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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 30 - Témoignages du 6 mai 2015


OTTAWA, le mercredi 6 mai 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, se réunit aujourd'hui, à 16 h 15 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je souhaite la bienvenue aux membres du comité, aux invités et aux membres du public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous étudions aujourd'hui le projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Le projet de loi C-2 crée un régime d'exemption distinct pour les activités des sites de consommation supervisée au Canada. Le projet de loi a été déposé initialement en réponse à la décision de la Cour suprême du Canada en 2011, plus couramment appelée la décision concernant l'affaire Insite.

Je rappelle à ceux qui nous regardent que les réunions du comité sont ouvertes au public et diffusées sur le web à l'adresse parl.gc.ca. De plus amples renseignements sur l'horaire de comparution des témoins sont accessibles sur ce site web sous la rubrique « Comités du Sénat ».

Pour lancer notre étude du projet de loi, nous accueillons l'honorable Rona Ambrose, ministre de la Santé, et l'honorable Steven Blaney, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

La ministre Ambrose est accompagnée des représentants suivants de Santé Canada : Hilary Geller, sous-ministre adjointe, Direction générale de la santé environnementale et de la sécurité des consommateurs; Diane Labelle, avocate générale, Services juridiques; et Jacqueline Gonçalves, directrice générale, Direction des substances contrôlées et de la lutte au tabagisme.

Le ministre Blaney est accompagné de Trevor Bhupsingh, directeur général, Direction générale de l'application de la loi et des stratégies frontalières, Sécurité publique Canada; ainsi que du surintendant principal Eric Slinn, directeur général, Services de soutien aux opérations, Police fédérale, Gendarmerie royale du Canada (GRC).

Avant de commencer, je rappelle aux sénateurs que les ministres sont avec nous aujourd'hui pour la première heure seulement, et les représentants resteront pour la deuxième heure.

Madame la ministre Ambrose, nous allons commencer par votre déclaration préliminaire.

L'honorable Rona Ambrose, C.P., députée, ministre de la Santé : Merci, monsieur le président de me donner l'occasion de comparaître devant le comité afin de présenter un aperçu de la Loi sur le respect des collectivités qui est proposée. J'aimerais profiter de l'occasion pour remercier le sénateur Dagenais en particulier d'avoir parrainé ce projet de loi au Sénat.

Monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du comité, la consommation de drogues illicites est une préoccupation très grave en matière de santé publique et de sécurité publique. En bref, les drogues dangereuses comme l'héroïne peuvent détruire des vies, déchirer des familles et accroître l'insécurité dans nos rues et nos collectivités.

Grâce à la Stratégie nationale antidrogue de notre gouvernement, nous avons réalisé des progrès importants au chapitre de la réduction de l'offre et de la demande pour ces drogues en plus de lutter contre la criminalité qui y est associée. L'adoption du projet de loi C-2 garantirait que les exemptions pour des activités liées à l'utilisation de substances illégales dans les centres d'injection supervisée seraient examinées uniquement lorsque les critères énoncés dans le projet de loi sont respectés.

Ces mesures destinées à remédier à des risques très réels pour la santé et la sécurité publiques sont les raisons pour lesquelles je dois également prendre une minute pour informer les membres du comité des préoccupations que nous avons, le ministre de la Sécurité publique et moi-même, relativement aux commentaires récents du chef du Parti libéral. Dans une entrevue qu'il a accordée dernièrement aux médias, M. Trudeau a déclaré qu'il veut certainement voir la mise en place d'un plus grand nombre de sites d'injection au pays. Je soulève ce point parce que, lorsque nous nous penchons sur une telle question pressante de politique publique, je crois que l'engagement aveugle d'ouvrir des centres d'injection de drogues dans les collectivités au Canada est une approche profondément irresponsable.

J'étais très déçue que le Parti libéral à la Chambre n'appuie pas ce projet de loi. J'aimerais demander à tous les sénateurs ici présents aujourd'hui d'examiner ce projet de loi avec un regard neuf.

Comme vous le savez tous, ce projet de loi améliorerait le processus d'examen des propositions relatives à de nouveaux centres d'injection. L'objectif principal de la Loi sur le respect des collectivités est d'améliorer le système actuellement en vigueur concernant l'examen des demandes d'exemption en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, soit la LRDS.

Le projet de loi C-2 modifierait la LRDS afin de créer deux régimes d'exemption distincts. Le premier régime s'appliquerait aux substances contrôlées obtenues auprès de sources légales. Le deuxième régime s'appliquerait aux substances contrôlées illégalement obtenues dans la rue. Je pense qu'il s'agit là d'une distinction très importante. Nous ne modifions pas le processus permettant aux responsables de l'application de la loi ou à d'autres professionnels d'entreprendre des travaux en toute légitimité avec des drogues contrôlées. Ces dispositions demeureront intactes.

Cette loi établira un processus spécial pour les drogues illicites dans le but de dissiper les préoccupations très réelles pour la santé et la sécurité publiques que suscite la vente de drogues comme l'héroïne dans la rue.

Le projet de loi énonce les critères que devront respecter les personnes désirant établir un centre d'injection de drogues avant qu'une telle demande puisse être examinée. Ces critères sont fondés sur les facteurs établis par la Cour suprême du Canada dans sa décision de 2011 relative au maintien d'Insite.

Dans cette décision, la cour a été on ne peut plus claire : elle a ordonné que, en ma qualité de ministre de la Santé, je tienne compte de facteurs précis dans l'examen des demandes d'exemptions aux lois canadiennes sur les drogues dans le but de créer ce genre de centres. Je n'ai pas le choix d'en tenir compte.

Voici donc les facteurs qui sont ajoutés à la loi : la preuve, si preuve il y a, concernant l'incidence d'un tel centre sur le taux de criminalité, les conditions locales indiquant qu'un centre d'injection supervisée répond à un besoin, la structure réglementaire en place permettant d'encadrer le centre, les ressources disponibles pour voir à l'entretien du centre et, plus important encore, les expressions d'appui ou d'opposition de la communauté.

J'estime qu'il est particulièrement important que le comité tienne compte du dernier point relatif à l'appui ou à l'opposition de la communauté. Notre gouvernement croit sincèrement, à l'instar de la Cour suprême, que les collectivités méritent d'avoir leur mot à dire concernant tout projet visant à créer un centre d'injection supervisée. Voici ce que la cour dit dans sa décision :

[...] n'autorise pas les consommateurs de drogues injectables à posséder des drogues à leur guise, n'importe où et n'importe quand. Il ne s'agit pas non plus d'inviter quiconque le désire à ouvrir un centre de consommation de drogues en le présentant comme un « centre d'injection supervisée ».

Notre gouvernement respecte cette décision du plus haut tribunal au pays, et c'est dans cette optique que nous présentons la Loi sur le respect des collectivités.

J'aimerais mettre l'accent sur un dernier élément quant à l'incidence éventuelle de ce projet de loi sur des Canadiens ordinaires qui pourraient être touchés par des demandes relatives à un centre d'injection de drogues supervisée. En vertu de ce projet de loi, les demandeurs doivent fournir des rapports de consultation menés auprès des professionnels de la santé, les organismes provinciaux de réglementation et un large éventail de groupes communautaires dans la municipalité visée par la proposition.

Le projet de loi veille également à ce que des Canadiens individuels puissent participer directement. Plus précisément, le projet de loi prévoit l'affichage public d'une demande. Une fois la demande affichée, les membres du public ont 90 jours pour formuler des commentaires et émettre des points de vue sur le centre proposé.

Monsieur le président, en concluant, j'aimerais également faire ressortir quelques déclarations clés des témoins durant l'étude du comité à la Chambre. Au cours de cette étude, l'inclusion des points de vue de la collectivité a obtenu l'appui général. En fait, le président de la Toronto Police Association a dit :

Les policiers devraient être consultés, et il faudrait établir un dialogue plus soutenu et fournir des preuves relativement à l'impact que cela aura sur nos ressources policières déjà grevées.

Lorsqu'on a demandé au président de l'Association des policiers d'Ottawa s'il pensait qu'il y avait lieu de consulter également les parents et les entreprises de la localité, il était clairement d'avis qu'il était essentiel d'obtenir l'opinion des parents et des entreprises de la collectivité.

De plus, le chef de police de Waterloo a dit :

Nous sommes heureux de constater un processus clair qui fournira des critères pour les consultations communautaires avant qu'une décision ne soit prise par la ministre de la Santé.

Les organisations policières n'ont pas été les seules à prendre la parole en faveur du projet de loi. De nombreuses organisations locales représentant des familles canadiennes ordinaires ont également fait valoir leurs points de vue. Chris Grinham, représentant de l'organisation Safer Ottawa, a dit ceci :

[...] pour commencer à lutter contre ces problèmes, il faut d'abord réunir tous les intervenants. Il faut permettre aux parties intéressées d'exprimer leur opinion.

Alors, monsieur le président, je pense qu'il y a clairement un intérêt réel des Canadiens de participer davantage au processus. Je crois que le projet de loi adopte une approche équilibrée. Je crois fermement que nous sommes sur la bonne voie, celle qui favorisera la protection de la santé et de la sécurité publiques de tous les Canadiens, mais surtout, qui leur permettra de s'exprimer.

J'aimerais également aborder brièvement l'engagement de notre gouvernement à l'égard du soutien des Canadiens aux prises avec des problèmes de toxicomanie et de dépendance. Notre gouvernement continuera de soutenir les programmes de désintoxication qui permettent aux toxicomanes de surmonter leurs dépendances tout en veillant également à assurer la sécurité de nos rues et de nos collectivités.

Plus tôt cette année, j'ai participé au sommet national sur le rétablissement de la dépendance, organisé par le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, qui a rassemblé plus de 40 experts provenant d'un éventail d'organisations canadiennes vouées au rétablissement. Je suis engagée à soutenir les Canadiens qui veulent retrouver une vie exempte de drogues. En outre, nous continuerons à renforcer notre bilan, avec plus ou moins 13 millions de dollars désormais alloués chaque année au soutien des provinces et des territoires pour l'élaboration d'approches novatrices pour traiter la toxicomanie.

Cela dit, monsieur le président, je vous remercie de m'avoir consacré de votre temps et je cède la parole à mon collègue, le ministre Blaney, qui fera également quelques remarques.

L'honorable Steven Blaney, P.C., député, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile : Je vous remercie, monsieur le président. Je veux remercier notre ministre de la Santé, Mme Ambrose, de son esprit d'initiative à l'égard de ce dossier important.

[Français]

C'est un privilège de rencontrer les sénateurs aujourd'hui pour aborder les enjeux de sécurité publique liés au projet de loi C-2, Loi sur le respect des collectivités.

[Traduction]

Monsieur le président, notre gouvernement conservateur a un solide bilan lorsqu'il s'agit de prendre des mesures pour protéger les Canadiens. Justement, nous prévoyons voter en faveur du projet de loi C-51, nos mesures contre le terrorisme, ce soir, à la troisième lecture. Il vous sera ensuite transmis pour consultation; d'ailleurs, je me suis déjà rendu disponible à cet égard et j'ai rencontré vos partenaires.

Monsieur le président, notre gouvernement conservateur est engagé à donner aux victimes d'actes criminels une voix plus forte dans le système de justice pénale. Ce projet de loi englobe le projet de loi C-32, la Charte canadienne des droits des victimes, qui a récemment reçu la sanction royale — et je vois ici notre collègue, le sénateur Boisvenu.

Nous avons également donné à la police plus d'outils pour empêcher que des crimes soient commis. Vous souhaitez peut-être savoir que dans notre dernier budget, nous investissons près de 300 millions de dollars pour lutter contre le terrorisme, au-delà du fait que, par rapport à la dernière décennie, nous avons augmenté d'un tiers le financement alloué aux organismes de sécurité nationaux.

[Français]

Nous avons renforcé les lois afin que les contrevenants reçoivent des sentences qui correspondent à la gravité des crimes qu'ils ont commis. Le point commun dans l'ensemble de ces initiatives est toujours le même, la sécurité des Canadiennes et des Canadiens.

En ce qui concerne la Loi sur le respect des collectivités, nous allons continuer à prendre des mesures pour assurer la sécurité de la population canadienne.

[Traduction]

Les Canadiens respectueux des lois méritent de savoir ce qui se passe dans leur quartier et ils doivent avoir l'occasion de contribuer aux décisions susceptibles d'avoir une incidence sur leur sécurité. Comme vient de le dire la ministre Ambrose, cette participation se révèle maintenant plus essentielle lorsque des décisions sont prises relativement à l'emplacement des sites de consommation supervisée.

[Français]

Les décisions sur l'emplacement de ces centres ne devraient pas être prises à huis clos. Elles devraient plutôt être prises, comme le propose le projet de loi, dans le cadre d'un processus transparent et exhaustif auquel toutes les parties concernées pourraient participer. Parmi ces parties, on compte les résidents, les groupes communautaires, les responsables de la santé publique, et aussi les services de police et les ministres provinciaux et territoriaux responsables de la santé et de la sécurité publique.

Il est important que les intervenants qui sont directement concernés soient à la table des discussions et des décisions. Ils doivent avoir l'occasion de se faire entendre. C'est l'objet de ce projet de loi. Il fera en sorte que toute demande faite par un organisme en vue d'établir un centre de consommation de drogue supervisé soit assujettie à une évaluation attentive avant que la ministre de la Santé prenne une décision à ce sujet.

[Traduction]

Évidemment, la possession et la consommation de drogues dangereuses comme l'héroïne comportent des risques inhérents. Il faut consulter les responsables de l'application de la loi et les membres de la collectivité. Les Canadiens ont le droit de savoir que leurs enfants sont protégés contre les toxicomanes.

Monsieur le président, depuis l'arrivée au pouvoir de notre gouvernement conservateur il y a neuf ans, nous avons pris des moyens considérables pour attaquer de front la criminalité associée à la drogue dans nos collectivités. Nous avons considérablement investi dans la Stratégie nationale antidrogue, qui vise à lutter contre la production et la distribution de drogues illicites. Nous continuons de soutenir les programmes de prévention du crime dans le cadre de la Stratégie nationale pour la prévention du crime, en travaillant dans le but d'aider les jeunes à risque à se tenir loin des activités criminelles liées à la drogue.

Nous avons adopté des lois qui prévoient des peines carcérales obligatoires plus sévères pour les infractions graves liées à la drogue, notamment celles commises par le crime organisé et celles qui ciblent nos enfants.

[Français]

Bref, notre gouvernement est fermement résolu à assurer la sécurité des collectivités et à réduire le taux de criminalité lié à la drogue. La Loi sur le respect des collectivités est un projet de loi important qui soutiendra nos efforts à cet égard.

Je vous remercie, monsieur le président.

[Traduction]

Le président : Je remercie les ministres.

Nous allons commencer les questions. J'aimerais faire savoir aux sénateurs que nous avons plus ou moins 45 minutes. J'espère donc que vous en tiendrez compte, puisque les ministres quitteront la salle dans 45 minutes environ. Nous commencerons avec la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Merci aux deux ministres pour leurs exposés. Comme toujours, nous apprécions votre présence parmi nous. J'ai deux questions, et j'espère pouvoir vous poser une question à tous les deux.

Ma première question s'adresse au ministre Blaney. Monsieur le ministre, j'ai examiné ce projet de loi et je me suis creusé les méninges, parce que j'ai travaillé toute ma vie au centre-ville de Vancouver. Quand mes enfants étaient plus jeunes, des aiguilles à injection, toutes sortes de choses jonchaient le sol. Quand j'étais partie au travail, ils les ramassaient, et j'étais simplement pétrifiée. À l'entrée en vigueur de ce projet de loi, j'aurai les mêmes soucis avec ma petite-fille, parce qu'avec l'existence d'Insite, il y a un endroit sûr permettant aux gens de se faire leurs injections. Je crois que ce projet de loi fera disparaître cet environnement sûr.

La Cour suprême du Canada a clairement dit que votre pouvoir discrétionnaire n'était pas absolu; vous deviez tenir compte de l'article 7 de la Charte des droits et libertés quand il était question de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne. Je crois que ce projet de loi ne tient pas compte des questions liées à l'article 7 que la Cour suprême du Canada a précisées. Pouvez-vous me montrer où cela est précisé?

M. Blaney : Sénatrice Jaffer, je vous remercie de votre question. J'aimerais d'abord vous rassurer : toute disposition législative présentée par le gouvernement fait l'objet d'un examen de la part de notre ministère de la Justice. Nous ne pouvons pas donner d'assurance à 100 p. 100, mais nous sommes tout à fait convaincus que ce projet de loi est constitutionnel et qu'il respecte en tous points la décision rendue par la Cour suprême. Je remercie ma collègue, la ministre de la Santé, d'être parvenue à cet équilibre.

Votre deuxième question serait, franchement, une question que je vous poserais. Vous avez des enfants. J'ai des enfants. En fait, ce projet de loi demande : pensez-vous que vous devriez être consultée si un site de consommation devait ouvrir ses portes juste en face de votre maison? C'est ce que fait ce projet de loi.

La sénatrice Jaffer : Monsieur le ministre, je n'ai aucun problème avec la consultation. J'allais aborder ce point dans ma deuxième question, qui s'adresse à la ministre Ambrose. Je n'ai aucun problème à propos de la consultation. Je vous pose une question au sujet de l'article 7 de la Charte des droits et libertés, à savoir si le projet de loi respecte le critère. Avec respect, je ne crois pas que ce soit le cas. Le président va m'interrompre, alors je vais poser la question à la ministre de la Santé.

Madame la ministre, là où je vis, nous avons un hôpital, St. Paul's, qui s'occupe des personnes cardiaques pour l'ensemble de la vallée du bas Fraser. Si Insite n'existe pas, les gens qui souffrent iront à l'hôpital St. Paul's. C'est une question de ressources. Insite a permis d'économiser 17 millions de dollars. Ma préoccupation est la suivante : en l'absence d'Insite, l'hôpital St. Paul's subira de nouveau des pressions.

Je sais que vous avez passé beaucoup de temps en Colombie-Britannique, et je l'apprécie. Je ne remets pas en question la consultation auprès de la collectivité. Je vous en félicite. Ma préoccupation est l'utilisation des ressources. Je sais que vous ne payez pas pour les ressources; les ressources viennent de la province. Toutefois, ma préoccupation est la suivante : de quelle façon tenez-vous compte de l'aspect de la sécurité publique lorsque vous éliminez un site? À mes yeux, afin de prendre soin des gens, soit vous payez pour un centre Insite plus modeste, soit vous payez pour un hôpital coûteux. J'aimerais vous entendre sur la question de la santé publique.

Mme Ambrose : Je ne crois pas que ces choses sont mutuellement exclusives. Selon moi, elles se passent toutes les deux à des niveaux différents.

Au sujet d'Insite, je crois comprendre que ce centre a le soutien de la collectivité.

La sénatrice Jaffer : Oui, en effet.

Mme Ambrose : Ce projet de loi tient compte de la question des ressources. La décision de la Cour suprême cerne un aspect, entre autres, et nous l'avons ajouté au projet de loi; il s'agit des discussions qui doivent avoir lieu à propos des ressources dans le but de déterminer s'il y a des ressources appropriées pour soutenir l'existence de l'un de ces établissements. Il ne suffit pas de dire simplement : « Je veux ouvrir un de ces centres. » Vous devez consulter les autorités provinciales de santé publique. Vous devez consulter les municipalités locales. Vous devez consulter la police.

La sénatrice Jaffer : On dénombre 26 exemptions.

Mme Ambrose : Cela inclut également les questions entourant les ressources. Alors, quel que soit le demandeur, il devra disposer des ressources indiquées pour pouvoir maintenir le site.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s'adresse au ministre Blaney. Je connais le site Insite pour m'en être approché avec M. Tom Stamatakis, de la police de Vancouver. Vous dites que les policiers de Vancouver ne patrouillent pas sur le site, peut-être pour des raisons de sécurité. Je suis heureux de vous entendre dire que, pour avoir un site supervisé, il faut penser à la sécurité de la communauté, et qu'il y aura des critères assez rigoureux.

J'imagine qu'il y aura des demandeurs et des règles à suivre. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet, ainsi que sur la sécurité du site Insite? Je porte à votre attention le fait que le site Insite attire les gens des autres provinces. Il ne faut pas se le cacher, il n'y en a pas dans les autres provinces. Alors, beaucoup de gens, entre autres du Québec, se rendent à Vancouver, parce qu'ils savent que le site Insite existe. J'aimerais vous entendre au sujet des mesures de sécurité et, ensuite, j'aurai une question pour Mme Ambrose.

M. Blaney : Je vous remercie de votre question, sénateur Dagenais. Je comprends votre intérêt, étant donné votre expérience de plusieurs décennies au sein du service policier québécois, et compte tenu de vos préoccupations en matière de sécurité publique. J'avais certaines préoccupations également, mais de la manière dont le projet de loi a été préparé, nous avons cherché à nous conformer aux exigences et à la décision de la Cour suprême tout en conservant l'enjeu de la sécurité publique comme l'une de nos priorités. C'est la raison pour laquelle les corps policiers seront consultés pendant le processus éventuel de mise en œuvre d'un centre d'injection supervisé, de même que la ministre au Québec, par exemple, ou les ministres de la Sécurité publique.

Ceci étant dit, la problématique liée à la sécurité publique d'un centre d'injection crée un microcosme malsain où se retrouve une concentration élevée d'individus qui ont de sérieux problèmes de consommation. Cela a des conséquences absolument désastreuses dans la région immédiate de l'endroit, où nous nous retrouvons, notamment, avec des problèmes de prostitution et de criminalité.

Il faut également examiner l'aspect de la santé humaine et de la dignité humaine. Sénateur Dagenais, vous avez eu l'occasion d'aller à cet endroit. On doit aspirer à un meilleur modèle de développement de la société au lieu de créer ces poches de misère humaine absolument criante.

Je tiens à vous assurer que, en ce qui a trait à la sécurité publique, les autorités policières seront consultées. Cependant, nous devons être conscients qu'il s'agit d'un défi extrêmement important pour les autorités publiques et les services de sécurité, lorsqu'elles sont confrontées à la décision difficile d'envisager la mise en œuvre d'une telle installation.

Le sénateur Dagenais : J'ai une courte question pour Mme Ambrose. Lorsqu'on parle de centres d'injection supervisée, la sénatrice Jaffer a fait allusion à des hôpitaux. Y aura-t-il des intervalles lors desquels on veillera à ce que les règles des centres d'injection soient respectées?

[Traduction]

Mme Ambrose : Oui. Je pense que c'est ce qui est important, avoir des renseignements fondés sur des données probantes de la part des différents intervenants qui sont touchés, mener également des consultations très exhaustives et obtenir une rétroaction de ces intervenants.

Je trouve intéressant que la question ayant retenu le plus l'attention soit celle des consultations publiques, même si cela semble une évidence de consulter le public et le voisinage si vous prévoyez accorder une exemption à une personne qui propose la mise en place, dans ce quartier, d'un site d'injection supervisée de drogues illicites.

Les autres sections du projet de loi que j'estime extrêmement importantes, qui, en fait, ont retenu peu d'attention, ont trait aux données probantes qui découleraient de ces consultations et de notre travail avec les autorités locales en matière de santé publique et la police. Les données probantes que nous demanderions à la personne qui propose la mise en place du site seraient, par exemple, le nombre de personnes qui consomment de la drogue à proximité du site, des détails sur les décès potentiellement liés à des surdoses, les questions touchant les maladies infectieuses et s'il y a des ressources dans la collectivité pour faire face à ce genre de problèmes susceptibles d'être associés au centre d'injection. En fait, toutes ces choses qui consistent à aider les personnes qui souffrent d'une dépendance.

Le président : Nous entendons maintenant le sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur le ministre Blaney et madame la ministre Ambrose.

À la lecture du projet de loi, j'ai l'impression que votre interprétation de toutes les exigences dont vous devrez tenir compte avant de délivrer un permis est une façon indirecte de contredire ce que la Cour suprême a reconnu dans l'article 7 de la Charte. Autrement dit, les exigences se subdivisent d'une manière extrême au point où, finalement, cela revient, en réalité, à annuler l'article.

Vous avez beaucoup insisté sur des éléments de réaction de la collectivité, et ainsi de suite, et je suis d'accord avec vous. Je ne suis pas certain que j'aimerais avoir un site devant ma maison. Je suis d'accord avec ce point. L'article 7 est un article très sérieux de la Charte. L'article 7 porte sur l'intégrité et la vie des gens.

Lorsque la Cour suprême, selon ma propre interprétation de la jurisprudence du tribunal, a interprété cet article et conclu qu'une loi du Parlement ou une décision administrative contredit la protection accordée par l'article 7, elle est beaucoup plus motivée à comprendre les obstacles qui porteraient atteinte au respect de l'intégrité physique des gens.

Je comprends fort bien certaines des conditions, certaines sont tout à fait admissibles, comme une lettre de la municipalité, un organisme responsable du bien public, mais lorsque vous parlez de « collectivité », « collectivité » n'est pas définie. Ça pourrait être n'importe quoi. Il pourrait s'agir d'un groupe comme les Chevaliers de Colomb, un groupe de REAL Women ou de tout autre groupe. C'est facile pour tout le monde de trouver une personne dans un groupe communautaire qui s'opposerait à une chose ou à une autre. Vous le savez. Vous êtes un politicien et vous vous adressez à des groupes communautaires dans votre quotidien.

J'ai l'impression que le poids des exigences du projet de loi fait pencher, en réalité, une décision en faveur d'une restriction de l'article 7 qui ne respecterait pas le critère de la limite raisonnable dans l'article 1. C'est ma première réaction à la lecture du projet de loi.

Mme Ambrose : Oui, et j'ai entendu cette critique auparavant. Tout d'abord, j'aimerais dire que nous avons besoin d'un cadre; la Cour suprême a dit que c'est ce dont nous avions besoin. Nous avons besoin d'un cadre pour aborder la question.

Nous avons des gens qui sont dépendants à l'héroïne. Ils se la procurent illégalement et la consomment. Des personnes proposent d'ouvrir des centres afin qu'ils puissent s'injecter ce qui constitue une drogue très dangereuse.

Lorsque je regarde ce que nous avons indiqué dans le cadre pour nous assurer que ces gens qui souffrent d'une dépendance à des drogues très graves et dangereuses ne subissent pas de conséquences, je regarde alors ce que feront les autorités en matière de santé publique. Y aura-t-il des ressources disponibles? Y a-t-il des ressources disponibles pour le traitement de la toxicomanie? Le corps policier a-t-il les ressources qu'il faut pour s'occuper de l'activité criminelle qui en découlerait? Le quartier sera-t-il touché? Il faut tenir compte de tous ces facteurs.

Ce que je peux vous dire, si vous avez un critère spécifique qui vous semble exigeant, c'est que je vous demanderais de le préciser. Parce que, à mes yeux, je crois que ces critères sont très raisonnables. Ils sont nombreux, mais je pense que, ensemble, ils constituent un cadre.

C'est très grave d'accorder une exemption en vertu de la LRDS pour l'injection d'héroïne. Les gens font une surdose et meurent. C'est une question très grave.

Oui, il y a de nombreux critères, mais je pense qu'ils sont justifiés; nous créons un cadre exhaustif, solide pour aborder cette question. Si vous estimez qu'un critère en particulier est exigeant, je suis intéressée à savoir lequel.

Le sénateur Joyal : Il y en a un, par exemple, où vous demandez la variation du taux de criminalité à proximité du site au cours d'une période donnée, et ainsi de suite. Je suis étonné qu'on en vienne à cette limite extrême d'information alors que, en fait, le comité, au cours des années passées, a dû se pencher sur des projets de loi afin de déterminer le degré des peines à imposer et le taux de criminalité. Nous avons demandé de plus amples renseignements fondés sur des données scientifiques, et, malheureusement, nous attendons toujours.

Je dis cela sans vouloir faire de politique. J'essaie juste de comprendre, comme je le dis, l'importance du projet de loi, la précision des renseignements dont vous avez besoin.

Je ne remets pas en question le fait que l'héroïne est une drogue très dangereuse. À vrai dire, je ne conseillerais pas à qui que ce soit de prendre de l'héroïne. Si je connaissais quelqu'un qui consomme de l'héroïne, je ferais tout ce que je peux pour que cette personne suive un traitement. Là n'est pas la question.

La question consiste à déterminer dans quelle mesure nous pouvons satisfaire aux critères établis par la Cour suprême. À mon avis, c'est la seule question que nous devons trancher. Le reste est l'affaire de la police.

[Français]

M. Blaney : Le point que vous soulevez relève davantage de la sécurité publique, et c'est ce dont il était question tout à l'heure avec le sénateur Dagenais. Lorsqu'on fait une étude sur des impacts environnementaux, on se demande toujours quels effets ils auront sur la collectivité. Ici, il s'agit de l'installation d'un site. L'élément auquel vous faites référence est une description des conséquences potentielles des activités projetées à partir du site, et nous avons des études et des données à ce sujet. Au Canada, toutes ces données sont disponibles, car nous avons un historique. Nous sommes à même de voir les effets dévastateurs que la criminalité, la prostitution et la dégradation socioéconomique créent sur un environnement lié à l'installation d'un tel centre.

Ces données sont aisément accessibles et peuvent être consultées, comme c'est le cas dans d'autres domaines. Ces données offrent des critères absolument fondamentaux quant à la sécurité publique et, j'oserais dire, elles sont justifiées dans le sens où elles permettent d'évaluer l'impact de l'aménagement d'un centre d'injection. Cela fait partie du cadre à partir duquel les décideurs peuvent se prononcer quant à la pertinence d'une telle installation.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci infiniment à tous d'être ici aujourd'hui, et bienvenue en particulier à la ministre Ambrose. Je crois que c'est peut-être la première fois que vous comparaissez devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles depuis que je siège au comité, en tout cas.

J'ai apprécié votre déclaration préliminaire au sujet des différentes options de traitement et de rétablissement, qui sont toujours primordiales. Évidemment, j'ai consacré beaucoup de temps et d'efforts ces dernières années, en raison d'une tragédie personnelle, à essayer d'aider des gens aux prises avec de très importants problèmes de santé mentale, et un corollaire direct en est la toxicomanie. C'est un problème très complexe, et le rétablissement peut se révéler extrêmement ardu.

Je me demande si vous pourriez nous en dire davantage sur ce que fait le gouvernement fédéral pour aider les gens qui ont une dépendance à des drogues.

Mme Ambrose : Avec plaisir. Je pense qu'il s'agit d'un point important de la législation, ne pas oublier que, au final, nous voulons que les gens ayant une dépendance à l'héroïne obtiennent de l'aide, et qu'ils aient accès à des ressources afin de pouvoir se libérer de cette dépendance pour la vie. Comme vous le savez, les toxicomanes ont des familles, vivent dans des collectivités, se retrouvent au travail, et ils ont donc besoin de tout notre soutien.

Je dois également vous féliciter. Vous avez remporté un prix hier soir pour vos travaux sur cette même question, soit le Prix des champions de la santé mentale. Félicitations! Nous étions présents hier soir pour célébrer à cette occasion.

Bien sûr, notre gouvernement a adopté une position très ferme à l'égard de notre stratégie antidrogue, qui comprend quelques piliers : application de la loi, prévention et traitement. Notre Stratégie nationale antidrogue est dotée d'un budget de 45 millions de dollars par année consacrés, par exemple, à des partenariats avec les provinces et des programmes communautaires dans le domaine de la prévention. Évidemment, le ministre Blaney représente l'application de la loi, mais la prévention et le traitement en sont un aspect important, l'éducation des jeunes, en particulier à propos des méfaits de la drogue; et, au chapitre de la prévention, aider les gens à se défaire d'une vie de dépendance et à se rétablir, ce qui est extrêmement important.

J'aimerais souligner une chose. Cette année, nous avons élargi la Stratégie nationale antidrogue afin de rendre admissible, dans le cadre de ce programme, l'abus de médicaments d'ordonnance dans l'ensemble du pays, ce qui devient un problème très grave au Canada. La situation est déjà critique aux États-Unis, mais nous observons maintenant le problème dans certains coins du Canada.

Il se passe beaucoup de bonnes choses dans l'ensemble du pays. Je dirais que nous avons constaté quelques belles réussites, notamment le rapport récent sur la consommation de marijuana chez les adolescents. J'ai été vraiment heureuse de constater les résultats, qu'ils soient attribuables à nos campagnes publicitaires ou au travail accompli dans les écoles. À un moment, les jeunes Canadiens étaient les premiers consommateurs de marijuana par habitant au monde, selon l'UNICEF. Nous constatons maintenant, dans le plus récent rapport, que cet usage a baissé de 25 p. 100. Notre message au sujet de la marijuana rejoint donc les jeunes, et je pense que nous devons continuer en ce sens. C'est le but : accroître la sensibilisation pour soustraire nos enfants à l'influence de la drogue et soutenir ceux qui pourraient devenir dépendants à un médicament d'ordonnance; cette question est tout aussi grave, mais constitue un défi important parce que ces médicaments seraient prétendument sûrs, et les enfants ne se rendent pas compte qu'ils peuvent réellement se faire du mal.

La sénatrice Batters : À ce sujet, le 9 mai sera la Journée nationale de retour des médicaments d'ordonnance. Je voulais vous donner brièvement l'occasion de le mentionner à titre de service public.

Mme Ambrose : Je l'apprécie. Le ministre Blaney et moi-même en faisons la promotion ensemble. En fait, les chefs de police au Canada ont pris en charge la Journée nationale de retour des médicaments d'ordonnance. On demande aux gens de faire le ménage dans leurs armoires à pharmacie afin que les enfants ne mettent pas la main sur ces médicaments; vous pouvez les rapporter au poste de police local ou à une pharmacie pour en assurer l'élimination sécuritaire. Ne les jetez pas dans la toilette.

Le président : Merci. Nous allons passer au témoin suivant.

La sénatrice Fraser : Bienvenue au comité. Madame la ministre Ambrose, vous avez dit que vous étiez étonnée que les gens ne regardent pas réellement les critères. Eh bien, c'est ce qui me fascine dans ce projet de loi. Ils sont nombreux. Avant même que le ministre n'examine une demande, le demandeur doit fournir des documents ou renseignements dans 26 catégories et 17 sous-catégories. Cela fait au total 43 catégories différentes de documents ou renseignements à fournir. Et juste au cas où les 42 catégories précédentes n'étaient pas suffisantes, la 43e en rajoute : « tout autre renseignement que le ministre juge pertinent au regard de l'examen de la demande ».

Alors, une fois que le demandeur a donné suite à ces exigences — et les renseignements demandés sont extrêmement détaillés —, le ministre n'est autorisé à accorder une exemption « que s'il a tenu compte des principes suivants ». Les points qui sont ensuite énumérés ne sont pas des principes. Ce sont des considérations, non pas des principes : « a) les substances illicites peuvent avoir des effets importants sur la santé ». Cela n'est pas un principe. Le ministre doit tenir compte de six points, et ils sont tous négatifs. C'est comme la tour penchée de Pise : ils penchent tous dans la même direction.

Il me semblerait que le ministre devrait également tenir compte d'autres éléments, notamment le fait que la Cour suprême, le comité consultatif d'experts de votre propre gouvernement et les expériences de 70 villes dans le monde ont montré que les sites de consommation supervisée sauvent réellement des vies, réduisent réellement les coûts de santé et réduisent réellement la prolifération dans le voisinage de choses comme celles que la sénatrice Jaffer a évoquées, des aiguilles usagées et ainsi de suite. Or, rien de tout cela ne s'y retrouve, pas même une utilisation efficace des ressources publiques, tant au chapitre du personnel que de l'argent.

Puis, une fois qu'il a tenu compte de toutes ces choses, le ministre peut encore seulement accorder une exemption pour la création d'un site dans des circonstances exceptionnelles.

Vous attendez-vous vraiment à ce qu'un site de consommation supervisée réussisse à obtenir une approbation en vertu de ce système? Je pose sérieusement la question.

Mme Ambrose : Puis-je répondre maintenant?

La sénatrice Fraser : Oui, c'était une question.

Mme Ambrose : Merci.

Comme je l'ai dit au sénateur Joyal, je sais qu'il y a beaucoup de choses et je vous demanderais de dire, si vous les passez en revue, s'il y a un domaine particulier auquel vous pensez... Lorsque vous dites que c'est comme la tour de Pise, c'est le genre de choses que le ministre de la Santé, en raison de questions relatives à la santé publique, doit demander. J'ai besoin de tous ces renseignements si je dois faire une évaluation.

Je peux vous rassurer : tout renseignement ayant trait à la santé publique qui apporterait un point positif serait évidemment fourni. Toute preuve serait soumise au ministre de la Santé à des fins d'étude, et nous croyons que nous ferions preuve de diligence raisonnable à ce sujet.

De nouveau, j'aimerais dire qu'il s'agit d'un cadre exhaustif, mais c'est aussi une question très sérieuse que d'accorder une exemption pour la consommation de drogues illégales dans un site comme celui-là. C'est un sujet qui intéresse les autorités locales en matière de santé publique. Cela intéresse la police locale, la collectivité locale. Nous savons aussi clairement ce que le promoteur doit nous fournir, et j'ai l'impression qu'il sera prêt à le faire.

La sénatrice Fraser : Vous avez demandé des détails. Eh bien, je vous ai donné quelques détails sur les principes — pour utiliser les mots du projet de loi, car je parlerais plutôt de « considérations » — dont on devrait selon moi tenir compte.

Par exemple, il ne me semble pas pertinent d'exiger des renseignements sur d'autres services de traitement de la toxicomanie. C'est intéressant, mais ce n'est pas pertinent, parce que cela suppose que l'absence d'autres services de traitement de la toxicomanie augmenterait le besoin d'avoir quelque chose comme Insite, s'il n'y a nulle part d'autre où aller. Comprenez-vous ce que je dis? Cela m'a frappé comme étant inutile et très contraignant.

Mme Ambrose : Selon mon expérience, les promoteurs de sites comme Insite savent exactement ce que nous leur demandons et, de fait, ils ont à leur disposition beaucoup de renseignements à fournir au gouvernement.

Le sénateur McIntyre : Je remercie les deux ministres de leur exposé.

Je crois comprendre que, en rédigeant ce projet de loi, les responsables du ministère de la Justice ont été guidés par l'arrêt de la Cour suprême du Canada, lequel indiquait clairement que le ministre fédéral de la Santé doit tenir compte de cinq facteurs lorsqu'il prend une décision. Autrement dit, il s'agit de trouver un équilibre entre la sécurité publique et la santé publique.

Madame la ministre, vous avez indiqué que nous avions besoin d'un cadre juridique. Existe-t-il déjà un cadre juridique qui répond aux critères énoncés par la Cour suprême?

Mme Ambrose : Non.

Le sénateur McIntyre : Il n'y en a pas?

Mme Ambrose : Non. C'est pourquoi nous avons dû réagir en présentant un projet de loi. Ce projet de loi représentait la réaction à l'arrêt de la Cour suprême. Donc, il n'y en a pas. Le ministre peut toujours étudier des choses.

Le sénateur McIntyre : Et c'est pourquoi nous avons ce projet de loi?

Mme Ambrose : Oui.

Le sénateur McIntyre : D'accord, très bien.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Monsieur le ministre Blaney, pourriez-vous nous parler brièvement de l'établissement Portage qui est situé dans votre circonscription? Je pense que cet établissement est financé par le gouvernement provincial québécois et par Santé Canada.

M. Blaney : Je vous remercie, sénateur McIntyre. Effectivement, il y a toujours deux approches en matière de santé et de prévention. Portage, essentiellement, est un centre de réadaptation en toxicomanie. Il y en a quatre au Canada, dont un — et j'en suis très fier — est situé à Saint-Malachie. Il s'agit d'un ancien chalet de ski converti en centre de thérapie pour des jeunes qui veulent se libérer de la toxicomanie. Ces jeunes sont encadrés afin qu'ils puissent se reprendre en main. On voit des choses absolument exceptionnelles et fascinantes se produire dans cette petite communauté d'origine irlandaise.

Je suis heureux de vous annoncer que je me suis associé à eux pour la traversée du fleuve Saint-Laurent cet été. Une jeune sportive, qui était malheureusement tombée dans la toxicomanie, a fait un séjour au centre de thérapie Portage, et elle m'a lancé le défi d'essayer de la suivre en traversant le fleuve Saint-Laurent à la nage. Le fleuve a une largeur de deux kilomètres, tout de même. C'est dire à quel point il est possible d'offrir à nos jeunes, à titre de gouvernement et d'institution, l'occasion de se libérer de la toxicomanie. Je suis extrêmement fier d'avoir accepté de relever le défi que m'a lancé cette jeune femme qui, grâce à ce centre de thérapie, a pu se libérer de la toxicomanie.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Eh bien, monsieur le ministre, je pencherais pour elle, si jamais l'envie vous prenait de faire un pari.

J'ai une question rapide pour vous deux.

La ministre Ambrose et le sénateur Joyal ont mentionné deux groupes communautaires : REAL Women et les Chevaliers de Colomb.

Hier soir, j'étais à l'événement dont vous parliez, où la sénatrice Batters s'est vu remettre le prix, et j'ai eu l'occasion de parler à un conseiller municipal de la ville d'Ottawa, qui a dit que la ville avait décidé qu'elle ne souhaitait pas avoir ce genre de sites à Ottawa, et ce n'était évidemment pas en réaction au projet de loi; je suppose que la décision venait d'être prise.

En ce qui concerne la consultation et les exemptions, est-ce que le fait qu'une municipalité ou une ville vous dise qu'elle ne veut pas d'un site serait une assez bonne raison pour ne pas en avoir, ou y aurait-il d'autres consultations?

Mme Ambrose : Ce que le projet de loi dit, c'est que le ministre de la Santé tiendrait compte de toutes ces voix. Je pense que c'est l'aspect clé. Évidemment, les municipalités comptent parmi les groupes que nous consulterions, mais nous consulterions aussi les responsables de la santé publique, la police et le quartier. Je pense que c'est le représentant de Safer Ottawa qui a dit au comité de la Chambre des communes que si nous voulons lutter contre ces problèmes vraiment difficiles, il faut en parler, réunir les gens et les laisser discuter des avantages et des inconvénients. C'est compliqué, et je suis sûre que ce sera difficile, mais lorsqu'on travaille à quelque chose de si sérieux, je pense qu'on doit faire participer tout le monde. Les gens doivent être renseignés. C'est l'occasion pour les groupes qui sont pour ou contre le projet de se faire entendre. Une fois tous les renseignements reçus, le ministre de la Santé prendra tout cela en considération.

Le sénateur Plett : À ce propos, vous avez mentionné que la police participerait aussi.

Ma question s'adresse à l'un ou l'autre d'entre vous. Tom Stamatakis, de l'Association canadienne des policiers, a dit ce qui suit :

[...] mon expérience à Vancouver m'a appris que ces sites entraînent aussi une augmentation du comportement et de l'agitation de nature criminelle dans les environs des sites et que ces derniers ont une incidence considérable sur les ressources policières [...]

De toute évidence, comme les policiers ont affaire sur le terrain à des toxicomanes et à des personnes souffrant de dépendances, je crois bien qu'ils ont une compréhension assez directe de la chose. L'un de vous pourrait-il commenter certains des problèmes que les organisations d'application de la loi ont connus avec ces sites dans leur collectivité?

M. Blaney : Oui. Merci, sénateur Plett.

C'est assurément un défi pour une organisation d'application de la loi lorsqu'un tel centre est mis sur pied, parce que, comme je l'ai mentionné, cela crée un microcosme de criminalité et de prostitution. De nombreuses personnes entrent dans la prostitution ou commettent des crimes... Il s'agit parfois d'une personne qui va chercher sa drogue, puisqu'elle ne travaille pas nécessairement. On observe donc des montées en flèche de ce genre de crimes. Les forces de l'ordre doivent affecter des unités spéciales, des groupes de travail spéciaux, et acquérir réellement des compétences particulières, si je peux le dire ainsi, pour composer avec cet environnement qui est, d'une certaine façon, presque irréaliste, parce qu'on est loin de la réalité. Cela revient vraiment à concentrer et à créer une masse critique de personnes qui ont une grave dépendance aux drogues. C'est pourquoi il importe, dans ce projet de loi, de nous assurer que les personnes qui seraient touchées par un tel centre sont consultées, parce qu'elles auront à vivre avec les conséquences, et celles-ci sont lourdes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je souhaite la bienvenue à monsieur et madame les ministres. En ce qui concerne l'article 7 de la charte, je crois que cela va dans les deux sens; il faut s'occuper des gens qui ont des problèmes de consommation très graves et qui mettent leur vie à risque, mais il faut s'occuper également de la sécurité des citoyens. Cet article s'applique dans les deux sens, selon moi. Personnellement, c'est surtout la sécurité des citoyens qui m'intéresse.

J'ai travaillé pendant une quinzaine d'années au ministère de l'Environnement du Québec, et je vous dirais que les projets qui étaient les plus difficiles à mettre en œuvre et à intégrer au sein d'une communauté étaient ceux pour lesquels les citoyens n'étaient pas impliqués dans la prise de décisions, surtout lorsque le huis clos prédominait dans la prise de décisions par les fonctionnaires. Pendant des années et des années, nous étions en perpétuelle confrontation avec les citoyens, parce qu'ils n'avaient pas participé à la décision.

C'est la même chose dans le cas des centres de transition où on héberge des prédateurs sexuels; tous les mois, je reçois des appels de citoyens qui apprennent que, dans leur quartier, un centre de transition sera établi et duquel ils n'ont pas été informés. J'applaudis le fait que les citoyens seront informés et participeront à la décision.

Ma question s'adresse au ministre Blaney. Quelle approche pensez-vous adopter afin que les citoyens ne tombent pas dans l'excès? Souvent, les gens qui ne sont pas informés développent des préjugés négatifs. Ainsi, comment peut-on intégrer adéquatement les citoyens dans cette prise de décisions afin que le projet reste toujours positif au sein de la communauté?

M. Blaney : Je vous remercie de votre question, sénateur Boisvenu. Effectivement, vous avez tout à fait raison qu'un processus de consultation transparent et ouvert est un gage de réussite dans la mise en œuvre de tout projet, particulièrement pour un sujet aussi important. Il pourrait arriver que des communautés estiment qu'il puisse y avoir certains avantages, mais c'est la raison pour laquelle elles doivent participer en amont du processus.

Maintenant, comment s'assurer que le processus ne dérape pas? Justement, grâce au projet de loi, différents critères et intervenants ont été établis. Des mécanismes sont également prévus, notamment dans le cadre de l'exploitation d'un centre d'injection, afin de rassurer la population quant aux mesures qui doivent être mises en place, mesures aussi élémentaires que de s'assurer que les promoteurs d'une telle installation n'ont pas de casier judiciaire. Il y a donc un processus, et le fait que les citoyens savent que, dorénavant, un processus de consultation et un encadrement sont offerts au centre d'injection constitue une approche responsable de nature à éviter que les débats dérapent.

[Traduction]

Le sénateur White : Merci à tous d'être présents.

Je suis allé à trois occasions au centre d'injection supervisée à Vancouver. J'ai vu l'établissement et les environs. J'ai parlé aux gens du coin et les ai entendus dire que, s'ils avaient su que la police dépenserait 3 millions de dollars supplémentaires pour surveiller le secteur et que la gestion de l'établissement coûterait presque 3 millions de dollars, ils auraient proposé autre chose.

Ma question est simple. Le projet de loi a été élaboré en partie pour satisfaire la Cour suprême du Canada, mais je pense aussi qu'il vise à s'assurer que les collectivités ne se disent pas : « Si seulement on avait su », parce que la Cour suprême a pris la décision pour elles et a reçu des commentaires à l'avance, ce qui signifie que la décision était bien réfléchie et que la participation était forte. J'ai été chef à Ottawa, et nulle part je n'ai senti que ma collectivité aurait accepté la présence d'un tel site, mais je voulais que les citoyens aient la possibilité de dire s'ils en voulaient un ou non. N'est-ce pas vraiment notre but ici? N'est-ce pas de leur donner cette occasion et la possibilité de se faire entendre?

Mme Ambrose : Ça l'est, mais c'est aussi de trouver un équilibre dans les aspects de la santé publique et de la sécurité publique, parce qu'il y a des enjeux en matière de santé publique. Bien sûr, il y a des promoteurs qui vont fournir des données probantes indiquant que ce serait un avantage pour la santé publique.

Mais il y a des conséquences, parce qu'il est question d'héroïne. Ce sont des gens qui apportent des drogues achetées dans la rue pour se les injecter. Il y a un volet qui concerne la sécurité publique.

À mon avis, la décision de la Cour suprême était bonne, et elle est très précise. Je pense que le projet de loi intègre très bien certaines des questions soulevées.

D'abord, selon la décision, la ministre de la Santé d'alors devait tenir compte de tout élément de preuve concernant les répercussions de la présence d'un tel établissement sur le taux de criminalité. De plus, nous devons tenir compte des conditions locales, qui indiquent s'il y a un besoin pour un tel site d'injection supervisée, si c'est quelque chose de nécessaire, et le demandeur fournit des renseignements pertinents sur le nombre de personnes qui pourraient utiliser l'établissement. Nous ne voulons pas faire la promotion de ce genre d'activités; est-ce donc une chose qui est nécessaire dans la collectivité? En outre, le ministre doit tenir compte de choses comme les renseignements sur le nombre de personnes à proximité ayant une maladie infectieuse qui pourrait être liée à la consommation de substances illicites.

Nous devons déterminer s'il y a ou non du soutien, comme des ressources offertes pour le soutenir, qu'il s'agisse de la police ou d'organismes de santé publique, afin de soutenir également les personnes qui sont touchées ou qui souffrent de dépendance, parce que, au bout du compte, il s'agit d'héroïne. Il existe des solutions de rechange sécuritaires à l'héroïne. Il y a des traitements sécuritaires. Nous voulons que ceux-ci soient offerts aux gens. Nous voulons que les membres de la collectivité aient ce genre de ressources au bout des doigts. Si elles ne sont pas au rendez-vous, cela ne va pas arriver. Je pense qu'il importe que cette discussion soit très transparente.

S'il y a un appui, la collectivité et la municipalité auront certaines choses à faire — et peut-être même la province — pour procurer à la collectivité d'accueil les ressources dont elle a besoin. On ne peut pas simplement parachuter un tel établissement dans la collectivité. Cela n'aurait absolument aucun sens.

En somme, je pense que cela crée un bon cadre. Il est très exhaustif, j'en suis consciente. Mais tout ce que vous avez à faire, c'est de vous rendre compte de la gravité de la question, et je pense qu'il n'est pas trop exagéré de demander ce genre de renseignements.

Le sénateur McInnis : Merci d'être ici. C'est un projet de loi intrigant et intéressant.

La Cour suprême du Canada a tracé la voie en ce qui concerne ce que vous deviez faire pour ces sites particuliers. En tant que ministres fédéraux, vous devez gouverner pour l'ensemble des Canadiens. La sénatrice Fraser a mentionné — et elle a parfaitement raison — qu'il s'agit d'une liste exhaustive, mais je ne saurais pas comment faire pour établir un de ces sites, ou plus d'un, dans une province, sans avoir à traiter avec les autorités provinciales de santé, les ministères de la Santé. Il faut traiter avec la police, les administrations municipales et le public. Si on ne fait pas cela, c'est injuste; ce n'est d'aucune façon démocratique. Si je dis cela, c'est parce que j'ai aussi pensé que la liste était exhaustive, mais je ne connais pas d'autre solution pour trouver un équilibre entre la santé et la sécurité.

J'aimerais vous poser la question suivante : quel est en réalité le taux de réussite d'Insite? Combien de vies ont été sauvées? Combien de maladies ont été prévenues? Le promoteur devra avoir des coffres bien garnis s'il souhaite se lancer dans ce projet, parce qu'il faudra un certain temps pour le concrétiser.

L'argent est-il dépensé judicieusement dans ce sens, ou devrions-nous examiner un meilleur genre de politique antidrogue nationale? Madame Ambrose, vous avez mentionné que 13 millions de dollars auraient été transférés aux provinces. Pouvez-vous être plus précise? Je suppose que c'est précisément pour le traitement de la toxicomanie et ce genre de choses, parce que vous transférez aussi d'énormes sommes d'argent aux provinces en ce qui concerne la santé.

Dites-moi, qu'est-ce qui nous dit que cela fonctionne?

Mme Ambrose : La partie importante de ce cadre, c'est que le promoteur devra fournir ces preuves. Vous avez raison de dire qu'il n'y a qu'un seul site au Canada; ainsi, presque la totalité des données probantes proviendrait probablement — parce que c'est ainsi que se font les choses dans notre fédération, en ce qui concerne la santé et la sécurité et l'ensemble des lois et des règlements applicables — de ce qui s'est passé au Canada. C'est de là que proviendraient la plupart des données probantes. J'en ai vu une partie, mais je ne suis pas une experte.

En ce qui me concerne, ce cadre est juste. Il tient compte des avantages, des inconvénients, de toutes les personnes concernées et de toutes les personnes touchées. D'une part, le promoteur devra présenter des preuves qui indiquent non seulement qu'il y a eu des réussites, mais aussi qu'il peut réussir dans cette collectivité particulière. Beaucoup de facteurs entrent en jeu lorsqu'il s'agit de s'assurer que les toxicomanes obtiendront le soutien dont ils ont besoin, pas seulement un endroit où aller pour s'injecter de l'héroïne. Il doit y avoir beaucoup d'autres choses au-delà de ça. C'est pour cela que le promoteur devra fournir des preuves indiquant qu'il y a ce genre de soutien dans cette collectivité particulière, et je pense que c'est juste.

Le promoteur a donc beaucoup de travail à faire, mais je crois...

Le président : Madame la ministre, je vais devoir vous interrompre. Il reste une dernière question, et on m'assure qu'elle sera très brève.

Sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Bien sûr qu'elle le sera, monsieur le président. Je n'ai qu'une seule question, mais j'aimerais poser de nombreuses questions aux fonctionnaires après le départ des ministres.

Que l'on appuie ou non le projet de loi, j'aimerais souligner l'excellent travail que la ministre Ambrose a fait au cours des dernières années au nom du gouvernement du Canada pour mettre en avant ses politiques. Le ministre Blaney s'inscrit aussi dans cette catégorie.

Voici donc ma question, madame la ministre. J'aimerais que vous me disiez si le ministre a le pouvoir discrétionnaire absolu en ce qui concerne les décisions prises en vertu du projet de loi. Avons-nous un pouvoir discrétionnaire absolu, étant donné le fait qu'Insite devra maintenant satisfaire aux exigences du projet de loi et que la Cour suprême du Canada a dit :

Le fait de priver la population qu'Insite dessert des services qu'il offre [...] sont exagérément disproportionnés par rapport aux avantages que le Canada pourrait tirer d'une position uniforme sur la possession de stupéfiants [...]

Au cours de ses huit années d'exploitation, Insite n'a eu aucune incidence négative observable sur les objectifs en matière de sécurité et de santé publiques du Canada.

Cela se rapportait à Insite.

J'aimerais que vous confirmiez que, peu importe le contenu de ces 27 critères, le ou la ministre de la Santé aura un pouvoir discrétionnaire absolu quant à l'octroi à Insite de ce que prévoit cette loi.

Mme Ambrose : Selon ce que je comprends du projet de loi, le ministre doit tenir compte de tous les facteurs. De fait, je pense que ce genre de décisions sera beaucoup plus transparent avec ce cadre. Le ministre, à huis clos, décide si c'est oui ou non, pas sur la place publique. Les données probantes sont là, les consultations publiques sont ouvertes. Dans le cadre de ces consultations publiques, le promoteur ou les opposants peuvent faire valoir leur point de vue et fournir des recherches. Les arguments seront présentés au grand jour. Comme je l'ai dit, le ministre tiendrait ensuite compte de tout cela au moment d'examiner une demande présentée à Santé Canada.

Le président : Madame la ministre, monsieur le ministre, un grand merci à vous deux. Nous apprécions votre comparution devant le comité et votre témoignage.

Nous allons maintenant souhaiter officiellement la bienvenue aux fonctionnaires. Je pense que nous l'avons fait plus tôt, mais nous le faisons de nouveau. Bienvenue. Merci d'être ici. Nous commencerons les questions avec le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Je n'ai que quelques questions techniques concernant le projet de loi. Lorsque je le regarde, je vois que le préambule, bien sûr, est nouveau. Les trois ou quatre premières pages ne comportent que quelques modifications mineures des dispositions existantes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Je me rends ensuite aux articles 55 et 56 de la loi actuelle, mais je vois que le projet de loi ajoute un nouveau paragraphe (2). Je ne sais pas pourquoi on voudrait ajouter ce paragraphe. Le paragraphe (1) existe déjà. Le paragraphe (2) proposé dit que :

Le ministre ne peut se prévaloir du paragraphe (1) pour soustraire à l'application de tout ou partie de la présente loi [...]

Cela comprend des dispositions qui sont actuellement en place en vertu de la loi ou de ses règlements.

Or, l'exception vient après l'exemption par le ministre. Il est évident que le ministre ne peut faire ce que la loi dit qu'il ne peut faire. Pourquoi a-t-on ajouté cela? Y a-t-il une raison particulière ou est-ce pour la forme?

Diane Labelle, avocate générale, Services juridiques, Santé Canada : Si je peux me permettre, il y a une raison, sénateur. Le projet de loi propose de diviser l'article 56 en deux régimes. Le premier aspect du nouveau régime concerne l'exemption de l'application de la loi ou de ses règlements pour les activités qui comportent des substances licites. La deuxième partie a trait à la création d'un pouvoir d'exemption afin de réagir aux demandes qui concernent des drogues illicites et des activités liées à ces drogues.

La disposition indique également que le ministre est tenu de suivre les critères proposés. Il ne peut se soustraire à une responsabilité ou à une obligation réglementaire pour ce qui concerne l'application de la loi.

Le sénateur Baker : J'ai posé cette question à la ministre. Je la pose maintenant à Mme Geller, qui sera peut-être mieux placée pour répondre. Je reviendrai à Mme Labelle dans un moment.

Le ministre a-t-il un pouvoir discrétionnaire absolu en vertu de cette loi?

Hilary Geller, sous-ministre adjointe, Direction générale de la santé environnementale et de la sécurité des consommateurs, Santé Canada : Oui.

Le sénateur Baker : Bravo! Quelles que soient les réponses données à toutes ces questions.

Permettez-moi de passer à la page suivante, la page 6, sous la rubrique « "infraction désignée en matière de drogue" L'une ou l'autre des infractions suivantes ». Le projet de loi renvoie à une infraction visée à divers articles de la Loi sur les stupéfiants et de la loi actuelle, qui est la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ou LRCDAS. Il renvoie ensuite à une infraction visée à certains articles. Je présume que vous excluez la possession simple de toute drogue en vertu de cet article, parce que le projet de loi dit : « infraction visée aux articles 4, 5, 6, 19.1 ou 19.2 de la Loi sur les stupéfiants [...] ».

La possession figure à l'article 3 de l'ancienne Loi sur les stupéfiants. Puis, le projet de loi dit : « infraction visée à la partie I de la présente loi » — la LRCDAS — « à l'exception du paragraphe 4(1) », qui est la possession simple de toute drogue visée aux annexes 1, 2 ou 3.

Ai-je raison de dire qu'une infraction désignée en matière de drogue en vertu de cette loi n'inclut pas la possession de toute drogue illégale visée par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances? Ai-je raison de prétendre cela?

Mme Labelle : Sénateur, vous avez raison.

Le sénateur Baker : Merci.

Et maintenant, penchons-nous sur une question problématique qui se pose, il me semble, dans le cadre de ce projet de loi. Allons à la page 12.

Certains d'entre nous au Sénat ont à l'égard des dispositions législatives une longue mémoire institutionnelle qui remonte jusqu'au milieu des années 1980. Voici une disposition qui dit que quiconque travaille dans un établissement visé par le projet de loi... La voici :

x) un document délivré par un corps policier canadien au sujet de chaque personne visée à l'alinéa w)...

— c'est quelqu'un qui travaille dans l'établissement —

... précisant si, dans les dix ans qui précèdent la date de présentation de la demande, la personne, pour une infraction désignée en matière de drogue ou pour une infraction désignée en matière criminelle :

(i) soit a été condamnée en tant qu'adulte, ...

Puis elle dit :

(ii) soit a été condamnée en tant qu'adolescent, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les jeunes contrevenants, [...] (1985), dans sa version antérieure à son abrogation [...]

Dans la Loi sur les jeunes contrevenants, il y avait une disposition — je crois qu'il s'agissait du paragraphe 45(1) qui disait que tous les dossiers de jeunes contrevenants devaient être détruits après trois ans dans le cas d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et après cinq ans dans le cas d'un acte criminel.

Dans le cadre du projet de loi, pourquoi exigez-vous maintenant que quelqu'un produise un dossier si vieux, même si en tant que jeunes, ces dossiers sont censés avoir été détruits en vertu des dispositions de cette loi qui avait cours à l'époque?

Mme Labelle : Si je peux me permettre, sénateur, la disposition que vous mentionnez existe dans l'actuelle Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Comme vous le précisez à juste titre, elle est dépassée, parce qu'elle a été remplacée par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Si cette disposition renvoie toujours à la Loi sur les jeunes contrevenants, c'est parce qu'il existe une mince possibilité de report. Par conséquent, la disposition ne s'appliquerait que s'il y avait encore quelqu'un dans le processus au moment où la loi a été abrogée, que cette personne était encore dans le processus judiciaire et qu'elle avait été reconnue coupable à ce moment-là.

Le sénateur Baker : En tant qu'adolescent?

Mme Labelle : C'est exact.

Dix ans ont passé, et il semble de moins en moins probable que ces personnes auraient à produire un tel dossier. Si le dossier a été détruit, il n'y a rien à produire.

[Français]

Le sénateur Dagenais : En ce qui a trait aux demandes d'installation de sites, on dit que le demandeur qui voudra ouvrir un site devra fournir de l'information à son sujet. Qu'arrivera-t-il s'il ne peut pas fournir toute l'information nécessaire? Que prévoit la loi dans ce cas?

[Traduction]

Mme Geller : Merci de poser la question. Très simplement, pour environ la moitié des critères, vous remarquerez les mots « s'il en existe ». S'il n'y a pas de renseignements à l'égard d'un aspect où il est indiqué « s'il en existe », le demandeur aurait simplement à dire qu'il n'a rien à signaler au sujet de ce critère. Cela ferait partie du dossier qui est envoyé au ministre. Le ministre aurait seulement connaissance de ce fait lorsqu'il examinerait l'ensemble de la demande. Autrement dit, il n'est pas nécessaire de créer des renseignements.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Avec votre permission, monsieur le président, ma question a trait à la sémantique. Je constate que l'expression utilisée pour nommer ces sites est « site de consommation supervisée » plutôt que « site d'injection supervisée ». Pouvez-vous m'expliquer ce changement de titre?

[Traduction]

Mme Geller : C'est simplement pour tenir compte du fait que le ministre pourrait recevoir une demande concernant la tenue d'activités comprenant des substances illicites qui ne sont pas simplement limitées à leur injection. À un moment donné, il pourrait, par exemple, recevoir une demande concernant un site d'inhalation supervisée. C'est simplement pour que le libellé soit plus englobant.

La sénatrice Jaffer : Si je peux obtenir des éclaircissements, mon collègue, le sénateur Baker, a demandé si le ministre avait un pouvoir discrétionnaire absolu, et vous avez répondu par l'affirmative. J'ai peut-être tort, mais je ne pensais pas que les ministres avaient un pouvoir discrétionnaire absolu. La Charte n'entre-t-elle pas en jeu?

Mme Geller : Oui, vous avez absolument raison. Nous aurions probablement dû décrire ce que nous entendions par pouvoir discrétionnaire absolu. Le ministre doit toujours prendre une décision dans le contexte de la Charte. C'est absolument certain.

Certes, ce que j'entends par cela, et le sénateur Baker me dira s'il avait autre chose en tête, c'est que, lorsque la ministre reçoit tous les renseignements, elle en tient compte en toute objectivité. Elle va les examiner, les évaluer dans leur ensemble et leur accorder le poids qui leur revient. La décision qu'elle rendra devra toujours être prise à la lumière de la Charte, mais elle n'est pas prédéterminée. Elle n'a pas de préjugés qui la mèneraient à décider que, peu importe ce qu'indiquent les renseignements, la réponse sera « non », par exemple. C'est ce que je voulais dire par pouvoir discrétionnaire absolu.

La sénatrice Jaffer : La Cour suprême a dit très clairement que le ministre n'a pas de pouvoir absolu.

Mme Geller : Elle n'a pas de pouvoir absolu, c'est clair. On ne saurait faire fi de la Charte, c'est absolument vrai.

La sénatrice Jaffer : Le problème que j'ai avec cela, c'est que, quand je lis la décision de la Cour suprême, je vois qu'il est question de cinq facteurs. Je les examine très soigneusement, puis j'essaie de faire un rapprochement avec les 26 exemptions.

La sénatrice Fraser : Quarante-trois, si vous comptez les sous-exemptions.

La sénatrice Jaffer : C'est vraiment difficile pour moi, et j'aimerais vraiment obtenir votre aide. Êtes-vous allés plus loin? Selon la façon dont je vois les exemptions et dont je lis la décision de la Cour suprême, rien ne dit qu'on doit tenir compte de tous les cinq facteurs. Il est dit qu'on doit tenir compte des facteurs. C'est ainsi que je comprends les choses. J'ai peut-être tort. Lorsque je vois 26 exemptions — davantage selon ma collègue —, je n'y arrive tout simplement pas. Comment en êtes-vous arrivés à 26 exemptions? J'ai besoin d'aide.

Mme Geller : Oui, merci de la question.

Tous les cinq critères ont... Pour être plus précise, nous avons fourni des exemples précis de renseignements à présenter que nous pouvons rattacher directement à l'un ou l'autre des cinq critères, sauf une exception, qui nous a semblé, lorsque nous avons recommandé ce projet de loi, un critère qui est pertinent, mais qui ne se rattache pas facilement à un des critères. Il s'agit des services de traitement, qu'on a soulevés plus tôt. Nous avons en réalité mis en correspondance tous les critères demandés, les 26 critères, avec un des cinq critères qui ont été mentionnés par la Cour suprême. Certainement, nous comprenons que tous les cinq critères doivent être pris en compte par le ministre. On ne peut choisir seulement ceux qui nous conviennent.

La sénatrice Jaffer : Moi, je comprends que ce ne sont pas tous les cinq critères, mais peu importe.

Selon la façon dont les exemptions sont établies, le ministre les examinerait uniquement d'un point de vue médical et non scientifique, ou est-ce que je fais fausse route?

Mme Geller : Oui, le paragraphe 56.1(2) proposé compte trois éléments possibles qui permettent de demander une exemption : « des raisons médicales ou d'application de la loi [...] ou toute raison réglementaire ». La différence par rapport au libellé précédent, c'est qu'on incluait les « raisons scientifiques ». Ce n'est plus le cas maintenant; les « raisons d'intérêt public » étaient aussi incluses, et ce n'est plus le cas. Les « raisons médicales » n'ont pas changé.

Le sénateur McIntyre : Nos collègues ont soulevé la question de l'article 7, et j'aimerais simplement clarifier cela. J'espère que je comprends bien.

Comme l'a mentionné la ministre, le but du projet de loi C-2 est de fournir un cadre législatif nécessaire lui permettant d'exercer ses pouvoirs d'exemption afin de respecter la directive émise par la Cour suprême du Canada.

Ce qui me frappe, dans la décision de la Cour suprême, c'est que celle-ci n'a pas remis en question le pouvoir discrétionnaire exercé par la ministre, mais plutôt la façon dont ce pouvoir est exercé. Comme l'a mentionné la sénatrice Jaffer, le pouvoir discrétionnaire de la ministre n'est pas absolu. Il doit être exercé dans les limites imposées par la loi et la Charte.

Compte tenu de tout cela, en vertu du projet de loi proposé, le ministre recevrait les renseignements provenant des demandes et, armé de ces renseignements, il serait en mesure de faire une évaluation des considérations de santé publique et de sécurité publique qui sont soulevées dans un cas particulier.

Par le fait même, cela l'aiderait à trouver un équilibre entre ces deux considérations — la sécurité publique et la santé publique — conformément à l'article 7 de la Charte et de la façon décrite par la Cour suprême.

Ai-je raison? C'est ainsi que je comprends le projet de loi.

Mme Geller : C'est tout à fait exact.

Le sénateur McIntyre : Y a-t-il autre chose à ajouter? Cela explique le pouvoir discrétionnaire, à mon avis.

Mme Labelle : Pour confirmer ce que vous disiez, sénateur, le but même du projet de loi C-2 est de fournir un cadre législatif à la ministre afin qu'elle puisse exercer son pouvoir d'exemption dans le respect de la directive formulée par la Cour suprême du Canada.

En vertu du projet de loi proposé, les renseignements qui seraient fournis à l'appui d'une demande d'exemption ou obtenus à l'égard d'une exemption afin de mener des activités comportant des substances illicites dans un site de consommation supervisée permettraient — comme vous l'avez affirmé, sénateur — de guider l'évaluation des considérations de santé publique et de sécurité publique de la ministre. C'est l'élément crucial : ces renseignements doivent ensuite être soupesés conformément au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne prévu à l'article 7 et garanti par la Charte.

Le sénateur McIntyre : En d'autres mots, les renseignements l'aideraient à faire une évaluation?

Mme Labelle : Oui, et je crois que c'est pourquoi la ministre a dit qu'elle a besoin de ce projet de loi. Lorsque je l'entends dire qu'elle a besoin du projet de loi, je crois comprendre que c'est parce qu'il lui procure le cadre et l'accès à l'information dont elle a besoin pour faire cette évaluation.

Le sénateur McIntyre : Les demandes contiennent quelque chose comme 27 critères, et il n'y a aucun mal à cela. Cela lui permet d'avoir plus de renseignements.

Mme Labelle : Oui, et si je peux me permettre, certains des critères qui semblent aller loin sont en réalité des choses qui sont maintenant requises en vertu de divers régimes réglementaires. Par exemple, en vertu du Règlement sur les stupéfiants, des vérifications des antécédents criminels doivent être menées. Dans le cas d'exemptions pour d'autres établissements, par exemple, on doit aussi fournir des renseignements indiquant qui fait partie du personnel clé et qui sera de garde et est qualifié. Ce sont des choses qui, dans le projet de loi, pour des raisons de transparence et d'ouverture, auraient normalement pu être prévues dans un règlement.

Le sénateur Joyal : Merci et bienvenue.

C'est le système prévu par le projet de loi qui me pose problème. Comme vous l'avez mentionné, le ministre a le pouvoir et la liberté d'agir. La ministre a d'ailleurs mentionné, dans l'une de ses réponses précédentes, que la décision serait prise à huis clos.

À mon avis, lorsqu'on octroie à une autorité, que ce soit un ministre ou une organisation, le pouvoir de décider de la vie et de la liberté d'une personne — car c'est d'ailleurs sur cela que porte l'article 7, et la Cour suprême a reconnu que les sites d'injection ont un impact à ce chapitre, c'est-à-dire qu'ils ont une incidence sur la vie et la liberté des gens qui fréquentent ou qui visitent ces endroits —, il n'y a aucune protection juridique réelle pour la personne qui demande l'autorisation d'établir un site.

En d'autres mots, il y a la première étape, qui consiste à recueillir des renseignements, et nous pouvons débattre de leur portée. Nous avons déjà soulevé cette question. Mais une fois à l'étape suivante, lorsque tous les renseignements sont réunis, il n'est plus possible d'apporter des arguments. Le ministre a tous les pouvoirs, et il n'est aucunement obligé d'entendre qui que ce soit, ne serait-ce qu'au nom de la justice fondamentale. Dans sa décision, la Cour suprême a insisté sur ce fait. Je vais la lire :

Le refus du ministre d'accorder à Insite l'exemption prévue à l'art. 56 mettait en jeu les droits garantis aux demandeurs par l'art. 7...

— nous sommes d'accord sur ce point —

... et ne respectait pas les principes de justice fondamentale.

Selon les principes de justice fondamentale, vous avez le droit, lorsque vous demandez une autorisation, de défendre votre position devant un tribunal. Avec ce projet de loi, vous ne pourrez pas faire valoir votre opinion devant un tribunal. Le ministre est la seule personne à disposer de toute l'information, à y réfléchir, à la soupeser, à prendre une décision et à déclarer : « Bon, j'ai décidé, c'est tout. Merci, bonsoir. »

Selon moi, le processus qui a été établi affiche une lacune au chapitre de la responsabilité du ou de la ministre, puisqu'il ou elle peut décider de tout sans avoir à dévoiler les preuves. Le système doit peser le pour et le contre, en arriver à une conclusion et prévoir un mécanisme d'appel — parce que nous parlons ici de l'article 7, à savoir l'intégrité physique, et cela a des conséquences importantes sur la vie d'une personne. Alors, lorsque j'essaie de comprendre le bien-fondé de ce projet de loi, il m'apparaît insuffisant, en particulier en ce qui concerne l'autre aspect lié à la décision de la Cour suprême.

Mme Labelle : Si je peux me permettre, sénateur, j'aimerais répondre à deux aspects de votre question.

Pour commencer, la Cour suprême du Canada a reconnu l'importance de l'article 56 et du pouvoir discrétionnaire connexe, lequel représente une mesure de sécurité constitutionnelle. Le pouvoir discrétionnaire du ministre existe afin d'alléger l'application de la loi là où elle serait arbitraire, manifestement disproportionnée ou simplement injuste. Voilà la première partie. Voilà l'importance du pouvoir discrétionnaire.

La seconde partie, je crois, est le fait que tout fonctionnaire qui a le devoir ou l'obligation de prendre des décisions a le devoir de se conformer aux principes d'équité procédurale. Le devoir d'assurer l'équité procédurale existe, que le texte législatif en fasse mention explicite ou non.

Le sénateur Joyal : À quel endroit dans le projet de loi?

Mme Labelle : Au Québec, la common law et le droit civil reconnaissent que les principes d'équité procédurale doivent être appliqués lorsque les fonctionnaires ont le devoir juridique de prendre une décision.

Le ministre, une fois l'information recueillie et évaluée, aura, en fonction de sa décision — je ne peux pas prévoir la décision d'un ministre —, à donner au demandeur la possibilité de réagir et d'être entendu si un aspect particulier de la demande soulève des préoccupations ou d'autres éléments. Le processus peut être par écrit ou de vive voix. Il s'agit de choses que l'on peut établir plus tard.

Le sénateur Joyal : Mais pourquoi le projet de loi ne contient-il pas un article selon lequel le gouverneur en conseil pourrait prendre un règlement prévoyant la tenue d'audiences et veillant au droit d'une personne d'être entendue par un tribunal et, comme vous l'avez dit, à tous les éléments essentiels à l'équité procédurale, y compris jusqu'à un appel de la décision? Il me semble, en ce qui concerne la common law et le Code civil, comme vous l'avez très bien dit, et à la lumière des décisions passées du système judiciaire canadien, lesquelles s'inscrivent dans une longue tradition, que le processus doit être étanche, très clair et stricte lorsque le pouvoir de décider est octroyé à une autorité publique, en particulier si cela concerne la vie et la sécurité d'une personne. Le but est de veiller à ce que la décision soit vraiment la meilleure dans une situation donnée, au moyen d'un processus où l'on pèse le pour et le contre. Essentiellement, c'est pour cela qu'existent des tribunaux administratifs dont les décisions peuvent être examinées par la Cour suprême ou par la cour supérieure d'une province.

C'est pourquoi j'ai l'impression qu'il manque quelque chose à ce projet de loi. Je ne m'oppose pas à ce qu'on ait des critères, car on peut débattre de la portée de ceux-ci. La procédure ou le processus décisionnel doit, à mon avis et selon ce que vous avez dit, viser l'équité procédurale. Et il n'y a rien dans le projet de loi qui garantit que cela sera fait.

Mme Labelle : L'équité procédurale est examinée minutieusement par les tribunaux. Si un demandeur estime que les principes d'équité procédurale n'ont pas été respectés...

Le sénateur Baker : Ou de justice naturelle.

Mme Labelle : On appelle cela l'équité procédurale à ce stade-ci, mais ce n'est pas grave. Cela fait partie des principes de la justice fondamentale.

Il y a plusieurs façons de remédier à cette lacune au chapitre de l'équité procédurale. La première est peut-être la plus simple et la moins coûteuse. Elle consiste à avoir recours au contrôle judiciaire et à rectifier l'équité procédurale en conséquence. On peut espérer que la décision de la Cour suprême dans l'affaire Insite est suffisamment claire pour dissuader quiconque de contester une décision en s'appuyant sur la Charte. Il s'agirait tout de même de l'autre solution, à savoir intenter une action si on juge que les principes de justice fondamentale n'ont pas été respectés.

Mais pour ce qui est de veiller explicitement à l'équité procédurale dans le texte de loi, il ne s'agit pas d'un préalable nécessaire, disons, à la prise de décision. C'est déjà là. C'est déjà appliqué. C'est implicite en vertu de la common law. C'est une obligation juridique qui s'applique à tout fonctionnaire investi d'un pouvoir décisionnel. Comme je l'ai dit, il s'agit d'un aspect que les tribunaux surveillent étroitement, et ils ont certainement compétence pour faire en sorte que le droit à l'équité procédurale d'une personne soit respecté.

Le sénateur McInnis : Ma question allait justement porter là-dessus. Je veux en apprendre davantage sur cela, car c'est l'aspect qui me dérangeait.

J'imagine qu'une personne qui propose un projet doit recevoir une forme d'approbation avant de continuer. Cette personne fait tout le travail, puis, je suppose, elle revient au ministre pour présenter son exposé. Je suppose qu'elle va pouvoir présenter un exposé. Il y aurait des tonnes de documents relatifs à la tenue de consultations, des rapports de police, des rapports du ministère provincial de la Santé, et cetera. Puis, le ministre prend la décision. Est-ce qu'il y a un processus d'appel? Je crois que vous avez dit que la personne aura au moins le droit de contester la décision en cas de rejet.

Est-ce que c'est similaire à ce qui se passe présentement avec la marijuana — c'est une horrible comparaison —, où il y a un certain nombre de demandeurs aux quatre coins du pays? Est-ce similaire? Il faut qu'il y ait application régulière de la loi. Je suis d'accord. Pourquoi cela ne ferait-il pas partie du règlement? Un demandeur aurait à dépenser beaucoup d'argent pour se rendre jusque-là, et il faut qu'il ait l'occasion de poser des questions et d'obtenir des précisions si on lui dit « non ».

Mme Labelle : Les demandeurs auront l'occasion d'être entendus. Comme je l'ai dit, il s'agit d'une obligation juridique imposée à tout fonctionnaire investi du pouvoir de décider.

Votre analogie fonctionne ici, dans la mesure où les personnes qui présentent une demande aux termes du Règlement sur la marijuana à des fins médicales ont le même droit à l'égard de l'équité procédurale. Dans ce règlement, les critères sont encore plus précis et beaucoup plus étroits. Toutefois, si un décideur croit ou a des raisons de croire qu'il y a un problème ou que la demande pourrait être refusée, le décideur sous ce régime, est également dans l'obligation de fournir au demandeur l'occasion d'être entendu.

Le sénateur McInnis : Et dans le cas contraire?

Mme Labelle : Eh bien, dans ce cas, il y a un manquement à l'équité procédurale, et la personne peut s'en remettre aux tribunaux et demander un contrôle judiciaire de la décision du décideur.

Le sénateur McInnis : Mais cela va vraiment prendre du temps. On va mettre beaucoup de temps pour terminer le processus, et après il faut aller devant les tribunaux.

Mme Labelle : Comme je l'ai dit, je ne crois pas que cela finira devant les tribunaux. Je crois que nous devons supposer que le ministre prendra les mesures appropriées pour veiller au respect de l'équité procédurale.

Le sénateur McInnis : Nous avons déjà été témoins d'un grand nombre de litiges par rapport à ce dossier.

Mme Labelle : Sur les questions de fond, oui.

La sénatrice Fraser : Merci beaucoup. Je vais essayer d'être rapide, et vous devrez aussi répondre assez rapidement, sinon le président va vouloir nos têtes. Je le connais trop bien.

Premièrement, en ce qui concerne l'obligation de consulter la collectivité, je crois que le sénateur Joyal a soulevé une excellente question : faute de définition de la « collectivité », qui décide?

Deuxièmement, je suis un peu troublée par l'obligation selon laquelle tous ces groupes communautaires doivent faire partie de la municipalité concernée. Les frontières municipales sont étranges. Dans ma municipalité, par exemple, il y a une étrange extension où personne n'habite, mais elle est entourée d'autres municipalités. Il serait facile pour ma municipalité de reléguer quelque chose à cet endroit. Tout le monde dans ma municipalité dirait : « Super, aucun problème. » Et pas seulement pour un centre Insite, mais pour un abattoir, ou peu importe. Et ce sont les gens dans d'autres municipalités qui en paieront le prix.

Alors, pourquoi avons-nous formulé la chose de cette façon? Pourquoi avons-nous utilisé un terme vague comme « collectivité » pour ensuite rattacher la notion à une municipalité?

Mme Geller : Je crois que la réponse la plus brève que je puisse donner est que le demandeur décidera en quelque sorte qui est la collectivité. Il va choisir la collectivité, la consulter et fournir des rapports sur celle-ci. C'est ce que le ministre va examiner. Le ou la ministre aura toujours la possibilité de demander davantage de renseignements au demandeur, au besoin. Si, par exemple, il y avait une préoccupation liée au fait que la collectivité n'est pas suffisamment large — c'est-à-dire que certains groupes en sont exclus —, le ministre pourrait demander au demandeur de lui fournir davantage de renseignements à ce sujet. Je crois que cela fournit un niveau raisonnable de souplesse, au demandeur.

La sénatrice Fraser : « Municipalité? »

Mme Geller : Comment définiriez-vous une « municipalité »?

Mme Labelle : Le projet de loi propose une définition de la « municipalité ». Je crois, comme l'a mentionné la sous-ministre adjointe Geller, que la définition du terme « organisme communautaire » est très flexible. Les personnes intéressées peuvent se joindre à d'autres membres de la collectivité afin de pouvoir exprimer leur opinion.

Prenons par exemple la Société Elizabeth Fry, dans la collectivité d'Espanola. Disons que vous vivez à l'extérieur d'Espanola, mais que vous êtes bénévole pour la Société Elizabeth Fry, alors vous pouvez facilement vous joindre à ce groupe et exprimer votre opinion.

La sénatrice Fraser : Il me reste encore un autre sujet que j'aimerais aborder. La ministre me demandait lequel des critères me dérange. J'ai parcouru les cinq pages de critères et j'ai trouvé celui que je n'ai pas réussi à trouver avant son départ. Le critère énoncé au sous-alinéa y)(ii) renvoie à l'obligation de produire un document délivré par un corps de police relativement à une infraction commise dans un pays étranger lorsque le demandeur, disons un membre du personnel d'un centre, était âgé de 14 à 18 ans.

Or, s'il s'agissait d'une personne venue de Washington pour vivre à Vancouver, ou du Maine pour vivre au Nouveau-Brunswick, il serait possible — puisque les systèmes judiciaires en question seraient suffisamment semblables aux nôtres — de prêter foi aux documents éventuellement soumis.

Mais qu'en est-il de personnes originaires de pays comme l'Afghanistan ou le Mexique, ou encore la Colombie, qui, adolescents, étaient impliqués dans ce qui est essentiellement une guerre civile où le trafic de drogues joue un rôle de premier plan? Nous ne pouvons pas vraiment avoir la même foi en l'incorruptibilité de leur système judiciaire que nous avons envers le nôtre. Même s'il était possible d'obtenir le casier judiciaire de ces personnes — et c'est un tout autre problème —, comment le ministre peut-il soupeser le fait qu'un adolescent afghan ait été impliqué dans quelque chose de plus grand que lui il y a 10 ans, alors qu'il est maintenant au Canada et qu'il essaie de construire une nouvelle vie constructive et saine en travaillant dans un centre?

Mme Geller : L'objectif du « pourquoi » est de veiller à ce que le ministre puisse tenir compte des antécédents criminels éventuels des personnes clés qui travailleront dans un centre. En particulier, l'alinéa y) renvoie à l'alinéa w), à savoir « la personne responsable ». Il s'agit de la personne qui doit se trouver au centre en tout temps — habituellement, il y en a plus qu'une — et qui a la responsabilité de veiller à l'ensemble des activités du centre. Ses responsabilités, entre autres, seraient de recueillir toute substance illicite restante, et de s'assurer qu'elles sont correctement documentées et détruites. Une mesure de sécurité clé a toujours été de faire une vérification approfondie des antécédents criminels des gens qui travaillent dans un centre, surtout dans des postes importants.

La sénatrice Fraser : Je suis désolée de vous interrompre. Je peux comprendre le raisonnement derrière le sous-alinéa y)(i), puisqu'il s'agit d'adultes, mais le sous-alinéa y)(ii) s'applique aux enfants dans les 10 années précédentes.

Mme Geller : Il s'agirait des antécédents au cours des 10 dernières années. Nous prévoyons que cela s'appliquerait à des situations inhabituelles, comme Diane l'a mentionné plus tôt, mais il y a des raisons techniques sous-jacentes. Je vais demander à Diane de vous les expliquer.

Mme Labelle : Comme la sous-ministre adjointe Geller l'a à juste titre souligné, ces dispositions, à savoir celles concernant la vérification des antécédents criminels, visent les personnes responsables de la santé et de la sécurité des employés et des usagers du centre. Étant donné le type et le niveau de responsabilité, il est important de veiller à ce que la personne n'ait participé à aucune activité criminelle qui pourrait jeter le doute sur sa capacité à remplir ses fonctions.

La vérification des antécédents n'est pas obligatoire pour les personnes qui veulent simplement faire du bénévolat ou travailler au centre.

La sénatrice Fraser : Ces réponses que je reçois sont celles que je reçois.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s'adresse à messieurs Slinn et Bhupsingh. Est-ce que vous avez déjà travaillé dans un milieu, un centre urbain où ce type de service était offert à cette clientèle? Est-ce que vous avez une expérience dans le domaine?

[Traduction]

Surintendant principal Eric Slinn, directeur général, Services de soutien aux opérations, Police fédérale, Gendarmerie royale du Canada : Le seul site présentement en activité se trouve dans le Downtown Eastside, où la GRC n'a sans doute pas compétence. À ma connaissance, il n'y a pas d'autre site sous la responsabilité de Santé Canada où la GRC a compétence, alors je ne peux pas vraiment vous en dire plus.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Bhupsingh, je pense que vous avez de l'expérience dans le domaine des frontières et de la douane, donc la problématique est peut-être différente. Lorsque vous examinez le projet de loi, à titre agent de police et d'agent des douanes, est-ce que vous y voyez des éléments positifs pour la sécurité de la population et des clients de ces centres? Compte tenu du fait que l'on adopte une très grande rigueur en matière de délivrance des permis, comment vous situez-vous, monsieur Slinn, par rapport à ce projet de loi? Est-ce que, selon vous, les dirigeants de votre corps policier sont relativement satisfaits des dispositions qu'il contient?

[Traduction]

M. Slinn : Eh bien, en premier lieu, je crois qu'il faut partir du principe qu'il y a de la criminalité partout où il y a des drogues. Les deux sont liés. Je crois que la meilleure façon de vous l'expliquer est en faisant une analogie. Le crime organisé et les trafiquants de drogue cherchent à vendre leur drogue sur les marchés appropriés. Si vous cherchez à vendre des billets pour voir jouer les Sénateurs, vous allez devoir trouver le bon marché, et la meilleure place pour les vendre, c'est le stade.

Il y a donc une préoccupation liée à la possibilité que la présence de sites pourrait crée un marché que les trafiquants de drogue et le crime organisé pourraient exploiter — peut-être pas exactement dans la région du site, mais il y a possibilité de prolifération accrue de la drogue, et c'est une véritable préoccupation pour les forces de l'ordre.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Lorsque vous prenez l'ensemble des critères qui permettront aux autorités de délivrer ce genre de permis, cela vous rassure-t-il?

[Traduction]

M. Slinn : Absolument. En premier lieu, les services de police sont responsables de la sécurité publique. Le public et les discussions qu'on peut avoir avec lui sont donc le premier élément clé. La GRC, ou toute autre organisation d'application de la loi au Canada, ne peut pas prendre seule la décision d'implanter un centre Insite dans une collectivité. Nous menons des consultations auprès d'un grand nombre de groupes consultatifs afin d'écouter leurs préoccupations, de leur présenter les données et les recherches dont nous disposons dans le but de décider collectivement et de façon informée s'il est adéquat qu'un site soit implanté dans une région.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le fait que les citoyens participent au processus vous rassure-t-il également?

[Traduction]

M. Slinn : Absolument. Nous maintenons l'ordre dans la collectivité. C'est leur ville, et nous sommes sensibles à leurs besoins.

Encore une fois, nous ne prenons pas ces décisions complètement seuls. Nous tenons compte des besoins et des désirs des habitants la ville, et notre décision reflète ce que veut la collectivité.

La sénatrice Batters : La sénatrice Jaffer a mentionné la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Insite en 2011 ainsi que les cinq facteurs cernés par celle-ci. J'aimerais en savoir plus sur ces cinq facteurs et sur les renseignements que vous demandez aux demandeurs.

Mme Geller : Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous avons intégré tous les critères dans le projet de loi, sauf un.

Le critère 1 est la preuve, le cas échéant, de l'incidence de ce genre de centre sur le taux de criminalité. L'alinéa 56.1(3)s) prévoit la présentation des renseignements suivants :

s) des renseignements pertinents, notamment sur les tendances, portant sur le flânage dans un endroit public qui peut être lié à certaines activités comportant des substances illicites [...]

Le critère 2 concerne les conditions locales indiquant qu'il y a un besoin pour ce genre de sites d'injection supervisée. Or, l'alinéa 56.1(3)t) prévoit la présentation des renseignements suivants :

t) des renseignements portant sur toute urgence sanitaire à proximité du site ou dans la municipalité où celui-ci serait établi qui peut être liée aux activités comportant des substances illicites et qui a été déclarée par une autorité compétente [...]

C'est un exemple, et il y en a beaucoup d'autres.

Le critère 3 touche la structure réglementaire qui sert à soutenir les activités du centre, le cas échéant. L'alinéa 56.1(3)v) prévoit :

v) la description des procédures relatives à la tenue des dossiers concernant la disposition, la perte, le vol et le transfert de substances désignées [...] au site;

Le critère 4 concerne les ressources disponibles pour que le centre puisse exercer ses activités. Les renseignements sont visés à l'alinéa 56.1(3)q), où l'on prévoit :

q) un plan de financement démontrant la faisabilité et la viabilité de son exploitation;

Enfin, le critère 5 concerne les renseignements faisant état de l'appui ou de l'opposition de la collectivité. Il y a plusieurs documents de ce genre, y compris une lettre du ministre provincial de la Santé où il exprime son opinion, une autre de l'administration d'une municipalité qui fait part de son opinion, et cetera.

La sénatrice Batters : C'est très utile. Merci.

Le sénateur White : Ma question fait suite à la réponse que la ministre a donnée plus tôt. J'examine tout cela, et je sais que vous avez participé à la rédaction du projet de loi, et je me demandais si vous aviez, à un moment donné, dit à la ministre qu'il serait contraire à la loi d'insérer cette exigence dans le projet de loi?

Mme Geller : Non, mais nous allons également demander à notre avocate, Diane Labelle, puisqu'une réponse négative de sa part aurait plus de poids.

Mme Labelle : Mesdames et messieurs, vous savez que, en tant qu'avocate, je ne peux pas dévoiler les conseils juridiques donnés au gouvernement, à cause du privilège du secret professionnel de l'avocat. Je peux vous confirmer que le ministère de la Justice examine minutieusement tous les projets de loi pour s'assurer de leur conformité avec la Charte et la Déclaration canadienne des droits. La greffière aurait été avisée s'il y avait eu un problème.

Le président : Nous avons du temps pour un bref deuxième tour. Avec un peu de chance, tous les sénateurs qui souhaitent poser une question pourront prendre la parole, tant que les questions et les réponses sont courtes.

Le sénateur Baker : Je n'ai qu'une question. Le sénateur Joyal a souligné le fait qu'il n'y a aucune disposition dans le projet de loi qui permet d'interjeter appel de la décision du ministre. Madame Labelle, vous avez dit que la common law s'appliquerait aux appels des décisions de fonctionnaires ou de ministres, alors j'aimerais que la procédure exacte figure au compte rendu, et vous pourrez me corriger si j'ai tort.

La procédure habituelle pour contester la décision d'un fonctionnaire ou d'un ministre est de demander au juge d'une cour supérieure un bref de certiorari, en premier lieu, afin de casser la décision, puis de demander un bref de mandamus pour remplacer la décision. Est-ce bien ce processus que souhaite le gouvernement, advenant le cas où une personne désire contester la décision du ministre?

Mme Labelle : Puisque vous mentionnez les principes de la common law, j'aimerais d'abord préciser qu'avant de prendre sa décision définitive, le ministre est dans l'obligation de fournir à la personne l'occasion de faire valoir son opinion s'il y a un problème avec la demande ou s'il y a possibilité d'un refus.

Cela dit, une fois la décision finale prise, il est prévu à l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales qu'une personne peut demander un contrôle judiciaire pour divers motifs, deux desquels vous avez mentionnés, et demander un jugement déclaratoire selon lequel la décision est soit confirmée, soit invalidée, à la suite de quoi elle sera renvoyée au ministre pour examen. Dans certains cas, les tribunaux vont rendre une décision comme l'a fait la Cour suprême du Canada dans l'affaire Insite.

Le sénateur Baker : C'est une question très importante, puisqu'il n'y a aucune disposition à cet égard dans le projet de loi. Si on regarde toutes les autres lois fédérales, par exemple, si vous interjetez appel au sujet d'une disposition de l'impôt sur le revenu, vous consultez la loi et vous trouvez la procédure d'appel et les lignes directrices aux fins d'un contrôle judiciaire. Le juge ne peut pas remplacer la décision du fonctionnaire, mais il peut renvoyer l'affaire à d'autres personnes au sein de l'administration ou à un autre ministre pour réexamen. Vous savez de quoi je parle.

Ma question, aux fins du compte rendu, est : vous voulez dire qu'une personne qui souhaite interjeter appel de la décision du ministre devra aller consulter l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, qui porte sur la procédure d'appel, demander un bref de certiorari afin de casser la décision du ministre, puis un bref de mandamus, qui remplacerait la décision du ministre et énoncerait des directives.

Mme Labelle : Comme je l'ai mentionné plus tôt, il s'agit d'un des recours pour un demandeur qui a le sentiment de ne pas avoir été traité équitablement. D'autres portes s'ouvrent à lui s'il désire contester une décision en vertu, par exemple, de la Charte, en cas d'atteinte à des droits garantis par la Charte.

En ce qui concerne le projet de loi comme tel, il est similaire et conforme à tous les autres textes de loi dont le ministre de la Santé est responsable. Par exemple, il y a d'importantes décisions à prendre sous le régime de la Loi sur les aliments et drogues. Les décideurs qui prennent des décisions sous le régime de cette loi doivent le faire en conformité avec l'équité procédurale. Les sociétés pharmaceutiques peuvent demander des contrôles judiciaires aux tribunaux et recourir à d'autres types de mesures.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai deux courtes questions pour M. Slinn. Comment aborderez-vous la surveillance de la criminalité et la tolérance sociale que cette loi impose, afin d'éviter de faire l'objet de critiques sur la place publique pour chaque intervention? Entre criminalité et tolérance publique, je ne sais pas comment vous pourrez réconcilier ces deux réalités.

[Traduction]

M. Slinn : Absolument. Je crois qu'il est juste de dire que nous essayons toujours de trouver un équilibre. J'aimerais attirer votre attention sur le fait que la GRC cible en priorité le crime organisé et les gros trafiquants de drogue qui importent l'héroïne au pays et la revendent aux usagers.

Je crois qu'il est juste de dire que nous ne consacrons pas beaucoup de ressources aux usagers. Nous comprenons qu'il s'agit d'un enjeu en matière de santé. Nous mettons l'accent sur le crime organisé et les trafiquants de drogue qui profitent de ces personnes.

L'envers de la médaille, comme je l'ai mentionné plus tôt, c'est que nous n'allons pas prendre cette décision seule. Selon nous, notre rôle s'apparente à celui d'un organe représentant les habitants d'une collectivité. Nous voulons connaître leurs opinions et les faire bénéficier de notre expérience du trafic de drogues et de la criminalité dans des endroits donnés afin de recevoir leurs commentaires et de défendre au mieux leurs intérêts, et non ceux de la GRC.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Dans votre juridiction, vous n'avez pas de site comme celui d'Insite, à l'heure actuelle, mais j'imagine que vous vous parlez, entre corps policiers. Avez-vous fait des projections sur le niveau de criminalité que ce genre de site d'injection peut entraîner, entre autres, en ce qui concerne le trafic de drogue, la prostitution et la violence physique?

[Traduction]

M. Slinn : Je ne suis au courant d'aucune recherche que la GRC aurait menée sur ces sujets en particulier, mais je peux dire que si une demande était faite dans notre région, il y aurait une analyse complète visant à déterminer ce genre de liens, et nous ferions tout en notre pouvoir pour informer la collectivité des conséquences éventuelles de l'établissement d'un site dans la ville.

La sénatrice Fraser : Ai-je raison de croire que si une personne réussit à franchir toutes les étapes et obtient une exemption du ministre fédéral — et je veux que la confirmation soit consignée au compte rendu —, cela ne peut pas l'emporter sur les règles provinciales ou municipales en matière, entre autres, de prestation de soins de santé ou de zonage?

Mme Geller : Oui.

Le sénateur McIntyre : Qu'en est-il des règles pour le renouvellement? Si on prend Insite, par exemple. Est-ce qu'il y aurait des critères supplémentaires?

Mme Geller : Il y a deux critères supplémentaires pour le renouvellement, essentiellement liés à ce que les gens de la collectivité ont vu depuis que l'exemption a été accordée. Par exemple, comment le taux de criminalité a-t-il évolué? Il ne s'agit que d'un compte rendu, d'un instantané, de ce qui est arrivé depuis qu'on a accordé l'exemption.

Le sénateur McIntyre : En d'autres mots, une fois que le projet de loi est accepté, le processus s'appliquerait à tout demandeur, y compris Insite?

Mme Geller : C'est exact.

Le sénateur Joyal : J'aimerais que nous discutions du paragraphe 56(1) proposé, à la page 5, l'exemption. Ce paragraphe prévoit que le ministre pourrait accorder une exemption à l'application de toutes les dispositions de la loi. À quoi l'exemption sert-elle si vous êtes si convaincu que l'intérêt public est assuré par tous les critères qui figurent dans la loi?

Mme Labelle : Sénateur, pourriez-vous répéter l'article que nous sommes censés regarder? Je suis à la page 5.

Le sénateur Joyal : Page 5, article 5 du projet de loi : « L'article 56 de la même loi est remplacé par ce qui suit. » Dans la marge à côté du paragraphe 56(1), on peut lire « Exemption par le ministre ». Je vous ai posé une question à propos de cela. Voulez-vous que je la répète?

[Français]

Mme Labelle : Cette disposition est concordante avec la disposition qui est inscrite présentement dans la loi. Cette disposition maintient le pouvoir discrétionnaire de la ministre de prendre une décision lorsqu'il s'agit de substances qui sont de source licite. Donc, ici, elle peut tenir compte de différents critères d'intérêt public, mais il ne se pose pas les mêmes difficultés lorsqu'il s'agit de l'utilisation ou d'activités liées à des substances obtenues de source illicite, par exemple.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : À propos des consultations, y a-t-il un processus? L'un des ministres a abordé le sujet de la consultation. Je n'arrête pas de penser au syndrome « pas dans ma cour ». Personne ne veut de cela dans leur quartier, alors comment allez-vous soupeser les résultats des consultations?

Mme Geller : Les rapports touchant la consultation de la collectivité ne seront qu'un de plusieurs facteurs pris en compte par le ministre; il y aura tous les autres, et le ou la ministre disposera de tous les renseignements possibles.

Il s'agit d'encadrer le pouvoir discrétionnaire. Aucun critère ne serait intrinsèquement déterminant. Le ministre se doit de soupeser l'ensemble des facteurs.

Le président : Je remercie tous les témoins. Vos contributions à nos délibérations sont grandement appréciées.

Chers collègues, je tiens à mentionner qu'un grand nombre de personnes viennent témoigner demain, alors j'espère que nous pourrons commencer à 10 h 30 précisément. J'ai espoir que vous serez tous présents.

(La séance est levée.)


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