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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 7 - Témoignages du 26 mai 2014


OTTAWA, le lundi 26 mai 2014

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour étudier la situation des relations internationales du Canada en matière de sécurité et de défense, notamment ses relations avec les États-Unis, l'OTAN et le NORAD (sujet : défense antimissiles balistiques); pour étudier afin d'en faire rapport, les politiques, les pratiques, les circonstances et les capacités du Canada en matière de sécurité nationale et de défense (sujet : examen de la GRC); et pour étudier l'ébauche d'un budget concernant l'étude sur les répercussions médicales, sociales et opérationnelles des problèmes de santé mentale dont sont atteints des membres actifs et à la retraite des Forces canadiennes, y compris les blessures de stress opérationnel (BSO) comme l'état de stress post-traumatique.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Avant d'accueillir les témoins, j'aimerais présenter les sénateurs ici présents. Je m'appelle Daniel Lang, sénateur du Yukon. Tout de suite à ma gauche se trouve la greffière du comité, Josée Thérien, et sont situés à ma droite les analystes de la Bibliothèque du Parlement, Holly Porteous et Wolfgang Koerner.

J'invite les sénateurs à se présenter eux-mêmes et à préciser la région qu'ils représentent.

[Français]

Le sénateur Dallaire : Roméo Dallaire, du golfe du Saint-Laurent, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Day : Joseph Day, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Oh : Sénateur Oh, de l'Ontario.

Le sénateur White : Vern White, de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, Québec.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Merci.

Cet après-midi, notre séance va durer quatre heures. Avec notre premier groupe de témoins, nous allons poursuivre notre étude sur la défense antimissiles balistiques. Avec le deuxième et le troisième groupe, nous allons honorer notre engagement pris l'an dernier d'obtenir une mise à jour sur la GRC et les progrès qu'elle accomplit. Durant la dernière heure, nous allons passer à huis clos pour examiner une ébauche de rapport du Sous-comité des anciens combattants, ainsi qu'une ébauche de budget pour sa prochaine étude.

Chers collègues, le Sénat a adopté l'ordre de renvoi suivant le 12 décembre 2013 :

Que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à examiner, dans le but d'en faire rapport, la situation des relations internationales du Canada en matière de sécurité et de défense, notamment ses relations avec les États-Unis, l'OTAN et le NORAD;

Que le comité fasse rapport au Sénat au plus tard le 31 décembre 2014 et qu'il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions pendant 90 jours après le dépôt de son rapport final.

Alors que nous poursuivons notre étude sur la défense antimissiles balistiques, nous sommes très heureux d'accueillir deux anciens ministres de la Défense au comité. M. David Pratt a été député de 1997 à 2004. De 2003 à 2004, il était ministre de la Défense nationale et a participé aux premières discussions sur la défense antimissiles balistiques. Assis à ses côtés, M. Bill Graham a été député de 1993 à 2006. Il était ministre de la Défense nationale de 2004 à 2006 et ministre des Affaires étrangères de 2002 à 2004.

Messieurs Graham et Pratt, je vous souhaite la bienvenue. Comme je l'ai dit, c'est la première fois que nous entendons deux anciens ministres de la Défense. Je pense que c'est une première pour le comité en général. Nous avons hâte d'entendre vos témoignages sur la défense antimissiles balistiques et sur l'importance des relations du Canada avec les États-Unis, surtout concernant le NORAD et l'OTAN, ainsi que vos recommandations pour nous aider dans nos travaux sur ces questions importantes.

Je crois que vous avez chacun un exposé à présenter. L'honorable David Pratt va commencer.

L'honorable David Pratt, C.P., ancien ministre de la Défense nationale, à titre personnel : Merci au comité de m'avoir invité. C'est un honneur d'être ici.

Vos audiences publiques sur la défense antimissiles me paraissent des plus pertinentes. Je félicite le comité de son initiative. Je sais que vous avez entendu des témoins divers et variés, dont Colin Robertson, George MacDonald, Jim Fergusson et Frank Harvey. Je soutiens entièrement leurs témoignages.

Je crains de ne pas pouvoir en dire beaucoup plus qu'eux, mais j'espère tout de même aider un peu vos délibérations. Je vais me concentrer sur l'histoire des relations entre le Canada et les États-Unis en matière de défense.

Comme vous l'avez dit, monsieur le président, j'ai été ministre de la Défense nationale de décembre 2003 à juillet 2004. Avant cela, j'ai voyagé en tant que président avec le Comité de la défense dans des endroits très intéressants, notamment le centre de commandement de Cheyenne Mountain, à Colorado Springs. À l'époque, je recevais des notes d'information du commandement spatial des États-Unis, du NORAD et d'autres secteurs de la défense continentale, dont l'équipe d'intervention du 11 septembre.

Je m'intéressais beaucoup à la défense antimissiles. Lorsque j'ai remplacé John McCallum à titre de ministre de la Défense nationale en 2003, ma participation à la question faisait suite aux efforts entrepris sous le gouvernement Chrétien.

En mai 2003, mes amis et collègues Bill Graham et John McCallum ont déclaré à la Chambre des communes qu'il fallait poursuivre les discussions sur la défense antimissiles pour garantir la sécurité des Canadiens et l'avenir du NORAD. J'ai toujours envisagé la défense antimissiles dans le contexte plus large de la coopération militaire entre le Canada et les États-Unis, qui est comme vous le savez sûrement la relation de défense la plus approfondie entre deux pays, mis à part le chaînon manquant de la défense antimissiles. Il existe environ 80 ententes ayant valeur de traités, plus de 250 protocoles d'entente et 145 forums bilatéraux sur les questions de défense. Comme vous le savez sûrement, les principales institutions sont la Commission permanente mixte de défense Canada-États-Unis, le Comité de coopération militaire, formé en 1946 pour coordonner la planification militaire, et le NORAD.

Ma participation à la défense antimissiles repose avant tout sur une lettre que j'ai envoyée au secrétaire de la Défense Donald Rumsfeld, au début de janvier 2004. Si vous le permettez, j'aimerais lire ma lettre et la réponse de M. Rumsfeld, parce qu'il importe de prêter attention aux termes employés.

Ma lettre du 15 janvier 2004 se lit comme suit :

Monsieur le secrétaire Rumsfeld,

Depuis des dizaines d'années, les États-Unis et le Canada sont des partenaires en matière de défense de l'Amérique du Nord. Ils ont coopéré dans le cadre de l'Accord d'Ogdensburg, du Traité de l'Atlantique Nord et du Commandement de défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, le NORAD, pour préserver notre sécurité. À la lumière de la menace croissante et de la prolifération des missiles balistiques et des armes de destruction massive, nous devrions songer à élargir notre partenariat pour intégrer la coopération dans la défense antimissiles, qui constitue la réaction appropriée à ces nouvelles menaces et un complément utile à nos efforts de non-prolifération.

Le NORAD, qui nous a bien servis depuis 1958, devrait être un aspect clé de notre coopération dans la défense antimissiles. Étant donné qu'il nous prévient des menaces mondiales et évalue les attaques depuis longtemps, le NORAD pourrait grandement favoriser la mise en œuvre de la mission de défense antimissiles. Nous croyons que nos deux pays devraient procéder rapidement pour modifier l'accord du NORAD et y intégrer son apport à la mission de défense antimissiles.

Nous avons l'intention de négocier un protocole d'entente avec les États-Unis dans les prochains mois pour permettre au Canada de participer au programme actuel de défense antimissiles des États-Unis, ainsi que pour élargir et renforcer l'échange d'information. Nous croyons que ce cadre va profiter aux deux pays et garantir la meilleure participation et la meilleure compréhension possible du gouvernement et de l'industrie au Canada, concernant le programme de défense antimissiles des États-Unis. Un tel protocole d'entente pourrait aussi ouvrir la voie à une coopération accrue entre nos gouvernements et entre les industries en matière de défense antimissiles, coopération que nos deux pays doivent encourager.

Il semble que les États-Unis seraient prêts à consulter le Canada sur les questions de planification opérationnelle liée à la défense de l'Amérique du Nord. Je propose que notre personnel collabore dans les prochains mois pour trouver des occasions et des mécanismes de consultation et pour permettre au Canada de participer à la planification.

Tout comme la capacité technique et la protection du système de défense antimissiles balistiques des États-Unis, notre coopération bilatérale devrait se renforcer au fil du temps. Dans le respect de nos lois, nous devrions continuer d'examiner les arrangements techniques, politiques et financiers adéquats liés à la défense éventuelle du Canada et des États-Unis contre des missiles. Notre personnel devrait discuter des façons dont le Canada peut contribuer aux efforts en ce sens.

Si vous êtes favorables à ce cadre général de coopération, je vous serais reconnaissant de me répondre dès que vous le pourrez.

Sincèrement,

D. Pratt

Voici la réponse de M. Rumsfeld :

Monsieur le ministre Pratt,

Je vous remercie de votre lettre récente sur la coopération entre les États-Unis et le Canada en matière de défense antimissiles.

Comme votre lettre le souligne, les États-Unis et le Canada sont partenaires en matière de défense de l'Amérique du Nord depuis plus de 50 ans. À la lumière de la menace et de la prolifération des missiles balistiques, je suis d'accord que nous devrions élargir notre coopération dans la défense antimissiles.

Je soutiens l'approche de coopération que votre lettre met de l'avant en matière de défense antimissiles et je suis d'accord que nous devrions miser sur elle pour nos travaux futurs.

Je vous remercie encore de votre lettre. Je suis enthousiaste à l'idée de poursuivre la longue coopération de défense entre les États-Unis et le Canada.

Sincèrement,

Donald Rumsfeld

Secrétaire de la Défense des États-Unis

Au début de ma lettre au secrétaire Rumsfeld, je mentionne brièvement le contexte historique et l'évolution des relations entre le Canada et les États-Unis. Nous savons tous ce qui s'est passé dans le monde lorsque le président Roosevelt et le premier ministre King ont signé l'Accord d'Ogdensburg en août 1940. L'Allemagne nazie contrôlait la majorité du continent européen et la Grande-Bretagne, tandis que le Commonwealth luttait seul contre les assauts d'Hitler. À juste titre, Roosevelt et King estimaient qu'il était de leur responsabilité politique d'intervenir lorsqu'ils ont signé l'accord pour établir la Commission permanente mixte de défense, un nom qui en dit long. Ce n'était pas une commission de défense spéciale ou temporaire, mais une commission permanente mixte qui, au fond, devait durer aussi longtemps que les deux pays.

Il faut également savoir qu'ils prenaient un grand risque politique. Roosevelt devait soutenir la Grande-Bretagne et le Commonwealth, sans pour autant bafouer les lois sur la neutralité, qui empêchaient le gouvernement des États-Unis de vendre des armes aux belligérants.

La décision comportait aussi des risques politiques pour Mackenzie King. Le leader de l'opposition au Sénat, Arthur Meighen, qui allait devenir chef du Parti conservateur en novembre 1941, était très critique et affirmait que l'Accord d'Ogdensburg minait la relation de défense du Canada avec la Grande-Bretagne. En privé, Churchill avait aussi critiqué Mackenzie King pour la signature de l'accord, mais il avait par la suite indiqué qu'il comprenait mieux la décision de King, qui voulait se rapprocher des Américains.

Je le mentionne, car les décisions politiques se traduisent souvent des risques politiques. Roosevelt était prêt à essuyer les critiques pour avoir donné 50 contre-torpilleurs à la Grande-Bretagne et au Canada en échange de bases, d'environ 200 aéronefs et de 250 000 fusils. Mackenzie King était prêt à se rapprocher des États-Unis en matière de défense, parce que l'intérêt à court et à long terme du Canada y était foncièrement lié.

Concernant la défense antimissiles, je pense que certains de nos dirigeants politiques libéraux et conservateurs ont trop souvent misé sur l'opinion publique pour prendre des décisions de haute importance entraînant des conséquences énormes pour l'intérêt national. Je crois qu'il en allait ainsi avec le gouvernement Martin en 2005 et que c'est toujours le cas avec le gouvernement actuel. Disons-le clairement, il y aura toujours des décisions prises en fonction de considérations politiques dans le but d'envoyer un message, mais lorsque les jeux sont faits, les dirigeants doivent expliquer leurs décisions et prendre des mesures qui correspondent à nos valeurs et qui vont dans notre intérêt.

En terminant, j'espère que vous soutenez fermement la participation du Canada à la défense antimissiles du continent. J'espère aussi que les membres libéraux et conservateurs de votre comité vont parler d'une seule voix pour appuyer cette participation.

L'honorable Bill Graham, C.P., ancien ministre de la Défense nationale, à titre personnel : Merci de votre invitation à comparaître cet après-midi devant le comité. Je suis content de pouvoir vous faire part des expériences que j'ai vécues et de mes points de vue liés à la défense antimissiles balistiques. Mon collègue, David Pratt, a détaillé le contexte historique des discussions. Je ne vais pas les passer en revue, mais mon expérience de ministre des Affaires étrangères et de ministre de la Défense dans les années 2000 va peut-être jeter un éclairage nouveau sur les raisons qui ont mené à ces décisions — et sur le contexte dans lequel elles ont été prises — pour vous aider à convenir des mesures à adopter à l'avenir.

Les sénateurs se souviendront qu'à l'époque, la défense antimissiles balistique était une question très émotive qui ressemblait beaucoup au débat que le Bomarc avait suscité auparavant. La population associait ce système de défense à la politique étrangère du président George Bush. Bien des Canadiens n'y voyaient pas un programme de défense, mais plutôt un outil pour renforcer la politique étrangère des États-Unis, comme l'était l'invasion de l'Irak un peu plus tôt.

Beaucoup affirmaient que la défense antimissiles balistiques ressemblait au programme de guerre des étoiles de l'administration Reagan et à une militarisation de l'espace. En passant, je ne partage pas cet avis et je ne crois pas non plus que les missiles balistiques constituent un armement de l'espace. Il s'agit d'un système terrestre, et non spatial, mais ce point de vue a influencé le débat. Les gens étaient aussi très sceptiques quant au bon fonctionnement éventuel du système. Je pense que les principales préoccupations s'avèrent toujours fondées, quoique le Dôme de fer en Israël et d'autres expériences ont beaucoup amélioré la technologie depuis le débat qui a pris forme dans ce temps-là.

En outre, les opposants croyaient que la défense antimissiles causerait une nouvelle course à l'armement, un point de vue renforcé par le gouvernement de la Russie qui s'opposait fermement à ce système, en disant qu'il menaçait sa capacité de défense en cas d'attaque. Les promoteurs de la défense antimissiles balistiques affirmaient au contraire que le système serait très peu utilisé et qu'il était conçu pour réagir aux États voyous qui possèdent peu de missiles, comme l'Iran ou la Corée du Nord. Le système ne posait donc pas de menace à la dissuasion nucléaire russe et chinoise. Comme vous le savez, le débat s'est déplacé récemment en Europe, concernant le déploiement ou non d'un tel système là-bas.

Dans l'élaboration de la politique canadienne sur la défense antimissiles balistique, mes collègues et moi nous préoccupions d'abord de la défense du Canada en l'Amérique du Nord. Mais comme David l'a signalé, nous tenions dans ce contexte à protéger le NORAD, en tant qu'outil essentiel à la sécurité et à la politique étrangère du Canada.

Comme vous le savez, dans la foulée du 11 septembre, les États-Unis ont créé un nouveau commandement militaire responsable de la sécurité en Amérique du Nord. Le NORTHCOM est devenu opérationnel en octobre 2002, et son nouveau commandant est aussi chargé de commander le NORAD.

Nous craignions beaucoup à l'époque que la création du NORTHCOM compromette l'avenir du NORAD. Depuis 1958, le NORAD constitue une des principales institutions de défense du Canada, qui joue un rôle essentiel dans la protection de l'espace aérien en Amérique du Nord. Mais à mon avis, l'importance du NORAD pour le Canada ne se limite pas à sa mission de défense de l'espace aérien. Sa structure de commandement binational représente un important outil politique pour traiter sur un pied d'égalité avec notre plus puissant allié. De plus, le NORAD offre une occasion exceptionnelle et inestimable de connaître les stratégies et les priorités des États-Unis en matière de sécurité.

En tant que ministre de la Défense nationale, je craignais que la décision de ne pas participer à la défense antimissiles balistiques marginalise le NORAD. On se demandait au début des années 2000 si le NORAD était en quelque sorte une relique de la guerre froide qui perdait de sa pertinence dans l'ère postsoviétique, surtout dans un monde menacé par les missiles plutôt que par les aéronefs que surveillait le NORAD au départ. Bien des collègues au ministère pensaient comme moi que le refus de participer au système de défense donnerait une raison de plus aux États-Unis de rejeter le NORAD au profit du NORTHCOM.

Mon prédécesseur à titre de ministre de la Défense nationale, David Pratt, avait déjà émis une préoccupation à cet égard. Il vous a d'ailleurs lu sa lettre ainsi que la réponse du secrétaire Rumsfeld.

M. Pratt voulait alors modifier l'accord du NORAD pour que ce dernier joue un rôle de prévention dans la défense antimissiles. Le Canada cherchait à protéger le NORAD en lui donnant une fonction dans le système de défense antimissiles balistiques.

Lorsque je suis devenu ministre de la Défense en juillet 2004, une des premières mesures que j'ai prises a été de mettre en œuvre la décision de modifier l'accord du NORAD.

Toutefois, la modification de l'accord a donné des munitions à ceux qui s'opposaient à la défense antimissiles balistiques. Bien des gens estimaient que nous en avions fait assez pour garantir la survie du NORAD et que plus rien ne justifiait la participation du Canada à la mise en œuvre du système de défense. Par conséquent, le gouvernement du Canada a annoncé en février 2005 qu'il ne participerait pas au programme de défense antimissiles des États-Unis.

Je crois que votre étude actuelle vise à savoir si les conditions ont changé et si nous devrions revoir cette décision.

Selon moi, il faut revenir sur cette décision, qui a affaibli le NORAD. Même si le NORAD a été reconduit à perpétuité en 2006, c'est clair que les États-Unis le considèrent comme une entité secondaire. Si une menace imprévue se matérialisait, le NORAD pourrait fort bien disparaître sans laisser de trace. Les honorables sénateurs sont bien sûr mieux placés que moi pour savoir si le groupe de planification binationale, que nous avons intégré au NORAD en lien avec l'aspect de sécurité maritime, a renforcé le NORAD, mais je vous invite à examiner soigneusement la question pour établir si ces seuls ajouts suffisent.

Je croyais alors que nous devions participer à la défense antimissiles balistiques, et je le crois encore. Notre participation à la défense antimissiles balistiques contribuerait à préserver NORAD et l'ensemble des relations entre le Canada et les États-Unis dans le domaine de la sécurité. En outre, notre participation au programme de défense antimissiles balistiques nous permettrait, selon moi, d'avoir notre mot à dire dans la création et l'utilisation du système DMB, ce qui renforcerait notre souveraineté, au lieu de l'affaiblir.

David Pratt a décrit l'accord d'Ogdensburg et ses origines. Ma question est la suivante : est-il acceptable que nous, les Canadiens, observions à distance tandis que des décisions fondamentales à l'égard de la sécurité de notre continent sont prises à Washington sans notre avis?

Lorsque j'ai traversé le pays, bon nombre de Canadiens soutenaient que les Américains pourraient décider d'utiliser le système DMB pour abattre des missiles pendant qu'ils survolaient le Canada et que, par conséquent, nous ne devrions pas participer à cette initiative. Je soutenais complètement le contraire. Selon moi, si nous étions inquiets à propos de la façon dont les Américains allaient utiliser le système DBM, nous devions être à l'intérieur de la tente où les décisions étaient prises plutôt qu'à l'extérieur où nous n'exercions aucun contrôle sur ces décisions.

C'est là une décision fondamentale que nous devons prendre et que, manifestement, les gouvernements d'aujourd'hui devront prendre. Cependant, j'estime que, dans la mesure où nos moyens nous le permettent, nous devrions jouer un rôle dans la défense nord-américaine, ce qui comprend la défense antimissiles balistiques. Pendant que les États-Unis continuent d'évaluer l'avenir de leurs programmes de défense antimissiles, le Canada devrait être disposé à collaborer davantage avec son voisin du sud à cette initiative de sécurité qui évolue sans cesse.

Chers sénateurs, je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci, messieurs. Nous vous sommes certainement reconnaissants d'être venus témoigner devant notre comité.

Vous avez été invités non seulement parce que vous avez géré le portefeuille ministériel pendant les périodes où vous étiez en poste, mais aussi parce que vous pouvez clarifier le contexte politique qui régnait au moment où certaines décisions ont été prises. Les gens qui s'opposaient à ce que le Canada prenne part à la défense antimissiles balistiques soulevaient un certain nombre de questions fondamentales. Je me demande si l'un de vous pourrait présenter les questions dont vous deviez alors débattre dans l'arène politique, afin que nous comprenions le contexte qui s'appliquait à ce moment-là.

M. Pratt : Pendant la période où j'étais ministre, je rencontrais pas mal de résistance de la part du caucus libéral. Comme Bill l'a mentionné, plusieurs députés établissaient un parallèle entre la défense antimissiles balistiques et George Bush ou Donald Rumsfeld, qui, pour un certain nombre — je dirais même un bon nombre — de membres de notre caucus, étaient des politiciens auxquels ils ne souhaitaient nullement être associés. À bien des égards, la défense antimissiles balistiques a été entachée par sa relation avec George Bush et Donald Rumsfeld.

D'un point de vue politique, les points de discussion du NPD portaient principalement sur la question de l'Initiative de défense stratégique de Reagan qui remontait aux années 1980, et je peux dire que, personnellement, j'ai, à de nombreuses reprises, tenter d'expliquer à la Chambre des communes que la défense antimissiles balistiques n'avait rien à voir avec l'Initiative de défense stratégique et ce qu'ils qualifiaient de guerre des étoiles, qu'à notre avis, cette défense n'allait pas contribuer à déstabiliser les mesures de dissuasion nucléaire qui avaient été mises en œuvre et qu'à ce moment-là, nous souciions surtout de la Corée du Nord, de l'Iran et de leurs capacités de concevoir des missiles. Je pense que, même au début des années 2000, la Corée du Nord disposait de missiles Taepodong, c'est-à-dire d'une capacité assez impressionnante dans le domaine des missiles pour un pays aussi rétrograde.

Voilà donc quelques-uns des problèmes politiques que nous affrontions. Nous étions également aux prises avec un important groupe de membres de l'aile jeunesse du Parti libéral qui considérait cette initiative comme une participation à la prolifération plutôt qu'une mesure défensive. Avions-nous à l'époque réussi à expliquer cela clairement? Eh bien, nous avons essayé de le faire, autant que faire se peut, et je pense que Bill appuiera ce que je dis. Nous avons désespérément tenté d'expliquer le contexte historique et stratégique de l'initiative, mais, dans une grande mesure, nos paroles sont tombées dans l'oreille de sourds.

En rétrospective — et je parle maintenant en mon nom seulement —, je ne crois pas que nous recevions à ce moment-là le degré de soutien requis de la part du premier ministre, car il était sensible au fait que des élections allaient avoir lieu à n'importe quel moment au cours du printemps 2004.

Il y avait beaucoup d'enjeux politiques à prendre en considération. À mon avis, l'initiative était accompagnée de messages politiques soigneusement formulés, mais, comme Bill l'a laissé entendre, le gouvernement devait tenir compte d'un nombre assez important de considérations politiques.

M. Graham : Merci, monsieur. Eh bien, je ne m'étendrai pas beaucoup plus sur les questions que M. Pratt a mentionnées. Si je me reporte à l'époque où j'étais ministre des Affaires étrangères, il ne fait aucun doute que nos relations avec les États-Unis étaient tendues, en raison de leur politique étrangère. En un certain sens, nous étions tiraillés, mais nous souhaitions nous montrer coopératifs à l'égard des États-Unis, parce que nous avions refusé de participer à la mission en Irak. Comme il l'a signalé, l'opinion publique était, à certains égards, fortement opposée à la politique des États-Unis en matière de sécurité, qui était jugée unilatérale plutôt que sévère.

Alors que l'ambiance était chargée de ces émotions, le président Bush est venu à Ottawa dans le cadre d'une visite officielle, et il a soulevé publiquement la question de la défense antimissiles balistiques, même si le gouvernement canadien lui avait demandé de ne pas le faire. En tant que ministre responsable de ce dossier, j'ai dû lui expliquer à Halifax que, si son intention avait été de faire avancer le débat, son intervention avait été improductive bien qu'intéressante.

Voilà un bref aperçu de ce qui se passait alors entre le Canada et les États-Unis ou, si vous préférez, voilà à quoi ressemblait la situation politique au Canada.

Certains universitaires étaient vivement opposés au projet et, selon moi, ils le sont probablement encore. De plus, vous entendrez de respectables membres des universités dire qu'ils sont très préoccupés par l'arsenalisation de l'espace. À mon avis, ce souci est légitime, et il représentait un autre facteur que nous devions gérer.

Personnellement, je crois que ces gens étaient mal renseignés. Je ne considère pas que la défense antimissiles balistiques militarise l'espace. Pas plus qu'un système de défense terrestre reposant sur des missiles balistiques ne militarise l'espace simplement parce que ses missiles pénètrent dans l'espace avant de retomber sur terre. Les missiles du système de défense antimissiles balistiques seraient lancés depuis une base terrestre. La question serait, bien entendu, complètement différente si nous parlions d'utiliser une plateforme spatiale pour lancer des missiles.

Certaines personnes s'opposent au système parce qu'elles craignent qu'il ait un léger effet d'entraînement, en ce sens que, si nous allons de l'avant, le système pourrait finir par être implanté dans l'espace et, bien entendu, les Canadiens seraient fondamentalement opposés à un tel système, parce que nos politiques et notre présence à l'échelle internationale démontrent un vif rejet de toute arsenalisation de l'espace.

À mon avis, c'est là un débat que l'on doit envisager d'avoir et, comme je l'ai indiqué, bien que cette perception soit erronée, il faut la contrer.

Troisièmement, je dirais — et je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire — qu'un grand nombre de Canadiens soutenaient avec émotion que les Américains allaient abattre les missiles, en provenance de la Russie ou de n'importe quel endroit, pendant leur survol du Canada et que nous ne souhaitions nullement être associés à un tel système.

Je faisais valoir que, si nous craignions que les missiles soient détruits au-dessus du Canada, il vaudrait peut-être mieux nous trouver dans la tente et avoir le doigt sur la détente que d'être à l'extérieur de la tente où nous n'aurions aucun contrôle sur les actions des Américains.

Je me souviens qu'au cours d'un violent débat à ce sujet, tenu à Vancouver, quelqu'un a déclaré : « Monsieur Graham, vous encouragez tout cela, ce qui est fou et horrible. » Je lui ai répondu : « Madame, si la Corée du Nord lance un missile vers Seattle, nous ignorons s'il frappera Vancouver, mais les Américains l'abattront. Par conséquent, pour régler ce problème, rallions-nous à eux, au lieu de nous élever contre leurs actions ».

C'était une objection que les gens soulevaient, mais je ne la considérais pas comme une critique à laquelle je pouvais souscrire.

Je dirais que, mis à part l'aspect technologique, la question la plus difficile que nous avons dû débattre était liée aux objections du gouvernement russe qui s'opposait à la défense antimissiles balistiques parce qu'elle nuirait à l'effet dissuasif de leur propre système de missiles et que, par conséquent, elle déclencherait une nouvelle course aux armements. Cette dernière objection pourrait et devrait être un sérieux facteur à prendre en considération lorsque vous étudierez cette question, parce qu'il ne fait aucun doute que nous ne voulons pas encourager une nouvelle course aux armements.

Robert McNamara a comparu devant le comité des affaires étrangères pendant que je le présidais et a soutenu que toute mesure qui entrave la capacité de se défendre de votre adversaire ou qui vous permet de vous défendre complètement contre lui vous rend insensible à lui et vous permet de l'attaquer en toute liberté. S'il a raison, c'est un sujet d'inquiétude légitimement préoccupant.

Mais, selon ma compréhension de la forme actuelle du système de défense antimissiles balistiques et même selon l'expérience limitée que nous avons eue avec le Dôme de fer et par la suite, je dirais que rien ne laisse entendre — et n'a jamais laissé entendre — que le système serait en mesure de contrer une attaque massive du genre de celle que les Russes ou les Chinois monteraient si des pays occidentaux utilisaient leurs armes nucléaires pour les attaquer.

Je dirais également que les sénateurs devraient écouter les experts dans le domaine qui sont beaucoup plus qualifiés pour aborder cette question que je ne le suis, mais je ne crois pas qu'il faille se soucier de cela à ce stade. Si j'ai bien compris, ce système de défense ne peut gérer qu'un ou deux missiles à la fois, car cette tâche est très compliquée sur le plan technologique. Donc, avant de déployer le système en Europe, on a persuadé les Européens que le système viserait l'Iran, et non la Russie.

Toutefois, il faut affronter le fait que les Russes croient fermement que le système est dirigé contre eux, et non contre un État voyou, et que, par conséquent, les sénateurs devront tenir compte de cette question de politique étrangère lorsqu'ils étudieront cet enjeu. Voilà, essentiellement, les paramètres du débat qui s'est déroulé lorsque nous étions là.

Le président : Pour conclure, après avoir examiné les divers arguments qui ont été présentés il y a 10 ans contre notre participation à la défense antimissiles balistiques et après avoir étudié aujourd'hui la validité de ces arguments, êtes-vous en train de nous conseiller de ne pas défendre nos intérêts, simplement d'un point de vue historique? Est-ce exact?

M. Pratt : Je suis certainement d'avis que la défense antimissiles balistiques ne déstabilisera pas l'architecture de la sécurité internationale. Comme Bill l'a mentionné, ce système ne militarise pas l'espace. Il s'agit clairement d'un système terrestre.

Je suis parvenu à la conclusion que les arguments avancés en 2004 n'ont pas résisté à l'épreuve du temps. En fait, je pense que l'on trouve de nombreuses preuves convaincantes du contraire lorsque l'on examine ce que nos alliés de l'OTAN ont fait pour appuyer la défense antimissiles balistiques; 28 pays de l'OTAN ont affirmé souscrire à la nécessité de protéger leurs populations contre des missiles lancés par des États voyous. Le Canada, en revanche, dit tout ce qu'il convient de dire à l'OTAN, mais ne fait rien pour régler notre propre situation ici, en Amérique du Nord.

Le sénateur Dallaire : Messieurs, je suis très honoré de votre présence parmi nous. Je me souviens de l'époque où vous exerciez vos fonctions, en particulier vous, monsieur Graham. Si vous vous en souvenez, en 2002, j'ai frappé à votre porte afin que vous dépêchiez 2 000 soldats au Congo. Kofi Annan nous exhortait à le faire, mais nous les avons envoyés en Afghanistan. Toutefois, j'ai toujours pensé que nous aurions pu stationner des soldats aux deux endroits. Mais c'est là un tout autre sujet.

De plus, vous êtes tous deux responsables du renouvellement des forces. Lorsque vous êtes entrés en fonction, les compressions budgétaires des années 1990 avaient diminué et la reconstruction des forces était déjà bien amorcée. Bon nombre des programmes qui ont finalement été approuvés ont pris naissance pendant votre mandat; leurs besoins opérationnels ont été approuvés.

Toutefois, lorsque nous avons décidé, en 2005, de ne pas participer à la défense antimissiles balistiques, j'ai approuvé cette décision, simplement parce que j'avais l'impression, à l'époque, qu'on ne courait pas un grand risque que l'Iran et la Corée du Nord possèdent déjà de telles capacités. Deuxièmement, le système ne fonctionnait pas. Par conséquent, d'un point de vue politique, il était difficile de justifier notre participation à cette initiative et notre tentative éventuelle de prouver son efficacité. J'avais le sentiment que nous pouvions gagner du temps en attendant que le système arrive à maturité et qu'ensuite, nous pourrions nous joindre à l'initiative à un moment approprié qui, selon moi, est déjà bien entamé; c'est-à-dire que le système est en voie d'arriver à maturité, mais nécessite encore d'importantes améliorations.

Par ailleurs, je décèle encore des lacunes dans l'argumentation liée aux besoins opérationnels de cette capacité. Il me semble que l'argument concernant la défense continentale perd rapidement sa pertinence lorsque nous commençons à parler du Canada et des États-Unis. Puis, nous passons de l'émotion concernant notre souveraineté et toutes les questions de ce genre à l'impression que personne ne va frapper notre pays ou les États-Unis sans s'attaquer au continent en entier. L'un ne va pas sans l'autre; il s'agit là d'un ensemble.

Donc, quels renseignements obteniez-vous du secteur opérationnel qui prouvaient l'existence d'États voyous, ce qui signifie que ces États sont complètement imprévisibles et qu'ils sont prêts à faire n'importe quoi pour atteindre les résultats qu'ils désirent? Dieu sait de quels résultats il peut s'agir. Quels besoins opérationnels en matière de défense du continent vous étaient communiqués, des besoins qui, selon moi, devraient être satisfaits par le NORAD et ne devraient pas nécessiter l'intervention du commandement du Nord?

M. Pratt : Je pense que les renseignements que nous obtenions à ce moment-là étaient du domaine public en ce sens qu'il s'agissait de la menace que la Corée du Nord et l'Iran laissaient planer. Je pense aussi qu'à l'époque, tout indiquait assurément que ces pays n'avaient pas encore développé leurs capacités jusqu'au point où nous les considérerions comme de graves menaces.

Mais, selon moi, l'un des principes fondamentaux de la coopération canado-américaine en matière de défense tient au fait de ne pas attendre d'être aux prises avec une menace imminente avant de nous précipiter vers les Américains et de leur dire que nous sommes prêts à nous joindre à eux. Nous devons plutôt travailler avec eux au fil des ans afin de nous assurer que nous comprenons chaque aspect de leur pensée, de la mesure stratégique jusqu'aux détails tactiques, comme la façon dont les menaces seront réglées, la façon dont le système sera dévoilé, les résultats détaillés des essais, et cetera. Voilà ce que je recherchais quand j'étais ministre en 2004; je cherchais à obtenir certains de ces détails en guise de prélude à notre participation à l'initiative.

Comme je l'ai indiqué dans mon exposé liminaire, je pense que le Canada et les États-Unis ont des liens spéciaux. La relation binationale de défense est très spéciale. D'ailleurs, de nombreux historiens en ont fait état. Au fil du temps, le Canada a profité de son appartenance à l'empire français, à l'empire britannique et, maintenant, à l'empire américain. À bien des égards, nous avons été protégés par nos maîtres coloniaux, ce qui n'est probablement pas un terme judicieux à utiliser, du point de vue des États-Unis tout au moins. Le terme n'est certainement pas exact, mais nous avons bénéficié d'une importante protection et, en conséquence, nous n'en avons pas payé le prix par rapport aux budgets de la défense.

S'il y a eu une occasion de manifester de la bonne volonté par rapport à une entente critique en matière de défense, c'était en 2004. À certains égards, les choses ont évolué sans nous, et nous avons laissé les Américains s'interroger sur ce que nous avions dans la tête. C'est comme si, comme l'écrivait Jim Fergusson dans un article publié il y a quelques années, les Américains nous avaient invités à danser et que nous les avions laissés tomber en plein milieu de la danse. Ce n'est tout simplement pas le comportement auquel on s'attend d'un grand allié. C'est ce que je pensais à l'époque et c'est ce que je pense toujours.

M. Graham : Puis-je intervenir à ce sujet, monsieur le président? Pour répondre à la question, général, si j'ai bien compris les exigences opérationnelles, vous utilisez un terme technique. Lorsque l'on fait un amalgame entre le NORAD et la décision à prendre concernant la DMB, il ne fait aucun doute que le rôle du NORAD et du commandement du Nord, d'après ce que vous dites, est compliqué.

On serait franchement naïf de croire que les États-Unis, si nous avions accepté de prendre part à la défense antimissiles balistique, nous auraient permis de prendre conjointement avec eux des décisions de combat, comme dans une opération du NORAD. Vous vous rappellerez, par exemple, que lors des événements du 11 septembre, c'était un général canadien qui était en charge du NORAD et de la protection du ciel américain. C'est une chose qui ne dérange pas les Américains. Mais ce serait tout autre chose pour eux que de donner à un général canadien la clé d'une arme nucléaire et de le laisser s'en servir. Ces considérations opérationnelles méritent réflexion.

Toutefois, je suis pleinement d'accord avec David. Si nous avions été là dès le début, nous aurions pu traiter de toutes ces questions et trouver un moyen d'être de meilleurs participants.

Mais si nous sommes absents, dans quel rôle allons-nous nous retrouver? C'est la question qu'il faut se poser. Il me semble que nous sommes en dehors d'un nouveau système d'armement d'une stupéfiante complexité qui aura des conséquences pour notre sécurité et sur l'élaboration duquel nous n'aurons aucune décision à prendre. C'est une situation bien dangereuse. C'est ce que je pense.

Je comprends votre position, celle que vous aviez alors, parce que le ministère des Affaires étrangères en particulier, plutôt que celui de la Défense, craignait que, même si les Américains avaient dit que nous n'aurions aucune contribution à faire, une fois invités, nous serions à un moment donné appelés à partager les frais. Une fois qu'on est au restaurant, on ne peut pas échapper à la facture. Les coûts entraient donc en ligne de compte.

Le président : Comme le temps passe vite, je vous demanderais de limiter vos préambules pour que nous puissions profiter au maximum des témoins. C'est pourquoi je demanderais qu'il n'y ait qu'une seule question par intervenant. Monsieur Dallaire?

Le sénateur Dallaire : J'en reviens à l'argument de la défense continentale, dont nous n'entendons pas assez parler. On parle plutôt de défense nationale que de défense continentale. Étant donné que la majorité de la population canadienne vit à 200 milles de la frontière américaine, nous ne savons pas si la cible touchera la frontière. Si elle atteint Buffalo, Toronto sera touché, et ainsi de suite. Cela veut dire que nous sommes liés les uns aux autres. Quiconque prend les États-Unis pour cible, nous prend aussi pour cible et c'est la même chose si le système ne fonctionne pas correctement.

Toutefois, le Canada a refusé d'inclure le reste du pays dans le débat sur la sécurité qui se tient au sein de l'OTAN. Contrairement à la Norvège, par exemple, le Canada ne semble pas vouloir discuter de l'Arctique ou de l'immense masse continentale dans le débat que mène l'OTAN sur les questions de souveraineté, mais de façon encore plus importante, sur les questions de défense. N'est-il pas problématique de rester en dehors de l'OTAN parce que l'organisation a appuyé la DMB? Ne serait-il pas logique pour nous de regrouper tous ces éléments et de renforcer nos besoins au sein de l'OTAN plutôt qu'uniquement au sein de la défense continentale?

M. Graham : Je ne suis pas un grand expert de l'Arctique, mais j'ai assisté à plusieurs conférences qui se sont tenues récemment sur le sujet. Le fait que le Canada, en tant que nation arctique, veuille associer au sein de l'administration des pouvoirs ne provenant pas de cette région est un tout autre argument, monsieur le sénateur. Et qu'il s'agisse ou non d'un aspect sécuritaire ou autre de l'Arctique, je n'irai pas jusqu'à conjuguer les deux concepts.

M. Pratt : Pour reprendre le point de vue du sénateur Dallaire, franchement, je ne pense pas que nos besoins opérationnels découleraient nécessairement de nos engagements au sein de l'OTAN mais plutôt d'un des trois grands principes de notre politique de défense. Nos politiques de défense ont été constantes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à la fin des années 1940 et au début des années 1950; elles reposent sur la défense du Canada, sur la défense de l'Amérique du Nord de concert avec les États-Unis, ainsi que sur nos contributions à la paix et à la sécurité internationales. Sur le deuxième point, la défense de l'Amérique du Nord de concert avec les États-Unis, il faut à mon avis y associer la défense antimissiles; et sur le troisième point, soit nos contributions à la paix et à la sécurité internationales, elles se font, je pense, par l'intermédiaire de l'OTAN. Mais s'il fallait classer ces trois grands principes, je dirais que le second est le plus important. J'espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Segal : J'aimerais accueillir deux anciens ministres distingués et les remercier du service qu'ils ont offert au pays, lorsqu'ils étaient en fonction et par la suite. Ma question est simple. Comment aurions-nous pu, selon vous, concrétiser notre engagement envers la défense antimissiles au moment où la question a été étudiée? Aviez-vous alors reçu des conseils avisés sur le risque à la sécurité nationale que posaient la Corée du Nord, l'Iran et d'autres pays? Aviez-vous réfléchi à la possibilité de déployer toute une gamme de radars et d'autres capacités pour poser un diagnostic fondamental pour le fonctionnement du système? Pensiez-vous alors que toute reconstruction de la flotte pourrait impliquer de se doter d'une capacité antimissiles Aegis, qu'utilisent nos alliés? Je suis curieux de savoir quels points vous avez soulevez avec le secrétaire Rumsfeld et quels dossiers, monsieur le ministre, vous avez examinés avec vos homologues. Vous avez sans doute songé aux différentes options de participation du Canada à l'époque. Sachant parfaitement qu'aucune décision n'a été prise à l'époque, que les circonstances ont changé et que le contexte d'aujourd'hui est différent, j'aimerais connaître la gamme d'options qui aurait pu se présenter à l'époque.

M. Pratt : Selon les renseignements qu'on nous avait fournis — et je suis sûr que vous en avez déjà entendu parler — les États-Unis envisageaient des sites de radars à Fylingdales, au Royaume-Uni, ainsi qu'à Fort Greely, en Alaska, je crois, et à Thule, au Groenland. Il s'agissait de radars de la bande X capables d'identifier et d'évaluer les menaces. Le système s'appelait Évaluation tactique intégrée d'alertes et d'attaques, ou quelque chose comme cela. D'après ce que disaient les Américains, il ne devait pas y avoir alors de sites d'interception et on ne prévoyait pas d'en installer sur le territoire canadien. Pendant presque tout mon mandat en qualité de ministre, on se penchait sur la question de Goose Bay et de ce qui pourrait arriver sur ce site et, si mes souvenirs sont bons, c'est de cette possibilité dont on parlait.

Je peux vous dire, toujours par rapport à la défense de l'Amérique du Nord, que si les Américains avaient décidé qu'il fallait installer des intercepteurs sur le territoire canadien et que nous en étions nous-mêmes convaincus, cela ne m'aurait posé aucun problème puisqu'il s'agissait d'une contribution à la défense de l'Amérique du Nord.

S'agissant des destroyers, les nôtres n'avaient alors que 30 ans. Ceux de classe Tribal avaient déjà fait l'objet du programme de remise en état TRUMP. C'est pourquoi nous n'envisagions pas d'y installer un système antimissiles. Est-ce qu'il faudrait l'envisager aujourd'hui? Je ne suis pas expert dans ce domaine, mais je ne crois pas que nous envisagions quoi que ce soit de la taille des destroyers de classe Aegis pour le programme de navire de combat de surface canadien. Mais je le répète, si cela devait représenter une contribution solide à la défense de l'Amérique du Nord et que nous pouvions le justifier d'un point de vue stratégique et tactique, je n'y verrais certainement aucune objection.

M. Graham : Pour revenir au point qu'a souligné M. Pratt, je pense que votre question, monsieur le sénateur, se rapporte à toutes sortes d'enjeux que l'on jugeait alors prématurés. Il s'agissait alors de savoir si on allait prendre part à ce système, auquel cas nous aurions eu à envisager nombre des questions auxquelles vous avez dû faire face, mais une chose était claire à l'époque, comme l'a dit M. Pratt, on ne nous avait pas demandé de contribution financière. On ne nous avait pas demandé d'installer un site de radars ou un site de détection, et on ne nous avait pas demandé d'installer un site d'interception.

Tout comme M. Pratt, j'avais été contacté par des groupes qui souhaitaient faire installer un site de radars à Goose Bay. Beaucoup de gens de la région pensaient que ce serait un moyen de maintenir la base qui était menacée parce qu'elle ne servait plus pour la formation en vol de l'OTAN.

S'agissant de la base maritime, je peux voir où les Américains voulaient en venir, mais M. Pratt avait déjà donné des précisions sur la capacité de notre flotte de répondre à ce besoin. Finalement, c'est avec ce problème que nous étions aux prises. Quelle aurait été notre participation? Si nous avions participé, nous aurions pu trouver, par le truchement de nos nouveaux groupes binationaux spéciaux au sein du NORAD, des moyens de collaboration avec les Américains de façon à apporter une contribution positive à la défense de l'Amérique du Nord. Il s'agissait, si je puis dire, d'un enjeu beaucoup plus politique que technique.

Le sénateur Day : Je tiens à remercier nos invités d'être ici. Je me rappelle lorsque vous étiez venus à ce même comité présidé par le sénateur Kenney alors que vous étiez ministres de la Défense nationale. Je ne me souviens pas qu'on ait parlé alors de défense antimissiles balistiques. En tout cas, je suis ravi de vous avoir parmi nous.

Je commencerai par vous, monsieur Pratt. Avez-vous des copies des échanges de correspondance que vous aviez avec Rumsfeld?

M. Pratt : Je n'ai pas les originaux. J'ai des copies des transcriptions qui ont été faites des lettres. Fait curieux, on m'a avisé qu'en 2005, je crois, la lettre qui avait été affichée sur le site web du ministère de la Défense nationale en avait été retirée pour une raison inconnue. Mais je suis sûr que l'on pourrait consulter ces lettres.

Le sénateur Day : La Bibliothèque du Parlement pourrait probablement nous aider dans cette recherche, mais si vous les aviez, ce serait encore plus facile. Nous savons qu'il y a des références à ces lettres, mais nous n'avons pas pu les trouver. S'agissait-il de la date du 15 janvier 2004?

M. Pratt : Oui.

Le sénateur Day : Est-ce que la lettre de M. Rumsfeld, le secrétaire d'État à la défense, portait la même date que la vôtre?

M. Pratt : Non, elle n'avait pas la même date. Je ne me souviens pas de la date, mais celle-ci était différente.

Le sénateur Day : Je vous pose la question, parce que vous n'avez pas mentionné la date.

M. Pratt : Pour vous donner un contexte, il importe de mentionner qu'il y avait eu d'importantes discussions tenues avec les fonctionnaires américains avant que ces lettres ne soient renvoyées et que des questions avaient été posées de part et d'autre. Ainsi les Américains avaient une bonne idée de ma position et nous avions une très bonne idée de celle de M. Rumsfeld. Nous avions pour norme de ne pas créer de surprise et je suis sûr que c'est encore la norme aujourd'hui par rapport à ces échanges de correspondance.

Le sénateur Day : Je tenais à signaler qu'il y a eu un autre échange de lettres, dont nous avons copies, en date du 5 août. Vous êtes parti depuis et c'est maintenant M. Graham qui est ministre, mais M. Rumsfeld est parti lui aussi. Selon ce document, c'est à Colin Powell, le secrétaire d'État, que vous écriviez. Peut-être que les postes n'avaient pas changé, mais vous écriviez au secrétaire d'État en août 2004.

Fait intéressant, pour chacun de ces échanges, les lettres provenaient du Canada et les réponses des États-Unis. Autre fait intéressant, et je serai bref parce que le temps passe, la décision a pris effet le 5 août. Les deux lettres portaient la même date, l'une d'un ambassadeur aux États-Unis et la réponse de Colin Powell. La lettre indique que la décision est indépendante de toute discussion sur une éventuelle collaboration en matière de défense antimissiles. Il ne s'agissait que d'un avertissement.

Il est clair que vous aviez des réserves, même à cette époque. Y a-t-il une raison pour laquelle ces lettres, dans les deux cas, provenaient du Canada à destination des États-Unis, plutôt que l'inverse?

M. Graham : Comme j'ai essayé de l'expliquer dans mon exposé liminaire, le point essentiel à l'époque était le lien entre la défense antimissiles balistiques et le NORAD. Le gouvernement canadien était fermement résolu à préserver l'importance du NORAD. Il craignait que le commandement du Nord assume petit à petit toutes les activités du NORAD, qui serait à terme devenu une coquille vide. Alors que le commandement du Nord, comme je le disais, assumerait une double fonction, toutes les activités seraient menées de son côté et le NORAD n'aurait pratiquement plus rien à faire, pour des raisons technologiques, mais aussi politiques.

Bref, nous avons convenu à l'époque qu'il était évident qu'en ce qui a trait au système de défense antimissiles le NORAD était le véhicule approprié pour déclencher une alerte lointaine, parce que c'est exactement ce que le NORAD fait. C'était ce que l'organisme faisait en ce qui concerne les avions en provenance de la Russie ou dans le cas d'une quelconque invasion de ce pays. Le mandat du NORAD est de déclencher une alerte lointaine. C'est vraiment la fonction principale pour laquelle l'organisme a été conçu, à savoir de scruter le ciel et de détecter ce qui se passe. C'était parfaitement logique.

Cela ne voulait pas pour autant dire que nous étions prêts à participer au système de défense antimissiles. Cela signifiait plutôt que le NORAD serait l'endroit tout désigné pour abriter le système d'alerte. Il y a eu une certaine confusion, pour ainsi dire. Cela s'est produit à la même période où je suis passé du ministère des Affaires étrangères au ministère de la Défense nationale, ce qui explique probablement pourquoi l'ambassadeur a envoyé la lettre et Colin Powell y a répondu.

Ensuite, comme je l'ai dit, lorsque la décision a été prise concernant le principal enjeu relatif au système de défense antimissiles, la pression concernant le NORAD a diminué dans une certaine mesure, parce que nous avions trouvé un rôle pour cet organisme. Son avenir est maintenant assuré, pour ainsi dire. Du moins, c'est ainsi que j'ai vu le tout se dérouler.

Le président : Sénateur Day, cette réponse vous satisfait-elle?

Le sénateur Day : Je pourrais creuser davantage cette question, mais nous manquons de temps.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai deux courtes questions. La première : si le Canada décidait de ne pas participer à la défense antimissile balistique, est-ce qu'il risquerait une marginalisation à la table de décision du NORAD?

M. Graham : À mon avis, oui. C'était la grande préoccupation du gouvernement. Ma propre préoccupation à l'époque, c'était exactement cela : marginalisation à la table du NORAD d'une part, et marginalisation du NORAD aussi. Donc un double danger.

Le sénateur Dagenais : Êtes-vous du même avis, monsieur Pratt?

[Traduction]

M. Pratt : Oui, tout à fait. D'après moi, en ne participant pas pleinement au système de défense antimissiles, nous risquons d'avoir un manque d'uniformité en ce qui concerne non seulement notre politique relative à l'OTAN, mais également notre politique en matière de défense de base. Je crois que nous devons corriger la situation, ce que nous pourrions accomplir en participant pleinement au système de défense antimissiles. Selon moi, cela continue d'être le chaînon manquant en ce qui a trait à la posture de défense du Canada.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Concernant l'atténuation des risques pour les centres de population dans le pays, dans quelle mesure, selon vous, serait-il important pour le Canada de participer aux décisions des États-Unis, entre autres sur la manière d'intercepter les missiles balistiques en approche et aussi sur le moment de les intercepter?

M. Graham : C'était précisément mon argument lorsque je disais qu'il était préférable d'être impliqué, lorsqu'on prend des décisions, que de laisser les Américains les prendre eux-mêmes. C'est précisément cette objection au système que j'ai trouvé troublante, car beaucoup de gens me disaient : « les Américains vont l'employer et trouver un missile qui traverse le Canada, le faire exploser au-dessus du Canada et toutes les retombées se feraient sur notre tête plutôt que sur la leur ».

Je leur répondais que la façon d'empêcher cela n'était pas d'être à l'écart de la décision. Il faut plutôt être dans la pièce où la décision est prise.

Donc, à mon avis, la souveraineté du Canada et la sécurité canadienne sont mieux protégées lorsqu'on fait partie du système que lorsqu'on laisse aux Américains le soin de prendre la décision, indépendamment de notre approche.

Le sénateur Dagenais : Vous n'appuyez donc pas la politique de la chaise vide?

M. Graham : Non.

Le sénateur Dagenais : Est-ce que vous voulez ajouter un commentaire, monsieur Pratt?

[Traduction]

M. P6ratt : Monsieur le président, je ne peux que me faire l'écho des commentaires de M. Graham sur la question. L'un des aspects fondamentaux de notre souhait à l'époque était d'être au courant des procédures opérationnelles dans le cas de la détection d'un missile en approche, et cela incluait le temps nécessaire pour en informer les autorités nationales, obtenir les autorisations, et cetera. Selon ce que j'en comprends, le temps pour prendre une décision est très court. Donc, comprendre le fonctionnement en la matière était très important.

Comme Bill l'a mentionné, je n'arrive absolument pas à comprendre pourquoi nous délaisserions l'un des aspects de notre sécurité nationale en ne collaborant pas directement avec les Américains en vue de mettre en place un tel système, parce que c'est en fait ce que nous faisons. Nous aurions en effet certains renseignements concernant l'alerte. Cependant, au-delà de cela, qu'en est-il? Le Canada n'a pas vraiment de rôle pour l'instant. Je crois que c'est quelque chose que nous devons rectifier.

Le président : Chers collègues, sur cette note, il est 14 heures. J'aimerais remercier nos témoins de leur présence.

Premièrement, j'aimerais vous remercier de vos années au service de la population canadienne dans vos fonctions de parlementaires canadiens. Plus important encore, comme le sénateur Dallaire l'a mentionné, je vous remercie d'avoir soutenu fermement les militaires lorsque vous étiez responsables de ces portefeuilles. Nous vous sommes reconnaissants d'être venus répondre à nos questions.

Dans le cadre du mandat du comité d'étudier afin d'en faire rapport les politiques, les pratiques, les circonstances et les capacités du Canada en matière de sécurité nationale et de défense, nous entamons aujourd'hui un examen de la GRC.

Le 8 novembre 2012, le Sénat a autorisé le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense à étudier le harcèlement au sein de la GRC et à en faire rapport au plus tard le 30 juin 2013. Le comité a publié ses conclusions le 19 juin 2013 dans un rapport, intitulé Des questions de conduite : la Gendarmerie royale du Canada doit transformer sa culture. Dans son rapport, le comité a affirmé son intention de continuer de surveiller la mise en œuvre du projet de loi C-42, le plan d'action sur l'égalité entre les sexes et le respect et les recommandations formulées dans le rapport et celles émises par la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada, ou la CPP.

Nous sommes ravis aujourd'hui d'accueillir de nouveau au comité Ian McPhail, le président intérimaire, et Richard Evans, le directeur principal des Opérations de la Commission des plaintes du public contre la GRC.

Messieurs McPhail et Evans, nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir témoigner devant notre comité aujourd'hui. Je crois comprendre que vous avez un exposé, monsieur McPhail. Allez-y. Nous avons une heure pour ce groupe de témoins.

Ian McPhail, président intérimaire, Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président, honorables sénateurs. Je suis accompagné aujourd'hui par Richard Evans, qui est notre directeur principal des Opérations. Nous sommes tous les deux ravis de témoigner devant votre comité.

La dernière fois que nous avons comparu devant votre comité, en avril 2013, nous avons discuté d'un certain nombre de vos préoccupations concernant le projet de loi C-42, les pouvoirs qu'il conférerait à la nouvelle Commission civile d'examen et de traitement des plaintes, ou la CCETP, et la façon dont ces pouvoirs amélioreraient la reddition de comptes de la GRC.

Le projet de loi C-42 a reçu la sanction royale en juin 2013. J'ai alors estimé que l'entrée en vigueur de la loi et la transition vers la nouvelle CCETP auraient lieu au début de 2014. Il semble que, sur ce dernier point, j'ai été un peu trop optimiste.

Abstraction faite de la date où cela se produira, la CPP a continué de se préparer pour ce futur changement : elle a obtenu les ressources et mis en place les processus nécessaires à une transition sans heurts vers la nouvelle CCETP et son mandat et ses pouvoirs élargis.

Nous nous sommes assurés d'avoir l'enveloppe de financement, soit les 10 millions de dollars qui étaient liés au mandat de la nouvelle CCETP. Cette enveloppe représente pratiquement le double du budget des services votés dont disposait la CPP ces dernières années. Il ne faut toutefois pas oublier que le gouvernement a accordé à la CPP un financement provisoire renouvelé chaque année, ce qui nous a permis de nous acquitter de nos responsabilités.

Au cours de la dernière année, nous avons travaillé en étroite collaboration avec la GRC à l'établissement d'un protocole d'entente visant à favoriser un esprit de collaboration et à être en mesure de régler les problèmes au bon échelon. Les éléments clés du protocole comprennent la définition des principales échéances des diverses phases des processus de traitement des plaintes et d'examen, l'accès par la CPP à l'information de la GRC dont elle a besoin pour s'acquitter de son mandat, des lignes directrices pour la gestion uniforme des plaintes et un protocole de notification à suivre en cas d'incident grave.

Nous avons mis sur pied un nouveau service qui procédera à des examens d'activités précises de la GRC, conformément à ce qui est énoncé dans le projet de loi C-42. L'équipe a établi un processus qui contribuera à déterminer de manière stratégique les principaux enjeux et à faire enquête sur ces enjeux avant qu'ils donnent lieu à des situations critiques, et ce, dans le but de fournir une analyse et des recommandations qui satisfont aux attentes du public et qui sont adaptées à la réalité des services de police de première ligne.

Nous avons également maintenu nos relations avec nos intervenants et nos partenaires provinciaux et nous leur avons signalé les changements qui découleront de la nouvelle mesure législative, y compris de fournir des rapports sur les plaintes aux ministres provinciaux, de produire des rapports annuels adaptés à chacune des provinces, de procéder à l'examen d'activités précises à la demande d'une province et d'entreprendre des enquêtes en collaboration avec les organismes provinciaux de surveillance.

Enfin, nous avons restructuré nos services opérationnels et administratifs et réalisé des gains d'efficacité, ce qui nous permettra d'investir dans les domaines du nouveau mandat et d'améliorer les processus de traitement des plaintes et d'examen. À titre d'exemple, nous avons modernisé notre système de gestion des cas et de traitement des plaintes et nous travaillons à la mise en œuvre d'une solution de réception des plaintes pleinement intégrée qui répondra aux besoins de la GRC et de nos homologues provinciaux et qui permettra d'offrir sans heurts un service convivial au public.

Au cours de cette période, la CPP a également continué de remplir son mandat principal, qui est de traiter les plaintes du public contre la GRC concernant une vaste gamme de questions relatives à la conduite de membres. D'ailleurs, un sujet auquel votre comité s'intéresse tout particulièrement est celui du harcèlement en milieu de travail au sein de la GRC. Comme vous le savez, en 2013, j'ai terminé une enquête d'intérêt public sur ce problème et publié un rapport comprenant 11 recommandations visant à favoriser un milieu de travail plus respectueux. Le commissaire de la GRC a depuis accepté en principe ces recommandations et entrepris de les examiner. Il s'est également engagé à tenir la CPP au courant des nouvelles stratégies et procédures de la GRC visant à corriger le problème du harcèlement, et ce, au fur et à mesure de leur mise en œuvre.

En terminant, monsieur le président, j'aimerais affirmer que l'entrée en vigueur du projet de loi C-42 et la création de la nouvelle CCETP offriront de nouveaux outils et une énergie renouvelée en matière de surveillance. Cela permettra à la CPP de s'attaquer, d'une manière plus stratégique et plus systématique, aux enjeux critiques qui nuisent à la réussite de la GRC, comme le harcèlement en milieu de travail.

Je suis convaincu que nous avons mis en place les structures, les ressources et les processus nécessaires pour jeter des bases solides qui serviront à mettre sur pied la CCETP et veiller à ce que ce nouvel organisme soit en mesure de s'acquitter de son mandat durant les années à venir.

Je serai heureux de répondre à toutes vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur McPhail. Nous vous sommes très reconnaissants d'être venus témoigner devant notre comité. Votre dernière comparution remonte à près d'un an. Comme le temps file. Des changements sont apportés.

Une question a récemment été soulevée. Cela concerne une étude interne de la GRC conclue en 2007 qui a permis de répertorier plus de 300 cas de corruption présumée impliquant des membres de la GRC. Dans certains cas, il est apparemment question de graves allégations; on rapporte 12 cas impliquant des organisations criminelles. Il y avait également d'autres cas.

Votre bureau reçoit-il copie d'un tel rapport lorsqu'il est terminé? Votre bureau en a-t-il reçu copie en 2007-2008?

M. McPhail : Notre bureau n'a pas reçu copie du rapport, et il n'est pas habituel de nous faire parvenir de tels rapports. Cela pourrait s'expliquer notamment par une évolution du mandat. Par le passé, le mandat de la CPP se limitait presque exclusivement au traitement de plaintes ou à des interventions en ce sens. En vertu du projet de loi C-42, le nouveau mandat présuppose que la nouvelle CCETP mènera des enquêtes sur des activités précises de la GRC. Je crois que la donne changera dans l'avenir.

J'aimerais demander à M. Evans de répondre également à votre question, compte tenu de son expérience en tant qu'agent d'intégrité professionnelle à la GRC.

Richard Evans, directeur principal, Opérations, Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada : Comme M. McPhail l'a dit, en prévision de ce que l'avenir nous réserve, nous avons déjà commencé à collaborer plus étroitement avec la GRC. Le nouveau pouvoir concernant l'examen d'activités précises en vertu de la nouvelle mesure législative est assez vaste. Il n'est pas défini dans la loi. De concert avec la GRC, nous avons décidé de cerner des secteurs de la GRC qui doivent faire l'objet d'un examen. Nous rencontrons régulièrement des représentants de la GRC, et je suis sûr qu'un rapport de ce type serait mentionné au cours de ces discussions.

Le président : Je tiens à préciser quelque chose avant de passer aux séries de questions. Ai-je raison de comprendre qu'avec la nouvelle mesure législative les rapports internes de ce genre seraient automatiquement communiqués à votre bureau lorsqu'ils sont terminés en vue de vous en informer? Il est déconcertant d'apprendre que le présent rapport a été terminé en 2007 et que la population en a appris l'existence, parce qu'une personne a présenté une demande d'accès à l'information en ce sens. Autrement, personne ne saurait qu'un tel rapport existe.

M. McPhail : Même en vertu de la nouvelle mesure législative, je ne crois pas qu'un tel rapport serait automatiquement communiqué à notre bureau. Cependant, comme M. Evans l'a mentionné, étant donné que nous rencontrons régulièrement à divers échelons des représentants de la GRC, j'ai de la difficulté à croire que nous n'aurions pas vent de l'existence d'un tel rapport.

Le sénateur Dallaire : J'aimerais revenir sur un aspect fondamental de la philosophie de l'organisme qui est encore passablement de nature paramilitaire, ce qui se perçoit dans sa structure, sa philosophie concernant les mesures disciplinaires, sa chaîne de commandement, et cetera. Même si votre organisme accomplit en grande partie les mêmes tâches qu'un service de police typique, il accomplit tout de même d'autres tâches, et il est structuré en conséquence.

En lisant ce que le gouvernement a dit au sujet de nos travaux, je vois beaucoup de termes « ottaviens » en ce qui concerne le perfectionnement professionnel des cadres supérieurs et le suivi à ce sujet au moyen notamment de formations. Dans sa réponse, le gouvernement mentionne souvent qu'il prend des mesures, qu'il discute avec des gens, qu'il a mis à jour un cours, qui n'est en fait qu'un petit cours, et qu'il a adopté un processus relativement au continuum du leadership en discutant avec d'autres. Par contre, dans sa réponse, le gouvernement ne traite pas du tout des éléments concrets et n'établit pas d'objectifs en la matière.

Dans le cas du rapport sur la Somalie, nous avions des recommandations dont nous devions tenir compte, ainsi que des objectifs très précis que nous devions atteindre, sans quoi nous étions sommés de comparaître devant la Chambre des communes. Cela ne traite aucunement de ce que nous considérions comme une lacune fondamentale du processus global, à savoir les cadres supérieurs, le perfectionnement du corps des officiers supérieurs et la manière dont cela se répercute dans l'ensemble.

Jusqu'à présent, avez-vous constaté une évolution en ce qui a trait aux gens qui sont promus à des postes de cadres supérieurs et des changements considérables quant à leur perfectionnement professionnel, à la philosophie de l'institution et au rapport avec les troupes? Je m'excuse de vous poser une longue question.

M. McPhail : Ce n'est pas grave. Merci, sénateur. Premièrement, je m'excuse, parce que je ne suis pas vraiment versé dans la langue « ottavienne ». Je vais donc...

Le sénateur Dallaire : On vous pardonne d'être humain.

M. McPhail : Je ferai de mon mieux pour répondre à votre question. Premièrement, lorsque nous avons publié notre rapport il y a environ un an, nous avons notamment constaté que c'était la première initiative en vue d'essayer d'étudier de manière globale la question du harcèlement. Nous avons formulé des recommandations, mais leur mise en œuvre relève du commissaire et de la GRC. Le commissaire a la responsabilité d'administrer la GRC.

Dans notre rapport, nous mentionnions que nous réexaminerions l'ensemble de la question non pas dans l'immédiat, mais dans un avenir proche, et nous avons maintenant le pouvoir de le faire grâce au projet de loi C-42.

À l'heure actuelle, le nouveau code de conduite n'est pas encore entièrement fonctionnel. Nous devons laisser un peu de temps s'écouler pour voir comment le tout fonctionne en pratique. Ensuite, il importe d'examiner de nouveau la question pour voir si nous pouvons en mesurer les effets, parce que nous avons maintenant une certaine base. Ce ne sera pas toujours facile, mais je crois que nous pouvons y arriver.

Pour répondre à l'autre partie de votre question, d'après ce que je comprends, le commissaire Paulson est tout à fait conscient du besoin de changer la culture au sein de la GRC, et nombre des nominations qu'il a faites vont en ce sens.

M. Evans veut peut-être faire un commentaire à ce sujet.

M. Evans : Je réitérais les commentaires de M. McPhail. Il serait un peu prématuré de juger la façon dont la GRC a répondu à nos recommandations, étant donné que bon nombre des processus se retrouvent dans le projet de loi C-42. Diverses politiques entreront en vigueur avec le projet de loi C-42 et donc, comme l'a dit M. McPhail, lorsque l'organisation aura l'occasion d'élaborer ces règlements et de les mettre en place, alors le projet de loi nous conférera les pouvoirs nécessaires pour procéder à un examen.

Le sénateur Dallaire : Tout d'abord, je ne suis pas du tout à l'aise avec l'idée que le commissaire « gère » la GRC. C'est le dirigeant de la GRC, c'est énoncé dans la loi. Pour moi, c'est un signe que la transition n'a pas eu lieu.

Toutefois, pendant et après les événements en Somalie, la Défense nationale devait respecter des jalons de six mois pour mettre en œuvre d'importantes réformes, et il y avait des conséquences en cas de non-respect des échéances. J'ai participé de près à cette mesure.

Est-ce qu'un tel processus est en cours ou est-ce que le commissaire vise un tel objectif?

M. McPhail : D'après mes discussions avec le commissaire et — de façon tout aussi importante — d'après les discussions que M. Evans et d'autres membres de notre équipe ont eues avec leurs collègues au sein de la GRC, je constate que le processus est en cours.

Le sénateur Segal : Je tiens d'abord à remercier nos invités pour le travail qu'ils accomplissent dans un domaine complexe et difficile. J'aimerais maintenant parler des conséquences.

En vertu du droit commercial, civil, criminel et administratif, lorsqu'on ne respecte pas les obligations, lorsque les règles, les règlements ou les pratiques exemplaires sont enfreints, lorsque les droits et libertés des personnes ou les normes relatives à la corruption sont gérés de manière inappropriée, il y a des conséquences.

Je veux approfondir la question du sénateur Dallaire. J'ai l'impression — et j'ai un grand respect pour la bonne foi des forces, pour les hommes et les femmes qui servent leur pays et qui font un travail exemplaire dans des circonstances difficiles — que le processus en cours est toujours assujetti à une autre mesure législative ou à un autre cadre, ce qui signifie par exemple que notre discussion ne porte pas vraiment sur l'application régulière de la loi et sur les conséquences.

Si j'étais un membre junior de votre personnel et que je lisais dans un article de journal qu'il y avait 300 cas possibles de corruption au sein de la GRC, découverts par la GRC même et communiqués en réponse à une demande d'AIPRP, même si selon le mandat de votre organisation, vous n'êtes pas impliqués directement dans ces incidents — et je respecte cela —, je vous poserais la question suivante : que fait-on à ce sujet? Est-ce qu'on vérifie si des mesures disciplinaires ont été prises ou si des personnes ont été suspendues dans l'attente d'une enquête plus approfondie? Est-ce que des accusations ont été portées? Qu'est-ce qu'on fait pour veiller à ce que les lois en vigueur au pays, mises en œuvre consciencieusement par la GRC, s'appliquent bien aux personnes qui travaillent au sein de la GRC selon les mêmes circonstances?

M. McPhail : Monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison; il faut qu'il y ait des conséquences. Pour revenir à votre exemple sur les gens qui attendent la nouvelle loi, la période de gestation a été très longue, comme nous le savons tous.

Je crois qu'il est fort probable que la loi soit mise en œuvre dans un avenir très rapproché. À ce moment-là, mais pas avant, notre commission pourra enquêter. À titre d'exemple d'examen d'activités particulières, la façon dont la GRC a traité ces questions constitue une activité particulière qui devrait être visée par un examen.

Le sénateur Segal : Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé des 11 recommandations émanant de votre rapport sur le harcèlement, de votre engagement auprès du commissaire et de la GRC et du travail de l'organisation. Selon votre dynamique de travail avec le commissaire, croyez-vous avoir les bonnes mesures pour évaluer le rendement en fonction de ces recommandations?

Je comprends qu'il y a cet engagement que la GRC a accepté les recommandations, qu'elle travaille soigneusement, et cetera, mais avez-vous des mesures pour déterminer si l'organisation a agi de bonne foi et de façon sensée pour aborder efficacement vos recommandations?

M. McPhail : On dit qu'on reconnaît l'arbre à ses fruits. À cet égard, au moment d'évaluer les changements et les progrès réalisés, nous établirons ces mesures en préparant le cadre de référence de l'examen.

Le président : Chers collègues, est-ce que je peux revenir sur les propos du sénateur Segal aux fins du compte rendu?

Je reviens au rapport de 2007 et aux questions qui y sont soulevées. Si votre organisation n'aborde pas les questions soulevées dans un rapport d'une telle nature pour déterminer si elles ont été réglées, alors qui le fait?

M. McPhail : C'est un excellent point, monsieur le sénateur. Le fait est que notre organisation sera responsable de ces questions. Ce n'était pas le cas dans le passé.

Le président : Je veux y revenir parce que nous recevrons le commissaire Paulson la semaine prochaine. À l'heure actuelle, seul le commissaire, et non votre organisation, traite du rapport, en raison de votre cadre législatif. Est-ce bien ce que je dois comprendre?

M. McPhail : C'est exact.

Le sénateur Mitchell : Je vous remercie de votre présence. Je ne sais pas si le projet de loi C-42 permettra d'atteindre l'objectif souhaité par le commissaire, c'est-à-dire lui conférer le pouvoir de se débarrasser des pommes pourries, comme il l'a dit. Cela nous amène à la question suivante : quelles sont, selon l'organisation, ces pommes pourries dans les cas de harcèlement; la victime ou l'agresseur? Rien dans le projet de loi n'établit une distinction claire à cet égard. En fait, il donne beaucoup de pouvoir à l'organisation pour se débarrasser de la victime, et c'est ce qui semble se produire.

À la suite de harcèlement et d'intimidation — et de nombreux cas ont été documentés par les processus du tribunal de la GRC — de nombreux militaires souffrant du TSPT reçoivent aujourd'hui un avis de libération, souvent émis à la suite d'une commission d'enquête ou d'examen à laquelle ils n'ont pas pu assister. Maintenant, on élabore des règlements qui permettront de libérer des militaires avant la fin du processus de règlement des griefs.

Pouvez-vous nous donner l'assurance que ces pouvoirs nous permettront de nous débarrasser des personnes qui causent les problèmes — les agresseurs — et non des personnes qui sont victimes de harcèlement?

M. McPhail : Je vais demander à M. Evans s'il veut répondre à votre question, monsieur le sénateur.

M. Evans : C'est très important de faire une distinction entre les questions de conduite au sein de la GRC et le mandat de notre commission. En vertu du projet de loi C-42 et de la Loi sur la GRC, la conduite et la procédure du tribunal, et le congédiement des membres de la GRC, demeurent du ressort du commissaire de la GRC à titre d'employeur responsable. C'est là que se font les congédiements.

La nouvelle Commission civile d'examen et de traitement des plaintes aura un mandat plus large; elle examinera les processus et les dossiers actifs de la GRC. Je vais vous donner un exemple. Dans notre rapport sur le harcèlement, nous avons recommandé à la GRC d'améliorer la tenue des dossiers. Nous avions de la difficulté à suivre tous les cas parce qu'ils n'étaient pas toujours consignés. C'était notre première recommandation. Notre mandat vise ce type de questions de procédures; c'est donc un mandat réparateur général. Nous donnons des conseils à la GRC, le commissaire les accepte et tente de les mettre en œuvre. Le traitement des plaintes de harcèlement individuelles demeure du ressort de la GRC.

Le sénateur Mitchell : Nombre de vos recommandations, qui sont excellentes, permettraient de traiter de façon périphérique ou directe du programme dont parle le commissaire : le programme de respect en milieu de travail. Par exemple, un mécanisme externe d'examen des décisions en matière de harcèlement devrait être mis en œuvre. C'est assez simple. À mon avis, vous pourriez le faire en deux semaines.

De toute évidence, ce serait de votre ressort, et vous auriez tout intérêt à ce que le programme de respect en milieu de travail fonctionne.

Pouvez-vous nous confirmer qu'on progresse à cet égard? Lorsque nous avons entendu les responsables l'année dernière, nous avons constaté qu'il n'y avait aucune norme ni orientation nationale et que chaque secteur allait faire à sa façon. J'ai eu l'impression qu'ils ne voulaient pas vraiment s'engager, si je puis me permettre, et je crois que c'est un problème grave.

Croyez-vous que le programme de respect en milieu de travail est mis en œuvre et qu'il a une incidence? Est-ce qu'une étude de base a été réalisée pour permettre de mesurer les progrès? Avez-vous prévu mesurer les progrès dans le cadre de votre nouveau mandat?

M. McPhail : Tout d'abord, les renseignements dont je dispose sont plutôt anecdotiques, mais je crois que la GRC travaille à la mise en œuvre de cette stratégie. En ce qui a trait à la base, je crois qu'elle se trouve dans notre rapport précédent. Comme je l'ai dit, nous voulons certainement mesurer les progrès, et lorsque la nouvelle commission sera créée en vertu de la nouvelle loi, ce sera l'un des premiers examens d'activités particulières.

Le sénateur White : Je vous remercie tous deux de votre présence aujourd'hui. J'ai deux courtes questions à vous poser.

Comme vous le savez probablement, nous avons tenu un certain nombre d'audiences au sujet de l'ASFC et de la transition, depuis 2004, vers un organisme policier. Un certain nombre de personnes nous ont parlé du manque de surveillance indépendante de l'ASFC, et de nombreuses personnes nous ont dit qu'elle travaillait souvent en étroite relation avec la GRC.

Selon votre nouveau mandat, croyez-vous que votre structure vous permettra d'assurer la surveillance de l'ASF? Je ne parle pas des niveaux de ressources, mais j'aimerais savoir si votre organisation pourrait le faire.

M. McPhail : Tout d'abord, monsieur le sénateur, la pertinence d'une telle surveillance relève plutôt des parlementaires; je ne ferai donc pas de commentaire à ce sujet.

Si vous décidiez qu'il fallait exercer une surveillance, alors je crois que le modèle de la CPP serait excellent puisque le rôle même de l'ASFC a changé de façon radicale au cours des 10 ou 15 dernières années. Je ne veux pas faire de critique, mais je crois que nous reconnaissons tous qu'il n'y a pas longtemps, sa tâche principale consistait à percevoir les péages et les revenus, et aujourd'hui, elle assume clairement des fonctions de maintien de l'ordre.

Le sénateur White : Donc la réponse est oui?

M. McPhail : Oui.

Le sénateur White : En ce qui a trait à votre réponse à une question précédente au sujet d'un certain nombre de cas de corruption, est-ce que votre nouveau mandat — et peut-être votre mandat actuel — vous permettrait de mener une enquête relative à ces allégations? Dans l'ensemble, est-ce que la corruption représente un problème au sein de la GRC? Auriez-vous ce pouvoir?

M. McPhail : Oui. En fait, l'une des forces de la CPP, qui sera le modèle de la CCETP, c'est qu'à mon avis nous en apprenons plus au sujet des cas visés lorsque nous menons une enquête, que nous examinons la documentation et que nous réalisons des entrevues que dans le cadre de toute enquête publique. Je crois que c'est pour cela que les examens que nous avons réalisés au cours des dernières années ont permis de régler les problèmes : lorsqu'ils ont eu l'occasion d'examiner les questions, les gens se sont rendu compte qu'il n'y avait pas grand-chose à apprendre.

Le sénateur White : Certaines questions de mes collègues visaient à déterminer si vous pouviez prendre des mesures, dans le cas où vous n'obtiendriez pas de réponse du commissaire ou de la GRC relativement à la gestion de ces 312 cas, je crois, pour aller de l'avant. Dans ce cas, nous examinerions notre propre enquête réalisée par la CPP ou la CCETP.

M. McPhail : Oui, cela fait partie de la catégorie des examens d'activités particulières du projet de loi C-42.

Le sénateur White : Je vous remercie de cette précision.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je tiens à remercier nos témoins d'être ici aujourd'hui.

Peut-être que vous n'êtes pas au courant, mais à titre indicatif, j'ai été président du syndicat des policiers de la Sûreté du Québec durant sept ans, et nous avions établi avec l'employeur, de façon paritaire, une politique pour traiter les cas de harcèlement, ce qui nous avait permis d'éviter des problèmes et de régler plusieurs dossiers. Ce syndicat ne traite pas que des contrats de travail et des régimes de retraite; il participe bel et bien à l'organisation du corps de police.

Dans quelle mesure le gouvernement a-t-il répondu de façon satisfaisante aux préoccupations soulevées par votre commission d'enquête dans l'intérêt public sur le harcèlement en milieu de travail? A-t-il répondu de façon satisfaisante? Et quelles sont les préoccupations soulevées dans votre rapport d'enquête, selon vous, qui n'auraient pas été résolues?

[Traduction]

M. McPhail : En ce qui a trait à la réponse du gouvernement, dans le projet de loi C-42, malgré certaines améliorations possibles, le gouvernement a donné à la GRC les outils dont elle a besoin pour faire son travail. Il a conféré à notre commission le pouvoir d'enquêter sur le travail de la GRC. Ce n'est pas terminé, de toute évidence. C'est une question qu'on n'arrivera peut-être jamais à régler complètement. Néanmoins, à l'heure actuelle, la GRC tente de mettre en place les nouveaux systèmes. Notre commission sera responsable de les examiner et de déterminer si ses efforts sont satisfaisants.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie. Monsieur Evans, avez-vous un commentaire?

[Traduction]

M. Evans : Non, je réitèrerais les propos de M. McPhail. C'est un peu prématuré pour nous, mais ce ne sont pas des éléments négligeables de la loi proposée. Par exemple, au fil des examens, nous allons déterminer ce qui est pertinent. Le projet de loi vise un processus de production de documents amélioré qui facilitera l'accès aux documents de la GRC et nous confère un mandat plus large, ce qui est important. Je crois que cela confirme ce que M. McPhail disait au sujet de notre capacité de régler ces questions : nous aurons un plus grand pouvoir d'enquête.

Le sénateur Day : Messieurs, la première question que je veux poser a trait à la remarque que vous avez faite sur les 10 millions de dollars que vous avez obtenus à même le budget des services votés. Les services votés signifient que vous vous attendez à recevoir ce montant chaque année pour financer vos activités. C'est le double du montant que vous receviez. A-t-il doublé en raison d'une augmentation des activités et des employés? Pourquoi auriez-vous besoin du double?

M. McPhail : C'est le double du financement que nous recevions à même les services votés. En outre, le gouvernement a versé quelque 3 millions de dollars en financement supplémentaire ou provisoire; c'est donc une augmentation d'environ 2 millions de dollars, qu'on a arrondi, bien entendu. Cette hausse, combinée aux économies internes que nous avons réalisées et continuerons de réaliser, nous donnera suffisamment de financement pour remplir le nouveau mandat.

Le sénateur Day : Ce financement est-il directement versé à la commission ou provient-il d'un autre crédit?

M. McPhail : Il est directement versé à la commission.

Le sénateur Day : Je voulais simplement vérifier.

Je suis en train d'examiner la dernière partie de votre exposé, et je dois vous demander ce que vous voulez dire par « Nous travaillons à la mise en œuvre d'une solution de réception des plaintes pleinement intégrée ».

M. McPhail : Permettez-moi de traduire le jargon d'Ottawa, pour reprendre l'expression du sénateur Dallaire. La situation actuelle est la suivante : la GRC peut recevoir des plaintes directement. Elle utilise un format pour son processus de réception des plaintes. Le nôtre est quelque peu différent. Chaque province a son propre organisme d'examen et de règlement des plaintes. Chaque province a son propre format. À mon avis, cela n'avait aucun sens. Nous essayons donc d'adopter une approche « sans fausse route ». Si un membre du public a un problème ou un incident avec un service de police, il n'a pas à s'adresser au corps policier concerné. Il peut téléphoner à n'importe quel service, et la plainte sera acheminée adéquatement au service concerné. Nous voulons nous éloigner de la situation où l'on nous répond, « Oh, vous avez le mauvais numéro ou la mauvaise adresse électronique; voici les coordonnées des personnes avec lesquelles vous devriez communiquer ». C'est essentiellement une approche « sans fausse route » à guichet unique pour le public.

Le sénateur Day : Puis-je poser une deuxième question?

Le président : Donne-t-elle suite à celle-ci?

Le sénateur Day : Non, je pense que je comprends cela maintenant, mais je voulais seulement poser une autre question rapidement.

Le président : Si vous pouvez faire une courte introduction, vous pouvez avoir la parole maintenant.

Le sénateur Day : Nous avons une recommandation selon laquelle les transferts ne doivent pas être utilisés pour éviter de devoir gérer une situation. Le ministre Blaney a dit que la GRC n'agit pas ainsi. J'aimerais entendre ce que vous avez à dire à ce sujet.

M. McPhail : Ma question s'adresse à M. Evans.

M. Evans : Ce n'est pas quelque chose que nous avons étudié ou que nous estimons que nous devrions étudier pour l'instant. Comment le président est-il informé sur ce qu'il doit se pencher dans l'intérêt public en vertu de la nouvelle mesure législative? Si des plaintes sont déposées, il est probable que le président décidera qu'il est dans l'intérêt du public de les passer en revue. Dans le cadre de ce mandat élargi, nous pourrions peut-être examiner quelque chose de ce genre.

Le sénateur Day : J'espère que vous garderez cela à l'esprit. Vous ne recevrez peut-être pas de nombreuses plaintes si une personne reçoit une promotion et est affectée à un poste dans la vallée de l'Okanagan. Elle ne voudra probablement pas porter plainte.

Le président : Puis-je donner suite à ce que vous venez de dire? Nous avons consacré beaucoup de ressources et passé beaucoup de temps avec de nombreux témoins pour préparer un rapport parlementaire sur le harcèlement. C'est un rapport public. Je présume que votre organisation en reçoit une copie et que vous en prenez connaissance. Ne demanderiez-vous pas à la GRC ce qu'elle fait pour donner suite à ces recommandations? Ou dois-je supposer que nous devons déposer une plainte pour pouvoir assurer un suivi?

M. McPhail : Non, vous n'avez pas à déposer une plainte pour qu'on assure un suivi à ce sujet. Personne ne doit le faire. C'est quelque chose que nous avons promis que nous ferions et que nous ferons.

Le président : Je veux faire une observation à ce sujet. Nous avons consacré beaucoup de temps et d'efforts à l'élaboration de ce rapport, et je pense que c'est un bon rapport dans l'ensemble. Lorsque vous recevrez ce rapport, vous constaterez que nous vous considérons comme étant notre représentant public. Assurez-vous un suivi auprès du commissaire et de son administration pour prendre les mesures qui s'imposent dans un délai de trois, quatre ou six mois afin de connaître exactement l'orientation de ce rapport ou de savoir si l'organisation n'est pas prête à mettre en œuvre le rapport ou certains aspects du rapport et quelles en sont les raisons, le cas échéant?

M. McPhail : J'aurais peut-être dû être plus précis tout à l'heure, sénateur. Je rencontre régulièrement le commissaire Paulson. Nous avons tenu des réunions avec des hauts fonctionnaires du commissariat, le commissaire Paulson et certains membres de son personnel. Des rencontres régulières sont organisées à de nombreux niveaux.

Effectivement, nous tenons des discussions et surveillons les progrès. Comme M. Evans l'a dit plus tôt, les travaux sont en cours, et c'est la raison pour laquelle nous ne sommes pas encore en mesure de vous dire exactement quelle en est l'incidence. La mise en œuvre n'est pas encore tout à fait achevée.

Le président : Je suppose donc qu'à pareille date l'an prochain, vous serez en mesure de nous présenter un rapport complet sur toutes les répercussions du...

M. McPhail : Oui.

Le président : Maintenant qu'on a obtenu cette précision, je vais céder la parole au sénateur McIntyre.

M. McPhail : En supposant que je ne suis toujours plus le président intérimaire.

Le sénateur McIntyre : Merci, messieurs, de l'excellent exposé que vous avez fait. Comme vous le savez, la GRC a récemment rendu publiques un certain nombre de modifications réglementaires proposées qui doivent faire l'objet de consultations. Je fais allusion au Règlement de la GRC, au résumé de l'étude d'impact de la réglementation de 2014, publié dans la Gazette du Canada en avril dernier.

La CPP a-t-elle participé à ce processus de consultation et, le cas échéant, de quelle façon?

M. McPhail : Je crois que vous parlez du code de conduite.

Le sénateur McIntyre : Oui.

M. McPhail : La CPP n'a pas participé à cet effort. Les propositions sont maintenant rendues publiques pour que l'on puisse solliciter l'avis de la population, et ce, tant les membres du public que les membres de la GRC.

Je répète que c'est quelque chose que la nouvelle CCETP pourra examiner une fois que la mise en œuvre sera terminée.

Le sénateur Mitchell : Vos travaux et au moins l'une des recommandations de votre rapport portaient en grande partie sur la psychologie et la culture d'une organisation comme la GRC. Je pense que vous avez démontré que vous avez étudié la question en profondeur. L'une de vos recommandations portait sur la relation entre les conflits en milieu de travail et le harcèlement. Il y a une relation complexe, et vous y avez de toute évidence réfléchi.

Dans le même ordre d'idées, je me demande dans quelle mesure vous pouvez relier un milieu de travail où l'intimidation et le harcèlement sont permis et ce type d'environnement où la corruption atteint des proportions telles que l'on enregistre 322 rapports d'incident. Je pense qu'il y a un lien dans la nature de la culture.

M. McPhail : Ce n'est pas quelque chose à laquelle j'ai beaucoup réfléchi. Au grand risque de...

Le sénateur Mitchell : Je vous pose simplement la question, compte tenu de votre grande expérience.

M. McPhail : De façon hypothétique, oui, je pense que si des gens estiment que les règles ne s'appliquent pas à eux dans un secteur, alors ils peuvent croire que c'est le cas pour d'autres personnes.

Le sénateur Mitchell : L'étude qui a révélé que 322 cas de corruption sont survenus entre 1995 et 2005 a été réalisée en 2007, mais cela remonte maintenant à presque 10 ans. Savez-vous s'il y a d'autres études ou surveillance effectuées par la GRC et d'autres études qu'elle aurait réalisées qui permettraient de savoir ce qui s'est passé au cours des 10 dernières années?

M. McPhail : Je l'ignore.

Le président : Si vous me le permettez, chers collègues, j'aimerais entrer un peu plus dans les détails en ce qui concerne le code de conduite. Le sénateur McIntyre a dit qu'il a été publié dans la Gazette du Canada et que des renseignements supplémentaires seront rendus publics et feront l'objet de consultations. Si je me souviens bien, nous avons formulé plusieurs recommandations sur le code de conduite et sur l'importance qu'il soit clairement défini, mais aussi qu'il expose les conséquences si un agent ne le respecte pas.

Quelles mesures prenez-vous pour vous assurer que votre bureau, en collaboration avec le commissaire, veille à ce que ce soit fait pour que le public sache qu'il y a un code de conduite qui sera assorti de conséquences? Avez-vous des observations à faire à ce sujet?

M. McPhail : Là encore, cela revient à ce que prévoit ou non notre mandat. Pour ce qui est des conséquences que doivent assumer les personnes qui enfreignent le code de conduite, nous ne sommes pas un organisme d'examen pour des cas précis de discipline au sein de la GRC. Ce que nous pouvons faire et ce que nous ferons probablement, c'est de passer en revue la façon dont le code de conduite est administré et quelles sont les peines ou les conséquences pour différents actes, ainsi que de vérifier s'il est juste pour les membres de la GRC et les membres du public.

Le sénateur Dallaire : J'ai écouté des gens et j'ai lu des articles au sujet de vos fonctions, entre autres. La réponse que nous avons reçue de l'ombudsman était très succincte. On pourrait quasiment la qualifier de désinvolte, car on dit essentiellement que les entités de surveillance en place ne sont pas suffisantes; nous n'avons pas besoin d'en avoir une autre. Nous aurions facilement pu dire cela au MDN, puisque nous n'avions pas d'ombudsman, mais que nous avions six comités de surveillance civile relevant directement du ministre au cours de la période où nous avons procédé à d'importantes réformes à la fin des années 1990.

Estimez-vous que la présence d'un ombudsman minerait l'existence d'une institution dont les pratiques semblent être dépassées par rapport à la décennie dans laquelle nous vivons?

M. McPhail : Il est difficile de répondre à cette question. Quel est le niveau de surveillance approprié? Au risque de ne pas répondre à votre question, mais je ferai de mon mieux...

Le sénateur Dallaire : On dirait presque le jargon d'Ottawa.

M. McPhail : Non, je ne m'exprimerai pas dans le jargon d'Ottawa.

Je vais vous donner deux exemples généraux. M. Evans et moi-même avons eu l'occasion d'assister à la réunion annuelle d'une organisation, la NACOLE — la National Association for Civilian Oversight of Law Enforcement —, qui est le pendant américain d'un organisme canadien et qui représente tous les organismes de surveillance. À ma grande surprise, ce sont tous des organismes municipaux. Il y a une forme de surveillance nationale efficace des questions relatives au maintien de l'ordre — même si vous avez l'inspecteur général, je suppose —, mais il y a aussi une surveillance dans chaque État.

Le sénateur Dallaire : La police d'État est présente partout.

M. McPhail : Exactement, mais tous les organismes de surveillance relèvent des municipalités, sans exception.

Le sénateur Dallaire : Nous allons cesser de vous questionner à ce sujet.

M. McPhail : À la dernière réunion de l'ACSCMO, l'Association canadienne de surveillance civile du maintien de l'ordre, j'ai proposé l'idée d'un groupe d'experts sur la responsabilité de la surveillance. L'un des défis auxquels nous nous heurtons, c'est d'être juste à la fois envers les membres de la GRC et les membres du public. Dans de nombreux cas où une personne a subi des blessures graves ou a perdu la vie, il y aura une enquête menée par une entité comme l'unité des enquêtes spéciales, une enquête du coroner et un examen interne. Si aucune accusation criminelle n'est portée, un examen sera réalisé par un organisme comme le nôtre.

Il y a plusieurs processus, et je pense que ce que nous essayons de faire au Canada, c'est de trouver un juste milieu. Ce n'est pas toujours facile à faire entre le système américain qui, à mon avis, ne prévoit pas suffisamment de mesures de surveillance, et le système canadien, où nous tentons d'assurer une surveillance uniforme malgré une tendance à augmenter le nombre d'organismes d'examen.

Je n'ai pas de réponse à vous donner. En fait, comme je l'ai expliqué lors de notre conférence, je voulais proposer qu'on en discute pour que les gens puissent commencer à examiner les différents processus et voir si l'on peut apporter d'autres améliorations.

Le président : Chers collègues, il est maintenant trois heures. J'aimerais remercier nos témoins d'avoir pris le temps, malgré leur horaire chargé, de venir témoigner devant nous et répondre à nos questions. Nous vous en sommes reconnaissants. Nous croyons qu'il est important que vous comparaissiez au moins une fois par année devant un comité comme le nôtre pour tenir cette discussion publique. C'est non seulement important pour nous, mais aussi pour le public, plus particulièrement.

M. McPhail : Nous vous en sommes reconnaissants également, monsieur le président.

Le président : Le temps ne joue pas en notre faveur, et nous avons de nombreux témoins à entendre. Nous allons donc commencer. J'aimerais vous souhaiter la bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense dans le cadre de son examen de questions relatives à la GRC. Nous sommes heureux d'accueillir des membres de la GRC, qui se feront les porte-parole de l'opinion du personnel. Nous recevons le sergent d'état-major Abe Townsend et le surintendant Doug Anthony, de l'exécutif national du Programme des représentants des relations fonctionnelles. J'aimerais également souhaiter la bienvenue à M. Rae Banwarie, président, Association professionnelle de la police montée du Canada, et à M. Gaëtan Delisle, président de l'Association des membres de la police montée du Québec, ainsi qu'à M. John White, président de l'Association de la police montée de l'Ontario.

Messieurs, je crois savoir que chaque organisation a préparé un exposé liminaire. J'inviterais M. Townsend à commencer. N'oubliez pas que nous disposons d'une heure avec ce groupe de témoins.

Monsieur Townsend, allez-y, je vous prie.

Sergent d'état-major Abe Townsend, exécutif national, Programme des représentants des relations fonctionnelles à la GRC : Nous sommes fiers de comparaître au nom des membres de la GRC, qui compte environ 19 000 membres des forces régulières et 3 800 civils qui sont assujettis à la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et qui travaillent partout au Canada et à l'étranger. Ce qu'ils font pour le maintien de l'ordre et la sécurité publique est un honneur à tous les Canadiens.

Nous représentons le Programme des représentants des relations fonctionnelles de la GRC, le Programme des RRF. Il s'agit d'un programme de relations de travail non syndical pour tous les membres de la GRC. Le programme existe en vertu de la loi et est reconnu officiellement comme représentant des membres de la GRC pour toutes les questions qui touchent à leur bien-être et à leur dignité.

Au cours de mes années de service, j'ai travaillé dans quatre provinces et deux territoires et je suis un représentant élu depuis 2004. Doug a travaillé dans deux provinces et est un représentant élu depuis 2012. Le programme est composé de 42 représentants élus démocratiquement par les membres des territoires et des provinces. Nos déclarations liminaires porteront sur quatre secteurs généraux : la Loi visant à accroître la responsabilité de la Gendarmerie royale du Canada, le programme de gestion informelle des conflits, le harcèlement et le Programme pour le respect en milieu de travail.

Je suis ravi d'informer le comité que durant l'élaboration des règlements, des consignes du commissaire, des politiques et de la formation, ce qui permettra d'appliquer la Loi visant à accroître la responsabilité de la Gendarmerie royale du Canada, le Programme des RRF prend part à de sérieuses consultations par l'entremise du Comité des affaires internes des RRF, le Comité des affectations des RRF, le Caucus des RRF et une personne-ressource des RRF dont la seule fonction est de s'assurer que les voies de communication sont ouvertes. Bien que cela nous ait donné la possibilité de défendre les intérêts de nos membres, il y a certains secteurs qui nous préoccupent, et nous nous servirons de l'ensemble du processus d'approbation de la réglementation pour défendre les intérêts des membres de la GRC.

En prévision de la mise en application de la Loi visant à accroître la responsabilité de la Gendarmerie royale du Canada, la plupart des divisions de la GRC ont mis en œuvre des programmes de gestion informelle des conflits, ou PGIC. Ces programmes seront appuyés par le déploiement d'un programme de gestion informelle des conflits à l'échelle nationale. D'après ce que nous ont dit les représentants des divisions ayant mis en œuvre un PGIC, les résultats sont favorables. Nous participons à l'élaboration d'un programme national, comme le prévoit la loi, et nous nous réjouissons à la perspective d'offrir un programme normalisé et durable à l'ensemble de nos membres.

En ce qui concerne le harcèlement, depuis la publication du rapport de votre comité, en juin dernier, et de celui de la CPC, intitulé Rapport d'enquête d'intérêt public concernant des incidents de harcèlement en milieu de travail au sein de la Gendarmerie royale du Canada, et depuis la mise en œuvre du Plan d'action de la GRC sur l'égalité entre les sexes et le respect et du Programme de respect en milieu de travail, on observe une baisse du nombre de plaintes de harcèlement signalées. C'est sans doute attribuable à une combinaison de raisons, et c'est signe que nous allons dans la bonne direction. J'espère que cet effort sera appuyé et maintenu grâce à l'approbation des consignes du commissaire en ce qui concerne les enquêtes et la résolution des plaintes de harcèlement.

En dernier lieu, j'aimerais parler du Programme de respect en milieu de travail, qui découle de façon informelle du Plan d'action de la GRC sur l'égalité entre les sexes et le respect. Bien qu'il soit encouragé par l'administration centrale, ce programme est en grande partie défini et mis en œuvre dans les divisions afin d'améliorer notre milieu de travail et les relations qui y sont établies.

Pour conclure, je tiens à signaler qu'aucune amélioration n'est possible sans l'engagement de nos membres et sans l'appui soutenu de l'organisation. Nos membres sont, et demeurent résolus à poursuivre ces efforts.

La réussite dépend du financement, des ressources, de la formation continue ainsi que d'une communication efficace et rapide. Voilà ce que nous préconisons. Merci. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité.

Le président : Merci, monsieur Townsend.

[Français]

Gaëtan Delisle, président, Association des membres de la police montée du Québec : Merci, monsieur le président, de nous avoir invités à vous parler de ce que nous croyons comprendre du message qui nous est parvenu, à savoir s'il y a eu des changements depuis que le projet de loi C-42 a été publié, quels sont les changements qui ont réellement été apportés, et est-ce que ces changements apportent du bien à l'organisation?

Malheureusement, je peux vous dire que, de notre côté, nous n'avons pas le même son de cloche que celui que M. Townsend vient de vous donner. D'ailleurs, je connais très bien un des représentants divisionnaires siégeant au comité de discipline et je peux vous dire que les représentants divisionnaires qui ont siégé pour les règlements de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada n'ont jamais eu connaissance des règlements avant leur publication, soit le mois dernier. C'est beau de parler de certaines choses, mais quand vous n'avez pas les règlements... Dans les nouveaux règlements pris en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, vous remarquerez que rien n'a changé concernant la vérification de ce qui se passe présentement dans le cadre de plaintes de harcèlement.

J'attire votre attention à la recommandation 15 d'un rapport sénatorial concernant la GRC où il est indiqué que le gouvernement devait créer un poste d'ombudsman de la GRC. Si vous vous référez au règlement de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, vous remarquerez que le rôle du Comité externe d'examen des plaintes du public sera minimisé dans tous les types de grief concernant des situations qui provoquent du harcèlement, entre autres, les griefs sur la politique de voyage — lorsqu'on demande aux membres d'aller travailler ailleurs ou encore, lors des olympiques, dans le cadre desquelles un millier de membres doivent aller travailler dans d'autres endroits et ne sont pas traités comme ils le devraient. Les griefs doivent être déposés au sujet de la politique de voyage du Conseil du Trésor. Or, si vous lisez les nouveaux règlements, tous ces griefs ne pourront être traités par le Comité externe d'examen. Qui plus est, le commissaire dictera ce à quoi vous aurez droit, et c'est celui-ci qui va rendre sa décision. J'espère être très clair en disant que rien n'a changé. La situation va s'aggraver.

Qu'entend-on par harcèlement? Je ne sais pas si vous vous souvenez du moment où ce dossier est sorti au Parlement. Il y a eu le fameux scandale du fonds de pension et du fonds d'assurances de la GRC, et une enquête importante avait été faite. Monsieur White se souviendra sûrement de l'époque où M. Fraser Macaulay, surintendant principal, avait annoncé publiquement la façon dont la GRC s'y était prise pour prendre des millions de dollars de ces fonds.

En vertu de la nouvelle réglementation liée à la Loi sur la GRC, le commissaire peut maintenant congédier sur-le-champ tous les membres de la GRC, sauf le sous-commissaire. Donc, si vous vous reportez à l'époque de M. Macaulay, celui-ci aurait été congédié sur-le-champ.

D'ailleurs, si je ne m'abuse, je crois que vous étiez parti d'une plainte qui avait été faite contre M. Macaulay. Alors que vous étiez assistant-commissaire, vous aviez déposé une plainte au sujet de son comportement. Vous vous imaginez, si l'échelon supérieur dépose des plaintes contre ceux qui viennent dire la vérité, de quelle façon le comportement est entretenu par la suite?

Pour nous, il est évident que les plaintes de harcèlement ne sont pas prises au sérieux et qu'on ne veut pas non plus qu'elles le soient. Voici un exemple flagrant. Il y a huit ans, un de mes grands partenaires, un enquêteur hors pair à la GRC, s'est fait dire le matin en rentrant au bureau : « Tu t'en vas chez toi. Prends tes affaires puis va-t'en chez toi, on ne veut plus te voir au bureau ». Il a fallu huit ans pour demander à la GRC que je dépose un grief de harcèlement. Cela a pris huit ans — ils viennent de recevoir le grief la semaine dernière — pour dire qu'il a un « standing ».

Imaginez-vous qu'après huit ans, le processus du grief de harcèlement débute. Qu'est-ce que vous pensez qui s'est passé pendant tout ce temps? Ce membre a été mis de côté, et ce faisant, qu'est-ce que vous croyez que ces gens pensent de la GRC? C'est la même chose dans toutes les situations lorsqu'on parle de harcèlement.

D'ailleurs, dans cette situation, ironiquement, le membre qui faisait le harcèlement a été promu au poste de surintendant principal, et par la suite, promu au rang d'assistant-commissaire, et c'est ce même membre qui maintenant va réviser le grief du membre. C'est simplement pour vous dire que rien n'a changé.

Je serai disponible pour répondre à vos questions si vous en avez. Je vais maintenant céder la parole à mes confrères.

[Traduction]

John White, président, Association de la police montée de l'Ontario : Monsieur le président, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l'occasion qui m'est offerte de témoigner devant votre comité et des efforts que vous déployez pour aider à améliorer l'efficacité du service national de police du Canada.

Le harcèlement, sous toutes ses formes, devrait être une grande source de préoccupation pour tous les Canadiens, surtout lorsqu'il se produit dans des institutions publiques. Sachez que de nombreuses personnes, qui ont le privilège de servir ce pays dans le cadre de la GRC, veulent faire leur part pour s'attaquer au problème. De toute évidence, on ne peut pas éradiquer complètement le harcèlement en milieu de travail. Voilà pourquoi il est essentiel d'établir des mesures préventives efficaces, tout en réagissant rapidement et résolument lorsque des incidents se produisent.

Quand les gens travaillent en collaboration, il se crée parfois une synergie qui, appliquée adéquatement, permet aux organisations de relever pratiquement tous les défis. Toutefois, le harcèlement en milieu de travail, s'il est toléré, finit par dépouiller les groupes de leur vigueur et les priver de compétences et d'aptitudes précieuses qui sont nécessaires pour remplir la mission. C'est comme une maladie : si on ne fait rien, ce problème finira par éroder la confiance et détruire la productivité.

Les victimes de harcèlement subissent le contrecoup d'un grave manque de leadership — l'abus de pouvoir. Les victimes sont durement touchées, et certaines d'entre elles ne sont plus capables de fonctionner normalement, tant au travail qu'à domicile. Il y a des coûts au harcèlement — des effets sur la santé physique et psychologique. Le respect d'autrui est essentiel pour améliorer la culture de la GRC. Ainsi, on pourrait commencer par permettre aux membres d'exercer le droit à la liberté d'association dont ils sont privés à l'heure actuelle, mais dont jouissent tous les autres services de police. Malheureusement, notre incapacité d'éliminer adéquatement le harcèlement produit une culture où prime l'instinct de conservation, c'est-à-dire une culture dans laquelle la plupart des gens choisissent de fermer les yeux sur le problème. Face à l'intimidation, l'intérêt personnel l'emporte. Comme on évite de s'en mêler, le comportement inapproprié finit par devenir la norme. Lorsqu'on tolère le problème et qu'on fait comme s'il n'existait pas, cela fausse la mesure exacte du harcèlement au sein de la GRC. Le comportement inapproprié, perçu comme étant normal, finit également par être renforcé chez les dirigeants de demain.

La GRC est aux prises avec un grave problème de charge de travail. En fait, le harcèlement est symptomatique des pénuries de ressources humaines et des questions connexes. Tant que les questions de ressources humaines ne passeront pas avant d'autres enjeux, nous ne réglerons pas de sitôt nos autres problèmes. Lorsque le comportement inapproprié n'est pas signalé, il est très facile de fermer les yeux sur la question. Il devient également plus facile de s'attaquer à ceux qui déposent des plaintes officielles.

On vous a déjà parlé des conséquences graves pour les victimes. Bon nombre d'entre elles cherchent à obtenir des redressements coûteux au moyen de litiges externes. Les membres trouvent difficile de garder foi et de se sentir en confiance lorsqu'ils observent la publicité négative dans les médias. Dans un environnement qui sème la division, comment les décideurs de demain seront-ils bien formés pour être en mesure d'imposer aisément la discipline lorsqu'il y a sans doute peu d'obligation de rendre compte de ce problème?

Par ailleurs, nous devons nous méfier des conclusions subjectives au sujet du harcèlement. Étiqueter les victimes est extrêmement dangereux et injuste. On n'a pas le droit de dénigrer les victimes en les qualifiant de gens tourmentés, mécontents et insatisfaits sur le plan professionnel. Il s'agit là d'un comportement de complicité qui discrédite toutes les victimes et qui détourne l'attention du vrai problème. Les harceleurs et les facilitateurs essaient de justifier leurs actes en protégeant l'organisation.

Nous devons encourager les membres à dénoncer le harcèlement en leur montrant qu'ils ne subiront pas de représailles. Le changement culturel ne sera possible que si nous cessons réellement de tolérer le harcèlement, au sein de notre organisation et ailleurs. Nous devons nous fier à notre sens moral pour combattre le harcèlement. Une éthique et des valeurs appropriées prônées par des dirigeants qui comprennent réellement les dangers d'un échec de leadership — voilà le message qu'il faut communiquer et faire accepter par tout le monde, à tous les niveaux de la hiérarchie. Merci.

Rae Banwarie, président, Association professionnelle de la police montée du Canada : J'aimerais remercier le président et les membres du comité de m'avoir invité ici et de me donner l'occasion de prendre la parole devant vous. En ma qualité de président national de l'Association professionnelle de la police montée du Canada, je suis ici pour vous présenter, en toute vérité et sans complaisance, ce qui nous est rapporté et ce qui se passe sur le terrain, à l'échelle nationale. Je vais vous faire part de ce que les membres m'ont dit au sujet de leurs récentes expériences dans la GRC par rapport à la question importante du harcèlement depuis que le projet de loi C-42 a été adopté.

Même si le projet de loi C-42 est devenu loi l'année dernière, nous n'avons pas encore commencé à en sentir les effets réels, car nous attendons l'élaboration des règlements et les consignes du commissaire. Néanmoins, les membres sont conscients des changements imminents et ils s'en inquiètent, ce qu'on peut comprendre. Le comité a pris connaissance des lacunes fondamentales dans le projet de loi C-42. Cette mesure législative enchâsse le déséquilibre du pouvoir et confère au commissaire et aux cadres supérieurs un pouvoir discrétionnaire sans précédent pour ce qui est de discipliner et de congédier les membres. Les nouveaux processus ne prévoient toujours pas l'arbitrage par un tiers indépendant; c'est le commissaire qui a le dernier mot. Les membres peuvent être contraints à faire des déclarations et à produire des documents, sans jouir d'une protection suffisante. Ils peuvent être congédiés sans difficulté, sachant qu'ils ont droit à des garanties procédurales minimales. On peut donc comprendre pourquoi les membres craignent la façon dont ces pouvoirs seront appliqués.

Les membres sont également déçus de voir que le nouveau code de déontologie contient toujours une disposition interdisant la critique, qui se trouvait dans le code de déontologie précédent. Cette disposition empêche les membres de critiquer le fonctionnement ou l'administration de la GRC, à moins qu'ils n'y soient autorisés par la loi; on muselle ainsi la dissidence et on fait porter au membre la responsabilité de déterminer dans quelles circonstances sa liberté d'expression pourrait être d'une importance primordiale. Le juge Iacobucci avait d'ailleurs soulevé une préoccupation à l'égard de cette disposition dans la décision Delisle de la Cour suprême, rendue en 1999. Pourtant, cette disposition est toujours là.

Où en sommes-nous depuis un an? Les membres se sont fait dire que le problème du harcèlement sera réglé. Ils se sont fait dire que le problème sera pris au sérieux, mais quelle est leur expérience réelle? Nos membres ont vu leur commissaire témoigner devant le comité et nommer trois membres qui avaient dénoncé la GRC en raison de plaintes de harcèlement. Nos membres ont vu le commissaire ridiculiser et dénigrer leurs collègues, en s'engageant dans une campagne d'intimidation très publique. Le message? Dénoncer le harcèlement ne sera pas toléré.

Nos membres ont vu leur commissaire rabaisser ceux qui souffrent du trouble de stress post-traumatique, en faisant un geste désobligeant avec la main, lequel a été enregistré dans le cadre d'une réunion, tenue en Alberta. Le commissaire a présenté des excuses après la mise en circulation de l'enregistrement audio, ce qui a suscité un tollé.

Nos membres ont constaté que les problèmes de harcèlement continuaient de se produire, sans qu'on les règle adéquatement. Je songe, par exemple, au cas d'un sergent d'état-major qui a dû se battre pour obtenir l'appui de l'organisation afin de pouvoir retourner au travail après avoir subi une intervention chirurgicale à la suite d'une altercation survenue au cours d'une arrestation. Son nom figure dans les transcriptions.

Ce sergent d'état-major a présenté sa plainte à la chaîne de commandement, à la haute direction, laquelle n'a pas honoré son obligation à son égard. Cette personne s'est sentie rejetée et elle s'est fait dire que l'organisation n'engagerait aucun dialogue avec elle si elle voulait que son représentant de l'association prenne part au processus. Cette information se trouve à la pièce A, qui comprend cinq pages de courriels entre elle et le commissaire Paulson.

Par ailleurs, nos membres ont vu la direction de la GRC, aux plus hauts échelons, faire un choix favorisant la réputation de la GRC au détriment de la santé et du bien-être des membres. Le comité sait sans doute déjà qu'en août 2012, M. Webster, un psychologue en Colombie-Britannique qui offrait des services de consultation psychologique à de nombreux membres, a été retiré de la liste de médecins approuvés par la GRC. Je vous ai remis des documents aux termes de la Loi sur l'accès à l'information pour montrer que cette décision a été approuvée et sanctionnée par le commissaire et qu'elle tenait, en grande partie, au fait que M. Webster avait exprimé des réserves au sujet du milieu de travail de la GRC.

En effet, la décision de radier M. Webster était accompagnée d'une plainte faite au Collège des psychologues de la Colombie-Britannique, qui comprenait des coupures de presse. Le collège a fini par rejeter la plainte de la GRC, l'ayant jugée non fondée. À l'appui de sa plainte, la GRC a fourni au collège des dossiers médicaux privés, et ce, à l'insu des membres concernés ou sans leur consentement. Cette question fait l'objet d'une enquête en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui est presque terminée, et une décision sera prise très prochainement.

Le commissaire Paulson a approuvé la radiation de M. Webster. Il a ensuite comparu devant un comité parlementaire et a déclaré que les membres de la GRC peuvent se faire soigner par le fournisseur de soins de santé de leur choix. Alors, la question que doit se poser le comité est la suivante : le commissaire Paulson maintient-il sa décision concernant M. Webster ou plutôt son témoignage devant le comité, car les deux sont diamétralement opposés. La pièce B-1 contient des courriels qui montrent qu'il était au courant du processus et qu'il l'a approuvé. Je vous ai également fourni, à la pièce B-2, une copie de la décision du collège.

Enfin, nos membres ont vu certains de leurs collègues s'enlever la vie. Je connais personnellement deux cas en Colombie-Britannique, mais il y en a d'autres au Canada. Il s'agit de suicides, qui font actuellement l'objet d'une enquête en Colombie-Britannique; un coroner spécial a été nommé, et on attend le rapport.

Dans un des cas, le membre que j'étais en train d'aider avait attendu presque deux ans pour obtenir un règlement de sa plainte de harcèlement, c'est-à-dire pour recevoir des excuses écrites et se faire rembourser les frais juridiques par la GRC. Ces questions le tracassaient au plus haut point. Je le sais, parce que j'essayais de l'aider dans les dernières étapes du dossier. Je m'étais entretenu avec lui, la veille de son suicide. Son décès est, pour moi, un rappel puissant et douloureux qui montre comment ces problèmes en milieu de travail peuvent se répercuter sur nos membres.

Il y a encore beaucoup de travail à faire dans la GRC sur le plan du harcèlement et des ressources humaines en général, comme en témoigne le rapport de Mme Duxbury, qui se trouve à la pièce C. Je vous ai remis une copie du sommaire.

Les nouveaux processus instaurés dans la foulée du projet de loi C-42 ne sont pas la panacée qu'on voudrait nous faire croire; au contraire, ils rendront les membres plus vulnérables que jamais aux décisions de la haute direction. Après des années de promesses rompues, les membres se font dire, une fois de plus, de faire confiance au leadership de la GRC. Ce n'est pas ce dont les membres ont besoin. Ce qu'il leur faut, c'est une véritable responsabilisation, assortie d'un leadership fort et juste en qui ils peuvent avoir confiance à long terme. L'Association professionnelle de la police montée de l'Ontario a apporté des améliorations considérables dans le dossier de chaque membre que mes collègues ou moi-même avons eu à traiter. C'est ce que nos membres méritent : une association de police indépendante et professionnelle, reconnue par la haute direction et résolue à travailler en partenariat dans le milieu de travail et à négocier sur des questions dans le but de protéger les intérêts des membres.

Je remercie le comité de m'avoir donné l'occasion de parler de ces questions fort importantes. Avant de terminer, j'aimerais faire une dernière observation. La paye, la pension et les avantages sociaux dont jouissent les membres de la GRC sont directement liés à ceux négociés par les services de police municipaux et provinciaux dans le cadre de négociations collectives. Ces conventions collectives renferment des dispositions sur le traitement des griefs et des différends, qui doivent être réglés dans un délai prescrit. Comment se fait-il alors que les membres de la GRC soient privés de ces mêmes processus qui touchent directement leur paye, leurs avantages sociaux et leur pension, sachant qu'on leur a pourtant confié la responsabilité de défendre la primauté du droit et d'assurer la protection de l'ensemble du pays?

Les 50 dernières années dans le domaine des services de police ont montré que les associations de police contribuent à la qualité et au professionnalisme des services de police, tout en appuyant leurs membres. Il est vrai que, dans le cadre d'un tel système, le commissaire ne serait plus en mesure d'agir de façon unilatérale, sans tenir compte des souhaits des membres, mais avons-nous vraiment tort de demander à notre commissaire de diriger, au lieu de seulement commander? C'est ce qui constitue, selon moi, la pierre angulaire d'une force de police efficace et moderne. À cet égard, je serais ravi de donner toute l'aide dont le comité pourrait avoir besoin.

Le président : Merci beaucoup de vos exposés.

J'aimerais poser une question à M. Townsend, après quoi je cèderai la parole au sénateur Dallaire.

Votre organisation a-t-elle tenu compte de notre recommandation d'établir un ombudsman, et avez-vous pris position à ce sujet?

M. Townsend : Oui, nous en avons tenu compte, et cela nous ramène au rapport Brown. Notre position est demeurée conforme aux conclusions de cet examen externe, à savoir que la création d'un organisme auquel nos membres pourraient s'adresser est une mesure positive. Dans le cas d'un ombudsman, cela dépendrait de la loi et du cadre en vigueur, de sorte que le titulaire du poste soit réellement en mesure d'influer sur la prise de décision. Si on se contente de créer une autre structure qui ne fournirait pas de résultats aux Canadiens et aux membres, à quoi bon? Comme tout le reste, ce sont les détails qui importeront, notamment les pouvoirs qui seront accordés à l'ombudsman.

Le sénateur Dallaire : Commençons par quelques statistiques.

[Français]

Monsieur Delisle, combien avez-vous de membres au Québec?

M. Delisle : Des membres qui travaillent pour la GRC?

Le sénateur Dallaire : Oui?

M. Delisle : Environ 1 000 membres.

[Traduction]

Le sénateur Dallaire : Monsieur White, combien avez-vous de membres en Ontario?

M. White : Au total, environ 1 200 employés. Ce ne sont pas tous des membres réguliers.

Le sénateur Dallaire : J'aimerais bien que vous cessiez d'utiliser le terme « employés ».

M. White : Des membres. Je précise toutefois, monsieur le sénateur, qu'ils ne sont pas tous des membres réguliers. Il y a environ 1 150 employés civils, fonctionnaires et tout le reste.

Le sénateur Dallaire : Je songe au projet de code de déontologie, qui est en cours, et je m'appuie toujours sur le contexte militaire, alors que dans votre cas, vous utilisez la structure paramilitaire, et cetera. Dans l'armée, nous suivons les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, qui sont interprétés par des avocats devant des cours martiales et, il y a quelques décennies seulement, nous pouvions même imposer la peine capitale. À cela s'ajoutent, entre autres, des directives administratives, qui sont approuvées sous l'autorité du chef d'état-major de la Défense, pour mettre en œuvre des règles et des règlements.

Dans ce processus, je ne sais trop où se trouvent les instructions permanentes d'opération du commissaire, ou son interprétation du code de conduite. Qu'attendez-vous du code de conduite? À mon avis, cela devrait être un point de référence à la fois délibéré et clair pour l'administration et la discipline de la force.

M. Delisle : Vous parlez uniquement de la discipline?

Le sénateur Dallaire : Je parle de l'administration et de la discipline, car le harcèlement est un problème de discipline, un problème d'attitude, un problème de culture et un problème de leadership. Je ne sais pas comment vos mécanismes sont mis en oeuvre.

M. Delisle : J'ai donné à la greffière, dans les deux langues officielles, une copie d'une décision qui a été...

[Français]

Le sénateur Dallaire : Je ne l'ai pas lu; nous l'avons reçu il y a cinq minutes.

M. Delisle : Je comprends. C'est un jugement qui a été rendu sur une cause de harcèlement en milieu de travail. Cela touche M. Alain Lebrasseur, que M. White connaît très bien.

Je vais vous lire un extrait qui montre comment la GRC peut réagir. La question est tellement pointue, tellement large que c'est le commissaire qui interprète ce qui est bon ou pas.

On lit ceci, au paragraphe 4 : « Le demandeur a toujours été un policier très respectueux, ayant une carrière fructueuse, même après que sa femme soit devenue victime de harcèlement de la GRC. Son rendement pour l'année 2002 a été évalué positivement. Toutefois, la GRC voulait apparemment qu'il convainque sa femme d'abandonner les procédures judiciaires. Comme il a refusé, il a fait l'objet, à son tour, de harcèlement et d'abus de la part de certains de ses supérieurs. »

Cela, c'est l'honorable juge Tremblay-Lamer qui l'a donné, mais elle renchérit également par la suite. C'est au paragraphe 28 que l'on trouve la décision de Mme la juge. En l'espèce, toutefois, la véracité du témoignage du demandeur est incontestable. En fait, la preuve non contestée démontre que le demandeur a été harcelé par ses supérieurs pendant deux ans pour qu'il fasse retirer les charges par son épouse. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase a été le fait de lui dire qu'ils allaient continuer de le malmener par d'autres moyens sans qu'il puisse en voir la fin.

Comprenez-vous l'étendue de ce qu'est la haute direction de la GRC, sous le commandement du commissaire? C'est quasiment impossible de le décrire.

[Traduction]

Le président : Je demanderais aux témoins de donner des réponses plus courtes, car il ne reste que 30 minutes et nous avons beaucoup de questions.

[Français]

Le sénateur Dallaire : C'est drôlement pertinent.

[Traduction]

Monsieur White, je trouve que la chaîne de commandement aurait de la difficulté à faire ce qu'il vient de décrire. Est-ce quelque chose qui correspond à l'éthos, à la culture des gens qui occupent des postes de commandement, pour qu'ils puissent utiliser ces méthodes pour imposer leur volonté, ou est-ce exceptionnel?

M. White : Sénateur, je ne pense pas que ce soit exceptionnel.

Le sénateur Dallaire : Exceptionnel dans le sens péjoratif du terme, bien sûr.

M. White : Au sens péjoratif. Cela dit, je pense qu'il est important de préciser que tous ceux qui occupent un poste de commandement au sein la GRC entrent dans cette catégorie. Cela dépend beaucoup de la situation.

Pour revenir à votre question — et je pense qu'il en a déjà été question ici —, les procédures courantes, les points administratifs ordinaires comme le refus d'une indemnité de repas se feront de la même façon que par le passé. Le projet de loi C-42 vise à accélérer le traitement de cas où des gens qui ne se présentaient pas au travail, pour diverses raisons, et qui profitaient manifestement du régime. L'organisation a dû faire quelque chose, a cru devoir faire quelque chose pour corriger la situation.

Les statistiques démontrent qu'il ne s'agit peut-être que de 150 personnes sur 20 000. C'est la réalité. Ce n'est pas comme s'il y avait un problème endémique lié aux personnes qui décident de ne pas se présenter au travail demain et de rester chez elles.

Ce qui préoccupe les membres, c'est la question de savoir si, en adoptant un compromis pour essayer de résoudre un problème, nous avons créé un environnement où il n'y aura plus de problèmes. Les actions individuelles peuvent être retardées ou reportées. Il pourrait se passer des choses lorsqu'il y a une impasse; essentiellement, on les laisse traîner en longueur. Que se passera-t-il, alors? Voilà ce qui préoccupe les membres. Il y a une peur véritable.

Le projet de loi C-42 concentre considérablement les pouvoirs à un endroit précis et peu de recours sont possibles. Très peu de mesures sont prises pour la mise en place d'un ombudsman, de façon à protéger les membres contre les abus. Je ne veux pas m'étendre sur le sujet. Ce qui nous préoccupe, c'est ce compromis.

Le sénateur White : Merci à tous d'être ici. C'est formidable de voir des gens qui défendent des intérêts semblables et qui veulent tout de même de trouver des solutions différentes.

Ma question s'adresse au sergent d'état-major Townsend. Nous avons entendu divers commentaires sur le harcèlement. Vous participez au programme des représentants de division depuis un certain temps. Je crois savoir que vous êtes au CCN depuis plusieurs années aussi. Que pensez-vous des 12 derniers mois et de la voie à suivre pour la lutte contre le harcèlement en milieu de travail, en particulier par rapport aux personnes que vous représentez?

M. Townsend : Ces 12 derniers mois, on observe chez les membres une plus grande prise de conscience. Je parle de l'ensemble des membres, des recrues aux anciens. En fait, c'est peut-être l'un des facteurs importants qui ont réellement mené à une baisse du nombre d'incidents de harcèlement.

Cela dit, nous avons tout fait pour attirer l'attention des membres sur cet enjeu. Le programme des milieux de travail respectueux et une vaste consultation sur l'élaboration d'un code de conduite ont permis d'attirer l'attention sur le problème, qui devient alors l'affaire de tous et non des autres.

Je crains qu'il y ait une amélioration, puis que l'on passe au point suivant et que l'on porte attention à cet enjeu en pensant que le problème est réglé quand, comme je l'ai dit dans mon exposé, c'est là quelque chose qui doit être appuyé par la politique, par les consignes du commissaire, par le financement et le dialogue continu, de façon à ce que l'organisation demeure sensibilisée au problème.

Peu importe l'échelon, il est inapproprié de se livrer au harcèlement, que cela ait lieu à l'échelon supérieur ou entre les pairs. Isoler une personne, utiliser un langage diffamatoire à son égard et nuire à son potentiel de développement constituent des comportements inacceptables.

Allons-nous dans la bonne direction? Selon les statistiques, qui ne traitent que de l'année écoulée depuis la publication de votre rapport, et selon ce que m'ont indiqué les RRF qui sont sur le terrain, nous allons dans la bonne direction. Avons-nous réglé le problème? J'espère que nous irons toujours dans la bonne direction et que nous ne régresserons pas.

Le sénateur White : J'ai une question complémentaire à cet égard. Je crois fermement que les contrôles mènent à l'action. Si nous regardons la situation, si nous allons dans la bonne direction, pensez-vous que les mesures de contrôle de la GRC seront suffisantes pour les trois, cinq, sept ou dix prochaines années? La GRC existe depuis près de 100 ans; espérons qu'elle perdurera encore 100 ans, voire plus. Avons-nous actuellement assez de mesures pour nous assurer de ne pas soulever les plaintes et l'indignation du public? Pouvons-nous dire que la situation actuelle est bonne et que ces 27 000 ou 28 000 personnes maintiendront le cap, ou pensez-vous que nous devons en faire plus? Quelles sont vos recommandations?

M. Townsend : Nous sommes encouragés par les recommandations qui ont été adoptées, les recommandations formulées par ce comité et le fait que la comptabilité ait été centralisée pour éviter que les problèmes ne relèvent de 12 personnes. Ainsi, on se retrouve avec un guichet unique où sont conservés tous les dossiers, ce qui est semblable aux rapports ministériels sur la conduite, qui ont été exigés il y a cinq ou six ans et qui, dans les faits, ont donné au ministre et, par extension, à ceux qui ont été informés, un portrait plus précis de la situation réelle. Ce n'est pas caché dans une division, dans l'une ou l'autre des 12 ou 13 divisions distinctes. Je suis d'accord pour dire qu'il fallait des mesures de contrôle. Pour éviter toute régression, il faut une attention constante et un effort soutenu.

Le sénateur White : Comme vous le savez, mon expérience au sein de la police inclut aussi sept ans au sein de services policiers municipaux, où je devais faire rapport ou rendre des comptes à une Commission des services policiers. Autrement dit, la commission aurait pu me congédier; et ses membres l'ont peut-être souhaité à plusieurs reprises.

La question s'adresse à tous. Considérez-vous que la GRC ait une occasion positive d'avoir un conseil de gestion quasi indépendant qui exercerait une surveillance et traiterait des questions liées à l'orientation stratégique et au harcèlement, qui veillerait à la mise en place de ces politiques tout en écartant la politique qui entre souvent en jeu quand il s'agit de la GRC, tout en ayant des responsabilités et l'obligation de rendre des comptes au ministre?

M. Townsend : Comme nous le préconisons dans le cadre du groupe de travail Brown, nous sommes favorables à un conseil de gestion à condition qu'il soit conçu de façon à favoriser le progrès de l'organisation et non à promouvoir un intérêt particulier ou un conseil partisan.

Le sénateur White : J'aimerais avoir une réponse de l'un des témoins de l'Association canadienne de la police montée professionnelle, s'il vous plaît.

M. Delisle : Si j'ai bien compris votre question, vous proposeriez de modifier le projet de loi C-42?

Le sénateur White : Non. Je veux savoir si un conseil de gestion, un conseil de police, serait plus efficace.

M. Delisle : Nous vous avons demandé de modifier le projet de loi C-42 il y a un an. Rien n'a été fait.

Le sénateur White : Je comprends. Je vais demander à quelqu'un d'autre de répondre à cette question.

M. White : Je crois que ce que veulent les membres de la GRC, les membres ordinaires, c'est savoir que le processus est équitable, transparent et rapide, et qu'on le leur prouve. Ils parlent entre eux et observent les choses. Que les choses se passent correctement ou non, ils le savent. Je crois fermement qu'un ombudsman indépendant ou un conseil de gestion seraient les bienvenus — et nécessaires — pourvu que l'on ne les considère pas comme un mécanisme qui aide l'organisation à passer au prochain problème ou à étouffer une situation. Je dirais aux partisans du projet de loi C-42 que je les respecte.

Cependant, je pense qu'il ne suffit pas d'adopter une loi. Nous avons affaire à des êtres humains. Une mesure législative doit avoir du caractère et doit inspirer les policiers du pays. Si on le fait — peu importe son fonctionnement ou sa forme —, si les gens ont le sentiment d'être représentés et croient que les choses sont équitables, nous aurons réussi et vous aurez modifié la culture au sein du service national de police du Canada.

Le sénateur Mitchell : Ma question s'adresse au sergent d'état-major Townsend. Ce qui vous préoccupe par rapport à l'ombudsman, c'est que vous ne voudriez pas d'un ombudsman qui ne livre pas la marchandise. Cependant, après des années de harcèlement, de cas comme celui d'une subalterne qui a été congédiée pour avoir eu une relation avec son supérieur hiérarchique — un homme —, qui n'a pas été congédié, de cas comme celui d'un homme qui a révélé son orientation, a été muté en Colombie-Britannique et a perdu 10 jours de salaire... Ce sont des décennies de harcèlement. C'est arrivé sous votre direction, pendant le mandat des RRF. Se pourrait-il que votre structure ne fonctionne tout simplement pas correctement, étant donné ce conflit d'intérêts inhérent, pourrait-on dire — vous faites partie de la structure de gestion —, qui vous a empêché de faire valoir votre préoccupation par rapport à un ombudsman? N'est-il pas temps de céder la place au genre d'organisation que représente M. Banwarie, l'ACPMP, qui dispose d'un modèle utilisé par tous les corps policiers importants du pays, auquel font référence les décisions de la GRC concernant la rémunération? Étant donné que le vôtre n'a pas donné les résultats souhaités, ne serait-il pas temps que nous pensions à un autre genre d'organisation?

M. Townsend : Je vous remercie de la possibilité de répondre. Je suis certain que vous avez lu, comme moi, le rapport de la CPP en matière de harcèlement qui s'est penché sur notre organisation, mais aussi sur d'autres organisations policières au Canada, à savoir celles qui ont une structure représentationnelle que vous qualifiez de meilleure. Statistiquement, ces organisations sont semblables à la nôtre. Cela ne signifie pas que nous sommes parfaits, et c'est pourquoi nous cherchons à corriger la situation.

Je ne pense pas que l'on puisse dire que le genre de représentation déterminera si l'organisme sera ou non exempt de harcèlement. Nous nous efforçons tous d'avoir un milieu de travail exempt de harcèlement.

En ce qui concerne votre commentaire selon lequel je fais partie de la structure de gestion, ce n'est pas le cas, en fait. Je suis responsable de la conception du Programme des RRF et du Caucus des RRF, qui sont élus par les membres. Le commissaire n'a pas le pouvoir de me destituer, mais le Caucus des RRF, oui. Je suis responsable des membres, pas de la gestion de la GRC.

Vais-je continuer? Allons-nous continuer à représenter les gens le mieux possible, dans cette structure? Oui, nous le ferons. Vous savez aussi bien que moi que la Cour suprême du Canada est saisie de la question et nous avons hâte de connaître sa décision. Nous ferons valoir que notre force de police nationale est un élément distinct de la fonction publique du Canada. En tant que force de police nationale, nous servons le public, mais nous sommes une entité distincte de la fonction publique, une organisation que je qualifierais d'unique.

Le sénateur Mitchell : Je partage le scepticisme à l'égard du projet de loi C-42, soit l'idée qui permet au commissaire de dire que cela lui donnera la possibilité de se débarrasser des pommes pourries. On peut se demander qui il considère comme des indésirables : les harceleurs ou les victimes? Et il y a beaucoup plus. J'aurais été porté à croire qu'une organisation qui réclamait un ombudsman, un organisme de surveillance publique et un syndicat souhaiterait ardemment régler ce problème. Or, ce n'est pas le cas.

En fait, monsieur Townsend, avec tout le respect que je vous dois, par rapport à ces deux questions — l'ombudsman et l'organisme de surveillance publique —, vous avez atténué les choses, en quelque sorte, du moins sous réserve des résultats. Je ne vois pas un engagement très fort au sein de cette organisation, et je ne veux pas vous pointer du doigt...

Le président : Pourriez-vous poser votre question?

Le sénateur Mitchell : Ma question est la suivante : a-t-on actuellement des preuves que le projet de loi C-42 a effectivement encouragé l'organisation et qu'elle a commencé à congédier des personnes blessées? A-t-on des indications qui démontrent que l'on congédie les harceleurs?

M. Townsend : Vous voulez que je réponde?

M. Banwarie : Je vous remercie de la question, sénateur. Je peux vous parler de quelques-uns des cas dont j'ai pris connaissance, qui concernent des membres qui ont été blessés et qui ont été en arrêt de travail pendant une longue période. Dans ces cas, la blessure est survenue à la suite de harcèlement et d'intimidation au sein de l'organisation. Ils sont au courant des pouvoirs qu'auront le commissaire et ses délégués, et ils quittent leurs fonctions. Ils ne veulent pas être victimes à nouveau si leur plainte est rejetée et qu'ils sont congédiés après l'entrée en vigueur de ces règlements.

Actuellement, beaucoup de personnes quittent l'organisation. Lorsqu'ils sont partis, cela n'a plus d'importance. Dans un tel cas, il importe peu de connaître leur situation ou la nature de leurs blessures, de savoir s'il s'agit d'un traumatisme lié au stress au travail, par exemple. Ces gens ne sont plus membres de la force. Voilà ce qui va se passer, à mon avis. Même pour quelque chose d'aussi important que cette mesure législative, on n'a pas informé les membres des changements et du fonctionnement des processus.

J'aurais pensé que pour toute chose aussi importante, les membres auraient été informés des répercussions à chaque étape du processus et non après coup, quand tout a été fait, réglé et terminé, et qu'on leur a dit : « Voilà. C'est ainsi que cela va fonctionner. » Ce n'est pas juste envers les membres. Comment peut-on faire confiance à une organisation qui continue à agir de la sorte? C'est impossible.

[Français]

Le sénateur Segal : J'ai un problème; j'entends deux histoires différentes et on décrit deux organisations tout à fait différentes. Certains décrivent une grande organisation de la police nationale en train de se réformer, et pour laquelle on a fait des changements dont on est en train de voir des améliorations, quant aux processus, pour protéger des droits. D'un autre côté, d'autres décrivent une organisation presque criminelle en ce qui a trait au traitement des membres des forces.

[Traduction]

Pour quelqu'un qui n'a aucune expérience policière — et je respecte profondément les hommes et les femmes en uniforme qui s'efforcent d'accomplir un travail difficile —, c'est foncièrement troublant. J'aimerais que vous nous aidiez à comprendre pourquoi des gens qui ont une vaste expérience dans la GRC et qui représentent ses membres ont deux points de vue totalement différents sur la situation actuelle — et je présume que vous témoignez tous en toute bonne foi et que vous exprimez le mieux possible votre point de vue sur la situation — et pourquoi il existe un écart aussi important dans vos propos cet après-midi.

[Français]

M. Delisle : Honorable sénateur, je ne sais pas si vous avez pris le temps de prendre connaissance des nouveaux règlements de la Loi sur la GRC. Vous y verrez que toutes les mesures de protection des membres ont été retirées des règlements. Cela a été mis de côté. L'intention y est donc déjà; la personne qui appliquera ces règlements aura déjà le pouvoir inconditionnel au sujet de tout.

Deuxièmement, il existe un système à l'interne; demandez à M. Townsend — je n'ai rien contre lui personnellement et on se connaît depuis des années; j'ai été représentant divisionnaire durant 33 ans — s'il pense qu'il ne fait pas partie de la gestion. Son bureau est à Ottawa et on a payé son déménagement à Toronto. Demandez-lui si c'est lui qui l'a demandé à la gestion ou s'il avait le droit de le faire.

Je dis cela pour vous démontrer de quelle façon sont traités les gens dans le système. C'est sûr qu'il ne fait pas partie de la gestion; parce qu'il est représentant divisionnaire, il ne se rapporte pas au commissaire, mais au représentant divisionnaire. Toutefois, vous savez très bien que, si vous voulez garder les bénéfices, vous devez, indirectement, donner un service à l'employeur.

Ma conclusion — et les gens se rendent aussi à la même évidence — est que les représentants divisionnaires, qu'on le veuille ou non, sont pris dans le système. C'est le commandant qui est responsable du représentant divisionnaire. C'est le commandant qui approuve ses allocations de dépenses; ce n'est personne d'autre. Quelqu'un doit signer quelque part. Donc en faisant cela, vous pouvez tout de suite en déduire que le système est interne à ce sujet.

[Traduction]

Le président : Monsieur Townsend, vous avez indiqué vouloir répondre.

M. Townsend : Oui, j'aimerais répondre en particulier à un commentaire de mon ami de longue date. Pour que les choses soient bien claires, sachez qu'aucun denier public n'a été dépensé pour mon déménagement à Toronto, absolument aucun.

Pour ce qui est de l'indépendance de notre programme, je peux vous dire que d'après mon expérience et celle de bon nombre de mes collègues, en tant que représentant, on ne m'a jamais dit ce que je pouvais ou ne pouvais pas dire aux membres que je représente. On ne s'est jamais penché sur les détails des dépenses liées à mes déplacements pour représenter les membres, et aucun commandant divisionnaire pour lequel j'ai travaillé ne m'a jamais demandé de quel dossier je m'occupais au nom des membres.

Ils respectaient les dispositions de confidentialité prévues dans la Loi sur la GRC. Il a peut-être vécu autre chose, mais moi, c'est ce que j'ai vécu.

Pour revenir à la question du sénateur, soit la raison pour laquelle nous voyons les choses différemment, je peux vous dire qu'au cours de la dernière année, dans la Division O, par exemple, en Ontario, 600 membres et employés ont reçu un certain niveau de sensibilisation à la gestion informelle des conflits. Ce sont 600 employés sur 1 200. Est-ce que je considère cela comme un aspect négatif? Pas nécessairement. Nous progressons.

Je vais laisser mon collègue le surintendant Anthony conclure.

Surintendant Doug Anthony, exécutif national, Programme des représentants des relations fonctionnelles à la GRC : Je suis membre de la GRC depuis 33 ans et j'ai passé les 14 dernières années au quartier général. On finit par avoir une bonne idée de ce qui se passe dans la GRC et de l'évolution des choses. Bien que ces messieurs puissent assurément vous parler de cas précis, dans l'ensemble, je suis satisfait de la direction que nous prenons. Avons-nous atteint notre objectif? Non, pas encore.

Selon les statistiques, entre le 1er mai 2013 et 2014, il y a eu 134 plaintes de harcèlement, alors que l'année précédente, il y en avait eu 240. Il y a une baisse. Le nombre de plaintes de harcèlement qui font l'objet d'une enquête augmente beaucoup.

L'initiative pour un milieu de travail respectueux a été mise en place le 31 janvier dernier. Au 31 mars, 19 073 membres de la GRC, ou 61,85 p. 100, avaient suivi cette formation. J'ai vu les professionnels de la gestion informelle des conflits travailler, car en tant que représentant des relations fonctionnelles, j'avais 3 400 employés. J'étais confronté tous les jours à des problèmes de harcèlement, et l'arrivée de ces professionnels de la gestion informelle des conflits a été salutaire. Les gens peuvent discuter de leur problème, et ainsi éviter que la situation ne se transforme en cas de harcèlement.

Je vois où nous nous dirigeons. La situation est-elle parfaite? Absolument pas. Je suis un peu d'accord avec Gaëtan Delisle. Nous n'avons pas de mesures de protection dans tous les domaines, peut-être, mais allons-nous dans la bonne direction? Je le crois. Je sais que la direction prend cette question au sérieux. Je sais que les membres prennent cette question au sérieux. La formation qu'ils reçoivent est utile dans ce sens, et de mon point de vue, d'un point de vue plus large, nous allons dans la bonne direction.

Le sénateur Segal : Je n'ai pas d'autres questions. Je ne sais pas si d'autres témoins veulent prendre la parole. Cela dépend de vous, monsieur le président.

Le président : Chers collègues, nous allons donner la parole au prochain intervenant, si possible, car le temps file.

Le sénateur McIntyre : Messieurs, je vous remercie de vos exposés. Ma question s'adresse à vous tous, donc n'importe qui d'entre vous peut y répondre. Elle concerne les questions de santé. Certaines préoccupations ont récemment été soulevées dans les médias au sujet du nouveau règlement pris en vertu de la Loi visant à accroître la responsabilité de la Gendarmerie royale du Canada.

Selon certains, la loi permettrait à la GRC de relever plus facilement de leurs fonctions les membres ayant des problèmes de santé. Je suppose que l'expression « problèmes de santé » s'entend non seulement des affections physiques, mais aussi des problèmes de santé mentale. Je songe en particulier à un article publié dans l'Edmonton Journal en avril dernier et intitulé « Ailing Mounties fear new rules that make medical dismissals easier ».

L'un d'entre vous pourrait-il nous en parler?

M. Townsend : J'aimerais vous parler de la modernisation des soins de santé dans le contexte du projet de loi C-42. Nous avons clairement indiqué ici, au Parlement, que nous nous opposons à l'absence d'une disposition relative au renvoi par mesure administrative. Nous continuerons de le préciser clairement au cours du processus de réglementation.

Quand je parle de « renvoi par mesure administrative », cela veut dire un renvoi pour inaptitude relativement à un problème de santé. Nous nous y opposons avec véhémence. Nos membres n'auront pas accès à un processus d'appel lorsqu'ils seront encore membres de la GRC.

Selon les nouvelles règles, ils auront accès au processus d'appel, mais de l'extérieur. Dans notre organisation, quand on est à l'extérieur, on peut lutter longtemps avec acharnement. Même quand on gagne, on ne gagne pas vraiment.

Nous nous opposons donc à cet élément du projet de loi C-42. Nous l'avons toujours fait. En ce qui concerne notre programme de soins de santé, l'organisation a encore l'obligation de prendre des mesures d'adaptation. Nous avons procédé à l'élaboration de politiques à cet égard afin que des décisions ne soient pas prises en l'absence d'un raisonnement clair et d'un second examen objectif. Pour toute décision favorisant un renvoi par mesure administrative, notamment en raison de problèmes de santé, la demande doit être autorisée par un centre des politiques afin d'éviter que des personnes en Alberta ou à Terre-Neuve ne prennent des décisions non éclairées de façon ponctuelle.

Nous avons donc cette assurance, mais dans l'ensemble, nous trouvons très troublante, comme nous l'avons précisé dans le passé et nous continuerons à le faire, l'absence d'une disposition relative à ces décisions administratives afin qu'ils puissent avoir recours au processus d'appel.

Le sénateur McIntyre : Les médias tiennent donc tout simplement des propos alarmistes.

M. Townsend : Je ne les considère pas comme des propos alarmistes, si l'on comprend bien la disposition. Nous déplaçons de jeunes Canadiens d'un bout à l'autre du pays. Leur réseau de soutien peut se trouver dans une autre province. L'accès à un processus d'appel lorsqu'on est toujours membre permet au moins d'exercer tous ses droits en tant que membre.

La santé est probablement la raison la moins contestable par rapport aux autres processus de renvoi par mesure administrative. Au moins, quand on fait l'objet d'un renvoi pour des raisons de santé, on a sans doute droit à une certaine assurance-invalidité. En ce qui a trait à cette disposition, il y a d'autres exigences professionnelles justifiées auxquelles il faut satisfaire, ou on peut faire l'objet d'un renvoi par mesure administrative, qui ne garantissent pas d'obtenir une assurance-invalidité pour subvenir aux besoins de sa famille.

Cela devient donc très compliqué. Notre organisation a toujours l'obligation de prendre des mesures d'adaptation. Contrairement aux militaires, nous n'avons pas l'universalité du service. Ces éléments ne sont pas tout simplement disparus en raison du projet de loi C-42. Ce processus administratif est encore là.

[Français]

M. Delisle : J'ai entendu mes anciens collègues dire qu'ils ont travaillé très fort et qu'ils ont toujours été impliqués dans la formulation des règlements.

J'aimerais attirer votre attention sur le paragraphe 17 des règlements. S'ils avaient travaillé si fort, le paragraphe 17 mentionnerait que les membres ont le droit de déposer un grief devant le Comité externe d'examen pour que celui-ci révise leur cas, alors que ce n'est pas le cas.

Auparavant, lorsque les membres étaient licenciés pour des raisons médicales, ils pouvaient déposer un grief et être entendus devant le Comité externe d'examen. S'ils ont travaillé si fort, j'ai l'impression que ce n'est pas du tout pour les membres.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, il est 16 h 30. Au nom du comité, je tiens à remercier les témoins d'être venus et d'avoir répondu à nos questions.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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