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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 2 - Témoignages du 2 décembre 2013


OTTAWA, le lundi 2 décembre 2013

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour faire une étude sur les obligations de CBC/Radio-Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de certains aspects particuliers de la Loi sur la radiodiffusion.

La sénatrice Andrée Champagne (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente : Honorables sénateurs, je suis la sénatrice André Champagne, du Québec, vice-présidente de ce comité que je présiderai en l'absence de notre présidente, la sénatrice Claudette Tardif, qui avait un rendez-vous médical aujourd'hui.

Je commencerai la séance en demandant aux sénateurs de se présenter en débutant par ma droite.

Le sénateur Robichaud : Je m'appelle Fernand Robichaud, du Nouveau-Brunswick, Saint-Louis-de-Kent.

La sénatrice Chaput : Bonjour, je m'appelle Maria Chaput, sénatrice du Manitoba.

La sénatrice Poirier : Bonjour, je m'appelle Rose-May Poirier, sénatrice du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Sénatrice Lynn Beyak, du nord-ouest de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Bonjour, je m'appelle Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

La vice-présidente : Nous continuons aujourd'hui notre étude sur les obligations de CBC/Radio-Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de certains aspects particuliers de la Loi sur la radiodiffusion.

Ceux et celles qui ont suivi les activités de notre comité depuis un moment savent bien que nous comptions parmi nos membres, il y a quelques mois, le sénateur Pierre De Bané, qui a dû quitter le Sénat, nos lois étant ce qu'elles sont, parce qu'il avait atteint l'âge limite. Ceux d'entre vous qui ont suivi nos travaux connaissent l'importance des remarques et des travaux préparés et présentés par le sénateur De Bané au sujet des obligations de Radio-Canada et des aspects particuliers de la Loi sur la radiodiffusion.

Le Sous-comité du programme et de la procédure a cru qu'il serait de bon aloi de lui demander, en ce début de session, puisque le CRTC a imposé de nouvelles règles aux licences, nous expliquer ces changements et nous dire s'ils sont mieux ou s'ils n'ont rien changé. La personne qui a étudié tous ces changements et qui peut nous l'expliquer, c'est bien notre ancien collègue, à qui j'ai le plaisir de donner la parole, l'honorable Pierre De Bané.

L'honorable Pierre De Bané, C.P., ancien sénateur : Merci beaucoup, madame la vice-présidente. Premièrement, chacun d'entre nous espère que très bientôt vous serez débarrassée de cette vilaine irritation. Deuxièmement, je voudrais également vous dire combien je remercie mes collègues de m'inviter à leur parler du sujet qui était réellement ma préoccupation constante.

[Traduction]

Dans aucun autre pays du monde, on ne voit les citoyens financer un diffuseur national, et ce diffuseur interpréter sa mission différemment, selon la langue parlée. Cela me trouble beaucoup.

J'ai été particulièrement troublé quand le diffuseur national, par l'intermédiaire de son service francophone, nous a répondu par écrit, à moi et, de manière officielle, à l'ancienne présidente du comité, l'honorable Maria Chaput, que les deux publics n'ont absolument rien en commun, ce qui explique que les émissions The National et Le Téléjournal ne se ressemblent pas. Cette réponse a été adressée par écrit officiellement à la présidente du comité, en réponse à toutes les questions que nous avions posées.

[Français]

Si vous me le permettez, madame la vice-présidente, je voudrais faire avec vous une revue rapide de tous les documents que j'ai préparés à votre intention.

Le premier document, dont vous n'avez dans le cahier à anneaux que le sommaire, est l'étude la plus importante que j'ai lue sur le sujet. À la suite de l'élection du Parti québécois, en 1976, M. Trudeau avait écrit au président du CRTC, M. Harry Boyle, pour lui demander si la Société Radio-Canada respectait le mandat qui lui avait été donné dans la Loi sur la radiodiffusion. Le président Harry Boyle a répondu qu'il allait faire une étude là-dessus et qu'il faudrait, pour ce faire, engager les plus grands spécialistes au Canada pour répondre à cette question.

[Traduction]

Le CRTC a retenu les services des plus grands spécialistes pour réaliser des études, lesquelles se trouvent toutes en annexe dans le rapport. Vous recevrez le rapport complet. Il s'agit d'un énorme document que le greffier du comité a entre les mains. Une copie du rapport vous sera livrée à chacun, à votre bureau. Je n'ai inclus ici que des extraits du document. J'ai surligné, dans ces extraits, certaines des observations du CRTC.

Permettez-moi de vous en lire une, qui est très importante. Elle se trouve aux pages 80 et 81 du rapport, mais vous la verrez dans votre document à la page 21 en anglais, et à la page 23 en français.

[Français]

Alors je vais le lire en français, et je cite :

Il nous a semblé apercevoir, tant à l'intérieur qu'en dehors de la Société, une certaine volonté de lui voir conserver à tout prix sa forme actuelle. Cet objectif ne nous paraît pas souhaitable. Il semble reposer sur la peur de voir l'autonomie de la Société disparaître au profit du gouvernement, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'un outil de propagande pour parti au pouvoir à Ottawa. À notre avis, c'est là un danger purement hypothétique. Comme nous avons tenté de le démontrer, le statut actuel de la Société (organisme autonome qui n'a de compte à rendre à personne), constitue un danger bien plus imminent puisqu'il suscite la remise en question de l'existence même de la Société.

[Traduction]

À notre avis, c'est là un danger purement hypothétique. Comme nous avons tenté de le démontrer, le statut actuel de la Société (organisme autonome qui n'a de compte à rendre à personne), constitue un danger bien plus imminent puisqu'il suscite la remise en question de l'existence même de la Société...

[Français]

D'ailleurs, pour faire leur étude, le CRTC n'a pas reçu la permission de CBC/Radio-Canada pour aller interroger les employés. On leur a dit que cela serait une intrusion dans leur gestion de la société. Il s'agit là du résumé et, évidemment, vous verrez dans le rapport des pages et des pages faisant état de spécialistes de toutes les provinces canadiennes qui y ont participé. Il y a là deux observations fort intéressantes. Ils disent, finalement, que lorsqu'on regarde les deux bulletins de nouvelles, on dirait qu'ils ont été faits chacun sur une planète différente.

[Traduction]

Ils n'ont absolument rien en commun.

[Français]

Ils ajoutent aussi un point sur lequel nous n'avons pas porté assez d'attention : le rôle de journaliste n'est pas seulement de couvrir la nouvelle, mais également de décider quelle est la nouvelle qui est importante. Il y a des milliers de nouvelles par jour, et c'est celles qu'ils choisissent pour les 20 ou 30 minutes qui sont celles auxquelles les gens devraient porter attention. Et lorsqu'ils ne choisissent qu'une sorte de nouvelles, au point de vue professionnel, c'est biaisé. J'ai trouvé cela très intéressant.

Là, ils ajoutent que tous les médias font cela; ils essaient de trouver ce qui est surprenant, ce qui est étonnant ou hors du commun, et cetera. Mais ils disent toutefois que seule Radio-Canada a une obligation en vertu de la loi de faire le contraire et de parler de la globalité du Canada, de donner le tableau d'ensemble. C'est le seul média de communication qui a cette obligation et qu'il viole systématiquement. C'est un document capital qu'il faut lire; c'est de loin l'étude la plus importante.

Pour les autres points qui suivent, vous avez mon rapport que j'ai préparé pour le CRTC; ensuite, M. Shaun Poulter à qui j'ai écrit pour avoir le nombre de journalistes et leur répartition géographique. Il m'a envoyé la liste; ç'a pris un certain temps, mais il me l'a envoyée et je lui ai demandé la permission de la publier.

[Traduction]

Il m'a dit que je pouvais absolument le faire, et que c'était gentil de ma part de l'avoir demandé. Ce document se trouve sous l'onglet 3. C'est la répartition géographique de tous les journalistes, et j'ai eu la permission de la diffuser.

[Français]

Lorsque Mme Pleszcynska était directrice à ce moment-là des programmations et autres à l'extérieur du Québec, je lui ai dit que j'avais une note disant qu'il y avait plus de 200 journalistes à l'extérieur du Québec. Elle m'a répondu : « Certainement. » Elle le sait puisqu'elle était la directrice. Lorsque j'ai publié mon mémoire au CRTC, La Presse canadienne a appelé CBC/Radio-Canada et ils ont dit :

[Traduction]

Hé, De Bané dit qu'il y a 600 journalistes à la CBC et 600 à la Société Radio-Canada, et M. McKinnon — Angus McKinnon, directeur des communications de la Société — l'a confirmé.

[Français]

Finalement, Chantal Francoeur, Ph.D, professeure en communication à l'École des médias de l'Université du Québec à Montréal, a fait sa thèse de doctorat sur la Société Radio-Canada, où elle a été journaliste durant 15 ans. Pour la première fois, la Société Radio-Canada a permis à une étudiante au doctorat d'entrer à Radio-Canada, d'assister aux réunions des chefs de la haute direction durant des mois; et elle a écrit un livre. C'est sa thèse de doctorat, au fond, qui est dans ce livre, et je vous invite à y lire le nombre de journalistes à la page 8 de son livre.

[Traduction]

Vous avez le paragraphe de sa thèse de doctorat dans lequel elle dit :

[Français]

À l'hiver 2010, à la veille de l'intégration, le service d'information de Radio-Canada dans l'ensemble du pays compte 765 journalistes, occupant des postes variés de correspondants, présentateurs, recherchistes, rédacteurs, affectateurs, secrétaires de rédaction, journalistes spécialisés, journalistes régionaux, journalistes nationaux.

Et là-dessus, 559 sont à Montréal; vous comprenez ma surprise.

À l'onglet no 7, il est question de M. Shaun Poulter qui m'avait envoyé une liste faisant état d'un nombre de 1 200; et là, il envoie à notre ancienne présidente, la sénatrice Chaput, l'information selon laquelle maintenant il n'y en a plus que 550 dans les deux réseaux. Parce que là, les journalistes sont ceux qui sont en ondes seulement.

Alors que, évidemment, comme dit la professeure Francoeur, il y a dans ce métier toutes les variations dans l'exercice de sa profession. Comme on me l'a expliqué même, il y a des journalistes dont la fonction, la nuit, est de se promener en voiture pour aller couvrir un accident d'auto quelque part. Il y en a une variété dans ce domaine de la télévision et de la radio aujourd'hui avec l'électronique. Il y a ceux qui s'occupent du Web, et cetera; ce sont tous des journalistes.

En réponse à madame, après que tous les autres aient confirmé le nombre de journalistes, on nous a envoyé une réponse comme celle-là. Cela vous donne une idée et cela m'explique pourquoi, lorsque j'ai témoigné au CRTC, on m'a demandé pourquoi CBC/Radio-Canada résiste tellement à donner l'information. C'est une des questions qu'on m'a posées et eux-mêmes se demandaient pourquoi cette société financée par tous les Canadiens est incapable de parler clairement et franchement de la réalité.

À l'onglet 8, j'analyse toutes ces choses. À l'onglet 9, il y a la lettre envoyée à la présidente du comité, qui était à l'époque la sénatrice Maria Chaput. Vous pouvez lire dans cette lettre la phrase suivante.

[Traduction]

En gros, on dit qu'il serait trompeur de comparer les sujets traités au Téléjournal à ceux du National de la CBC. Il s'agit dans les deux cas d'émissions d'informations, mais chacune des deux équipes prend ses propres décisions éditoriales en fonction des besoins très différents de leurs auditeurs respectifs.

Nous sommes devant la décision de laisser de côté les objectifs précisés dans la Loi sur la radiodiffusion, dont je vais vous en répéter quelques-uns. Il y en a neuf, mais je ne vous mentionnerai que les suivants :

[Français]

ii. refléter la globalité canadienne [...]

iii. contribuer activement à l'expression culturelle et à l'échange de diverses formes qu'elle peut prendre,

vi. contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationales,

[Traduction]

Ce sont deux publics différents. C'est l'impératif qui justifie deux choses complètement différentes.

[Français]

Et cela ne semble pas les intéresser que tous les soirs, à la télévision, il n'y ait absolument rien en commun entre The National et Le Téléjournal. Rien en commun. Alors que la loi stipule que la programmation devrait « contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationales ».

Après avoir déposé mon rapport, la Société Radio-Canada a publié un communiqué sur son site web où elle répond que : « C'est trompeur de la part du sénateur De Bané de comparer Le Téléjournal à The National parce qu'il faudrait, au contraire, qu'il fasse une étude sur tous nos bulletins d'information durant 24 heures. » Évidemment, c'est un commentaire réellement de mauvaise foi. Tout le monde sait, comme le dit le CRTC, qu'il y a une émission qui rassemble la majorité des Canadiens, et c'est le bulletin de 21 heures. Ils ajoutent que ce n'est pas à 23 heures qu'il faut passer ce bulletin mais bien à 21 heures, parce qu'à 23 heures, beaucoup sont déjà couchés.

Que fait Radio-Canada aujourd'hui? Ils présentent leur bulletin d'information, qui couvre essentiellement le Québec, à 21 heures, et pour ceux qui ont le câble — et seulement ceux qui ont le câble —, ils peuvent écouter un bulletin à 23 heures, à RDI. Et ceux qui n'ont pas RDI ne peuvent pas avoir les nouvelles des autres provinces canadiennes. Ce sont les onglets 10 et 11.

À l'onglet 12, c'est ma réplique à Radio-Canada lors des audiences du CRTC. Radio-Canada est le premier témoin, et c'est également le dernier. Si quelqu'un a des choses à dire concernant son mémoire, et ce que Radio-Canada en a dit, il a le droit de faire une réplique. C'est ce que j'ai fait. Je ne vous mentionnerai qu'une partie de cette réplique.

À un moment donné, le président du CRTC demande au président de Radio-Canada quel est le pourcentage des nouvelles canadiennes sur son bulletin d'information, Le Téléjournal. Et M. Lacroix lui répond « : Monsieur le président, les nouvelles canadiennes et étrangères, c'est 50 p. 100. » Il a mis le Canada avec les pays étrangers. C'est, à mon avis, inexcusable. Et à la radio de Radio-Canada, jusqu'à il y a quelques mois, on entendait plusieurs fois par jour la publicité : « Écoutez, cet après-midi, notre émission qui porte sur l'essentiel des nouvelles canadiennes et étrangères. » Ils mettent le Canada et les pays étrangers ensemble. C'est ce qu'il a fait lui-même devant le CRTC. Parce que les chiffres sont très simples. Il y a 35 p. 100 de nouvelles internationales, 15 p. 100 de nouvelles qui concernent le Canada, et il a réuni les deux. Il a dit que les nouvelles canadiennes et étrangères représentent 50 p. 100.

La vice-présidente : Monsieur De Bané, si vous me le permettez, je crois que vous connaissez assez bien le fonctionnement de notre comité. Je suis prête à vous offrir cinq minutes supplémentaires, mais il faudrait peut-être terminer afin de permettre à nos collègues de poser toutes les questions qu'ils ont à l'esprit.

Le sénateur De Bané : Je n'abuserai pas de votre patience; vous avez déjà été très indulgente jusqu'à maintenant.

Je dépose, à l'onglet 13, le pourcentage des Canadiens qui parlent les deux langues. C'est un extrait de Statistique Canada, et c'est publié sur le site web de la Conférence des ministres de la francophonie canadienne. Et lorsque la présidente, la sénatrice Chaput, a demandé à Mme Patricia Pleszczynska combien de personnes parlent français à l'extérieur du Québec, elle a répondu : « Je n'ai qu'un chiffre, ceux dont la langue maternelle est le français, c'est un million. » D'après Statistique Canada, ils sont 2,6 millions; aujourd'hui, trois millions. C'est le seul diffuseur de radio- télévision au monde qui sous-estime son auditoire potentiel.

Cela m'a réellement étonné qu'elle ne soit pas au courant de cette statistique de Statistique Canada.

Ensuite, je dépose les mêmes données, dans The Globe and Mail, qui a pris également les statistiques de Statistique Canada et qui présente les graphiques différemment.

Ensuite, à l'onglet 14, vous trouvez le plan de Radio-Canada d'abandonner le nom « Radio-Canada » pour le mot « Ici ». Je dépose un article de M. Sylvain Lafrance, ancien président, disant que Radio-Canada est l'une des 10 marques les plus respectées au Canada. Et là, on veut le changer avec le mot « Ici ». Évidemment, le mot du vice-président va certainement passer à l'histoire du réseau français, aujourd'hui M. Lalande, qui, lorsqu'on lui a dit : « Comme ça, vous abandonnez le nom de Radio-Canada? », il a répondu : « Ah non! Il sera toujours sur ma carte d'affaires. »

[Traduction]

Richard Stursberg, qui a été vice-président des services en anglais de la SRC pendant six ans, a écrit un livre sur la CBC/Radio-Canada. Je vous en donne des extraits, dans lesquels il dit que les deux ailes de la SRC entretiennent des liens incroyablement tendus et acrimonieux, et empreints de jalousie. Pour ce qui est des membres du conseil d'administration, il dit qu'il est très difficile de leur poser des questions à propos de Radio-Canada, car ils ne parlent pas anglais. Ils ne se tournent jamais vers ce réseau, alors ils ne peuvent poser de questions, et cetera.

Il en vaut la peine de lire des extraits de ce livre. Il y a été pendant six ans. Il a été adjoint d'un sous-ministre à Ottawa, président de l'Office national du film, président de Téléfilm Canada, et il est bilingue. Il a même offert à M. Lacroix, le président, d'aller diriger le réseau français. Il a demandé de passer au réseau français.

[Français]

Ensuite, je vous ai soumis l'étude.

[Traduction]

Sous l'onglet 17 se trouve une étude réalisée par la faculté de droit de l'Université de Montréal pour le gouvernement du Canada au sujet des liens entre le CRTC, la SRC et le gouvernement du Canada.

[Français]

Il s'agit d'une étude réalisée par les professeurs Trudel et Frémont.

[Traduction]

En gros, quand le CRTC demande à Radio-Canada quelque chose qu'elle ne veut pas mettre en œuvre, elle peut s'en plaindre au ministre. En ce moment, c'est le ministre de Patrimoine canadien. Après avoir reçu la plainte que Radio- Canada a faite concernant le CRTC, le ministre rencontre les représentants du CRTC, puis il publie ses instructions à la Société. Les instructions doivent être publiées dans la Gazette du Canada.

À la fin se trouvent mon discours et mon projet de loi du 18 juin. J'ai été essentiellement inspiré par le pouvoir du ministre. Cela correspond à la situation du gouverneur de la Banque du Canada, qui a le pouvoir de gérer la monnaie et les taux. Quand il reçoit des instructions par écrit, il doit les suivre.

[Français]

Je ne touche pas à la liberté d'expression de Radio-Canada, mais je propose différents sujets — on peut en ajouter ou les modifier — qu'on devrait mettre dans un projet de loi afin que, soit le gouvernement soit les deux Chambres donnent des instructions à Radio-Canada, par exemple de respecter la loi, de faire en sorte que leurs bulletins de nouvelles couvrent la globalité canadienne, comme dit la loi, plutôt qu'une seule province.

Voilà le résumé des documents que je soumets à votre réflexion.

La vice-présidente : Dois-je comprendre, monsieur De Bané, que les nouvelles conditions de licence émises par le CRTC ne répondent pas à vos attentes à l'égard du radiodiffuseur, qu'ils continueront à trop se centrer sur le Québec? Couvrir davantage les actualités de tout le pays, accroître la collaboration entre les deux réseaux, vous croyez que cela ne va pas assez loin?

M. De Bané : Absolument, madame, vous avez très bien résumé ma pensée. Non, ce que nous avons là ne changera pas grand-chose. Il faudrait voir tous les engagements que Radio-Canada a pris en 1977, à la suite du rapport du CRTC. Rien de cela n'a été fait.

Encore aujourd'hui, comme le dit M. Stursberg, les deux sociétés ne se parlent pas. Combien de fois ai-je vu des émissions à la CBC qui auraient eu tellement avantage à être diffusées sur le réseau français. Il n'y a pas le moindre de doute dans mon esprit, ils n'ont pas la moindre intention de faire cela.

Dans la lettre qu'ils ont envoyée au comité sénatorial, au lieu de refléter leur accord avec la réalité, que ce sont des gens qui habitent le même pays et qui parlent des langues différentes, on va diffuser des nouvelles qui intéressent les deux communautés, au contraire, ils ont plutôt dit qu'il n'y a aucune relation entre les deux, qu'ils sont très différents et que les nouvelles n'ont rien de commun entre elles. Après avoir dit tout cela, ils vont nous dire, dans leur rapport annuel, des choses qui font rire le monde. Quand je les cite, les gens partent à rire.

M. Florian Sauvageau nous a dit, au comité, que quand il entend ces propos, il a aussi envie de rire, car cela n'a aucun sens de tenir des propos comme : « Radio-Canada est une force unificatrice pour tous les Canadiens », et cetera. Il dit qu'il rit, lui aussi, quand il lit tout ce qu'il y a dans le rapport annuel. Cela n'a pas de sens.

Malheureusement, c'est ce que nous vivons depuis des années et cela va continuer, parce qu'ils croient que la majorité de l'auditoire est au Québec. J'ai trouvé malheureuse l'expression de M. Lacroix devant le CRTC. Il a dit « les Français de l'extérieur »; je croyais qu'il parlait de ceux qui habitent à l'étranger, dans d'autres pays, mais non, il parlait de ceux qui habitent à l'extérieur du Québec! « Les Français de l'extérieur », franchement!

La vice-présidente : Une qui connaît très bien les problèmes des Français de l'extérieur, madame la sénatrice Chaput.

La sénatrice Chaput : Merci, madame la présidente. Bienvenue, sénateur De Bané, c'est toujours un plaisir de vous revoir. Je suis heureuse de constater que la fougue et la passion qui vous animent pour défendre des dossiers, qui vous sont aussi chers, ne vous ont pas quitté, et je vous en remercie.

Si j'ai bien compris, vous n'êtes pas satisfait des dernières conditions de licence imposées par le CRTC, parce que cela ne fera pas tellement de différence.

M. De Bané : En effet.

La sénatrice Chaput : À quelle hauteur ces dernières conditions de licence imposées auraient-elles dû être imposées pour que cela puisse faire vraiment une différence, d'après vous?

M. De Bané : La première chose qu'il faut garder à l'esprit, c'est que si le CRTC a l'intention d'imposer une condition de licence, la loi prévoit qu'il doit s'asseoir avec la Société Radio-Canada et essayer de s'entendre avec elle. Il ne peut pas le faire sans les consulter. Il doit s'asseoir avec eux et leur expliquer qu'ils devraient faire ceci ou cela. Il ne peut pas refuser de renouveler leur licence parce que la société existe en vertu d'une loi. Il ne s'agit pas du tout du même régime que dans le secteur privé. Si Radio-Canada trouve que ce que le CRTC lui demande est trop lourd, vous avez l'étude des professeurs Frémont et Trudel de l'Université de Montréal qui dit que, à ce moment-là, Radio-Canada peut s'adresser au ministre pour demander une révision. Il y a donc une limite à ce que le CRTC peut réellement faire. Il doit négocier ce qu'il voudrait imposer à Radio-Canada et Radio-Canada peut aller se plaindre au ministre.

Et comme le dit le CRTC, ils résistent à toute imputabilité sur leur administration. Ils le disent très bien que, franchement, ils ne se rapportent à personne.

[Traduction]

Ils ne rendent de comptes à personne.

[Français]

Il dit que c'est cela, le problème de Radio-Canada. Cette situation n'a aucun sens.

La sénatrice Chaput : Alors, monsieur De Bané, qu'est-ce qui peut être fait pour changer les choses afin que Radio- Canada puisse refléter le portrait de la globalité canadienne, le portrait de ce que je suis et de ce que les autres sont aussi?

M. De Bané : C'est tellement vrai ce que vous dites, parce que la seule raison pour laquelle il y a un secteur public, c'est pour permettre aux Canadiens de se voir et de s'entendre. Et comme la professeure Marie-Linda Lord, de l'Université de Moncton, le dit : « Quand je vois un francophone d'une autre province à la télévision, cela m'encourage dans ma détermination de rester fidèle à ma culture et à mon identité, parce que je vois qu'il y en a d'autres ailleurs. »

Actuellement, comme vous le savez, sur la chaîne de Radio-Canada, d'un bout à l'autre du pays, on ne voit que le Québec. Bien sûr, dans chaque province, nous avons un poste régional qui est très important, parce que le secteur privé ne nous donnera jamais un poste de radiotélévision dans les différentes provinces, sauf dans un marché très particulier. On a donc besoin de Radio-Canada pour avoir un service régional limité à chaque province. Mais ils ne sont jamais présents aux nouvelles nationales.

D'après l'étude que nous avons faite, les communautés hors Québec — les provinces, à part le Québec — représentent environ 2 p. 100 du temps au Téléjournal.

La vice-présidente : Sénatrice Chaput, votre nom est déjà inscrit pour un deuxième tour de table.

Le sénateur McIntyre : Monsieur De Bané, cela nous fait toujours plaisir de vous lire et surtout de vous entendre.

Nous avons tous une copie de la lettre du 19 octobre envoyée à ce comité par le directeur des relations gouvernementales du radiodiffuseur. Dans sa lettre, le directeur fait remarquer que les décisions journalistiques et la programmation sont protégées par la Loi sur la radiodiffusion. Par conséquent, comme vous l'avez mentionné, plusieurs des questions posées n'ont pas reçu de réponse détaillée.

Que pensez-vous de cette réponse du directeur des relations intergouvernementales? Selon vous, est-il exact que les décisions journalistiques et la programmation sont protégées par la Loi sur la radiodiffusion?

M. De Bané : Sénateur McIntyre, cela est tout à fait exact. La loi dit clairement, explicitement que Radio-Canada jouit d'une liberté d'information. Cela ne fait aucun doute. J'ajouterais même qu'aucun d'entre nous n'est intéressé par un diffuseur qui fait de la propagande. Cela n'intéresse personne. Le problème, c'est qu'ils se servent de cette disposition qui est dans la loi pour dire qu'ils ne sont imputables à personne.

Par exemple, je leur ai demandé combien il y avait de Canadiens français, d'Acadiens, qui regardent le service français de Radio-Canada et qui, à 21 heures, changent pour écouter les nouvelles à CBC parce qu'ils veulent connaître les nouvelles de tout le pays et non d'une seule province. J'ai posé des centaines de questions comme celle-là dans deux volumes que j'ai envoyés à Radio-Canada. La réponse que j'ai reçue : « On n'a pas à vous répondre. C'est une question de programmation. On ne répond pas à cela. »

J'ai aussi demandé : « Pourquoi avez-vous envoyé toute une équipe avec M. Lépine, un grand journaliste, en Chine, pour faire trois ou quatre reportages spectaculaires qui ont duré plusieurs heures, sur l'émergence de cette nouvelle puissance économique, et tout l'impact de la Chine apporté à différentes industries au Québec seulement, pas au Canada, seulement le Québec? » À cela, ils me répondent : « Nous sommes protégés par la loi qui garantit notre liberté d'information. » Ils se servent de cela pour ne répondre à aucune question.

Et c'est pourquoi le CRTC dit, dans l'extrait que je vous ai lu, qu'il ne faut pas que l'on réponde à aucune question parce qu'autrement, le parti au pouvoir, le gouvernement va nous contrôler, et cetera. Et le CRTC dit : « Non, cette non-imputabilité est un danger bien plus important. C'est ce qui va peut-être causer la disparition de Radio-Canada, d'être aussi insensible ». Et aux parlementaires, ça, ils en parlent. Ils résistent aux parlementaires et ils résistent au grand public.

Parce que s'il y a une chose qui ressort de l'étude du CRTC, c'est que le peuple veut une liberté d'information, veut un secteur public, mais veut aussi une éthique et une compétence professionnelles. Et ils se servent de cela pour ne répondre à personne, précisément de l'article que vous avez cité. Ils se servent de cela.

Allez répondre au comité qu'il y a 550 journalistes, quand la professeure Chantal Francœur dit que « juste à Montréal, il y en a 550 », pour l'amour du bon Dieu! Ce n'est pas correct.

La vice-présidente : Sénateur McIntyre, cela répond à votre question?

Le sénateur McIntyre : Oui, merci.

La sénatrice Bellemare : Il me fait bien plaisir, monsieur De Bané, de pouvoir vous entendre sur votre sujet de prédilection.

Bien que je sois tout à fait nouvelle à ce comité, je comprends toute la problématique. Il y a beaucoup d'enjeux que je ne maîtrise pas. Mais comme Canadienne qui écoute les nouvelles le soir, effectivement, quand je veux avoir des nouvelles canadiennes, j'écoute Peter Mansbridge à CBC, et après, je vais aux nouvelles québécoises. Et je me suis toujours dit que c'était peut-être à cause de la concurrence avec TVA que Radio-Canada se concentrait davantage sur les nouvelles québécoises. Mais je trouve parfois que les choix éditoriaux ne sont pas toujours heureux.

Ma question a trait à un débat que vous et moi avons entendu, et auquel vous avez participé lors de l'adoption de l'étude article par article du projet de loi C-4 sur le gouvernement actuel, qui veut écouter ou veut être présent lors des négociations de conventions collectives. Et je ne sais pas si vous vous rappelez mais vous êtes intervenu brillamment, avec beaucoup de vigueur, au sujet des représentants syndicaux qui étaient là, qui ne voulaient pas que le gouvernement assiste aux négociations.

Pensez-vous que ce que le gouvernement tente de faire dans les conventions collectives peut aider à ouvrir Le Téléjournal à la réalité canadienne? Parce que ce que les gens nous disaient c'est qu'effectivement, on ne voulait pas que le gouvernement soit là parce que cela allait toucher à l'organisation du travail. Je ne comprenais pas bien. Mais je comprends un peu mieux après vous avoir entendu. Est-ce que cela peut avoir un impact sur les choix éditoriaux ou c'est tout à fait un parallèle à la problématique et que cela n'a aucun rapport?

M. De Bané : Voyez-vous, l'organisation de la société, c'est un grand bureau à Toronto, un autre à Montréal, et ce sont finalement ces deux sections de la société qui impriment leur marque à Radio-Canada, à CBC. Quand même, il y a un plus grand effort à CBC de couvrir le pays tout entier alors que l'autre a une vision québécoise, avec 550 personnes à Montréal qui reçoivent les bulletins de nouvelles qui ont été préparés par les journalistes disséminés à travers le Canada. Ils décident, à Montréal, de ce qui est important ou non. À la fin, on a une situation qui ne reflète en rien la réalité canadienne.

Je profite de l'occasion pour vous dire que le troisième volume de mon étude a été fait par un docteur qui est professeur en journalisme à l'Université Carleton, M. Vincent Raynauld, de Montréal. Il montre qu'il a pris toutes les nouvelles du Téléjournal et The National sur deux ans, 2010-2011. À partir de cela, il a fait une étude. Il avait écouté tous les bulletins de nouvelles des deux années complètes pour dire que, finalement, le Québec occupait environ 40 p. 100, ou un peu plus, l'international, 35 p. 100, le Canada, vu selon la vision du Québec, 15 p. 100, et, finalement, toutes les provinces canadiennes ensemble, environ 3 p. 100. La professeure Marie-Linda Lord, de l'Université de Moncton, en est arrivée dans son étude à la conclusion que CBC couvrait plus la communauté acadienne que la Société Radio- Canada.

C'est quelque chose qui, à mon avis, va plus loin que les relations patronales-syndicales, parce que la loi spécifie bien que la Société Radio-Canada est responsable de ce qui est mis en onde sur le réseau, et que la haute direction ne peut pas esquiver sa responsabilité en disant qu'elle a donné la permission dans une convention collective et que, comme dans la plupart des journaux, le syndicat a une autonomie totale, et qu'elle ne peut pas les obliger à changer quelque chose dans leur reportage. Cela n'existe pas, cette chose, à Radio-Canada.

Il y autre chose que j'aimerais porter à votre attention. J'ai écrit au journal le plus important au Québec, le journal La Presse, et je leur ai demandé la répartition géographique de leurs journalistes. Ils ont des journalistes au Québec et également à Ottawa, mais ils n'ont aucun autre journaliste à plein temps dans aucune province. Par contre, ils ont 12 journalistes à plein temps à travers le monde : aux États-Unis, au Brésil, en Russie, à Paris, à Londres, à New York. Mais, dans le reste du Canada, ils n'en ont pas. Et c'est le journal le plus riche.

La lettre du directeur, qu'il m'a envoyée, vous la retrouverez dans vos documents, à la page 267 du volume 2. Il dit que le nombre total de journalistes est de 215. Le nombre de journalistes à plein temps à l'Assemblée nationale : trois; nombre de journalistes à plein temps à Ottawa : quatre; dans les villes canadiennes, aucun — aucun à plein temps. Au plan international, il y en a partout : Los Angeles, New York, Paris (deux), Londres, Moscou, et cetera, en Amérique latine, en Asie, et cetera.

La sénatrice Bellemare : Cela veut dire que la réalité que l'on rencontre à Radio-Canada au Québec, on la retrouve aussi dans des journaux?

M. De Bané : Attendez, eux sont comme ça. Ils sont seulement au Québec. Mais Radio-Canada a 215 journalistes à travers le pays, mais leurs nouvelles ne se rendent pas au plan national. On leur dit qu'on va les faire, les nouvelles, puis on va les donner. Chez vous, en Ontario, on va les donner, au Manitoba, au Nouveau-Brunswick, et cetera, mais on ne les mettra pas à 21 heures. Par contre, si vous avez le câble, on va les mettre à RDI à 23 heures le soir, mais pas à 21 heures. C'est réservé au Québec. Même le Canada a une très petite place. Cela n'a aucun sens.

Le projet de loi que j'ai préparé concerne différents sujets qui ne touchent pas l'information, mais qui permettent aux parlementaires ou au gouvernement de donner des instructions à Radio-Canada dans différents domaines. Cela vaut la peine de réfléchir s'il faut enlever certains des domaines que je suggère et en mettre d'autres. Le gouvernement peut donner des instructions par écrit comme il peut en donner au gouverneur de la banque, par exemple, et si les deux Chambres donnent des instructions par écrit, et c'est la majorité des parlementaires qui le font, et ne pas toucher au domaine de l'information, mais, par exemple, leur dire : « écoutez, le nom de la société, c'est Radio-Canada, ce n'est pas « ici » là.

D'ailleurs, j'ai mis une page, dans le document que vous avez, où je vous donne les sigles de CBC et de Radio- Canada. Pour Radio-Canada, ce que vous voyez, c'est ce qu'ils appellent « l'écusson ».

La vice-présidente : « La pizza ».

M. De Bané : C'est cela. En anglais, vous avez et le logo et CBC en dessous. Regardez ce que je vous ai mis à l'onglet 18, « Comparaisons », dans le gros cahier. Vous voyez que CBC met son nom partout à côté du logo, on voit CBC News, tandis que Radio-Canada ne met pas Radio-Canada.

La sénatrice Bellemare : C'est vrai.

M. De Bané : Ils voulaient même l'abandonner récemment. Cela vous donne une idée. Radio-Canada ne parle jamais du Canada sans dire le Québec et le Canada. S'ils veulent éviter de dire les deux ensemble, ils disent le pays. Ils ne mentionnent pas « Canada ». Ils disent « le pays ». Mais s'ils disent « le Canada », ils ajoutent « et le Québec ».

La vice-présidente : Nous allons maintenant passer au deuxième tour. Je vais donner la parole à la sénatrice Chaput.

La sénatrice Chaput : Les dernières conditions de licence imposées ne changeront pas grand-chose alors, si je comprends bien?

M. De Bané : Non.

La sénatrice Chaput : Dans l'information que vous nous avez remise, à l'onglet 12, il y a une conclusion dans laquelle vous dites :

L'attitude de Radio-Canada lors des instances publiques de l'étude de renouvellement des licences de la Société a démontré que le présent système ne permet pas d'obtenir une véritable reddition de compte. Le comité d'enquête de 1977 avait aussi abouti à la même conclusion.

Je vais donc répéter un peu la question que je vous ai posée au tout début, à savoir quelle est la solution ou quel serait un élément de solution? Qu'est-ce qui pourrait, à votre avis, changer véritablement les choses?

M. De Bané : Je vais essayer de répondre en vous faisant part de deux éléments de réflexion.

Le premier élément : la population veut une liberté d'information, à savoir que le secteur public, financé avec leurs impôts, n'est pas un poste de propagande. Cela, c'est certain.

Le deuxième point est le suivant : nous sommes toujours plus intéressés par ce qui se passe autour de nous que dans les grands ensembles. C'est ainsi qu'en Europe, où se trouvent certains des plus grands journaux de la planète : en France, en Allemagne et en Angleterre, ces derniers couvrent essentiellement ce qui se passe dans leur pays. La Commission européenne à Bruxelles s'est rendu compte de cela; si dans chaque pays leurs grands journaux, tels Le Monde, France Soir, The Guardian, The Daily Telegraph ou les grands journaux d'Allemagne et d'Italie ne parlent que de leur pays, comment peut-on créer l'Union européenne? Alors là, ils donnent quelques millions de dollars en euros à une société privée établie à Lyon, en France, qui a son programme Euronews et qui couvre l'actualité pour les 27 pays de l'Union européenne. Parce que pour les journaux et les médias, chacun ne veut couvrir que ce qui est proche de lui.

Nous, on va beaucoup plus loin. Plus des deux tiers du budget de Radio-Canada proviennent du gouvernement et seulement le tiers provient des revenus de publicité. C'est pour cela qu'au fond, ce que dit le CRTC dans son rapport, c'est qu'il faudrait que Radio-Canada comprenne que cette course à la cote d'écoute va détruire sa mission. Et Radio- Canada se sert de cela pour ne couvrir que ce qui intéresse les annonceurs.

Je me rappelle M. Florian Sauvageau disant que le Québec occupait une place disproportionnée, parce que leur auditoire est là et ils oublient la loi; ils nous disent que leur histoire est différente, donc que nous n'avons pas à tenir compte d'autres choses. Pourtant la loi est très claire, comme le dit le contrat entre la Commission européenne et Euronews; ils veulent que soit couverte la perspective européenne et pour cela ils paient. Et là, vous écoutez Euronews et vous avez des nouvelles de tout le monde. Alors qu'ici, on a complètement oublié cela et c'est dommage.

Parlant de ma propre province, je dirais que, depuis 50 ans, des générations entières de Québécois se sont coupées du Canada. Cela a mené Bernard Landry à dire que Radio-Canada était le diffuseur national du Québec; il le reconnaît comme le sien. Mme Pauline Marois a dit vouloir rapatrier au Québec le Conseil des arts, l'Office national du film, Téléfilm Canada; en tout, cinq organismes. Le seul qu'elle est prête à laisser à Ottawa, c'est celui-là : Radio-Canada; la plus grosse locomotive culturelle que nous avons, Mme Marois dit qu'elle va rester là, mais elle veut avoir tous les autres. Enfin...

La vice-présidente : Il faut croire, sénateur — je vous appelle encore « sénateur », vous le serez toujours pour moi —, que le réseau Euronews fait bien son travail.

Il y a une semaine et demie — c'est de là que j'ai peut-être rapporté cette petite grippe —, j'étais en Moldavie où se tenait la régionale Europe de l'Assemblée des parlementaires de la Francophonie. J'ai alors vu à quel point ce pays, qui a été déchiré entre l'Empire ottoman et l'empire romain, la Russie, la Turquie et l'Ukraine, ne veut qu'une chose présentement, c'est de faire partie de l'Union économique européenne. Ce pays se bat — on voit ce qui se passe en Ukraine parce que, là aussi, il y a cette division — et il faut croire que les gens du réseau Euronews font drôlement du bon travail en parlant de ce qui touche l'Europe. Je l'ai vu, entendu et lu parce qu'il y a quand même beaucoup de journaux francophones maintenant en Moldavie et une université francophone aussi. C'est assez étonnant. Sénateur McIntyre, vous avez droit à la dernière question.

Le sénateur McIntyre : Sénateur De Bané, vous avez été membre du Comité sénatorial permanent des langues officielles durant au moins quatre ans. Vous avez eu l'occasion, à diverses reprises, d'exprimer votre vision au sujet du respect des obligations incombant au radiodiffuseur CBC/Radio-Canada.

En tant que diffuseur public national, que ce soit au Sénat, en comité parlementaire, dans les tribunes publiques comme vous le faites si bien aujourd'hui ou auprès du CRTC, gardant à l'esprit cette vision que vous avez toujours conservée et pour laquelle nous vous en remercions, comment voyez-vous l'évolution des choses?

Par exemple, croyez-vous que notre comité puisse faire une différence dans l'évolution des choses?

M. De Bané : Sénateur McIntyre, je vous remercie beaucoup de cette question. J'ai la profonde conviction que ce comité peut faire énormément et j'aimerais vous soumettre quelques idées.

La première et la plus modeste que j'ai à l'esprit est que CBC a eu la bonne idée de diffuser, à la fin de l'émission des nouvelles The National, la météo à partir de Vancouver. Évidemment, la météo peut être diffusée à partir de n'importe quelle ville et tout le monde sait que le gros des effectifs de CBC est à Toronto. Mais en diffusant la météo en provenance de Vancouver, on sent tout de suite l'immensité du pays.

La Société Radio-Canada ne peut-elle pas faire en sorte que la météo nous soit diffusée en provenance de Moncton, de Halifax, du Manitoba ou d'une autre province? Ce serait tellement un geste modeste à poser. Mais non, il n'en est pas question; il faut que tout parte de Montréal.

Quand on en est rendu à être incapable de vouloir montrer la dimension du pays; tout le monde sait que l'on peut diffuser la météo en provenance de n'importe quelle ville.

On refuse même des choses comme celles-là. Il faut que cela parte de Montréal peu importe qu'on parle de Chicoutimi, de Trois-Rivières, de Gaspé ou autres. Et si on donne la météo à Ottawa, il faut la donner à Gatineau parce que c'est le Québec et Ottawa est dans une autre province. Une insensibilité pareille ne pas de sens.

Pourquoi mon étude a-t-elle eu un certain impact qui a amené Radio-Canada à prendre des pages sur son site web pour me répondre parce que je parle du Téléjournal alors que Radio-Canada a des bulletins de nouvelles à 4 heures du matin et que je ne les ai pas couverts? Parce que j'ai trouvé un professeur qui m'a été recommandé par l'école de journalisme, qui a écouté les nouvelles de chaque journée et en a fait l'étude. Il m'a dit : « Les séparatistes m'ont téléphoné et ils étaient en maudit. » Mais après avoir vu le document, ils ont dit : « On ne peut pas contester cela. » Personne n'a osé attaquer cela.

J'aimerais beaucoup si le comité pouvait retenir les services du même scientifique ou des gens de la qualité de Mme Marie-Linda Lord pour continuer ce travail d'année en année. Si toutes les provinces canadiennes à l'extérieur du Québec n'ont que deux minutes au téléjournal de Radio-Canada et que cela continue d'année en année, il y aura un impact. Le gouvernement va dire qu'il faut faire quelque chose.

Alors, je l'ai fait pour 2010-2011. Il faudrait le faire pour 2012-2013. Cela ne coûte pas beaucoup d'argent et cela vaut la peine. Soit le comité ou un ou deux sénateurs se mettent ensemble pour engager un spécialiste qui continue ce travail. Il faudrait continuer parce que les chiffres ne mentent pas.

Ce que j'ai aimé au sujet du travail de M. Vincent Raynauld, c'est qu'aucun article au Canada n'a critiqué la validité scientifique. Cela a été fait avec énormément de spécialistes et personne n'a contesté. Tout ce que Radio-Canada a à dire c'est que j'aurais dû faire les autres téléjournaux à deux heures du matin également. Franchement!

Cela vaut la peine que ce travail continue. C'est ce document qui a donné de la valeur à mes propos. Je regardais tous les jours et je prenais des notes, mais cette étude était réellement le coup marteau. J'ai dit au CRTC que le Québec était très important. Cela tombe sous le sens commun qu'il faut qu'il ait une place importante au téléjournal. Maintenant, quelle place doit-elle occuper à elle seule? Autant que les autres provinces ensemble? Que pensez-vous si elle avait deux fois plus temps que toutes les provinces ensemble? Trois fois plus? Quatre fois plus? Actuellement, elle a huit fois plus de temps que toutes les provinces ensemble. Toutes les nouvelles du gouvernement canadien sont toujours rapportées de la perspective du gouvernement du Québec. Cela n'a pas de sens. Il faut mettre fin à cela.

La vice-présidente : Sénateur Robichaud, vous avez réussi à me convaincre de poursuivre pour quelques minutes.

Le sénateur Robichaud : Vous êtes facile à convaincre, madame la présidente.

Quelle influence croyez-vous que notre comité peut avoir sur Radio-Canada? Vous dites qu'on peut jouer un rôle et vous savez de quelle façon nous fonctionnons. On reçoit des témoins, des gens qui sont de différents côtés de la question qu'on étudie. On prépare un rapport et le rapport est déposé au Sénat et on demande une réponse d'un ministre. Malheureusement, c'est souvent la dernière étape. Il faudrait quand même que cela aille plus loin, que la portée soit plus grande.

Le sénateur De Bané : Vous posez la question centrale. Ce que j'ai aimé à ce comité, c'est qu'on a travaillé sans aucune partisanerie politique parce que tout le monde sent que la grande caractéristique de notre temps est une période de communication.

Le gouvernement canadien a mis en place un tas de politiques pour créer ce pays et lui donner une certaine solidité. On a commencé avec les chemins de fer, une politique des transports, une politique de télécommunication, un Conseil des arts, l'Office national du film et Radio-Canada. Tous ces organismes relient un pays qui, à lui seul, est plus grand que tous les pays de l'Europe ensemble.

On voit depuis 30 ans que cela empire. Il n'y a plus aucune relation depuis 1970 entre la Société Radio-Canada à Montréal et l'autre versant à Toronto. Il ne faut pas oublier que la Loi sur la radiodiffusion n'a créé qu'une seule corporation et les deux ne se parlent pas. Ensuite, on se demande qui est le principal vecteur des deux solitudes; c'est bien Radio-Canada. Comme le CRTC le dit dans son rapport, ceux qui sont du côté de CBC ne parlent pas français et du côté français, beaucoup sont bilingues, mais ne s'intéressent pas au Canada. Réellement, les deux sont les principaux vecteurs des deux solitudes.

L'absence de partisanerie donne de la crédibilité au comité. Il faut trouver une façon de rendre la CBC/Radio- Canada imputable aux parlementaires, au gouvernement, aux payeurs de taxe sans toucher à la liberté d'information.

Mon projet de loi dit que les deux Chambres ensemble ou le gouvernement, l'un des deux peut donner des instructions s'il s'agit de faire respecter l'un des objectifs de la Loi sur la radiodiffusion qui est complètement ignorée. Il est question de commercialisation, de respecter les noms de la société et non pas d'inventer un autre nom. J'ai mis quelques exemples de choses pour lesquelles on devrait pouvoir donner des instructions qui ne toucheraient pas à la loi, à la liberté d'information.

En d'autres termes, je crois beaucoup en ce comité parce que nous sommes tous animés par le même esprit. Il n'y a pas de lutte partisane.

La vice-présidente : Monsieur De Bané, avec la détermination que vous avez insufflée à ce comité au fil des années, guidés par ce projet de loi que vous nous avez laissé avant de nous quitter, j'ai bon espoir que nous aurons la possibilité de faire quelque chose et de vous inviter pour célébrer.

Dans le Grand Nord canadien, la seule demi-heure de radio en français est de 23 heures à 23 h 30 le vendredi soir. Des parents nous ont dit vouloir que leurs enfants écoutent la radio en français, mais que la plage horaire ne le permettait pas.

Je vous remercie pour tout le travail que vous avez accompli au cours des années.

Chers collègues, je vais suspendre la séance pendant quelques minutes.

En tant que vice-présidente, j'aimerais vous demander, à huis clos, de vous pencher sur quelques points pour les prochaines réunions.

(La séance est levée.)


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