez-vous la nécessité pour la cour d'imposer des délais raisonnables par rapport à un procès? Si oui, quand on parle de délai raisonnable, est-ce qu'il s'agit de six mois, d'un an ou de deux ans?

M. Fortier : En ce qui concerne le délai raisonnable, cela représenterait une avancée importante. Quant à la cour, on devrait toujours faire la différence entre un crime contre les biens et un crime contre la personne. Lorsqu'il s'agit d'un crime contre la personne, il est difficile de passer au travers sans rien oublier de l'histoire, parce que sinon, on va le payer cher en cour. Le délai raisonnable de deux ans faciliterait les choses pour les victimes et éviterait de les décourager.

On reçoit par l'entremise d'un huissier un avis à comparaître une semaine à l'avance. On se prépare pour aller en cour, puis c'est reporté. On revit continuellement le crime dont on a été victime. À mon avis, ce serait une belle avancée.

[Translation]

M. Sutherland : Personnellement, j'ai porté plainte en 1995 et on a mis 12 ans et demi à arrêter M. MacIntosh. Il a été ramené au Canada en 2007, mais je n'ai pas été appelé à témoigner au procès avant le milieu de 2010. Oui, un délai d'un an environ aurait été une bonne chose. On aurait pu croire qu'après 12 ans et demi d'attente, la procédure judiciaire aurait été un peu plus rapide. Comme je l'ai dit, ce n'est pas terminé.

Oui, un délai serait une bonne chose. Les trois années supplémentaires qu'il a fallu attendre pour aller en procès auraient peut-être changé la donne lorsque la Cour suprême du Canada a dit que M. MacIntosh avait été lésé dans ses droits parce que les choses avaient trop tardé. Cela a peut-être joué un grand rôle également. Je suis donc d'accord sur ce point, certainement.

Le sénateur Joyal : Bienvenue à vous tous.

Tout d'abord, madame Lindfield, j'ai été très touché par la conclusion de votre mémoire : « J'exhorte les tribunaux du Canada à respecter cette loi ». Le mot « respecter » est souligné.

Vous avez mentionné à plusieurs reprises la Charte canadienne des droits et libertés en disant qu'elle protège les criminels. Vous savez très bien que la Charte canadienne des droits et libertés contient le paragraphe 24(1) intitulé « Recours ». Je vais le lire :

Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente Charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

Je crains que ce projet de loi ne protège pas les victimes. Comme vous l'avez dit, les criminels sont protégés par la Charte des droits et libertés, car le projet de loi ne contient aucune disposition similaire à l'article 24 de la Charte, surtout si vous lisez l'article 28 de la charte des droits proposée. Il exclut expressément un véritable recours. Il est dit ceci :

La violation ou la négation d'un droit prévu par la présente loi ne donne pas ouverture à un droit d'action ni au droit d'être dédommagé.

J'appuie la substance des droits établis dans ce projet de loi, mais je crains que cette mesure n'ait pas l'efficacité attendue pour protéger les droits des victimes, surtout quand je lis votre conclusion : « J'exhorte les tribunaux du Canada à respecter cette loi ». Les tribunaux sont exclus par l'article 28 proposé.

Je pense que si nous voulons être logiques, si nous voulons être efficaces, si nous voulons avoir l'ordonnance de dédommagement que vous attendez, le tribunal devrait protéger les victimes autrement qu'en vertu de l'article 24 dont vous dites qu'il protège les criminels.

Comment envisagez-vous le défi qui se pose ici?

Mme Lindfield : Bien entendu, c'est un énorme défi, mais je tiens à dire que la Charte des droits des victimes n'est qu'un début et que nous pouvons aller plus loin.

Chacun sait que la Charte des droits et libertés l'emporte sur tout le reste. Si je demande aux tribunaux de respecter la loi, c'est parce que je parle d'expérience. J'ai témoigné au sujet du projet de loi C-37, je crois, qui responsabilisait davantage les délinquants. Nous avons augmenté la suramende compensatoire, qui est toujours ridiculement faible, et nous avons supprimé le pouvoir discrétionnaire des juges. Cela s'est retourné contre nous, car maintenant, les juges n'appliquent pas cette disposition et c'est un motif de contestation judiciaire. C'est parce que les droits discrétionnaires ont été supprimés. Ce ne serait peut-être pas arrivé si les juges avaient fait leur travail au départ.

Je n'ai pas mes notes sous la main, mais je cite un exemple au Nouveau-Brunswick où l'on a étudié l'annulation de la suramende compensatoire. Il incombait notamment au juge d'obtenir la preuve que l'intéressé n'était pas en mesure de payer la suramende compensatoire. Dans 99 p. 100 des cas étudiés, cela ne figurait pas au dossier du tribunal, si bien que le juge avait simplement annulé la suramende, laquelle n'avait pas été perçue.

La suppression du pouvoir discrétionnaire des juges est une mesure majeure, mais c'est le seul moyen de percevoir la suramende compensatoire, de l'argent qui sert à aider les victimes. Voilà pourquoi nous n'avons pas de services psychologiques pour le SSPT alors que c'est essentiel pour les personnes qui ont été agressées et celles qui ont perdu des membres de leur famille. Nous en avons besoin. Nous essayons de faire de notre mieux pour reprendre notre vie, mais vous ne savez pas ce que c'est à moins de l'avoir vécu.

Le président : Nous allons nous arrêter là. Il nous reste moins de 15 minutes alors que quatre sénateurs sont encore sur la liste. J'espère que tout le monde en tiendra compte.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous tous d'être venus ici aujourd'hui. Je voudrais commencer par M. Sutherland.

Vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que c'était pour vous un honneur d'être ici et je tiens à vous dire, au nom du Sénat du Canada, que c'est un honneur pour nous de vous avoir ici aujourd'hui. Merci d'avoir partagé votre histoire avec nous.

Vous avez subi une épreuve terriblement longue et pénible pour porter votre cause devant les tribunaux. Pourriez- vous nous dire en quoi il aurait pu vous être utile d'obtenir plus facilement des renseignements sur le délinquant, en cours de route. Qu'est-ce que cela vous aurait apporté?

M. Sutherland : Cela aurait, je pense, signifié que mon cas était important. C'est le principal. J'ai eu le sentiment d'être traité comme si ce n'était pas grave. Désolé de le répéter, mais c'est l'impression que j'ai eue pendant tout le processus. C'est seulement vers la fin, ces dernières années, que les gens ont commencé à prendre mon cas au sérieux.

J'ai essayé d'obtenir des renseignements moi-même en téléphonant à gauche et à droite. La rumeur circulait que M. MacIntosh revenait souvent au Canada. Des gens me téléphonaient pour me le dire. J'ai appelé la police, j'ai appelé des députés, j'ai appelé à gauche et à droite pour demander : « Quelqu'un peut-il faire quelque chose? » J'ai même découvert où MacIntosh se trouvait, mais les policiers — peut-être parce qu'ils se prenaient pour des policiers — ne m'ont pas pris au sérieux. J'étais pourtant sûr de mon fait.

En ce qui concerne le droit à l'information et le droit d'exprimer ses opinions, s'ils sont forcés de me reconnaître ces droits, les gens feront peut-être leur travail un peu mieux. C'est surtout l'avantage que je vois, au lieu que l'on vous traite comme quantité négligeable en disant « Je suis policier » ou « Je suis député ». Certains fonctionnaires m'ont traité avec respect, mais pas la majorité d'entre eux.

Je pense que de vrais droits qui pousseront ces personnes à faire leur travail comme il faut feront une différence importante, en effet.

[English]

La sénatrice Hervieux-Payette : Tout d'abord, je m'excuse d'être en retard. J'étais à la réunion d'un comité dont je suis la vice-présidente, et j'ai donc dû expédier les choses. Ce comité-ci est très important pour moi.

M. Sutherland, et probablement la plupart des gens, évoque la question des délais devant les tribunaux. Il n'est pas de mon domaine de connaître les délais en général au Canada, qu'il s'agisse de la cour de première ou de deuxième instance. Toutefois, je puis vous dire qu'au Québec, j'entends souvent qu'il y a une pénurie de juges. En général, les délais ne sont pas dus à des problèmes juridiques. Ils sont plutôt liés au fait qu'il n'y a pas de juges pour entendre les causes.

Est-ce un problème qui, selon vous, est général? Somme toute, pour être entendu, il faut une salle et un juge qui a compétence en la matière.

M. Tremblay : Pour ce qui est des délais, j'ai constaté ce qui suit. J'ai vu les témoignages de centaines de victimes. Dans le cadre de mon recours collectif, on comptait au moins 110 personnes qui avaient été agressées. J'ai vu des délais très longs et laborieux pour plusieurs individus. Dans le cas de mon agresseur, la cause a duré trois ans et demi. Je pense à Jean-Claude Bergeron, qui n'a toujours pas eu sa sentence et qui n'a pas été reconnu coupable. Cet individu a été arrêté en août 2010. Il va connaître son verdict le 4 juin 2015. On parle de cinq ans.

Pour ma part, en thérapie, on a fait exprès de ne pas effacer ma mémoire. J'ai travaillé avec la méthode EMDR, ou Eye Movement Desensitization and Reprocessing, pour faire du nettoyage. Cette méthode est extraordinaire. J'ai vu des choses incroyables se produire avec cette méthode, et on peut effacer la mémoire.

Or, on n'efface pas la mémoire d'un individu quand on sait que celui-ci va devoir témoigner. Ces délais sont extrêmement troublants pour plusieurs victimes. C'est ce qui les empêche justement d'aller devant les tribunaux. Alain en a parlé un peu plus tôt, c'est ce qui l'a empêché de dénoncer son deuxième agresseur.

La sénatrice Hervieux-Payette : Dans le cas où l'on reconnaît les droits des victimes, pour régler la question de façon non seulement objective, mais efficace, est-ce que, une fois qu'on a réglé les délais devant les tribunaux, vous pensez que le fait d'offrir des indemnités et des services aux victimes, qui varient d'une province à l'autre, est logique? Et croyez-vous que les budgets nécessaires à ces services, autant les indemnités aux victimes que les services offerts, ont été prévus? Est-ce qu'il y a une collaboration fédérale-provinciale?

M. Fortier : En ce qui concerne les délais, tout d'abord, ce ne sont pas nécessairement les juges; ce sont souvent les agresseurs qui reportent les délais pour étirer la procédure.

Quant aux soins offerts au Québec, le Centre d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC) en offre, mais je sais que ce n'est pas uniforme d'une province à l'autre. Est-ce qu'on aurait avantage à les uniformiser? Oui, ce serait une bonne chose pour que, peu importe où vous vous situez dans la province, vous ayez droit à des soins.

La sénatrice Hervieux-Payette : Pour la compensation?

M. Fortier : Même chose pour la compensation.

[Translation]

Le sénateur McInnis : C'est la question que j'allais poser. Nous entendons souvent parler de la longueur du procès qui dure de trois à sept ans et augmente de plus en plus. Quelles suggestions feriez-vous à cet égard?

Deuxièmement, monsieur Tremblay, vous savez que l'article 15 du projet de loi modifie l'article 486.2 du Code criminel en ce qui concerne le témoignage; vous pouvez le présenter à l'extérieur du tribunal, avec des aides au témoignage, derrière un écran, et ainsi de suite. Je tenais simplement à le dire ici, car vous pensiez, je crois, que ce n'était pas là.

M. Tremblay : Pouvez-vous répéter cela?

Le sénateur McInnis : L'article 15 du projet de loi vous permet d'avoir des aides au témoignage, d'être derrière un écran, d'être à l'extérieur du tribunal. Je tenais simplement à le préciser ici.

Quant à l'autre question concernant la durée : Avez-vous des suggestions? La question n'est pas d'augmenter les dépenses. La sénatrice Hervieux-Payette dit qu'une salle de tribunal n'est pas toujours disponible, par exemple. Suggérez-vous d'imposer un certain délai pour les causes comme celles dont nous parlons ici aujourd'hui et qui sont terribles?

Mme Lindfield : Dans mon cas, cela a traîné pendant huit ans. Le juge a décidé dès le départ que les droits constitutionnels de l'accusé avaient été violés. Par conséquent, la Couronne soumettait une nouvelle demande pour essayer de présenter une preuve. Le juge laissait traîner les choses parfois jusqu'à trois mois et revenait avec la même décision, fondée sur la Constitution.

Le président : Le sénateur McInnis a posé une question précise. Avez-vous des suggestions pour améliorer la situation?

Mme Lindfield : Je suppose qu'il devrait y avoir un délai raisonnable pour qu'un juge qui reçoit une requête donne une réponse sans attendre un an pour répondre à deux requêtes. C'est ridicule.

Le président : Merci.

[English]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos témoins. Monsieur Tremblay, je viens du Québec, et j'ai suivi toutes les procédures que vous avez faites.

Je suis un ancien policier, et j'ai dû me présenter en cour régulièrement. Souvent, malheureusement, les victimes sont accompagnées par le procureur de la Couronne, notamment dans le cadre d'accusations criminelles où ce dernier est débordé, et elles font face à un avocat de la défense qui est virulent et qui cherche à insinuer que la victime est un peu complice de ce qui lui est arrivé. Vous avez sûrement ressenti cela.

En quoi le projet de loi va-t-il vous aider? On n'a pas parlé nécessairement des procédures en cour, mais en quoi le projet de loi, grâce à la Charte des droits des victimes, pourrait-il vous aider à la cour?

M. Tremblay : J'ai fait le parallèle entre la Charte des droits et libertés et la Charte des droits des victimes. Dès que la Charte des droits et libertés a été instaurée, elle n'a pas réglé l'ensemble des privations des libertés individuelles de tous les Canadiens. Elle a évolué, elle est en place, mais cela n'a pas empêché plusieurs Canadiens d'être abusés quant à leurs droits, bien que la loi existe.

Ce projet de loi aura le même effet pour moi. Est-ce qu'il va régler l'ensemble des problèmes? J'en ai vécu des choses. Je n'ai pas à vous l'expliquer : vous êtes policier, vous l'avez vécu plus que moi. À titre d'individu qui a passé par un processus judiciaire immense, dans le cadre d'un recours collectif civil... Oui, j'ai eu accès à la Couronne, mais difficilement. Est-ce qu'on verra une grande différence après l'adoption de ce projet de loi?

Déjà, le fait qu'il y ait des articles qui nous donnent le droit à l'information, le droit à la compensation... Personnellement — je vais me permettre de le dire ainsi —, j'avais les moyens de m'endetter pour obtenir une compensation financière afin de réparer la clôture de l'enfant brisé. Cependant, beaucoup de personnes n'ont pas ces moyens. À mon avis, le fait d'imposer une compensation à l'agresseur fera la différence.

Je me permets de dire que le recours collectif se terminera le 17 avril 2015. J'ai en tête huit individus qui peuvent toucher entre 75 000 $ et 300 000 $, mais ils n'iront même pas au procès, tellement il est difficile de revivre tout cela, de coucher une vie de souffrance sur des documents et d'aller rencontrer un arbitre seul. Imaginez comment la tâche peut être immense après avoir passé un processus au criminel et de recommencer au civil où, comme vous le savez, au Québec, dès qu'on réclame plus de 25 000 $, le législateur a prévu des interrogatoires hors cour pour permettre de désengorger les tribunaux. On ouvre les portes à l'anéantissement de la victime à ce moment-là. Si l'information qui est présentée dans le cadre du procès criminel nous permet de démontrer que la victime vit des conséquences, déjà, cette information-là permettra d'obtenir un montant compensatoire, eu égard aux ressources de l'agresseur.

Pour moi, cela représente des avances importantes par rapport à ce que j'ai vécu, où je suis allé chercher toute compensation personnellement, si je peux me permettre de le dire.

[Translation]

Le président : Merci à tous d'être venus nous présenter des témoignages très utiles. Nous les apprécions vivement.

Le deuxième groupe que nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui est composé de Nancy Roy, directrice générale, Association des familles de personnes assassinées ou disparues; Nana Yanful, qui représente le Conseil canadien des avocats de la défense, Robert Hooper, président du conseil d'administration de Walk With Me Canada ainsi que les représentants de l'Association du Barreau canadien, Kathryn Pentz, présidente de la Section nationale de justice pénale, Division de Nouvelle-Écosse et Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit, également à l'Association du Barreau canadien.

Madame Roy, nous pourrions peut-être commencer par votre déclaration préliminaire.

[English]

Nancy Roy, directrice générale, Association des familles de personnes assassinées ou disparues : Je vous remercie de votre invitation. Je suis la directrice générale de l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD), qui est un organisme à but non lucratif ayant comme mission principale de briser l'isolement vécu par les familles des victimes afin de leur permettre de développer entre elles des liens de solidarité et de bâtir des ponts vers les ressources nécessaires. Nous venons en aide à plusieurs centaines de familles touchées par un homicide ou une disparition d'apparence criminelle.

Depuis sa fondation, il y aura bientôt 10 ans, l'AFPAD a toujours fait la promotion de l'adoption d'une Charte des droits des victimes. Il est clair que l'existence officielle de cette charte donnera une voix aux victimes et créera une meilleure équité entre les droits des victimes et ceux des criminels.

Nous saluons cette initiative unique au Canada qui, certes, n'est pas parfaite, nous le savons, mais qui représente un grand pas en avant. Elle fera en sorte de rassurer nos familles membres et celles qui, malheureusement, le deviendront, dont les droits en tant que familles de victimes ont souvent été occultés ou oubliés. Cette charte vient reconnaître le droit des victimes à être entendues, protégées et surtout considérées.

Les tribunaux n'auront d'autre choix que d'interpréter les lois et le Code criminel selon les droits énoncés dans la Charte canadienne des droits des victimes, ce qui donnera une plus grande place aux victimes et saura mieux encadrer leurs droits.

Nous sommes rassurés que les victimes puissent, de façon claire, avoir un meilleur accès à toute l'information en ce qui concerne les services et programmes destinés aux victimes et les renseignements actuels sur le délinquant, tels que la photo de celui-ci au moment de sa remise en liberté.

Nous saluons les dispositions favorisant la prise en considération et la mise en place de toute mesure raisonnable et nécessaire pour protéger l'identité des victimes, mais surtout les mesures qui s'érigent contre toute forme d'intimidation et d'actes de vengeance. Nos familles éviteront des épisodes d'angoisse extrêmement marquants dans leur vie.

Chaque jour, nous sommes conscientisés à l'appauvrissement lié au lourd fardeau financier imposé à nos familles de façon cruelle et injuste, qui vient s'ajouter au traumatisme de vie qu'elles doivent surmonter.

L'application de cette ordonnance de dédommagement, que l'on souhaite être imposée de droit, ramènera une certaine équité pour les victimes. Il faut se rappeler l'objectif ultime qui est le paiement du dédommagement, et une discrétion du système judiciaire devra être adaptée dans le seul but que l'indemnisation se réalise.

Personne ne peut reprocher aux victimes d'être entendues et reconnues dans leurs besoins, mais les provinces devront s'adapter et voir à mettre en place des programmes d'indemnisation plus généreux et plus réalistes pour mieux répondre aux besoins des victimes. Dans l'application de ces ordonnances, une logique judiciaire devra être prise en considération. Ainsi, sans l'arrimage des provinces, les victimes ne pourront appliquer de façon équitable les droits qui sont enchâssés dans cette charte.

Le droit à la participation devra s'inscrire dans une logique judiciaire et on devra s'assurer que les victimes soient bien accompagnées à toutes les étapes pour ne pas créer d'attentes indues et pour ne pas qu'elles se sentent bousculées. Les victimes et leurs familles ont besoin de conscientiser les délinquants, qui ont brisé leur vie, sur les impacts qu'elles sont condamnées à vivre.

Cette déclaration et l'apport d'objets tels que des photos ou des poèmes donneront une plus grande souplesse aux victimes dans la démonstration de ce qu'elles ont perdu et s'inscrivent dans un système de justice réparatrice ou de conscientisation et de responsabilisation des délinquants.

De plus, l'uniformisation des formulaires aidera davantage les victimes à faire reconnaître leurs droits et leurs pertes.

Au nom de toutes nos familles membres, nous vous remercions de cette reconnaissance tant attendue par les victimes. Je vous remercie.

[Translation]

Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Merci de nous avoir invités à vous présenter aujourd'hui les opinions de l'ABC au sujet du projet de loi C-32. L'ABC est une association nationale qui regroupe plus de 36 000 avocats, étudiants en droit, notaires et professeurs de droit. Un aspect important de notre mission est l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. Le mémoire que nous vous présentons au sujet du projet de loi C-32 a été préparé par notre Section nationale du droit pénal qui représente un ensemble équilibré d'avocats du ministère public et de la défense provenant de toutes les régions du Canada.

Je représente cette section avec Kathryn Pentz, qui est actuellement procureure de la Couronne en chef pour la région du Cap-Breton de la Nouvelle-Écosse. Elle va maintenant vous présenter l'essentiel de notre mémoire et répondre à vos questions.

Kathryn Pentz, présidente de la Section de la division de la N.-É. — Section nationale du droit pénal, Association du Barreau canadien : Bon après-midi, monsieur le président et membres du comité. En tant que conseillère juridique de première ligne, l'ABC a examiné le projet de loi, y compris les amendements apportés à la Chambre des communes, d'un point de vue pratique : quelles en seront les conséquences sur les activités quotidiennes des tribunaux?

En 22 ans de carrière comme procureure de la Couronne, j'ai beaucoup travaillé avec les victimes. Ces dernières font partie intégrante du système de justice pénale. Elles méritent de se faire entendre et le gouvernement doit être félicité d'avoir présenté ce projet de loi.

Nos observations visent à faire en sorte que le projet de loi soit constitutionnel, qu'il ne fasse pas des promesses impossibles à tenir, qu'il soit équitable envers tous les participants du système et qu'il n'ait pas de répercussions négatives sur l'efficacité des tribunaux.

Une des plaintes que j'entends souvent de la bouche des victimes est que le système est trop lent et nous devons donc veiller à ce que la mise en œuvre du projet de loi C-32 n'augmente pas sa lenteur.

La première disposition dont je parlerai est le paragraphe 486.31(1) proposé qui permet la non-divulgation de l'identité d'un témoin. Cette disposition est problématique du point de vue constitutionnel. Même dans le cas où ce renseignement pourrait être divulgué à l'accusé, mais pas au procès, il est difficile d'imaginer comment un accusé pourrait obtenir un procès équitable si tout renseignement susceptible d'identifier le témoin doit être caché. Il serait impossible pour la Couronne d'interroger un témoin ou pour la défense de le contre-interroger sans entrer dans des détails qui révéleraient l'identité du témoin. Nous nous opposons à l'amendement proposé qui crée un tel secret sur l'identité du témoin.

D'autre part, nous croyons important que la loi ne suscite pas d'attentes irréalistes. Le projet de loi accorde aux victimes le droit d'être informés des résultats de l'enquête, ce qui pourrait être interprété comme un droit aux renseignements que la police a recueillis. Néanmoins, il n'est pas possible d'accorder ce droit sans compromettre la poursuite en cour. Une victime qui croit que la loi lui confère le droit d'obtenir ces renseignements risque de se sentir trahie et déçue par le système s'il ne répond pas à ses attentes.

L'article 21 du projet de loi prévoit la notification aux victimes d'un plaidoyer de culpabilité. Il est vrai que cet article n'ordonne pas expressément au poursuivant d'informer la victime avant d'accepter un plaidoyer de culpabilité et que le tribunal doit simplement lui demander s'il l'a fait. Compte tenu du droit de la victime de dire ce qu'elle pense des décisions prises et du fait que son opinion doit être examinée, nous craignons que ce soit interprété comme l'obligation pour le poursuivant d'informer la victime avant d'accepter le plaidoyer. Il est très difficile de concilier l'article 21 avec le droit de prendre part aux décisions.

En réalité, dans le contexte de la procédure pénale, des règlements sont souvent proposés sans qu'on ait la possibilité de consulter les victimes. Pour que le système fonctionne comme il se doit, les poursuivants doivent pouvoir conclure rapidement des ententes et parfois cela ne permet pas d'informer la victime.

Le projet de loi C-32 modifie les facteurs que le tribunal doit considérer lors de la détermination de la peine en ajoutant comme exigence que le tribunal tienne compte du tort causé aux victimes alors que le paragraphe 718f) existant l'exige déjà. Cette répétition peut sembler inoffensive, mais nous recommandons de ne pas la faire. Elle risque de susciter la confusion quant aux divers principes à soupeser pour la détermination de la peine.

Les amendements à l'article 722 du code élargissent la liste des torts qui peuvent être inclus dans la déclaration de la victime. Néanmoins, quand nous avons examiné la formulation proposée pour cette déclaration, un de ses éléments demande à la victime une opinion ou une recommandation pour la détermination de la peine, ce que n'autorise pas l'article 722. Encore une fois, le projet de loi peut laisser entendre que les victimes exercent davantage de contrôle sur les procédures que ce n'est possible. La détermination de la peine est la responsabilité du juge et nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les victimes soient en mesure de soupeser les nouveaux facteurs à considérer.

Le projet de loi C-32 permettrait de déposer des déclarations au nom d'une collectivité. Ces déclarations peuvent être très utiles, mais qu'est-ce qui constitue une collectivité? Qui parle au nom de la collectivité? Nous croyons qu'il faudrait fournir plus de précisions afin d'éviter la confusion et une application irrégulière.

Le projet de loi C-32 représente une étape importante et nous offrons nos suggestions pour faire en sorte qu'il puisse être appliqué le plus efficacement possible et qu'il fournisse aux victimes des renseignements exacts quant à ce qu'elles peuvent en attendre.

Merci. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Nana Yanful, représentante, Conseil canadien des avocats de la défense : Bonsoir, monsieur le président et honorables membres du comité. Je m'appelle Nana Yanful et je suis ravie d'avoir l'occasion de vous parler du projet de loi C-32 au nom du Conseil canadien des avocats de la défense. À partir de maintenant, je vais désigner notre organisation comme le CCAD.

Le CCAD a été créé en novembre 1992 pour offrir une perspective nationale au sujet des questions de justice pénale. Depuis sa création, le CCAD est intervenu dans des affaires importantes devant les tribunaux de notre pays. Le gouvernement fédéral l'a consulté au sujet de mesures législatives importantes en matière de droit pénal et les médias lui demandent souvent son avis sur des enjeux de l'heure. Nos représentants, y compris moi-même, ont comparu devant votre comité ainsi que les comités permanents de la justice et des droits de la personne ainsi que de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes. À l'heure actuelle, notre conseil de direction compte des représentants de la totalité des 10 provinces et 3 territoires.

Je dois d'abord dire que le CCAD reconnaît qu'un système efficace de justice pénale doit prendre en considération les intérêts des plaignants et des accusés. Les programmes de services aux victimes des quatre coins du pays ont besoin d'un financement plus important, non seulement au début du processus, mais aussi à la fin, pour les services de counseling, d'éducation, de soutien et de consultation.

Nous reconnaissons que le système de justice pénale peut être difficile et intimidant pour les plaignants, les témoins et les victimes et nous croyons qu'il est dans l'intérêt de la défense — dans notre intérêt, d'avoir des victimes bien informées.

Par conséquent, même s'il cherche à tenir compte de cette réalité, le projet de loi C-32 va très loin et comprend des changements fondamentaux au Code criminel en ce qui concerne la façon dont les plaignants sont perçus dans le système de justice. Je voudrais aborder trois aspects de la Charte des droits des victimes qui proposent des amendements au Code et qui inquiètent le CCAD.

Premièrement, comme l'a fait remarquer un de nos représentants à Yellowknife, les plaignants sont maintenant des victimes, même dès le départ, alors que l'accusé n'a pas encore été déclaré coupable de l'infraction. En raison de ces changements, le projet de loi transforme la présomption d'innocence d'un accusé en présomption de culpabilité. Par exemple, l'article 18 du projet de loi modifie les paragraphes 486.4(1) et 486.4(2) du Code criminel en utilisant le mot « victime » au lieu de « plaignant ». Cela peut sembler très préjudiciable pour l'accusé. Ces changements subtils ont des répercussions si des personnes peuvent être désignées en ces termes avant une condamnation.

Pour ce qui est de la définition d'une victime donnée dans le projet de loi, le CCAD recommande d'envisager l'inclusion d'autres types de victimes. Plus particulièrement, nous exhortons le gouvernement à inclure les membres de la famille de l'accusé, car nous savons qu'un bon nombre de crimes surviennent dans le contexte de relations intimes et familiales. Il est important de considérer les familles des accusés comme des victimes étant donné que la société reconnaît que la violence est cyclique et que, souvent, les accusés du système de justice pénale ont eux-mêmes été victimes par le passé. Nous recommandons donc d'adopter une définition plus nuancée du terme « victime ».

Deuxièmement, comme l'ont dit mes collègues de l'Association du Barreau canadien, l'article 17 du projet de loi est problématique à l'égard de son lien avec la Charte des droits et libertés, surtout le droit à une défense pleine et entière. Le CCAD a des réserves au sujet de cet article en raison des amendements qu'il apporte à l'article 486.31 qui permettrait à certains témoins de témoigner de façon anonyme. En pratique, cela limiterait la possibilité des avocats de la défense de contre-interroger le témoin, ce qui est un élément essentiel du travail que nous faisons pour défendre nos clients. Cela empêcherait la défense de prendre connaissance non seulement du nom du témoin, mais aussi de renseignements d'identification d'une importance cruciale.

Enfin, j'ai quelque chose à ajouter à ce que mes collègues ont dit au sujet du régime de détermination de la peine prévu à l'article 718 du Code criminel. Étant donné la façon dont l'article 23 modifie l'article 718, il réitère et insiste davantage sur l'incarcération et le retrait du délinquant de la société. L'insistance sur la protection de la société en tant qu'objectif fondamental de la détermination de la peine et la répétition des torts causés aux paragraphes a) et f) de l'article 718 font pencher la balance en faveur de la protection de la société au lieu des objectifs du principe de la détermination de la peine tels que la proportionnalité, la situation particulière de l'accusé et les circonstances dans lesquelles les infractions ont été commises ainsi que la réadaptation et la réinsertion.

Nous partageons l'opinion que l'Association du Barreau canadien a exprimée dans ses mémoires à savoir que l'utilisation accrue des peines minimums obligatoires et le recours excessif à l'incarcération dans notre pays rendent cet amendement très inquiétant, surtout en ce qui concerne la détermination de la peine pour les Autochtones et les collectivités raciales du pays.

Au nom du CCAD, je vous remercie de nous avoir invités à venir ici et je suis prête à répondre à vos questions.

Robert Hooper, président du conseil d'administration, Walk With Me Canada : Je suis un avocat spécialisé dans les dommages corporels et un défenseur des droits des victimes. Je pratique le droit en Ontario et au Nouveau-Brunswick depuis 1992, et je rencontre quotidiennement des victimes de divers crimes, notamment des victimes de voies de fait, de crimes sexuels, de traite de personnes et de meurtre. Je représente ces parties dans le système de justice civile et je leur fournis des renseignements quotidiennement concernant leur rôle dans le système de justice pénale ou plutôt l'absence de rôle des victimes dans le système de justice pénale.

En outre, je comparais devant vous à titre de président de Walk With Me Canada, un organisme de première ligne qui essaie de sauver les victimes de la traite de personnes au Canada.

Honnêtement et sincèrement, je ne pense pas qu'un projet de loi puisse répondre aux besoins de toutes les victimes. Je parle uniquement pour les victimes que je rencontre dans les domaines mentionnés ci-dessus. Même dans ce cas, un certain nombre d'entre elles souhaiteraient peut-être voir dans le projet de loi C-32 quelques dispositions différentes.

À titre d'aperçu général, je dirais que le projet de loi introduit un équilibre approprié entre les droits des victimes, les droits de l'accusé et l'administration de la justice. En particulier, j'estime que le projet de loi est fondé sur la Charte des droits et libertés, sur les droits de l'accusé et, pour la première fois, ce projet tient compte des droits des victimes d'actes criminels et reconnaît leur droit à obtenir de l'information et d'être entendues dans le système de justice pénale.

Un aspect essentiel de ce projet de loi est que les dispositions n'ont pas pour effet de prolonger le processus de justice pénale. Je peux vous dire que toutes les victimes m'ont déclaré qu'elles ne voudraient pas une charte des droits ou une autre mesure législative qui allongerait la procédure utilisée pour traduire l'accusé devant la justice et lui imposer une peine. L'efficacité et la rapidité de la procédure sont essentielles. Je crois savoir que cela permet de commencer la guérison et c'est un élément très important pour les victimes que je représente.

Nous estimons que les projets d'articles 6, 7 et 8 sont des éléments clés et la fondation d'un système qui fait preuve de compassion, d'empathie et de respect envers les victimes d'actes criminels au Canada. En particulier, les alinéas 7a) et b) proposés sont essentiels au succès du processus.

Une des plaintes les plus courantes que me font mes clients et ceux qui travaillent pour Walk With Me Canada est qu'ils ne sont pas tenus au courant de l'enquête ni du déroulement de l'instance pénale. Autrement dit, ils ne sont pas avertis par les acteurs du système judiciaire, à savoir l'agent de police qui a procédé à l'arrestation, le procureur de la Couronne ou l'agent des services aux victimes, de la date des audiences, des ajournements et des renseignements essentiels qui donneraient aux victimes la possibilité de décider si elles désirent participer au processus. Il est important que les personnes dont je m'occupe reçoivent cette information et puissent décider ainsi elles-mêmes si elles souhaitent assister aux audiences et sur la façon dont elles entendent participer au programme de justice pénale.

Je vais vous parler d'une victime d'agression sexuelle qui a été attaquée dans une collectivité où elle ne réside plus. L'auteur allégué est son ancien beau-père. Les accusations pénales sont toujours en cours. J'ai passé beaucoup de temps avec cette jeune femme et avec son père biologique. Cette jeune femme m'a déclaré à de nombreuses reprises qu'il lui manquait un élément d'information important, à savoir la connaissance de l'état d'avancement de l'enquête sur les accusations pénales portées contre l'auteur de cet acte ou des résultats des tentatives déployées par lui pour modifier les conditions dont était assorti son cautionnement. En fait, elle disposait de tellement peu d'information au sujet du système de justice pénale en général qu'elle craignait qu'en quittant cette collectivité l'accusé, qui disposait de relations et d'influence dans cette collectivité, obtienne le retrait des accusations ou que celles-ci disparaissent si elle n'était plus dans la collectivité.

C'est la raison pour laquelle j'appuie tout à fait, au nom des victimes dont j'ai le privilège de m'occuper tous les jours, les articles relatifs au droit à l'information et, surtout, ceux qui garantissent le droit d'obtenir des renseignements exacts et en temps utile pour que la victime soit en mesure de prendre ses propres décisions au sujet de la façon dont elle souhaite participer au système de justice pénale et agir à l'égard de son agresseur.

Les articles qui traitent de la protection des victimes, en particulier, de leur identité, sont également importants pour les personnes dont je m'occupe. Un des thèmes que l'on retrouve constamment chez les victimes de la traite de personnes est l'intimidation. La plupart des victimes de la traite de personnes ainsi que les victimes d'agressions et d'agressions sexuelles craignent de se retrouver dans une salle d'audience avec la personne qui a abusé de leur confiance, qui les a intimidées et qui a profité d'elles. Les victimes peuvent être protégées et être soustraites à toute intimidation au cours de ce processus grâce au droit d'utiliser des aides testimoniales, un droit garanti dont l'exercice n'exige pas la présentation d'une requête au tribunal; c'est là une avancée pour les droits des victimes que nous appuyons fortement.

À mon avis, les articles 14 et 15 qui traitent du droit à la participation sont un pas dans la bonne direction. L'article 14 proposé est une excellente mesure qui permet à la victime de participer aux discussions au sujet des marchandages de plaidoyer et des ententes sur la peine à demander. Il serait utile que l'article précise le nombre minimal des interventions de la victime — par exemple, pour que son point de vue soit au moins entendu sur la question du retrait d'une accusation, sur celle d'un plaidoyer de culpabilité à une infraction moindre et incluse et, bien entendu, au sujet de la peine. Si la dissuasion spéciale est toujours un des principes fondamentaux de la détermination de la peine au Canada, le fait que la victime connaisse le contrevenant aiderait à mieux cerner en quoi devrait consister la dissuasion spéciale.

L'article 15 proposé qui traite de la déclaration de la victime est une évolution positive pour les victimes au Canada. Il serait bon de réfléchir, lorsque le projet de loi sera mis en œuvre dans les différentes régions du Canada, à la façon dont la victime peut rédiger sa déclaration, voire à lui fournir des exemples ou des modèles ou de l'aide.

Le fait d'ancrer les ordonnances de dédommagement dans la Charte des droits des victimes ne pourra qu'aider ces dernières. Par exemple, le fait que le tribunal ait la possibilité d'aider à l'obtention d'un jugement civil contre un trafiquant de travailleurs permettra aux victimes, d'après ce qu'elles m'ont dit, de retrouver une certaine dignité et de bénéficier d'une stabilité financière qui leur facilitera un nouveau départ. Il semble évident de dire que la rationalisation du processus qui permet aux victimes de recevoir une indemnité financière pour un crime dévastateur est un bon début.

Je fais une pause pour mentionner que j'ai représenté récemment une femme qui avait été victime d'une agression sexuelle sur le campus d'une université. L'auteur de l'agression a été condamné il y a quelques années et elle a été obligée de suivre un processus civil très semblable à celui dont ont parlé les témoins précédents. Elle a obtenu un jugement de 1,5 million de dollars, qui aurait pu l'aider à consolider sa vie. Malheureusement, l'accusé a quitté son travail le lendemain du procès, de sorte que je crois qu'elle ne recevra absolument rien. Si elle avait obtenu une ordonnance de dédommagement, cela l'aurait peut-être aidée.

Le président : Je dois vous demander de conclure. Trente secondes.

M. Hooper : Très bien.

Nous appuyons le mécanisme d'examen des plaintes prévu aux articles 25 à 29 proposés. La possibilité de déposer une plainte devant un organisme, combinée au droit d'exercer un recours en cas de violation ou négation des droits, donne un peu de mordant à ce document.

Je terminerai en disant qu'à cause de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et des divers problèmes que cela va créer avec les provinces, je ne sais pas très bien comment ce projet de loi sera mis en œuvre, mais je suis heureux qu'il propose un processus d'examen des plaintes qui donne aux victimes le droit de déposer une plainte.

Le président : Je vous remercie, monsieur.

Nous allons maintenant passer aux questions et commencer par le vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Je vais poser une seule question de sorte que je ne prendrai pas beaucoup de temps.

Tout d'abord, je vous remercie, madame Yanful, de vos nombreuses comparutions devant nos comités. Vous apportez une excellente contribution chaque fois que vous comparaissez.

Madame Roy, vous avez présenté un argument très convaincant pour rendre « obligatoire », comme vous l'avez demandé, les ordonnances de dédommagement. Vous avez frappé l'attention des membres du comité parce que nous savons que le projet de loi prévoit que le tribunal envisage (présent impératif) de prendre une ordonnance de dédommagement, mais il poursuit en disant « ordonnance aux termes de l'article 738 » et l'article 738 énonce que le tribunal est tenu d'envisager « la possibilité » de prendre une telle ordonnance. Nous avons d'un côté un projet de loi qui énonce que le tribunal « envisage » l'article 738, et de l'autre un article qui énonce que le tribunal est tenu d'envisager « la possibilité ». Votre argument est tout à fait juste. Cela devrait être obligatoire. Si le projet de loi est impératif, pourquoi ne pas modifier l'article 738 pour qu'il le soit également?

Monsieur Hooper, je vous invite, pour un instant, à mettre votre casquette d'avocat spécialisé en dommages corporels. Pour vous, les dommages-intérêts pour préjudice affectif ou psychologique prévus par le projet de loi seraient des dommages-intérêts généraux — perte de jouissance de la vie, douleurs et souffrances. Les dommages pécuniaires sont concrets — pertes futures de revenus, perte de revenus avant le procès, par exemple. Selon le projet de loi, le dédommagement vise uniquement des aspects qui se sont produits avant le procès. J'aimerais que vous vérifiiez ceci et nous disiez si cela risque de faire problème, parce que, lorsqu'un tribunal civil rend une ordonnance, l'acceptation de l'argent entraîne normalement renonciation à toute obligation future.

Je remercie Mme Pentz d'être venue. J'ai lu un bon nombre de jugements dans lesquels vous avez comparu devant la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse. Vous avez fait une contribution importante au cours des 20 dernières années; c'est remarquable.

Existe-t-il dans le projet de loi des dispositions qui risquent de prolonger les procès? Il y a un problème; le comité en a parlé à quelques reprises. Il y a des gens qui obtiennent le rejet des accusations — l'accusé — alinéa 11b) de la Charte. Est-ce que certains aspects du projet de loi risquent de prolonger les procès?

M. Hooper en premier et ensuite, Mme Pentz.

M. Hooper : Merci, sénateur.

Vos commentaires sur la forme que prendrait un jugement civil — dommages généraux, dommages-intérêts pécuniaires — sont tout à fait exacts.

Je ne pense pas qu'une ordonnance de dédommagement qui porterait sur des reçus aurait pour effet d'interdire une action civile ou d'en limiter la portée. Je dirais qu'à l'heure actuelle, il existe dans la province de l'Ontario un arrêt de la Cour d'appel dans lequel celle-ci déclare que l'accusé qui a été déclaré coupable au pénal selon la norme d'« au-delà de tout doute raisonnable » est responsable de l'infraction. Il faut toutefois présenter une requête en jugement sommaire, et c'est pourquoi j'aimerais que certaines modifications soient apportées au projet plus tard pour mieux harmoniser ces différents recours.

Le fait de prévoir une ordonnance de dédommagement aux termes du Code criminel n'interdit pas, et n'a pas interdit, aux victimes que j'ai représentées de saisir les tribunaux. Si les services de counselling et les dispositions relatives à un dédommagement pouvaient les aider dès le départ, il serait excellent qu'une telle ordonnance soit obligatoire.

Mme Pentz : Si les dispositions en matière de notification sont interprétées comme si elles veulent dire que la Couronne est tenue de notifier les victimes avant d'en arriver à une entente sur le plaidoyer ou autre, alors il est évident que cela retarderait le processus. Je dois vous dire que parfois, il est très difficile de retracer les victimes. Il arrive qu'elles aient déménagé. Les lettres qu'on leur envoie reviennent. Elles ne vivent plus à cette adresse. Les numéros de téléphone sont déconnectés. Nous sommes obligés de demander à un service de police de les rechercher. Il est parfois difficile de retracer les victimes et d'obtenir les commentaires que nous devrions posséder selon le projet de loi.

Il y a une autre chose qui pourrait prolonger la procédure; ce serait le fait que les victimes puissent demander une ordonnance visant à protéger leur identité à l'audience. Je n'imagine pas que la Couronne présenterait ce genre de demande très souvent, mais les victimes peuvent elles-mêmes présenter ce genre de demande. Cela va occasionner un retard et prendra probablement pas mal de temps.

Si le nombre des demandes présentées pour le compte des victimes en vue d'exercer ces droits augmente, alors cela ralentira certainement la procédure. C'est une préoccupation importante.

[English]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup à vous tous de vos témoignages. Je crois que plusieurs d'entre vous ont une préoccupation au sujet des délais. Plus tôt, la sénatrice Hervieux-Payette parlait de la problématique liée aux juges. Je pense à la situation du Québec où, malgré le fait qu'on ait ajouté cinq juges, l'automne dernier, il manque 80 procureurs de la Couronne. La charge de travail, entre le Québec et l'Ontario, est du simple au double. Il est évident que les délais dans nos palais de justice en ce moment ne sont pas tellement liés à la présence de victimes ou au processus de traitement des victimes. Un procès s'est conclu, l'an dernier, à Saint-Jérôme, à la suite de 39 remises dans une affaire de viol. Ce procès a duré cinq ans, et l'individu a été condamné à huit ans de prison. Comme son temps présentenciel comptait pour le double, il a été libéré. La défense employait toutes sortes de techniques pour étirer les délais, parce que le temps comptait pour le double.

Les délais sont trop longs et les procès sont remis. On l'a vu dans le cas du juge Brunton, qui a remis en liberté 31 Hells Angels, à Montréal, parce que les délais avaient duré quatre ans et plus. Ces délais sont déjà souvent étirés par la défense. Je me demande donc pourquoi vous croyez que cette charte fera en sorte que les victimes pourront prolonger les délais?

[Translation]

Mme Pentz : Les retards causés par la victime ne sont pas une grave préoccupation et je sais très bien que le système actuel est déjà lent. Cela vient en grande partie des mesures prises par l'accusé. Si le projet de loi permet aux victimes de présenter davantage de demandes de ce genre, nous espérons qu'elles seront examinées rapidement, mais si ce n'est pas possible, ces demandes vont effectivement retarder quelque peu le processus. Ce ne sera pas comparable aux retards causés par ailleurs, mais les tribunaux devront prendre le temps d'examiner ces demandes.

[English]

Le sénateur Boisvenu : Madame Yanful, vous avez parlé, dans votre présentation, du fait que l'on attribue le titre de victime à une personne même si son agresseur n'est pas reconnu coupable. Vous avez émis cette crainte, n'est-ce pas?

[Translation]

Mme Yanful : Oui, sénateur. Merci. En tant qu'avocate de la défense, je me pose des questions; au nom du CCAD, je dirais que la terminologie utilisée — le mot « victime » — avant que la culpabilité ait été décidée, avant la condamnation est inquiétante; cela est un peu trompeur et crée de la confusion. À cette étape, cette personne doit être qualifiée de plaignante.

Les modifications que propose le projet de loi tendraient à remplacer le mot « plaignant » que l'on trouve dans le code par le mot « victime ». Nous estimons que c'est une erreur. Avant que la condamnation ait été prononcée, il faudrait parler de plaignant, tout comme l'accusé devrait être appelé l'accusé et non pas le délinquant. Tant que le procès n'est pas terminé, il n'est pas possible de tirer cette conclusion.

[English]

Le sénateur Boisvenu : Dans plusieurs provinces, dans les cas de viol ou d'agressions sexuelles, entre autres, on accorde déjà aux femmes qui portent plainte la notion de victime. Même s'il n'y a pas de procès ou d'accusation, on reconnaît la notion de victime à quelqu'un qui porte plainte. Il me semble que cette pratique existe déjà.

[Translation]

Mme Yanful : Cela se fait, sénateur, dans certaines situations. Nous disons tout simplement qu'il est effectivement possible qu'une telle personne puisse être considérée comme une victime en raison de la terrible tragédie qu'elle a vécue. Nous avons entendu des témoins du premier groupe qui ont vécu des choses tout à fait incroyables — je ne peux même pas les imaginer. Dans une certaine mesure, ce sont des victimes par rapport à ce qui leur est arrivé, mais pour ce qui est de leur statut devant le tribunal et par rapport à l'accusé, nous estimons que le projet de loi modifie les termes utilisés pour les victimes, qui passent de plaignant à victime, et que cela n'est pas approprié dans ce genre de situation.

[English]

La sénatrice Hervieux-Payette : Bienvenue à vous tous. Le Barreau canadien est un peu la bible dans le domaine du droit — et je parle des principes ou de la théorie. Or, vous avez recommandé plus que la suppression de certains articles. Je me demandais si on vous a donné des raisons pour ne pas faire supprimer ces articles. Somme toute, lorsqu'un article du projet de loi risque de nuire à la bonne gouvernance d'une cause, normalement on n'hésite pas à retirer ces articles.

Pouvez-vous me donner les raisons pour lesquelles vos recommandations n'ont pas été retenues?

[Translation]

Mme Pentz : Excusez-moi, pourquoi nos recommandations n'ont-elles pas été...

La sénatrice Hervieux-Payette : N'ont pas été acceptées au...

Mme Pentz : Oh, au niveau parlementaire.

La sénatrice Hervieux-Payette : Oui.

Mme Pentz : Je ne suis pas vraiment en mesure de vous parler de cet aspect. Nous avons formulé nos recommandations et présenté notre projet de loi à ce moment-là, mais il semble qu'on ait évidemment pensé que ces recommandations n'étaient pas suffisamment nécessaires pour que le projet de loi soit modifié.

Je crois que certaines de nos recommandations reflètent des préoccupations sur la façon dont ces dispositions pourraient être interprétées et ne portent pas directement sur le projet de loi lui-même, même si nous sommes convaincus que l'article 17 ne résisterait pas à une contestation constitutionnelle.

[English]

La sénatrice Hervieux-Payette : C'est pourquoi je ne m'en tiens qu'aux principes. Une loi qui n'est pas claire pose des problèmes, même pour la victime. Voilà pourquoi je vous posais la question. Il serait simple de s'assurer que la loi est claire, qu'elle est facilement applicable et qu'elle ne provoque pas de délais.

Somme toute, je pense que la plus grande critique qu'on ait entendue de la part des témoins est que les délais finissaient par être une négation des droits des personnes. J'aurais souhaité qu'on puisse, à notre comité, accepter vos demandes de correction afin que la loi puisse être appliquée facilement. En général, si je vous comprends bien, est-ce que vous croyez que la loi en tant que telle permettra d'améliorer le sort des victimes?

[Translation]

Mme Pentz : Elle va certainement améliorer le sort des victimes, parce qu'elle protège leurs droits, mais un des éléments essentiels pour nous est qu'il faudrait inclure un volet éducatif; il faut que la loi soit claire, que les victimes sachent quels sont leurs droits et éviter de leur donner de faux espoirs.

C'est le commentaire que nous avons fait à propos d'un certain nombre d'aspects, à savoir qu'il est possible d'interpréter un droit de différentes façons. Nous ne voulions pas courir le risque que les victimes donnent à ces droits une interprétation que les autorités n'utilisent pas, car elles risqueraient d'être très déçues par le système parce qu'elles croyaient avoir un droit qu'elles ne possèdent pas vraiment.

Mais cette loi représente toutefois un immense progrès sur le plan des droits. Ce document guidera tous les acteurs du système de justice pénale qui devront veiller à ce que ces droits soient respectés.

Le sénateur Plett : Je remercie les témoins d'être venus. J'aimerais faire un ou deux commentaires et ensuite, poser quelques questions. Monsieur le président, je vais poser mes questions au départ, pour une question de temps.

Je m'excuse auprès du Conseil canadien des avocats de la défense ainsi que de l'Association du barreau canadien si je suis un peu partial à leur endroit, mais j'ai toujours l'impression, lorsque vous comparaissez devant nos comités, que vous êtes davantage préoccupés par l'accusé ou par l'auteur d'une infraction que par la victime et par ses droits. Bien entendu, ce projet de loi ne s'appelle pas la Charte des droits de l'accusé, mais plutôt la Charte des droits des victimes. C'est l'aspect qui m'importe le plus; ce n'est pas l'auteur de l'infraction.

Madame Yanful, comme le sénateur Boisvenu l'a fait remarquer, lorsqu'un crime a été commis, il y a une victime. Appeler une victime par un autre nom que celui de victime me paraît tout à fait choquant.

Nous avons entendu les ministres MacKay et Blaney, des ministères de la Justice et de la Sécurité publique, qui nous ont parlé des consultations approfondies qu'ils ont menées au sujet de ce projet de loi.

Ma question s'adresse certainement à l'Association du Barreau, mais peut-être aussi au Conseil canadien des avocats de la défense; vous avez des membres. J'aimerais obtenir quelques réponses. Si vous ne pouvez pas nous les fournir aujourd'hui, vous pourriez peut-être nous les envoyer plus tard, mais j'aimerais obtenir des chiffres assez précis.

J'aimerais savoir combien de membres de votre association vous avez consultés au sujet de votre position concernant la Charte des droits des victimes. Pourriez-vous me dire comment vous les avez consultés, par exemple, si vous avez procédé par téléconférence, par courriel ou par un autre moyen? J'aimerais connaître le nombre des personnes qui ont répondu à ces consultations. J'aimerais savoir quel est le nombre de ces personnes, celui des avocats que vous avez consultés, qui sont réellement spécialisés dans les droits des victimes.

Si vous pouvez nous fournir ces réponses immédiatement, c'est parfait, mais si ce n'est pas le cas, j'aimerais beaucoup que vous nous communiquiez plus tard ces réponses.

Mme Pentz : De mon côté, je peux vous dire qu'en ma qualité de présidente de la division de la Nouvelle-Écosse, j'ai envoyé un courriel à tous nos membres pour les inviter à commenter le projet de loi. Je ne me rappelle pas combien ont répondu, mais, pour être franche, ils n'ont pas été nombreux. Comme procureure de la Couronne, j'avais évidemment reçu les commentaires de mes collègues sur la question. Je ne sais pas si nous pourrons être plus précis ou vous fournir les chiffres.

Mme Schellenberg : Je ne peux vous donner les chiffres exacts, mais je peux vous parler du processus, qui est représentatif et démocratique. Nous avons des représentants, comme Mme Pentz, dans toutes les régions du pays. Ils ont la responsabilité de donner à tous leurs membres toutes les occasions possibles de commenter le projet de loi à l'échelle locale. Ils relaient ensuite les commentaires au groupe national composé de quelque 35 personnes.

Le sénateur Plett : Combien, parmi eux, se spécialisent dans la législation sur les droits des victimes?

Mme Schellenberg : Près de la moitié de nos membres de la section de la justice pénale sont des procureurs et je dirais qu'ils se spécialisent en droits des victimes puisqu'ils représentent des victimes tous les jours.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à l'article 23 du projet de loi dont vous avez parlé, mesdames Yanful et Pentz, concernant le prononcé des peines. C'est l'article 24 qui me préoccupe surtout, la disposition qui modifie l'alinéa 718.2e), qui renvoie essentiellement au principe Gladue relatif à la protection des contrevenants autochtones.

Si ma mémoire est bonne, la décision Gladue est ancrée dans l'article 25 de la Charte qui protège les droits des peuples autochtones au Canada. La Cour suprême a fait une dérogation spéciale à l'endroit des Autochtones concernant le prononcé de la peine. Autrement dit, pour le prononcé de la sentence, la Cour suprême en est arrivée à la conclusion que, pour les motifs enchâssés dans l'article 25 de la Charte, les Autochtones ont droit à une attention particulière.

Cette modification diluerait de toute évidence cette conclusion de la Cour suprême. À mon avis, comme la décision de la Cour suprême est enracinée dans les droits constitutionnels des peuples autochtones, il me semble que cet article pourrait faire l'objet de contestations judiciaires pour le motif constitutionnel que la Cour suprême a déjà confirmé, dans l'arrêt Gladue, que nous ne pouvons toucher à ce principe. Que pensez-vous de ma conclusion voulant que cet article pourrait ouvrir la porte à des contestations judiciaires?

Mme Pentz : Je pense que des témoins ont déjà soulevé ce point et c'était aussi l'une de nos préoccupations : qu'en mettant l'accent sur cet article, c'est-à-dire sur le tort causé aux victimes, nous risquons de diminuer l'importance accordée au statut d'autochtone d'un contrevenant. Oui, nous trouvons votre remarque fort pertinente.

Le sénateur Joyal : Madame Yanful, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Yanful : Sénateur, nous serions d'accord, surtout à cause de la structure du libellé, du fait que le contrevenant autochtone est encore mentionné à la toute fin. La protection de la société vient en premier, avant la prise en compte des contrevenants autochtones, et cela nous préoccupe aussi.

Le sénateur Joyal : Ma prochaine question concerne l'article 17 du projet de loi, à savoir le droit d'un témoin de témoigner en toute confidentialité, autrement dit, hors de la présence de l'accusé. Je relis l'article 17 du projet de loi. Il semble satisfaire aux conditions de l'article 1 de la Charte. Il y a des droits dans la Charte, par exemple à l'article 7, qui pourraient être visés par l'article 1. Parmi ces droits, il y a celui d'être interprété dans le cadre d'une société libre et démocratique, dans des limites raisonnables. Je lis l'article 17 du projet de loi pour voir s'il y a dépassement de la limite raisonnable, ce qui pourrait donner un argument à quiconque voudrait démontrer qu'il porte atteinte au droit fondamental à une défense entière, juste et complète. Ne pensez-vous pas qu'il y aurait ici matière à sauver l'article 17 du projet de loi?

Mme Pentz : Lorsque le ministre MacKay a pris la parole pour répondre à une question au sujet de l'article 17, je sais qu'il a parlé de crime organisé, d'agents de police d'infiltration et peut-être de certaines infractions terroristes et de la protection qu'il faut accorder à ces gens. Le problème, c'est qu'à l'article 12 du projet de loi sur les droits des victimes, on peut lire : « Toute victime a le droit de demander à ce que son identité soit protégée . . . » La portée de cette disposition est beaucoup trop large. Oui, il peut y avoir une très petite catégorie de témoins à l'égard desquels cette disposition pourrait être justifiée au titre de l'article 1, mais le projet de loi va trop loin en disant que « toute victime » a le droit de faire cette demande. Selon nous, cette disposition a une portée trop large.

Le président : Je vous remercie pour vos réponses concises.

La sénatrice Batters : Madame Yanful, vous avez parlé tout à l'heure de votre définition du mot « victime ». Je me demande si Dale Sutherland, que nous avons entendu plus tôt aujourd'hui, serait inclus dans cette définition. L'agresseur auquel il a malheureusement eu affaire était Ernest MacIntosh, qui a commencé à le molester dès l'âge de neuf ans. M. Sutherland a porté sa cause jusqu'à la Cour suprême qui a rejeté les accusations en raison du délai écoulé, comme nous l'avons appris aujourd'hui. Selon vous, Dale Sutherland est-il une victime?

Mme Yanful : Je pense que notre problème avec la nouvelle terminologie reflète davantage le fait qu'elle ne permet pas de faire une distinction entre les divers degrés de victimisation.

Oui, le remplacement du terme « plaignant » par celui de « victime » nous pose problème; et si, en plus, on élargit la notion de victime, qu'est-ce que cela veut dire alors? Qui sera englobé dans la définition? Pourquoi n'y inclut-elle pas les membres de la famille des agresseurs?

La sénatrice Batters : Je vous demande précisément si vous considérez Dale Sutherland comme une victime, étant donné que les accusations portées contre Ernest MacIntosh ont été rejetées en raison du délai?

Mme Yanful : Je ne peux répondre à cela, madame la sénatrice.

La sénatrice Batters : J'aimerais poser une question à Mme Pentz et ajouter, en passant, que je suis membre de ce comité depuis deux ans environ. À ma connaissance, nous n'avons encore jamais accueilli un membre de l'Association du Barreau canadien qui soit favorable à un projet de loi présenté par le gouvernement. Habituellement, votre organisation nous dit toujours qu'un aspect ou un autre de notre projet de loi sera inconstitutionnel.

Un exemple est notre projet de loi sur la prostitution, le projet de loi C-36, que j'ai parrainé au Sénat, et auquel l'ABC s'est opposée, le jugeant inconstitutionnel. Je pense qu'il est intéressant de souligner que le procureur général du gouvernement libéral de l'Ontario a conclu aujourd'hui qu'il était « constitutionnellement valide ».

Quoi qu'il en soit, je suis contente de lire, dans le mémoire que vous avez déposé aujourd'hui sur le projet de loi sur la Charte des droits des victimes, ce commentaire de votre organisation :

Ce projet de loi constitue un jalon important pour les victimes d'actes criminels. Dans son ensemble, ce projet de loi est responsable et confère aux victimes des droits particuliers sans créer d'importants obstacles procéduraux à l'administration de la justice pénale au Canada.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les parties du projet de loi que vous appuyez en tant que représentants de la profession juridique, dont font partie de nombreux procureurs de la Couronne, comme vous. Dans quelle mesure la Charte des droits des victimes est-elle importante au sein de notre profession juridique?

Mme Pentz : Nous sommes certes favorables à la composante informationnelle. Les victimes devraient être tenues informées. Elles doivent savoir auprès de qui se procurer cette information et quelqu'un doit communiquer avec elles pour leur fournir. Il revient en grande partie aux services aux victimes, du moins dans ma province, de tenir les victimes informées. Elles doivent avoir une communication ouverte avec la Couronne pour savoir où en est rendue leur cause.

Là où nous avons une sorte de problème, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, c'est qu'il nous est parfois impossible de les tenir informées sur chacune des étapes à venir, avant son déroulement. En tant que procureurs, nous souhaiterions avoir plus de consultations avant, mais ce n'est pas toujours possible dans notre système de justice.

[English]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à Mme Roy. Selon vous, dans quelle proportion croyez-vous que les victimes ou leurs proches voudront participer au processus en fonction la Charte des droits des victimes? S'il y a un meilleur accès à l'information par l'entremise de cette charte, est-ce que ce sera suffisant pour ces personnes?

Mme Roy : C'est dans l'application de la charte que nous serons en mesure de déterminer si c'est suffisant. Toutefois, j'aimerais vous rappeler que nous représentons près de 600 familles qui ont vécu des drames innommables. Or, cette charte leur donne un meilleur accès à l'information, elle leur permet une plus grande participation au sein du système, et surtout, elle leur fait une plus grande place au sein du système de justice.

Peut-être que cette charte n'est pas parfaite, mais, à mon avis, les tribunaux n'auront pas d'autre choix que de tenir compte de ces droits, et l'interprétation qu'ils en feront donnera une plus grande place aux victimes.

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, madame Roy.

[Translation]

Le sénateur McIntyre : Je remercie chacun de vous pour vos exposés. Ma question s'adresse à l'Association du Barreau canadien.

Dans son mémoire, votre association formule neuf recommandations concernant le projet de loi C-32. Nous n'avons évidemment pas le temps de passer chacune d'elles en revue. J'attire toutefois votre attention sur la recommandation no 1 de votre mémoire, à la page 2, qui se lit ainsi :

La Section de l'ABC recommande que l'alinéa 7a) indique expressément qu'elle ne donne pas à la victime le droit d'avoir accès aux documents d'enquête.

Vous expliquez ensuite ce qu'on entend par documents d'enquête, et allez même jusqu'à laisser entendre que l'accès à ces documents « serait impossible à appliquer par les poursuivants et pour l'administration globale de la justice ».

Corrigez-moi si je me trompe, mais mon interprétation du projet de loi C-52 est que celui-ci est structuré de manière à régler ce problème. Comme vous le savez, ce projet de loi a des limites. Il doit être appliqué de manière raisonnable dans les circonstances et ne doit pas porter atteinte au pouvoir discrétionnaire des policiers, ni au pouvoir discrétionnaire ministériel, ni causer des délais ou compromettre une enquête, ni porter atteinte au pouvoir discrétionnaire du poursuivant, ni causer des délais ou compromettre une poursuite. Puis-je avoir votre opinion à ce sujet?

Mme Pentz : Vous avez tout à fait raison et c'est ainsi que ce projet de loi sera interprété par moi-même et par d'autres intervenants du système de justice. Notre préoccupation, c'est la manière dont le terme « issue » sera interprété par les victimes, parce que bon nombre d'entre elles veulent savoir à qui les policiers ont parlé, ce qu'ont dit les témoins. Nous ne pouvons pas leur communiquer cette information et je pense que ce projet de loi va dans le même sens que nous. Par contre, si les victimes pensent que le terme « issue » s'entend des fruits de l'enquête, nous craignons de les décevoir grandement lorsque nous leur dirons que non, que ce n'est pas le cas. Nous ne voulons pas susciter chez elles des attentes qui ne se concrétiseront pas et leur donneront le sentiment d'être abandonnées par le système.

Le président : La dernière question revient au sénateur White.

Le sénateur White : Merci beaucoup, monsieur le président. Je vais essayer d'être bref, mais cela va être difficile.

Concernant les déclarations au nom d'une collectivité, je crois comprendre qu'elles ont déjà été utilisées, certainement à Ottawa, dans des affaires de stupéfiants. Un juge n'a pas voulu que la loi prescrive qui peut les présenter. En fait, le juge voulait décider lui-même d'accepter ou non les déclarations, selon la nature de ces dernières; bon nombre d'entre elles étaient donc présentées par des policiers. Pourquoi pensez-vous que nous tenons tant à ce que cela soit prescrit par la loi au lieu de laisser les juges ou les tribunaux décider si oui ou non elles sont représentatives de la collectivité?

Mme Pentz : En fin de compte, cette décision reviendra au juge, mais à notre avis, le projet de loi devrait être plus directif — il y a beaucoup de directives sur la teneur de la déclaration des dommages subis par la victime, mais peu sur la teneur de la déclaration au nom de la collectivité. Nous voulons nous assurer que la personne qui fait une déclaration au nom de la collectivité, quelle qu'elle soit, représente vraiment les intérêts de la collectivité.

Mais vous avez raison. En dernier ressort, il reviendra au juge de décider. Nous avons simplement l'impression qu'il serait utile de donner des lignes directrices sur la manière de déterminer cela.

Le sénateur White : Madame Yanful, j'ai passé 32 ans dans le domaine du maintien de l'ordre. J'ai vu des victimes dont les agresseurs ont été accusés sans être reconnus coupables et d'autres victimes dont les agresseurs n'ont jamais été accusés. J'ai vu des victimes dont les agresseurs n'ont jamais été trouvés. Dans un cas à Yellowknife — je suis content que vous l'ayez mentionné — j'ai vu des centaines d'anciens résidants de pensionnat victimes d'abus de la part d'agresseurs aujourd'hui décédés. Je vous assure que chacune de ces personnes était une victime. Autant je respecte votre opinion à ce sujet, autant je trouve difficile de ne pas considérer ces personnes comme des victimes.

Le président : Mesdames et messieurs, je vous remercie sincèrement. Vos témoignages sont appréciés.

(La séance est levée.)


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