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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 8 - Témoignages du 27 octobre 2014


OTTAWA, le lundi 27 octobre 2014

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 16 h 59, pour commencer son étude sur l'application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi. SUJET : Rapport annuel du commissaire aux langues officielles de 2013-2014.

La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des langues officielles ouverte. Je suis la sénatrice Claudette Tardif, de l'Alberta, et la présidente de ce comité.

Je demanderais aux sénateurs de se présenter, en commençant à ma gauche.

La sénatrice Poirier : Sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Rivard : Sénateur Michel Rivard, du Québec.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Sénatrice Suzanne Fortin-Duplessis, du Québec.

Le sénateur Maltais : Sénateur Ghislain Maltais, du Québec.

La sénatrice Chaput : Sénatrice Maria Chaput, du Manitoba.

La présidente : L'article 66 de la Loi sur les langues officielles stipule que, dans les meilleurs délais, après la fin de chaque année, le commissaire aux langues officielles doit déposer au Parlement le rapport d'activité du commissariat pour l'année précédente. Le commissaire aux langues officielles, M. Graham Fraser, a déposé son huitième rapport annuel le 7 octobre 2014.

Aujourd'hui, il nous fait grand plaisir de recevoir le commissaire afin qu'il nous présente les points saillants de son rapport, pour que nous puissions ensuite en discuter. Le commissaire est accompagné de Mme Mary Donaghy, commissaire adjointe à la Direction générale des politiques et des communications; de Mme Ghislaine Saikaley, commissaire adjointe à la Direction générale de l'assurance de la conformité; et de Mme Johane Tremblay, directrice et avocate générale à la Direction générale des affaires juridiques. Bienvenue à vous tous.

Je cède maintenant la parole à M. Fraser. Après votre présentation, les sénateurs vous poseront des questions.

Graham Fraser, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Merci, madame la présidente.

[Traduction]

Bonjour, mesdames et messieurs, honorables sénateurs et membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles.

[Français]

Je vous remercie d'être venus à la présentation de mon rapport de 2013-2014. Cette année, le rapport est axé sur mon rôle en tant que protecteur des droits linguistiques des citoyens. Il aborde certaines conclusions découlant de l'usage d'outils à la disposition du commissariat en vue d'instaurer des changements dans les organisations : les enquêtes et l'analyse des plaintes recevables, les vérifications, y compris celle qui porte sur la reddition de comptes et les langues officielles, les bulletins de rendement et les recours judiciaires.

[Traduction]

Le rapport s'attarde tout particulièrement aux plaintes reçues après la mise en œuvre du Plan d'action pour la réduction du déficit du gouvernement fédéral. Le rapport annuel présente certaines des 23 plaintes directement attribuables à la mise en œuvre du Plan d'action pour la réduction du déficit, mis en place par le gouvernement à partir de 2012. La plupart d'entre elles se sont révélées fondées.

Bien que les enjeux soient très différents, j'ai tiré une conclusion générale : le succès exige de la planification, et la planification exige du leadership. Lorsqu'une institution échoue, c'est souvent parce qu'elle a négligé la planification, et fréquemment, cette lacune est attribuable à un manque de leadership.

[Français]

Je continue d'utiliser l'exemple de la décision du gouvernement fédéral de fermer le Centre secondaire de sauvetage maritime à Québec, dont il est question dans mon rapport annuel de l'année dernière. À la suite d'une enquête rigoureuse, il est apparu clairement — aussi bien au commissariat qu'à la Garde côtière canadienne et au ministère de la Défense nationale — que les bateaux en détresse dans le fleuve Saint-Laurent et dans le golfe ne pourraient pas obtenir rapidement un service en français de la part des centres de recherche et de sauvetage situés à Trenton et à Halifax.

[Traduction]

La fermeture a d'abord été reportée jusqu'à ce qu'un service en cas d'urgence puisse être garanti en tout temps. Puis, en janvier 2014, le gouvernement a annoncé que le Centre secondaire de sauvetage maritime ne serait pas fermé.

Les conclusions de cette enquête témoignent du manque de planification adéquate souvent mis en relief par les centaines de plaintes que nous traitons chaque année. D'année en année, sur quatre plaintes que nous recevons, trois d'entre elles méritent que l'on fasse enquête. Les institutions fédérales doivent bien réfléchir avant d'agir afin de déterminer les éventuelles conséquences négatives de leurs mesures sur les communautés de langue officielle, sur les services qu'elles offrent au public ainsi que la capacité de leurs propres employés à travailler dans la langue officielle de leur choix.

[Français]

Ce rapport annuel permet de constater que nos enquêtes mènent souvent à des résultats positifs. Après avoir reçu nos rapports d'enquête, bon nombre d'institutions acceptent d'envisager d'autres solutions et parfois même de revenir sur leurs décisions.

Il arrive aussi que des institutions ne donnent pas suite à mes recommandations, par manque de volonté ou en raison d'une compréhension erronée de leurs obligations linguistiques. C'est le cas de Pêches et Océans Canada, qui a récemment confirmé la fermeture de sa bibliothèque à Mont-Joli, au Québec, malgré la recommandation de mon rapport d'enquête qui invitait le ministère à revoir cette décision en tenant compte de ses obligations en vertu de la partie VII de la loi.

[Traduction]

Mon équipe examine actuellement la réponse que nous avons reçue la semaine dernière à propos de ma recommandation et j'ai demandé à rencontrer le sous-ministre de Pêches et Océans, M. Matthew King.

La fonction d'assurance de la conformité est un outil extrêmement utile pour susciter des changements et faire en sorte que les institutions s'acquittent de leurs obligations.

[Français]

J'agis en amont dans le cadre de vérifications et d'interventions auprès des institutions soumises à la loi. Cependant, les 476 plaintes reçues l'année dernière sont autant d'occasions pour des citoyens d'attirer l'attention sur un problème qui les touche personnellement. Il est important que les citoyens constatent que le dépôt d'une plainte entraîne souvent des changements concrets qui servent l'intérêt public.

[Traduction]

Ce fut le cas, par exemple, avec la plainte concernant le Fonds des médias du Canada qui, dans son fonctionnement, avait des répercussions négatives sur les communautés anglophones du Québec. En réponse à ma recommandation, un nouveau programme a été mis en place. Mon rapport donne d'autres exemples de plaintes qui entraînent des résultats.

Dans le même ordre d'idées, j'ai recommandé à l'issue d'une enquête que l'Agence de la santé publique du Canada prenne les mesures nécessaires afin que la communauté francophone de la Nouvelle-Écosse se fasse servir en français par des organismes qui offrent des services dans le cadre du Programme d'action communautaire pour les enfants.

[Français]

En matière d'obligations linguistiques, la planification est liée au succès. Les enquêtes, les vérifications et les bulletins de rendement sont tous des outils dont dispose le commissariat et qui encouragent les institutions à faire des changements et à respecter leurs obligations en matière de langues officielles.

Les retombées d'une enquête peuvent être importantes. L'enquête qui a fait suite aux nombreuses plaintes au sujet de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Vancouver en est un bon exemple. Elle nous a incités à publier un guide destiné aux organisateurs de manifestations sportives afin de les aider à mieux traiter les enjeux linguistiques.

[Traduction]

Cet ouvrage a d'ailleurs aidé les organisateurs des Jeux d'été du Canada 2013 à Sherbrooke, au Québec, à mettre sur pied un événement exemplaire sur le plan des langues officielles. En effet, la prise en compte du français et de l'anglais à toutes les étapes ont fait des Jeux à Sherbrooke un modèle à suivre pour d'autres collectivités hôtes.

Ce guide a servi de base à l'élaboration d'un ouvrage semblable, cette fois destiné aux organisateurs d'événements, y compris les activités qui souligneront le 150e anniversaire de la Confédération, en 2017. Au moyen de ce guide, les organisateurs pourront ainsi veiller à ce que la dualité linguistique fasse partie intégrante des festivités organisées à l'occasion de cet anniversaire.

[Français]

Cette année, l'une de mes deux recommandations concerne justement les préparatifs du 150e anniversaire de la Confédération. Les festivités de 2017 seront des occasions de montrer aux Canadiens et au reste du monde que la dualité linguistique demeure un pilier de l'identité canadienne, 150 ans après la Confédération. Je recommande à la ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles de faire preuve de leadership en encourageant les institutions fédérales à tenir compte de la dualité linguistique dans le cadre de la planification de leurs activités liées aux festivités du 150e anniversaire de la Confédération.

[Traduction]

Lorsqu'il s'agit de respecter les langues officielles, le succès n'est pas le fruit du hasard. Les institutions qui réussissent sont celles qui planifient leurs mesures, consultent les communautés et évaluent leurs progrès. Une telle démarche ne devient possible que si les gestionnaires, les nouveaux employés et les spécialistes des ressources humaines connaissent bien leurs obligations en matière de langues officielles et, en particulier, les exigences pour l'établissement du profil linguistique des postes.

La formation sur les langues officielles serait plus efficace si elle était offerte systématiquement à tous les employés du gouvernement fédéral plus tôt dans leur carrière. Dès leur entrée en fonction, les employés fédéraux doivent être mis au courant de l'importance que revêtent les langues officielles dans la prestation des services aux Canadiens et dans le fonctionnement interne du gouvernement.

[Français]

Mon autre recommandation s'adresse au président du Conseil du Trésor. Je recommande qu'il veille à ce que le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et l'École de la fonction publique du Canada revoient et améliorent toute la formation liée aux responsabilités en matière de langues officielles destinée aux nouveaux fonctionnaires, aux nouveaux gestionnaires, ainsi qu'aux spécialistes des ressources humaines qui les conseillent.

[Traduction]

Vous pouvez consulter le rapport annuel de 2013-2014 sur le site web du Commissariat aux langues officielles. J'invite également les gens à participer à la discussion en ligne, au moyen de notre page Facebook et notre fil Twitter dans les deux langues officielles, bien entendu.

Je vous remercie de votre attention. J'aimerais maintenant prendre le temps qu'il reste pour répondre aux questions.

[Français]

La présidente : Merci beaucoup, monsieur le commissaire. La première question sera posée par la vice-présidente du comité, la sénatrice Fortin-Duplessis.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur le commissaire, c'est toujours un plaisir de vous recevoir, ainsi que votre équipe. Soyez les bienvenus.

À la fin de votre présentation, vous dites que vous recommandez, dans votre rapport, que soit revue et améliorée toute la formation destinée aux personnes ayant des responsabilités en matière de langues officielles, telles que les nouveaux gestionnaires, aux personnes qui ont des pouvoirs de dotation, et aux spécialistes en ressources humaines qui offrent des conseils aux gestionnaires et aux employés de la fonction publique fédérale au début de leur carrière.

D'autre part, nous savons également que la politique du Conseil du Trésor nouvellement mise en œuvre exige désormais la désignation d'une unité des langues officielles chargée de la coordination des responsabilités en cette matière, la désignation d'une personne responsable et d'un champion des langues officielles et, enfin, l'intégration de la conformité aux instruments politiques dans les évaluations annuelles de rendement.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le commissaire, dans quelle mesure ces nouvelles exigences ont un impact sur l'épanouissement de la dualité linguistique dans l'appareil fédéral et comment elles s'arriment avec votre recommandation?

M. Fraser : D'abord, quand j'ai présenté la recommandation en personne, avant le dépôt du rapport annuel, elle a été bien reçue. Il y a même eu une réaction qui indiquait que l'on croyait qu'elle était déjà mise en œuvre. On était même étonné d'apprendre qu'une telle formation n'était pas déjà offerte. C'est bien arrimé avec la nouvelle directive.

La directive dont vous parlez structure de manière formelle des postes qui existent déjà. Il y a déjà un réseau de champions et de coordonnateurs. Ce n'est donc pas une nouvelle initiative en ce sens.

Le réseau des champions est extrêmement important pour promouvoir l'utilisation des langues officielles, non seulement en matière de prestation de services de la part des ministères, mais également en matière de langue de travail. Il est important qu'il y ait des coordonnateurs et deux postes différents.

Le seul problème que je remarque, c'est qu'il arrive parfois que le coordonnateur soit éloigné du comité de direction d'un ministère. Par exemple, si le coordonnateur travaille avec un directeur des ressources humaines qui se rapporte à un directeur général qui, lui, se rapporte à un sous-ministre adjoint, puis celui-ci, à un sous-ministre, nos recommandations ou nos rapports d'enquête prennent souvent un certain temps avant d'arriver au haut de l'échelle.

Même s'il y a préavis, les communications se font avec les coordonnateurs et nos analystes. Un sous-ministre peut paraître étonné du résultat d'un rapport d'enquête. Cela me surprend aussi, parce que j'en suis arrivé à la conclusion qu'il est très important d'établir un lien de communication étroit entre les coordonnateurs et le comité de direction du ministère ou de l'institution en question.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Le Comité sénatorial permanent a amorcé l'an dernier une étude sur les meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique. Le comité entend poursuivre cette étude au cours des prochains mois. Dans votre rapport annuel de l'an dernier, vous recommandiez à Patrimoine canadien d'établir, d'ici le 31 octobre 2014, des objectifs clairs afin de rehausser le niveau de bilinguisme au sein de la population canadienne et de renverser le déclin du bilinguisme chez les anglophones, le tout d'ici 2017.

L'année précédente, vous demandiez au premier ministre de prendre des mesures pour que soit doublé le nombre de jeunes Canadiens qui prennent part chaque année à des échanges linguistiques de courte ou de longue durée aux niveaux secondaire et postsecondaire.

J'ai deux questions à poser à ce sujet. Quel suivi a été accordé à ces deux recommandations et, selon vous, sont-elles toujours pertinentes aujourd'hui?

M. Fraser : Elles sont très pertinentes. Nous n'en sommes pas encore à l'étape du suivi, puisque la date d'échéance pour Patrimoine canadien est à la fin de cette semaine. On attend de voir les réactions. Je ne m'attends pas à ce que le ministère fasse rapport avant cette date d'échéance.

Pour l'instant, on n'a rien vu de la part du gouvernement en ce qui concerne une approche généralisée pour appuyer l'apprentissage de la langue seconde. C'est un élément qui était présent dans le premier plan d'action, mais qui n'a pas été repris dans la feuille de route.

On a constaté dans le recensement qu'il y a eu un léger déclin en ce qui concerne le bilinguisme chez les jeunes Canadiens, et cela me préoccupe. Nous avons mentionné au gouvernement, il y a déjà deux ans, que les célébrations du 150e anniversaire offraient une occasion en or de promouvoir un programme d'échange, de bourse ou autre afin d'inciter les jeunes Canadiens à apprendre la deuxième langue officielle.

J'ai remarqué récemment que le Canada a toujours utilisé ces célébrations pour faire avancer la cause du bilinguisme. Il n'y a pas eu de célébrations lors du 50e anniversaire à cause de la Première Guerre mondiale, mais il y en a eu pour le 60e anniversaire en 1927. On profitait alors de ces célébrations pour imprimer des timbres-poste bilingues. Cela semble mineur, mais cela avait provoqué un débat assez intense à l'époque. Les célébrations d'Expo 67 ont créé une base d'appui pour l'élaboration d'une politique linguistique qui a permis la rédaction de la Loi sur les langues officielles deux ans plus tard. Il y a donc non seulement une occasion en or, mais une tradition à respecter.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Avez-vous constaté la baisse du bilinguisme surtout chez les jeunes anglophones ou chez les jeunes francophones également?

M. Fraser : Je crois que c'est limité aux jeunes anglophones. Ce n'est pas nous qui avons fait cette constatation, c'est Statistique Canada, dans le recensement de 2011.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de votre présence, monsieur le commissaire. C'est bon de vous voir.

M. Fraser : C'est bon de vous voir aussi.

La sénatrice Seidman : J'aimerais vous poser une question qui semble tout particulièrement pertinente à l'heure actuelle, spécialement pour les anglophones du Québec. Si le français est reconnu comme langue officielle du Québec dans la Constitution, est-ce que cela aura une incidence sur l'application de la Loi sur les langues officielles?

M. Fraser : Je ne pense pas, à condition que la Charte de la langue française protège concrètement les institutions de langue anglaise. Ces institutions sont protégées par diverses lois au Québec. La semaine dernière à Montréal, j'ai entendu dire qu'on craint que le projet de loi 10, qui est actuellement à l'étude à l'Assemblée nationale, menace certaines institutions qui avaient été menacées justement dans la version originale du projet de loi 1, la Charte de la langue française, et que les amendements qui sont dans la Charte ont été le fruit des efforts très ciblés des organismes communautaires anglophones pour les protéger.

Si les institutions qui sont actuellement protégées par la Charte étaient incluses dans la reconnaissance constitutionnelle, je pense qu'il n'y aurait pas de problème, mais je sais que certains changements proposés dans le projet de loi 10 inquiètent beaucoup les membres de la communauté anglophone.

La sénatrice Seidman : En effet.

M. Fraser : Cela n'a aucun lien avec un quelconque débat constitutionnel en cours. Il s'agit tout simplement d'une réorganisation administrative des établissements de santé et de services sociaux dans la province.

La sénatrice Seidman : Je comprends cela. Toutefois, on parle depuis un mois de rouvrir la Constitution pour y indiquer que le français est la langue officielle du Québec. La question que je vous pose, à titre de commissaire aux langues officielles, est donc la suivante : Est-ce que cela aura une incidence sur les droits linguistiques des anglophones du Québec?

M. Fraser : Dans l'état actuel des choses, les lois linguistiques du Québec ont déjà été testées par les tribunaux. Les éléments qui ont été considérés comme discriminatoires à l'égard de la communauté anglophone ont été supprimés, et je ne vois pas comment la reconnaissance constitutionnelle d'un statut que la Cour suprême a déjà reconnu pourrait avoir pour effet d'annuler des droits qui ont été très clairement définis et établis par la Cour suprême dans diverses décisions, d'abord la décision Blaikie en 1979, ensuite les diverses décisions touchant l'article 23, et les décisions relatives à d'autres éléments de la Charte qui ont été contestés.

La Cour suprême a statué que la protection de la langue française était un objectif de politique publique légitime, mais qu'il ne peut pas être atteint en interdisant d'autres langues. Donc, il est constitutionnellement acceptable d'exiger que le français domine sur les affiches, mais pas d'interdire d'autres langues.

Le Québec a déjà fait du français sa langue officielle, et c'est une décision qui n'a pas été infirmée par les tribunaux. Si cela était inscrit dans la Constitution, et non plus seulement reconnu par des décisions de la Cour suprême, je ne pense pas que cela aurait pour effet de compromettre les droits de la communauté anglophone.

La sénatrice Seidman : Il n'y aurait donc pas d'incidence sur l'application de la Loi sur les langues officielles, selon vous?

M. Fraser : C'est mon avis.

La sénatrice Seidman : C'est bon à savoir. Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Chaput : Monsieur le commissaire, votre...

M. Fraser : Si je puis vous interrompre un instant, j'aimerais ajouter quelque chose.

[Traduction]

Je devrais préciser que je ne suis pas constitutionnaliste et que je n'ai pas consulté une autorité judiciaire sur la question. Si Mme Tremblay veut ajouter quelque chose, je vais lui céder la parole.

Johane Tremblay, directrice et avocate générale, Direction générale des affaires juridiques, Commissariat aux langues officielles : Je ne peux pas vous donner une meilleure réponse que M. Fraser.

[Français]

La sénatrice Chaput : Votre deuxième recommandation traite de la formation sur les responsabilités liées aux langues officielles. On a l'habitude de parler de formation linguistique. Ici, il s'agit d'une autre formation sur les responsabilités liées aux langues officielles.

Partons avec la prémisse que l'épanouissement de la dualité linguistique dépend en grande partie du leadership des gestionnaires et d'une bonne planification de la part des institutions. Pour que ces personnes puissent agir de la sorte et contribuer à l'épanouissement de la dualité, il faut qu'ils la connaissent et ils doivent y être sensibilisés.

M. Fraser : Tout à fait.

La sénatrice Chaput : Est-ce l'une des raisons pour lesquelles vous recommandez cette formation sur les responsabilités liées aux langues officielles?

M. Fraser : La tendance que nous avons constatée, dans le cadre des plaintes que nous recevons, est la suivante : bien souvent, le comportement des fonctionnaires face aux citoyens révèle qu'ils ne savent pas que ces droits existent et qu'ils ne comprennent pas la nature de leurs responsabilités ou de leurs obligations. On peut comprendre cette tendance si on a été formé pour penser que la politique linguistique existe pour les personnes unilingues, et que si on est bilingue, on ne devrait pas exercer le droit d'être servi dans la langue officielle de son choix.

C'est souvent dans les détails d'une plainte qu'il devient évident que les gens qui sont en face d'un citoyen n'ont jamais suivi une formation sur la nature de leurs responsabilités et de leurs obligations. Ceci n'a rien à voir avec la capacité de servir le citoyen. Une personne unilingue devrait comprendre la nature du droit du citoyen d'être servi, et devrait disposer des ressources pour faire en sorte que cette personne soit servie par un collègue bilingue. Il faut faire la distinction entre la compréhension de la responsabilité et la capacité d'offrir ce service.

La sénatrice Chaput : Lorsque l'on se retrouve, bien souvent, dans le cas où ces personnes ne connaissent pas la réalité, ont besoin d'y être sensibilisées, et que ce n'est pas fait, d'après moi, il est difficile de leur demander de tenir compte des répercussions sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire et des impacts de la réduction du déficit, n'est-ce pas?

M. Fraser : Tout à fait.

La sénatrice Chaput : C'est quasi impossible.

M. Fraser : Tout à fait.

La sénatrice Chaput : Je vais donc répéter ma question sous un autre angle. Une meilleure formation sur la responsabilité liée aux langues officielles aurait-elle pu pallier les impacts et la situation que nous semblons voir se produire?

Ces personnes doivent contribuer à réduire le déficit. Lorsqu'on a un déficit, il faut s'en débarrasser, mais si ces personnes ne sont pas sensibilisées, ne connaissent pas la réalité, elles vont possiblement prendre des décisions qui pourraient nuire aux communautés de langue officielle en situation minoritaire sans même y penser.

M. Fraser : Tout à fait. C'est ce qu'on a constaté dans le cadre des plaintes reçues au sujet du Plan d'action pour la réduction du déficit, le programme PARD. Sans y penser, des institutions ont fermé des éléments comme le centre maritime et la Ferme expérimentale Sénateur Hervé-J.-Michaud. Parfois, quand on se rendait compte qu'il y avait cette obligation, des mesures étaient prises pour pallier la situation ou faire en sorte que cela ne se répète pas. Mais, de toute évidence, la compréhension de l'obligation n'était pas présente et, souvent, il y avait une confusion. C'est le cas encore aujourd'hui, malgré l'obligation de continuer d'offrir un service et de l'obligation, selon la partie VII de la loi, de promouvoir l'égalité des deux langues officielles et l'épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

La sénatrice Chaput : Dans un contexte de compressions généralisées comme celles que l'on vit depuis quelques années, quelle aurait été la meilleure façon de procéder? Avez-vous déjà recommandé un instrument quelconque qui pourrait aider à analyser l'impact de ces compressions?

M. Fraser : Dès le tout début de mon mandat, il y a eu une série de compressions, y compris le programme de contestation judiciaire. On a fait enquête sur une variété d'institutions. Certaines institutions, face à la pression de faire ces compressions, ont organisé des consultations avec les communautés qui seraient affectées pour minimiser l'impact. Nous l'avons reconnu dans notre rapport d'enquête. Je ne veux pas m'arrêter aux détails concernant la situation litigieuse avec CBC/Radio-Canada, mais, malgré le fait que les tribunaux soient saisis de cette question, je sais que des gestionnaires de Radio-Canada ont rencontré la communauté de Sudbury et lui ont dit qu'ils auraient moins d'argent et qu'ils voulaient connaître, en termes de programmation, quelles étaient ses priorités en tant que communauté minoritaire. C'était un geste de transparence très utile pour la communauté et pour les gestionnaires qui devaient prendre des décisions difficiles.

La sénatrice Chaput : Comment le gouvernement fédéral a-t-il réagi à cette recommandation?

M. Fraser : Je ne peux pas parler du gouvernement fédéral comme d'une institution simple, mais certaines institutions ont fait preuve de leadership dans ce domaine quand les chefs des agences ou les sous-ministres ont pris cette responsabilité au sérieux. J'ai remarqué, dans des rapports annuels précédents, que l'échec est évident, mais que le succès est invisible.

Souvent, des institutions ont bien géré la décroissance à laquelle elles devaient faire face tout en consultant la population d'une façon à ne pas susciter de plaintes ou de ressentiment. Cependant, parce qu'il n'y a pas eu de plaintes, nous étions presque inconscients du succès de ces changements.

Le sénateur Maltais : Monsieur le commissaire, je vous souhaite la bienvenue, ainsi qu'à l'équipe qui vous accompagne. Nous nous sommes connus dans une autre vie.

M. Fraser : Effectivement.

Le sénateur Maltais : Je constate que votre travail est loin d'être facile. Souvent, vous êtes en réaction. Si je prends l'exemple de Pierre MacDonald qui critiquait Eaton, je constate qu'on vit la même chose à Ottawa; même les francophones ne nous adressent pas la parole en français.

Je vais vous parler de ce que nous avons vécu mercredi dernier. Heureusement que nous comprenons l'anglais, parce que les francophones y seraient encore. Croyez-vous que nous ayons reçu beaucoup de consignes en français?

La sénatrice Fortin-Duplessis : Seulement lorsque je me suis fâchée et que je l'ai demandé.

Le sénateur Maltais : Des gens sont venus à quelques occasions et, pourtant, c'étaient des francophones. Je respecte cela et je ne le critique pas. Nous sommes censés comprendre les deux langues officielles dans notre pays, mais cela démontre que le bilinguisme n'est pas facile à mettre en application.

Au Québec, depuis la mise en œuvre de la loi 63, la Cour suprême a été saisie de 11 projets de loi. On connaît présentement une paix sociale sur le bilinguisme, sur le français langue officielle, et je ne crois pas qu'il y ait une minorité francophone au Canada à l'extérieur du Québec qui soit aussi bien protégée que la minorité anglophone du Québec. On protège bien les anglophones au Québec. Ils ont leurs droits et ils sont bien protégés. Ce n'est pas parfait, mais la perfection n'existe pas en ce bas monde.

Je n'ai pas l'intention de critiquer votre travail, parce que je sais que ce n'est pas facile. Depuis votre arrivée, on a constaté beaucoup de progrès de la part des sociétés d'État. Je vous donne l'exemple d'Air Canada. Même si son personnel n'est pas bilingue, elle a au moins des enregistrements bilingues. Auparavant, il n'y en avait pas. On constate une progression.

La sénatrice Chaput nous disait qu'on manquait d'information en français dans de petits aéroports et de petites gares, et c'est vrai. Ce sont des choses qui, avec le temps, méritent d'être corrigées.

Comme vous le savez, le bilinguisme est un mal nécessaire au Canada. Je ne crois pas que nous puissions un jour atteindre la perfection. Ce sera un combat continuel.

M. Fraser : Vous avez lancé des pistes que j'aimerais suivre dans le cadre de mes réponses.

Le sénateur Maltais : Croyez-vous que le bilinguisme est applicable dans l'entité de la loi actuelle?

M. Fraser : Il faut être très précis par ce qu'on entend par bilinguisme. Le but, la politique de la loi n'a jamais été de faire en sorte que tout Canadien ne devienne bilingue ni que tout fonctionnaire ne soit obligé d'être bilingue, mais que le citoyen puisse recevoir des services de la part du gouvernement fédéral dans la langue de son choix. Je pense que c'est un objectif tout à fait réalisable. Si l'on regarde où on en était quand la loi a été adoptée en 1969 et que l'on constate où l'on en est maintenant, on peut voir le progrès qui a été réalisé, et je pense que c'est la preuve qu'il s'agit d'un objectif réalisable.

À l'époque, 17 députés avaient voté contre le projet de loi et avaient prétendu qu'il serait impossible, désormais, pour toute personne de l'Ouest canadien de décrocher un emploi au sein du gouvernement fédéral. Jusqu'à il y a quelques semaines, le greffier venait de la Saskatchewan; la juge en chef vient de l'Alberta, elle a fait sa carrière en Colombie-Britannique, et je pourrais continuer ainsi. C'est évident, et c'est pour cela que je dis que le français est devenu la langue de l'ambition. Les gens qui ont de l'ambition dans le domaine public au Canada se donnent le devoir d'apprendre l'autre langue officielle.

Par ailleurs, pour revenir à quelques-uns des propos que vous avez avancés dans votre préface, je suis toujours un peu mal à l'aise quand on parle de la façon dont la minorité anglophone est celle qui est la mieux traitée au Canada. Les institutions de la communauté n'ont pas été un don de la majorité, mais elles ont été créées et bâties par la communauté anglophone. D'une certaine façon, ces institutions ont été transformées en institutions de l'État. Donc, parfois, cela représente une perte aux yeux de la communauté.

Une étude a été dévoilée vendredi dernier par le professeur Richard Bourhis, qui a fait un sondage auprès de 421 étudiants à l'Université McGill et à l'Université de Montréal. Celui-ci a démontré que, à l'unanimité, les francophones sont convaincus, avec raison, qu'ils peuvent mener leur carrière avec succès au Québec, alors qu'une majorité des étudiants anglophones croit que cela serait très difficile pour eux. Si vous faites une comparaison entre les 600 000 Franco-Ontariens et le million d'anglophones, il y a un commissaire aux services en français en Ontario; cependant, personne au sein du gouvernement provincial n'a la responsabilité de coordonner les besoins, les plaintes ou les demandes de la communauté anglophone. Dans le cas des 600 000 anglophones qui vivent sur l'île de Montréal, on ne s'aperçoit même pas qu'il y a un besoin, parce que 600 000 personnes représentent un poids relatif suffisant pour faire en sorte qu'il y ait des emplois, des institutions. Mais dans le cas des 300 000 anglophones qui sont éparpillés sur le grand territoire du Québec, c'est tout à fait autre chose. C'est plus difficile pour eux, et de surcroît, c'est une population vieillissante.

Entre être anglophone unilingue à Gaspé ou à Trois-Rivières et être francophone unilingue à Sudbury ou à Saint- Boniface, je n'y vois pas de grande différence. Pour le francophone unilingue ou qui a de la difficulté, à Sudbury, il y a une université, il y a des services de santé, il y a des institutions; tandis que pour l'anglophone à Gaspé, à Trois- Rivières, à Québec, à Sherbrooke, cela devient de plus en plus difficile. On a une génération vieillissante de la communauté anglophone au Québec qui a fait carrière ou qui a fait sa vie à une époque où il était moins nécessaire pour un individu de parler français. Ces personnes n'avaient pas besoin des services sociaux ou n'avaient pas vraiment besoin de faire affaires avec les hôpitaux du Québec. Maintenant, ces personnes vieillissantes ont besoin de l'État et, souvent, l'État a de plus en plus de difficulté à leur fournir des services dans leur langue.

Quand j'étais aux îles de la Madeleine, j'ai rencontré une jeune dame qui était directrice d'un groupe communautaire anglophone; elle a dû s'interrompre pour répondre au téléphone et faire l'interprète entre sa mère et une travailleuse sociale. Donc, il y a des défis pour certaines communautés de langue officielle en situation minoritaire dans ce pays, point.

Le sénateur Maltais : Vous avez raison, monsieur le commissaire, parce que la langue officielle du Québec, c'est le français, point.

M. Fraser : Mais vous changez de point de vue, ici : vous dites d'un côté que c'est la minorité la plus protégée au Canada et ensuite vous dites que la langue officielle, c'est le français.

Le sénateur Maltais : C'est le français; par contre, il y a une protection dont je pense que plusieurs communautés francophones en dehors du Québec aimeraient jouir. Dans le cas des institutions, c'est obligatoire selon la loi — les institutions d'enseignement.

M. Fraser : Oui, il y a les institutions d'enseignement et les hôpitaux, dans les centres importants.

Le sénateur Maltais : Là où ça accroche, et c'est le même problème au Canada, c'est dans l'expression « nombre suffisant ». Vous savez que la Cour suprême nous a toujours condamnés là-dessus. Qu'est-ce que cela veut dire, un nombre suffisant? Est-ce que c'est un plus un, est-ce que c'est une multitude? Cela n'a jamais été défini, et il s'agit d'une question fondamentale pour le bilinguisme. Le nombre suffisant, qu'est-ce que cela veut dire, autant au Canada que chez nous?

La présidente : Honorables sénateurs, je crois que notre rencontre d'aujourd'hui a pour but de discuter du rapport annuel du commissaire. Ce sont réellement des discussions fort intéressantes, mais nous devrions, s'il vous plaît, nous concentrer sur le rapport annuel comme tel. Sénateur Maltais, peut-être que vous voudrez revenir au deuxième tour.

Le sénateur Maltais : Il n'y a pas de problème, madame la présidente.

Le sénateur Rivard : Bienvenue à votre équipe, monsieur Fraser. Je reviens sur vos notes de comparution. Tout le monde se félicite de voir que le gouvernement actuel a changé d'idée au sujet du projet de fermeture de centre de sauvetage maritime de Québec. On comprend que, pour des raisons d'équilibre budgétaire, il peut arriver parfois que des fonctionnaires proposent des idées qui peuvent, à première vue, sembler intéressantes, mais dont on se rend compte ensuite qu'elles n'ont pas de bon sens. On en a la preuve ici.

Je ne pouvais pas imaginer, par exemple, qu'un francophone unilingue en détresse dans le Saint-Laurent puisse avoir de la difficulté à se faire comprendre adéquatement pour qu'on lui sauve la vie; grâce à vos interventions, à l'opposition et au groupe du Québec, on a été ferme sur ce point pour affirmer qu'il s'agissait d'une mauvaise décision. J'en suis bien heureux, et votre intervention est arrivée à point nommé.

Maintenant, d'autres dossiers ne progressent pas aussi bien qu'on l'espérerait. On revient pratiquement, dans chaque rapport annuel, sur le fameux dossier d'Air Canada. Étant un client d'Air Canada — parce que, pour les vols Québec-Ottawa, il n'y a pas grand choix — je suis surpris de voir à l'occasion des agents de bord qui ne maîtrisent pas la langue française.

Nous sommes allés, avec une autre collègue, à une réunion du Conseil économique de l'Arctique à Whitehorse, dans le Grand Nord du Canada. Entre Vancouver et Whitehorse, sur deux agents de bord, il y en avait une qui venait du Québec, à l'autre bout du pays. Nous étions heureux de constater que nous pouvions nous faire servir en français — même si je suis capable de comprendre l'anglais et de me faire comprendre en anglais — si loin du Québec par un personnel de langue française, alors que nous nous rendons compte, par ailleurs, que, entre Montréal et Québec, et entre Ottawa et Québec, souvent, nous avons affaire à des personnes qui ne connaissent pas la langue française. Je comprends qu'un pilote ou un copilote puissent être unilingues anglophones, dans la mesure où ils ne traitent pas directement avec les passagers.

C'est un commentaire qui me ramène à la portion de votre présentation qui traite d'Air Canada. Lors de la dernière session, le projet de loi C-17, qui avait pour but de réviser la loi concernant Air Canada, est malheureusement mort au Feuilleton; premièrement, croyez-vous que nous devrions revenir à la charge et, deuxièmement, faites-vous un suivi auprès d'Air Canada afin que cette loi soit respectée?

Je déplore le fait que, encore trop souvent, les différents messages d'Air Canada sur son site Internet ne soient pas diffusés dans les deux langues officielles du Canada, contrairement à certaines chaînes hôtelières, par exemple. C'est le cas également de différents programmes des filiales d'Air Canada, comme Aéroplan, notamment; nous devons téléphoner pour leur indiquer que nous désirons recevoir des renseignements en français. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Fraser : Je suis en contact avec Air Canada régulièrement. Je leur envoie des préavis d'enquête; par conséquent, j'ai souvent des échanges avec le président. Nous faisons le suivi de ces plaintes et des rapports d'enquête.

À la suite d'une vérification des services au public, j'ai découvert quelque chose d'assez révélateur qui confirmait mon point de vue à savoir que le leadership et la qualité des communications entre les patrons et les employés d'une organisation sont des facteurs très importants. Lors des Jeux olympiques de Vancouver en 2010, Air Canada a investi beaucoup d'efforts et d'argent afin de servir sa clientèle dans la langue de son choix, et cette initiative a été couronnée de succès. Par contre, nous avons appris, par la suite, que les employés ont cru que cette initiative ne concernait que la période du déroulement des Jeux olympiques. Lorsque j'ai fait part de cette situation aux membres du comité exécutif, ils étaient très étonnés. De toute évidence, le message n'avait pas été clair pour les employés.

Je dois vous mentionner également que nous sommes allés deux fois devant les tribunaux avec Air Canada. Il s'agit, dans les deux cas, de M. et de Mme Thibodeau. La première fois, il s'agissait de services rendus ici, au Canada; la Cour fédérale a rendu une décision — qui a été confirmée par la Cour d'appel — selon laquelle Air Canada a l'obligation de produire des résultats; faire un effort ou admettre ses erreurs n'est pas suffisant. Lors du deuxième cas, il s'agissait de savoir si c'est la Loi sur les langues officielles qui s'applique à l'étranger ou si c'est la Convention de Montréal. Cette décision de la Cour suprême sera annoncée demain matin. Malheureusement, le fait de se retrouver devant les tribunaux peut créer un certain froid entre les parties. Disons que mon nom ne se retrouvera pas sur la liste d'envoi de cartes de Noël d'Air Canada.

Cependant, pour revenir à votre question, quatre projets de loi sont morts au Feuilleton et, chaque fois, je suis revenu à la charge en soulignant qu'un projet de loi doit être déposé et adopté. Nous sommes à 12 mois des prochaines élections, et vous êtes mieux placés que moi pour savoir s'il s'agit d'une priorité pour le gouvernement de régler cette situation.

Le sénateur Rivard : Je comprends qu'Air Canada a des obligations envers la clientèle, mais recevez-vous des plaintes concernant d'autres compagnies aériennes, comme WestJet, Sunwing, Porter ou même Air Transat, bien qu'elles ne soient pas liées par la loi, comme Air Canada?

M. Fraser : Comme vous le dites, elles n'ont pas les mêmes obligations, donc le niveau d'attente de la part des voyageurs n'est pas le même. Je crois que, formellement ou informellement, on a reçu certaines plaintes de voyageurs concernant la compagnie Porter, qui a introduit récemment des vols Toronto-Montréal. Lorsqu'une plainte est déposée concernant une institution non assujettie à la loi, nous lui envoyons une lettre type l'informant de la situation et lui expliquant que, bien qu'elle ne soit pas assujettie à la loi, il serait de bonne pratique d'améliorer la situation. Nous l'invitons à cliquer sur un lien qui les mène vers un site organisé par Patrimoine canadien pour les aider à offrir des services dans les deux langues officielles. C'est plutôt une formalité, mais parfois, certaines compagnies réagissent très bien. La compagnie Rogers nous a remerciés à la suite de l'envoi d'une telle lettre, en nous disant qu'elle prenait la situation très au sérieux et qu'elle désirait s'entretenir avec moi pour m'expliquer ce qu'elle fait dans le domaine des langues officielles. J'ai été très impressionné par les mesures qu'elle a prises en créant, entre autres, un comité mixte entre gestionnaires et employés. Cet exemple est même mentionné dans l'un de nos rapports annuels.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui, et je souhaite la bienvenue à votre équipe. Vous en êtes à votre huitième rapport annuel, et je tiens à vous remercier pour votre excellent travail. J'ai deux questions pour vous, mais je vais les regrouper. Dans les bulletins de rendement des sept institutions fédérales, Statistique Canada et VIA Rail ont obtenu un rendement global exemplaire; pouvez-vous partager avec nous ce qui a différencié ces deux institutions exemplaires et, également, nous dire s'il y a un processus pour partager les bonnes pratiques parmi les institutions fédérales?

M. Fraser : Je vais, tout d'abord, répondre à votre deuxième question.

Il y a une séance sur les bonnes pratiques organisée chaque année par les champions de langues officielles et les coordonnateurs, dans le cadre de laquelle il y a une espèce d'exposition où tous les ministères, leurs champions et leurs coordonnateurs font des présentations. Il y a cet échange d'outils, de procédures et de méthodes.

La sénatrice Poirier : Est-ce qu'il y a une bonne participation à ces séances?

M. Fraser : Je dirais que oui, mais je ne sais pas si les participants sont des gens qui sont déjà liés à la question des langues officielles. Je ne sais pas si cela veut dire qu'il y a des milliers de fonctionnaires qui n'y sont pas impliqués.

C'est un peu comme la Journée de la dualité linguistique, qui est le deuxième jeudi de septembre, et qui est, en soi, une bonne pratique. Ce qui me frappe, c'est que, souvent, les gens qui assistent à ces journées de la dualité linguistique la traitent comme une journée de la francophonie. Ce sont souvent des francophones qui assistent aux événements organisés pour la Journée de la dualité linguistique, comme si la dualité linguistique n'existait que pour les francophones, ce que je trouve d'ailleurs regrettable.

En ce qui concerne la distinction entre les pratiques exemplaires, je vais demander à Mme Saikaley d'expliquer comment ces critères ont été élaborés.

Ghislaine Saikaley, commissaire adjointe, Direction générale de l'assurance de la conformité, Commissariat aux langues officielles : Chaque bulletin de rendement se fonde sur différents aspects, différents éléments. Il est certain que VIA Rail et Statistique Canada se sont démarquées, entre autres, en ce qui concerne le service au public, la langue de travail et la partie VII, qui sont des éléments qui ont plus de poids dans les évaluations. C'est sûrement pour ces raisons qu'elles ont eu de meilleures notes cette année.

La sénatrice Poirier : Ne pourraient-elles pas partager ce qu'elles font avec les autres organismes?

M. Fraser : Je dirais que, dans le cas de ces deux exemples, les deux institutions ont une histoire qui est ponctuée par l'engagement de leurs leaders. Ivan Fellegi, qui a été le statisticien en chef pendant 17 ans, je crois, était très engagé envers les questions de la dualité linguistique et de l'utilisation des deux langues dans la fonction publique. Il a établi une tradition au sein de l'organisation qui perdure encore des années après son départ.

C'est la même chose pour VIA Rail. Tout de suite après que la loi ait été modifiée et que la partie VII ait obligé les institutions à prendre des mesures positives, le président de VIA Rail d'alors s'est aperçu qu'il n'avait pas de contacts particuliers avec des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Il a donc contacté la Fédération des communautés francophones et acadienne en leur disant que, comme il prenait sa responsabilité au sérieux, il se demandait comment il pourrait faire pour appuyer les communautés de langue officielle en situation minoritaire. La FCFA a examiné la situation et a suggéré que VIA Rail devienne commanditaire du sommet de la Francophonie organisé par la FCFA, en 2007.

C'est le genre d'approche qui a été utilisée dès le début. Il a reconnu qu'il avait une obligation, qu'il allait consulter les parties intéressées et qu'il prendrait ensuite une initiative intéressante afin d'appuyer la communauté, après avoir établi des consultations avec ces communautés.

Je pense que, dans les deux cas, ce n'est pas en 2013-2014 que ces institutions ont découvert l'importance des deux langues officielles. C'était ancré dans leur façon de faire et dans la tradition de ces institutions. Je suis donc convaincu qu'il y a sûrement de bonnes pratiques à partager.

La sénatrice Poirier : Merci.

La sénatrice Chaput : Ma question est un peu ambiguë, monsieur le commissaire. Je ne sais pas trop comment la poser.

M. Fraser : Je ne sais pas ce que je vais répondre!

La sénatrice Chaput : À la page 16 de votre rapport, vous parlez de l'Agence de la santé publique du Canada, pour laquelle vous aviez reçu une plainte de la Nouvelle-Écosse.

M. Fraser : Oui.

La sénatrice Chaput : Si je comprends bien, l'Agence de la santé publique du Canada a embauché des organismes de la province afin d'offrir des services aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, donc aux Acadiens.

À la page 23, vous dites que « Santé Canada est une institution qui assure le meilleur suivi des sommes transférées ». L'Agence de la santé publique du Canada avait transféré des sommes à ces groupes pour offrir le service. Mais est-ce que l'un n'a pas de lien avec l'autre? Est-ce que l'Agence de la santé publique du Canada est indépendante ou est-ce qu'elle relève de Santé Canada?

M. Fraser : À ma connaissance, elle relève de Santé Canada.

La sénatrice Chaput : Si c'est le cas, je me demande comment Santé Canada peut être perçu comme une institution qui assure le meilleur suivi des sommes transférées, compte tenu de ce qui s'est passé à l'Agence de la santé publique du Canada.

M. Fraser : Il faut faire une distinction. Ce que nous examinions dans le cadre de cette question de reddition de comptes, c'était des transferts de fonds aux provinces. Nous étions un peu handicapés dans ce travail, parce que nous sommes limités par la juridiction fédérale. Nous ne pouvons pas aller dans les écoles pour voir, ou encore faire enquête sur des hôpitaux ou des commissions scolaires pour vérifier comment les sommes provenant du coffre fédéral sont dépensées.

Ce que nous avons pu examiner, c'est le système de reddition de comptes des institutions fédérales pour vérifier comment les provinces se rapportent à elles.

La sénatrice Chaput : Je comprends.

M. Fraser : En ce qui concerne l'Agence de la santé publique du Canada, si je comprends bien, elle travaillait à partir des demandes faites par des institutions communautaires. L'institution francophone en question n'avait jamais présenté de demande, donc, elle n'était pas considérée. Je pense que l'agence ne savait pas que cet organisme francophone existait et vice versa. Il y avait une incompréhension mutuelle de l'existence de l'un et de l'autre. Ce qui a été déclenché par le processus de plainte, c'était tout un processus de consultation et d'amélioration du service pour des familles en difficulté qui demandent des services en français en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Chaput : Cela veut dire aussi qu'il y a très peu de reconnaissance de l'existence des francophones en Nouvelle-Écosse, puisqu'il n'y a pas eu de consultation non plus, l'un ne connaissant pas l'existence de l'autre, n'est-ce pas?

M. Fraser : Oui.

La sénatrice Chaput : Très bien.

M. Fraser : J'ajouterais qu'il y a d'abord eu une amélioration grâce aux plaintes déposées.

Pour mettre les choses en contexte, pendant 18 mois, peut-être deux ans, l'Agence de la santé publique s'est trouvée dans une situation où le directeur était en congé de maladie, et donc, dans une situation de leadership par intérim. Cette situation s'est réglée il n'y a que quelques semaines. Ce n'est pas une excuse, mais une explication. Cette situation institutionnelle a été particulièrement difficile pour l'agence.

D'autre part, l'agence n'a pas les racines historiques d'autres institutions fédérales. Cette institution est relativement récente.

La sénatrice Chaput : Pendant ce temps, les enfants de ces familles acadiennes n'ont pas reçu les services en français auxquels ils avaient droit?

M. Fraser : C'est exact.

La présidente : Monsieur le commissaire, vous fondez beaucoup d'espoir sur vos recommandations pour amener les institutions fédérales à respecter leurs obligations linguistiques. Pourtant, dans le rapport que vous avez déposé le 27 juin dernier sur le suivi qui a été donné à vos recommandations au cours des sept dernières années, seulement 19,6 p. 100 des volets de vos recommandations ont été mis en œuvre. Moins de 20 p. 100 de vos recommandations ont été mises en œuvre en sept ans. Comment expliquez-vous ce faible pourcentage de mise en œuvre de vos recommandations?

M. Fraser : D'abord, nous avons dressé un tableau qui sépare l'état des réalisations de ces plaintes. Oui, 20 p. 100 des recommandations ont été réalisées complètement. À l'autre extrême, 20 p. 100 n'ont pas été acceptées du tout. Entre ces deux extrêmes, un certain pourcentage de recommandations a été réalisé en partie; pour d'autres, il est trop tôt pour déterminer si elles seront réalisées ou pas; et dans d'autres cas, nous pouvons prévoir qu'elles le seront.

Comment expliquer cela? D'abord, il y a une divergence de points de vue. Par exemple, l'une de nos recommandations enjoint le gouvernement à réinstaurer le comité sur les langues officielles des sous-ministres. Nous avons constaté que, lorsqu'il y avait un comité de sous-ministres, la question était davantage prise au sérieux. Le gouvernement a décidé que ce serait plutôt un comité de sous-ministres adjoints avec remplaçants. C'était donc là une diminution de l'importance, qui allait un peu de pair avec la décision du gouvernement de transférer la responsabilité de la coordination des langues officielles du Conseil privé à Patrimoine canadien.

Je ne peux que formuler des recommandations. Le gouvernement, pour sa part, a le droit de gouverner et de prendre des décisions selon ses priorités. J'aurais préféré que toutes mes recommandations soient acceptées.

Nous avons créé le programme de gestion du rendement des institutions. Nous ne sommes pas obligés de le suivre, mais nous avons tout de même adopté, à notre façon, la grille d'évaluation de notre performance.

Au début, j'étais assez réticent à l'idée, en me disant que je ne devrais pas être évalué sur la base de résultats que je ne contrôle pas. Un ancien sous-ministre, à l'époque, que je consultais amicalement, disait : « Vous ne devez pas cibler vos recommandations en fonction de votre désir qu'elles soient acceptées; vous allez viser moins haut. Vous ne voulez pas avoir en tête que, si cette recommandation n'est pas acceptée, ce sera un reflet de ma performance. »

J'ai trouvé qu'il était tout de même utile de mesurer le taux d'acceptation de mes recommandations. Je garde néanmoins à l'esprit que ce n'est pas un résultat que je contrôle.

La présidente : Monsieur le commissaire, pouvez-vous nous dire dans quel délai de temps vous faites un suivi de vos recommandations?

M. Fraser : Tout dépend du temps qu'on accorde aux institutions pour répondre ou ne pas répondre. Bien souvent, on fixe un échéancier selon des priorités. Certains suivis nous semblent plus importants que d'autres.

Mme Saikaley : Dans le cas des vérifications, nous effectuons les suivis à l'intérieur de deux ans. Pour les différents dossiers d'enquête ou pour le rapport annuel, nous vérifions, bien sûr, en fonction de l'échéancier que nous avons donné à l'institution fédérale.

La présidente : Pourriez-vous nous donner vos priorités pour les deux prochaines années?

M. Fraser : L'an prochain, nous soulignerons l'importance de l'immigration. Nous travaillons à une étude sur l'immigration, conjointement avec le commissaire aux services en français de l'Ontario et le commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick. Nous inclurons les conclusions de cette étude dans le rapport annuel. Nous entreprendrons aussi une étude sur la petite enfance et l'importance de la petite enfance pour les communautés.

Également, nous allons augmenter le nombre d'institutions pour lesquelles nous allons faire des observations afin que le dernier rapport annuel puisse contenir une meilleure évaluation du progrès ou du manque de progrès que nous avons remarqué dans la trentaine d'institutions sur lesquelles nous nous sommes penchés au début de mon mandat. Ce sera le point de départ pour mon successeur, afin que celui-ci dispose d'un plus grand éventail d'observations des institutions fédérales.

La sénatrice Chaput : Ma question concerne les célébrations du 150e anniversaire de la Confédération en 2017. Vous étiez impliqué dans la promotion de la francophonie lors des Jeux olympiques de Vancouver. Vous avez élaboré un outil par après. Cet outil pourrait-il aider le ministère du Patrimoine canadien à s'organiser?

M. Fraser : Oui, absolument. J'ai eu une rencontre, récemment, avec Sport Canada et les organisateurs des Jeux d'hiver de Prince George, qui ont dit utiliser le manuel régulièrement pour évaluer les progrès qu'ils ont faits dans la prestation des services dans les deux langues officielles. À partir de ce manuel, nous en avons élaboré un autre qui vise spécifiquement les organisateurs des célébrations communautaires ou autres pour 2017. Il est déjà publié. Nous l'avons partagé avec Patrimoine canadien, puis nous espérons pouvoir le partager avec d'autres, parce que, comme je l'ai dit plus tôt, je pense que, historiquement, nous avons toujours perçu ces célébrations d'anniversaire de la Confédération comme étant une occasion de faire avancer la cause de la dualité linguistique au Canada.

La sénatrice Chaput : Merci, monsieur le commissaire.

La présidente : Au nom des membres du comité, je tiens à vous remercier, ainsi que votre équipe, de votre générosité et de votre bon travail. Merci d'avoir été avec nous ce soir. Je veux vous dire que je suis contente que vous visiez haut, parce qu'il est important de toujours viser haut lorsqu'il s'agit de renforcer le respect de nos deux langues officielles au pays.

M. Fraser : Merci beaucoup, madame la présidente, et tous et toutes de nous avoir invités à votre comité.

La présidente : Avec votre consentement, je suspends la réunion pendant quelques minutes afin que nous poursuivions à huis clos par la suite pour discuter des prochains travaux du comité.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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