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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 12 - Témoignages du 1er décembre 2014


OTTAWA, le lundi 1er décembre 2014

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 h 3, pour étudier et exposer les menaces pour la sécurité auxquelles fait face le Canada.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Avant d'accueillir nos témoins, je voudrais commencer par présenter les gens à la table. Je m'appelle Dan Lang, sénateur du Yukon. À ma gauche se trouve la greffière du comité, Josée Thérien, et à l'extrême droite du fauteuil, notre analyste de la Bibliothèque du Parlement affectée au comité, Holly Porteous. Je voudrais inviter les sénateurs à se présenter et à nommer la région qu'ils représentent, en commençant par notre vice-président.

Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, Alberta, vice-président du comité.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo, de l'Ontario.

Le sénateur Kenny : Colin Kenny, Ontario.

Le sénateur White : Vernon White, Ontario.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, Ontario.

Le président : Merci. Chers collègues, le 19 juin 2014, le Sénat a accepté d'autoriser le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense à étudier et à exposer les menaces pour la sécurité auxquelles fait face le Canada — y compris le cyberespionnage, les menaces pour les infrastructures essentielles, le recrutement de terroristes et le financement du terrorisme et les opérations et les poursuites liées au terrorisme —, et que le comité présente un compte rendu au Sénat au plus tard le 31 décembre 2015.

Cet après-midi, le comité se réunira pour une période de quatre heures pendant laquelle les membres continueront de se pencher sur les menaces pour le Canada, plus particulièrement sur le terrorisme. Comme on l'a mentionné auparavant, cette conversation nationale que nous tenons est une occasion d'en apprendre davantage au sujet des menaces auxquelles fait face le Canada, de ce qui est fait et de ce qui devrait être fait de plus pour assurer la paix, l'ordre et le bon gouvernement.

À ce jour, nous avons appris que 93 Canadiens sont désignés comme étant des voyageurs à risque élevé; c'est-à-dire qu'ils cherchent à quitter le Canada pour appuyer l'État islamique. Ces personnes sont sous surveillance ou se sont fait saisir leur passeport. De surcroît, 80 Canadiens et personnes ayant une double nationalité sont revenus au Canada après avoir fourni un appui matériel à l'État islamique. Nous savons que 145 Canadiens se trouvent actuellement à l'étranger pour appuyer l'État islamique. En tout, nous savons que 318 Canadiens présentent une menace, et il ne s'agit que de ceux qui sont connus des responsables de l'application de la loi.

Au moins 173 personnes radicalisées considérées comme posant une certaine menace vivent parmi nous et accaparent manifestement de grandes quantités de ressources d'application de la loi, tout en posant une menace pour le Canada et les Canadiens. Au cours des dernières semaines, les médias ont déclaré que les forces de sécurité du Royaume-Uni ne peuvent raisonnablement maintenir une surveillance 24 heures sur 24, sept jours sur sept, que sur 50 personnes à la fois. Puisque nous comptons 173 personnes radicalisées connues parmi nous, on se demande quels choix difficiles les responsables de l'application de la loi doivent faire lorsqu'il s'agit d'établir l'ordre de priorité des dossiers de terrorisme.

Le comité a également appris qu'un soutien financier important quitte le Canada pour financer le terrorisme. Le CANAFE, organisme qui suit le financement du terrorisme et le crime organisé, a déposé son rapport annuel selon lequel le Centre a fait 1 143 divulgations aux organismes d'application de la loi en 2013-2014, une hausse de 919 par rapport à l'année précédente. De ces divulgations, 234 étaient liées au financement du terrorisme ou à des menaces pour la sécurité du Canada. C'est presque le double du nombre de cas signalés l'année précédente.

Afin d'obtenir une perspective locale et régionale sur les menaces pour le Canada, nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui notre premier intervenant, M. Marc Parent, du Service de police de Montréal, le SPVM. M. Parent est le 35e directeur du SPVM et compte 26 années de service dans l'organisation. De 2003 à 2010, il a occupé le poste de directeur adjoint du SPVM, où il gère près de 1 000 employés travaillant dans 10 postes de police de quartier et servant une population de plus d'un demi-million de personnes.

M. Parent est titulaire d'un baccalauréat en administration des affaires et d'une maîtrise en administration publique; il possède également un diplôme de la FBI National Academy de l'Université de la Virginie.

En 2003, il s'est vu confier le poste d'adjoint exécutif au directeur, où il a entre autres été le porte-parole du SPVM auprès du Northeast Regional Homeland Security Directors Consortium des États-Unis en ce qui concerne la lutte contre les activités terroristes, après avoir pris part à la mise sur pied du comité national stratégique antiterroriste.

Monsieur Parent, je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire, et si vous vouliez bien aussi nous présenter vos deux agents.

[Français]

Marc Parent, directeur, Service de police de la Ville de Montréal : Je tiens à vous remercier de m'avoir invité afin de partager avec vous le rôle que joue le Service de police de la Ville de Montréal, ou le SPVM, dans l'échiquier national pour combattre le terrorisme.

D'entrée de jeu, comme l'ont fait mes collègues des autres corps policiers, je vous dirai ce qui suit. Le SPVM reconnaît que la meilleure façon de prévenir le terrorisme est de concentrer ses efforts sur la prévention. Le SPVM croit également que le partenariat et la collaboration sont essentiels.

Avant d'aller plus loin, permettez-moi de vous présenter les personnes qui m'accompagnent. À ma gauche se trouve le directeur adjoint, Bernard Lamothe, responsable du service des enquêtes spécialisées. À ma droite se trouve l'inspecteur François Bleau, de la division du renseignement.

Depuis notre dernière comparution devant un comité sénatorial, en 2010, de nombreux événements se sont déroulés. Nous n'avons qu'à penser au mouvement social qu'a connu le Québec et dont Montréal est devenu rapidement le lieu névralgique du mécontentement populaire. D'ailleurs, certains événements s'associaient à du terrorisme domestique, comme les bombes fumigènes lancées dans le métro aux heures de pointe pendant ces manifestations. D'autres événements rappellent l'importance d'agir contre la radicalisation et la violence. On peut penser, notamment, aux événements survenus à la polytechnique, dont nous soulignerons, le 6 décembre prochain, le 25e anniversaire, et aux événements survenus à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa qui nous ont tous interpellés directement.

Lors de notre comparution, le 15 novembre 2010, le sénateur Joyal avait soulevé avec pertinence le fait que les citoyens ne croient pas que la police leur reconnaît un rôle actif dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Les gens ont une responsabilité dans leur milieu, et c'est plus vrai que jamais.

Quant à la situation à Montréal, nous savons que, présentement, près d'une centaine de Canadiens sont des voyageurs à haut risque. Parmi eux, on compte, bien sûr, des Montréalais. Nos équipes de renseignement et d'enquête qui travaillent depuis plusieurs années à contrer le terrorisme sont donc fortement sollicitées. La menace terroriste est toujours un enjeu prioritaire qui monopolise une multitude de ressources humaines et financières au SPVM.

En deux mois, nous avons ouvert une centaine de dossiers d'enquête en lien avec le terrorisme. Ces dossiers concernent des comportements suspects, des menaces de mort et de la radicalisation. À l'heure actuelle, on évalue à environ 40 p. 100 le nombre de dossiers reliés à des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Cette donnée est importante si l'on considère que les loups solitaires ont une plus grande tendance à souffrir de problèmes de santé mentale et à présenter un degré élevé de vulnérabilité. Ils sont caractérisés par le fait qu'ils agissent individuellement, n'appartiennent à aucun réseau ou groupe terroriste organisé et que leurs modus operandi sont conçus et dirigés par l'individu en l'absence d'ordre ou de hiérarchie extérieure. Pour ce faire, ils utilisent toute forme d'idéologie extrémiste permettant de justifier la violence. Il faut préciser aussi que la majorité des loups solitaires ont un passé criminel, des problèmes de drogue, des difficultés financières et des antécédents de comportements violents.

L'anonymat de l'Internet et des réseaux sociaux est aujourd'hui critique, car elle échappe bien souvent au contrôle des parents, des professeurs et des organisations policières qui manquent de robustesse à cet égard. C'est pourquoi les différentes organisations terroristes s'en servent pour recruter des membres et diffuser de la propagande. Les terroristes ont compris que la police les traque par l'intermédiaire des réseaux sociaux traditionnels. Par conséquent, ils ont développé d'autres plateformes de communication, ce qui rend ainsi nos tâches de plus en plus complexes.

Je dois mentionner que le partage des connaissances et la collaboration que nous avons avec les autres services policiers sont utiles et fructueux, que ce soit avec la GRC ou la Sûreté du Québec, en ce qui concerne le territoire de la SPVM. Dernièrement, nous avons fait des pas de géant en termes de transparence et d'ouverture avec tous nos partenaires, y compris avec le Service canadien du renseignement de sécurité, l'Agence des services frontaliers du Canada, et j'en passe.

Permettez-moi de préciser qu'au Québec, en vertu de la Loi sur la police, le SPVM se classe au niveau 5 sur une échelle de 1 à 6. Ainsi, le volet de la réponse à un événement terroriste qui survient sur notre territoire relève de notre responsabilité. Par l'entremise de la structure de gestion policière contre le terrorisme, créée en 2003, la GRC et la Sûreté du Québec se greffent au commandement en unissant leurs ressources humaines et matérielles, assurant ainsi un partenariat tripartite permettant d'offrir une réponse des plus efficaces. Ce mode de fonctionnement s'applique aussi à tout le territoire québécois; c'est-à-dire que si un événement survient ailleurs dans la province, le SPVM fera quand même partie de la structure d'intervention. Nous sommes également impliqués dans de nombreux comités décisionnels, comme le Comité aviseur antiterrorisme de Montréal, le Comité aviseur en sécurité civile et l'Organisation de sécurité civile de l'agglomération de Montréal.

Dans un tel contexte, vous comprendrez la hauteur du défi auquel nous sommes confrontés et l'importance d'avoir une police de proximité comme celle du SPVM. Afin de remplir sa mission de protéger les personnes et les biens, le SPVM met l'accent sur des relations policiers-citoyens de qualité, basées sur l'intégrité, la confiance et le respect mutuel. La mobilisation locale passe par une police ancrée dans sa communauté. Cette mobilisation communautaire nécessite l'établissement de relations de confiance authentiques et des efforts concertés, soutenus, honnêtes et francs.

Cette mobilisation est aussi basée sur des relations de coopération et des initiatives qui permettent l'établissement de relations avec des communautés en amont pour échanger des renseignements et mieux répondre à leurs besoins. Par exemple, nos responsables de postes de quartier dressent leur plan d'action local conjointement avec les différents partenaires et acteurs de la communauté locale et se font aussi un devoir de rendre compte des résultats à la fin de l'année. Cette proximité permet aux policiers du SPVM de mieux comprendre les préoccupations et les dynamiques de chacun des quartiers. C'est là que réside la force du SPVM.

Un autre exemple de dialogue soutenu sur une longue période est la création de nos comités de vigie. Depuis 2003, ces comités, qui regroupent des membres des différentes communautés de Montréal, se rencontrent et échangent avec nos policiers sur des stratégies à long terme. Ces communautés ne sont pas ciblées pour des raisons de sécurité, mais pour que soient mises à contribution leurs connaissances plus fines et afin de mieux répondre à leurs attentes. Elles nous aident aussi à renforcer nos compétences interculturelles. À cet égard, nous avons élaboré, au SPVM, des capsules de formation sur les différentes communautés culturelles, en collaboration avec ces communautés, afin de permettre de bien renseigner chacun de nos policiers sur les différentes dynamiques et particularités de chacune de ces communautés. J'en ai plusieurs exemplaires que je pourrai vous laisser si vous désirez les consulter. Nous avons aussi élaboré de petits livrets en différentes langues pour nous permettre de mieux communiquer avec chacune des communautés. Chaque policier peut utiliser ces petits livrets de poche dans le cadre de ses interventions.

Notre approche communautaire constitue, face à la radicalisation et à la violence, une réponse tangible, car les services policiers et les citoyens deviennent des co-acteurs de la sécurité. Nos actions deviennent concertées et intégrées.

De plus, nos initiatives de relations communautaires sont vastes et comprennent tous les éléments de la population. Elles ne se concentrent pas uniquement sur une seule communauté ou une idéologie spécifique. À titre d'exemple, nous avons des comités de vigie pour différentes communautés représentatives du territoire : comité de vigie noire, comité de vigie latino, asiatique et arabe. Nous avons aussi des comités de vigie pour les aînés et les jeunes, un comité sur le profilage racial et un comité stratégique issu du milieu institutionnel et universitaire.

Vous comprenez maintenant pourquoi le SPVM consacre tant d'énergie à sa police de proximité. Notre ancrage dans la communauté au moyen de l'approche citoyenne préconisée par nos agents sociocommunautaires et nos agents de première ligne qui sont présents dans les différents centres d'intérêt, comme les écoles, les maisons des jeunes, les lieux de prière, les centres de loisir et de vie communautaire, génère des échanges d'information qui servent autant la communauté et le sentiment de sécurité que la résolution des crimes.

Quelques recommandations. Ce dialogue n'est pas suffisant pour lutter contre le terrorisme. Nous croyons qu'il est important de continuer à examiner ce qui se fait au Canada et ailleurs dans le monde et d'analyser la possibilité d'importer ces solutions ici. Permettez-moi de partager avec vous quelques-unes de ces pistes de solutions que j'ai personnellement sélectionnées ou auxquelles j'ai accordé la priorité : lancer des programmes de prévention qui vont s'appliquer aux collectivités.

Ces programmes doivent donner aux communautés les moyens d'opposer des contre-récits aux propos des extrémistes violents et d'amplifier le message qui les remplace par tous les types de moyens de communication. Les initiatives de mobilisation communautaire et de police communautaire peuvent prendre de nombreuses formes, y compris des communications par l'intermédiaire de la télévision, qu'elle soit communautaire ou locale, des radios communautaires de ces différents groupes, de l'Internet, des journaux locaux, qui ont un taux de pénétration important dans les différentes communautés et, évidemment, tout autre mode de communication avec les différents groupes communautaires. En maximisant les façons dont on s'adresse au public, en ciblant le message et en en diversifiant le contenu, on assure une diffusion plus large du message.

En outre, étant donné que les extrémistes violents utilisent tous ces outils et bien d'autres pour recruter des membres, les initiatives devraient utiliser les mêmes outils pour y faire contrepoids. Dans leurs opérations liées au contreterrorisme, les services traditionnels de répression de la criminalité ont généralement concentré leurs efforts sur les terroristes et leurs partisans actifs. Toutefois, les terroristes accordent une très grande attention à leur public. C'est ainsi qu'ils recrutent. Par conséquent, pour lutter contre la radicalisation qui mène à la violence et au recrutement de la façon la plus efficace, les intervenants devraient collaborer avec les communautés locales pour attirer leur attention sur les contre-récits spécifiques qui sont convaincants au niveau local et qui réfuteront ou démentiront les propos qui prônent la violence comme moyen de réaction à des injustices perçues qui auraient été infligées à une personne, à sa famille ou à sa communauté. L'utilisation de la statistique précise sur l'inopportunité d'utiliser la violence comme un moyen efficace pour parvenir à une fin peut aider à semer le doute et à contrer des propos en faveur du terrorisme.

Il faut aussi appuyer les familles aux prises avec un membre qui se radicalise à la violence. À titre d'exemple, il faut atteindre et mobiliser les jeunes et tirer parti des écoles pour faire passer des messages positifs, car l'âge de la vulnérabilité commence souvent au secondaire. Le personnel du milieu scolaire et d'autres lieux de rencontre pour les jeunes, comme les maisons de jeunes, les centres de loisirs et les parcs peuvent permettre de transmettre des messages positifs aux jeunes à risque ou d'offrir un soutien psychosocial ou d'autres services pour lutter activement contre l'extrémisme violent.

Les initiatives qui consistent à écouter les jeunes, à leur parler des dommages causés par les attentats islamistes extrêmes, à approfondir la compréhension des stratégies de fonctionnement, de recrutement, de sous-culture interne, d'incitation et de passage à la violence dans les groupes extrémistes devront s'inscrire dans nos nouveaux programmes de prévention locale.

Il faut aussi développer et faciliter la formation des intervenants de première ligne qui travaillent auprès des individus ou des personnes à risque. Ainsi, il faut concevoir des actions de formation sur la mobilisation communautaire et la police communautaire pour qu'elles correspondent aux questions et à la dynamique de la communauté locale et qu'elles apprennent à déceler les comportements et les indicateurs potentiels. Il faut aussi assurer la confiance et le respect, qui sont essentiels à la mobilisation communautaire et à la police communautaire, et les intervenants devraient recevoir une bonne formation sur les paramètres des relations communautaires et sur leurs rapports avec les contextes dans lesquels ils travaillent. Par exemple, la police locale pourrait recevoir des manuels de formation sur la police communautaire, ainsi que des guides de poche qui visent à informer les agents de première ligne sur les comportements et les indicateurs potentiels pour qu'ils puissent mieux faire la différence entre les menaces d'extrémisme violent et les normes de comportement.

En outre, les policiers de première ligne devraient recevoir une formation sur les comportements culturels, sociétaux et religieux liés à cette communauté et être capables de faire la différence entre ces comportements et des indicateurs de comportements extrémistes, violents, et criminellement et potentiellement dangereux. Les méthodes et le matériel utilisés pour la formation devraient être continuellement mis à jour et révisés pour correspondre à l'évolution des menaces et aux bonnes pratiques.

Nous devons également examiner la possibilité de déployer des moyens considérables pour traiter le cyberespace, terrain privilégié de la radicalisation à la violence.

Enfin, nous devons continuer à former nos policiers sur le terrorisme et l'endoctrinement à la violence. À cet égard, nous avons formé, depuis quelque temps déjà, des coordonnateurs d'information contre la menace terroriste. Près de 134 policiers ont été formés dans toutes les unités du SPVM à ce jour, notamment dans l'unité métro, à l'aéroport de Montréal et dans différentes unités de première ligne sensibles.

En conclusion, le Service de police de la Ville de Montréal continue de prendre au sérieux la menace de la radicalisation à la violence et a élaboré un plan de réponse sur cinq axes : la prévention, la réponse, l'enquête, le renseignement et les communications. Il faut se souvenir que les approches axées sur le contrôle social, les actions préventives coercitives et une approche autoritaire peuvent être contreproductives dans une stratégie de lutte au terrorisme

Il faut donc définir une stratégie de prévention du terrorisme fondée sur la déradicalisation, mais qui préserve les rapports entre policiers et citoyens, ainsi que l'approche relationnelle de la police avec sa communauté.

Il faut rappeler également comment, dans une logique de lutte au terrorisme, il est difficile pour les agents sur le terrain d'exercer à la fois le travail policier, soit celui d'assurer la sécurité de la population de façon préventive et de demeurer alerte à toute éventualité, tout en adoptant une attitude bienveillante avec l'ensemble des citoyens. Il y a une tension inévitable entre les activités bienveillantes d'une telle stratégie et le rôle coercitif du policier.

Quant aux policiers de la base, leur rôle est fondamental en ce qui concerne l'application de cette stratégie. La modification de leur approche auprès des citoyens dépasse la simple question de modèle de police ou d'éthique organisationnelle; il s'agit d'une étape cruciale et stratégique parmi les nombreux autres éléments mobilisés dans le cadre de la lutte au terrorisme.

Quant aux citoyens et à l'ensemble de la communauté, leur compréhension de la stratégie, de même que leur implication et leur désir de promouvoir un environnement paisible et sécuritaire sont incontournables à sa mise en place et à sa réussite.

Les policiers n'ont qu'une légitimité limitée ainsi que des connaissances et une expérience culturelle de base pour faire circuler un message efficace au sein d'une communauté qui peut s'avérer fermée, voire étanche. Il faut passer par des interlocuteurs crédibles et légitimes et permettre à la population ciblée de s'approprier ledit message, ce qui signifie, sans équivoque, d'intéresser la population et, surtout, la communauté impliquée à la recherche de l'application de ces autres possibilités.

Finalement, il convient de retenir que ni la coercition ni la conciliation ne peuvent à elles seules soutenir une stratégie antiterroriste efficace.

Des analyses récentes montrent que c'est l'emploi adéquat et pondéré de ces deux approches qui est efficace. Ce que nous désirons plus que tout au monde, c'est de travailler conjointement avec vous afin que nous arrivions à contrôler cette menace qui touche plusieurs pays en ce moment. Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

Le président : La greffière distribuera les renseignements que M. Parent a apportés pour le comité. Je voudrais commencer par la série de questions. Merci beaucoup, monsieur Parent.

[Français]

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup, monsieur Parent; votre déclaration était impressionnante. Il est clair que vous et votre organisation comprenez bien les enjeux et les défis de la situation. Je vous remercie de votre contribution et de celle de votre organisation.

[Traduction]

Vous avez dit énormément de choses qui suscitent mon intérêt, mais nous ne disposons que d'un temps limité. Je pense que les gens croient vraiment qu'il s'agit d'un problème national; pourtant, même si la GRC est nationale, elle ne fait pas, à de nombreux endroits, le genre de travail policier que vous faites. Vous êtes directement en première ligne.

Vous avez évoqué l'importance de l'intégration, et il y a deux ou trois programmes. Pas plus tard qu'en 2012, je sais que Sécurité publique a mis sur pied le programme Renforcer la résilience face au terrorisme, et un programme à long terme, qu'on appelle les Équipes intégrées de la sécurité nationale (EISN), est dirigé par la GRC. Pourriez-vous nous donner une idée de la façon dont ces programmes fonctionnent, de votre point de vue? Je pense que vous étiez assez positif au sujet de la relation avec la GRC.

Y a-t-il d'autres relations, au sein du SCRS, du CSTC, de l'Agence des services frontaliers du Canada? Avez-vous les ressources nécessaires? Comment ces programmes fonctionnent-ils?

[Français]

M. Parent : Nous travaillons conjointement avec la GRC, et nous avons établi également une collaboration avec cette dernière en ce qui concerne la diffusion de la formation à l'interne. Un instructeur et un membre de la GRC fournissent les différentes formations à nos coordonnateurs en ce qui a trait à la menace terroriste, et les 130 personnes dont je vous ai parlé ont fait l'objet d'une formation en partenariat avec la GRC.

En ce qui a trait aux moyens de communication liés à l'alignement des stratégies nationales et même internationales, lorsque vient le temps de les communiquer aux policiers de première ligne sur le terrain, une approche cohérente est mise en place quant à la façon de donner à nos agents un niveau de compétence adéquat. Évidemment, cela doit aussi être adapté à nos différentes réalités.

Le Service de police de la Ville de Montréal est composé de policiers de terrain de première ligne qui suivent de près les différentes informations, qu'elles soient relatives à des situations d'urgence ou à des cas plus sérieux. Nous pouvons donc rapidement hisser un drapeau rouge et communiquer l'information; il s'agit d'une approche ascendante et descendante. Également, nous pouvons rapidement nous mettre en lien avec les différents programmes existants.

Vous parliez du SCRS; effectivement, on a noté une différence majeure en ce qui a trait à l'échange d'information, mais toujours en fonction des mêmes balises, toutefois. À cet égard, un bout de chemin pourrait être fait afin de nous permettre d'avoir accès à un certain niveau d'information cotée selon un certain niveau de sécurité. Au-delà de cela, en ce qui concerne les individus qui sont les intervenants du renseignement canadien, lorsque nous travaillons avec eux, par l'intermédiaire de la GRC, nous travaillons maintenant de façon beaucoup plus efficace qu'auparavant à la suite d'une prise de conscience généralisée sur l'importance d'obtenir de l'information très fluide et très pertinente, et le plus possible en continu et en temps réel. Nous voulons avoir les ressources qui nous permettront de travailler en amont et d'être beaucoup plus agiles lors de nos interventions.

Le Service de police de la Ville de Montréal est aussi une organisation qui côtoie les différentes communautés, tels les groupes communautaires et les différentes personnes qui peuvent nous aider à collaborer et à faire en sorte que l'on maintienne un lien constant. Nous comptons, dans notre organisation, des coordonnateurs formés en matière de terrorisme, mais nous comptons aussi des agents sociaux communautaires; ils sont près de 70, soit environ 2 par poste de quartier. Ces derniers se rendent dans les écoles, dans les lieux de prière et dans les organismes communautaires. Ces personnes doivent suivre des formations continues et être au fait de la nouvelle réalité qui nous guette, maintenant, afin qu'elles puissent aussi percevoir des signes précurseurs ou entendre les propos des citoyens qui communiquent, parfois, de façon voilée ou confidentielle, et pour qu'elles puissent, en fin de compte, nous permettre de remonter l'information.

Il faut appliquer tous les leviers positifs actuels dans les différentes communautés, au-delà de nos agents de liaison en matière de renseignement, qui sont aussi sur le terrain et qui vont dans différents lieux où on peut retrouver des regroupements de personnes qui pourraient donner de l'information. Il faut vraiment exploiter l'ensemble de nos antennes sur notre territoire qui nous permet de remonter tous ces renseignements.

Afin de vous transmettre davantage d'information sur notre liaison avec le SCRS, j'invite notre responsable du renseignement à compléter ma réponse.

François Bleau, inspecteur, Division des services de renseignement, Service de police de la Ville de Montréal : Au quotidien, sur le terrain, nous avons constaté que le partage de l'information s'est accéléré à cause des agissements de l'État islamique. Cela a été un élément déclencheur, et nous pouvons maintenant constater que nous sommes tous unis quant au partage de l'information, étant donné la notion de sécurité nationale.

Au quotidien, cela se traduit par des rencontres avec les gens du SCRS pour examiner nos façons de faire, à savoir comment nous pouvons interroger des témoins avec eux ou améliorer notre façon de faire pour accomplir encore mieux notre mission, qui est d'obtenir et de dépister des indicateurs ou des gens. C'est tout à l'honneur de nos partenaires d'être venus nous voir; nous avons une meilleure connaissance du terrain, donc ils ont pris le temps de venir nous voir. De leur côté, ils ont une expérience empirique de toute l'analyse stratégique. Ensemble, nous faisons un bon mariage des pratiques. C'est ce qui se reflète, actuellement, au quotidien, et il s'agit d'une approche gagnante.

Bernard Lamothe, directeur adjoint, Enquêtes spéciales, Service de police de la Ville de Montréal : La structure de gestion policière contre le terrorisme comprend quatre volets, dans le cadre desquels nous partageons l'information. Un premier volet concerne les enquêtes dans le cadre desquelles nous collaborons, à titre de membre, avec la GRC et la Sûreté du Québec, ainsi qu'avec le SCRS, qui est également membre de ce comité. Nous sommes alors en mesure d'étudier l'ensemble des dossiers, d'établir une zone confort et de trouver une façon de nous surpasser en rapport avec les différentes stratégies d'enquête.

Un second volet a trait à l'intervention, à savoir ce qu'on fait sur le terrain une fois que survient un événement; cette coordination se fait aussi avec nos autres partenaires.

Un troisième volet a trait aux communications dans le cadre du renseignement; mon collègue en a parlé plus tôt.

L'objectif est d'observer toute situation, de faire un plan de match et un plan d'intervention, surtout en cas de décès multiples. Par exemple, à la suite de la tragédie survenue à L'Isle-Verte où plusieurs personnes sont décédées dans une résidence de personnes âgées, que devrait-on faire sur le territoire de la Ville de Montréal advenant une telle catastrophe?

Il est certain que, dès les premiers instants, qu'il s'agisse d'un écrasement d'avion ou d'un problème dans le métro, nous allons sous-entendre que le volet terrorisme est omniprésent, nous allons déployer l'ensemble de nos ressources et veiller à être les plus efficaces possible. Toutes ces structures de coordination servent justement à partager les meilleures pratiques et les meilleures ressources pour établir les meilleures stratégies opérationnelles.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, nous avons 25 minutes; je demanderais donc à tout le monde d'être bref dans son entrée en matière et de passer à sa question, et je vous serais reconnaissant de donner des réponses courtes et concises afin que nous puissions permettre à tous les intervenants de poser leurs questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'aimerais remercier nos trois invités. C'est toujours avec une certaine fierté que je rencontre le Service de police de la Ville de Montréal.

Ma première question s'adresse à M. Parent. Selon votre expérience à Montréal, pourriez-vous nous donner une estimation du nombre de personnes qui auraient pu être impliquées dans des actes terroristes ou de radicalisation au cours des cinq dernières années?

M. Parent : Vous donner un chiffre exact selon les cinq dernières années est difficile; tout à l'heure, lors de mon introduction, j'ai parlé d'une centaine de dossiers ouverts pour différentes raisons, notamment des cas de radicalisation. Nous sommes toujours prudents lorsqu'il s'agit de partager nos statistiques, non pas par manque de transparence, mais à cause des définitions qui permettent d'attribuer à ces gens le bon statut, à savoir si nous devons les considérer comme ayant un comportement suspect susceptible à la radicalisation ou autre. Notre responsable du renseignement pourrait peut-être vous donner quelques précisions à ce sujet, mais il est certain que Montréal est un endroit où nous devons gérer différents dossiers selon les définitions qui leur sont propres, en fonction des différentes affaires qui sont en cours.

M. Bleau : Je serai aussi prudent en ce qui a trait à l'énoncé de statistiques, mais il est important de comprendre le processus derrière tout cela. Chaque cas est étudié chaque jour. Dans l'ensemble, les intervenants sont réunis autour d'une table; qu'il s'agisse des intervenants en matière de renseignement, de nos partenaires, ainsi que de nos ressources à l'interne. Tout est analysé, et nous portons une attention particulière au phénomène de la radicalisation tendant vers la violence, ainsi qu'aux détecteurs et aux indicateurs qui nous mènent à des gens qui changent rapidement leur état. On parle de cas où l'on peut, par exemple, observer des changements rapides en six mois; la famille, les professionnels nous appellent, ainsi que les enseignants. Dans ce genre de cas, nous serons vigilants.

Le sénateur Dagenais : Vous avez mentionné que le genre de radicalisation que vous avez pu observer se percevait surtout dans les méthodes ou dans la forme; pourriez-vous le préciser davantage?

M. Bleau : Dans certains cas, pour des adolescents, ce sont les parents eux-mêmes qui nous appellent pour faire un signalement, à savoir que leur jeune a trouvé de l'argent, un couteau, et cetera; on peut observer qu'il commet des vols qualifiés et on apprend par la suite qu'il veut aller combattre en Syrie, et cetera. On parle de cas de radicalisation rapide de ce genre.

Nous recueillons également des signalements provenant des écoles, lorsque des professeurs voient qu'un jeune commence à changer son schème de pensée. Également, il faut comprendre l'impact qu'a Internet. Maintenant, nos jeunes sont assis devant l'ordinateur le soir, et c'est là que les choses se passent.

On parle des 15-25 ans qui sont plus susceptibles de tomber dans cette vulnérabilité. Ce sont des dossiers qui nous préoccupent beaucoup et que nous surveillons en termes de radicalisation.

Le sénateur Dagenais : J'aimerais revenir sur le sujet de la radicalisation. Sans me donner de statistiques, avez-vous remarqué une progression de la radicalisation? Est-ce que le phénomène augmente ou diminue? Est-ce qu'il est stable? Avez-vous constaté une augmentation dans la région de Montréal en particulier? Il se produit parfois des événements qui peuvent influencer certaines personnes.

M. Bleau : L'influence peut être un enjeu.

M. Parent : Nous n'avons pas de données significatives qui iraient dans un sens ou dans l'autre.

M. Bleau : Je crois que c'est quelque chose qui existait, qui existe et qui va toujours exister, mais l'effort policier et communautaire fait ressortir de plus en plus de cas. C'est comme pour tout sujet. Lorsque les gangs de rue ont commencé, on a commencé à s'y intéresser, on en a découvert beaucoup plus. C'est la même chose pour les motards criminalisés. L'attention portée à l'égard d'une problématique vient souvent augmenter son signalement.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci pour votre présentation.

[Traduction]

C'était très informatif et professionnel. J'ai quelques questions. Je veux nous y amener. Elles seront rapides. Nous devons savoir si l'article 83, la partie du Code criminel qui porte sur le terrorisme, vous donne suffisamment d'outils pour procéder à vos poursuites, ou pouvez-vous suggérer quelque chose de plus que vous voudriez obtenir?

[Français]

M. Parent : Je vais laisser mon collègue répondre à la question, mais avant de parler de l'article 83 de façon plus directe, je dirais que les autorisations du procureur général exigent plusieurs étapes et contribuent à alourdir ou à ralentir le processus. C'est sans doute à ce niveau que cela pourra être plus compliqué dans le cadre de nos démarches d'enquête pour porter des accusations.

Cette question est un élément tout de même important. À Montréal, l'une de nos approches — et c'est peut-être un point que François Bleau pourrait préciser — concerne tout le volet des articles 810. C'est une approche intéressante qui nous permet d'effectuer un encadrement et un suivi des individus et de procéder à un meilleur suivi dans différentes situations.

M. Bleau : Effectivement. Dans un souci de protection des citoyens, on essaie d'être rapide et agile en tant qu'organisation municipale. L'une des méthodes que nous avons trouvées est l'article 810, qui nous confère une certaine agilité dans le temps. Il est plus facile d'émettre des conditions et d'exclure les gens, et de pouvoir au moins exercer un contrôle sur ces personnes.

Normalement, on s'attaque à des crimes à base lucrative, alors que dans ce cas-ci, il s'agit d'un crime idéologique. C'est très difficile à cerner. L'article 83 amène une certaine lourdeur. Nous espérions trouver une avenue auprès de procureurs attitrés qui, plus près du procureur général, pourraient aider dans le cadre de l'article 83. En accordant une spécialisation au niveau du champ de compétences du procureur, cela crée une sorte de guichet unique. Les procureurs sont sensibles à notre réalité et sont proches de nous. C'est une option à considérer.

Il y a l'arrêt Spencer qui a rendu difficile l'émission d'un mandat où les besoins sont plus grands et où, pour obtenir toute information publique, il faut demander maintenant une autorisation judiciaire. Ces choses créent une lourdeur pour les forces policières.

M. Parent : Je me permets de compléter la réponse. Il faut aussi comprendre que dans le cadre de l'article 83, on intervient de façon indirecte, c'est-à-dire qu'il y a des personnes assignées aux EISN, soit les Équipes intégrées de la sécurité nationale, qui travaillent à la GRC en fonction de cet article.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen : Je comprends un peu, et je ne suis pas certaine que ce soit exact... mais les seuils relatifs aux poursuites pourraient être plus élevés, je crois, selon ce que vous dites. Vous avez mentionné la difficulté d'obtenir un mandat de perquisition. Devrions-nous corriger cette situation? Devrait-elle changer?

[Français]

M. Bleau : Non, je dirais simplement que c'est un peu moins rapide, qu'il y a une lourdeur. On cherche une agilité dans le cadre de nos interventions, étant donné qu'on travaille beaucoup sur le terrain. Pour nous, c'est un gage de réussite lorsqu'on peut exclure le plus rapidement ou encadrer. C'est notre vision.

M. Lamothe : Le SPVM n'a pas déposé d'accusations en vertu de l'article 83. Il y a eu un cas en 2012 dans le cadre duquel on a déposé des accusations. L'argumentaire est lié davantage au fait qu'on collabore avec la GRC au sein d'une équipe intégrée, qu'on s'occupe du premier niveau et qu'on laisse la gouvernance de cet article à la GRC.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen : Je remarque que vos efforts les plus importants semblent être axés sur la dissuasion, et j'ai noté les cinq piliers. C'est génial d'avoir ce programme. Pensez-vous que ce sont vos efforts de dissuasion qui portent fruit? Vous avez intenté une poursuite en vertu du Code criminel. La GRC intente-t-elle davantage de poursuites en vertu du Code criminel, au Québec?

M. Lamothe : Je ne répondrai pas pour la GRC à ce sujet.

La sénatrice Stewart Olsen : Ce n'est pas grave. Mais, seulement un dossier sur des centaines, vous dites?

[Français]

M. Lamothe : Pour Montréal, le procureur général a déposé des accusations en vertu de l'article 83 et, devant les tribunaux, l'article 83 a même été retiré. À ma connaissance, il n'y a pas eu de poursuite complète en vertu de l'article 83. Quant à la GRC, je vous demanderais de vérifier auprès d'eux.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen : Merci beaucoup.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup, messieurs. Dans le cadre de votre sensibilisation auprès des diverses communautés, quelle diligence raisonnable appliquez-vous pour vous assurer que les personnes avec qui vous travaillez ne sont pas liées à des visions ou à des organisations islamiques radicales?

[Français]

M. Parent : Nos antennes sont sur le terrain, on connaît nos communautés et on travaille avec elles de façon régulière. Ce sont des relations qui sont bâties depuis plusieurs années. Ce n'est pas une nouvelle approche pour nous et ce ne sont pas de nouvelles connaissances. Rapidement, on est en mesure de pouvoir cibler les endroits moins collaborateurs ou plus à risque ou les différentes personnes que l'on pourrait aussi considérer comme étant des personnes non collaboratrices ou qui représentent un risque par leurs propos ou leur façon de se comporter.

Il est clair que nous sommes en mesure d'avoir une excellente appréciation des personnes qui peuvent réellement nous aider. Définitivement, nous avons la capacité de pouvoir regrouper ces gens. Tout à l'heure, j'ai énuméré différents comités, tels les comités de vigie latino, arabe et asiatique. Ce sont des comités auxquels nous siégeons plusieurs fois par année, et ces gens font l'objet d'une vérification, ils participent avec nous dans le cadre d'un tri sécuritaire. Nous collaborons vraiment avec des gens qui ont la capacité de se sentir en confiance avec nous.

Pas plus tard que la semaine passée, nous tenions notre Journée des partenaires. Environ une centaine de partenaires étaient rassemblés dans la même salle. J'ai passé une demi-journée à échanger avec eux au sujet de leurs préoccupations, de leurs attentes, de leurs connaissances et de leur expertise et à leur expliquer comment on peut mieux travailler ensemble. Nous avons une vaste représentativité en termes de diversification et de capacité à pouvoir obtenir de l'information sur ce qui se passe réellement sur le terrain.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : J'étudie beaucoup d'écrits sur le terrorisme, ici et à l'étranger, parce que ce phénomène me préoccupe depuis un certain moment. Un livre d'Abu Bakr Naji, traduit à West Point, a attiré mon attention. Dans ce livre, l'islamiste a mentionné qu'il était essentiel d'infiltrer les adversaires et leurs compagnons de voyage et d'établir un système de sécurité solide qui est plus favorable à la sécurité du mouvement islamique révolutionnaire, maintenant, et, plus tard, à l'État islamique. « Nous devions infiltrer les corps policiers, les armées, les divers partis politiques, les journaux, les groupes islamiques, les sociétés pétrolières — en tant qu'employés ou qu'ingénieurs —, les entreprises de sécurité privées, les institutions civiles sensibles, et ainsi de suite. En fait, cela a commencé, il y a plusieurs dizaines d'années, mais nous devons accroître cette infiltration à la lumière des événements récents. »

Compte tenu de cet appel, vos corps policiers sont-ils préoccupés par la possibilité que des éléments radicaux se joignent à vos services à la suite de recrutement ou de sensibilisation? C'est une situation très grave, comme vous pouvez le constater.

[Français]

M. Parent : En fait, je me suis fait poser la même question par l'un des partenaires qui était dans la salle la semaine dernière, parce que les gens développent parfois cette méfiance par rapport à la capacité d'infiltration de ces groupes. Il ne date pas d'hier que toutes les personnes qui travaillent au service de police font l'objet d'un tri sécuritaire approfondi.

Je viens de mettre en place une nouvelle unité consacrée à la sécurité et à l'intégrité. La police de Montréal a malheureusement connu des cas de manque de probité. Vous avez sûrement entendu parler du cas d'Ian Davidson, un policier qui vendait de l'information aux groupes criminalisés et qui s'est suicidé, et des cas de Benoît Roberge et de Philippe Paul. Ce sont des cas où les personnes ont été, pendant une certaine période de temps, laissées un peu à elles- mêmes en ce qui a trait au contrôle de l'information et à leurs relations avec le crime organisé.

Le côté positif de tout cela, c'est qu'on a mis en place une unité sur la sécurité et l'intégrité qui fera des tris sécuritaires beaucoup plus avancés, plus modernes, ainsi que des vérifications aléatoires sur nos employés de tout acabit. Cela nous permettra, justement, surtout au sein des unités les plus concernées, de pouvoir faire des tris sécuritaires et de suivre ces gens de façon régulière en ce qui concerne leurs connaissances de l'information, surtout dans le cas de ceux qui travaillent au sein d'unités aussi pointues que celles consacrées au renseignement criminel, aux enquêtes, à la filature et à l'écoute électronique. Il est clair qu'il existe, au sein des grandes organisations, des moyens d'enquête beaucoup plus avancés, parce que l'on y traite des dossiers plus importants. Il faut donc mettre en place des moyens pour pouvoir déceler ces situations.

[Traduction]

Le sénateur White : Je pense que vous avez dit que vous aviez 134 employés qui participent à ces types d'enquête. J'ai pensé que cela équivaudrait probablement à une somme se situant entre 15 millions de dollars à 20 millions de dollars pour votre organisation. Est-ce exact?

M. Parent : Cela dépend.

[Français]

Nos coordonnateurs d'information sur la menace terroriste ne font pas cela à temps plein. Mais on dispose de plus de personnel pour le volet enquête, renseignement et réponse, et de notre groupe SAMU, qui est vraiment le module d'urgence de la menace terroriste; tous ces gens représentent environ une centaine de personnes qui travaillent à temps plein. J'ajoute aussi nos coordonnateurs d'information, ce qui constitue 130 policiers supplémentaires, et j'ajoute nos agents sociocommunautaires qui, dans le cadre de leur travail quotidien, vont accorder du temps aux renseignements et à l'échange d'information avec les différentes communautés. Il y a donc au-delà de 300 personnes qui peuvent toucher indirectement à ce dossier.

Cependant, malheureusement, de ce fait, on doit mettre de côté d'autres priorités. À l'heure actuelle, 90 p. 100 du temps des gens qui travaillent dans le domaine du renseignement et de la liaison de sécurité est consacré à ce volet, c'est-à-dire à la menace terroriste. Pendant ce temps, on ne traite pas les autres dossiers qui portent sur des menaces plus locales ou sur des sujets moins graves et moins prioritaires. C'est donc un dossier qui gruge beaucoup de ressources et qui génère beaucoup plus de dépenses que prévu.

[Traduction]

Le sénateur White : Merci beaucoup pour cette réponse. Je pense que nous avons entendu d'autres intervenants parler du fait que nous devions changer l'ordre de priorité des choses qui étaient prioritaires et les déclasser.

La somme d'argent et la quantité de ressources présentent un défi pour toute organisation. Combien de personnes aurions-nous réellement à poursuivre ou à surveiller et à tenter de gérer dans les limites du budget? Est-ce qu'on parle de 50 ou de 150 employés locaux?

M. Parent : Des suspects?

Le sénateur White : Oui, s'il vous plaît.

[Français]

M. Parent : Je laisserai M. Bleau vous répondre à ce sujet.

M. Bleau : En fait, des personnes sensibles, je dirais environ de 10 à 20.

[Traduction]

Le sénateur White : Parle-t-on, encore une fois, d'une somme se situant entre 15 et 20 millions de dollars pour tenter de gérer un très petit nombre de personnes?

M. Bleau : Oui.

[Français]

M. Parent : Mais, vous savez, il est très difficile pour les organisations policières de faire le juste choix, l'équilibre entre la menace réelle et les ressources qu'on doit y consacrer. On ne sait jamais à quel moment ces gens vont basculer et passer à l'acte. Cela nous demande une vigilance énorme et de faire des choix.

[Traduction]

Cela nous empêche de dormir la nuit.

[Français]

Ce sont effectivement des choix qui ne sont pas toujours faciles.

Le sénateur White : Je comprends, mais vous avez beaucoup d'autres défis en ce qui concerne la ville de Montréal et les autres villes.

M. Parent : Oui. Et d'autres coupures aussi.

[Traduction]

Le sénateur Ngo : Monsieur Parent, vous venez tout juste de mentionner le financement et l'argent destiné au terrorisme. Dans le rapport annuel du CANAFE, on souligne qu'environ 683 cas ont été signalés aux organismes d'application de la loi depuis 2009. Pourquoi est-ce qu'un seul cas a fait l'objet de poursuites? Est-ce que les services de police locaux ne sont pas en mesure de faire le travail, ou est-ce que d'autres facteurs empêchent la police de poursuivre ces organisations?

[Français]

M. Lamothe : On a effectivement conclu un partenariat avec le CANAFE au niveau du SPVM, principalement au sein de notre unité des produits de la criminalité. On travaille donc en synergie, et on échange de l'information.

Il faut comprendre qu'en ce qui concerne le CANAFE, souvent, lorsqu'on parle du financement d'organisations terroristes, on parle nécessairement de sortir du giron de Montréal, et même de la province. Cela a souvent des ramifications nationales ainsi qu'internationales. De ce fait, on transmet la majorité des informations à la GRC. Les dossiers dans lesquels on travaille et qui concernent le CANAFE sont principalement des dossiers liés au crime organisé.

Voilà principalement le défi. On sort nécessairement de la province pour aller à l'extérieur et à l'international. On transmet davantage l'information à la GRC.

[Traduction]

Le sénateur Ngo : Quand vous avez ce genre de renseignements, vous dites que vous allez les communiquer à la GRC et ainsi de suite. Avez-vous quoi que ce soit de concret? Dans votre corps de police local, est-ce que vous prenez votre cas et le présentez à la GRC, et c'est tout? Faites-vous un suivi?

[Français]

M. Lamothe : Il n'existe pas, au SPVM, de coordination en matière de financement des activités terroristes. Il n'y a donc pas de comité spécifique qui se penche sur ce dossier. Cela dépend des informations qui entreront à la pièce et qui seront transférées, mais il n'y a pas de comité de travail chargé d'examiner cela au sein du SPVM avec la GRC. On laisse la GRC agir; c'est une information qu'elle pourrait partager avec nous, mais très peu souvent.

D'ailleurs, ce matin, il y avait un article dans un journal qui parlait du projet Saphir. J'ai demandé à mon personnel si quelqu'un connaissait ce projet, et personne ne le connaissait.

On laisse donc cela à la GRC en raison des ramifications internationales et, au besoin, on travaillera en partenariat avec elle. Si elle a besoin qu'il y ait de la surveillance sur le terrain, on recueille le plus d'information possible, mais on la laisse piloter le dossier.

[Traduction]

Le président : Je voudrais faire le suivi de la question des poursuites. Nous avons tenu une série de séances, ici, au cours des dernières semaines, et nous constatons, d'après l'information qui nous a été fournie, que très peu de poursuites ont été intentées, que ce soit à votre échelon ou à l'échelon fédéral.

Cela soulève la question que la sénatrice Stewart Olsen a posée — et je crois que le sénateur Mitchell et d'autres intervenants y ont donné suite — concernant ce que nous faisons, exactement, ici, à la lumière de ces chiffres. Monsieur Parent, vous avez mentionné que 100 dossiers avaient été ouverts le mois dernier. Nous avons ces autres statistiques, à l'échelle nationale.

Comme il s'agit en partie d'une question d'idéologie, donnez-vous suite à la question concernant le dépôt d'accusations ou l'utilisation des lois sur la haine qui sont actuellement en place à l'échelon fédéral et avez-vous pris des mesures à cet égard? Est-ce que cela fait partie de votre trousse d'outils à utiliser du point de vue de votre application de la loi et du domaine dans lequel vous travaillez?

[Français]

M. Lamothe : Je veux apporter une clarification. Quand vous parlez d'une centaine de dossiers, il faut s'entendre; ce ne sont pas tous des dossiers au sein desquels il y a nécessairement des ramifications d'actes terroristes. On parle beaucoup de menaces de mort; donc, on va utiliser le Code criminel pour porter des accusations de menace de mort. Il peut s'agir de crimes haineux, comme vous l'avez dit tantôt, comme des graffitis, et dans ce cas, des plaintes de méfaits seront déposées. Cependant, dans le cadre de ces 100 dossiers-là, il n'y a pas nécessairement une propension de passage à l'acte terroriste tel que l'article 83 nous le mettrait en évidence. Il y a tout de même des accusations qui sont déposées par le service de police, mais ce sont des accusations plus générales. On a des exemples, ce sont principalement des méfaits et des menaces de mort. Il y a aussi des problèmes de santé mentale dans tout cela, donc pas nécessairement d'intention. On le voit, aussi, dans les dossiers.

Il y a beaucoup de ramifications avec Internet. Dans 40 p. 100 des dossiers, on utilise Internet pour faire des menaces ou proférer des propos haineux à l'égard de certains individus. Des citoyens appellent pour dire qu'ils ont entendu deux individus discuter de leur intention de mettre une bombe à tel endroit, donc, des enquêtes sont menées. Mais en règle générale, le volet de la santé mentale prend beaucoup d'importance.

[Traduction]

Le président : Je voudrais qu'une question soit consignée au compte rendu, puis je laisserai le sénateur Mitchell poser une dernière courte question. À la lumière de vos derniers commentaires, je me demandais si vous pourriez nous fournir une répartition à l'égard de la question de vos ressources consacrées au suivi ou à la surveillance. Par exemple, quelles sont vos catégories? Vous avez peut-être les suprémacismes blancs. Ou les écologistes radicaux. Ou encore les islamistes. Pouvez-vous nous expliquer comment vos ressources sont réparties du point de vue du temps et des efforts que vous consacrez à ces catégories? Pouvez-vous fournir cette répartition au comité? Merci.

Le sénateur Mitchell : Ma question fait suite à celle de la sénatrice Beyak. Un intervenant que nous avons entendu plus tôt a fait valoir très fermement que les policiers sont parfois — si ce n'est pas souvent — induits en erreur par les membres de la collectivité avec qui ils travaillent et que, en réalité, ces personnes ne sont pas ce qu'elles semblent être. Elles vous racontent une histoire, mais, en fait, elles font de la radicalisation en coulisse. Comment réagiriez-vous à cela? J'ai l'impression que vous travaillez avec des centaines de personnes, et il me semble qu'elles ne peuvent pas toutes être comme cela.

[Français]

M. Parent : Comme je l'ai dit tantôt, je ne veux pas être redondant, mais il est clair que ce ne sont pas de nouvelles relations avec les différentes communautés qui siègent à nos différents comités. Nous avons assurément, aussi, des entrées dans toutes sortes d'endroits, que ce soit des rassemblements communautaires ou des lieux de prière. Nous avons des agents qui se rendent dans ces lieux de façon anonyme ou confidentielle. Nous avons aussi de l'information qui circule; nous sommes en mesure de pouvoir établir les profils de ces gens en dehors de nos communications formelles. Nous voulons savoir aussi comment ils se comportent, et nous ne sommes pas la seule organisation policière, sur le territoire de Montréal, qui fait ces vérifications.

Ultimement, entre organisations policières, nous communiquons à plusieurs niveaux. Avec notre Structure de gestion policière contre le terrorisme, le SGPCT, qui regroupe la GRC, la Sûreté du Québec et le Service de police de Montréal, il est clair que nous échangeons des renseignements. Ils ont des liens directs au sujet des différents individus qui pourraient représenter des risques, ou des questionnements, à tout le moins, même si ce ne sont que des questionnements de base.

Assurément, c'est notre façon, aussi, de nous prémunir contre des doubles discours ou contre quelqu'un qui voudrait infiltrer indirectement nos rangs ou nos dossiers.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : Ainsi, il est difficile de déjouer le bon travail policier fait par de bons policiers. On ne vous dupe pas.

[Français]

M. Parent : Oui, mais il est clair que c'est un travail en continu. Nous sommes conscients de cela. Nous avons appris de nos expériences. Je parlais plus tôt des cas de taupes que nous avons eus chez nous, et qui nous ont permis d'en apprendre énormément. J'ai partagé notre nouvelle structure et nos façons de faire sur le plan national, lors du dernier comité sur le renseignement canadien que nous avons eu à Vancouver, le 22 août dernier. Nous avons énormément appris, surtout à Montréal, compte tenu de ce que nous avions pu vivre dans le passé.

[Traduction]

Le président : Je veux remercier nos invités. Cela a été très instructif.

Pendant que nous continuons de nous pencher sur les menaces pour le Canada, plus particulièrement sur le terrorisme, nous accueillons dans le cadre de notre groupe de témoins le chef du Service de police d'Edmonton, M. Rod Knecht. Il a été assermenté en tant que 22e chef du Service de police d'Edmonton le 7 juin 2011. Avant sa nomination, il a occupé le poste de sous-commissaire principal de la GRC, considéré comme l'agent de police en uniforme le plus haut gradé de la GRC. À ce titre, le chef Knecht était responsable du fonctionnement efficient et efficace de toutes les composantes de la GRC, notamment la gestion d'un budget de 4,7 milliards de dollars et de 31 000 employés. Le chef Knecht était responsable de la GRC en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut.

Dans son double rôle de sous-commissaire de la région du Nord-Ouest et de commandant de la Division « K », à Edmonton, en Alberta, il était responsable de gérer le fonctionnement de 108 détachements de l'Alberta et de fournir des services de police communautaires dans la région du Nord-Ouest. Au cours de ses 37 ans de carrière dans la police, le chef Knecht a passé la grande majorité du temps à travailler dans les services opérationnels.

Bienvenue au comité. Je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire. Veuillez commencer.

Rod Knecht, chef, Service de police d'Edmonton : Merci de me donner l'occasion de parler devant le Comité de la sécurité nationale et de la défense. Je n'ai pas préparé de mémoire pour cet après-midi. On m'a fourni sept questions, et je ne sais pas comment le comité voudrait procéder, s'il veut me poser ces sept questions successivement ou s'il voudrait que j'y réponde telles qu'elles m'ont été présentées dans un courriel jeudi dernier.

Le président : Vous pourriez parcourir les questions et y répondre, puis nous vous poserions des questions par la suite, qu'en dites-vous?

M. Knecht : Merci beaucoup. La première question du courriel était donc la suivante : quelle est la gravité du problème du terrorisme dans votre région?

Je peux vous dire que, ce que nous savons, c'est que nous avons une série de dossiers, principalement à Edmonton, à Calgary et à Fort McMurray. Cependant, nous ne savons pas ce que nous ne savons pas, évidemment, et, compte tenu de la dynamique changeante du terrorisme — à coup sûr dans cette région et, je serais porté à le croire, dans l'ensemble du Canada — de l'arrivée des médias sociaux et de la radicalisation des jeunes, il est possible de recruter des gens partout dans cette province.

Nous avons actuellement un certain nombre de dossiers. Nous travaillons en très étroite collaboration avec la Gendarmerie royale du Canada, et nous faisions partie des Équipes intégrées de la sécurité nationale de la province. Le Service de police de Calgary détache des membres de son personnel dans les EISN, comme on les appelle, ainsi qu'au Service de police d'Edmonton. Nous avons actuellement deux employés détachés à temps plein dans les Équipes intégrées de la sécurité nationale. Nous leur avons récemment fourni un supplément de ressources. Nous avons deux enquêteurs de plus qui sont visés par une exigence d'enquête à court et peut-être à long terme, cela reste à voir. En outre, nous leur fournissons actuellement nos équipes de surveillance pour les aider à suivre les cibles qui sont actives sur notre territoire.

Au Service de police d'Edmonton, nous avons également un programme de sensibilisation très solide, et cela fait partie du vaste modèle de services de police communautaires que nous utilisons. Ces gens travaillent avec nos communautés culturelles, nos communautés religieuses partout dans la ville. J'ai un comité consultatif des chefs constitué de personnes appartenant à divers groupes culturels, groupes religieux et ainsi de suite, de partout dans la ville, et ce comité est en communication avec les groupes de liaison avec la collectivité travaillant dans chacune des communautés de la ville. Nous obtenons ainsi de l'information sur la sensibilisation auprès des jeunes, et nous pouvons étendre la sensibilisation à chacune des communautés de la ville.

La croissance d'Edmonton est exponentielle. Au cours des deux dernières années, 60 000 personnes se sont ajoutées à la collectivité, et probablement un nombre équivalent, à la grande région. Edmonton est la porte d'entrée du Nord; par conséquent, nous voyons beaucoup de gens arriver par l'aéroport international pour se rendre un peu partout dans le nord de l'Alberta et travailler dans l'industrie pétrolière et gazière.

L'économie est très solide en ce moment. Il n'est pas difficile de trouver un emploi. En fait, essentiellement, nous n'avons pas de chômage, dans la région d'Edmonton, certainement, et cela donne la possibilité à n'importe qui de gagner beaucoup d'argent et d'en faire ce qui lui plaît.

J'en resterai là pour cette question. Je ne sais pas si vous voulez me poser des questions particulières à ce sujet ou si vous voudriez que je passe à la deuxième question?

Le président : Je pense que vous devriez passer à la deuxième question, si vous le pouvez.

M. Knecht : Quelles sont les infrastructures de ce soutien — soutien financier, endoctrinement, glorification, radicalisation — que vous avez cernées à l'échelon local, et où ces activités ont-elles lieu?

Un certain nombre de groupes religieux et culturels continuent de croître dans notre ville. Un très grand nombre de personnes y migrent depuis d'autres provinces et territoires du Canada, et un nombre important d'immigrants provenant de l'étranger s'installent à Edmonton et dans la région.

Il y a deux semaines, la CBC a diffusé une communication présentant des détails sur ce qu'elle avait appris, soit qu'un certain nombre de jeunes se radicalisent dans la communauté africaine de la ville. Bien entendu, nous enquêtons là-dessus. Pour le moment, je ne peux corroborer cette affirmation. Je peux vous dire que nous travaillons avec toutes ces communautés et que, encore une fois, nous avons un important programme de sensibilisation. Nous ne sommes pas particulièrement au courant d'aucune activité menée dans ces groupes précis dont il est question dans l'article de la CBC.

Y a-t-il des choses qui peuvent être améliorées pour faciliter les enquêtes qui peuvent mener à des poursuites? La réponse courte, c'est : absolument. Je pense qu'il y a beaucoup de possibilités. L'un des problèmes auxquels nous faisons face concernant non seulement les enquêtes relatives au terrorisme, mais aussi les enquêtes en général, c'est l'accès légal et notre capacité d'accéder aux ordinateurs. Bien sûr, nous savons que les médias sociaux facilitent la radicalisation, mais il est de plus en plus difficile et problématique pour nous de pouvoir accéder aux ordinateurs et aux appareils portatifs en raison de questions d'accès légal.

Nous savons que les fabricants créent maintenant des appareils auxquels ils ne peuvent même pas accéder eux- mêmes. Évidemment, c'est un problème pour les organismes d'application de la loi de partout au pays. Nous souhaitons que des mesures législatives soient adaptées pour obliger les fabricants à créer des appareils auxquels il est possible d'accéder, puis, bien entendu, nous ferions appliquer la loi au moyen de mandats de perquisition légaux en nous présentant devant un juge pour plaider notre cause. Ainsi, nous pourrions accéder légalement à ces appareils et obtenir les renseignements importants qui montreraient des associations, des renseignements ou des activités criminels ou terroristes facilités par les médias sociaux, par Internet et par la cybercriminalité.

Le Service de police d'Edmonton a-t-il formulé des recommandations concernant les accusations déposées en vertu de l'article 83 du Code criminel relativement au fait de quitter le Canada, de fournir un appui matériel au terrorisme ou relativement à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public? La réponse courte à cette question est « non, nous n'en avons pas formulé. » Nous avons vérifié nos dossiers, et nous ne l'avons pas fait.

Toutefois, je peux vous dire que nous travaillons avec la Gendarmerie royale du Canada, dans le cadre du programme des EISN, et que la GRC pourrait répondre de façon plus détaillée à cette question particulière. Encore une fois, à ce jour, le Service de police d'Edmonton n'a pas encore eu recours à l'article 83.

La cinquième question : votre corps de police reçoit-il des renseignements en temps opportun pour s'occuper des problèmes qui suscitent des préoccupations du point de vue de la sécurité nationale? La réponse est « oui ». Encore une fois, nous entretenons une excellente relation avec la GRC et d'autres services de police de la province. En outre, nous profitons d'une très bonne relation avec l'Agence des services frontaliers du Canada et le SCRS.

Certaines des mesures législatives sont contraignantes, certainement pour le SCRS lorsqu'il s'agit de communiquer des renseignements et d'élargir notre accès à ces renseignements, et c'est difficile parce que la communication de renseignements avec le SCRS est habituellement à sens unique, et nous comprenons cela, et c'est un résultat des mesures législatives. Toutefois, nous fournissons continuellement des renseignements au SCRS, et il nous en fournit davantage en fonction de nos besoins, lorsqu'une menace s'intensifie jusqu'à un certain niveau, où il faut employer des intervenants de première ligne.

En notre qualité de service de police de la ville, nous sommes évidemment les intervenants de première ligne, et il est important que nous obtenions les renseignements le plus rapidement possible afin de réduire la menace pour le public ainsi que pour nos agents qui répondent à ces appels et qui mènent ces enquêtes.

Les enquêtes menées par les EISN, celles qui sont plus vastes et à long terme et qui supposent le recours à des sources, en vertu de la partie 6, concernant les interceptions et les opérations d'infiltration, sont de nature plus vaste. La plupart sont surtout réactives, tout comme les interventions de première ligne.

Ces enquêtes antiterroristes sont extrêmement exigeantes sur le plan des ressources. Elles accaparent beaucoup de ressources, comme je l'ai dit plus tôt. Dans la plupart des cas, elles exigent une, si ce n'est plusieurs équipes de surveillance, et, selon la menace, ces activités de surveillance pourraient se dérouler 24 heures sur 24, sept jours sur sept; elles peuvent donc se poursuivre pendant des jours et des semaines. Au Service de police d'Edmonton, avec nos collègues de la GRC, nous participons à un certain nombre de ces déploiements, où certaines de nos équipes de surveillance ont été retenues 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 pour des périodes s'étendant jusqu'à des semaines. L'incidence sur les ressources est donc importante, et le coût est important, lui aussi.

Une chose que je préconise actuellement, c'est que nos intervenants de première ligne reçoivent une formation sur les enquêtes antiterroristes afin qu'ils soient mieux en mesure d'intervenir. Nous savons que de nombreux complots ont été déjoués grâce à des enquêtes menées au Canada, aux États-Unis et à l'étranger en conséquence de la sensibilisation et de l'éducation liées à la formation d'un intervenant de première ligne. Cela a sauvé des vies à de multiples reprises, et il y a toutes sortes de données probantes qui en témoignent.

Je vais passer à la sixième question : Y a-t-il un problème lié aux ressources en ce qui a trait à la gestion de la menace et au dépôt d'accusations? J'y ai déjà fait allusion. Il y a une incidence importante sur les ressources. Si nous devions comparer cela à n'importe quelle autre sorte d'enquête à laquelle nous prenons part d'un point de vue pénal, cela ressemblerait à une enquête concernant un homicide. Les enquêtes sur les homicides sont concentrées et exigent beaucoup de ressources dès le départ. Au fil de l'enquête, que nous puissions prouver ou réfuter la quantité de ressources requises, nous allons commencer à retirer ces ressources à mesure que l'enquête avance.

Une enquête sur une activité terroriste est aussi une enquête concentrée. Vous avez probablement déjà entendu dire que le méchant — le terroriste — n'a besoin de réussir son coup qu'une fois. Nous devons réussir à chaque fois. Il s'agit d'importantes enquêtes où il faut réduire les risques à zéro, alors nous ne pouvons pas équilibrer le risque comme nous pourrions le faire dans le cadre d'autres enquêtes que nous menons, où nous pouvons réduire le nombre de ressources. Ces enquêtes sont de la plus grande priorité et ont la plus forte incidence sur la sécurité publique et sur notre réputation, certainement en tant que service de police et en tant que pays, en général.

Ces enquêtes exigent une énorme quantité de ressources hautement qualifiées, le meilleur équipement et, bien entendu, l'ensemble du répertoire des techniques d'enquête auquel nous aurions habituellement accès dans le cadre de toute autre enquête.

Le renseignement est essentiel. Il est difficile de pouvoir recueillir des renseignements dans ces milieux, et il faut un investissement extraordinaire de la part des gens qui s'occupent de les recueillir, de les analyser, puis de les transformer en renseignements utiles aux fins de l'enquête et, bien sûr, de les présenter devant le système de justice pénale. Le seuil est élevé et difficile à atteindre. Le respect de toutes nos valeurs constitutionnelles nous cause des problèmes au chapitre des ressources lorsque nous voulons présenter ces affaires devant les tribunaux.

La dernière question : avez-vous des recommandations à formuler concernant la prévention du terrorisme ou la réduction de la radicalisation au Canada? Bien entendu, je pense que notre meilleur outil, c'est la prévention. Notre capacité d'avoir un programme de sensibilisation solide dans notre pays et dans toutes les communautés serait essentielle du point de vue de la prévention. Au Service de police d'Edmonton, nous avons un programme de sensibilisation, mais ce sont évidemment les ressources qui déterminent la capacité de ce programme de joindre toutes les communautés le long d'un continuum. En ce moment, nous considérons cela comme une lacune de notre modèle de prestation de services, plus particulièrement en ce qui concerne le terrorisme, et nous souhaiterions avoir davantage de ressources pour la sensibilisation et, plus particulièrement, la sensibilisation auprès des jeunes. Nous avons un Programme de visites de la police dans les écoles, comme toutes les autres grandes villes du Canada, mais son envergure est limitée. Il est principalement axé sur les écoles secondaires de deuxième cycle, et je recommanderais qu'il soit étendu et que notre sensibilisation auprès des jeunes soit étendue aux écoles secondaires de premier cycle et, si j'ose dire, aux écoles primaires également.

Je pense qu'il s'agirait de la plus importante occasion de réduire et d'éliminer la radicalisation, certainement, au sein de notre collectivité. Nous avons également besoin d'un programme de renseignement plus solide; par conséquent, nous souhaiterions obtenir des ressources dans le domaine de l'analyse, plus précisément des gens hautement qualifiés dans le domaine de l'analyse antiterroriste, qui comprendraient l'information provenant de la collectivité et qui pourraient l'analyser à des fins d'enquête ou de sensibilisation, au besoin.

Ici, à Edmonton, nous avons deux ressources affectées à temps plein à la lutte contre le terrorisme, volet qui manque cruellement de ressources. Le modèle que nous avons fonctionne très bien, soit la collaboration avec la GRC, l'Agence des services frontaliers du Canada, le SCRS et les services de police municipaux. Nous sommes en mesure de recueillir des renseignements dans un certain nombre de secteurs et de milieux, partout dans la province, afin de faire face à la menace et d'utiliser le moins de ressources possible ou d'utiliser les ressources limitées dont nous disposons le plus efficacement possible.

De façon générale, je crois que tous les services de police — et très certainement ceux de la province — vous diront qu'ils manquent de ressources. Il y a des infrastructures essentielles dans la province, bien sûr, à Calgary et à Edmonton, mais aussi au nord d'Edmonton, à Fort McMurray, à Grande Prairie, et cetera. Il y a des infrastructures essentielles liées aux communications, au transport et à l'industrie pétrolière et gazière. Il est évident que ces infrastructures stimulent l'économie, ici même, dans la province, et qu'elles génèrent des emplois et des possibilités à l'échelle du pays.

Voilà pour mes réponses aux sept questions que vous avez posées. Je répondrai volontiers à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup, monsieur. Je suis vraiment content de voir parmi nous quelqu'un qui vient d'Edmonton, comme moi.

Votre exposé était très bon et très précis. C'est excellent. Vous avez entre autres mis l'accent — et je dirais qu'il existe une tension à ce propos — sur la distinction entre les pouvoirs juridiques officiels et les programmes. Vous nous avez dit des choses bien précises au sujet des pouvoirs juridiques.

Récemment, à Edmonton, les responsables pour l'ouest du Canada du Congrès somalien canadien, dont les bureaux sont situés à Edmonton, ont écrit au premier ministre pour lui dire qu'ils avaient besoin de plus d'aide. Selon moi, il s'agit probablement là d'un bon parallèle avec ce que vous avez dit au sujet des programmes communautaires dans les écoles secondaires.

Dites-vous que ces programmes communautaires fonctionnent et peuvent fonctionner, mais qu'ils sont sous- financés?

M. Knecht : Absolument. C'est le point de vue de la collectivité et aussi le nôtre.

La semaine dernière, j'ai participé à une tribune ouverte avec des représentants de la communauté africaine, ici, en ville, et ils disaient la même chose. Vous savez, ce sont des Canadiens, et ils veulent participer au sein de la collectivité. La dynamique intéressante à leur sujet, c'est qu'ils sont aussi craintifs. Ils sont ici, dans notre collectivité, et ils veulent participer. Ils ont des entreprises, leurs enfants vont à l'école. Ils veulent participer dans la collectivité le plus possible, mais ils craignent les réactions des gens découlant d'activités sur lesquelles ils n'ont absolument aucun contrôle. Ce sont des Canadiens tout à fait engagés qui font actuellement partie de notre collectivité. Bien sûr, ils ont leurs préoccupations, mais ils voient l'occasion qu'ont les jeunes de changer les choses.

Selon moi, ce qu'il fallait retenir de la semaine dernière, c'est l'importance de la communication entre les services de police et la collectivité, qui travaillent en collaboration, qui veulent les mêmes choses. Les gens veulent assurer la sécurité dans la collectivité, et c'est évidemment ce que nous voulons aussi.

L'un des plus gros investissements que nous pouvons faire concerne la sensibilisation. Il faut joindre ces jeunes et travailler auprès d'eux afin qu'ils comprennent que les policiers sont leurs alliés dans la collectivité. Ils doivent comprendre que nous voulons travailler en collaboration avec eux. Comme je l'ai dit à maintes reprises, nous avons 1 800 agents de police sur le terrain, 1 800 paires d'yeux et d'oreilles. Il pourrait y en avoir un million si chaque membre de notre collectivité travaillait en collaboration avec nous dans le but d'éliminer la menace de radicalisation dans nos collectivités. Ces personnes n'en veulent pas, et nous non plus. Et ils veulent aider les services de police. Le message était très clair : ils veulent travailler avec les services de police et les aider, et s'ils découvrent des problèmes dans leurs communautés, ils veulent pouvoir en parler à la police afin que nous puissions les aider à les résoudre.

Le sénateur Mitchell : Si j'ai bien compris, vous dites que le processus de radicalisation dans les mosquées et dans les écoles n'est pas une menace, bien au contraire. Dans une certaine mesure, vous dites que les gens — les musulmans — dans ces endroits sont des personnes bonnes et décentes qui veulent travailler avec les forces de l'ordre. Vous dites que ce sont des personnes en qui vous pouvez avoir confiance et qui sont aussi préoccupées par la radicalisation de leurs jeunes que nous tous?

M. Knecht : Absolument. Je crois que vous l'avez très bien dit. Nous sommes préoccupés par la radicalisation, et ils le sont aussi et ils veulent des renseignements sur les choses dont ils doivent être à l'affût dans leur communauté. Bon nombre de ces personnes ont immigré très récemment dans notre collectivité et ils ne connaissent que trop bien les problèmes qu'ils ont laissés derrière eux. De toute évidence, ils ont laissé ces problèmes derrière eux et veulent participer au processus et nous aider à rendre leur collectivité d'accueil sécuritaire.

Ils sont effectivement préoccupés par le sort de leurs enfants. Ils savent que leurs enfants quittent la maison pour aller à l'école, mais je ne crois pas qu'ils soient préoccupés par les risques de radicalisation à l'école. À ce sujet, je crois qu'ils sont plus préoccupés par le risque de radicalisation externe, qui passe par les médias sociaux et Internet.

Le sénateur Mitchell : Vous avez mentionné qu'un des problèmes, pour votre service, c'est la formation — c'est ainsi que vous en avez parlé, je crois — de vos intervenants de première ligne, les 1 800 paires d'yeux. Dans une certaine mesure, le programme des coordonnateurs d'information sur la menace terroriste de la GRC est la réponse à ce problème. Dites-vous qu'il y a un manque de financement ou qu'on pourrait mieux faire les choses? Que le programme n'a pas été conçu de façon à permettre de faire ce qu'il faut faire?

M. Knecht : C'est un excellent programme. Dernièrement, nous l'avons beaucoup utilisé et nous y avons souvent eu recours pour former des membres du Service de police d'Edmonton. C'est un programme évolutif. Il est mis à jour en permanence en fonction de ce que nous savons au sujet de la menace actuelle. Si je dois formuler une plainte, c'est qu'il n'y a pas suffisamment de cours de formation offerts. Nous aimerions qu'il y en ait plus. C'est un excellent programme. Il est bien présenté. Le problème, c'est simplement qu'il n'y a pas suffisamment de ressources pour répondre... Je crois que même la GRC vous le dira : elle aimerait qu'un plus grand nombre de ses intervenants de première ligne y participent. Vous savez, nous aussi, à Edmonton, nous aimerions aussi y participer davantage. Si nos intervenants de première ligne participaient davantage au programme, je crois que nous serions en bien meilleure position.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci, monsieur. Votre exposé était complet et très intéressant. Je dois dire que vous avez répondu à beaucoup de mes questions. Il y a cependant certaines choses au sujet desquelles j'aimerais obtenir des précisions.

En ce qui concerne l'article 83 du Code criminel, vous avez dit que vous aimeriez qu'on modifie les dispositions sur l'accès légal ou que l'on continue de les peaufiner. Y a-t-il autre chose que vous aimeriez voir en ce qui concerne la législation?

M. Knecht : Je crois que les dispositions législatives actuelles sur l'accès légal ont vraiment pour effet d'inhiber l'affectation des ressources. C'est un défi pour nous, et cela provoque d'importantes lacunes dans le cadre des enquêtes. Je suis très préoccupé par la question de l'accès légal, comme le sont aussi selon moi un certain nombre de mes collègues partout au pays et à l'échelle internationale. Nous le sommes d'autant plus que les fabricants en viendront un jour à ne même plus avoir accès aux appareils. Je sais que nous utilisons ces appareils tous les jours, en tout temps. Nous en portons tous un à la hanche, c'est comme si nous cherchions les problèmes. Essentiellement, si un criminel ou un terroriste sait que cet appareil n'est pas accessible, il l'utilisera pour faire avancer sa cause.

Ces dispositifs donnent un accès planétaire. De nos jours, nous pouvons communiquer de l'information à l'échelle mondiale de façon instantanée, et je crois que ces dispositifs limitent vraiment le travail des responsables de l'application de la loi. Je crois que nous allons regretter cette décision à l'avenir et que nous allons parler un jour de la façon dont elle a empêché les organismes d'application de la loi d'obtenir les renseignements dont ils avaient besoin et l'information qu'il fallait afin de protéger les citoyens de partout au pays.

Selon moi, c'est tout à fait prévisible. Je crois que la plupart des agents d'exécution de la loi savent que ça s'en vient. C'est un défi pour nous. Je ne dis pas qu'il faut nous permettre tout simplement d'avoir accès à l'ordinateur de tout le monde, soit à distance, soit en saisissant les appareils. Je demande uniquement un accès légal, c'est-à-dire un processus dans le cadre duquel les services de police peuvent présenter la situation et fournir des motifs raisonnables et probables avant de demander un accès à un juge, qui aura peut-être même reçu une formation spéciale sur ces questions, celles touchant le contre-terrorisme. Nous pourrions, j'imagine, présenter notre dossier en préparant un long affidavit sur les raisons pour lesquelles nous devons avoir accès à tel ou tel dispositif, de façon à ce que le juge puisse ensuite déterminer s'il donne son aval, si nous avons prouvé le bien-fondé de notre démarche. Évidemment, si nous n'avons pas bien présenté nos arguments et que nous n'arrivons pas à prouver qu'il y aura des morts ou des blessés, alors la demande peut être rejetée. Cependant, je crois que nous voulons avoir la capacité de protéger les citoyens de façon proactive.

La sénatrice Stewart Olsen : Diriez-vous alors que le seuil est trop élevé, que la barre a été mise trop haut pour ces types de poursuites et ces types de demandes? Si vous vous présentez devant un juge pour demander un accès légal ou quoi que ce soit d'autre, diriez-vous que la barre est plus élevée dans ces cas qu'elle l'est habituellement?

M. Knecht : Non, je n'irais pas jusque-là. Je dirais que le seuil est le même, parce que, au bout du compte, si quelqu'un décède des suites d'un acte terroriste, le coupable sera probablement accusé d'homicide aux termes du Code criminel, alors c'est essentiellement les mêmes critères.

Pourrions-nous envisager une loi qui réserverait un traitement différent aux actes terroristes, vu que ceux-ci exigent des enquêtes un peu différentes et, j'imagine, de très bonnes compétences et des ressources plus exclusives? On pourrait peut-être établir une telle différence dans la loi afin d'avoir plus facilement accès aux renseignements dont nous avons besoin, particulièrement dans le cas d'une enquête où nous savons qu'un geste pourrait être posé et où nous avons besoin de l'information assez rapidement. Je crois qu'on pourrait adopter ce genre de dispositions législatives et que c'est tout à fait possible de le faire.

Je crois qu'il faudra le faire à l'avenir. C'est une préoccupation pour moi et, comme je l'ai déjà dit, nous voulons être plus blanc que neige. Nous voulons être transparents. Nous voulons être ouverts, mais nous voulons pouvoir protéger les intérêts de tous les Canadiens.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci beaucoup.

Le sénateur White : Merci beaucoup. Je suis heureux de vous voir, monsieur, vous qui arrivez d'Edmonton.

Je veux parler de la quantité de ressources financières et humaines que vous consacrez vraiment à la lutte contre cette menace. Un chef de police de Montréal nous a parlé, il y a quelques minutes, du nombre de personnes qui travaillent sur ces dossiers — il peut y en avoir jusqu'à 300 dans certains cas — et des coûts engagés pour surveiller quelques suspects. Pouvez-vous nous donner une idée des ressources que vous consacrez à ces dossiers et du nombre de personnes que vous considérez actuellement comme des menaces dans votre collectivité?

M. Knecht : L'équipe intégrée de la sécurité nationale à Edmonton ne compte que deux intervenants bien formés. Cependant, compte tenu de l'environnement actuel, nous avons fourni aux EISN plus de ressources. Récemment, nous avons mis toutes nos équipes de surveillance à leur disposition. Nous leur avons aussi fourni des enquêteurs supplémentaires qui travaillent avec elles, en coopération avec la GRC, ici, à Edmonton. Et nous continuons de recevoir d'autres demandes.

Bien sûr, nous devons aussi assurer la prestation quotidienne des services de police aux Edmontoniens — les services de police réguliers que nous devons offrir —, mais nous devons retirer certaines ressources pour les consacrer à ces dossiers, ce que nous n'arrivons pas à faire très bien. Nous n'avons pas les ressources nécessaires pour tout faire.

Nous bénéficions d'un financement municipal et de subventions provinciales. Nous obtenons du gouvernement provincial 16 $ par habitant pour assurer les services de police dans la ville d'Edmonton, et nous recevons aussi certaines ressources, quoique très limitées, de la GRC — ou, devrais-je dire, du gouvernement fédéral —, mais nous avons un manque flagrant de ressources, surtout pour lutter contre le terrorisme. Nous faisons de notre mieux avec ce que nous avons en nous en tenant aux menaces les plus élevées et les plus critiques, mais certains dossiers restent en bas de la pile, et nous ne pouvons pas y consacrer de ressources parce que nous en manquons. Évidemment, si la menace augmente dans des dossiers précis, nous réagirons en conséquence. Comme je l'ai dit plus tôt, les risques sont assez minimes dans ces dossiers. Nous ne pouvons pas ne pas enquêter dans le cadre de ces dossiers, parce que la menace qui pèse sur les membres de notre collectivité est immense.

Il faut beaucoup de ressources — humaines, financières, pécuniaires, des ressources en matière de renseignements —, et des personnes doivent constamment recueillir et analyser les renseignements. Je peux vous dire que nous nous occupons actuellement d'un certain nombre de dossiers. Les EISN s'occupent des dossiers où la menace est la plus vive. Le Service de police d'Edmonton s'occupe des dossiers où elle l'est moins, mais, comme je l'ai dit, nous manquons de ressources.

Le sénateur White : J'aimerais revenir sur l'attentat à la bombe durant le marathon de Boston. Un certain nombre de personnes ont mentionné le fait que le FBI faisait un suivi d'un ou de deux coupables et que les services de police locaux n'avaient peut-être pas reçu toute l'information nécessaire pour s'occuper du dossier.

Un certain nombre de témoins nous ont parlé de la mise en commun des renseignements — je crois que vous en avez aussi parlé —, et du fait que l'information est communiquée en fonction des rôles et du besoin de savoir. Croyez-vous qu'il est temps pour nous d'établir des normes nationales à l'intention des agents de police afin qu'ils aient plus facilement et plus rapidement accès à certains renseignements plutôt que d'y aller à tâtons? Sécurité publique pourrait définir une norme nationale.

M. Knecht : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je crois que nous avons actuellement besoin d'une norme.

L'information est synonyme de pouvoir. L'information nous donne la capacité d'agir rapidement et facilement et de le faire avec le moins de ressources possible. Nous perdons des ressources en raison de toutes les démarches nécessaires avant d'obtenir l'information. Je crois que le processus pourrait être rationalisé.

Je sais, d'après nos récentes conversations avec le SCRS, que 18 représentants de plus du Service de police d'Edmonton ont obtenu une autorisation de sécurité ou sont sur le point de l'obtenir. C'est un processus long et difficile, et il faut y consacrer beaucoup de ressources. Je crois qu'on pourrait accélérer le processus. J'estime aussi que, s'il y avait des normes en place et qu'on y consacrait les ressources nécessaires, nous serions en bien meilleure position.

Ces situations se produisent en temps réel. Dans le cadre de certaines enquêtes, nous n'avons pas le temps de faire une longue planification. Ces situations se présentent parfois très rapidement; il peut s'agir d'une personne ou de deux ou trois personnes qui se réunissent et qui se disent : « Nous le ferons d'ici une semaine ou deux ». Ils aperçoivent une occasion à l'horizon, et ils en tirent profit.

Nous sommes ralentis par les processus ou la bureaucratie, et, au bout du compte, ça ne sert personne à part les méchants.

Le sénateur White : À titre de rappel, et je sais que vous le savez, monsieur, puisque vous naviguez des deux côtés, mais les 10 principaux services de police au Canada dans les deux plus grandes provinces du pays ne relèvent pas de la GRC, qui n'est pas le service de police ayant compétence. Je le dis surtout pour souligner que je suis d'accord avec vous. Je crois que la situation n'a jamais été aussi claire qu'actuellement, et nous devons vraiment exiger ce genre de normes afin de faciliter la mise en commun des renseignements. Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir ici aujourd'hui.

M. Knecht : Merci de vos questions, sénateur.

Le président : Si vous me le permettez, avant de passer au prochain intervenant, j'aimerais poser une question liée aux questions du sénateur White.

Le sénateur White vous a demandé expressément de combien de dossiers vous vous occupiez sur votre territoire. Aux termes du mandat qui nous a été donné dans le cadre de la présente étude publique, nous essayons de définir la menace qui pèse réellement sur les Canadiens. Je crois qu'il est important de dire aux Canadiens combien de membres de leur collectivité, et, en fait, de résidents de leur quartier, représentent peut-être une grave menace pour eux. Pouvez- vous nous dire de combien de dossiers vous vous occupez actuellement?

M. Knecht : Je ne sais pas si je peux vous donner le chiffre exact. Je vous dirais premièrement que nous ne savons pas exactement quelle est l'ampleur de la menace.

Cependant, je peux vous dire que, actuellement, la menace, c'est que nous n'avons pas le dixième des ressources dont nous avons besoin, sauf si nous décidons de consacrer une bonne partie ou l'ensemble de nos ressources à la lutte contre le terrorisme. Je ne crois pas non plus que c'est possible, parce que, de toute évidence, il y a d'autres menaces à la sécurité publique, pas seulement le terrorisme.

Il s'agit d'enquêtes qui exigent beaucoup de ressources : beaucoup de temps, d'effort et d'argent. Si je pense aux dossiers dont nous nous occupons actuellement dans les environs d'Edmonton, eh bien, nous n'avons absolument pas les ressources nécessaires pour tous les mener de front en ce moment.

Le président : Je vais peut-être approfondir cette question.

Le sénateur Dagenais : Monsieur Knecht, selon votre expérience à Edmonton, le nombre de personnes impliquées dans des activités terroristes ou radicalisées a-t-il augmenté au cours des cinq dernières années? Avez-vous une idée?

M. Knecht : Au cours de ma carrière antérieure au sein de la Gendarmerie royale du Canada, j'ai été le sous- commissaire de la région du Nord-Ouest. À cette époque, j'étais au courant de tous les dossiers en cours liés au terrorisme.

À ce moment-là, la menace était un peu différente. Elle venait de l'extérieur, et certains des dossiers dont nous nous occupions concernaient le financement d'activités terroristes et le fait que des personnes quittaient le Canada et partaient à l'étranger. La menace a changé, et je crois qu'il est là, le défi, pour les organismes d'application de la loi : la menace a changé en raison du terrorisme local et de la radicalisation d'individus déjà au pays. C'est pour cette raison que notre capacité de vraiment savoir quelle est la menace est déficiente.

D'après moi, la menace a crû au cours des cinq dernières années, mais elle est aussi différente de ce qu'elle était il y a cinq ans.

Le sénateur Dagenais : Quel changement avez-vous remarqué en ce qui concerne la radicalisation? Avez-vous des statistiques que vous pouvez nous fournir?

M. Knecht : Je n'ai pas de statistiques à portée de la main. Je peux vous dire que les menaces ont changé, et je crois qu'elles touchent maintenant une population plus jeune.

Ici, en Alberta, les gens qui viennent s'installer dans la province ou qui en partent sont des hommes âgés de 18 à 34 ans. C'est la principale tendance démographique. Nous savons, d'un point de vue criminel, que cette tranche démographique compte le plus grand nombre de victimes de crimes, mais aussi le plus grand nombre d'auteurs de crimes. Nous avons constaté un changement : il y a plus de jeunes impliqués. Je crois que cela découle des médias sociaux et du fait que des membres de plus en plus jeunes de notre collectivité sont exposés aux processus de radicalisation et à des pensées radicales.

Avant, la radicalisation se faisait par du bouche-à-oreille, directement dans la collectivité. Les gens se radicalisaient, par exemple, après leurs études secondaires ou même postsecondaires. De nos jours, nous constatons une nouvelle tendance : on constate un risque accru de radicalisation au sein de groupes d'âge plus jeunes. Le risque semble toucher des personnes de plus en plus jeunes. Ces jeunes sont plus ouverts, et, évidemment, là où il y a une plus grande ouverture au monde, il y a aussi un risque de radicalisation plus grand.

Le sénateur Dagenais : Surveillez-vous des personnes radicalisées dans votre région? Et de quelle façon procédez- vous? Combien de personnes radicalisées surveillez-vous actuellement dans votre région?

M. Knecht : Je n'ai pas de données précises pour vous. La GRC les a, et nous pouvons demander à nos équipes intégrées de la sécurité nationale de les obtenir.

Nous travaillons en collaboration avec un certain nombre d'intervenants, et, pour nous, la meilleure façon de gérer cette situation et de lutter contre le processus de radicalisation, c'est grâce à un programme de sensibilisation. Nous avons actuellement un très bon programme de sensibilisation, qui, évidemment, pourrait être amélioré. Je crois qu'il était mieux adapté aux défis du passé, mais les choses ont changé. Il faut se tourner vers l'avenir et cerner les défis qui nous attendent.

Comme je l'ai dit, nous devons régler ces problèmes, travailler plus étroitement avec les collectivités et mettre en place un solide programme de sensibilisation, pas seulement au niveau du secondaire, mais aussi au primaire.

Le président : Je tiens pour acquis que vous allez nous fournir le nombre de personnes qui font actuellement l'objet d'une enquête ou, du moins, que vous avez identifiées.

M. Knecht : Oui. Je vais vous fournir ces chiffres, sénateur.

Le président : Ils nous seront très utiles. Comme je l'ai dit plus tôt, nous essayons de définir l'ampleur de la menace qui pèse sur nous.

La sénatrice Beyak : Merci, monsieur, de votre exposé. Nous avons rencontré beaucoup de témoins au cours des derniers mois. La plupart appuient vraiment les services de police, ses efforts de sensibilisation et le travail qui est fait dans les collectivités. Quatre ou cinq témoins nous ont dit que nous sommes dupes, que nous jouons à l'autruche et que nous ne comprenons pas la gravité de la menace.

J'ai posé les deux mêmes questions à tous nos témoins aujourd'hui. Dans le cadre des activités du comité consultatif des chefs dont vous nous avez parlé, quelle est la procédure de diligence raisonnable qui vous permet de vous assurer que les représentants que vous choisissez ne sont pas, en fait, des membres d'organisations radicales ou des personnes qui ont des points de vue radicaux?

M. Knecht : C'est une excellente question. En fait, nous nous sommes justement posé cette question la semaine dernière, et nous voulons nous assurer qu'il n'y a pas de pommes pourries au sein du comité. C'est pourquoi il faut interagir avec tous les membres de la communauté, afin de ne pas simplement croire tout ce qu'on nous dit et de favoriser un vrai dialogue et de vrais échanges.

Nous avons découvert la source de certains échecs passés : nous présumions trop rapidement que certaines personnes étaient des chefs communautaires, et nous les croyions sur parole. Ils devenaient des porte-parole, ou des porte-parole officiels, et ils interagissaient avec les services de police alors qu'ils n'étaient peut-être pas vraiment de bons représentants des communautés en question. Il peut y avoir une dynamique dans certaines collectivités — et nous l'avons vécu, ici, à Edmonton —, qui fait en sorte qu'il peut y avoir plusieurs porte-parole ou que certaines personnes peuvent avoir des intérêts cachés, qui n'ont pas grand-chose à voir avec la vision de la communauté qu'ils sont censés représenter.

C'est pourquoi il est important de maintenir un dialogue constant à de multiples niveaux avec ces communautés, et de ne pas simplement parler à ces personnes. Par exemple, le comité consultatif des chefs se réunit tous les trois mois. Dans le cadre de ses travaux, nous avons adopté une approche en cascade. Nous avons mis sur pied des comités de liaison communautaire au sein du comité consultatif, et ce sont ces comités de liaison communautaire qui font le vrai travail. Ce sont eux qui mobilisent les gens et qui interagissent directement et quotidiennement avec les membres de la communauté. C'est d'eux que nous obtenons notre rétroaction, et c'est grâce à eux que nous pouvons apprendre que telle ou telle personne ne parle peut-être pas au nom de la communauté ou qu'elle a peut-être des points de vue extrêmes, de gauche, comme de droite. C'est donc toute la communauté qui veille au bon fonctionnement du programme. Ce sont les membres de la communauté qui surveillent le comité consultatif des chefs et qui s'assurent que ce sont les bonnes personnes qui les représentent aux plus hauts niveaux dans le cadre de leurs interactions avec le service de police.

À Edmonton, nous réalisons une autre initiative assez unique. Dans certains services de police, il y a parfois un agent qui fait du travail de sensibilisation auprès de certaines communautés. À Edmonton, nous avons appris par tâtonnements et avons utilisé des pratiques exemplaires. Nous avons mis sur pied un comité de liaison communautaire dirigé par un agent principal. Dans notre cas, il s'agit d'un surintendant. Puisque nous avons nommé un très haut gradé, il a accès à plus de ressources et peut saisir plus d'occasions. En outre, il peut appuyer le processus un peu mieux, disons, qu'un gendarme qui travaille sur le terrain et qui a six ou sept ans d'expérience. Le surintendant a un peu plus d'expérience et apporte un peu plus de sagesse à l'initiative. Je ne minimise pas le travail des gendarmes sur le terrain, parce qu'ils participent au processus général, mais la nomination de cette personne nous permet simplement, à un niveau plus élevé, de mobiliser la communauté.

La sénatrice Beyak : Ça semble être un très bon programme. Merci.

Le sénateur Day : Monsieur, merci beaucoup de vos commentaires. Je me joins aussi à mes collègues pour vous remercier d'être là.

J'aimerais vous poser une question liée à ce qui vient d'être dit au sujet de la sensibilisation communautaire et de votre comité consultatif. Compte tenu de ressources limitées dont vous disposez pour jouer un rôle de plus en plus important, pouvez-vous nous dire ce que vous pouvez faire pour accroître le lien de confiance avec ces nouvelles communautés de plus en plus importantes dans votre région? Que faites-vous en ce qui concerne l'adaptation à la langue et à la culture de ces nouvelles communautés afin de faciliter vos efforts de sensibilisation communautaire?

M. Knecht : D'abord et avant tout — et c'est la situation difficile avec laquelle nous devons composer —, en raison de la solide économie, nous avons des problèmes de recrutement à Edmonton, parce qu'une personne a le choix entre faire 150 000 $ par année en conduisant un camion, ou 100 000 $ comme agent de police. C'est un défi pour nous. C'est un problème que l'on ressent dans la collectivité en général et au sein des divers groupes culturels.

Nous voulons un service de police représentatif de la collectivité servie. Nous avons été très proactifs dernièrement, je dirais au cours des 18 derniers mois, pour aller dans ces communautés et y recruter de nouveaux agents; ce n'est pas facile. J'ai aussi appris certaines choses. Je crois que, dans le passé, nous avons adopté l'approche anglo-saxonne usuelle en matière de recrutement, qui consiste à susciter l'intérêt très tôt chez les jeunes qui sont intéressés par une carrière dans la police. Cette technique fonctionne encore, mais nous constatons que, dans certaines communautés, ce ne sont pas les enfants ni les jeunes adultes que nous devons convaincre, parce que ceux-ci veulent devenir des agents de police : c'est plutôt leur famille. Ce sont les parents que nous devons convaincre, parce que certains d'entre eux viennent d'endroits où être policier n'a rien d'admirable, où les forces de l'ordre peuvent être les méchants et non les gentils. Certains craignent la police.

C'est important pour nous d'aller dans ces communautés, de les sensibiliser, de leur faire comprendre en quoi consiste le travail des agents de police, ici, au Canada. Nous devons leur dire que nous sommes là pour les aider, pour travailler en collaboration avec eux et pour nous assurer que tout le monde est en sécurité. Le défi, pour nous, c'est que, dans certaines communautés, nous devons convaincre les parents et les grands-parents. Si nous obtenons leur soutien, ils permettront à leurs enfants de faire carrière dans la police.

Le recrutement est tellement important pour nous. Nous nous faisons souvent demander : « Pourquoi n'y a-t-il pas de représentants de ma communauté au sein de votre effectif? » Évidemment, nous voulons réaliser des activités de recrutement afin de bien représenter ces communautés. Je crois que la chose la plus importante que nous pouvons faire, en tant que service de police, c'est d'écouter — écouter leurs besoins et leurs désirs —, c'est ça, la police communautaire.

Nous n'avons pas toutes les réponses. Évidemment, nous ne pouvons pas tout savoir au sujet de toutes les cultures avec lesquelles nous travaillons, mais nous essayons d'écouter, de bien écouter, et nous devons mobiliser ces communautés et travailler en collaboration avec celles. Nous essayons d'adapter nos interactions en fonction des besoins précis des différentes communautés; nous devons vraiment être polyvalents.

Le sénateur Day : Je sais à quel point les renseignements sont importants pour vous et que vous devez en recueillir de diverses sources. Vous devez donc recruter les gens dans les communautés ou les encourager à vous fournir des renseignements. C'est ainsi que vous pouvez savoir ce qui se passe dans ces communautés. De quelle façon conciliez- vous cette activité avec ce dont vous venez de parler, le recrutement des jeunes dans ces communautés? Si les parents savent que vous avez un informateur dans le coin, ils ne seront pas friands à l'idée de laisser leur enfant se joindre aux forces de police. En quoi ces deux activités peuvent-elles se nuire?

M. Knecht : Nous parlons peut-être de deux choses différentes. Je crois qu'il est important de recruter des agents de police dans ces communautés afin que notre service soit représentatif, que nous puissions mieux les comprendre et que nous ayons la capacité de mobiliser ces communautés et d'interagir avec elles, afin de comprendre leurs réalités culturelles et linguistiques, et certains des défis que nous rencontrons. Il y a des gens dans ces collectivités qui ne parlent peut-être pas aussi bien anglais qu'ils le voudraient, et il y a peut-être aussi des personnes plus âgées qui connaissent moins bien l'anglais que nous l'espérions tous. Cela ne devrait pas être un obstacle. Selon moi, en recrutant des membres dans ces communautés, nous éliminons en partie cet obstacle. Nous avons des agents qui peuvent interagir avec tous les membres de ces communautés, les vieux, les jeunes et tous les autres.

L'autre aspect, c'est qu'il faut obtenir des renseignements. Une information peut être anodine. Prenons le cas d'une enquête sur un homicide. Quelqu'un dans la communauté nous fournit un numéro d'immatriculation ou une description d'un individu, et nous pouvons ainsi économiser des heures ou des semaines et des mois de travail d'enquête, simplement parce que nous avons obtenu cette information. Nous avons eu ce genre de dossier en ville, dans une communauté en particulier, où des gens ont pris les devants et nous ont aidés à régler une enquête sur un homicide en 24 heures, alors qu'il aurait peut-être fallu deux ou trois ans si la communauté n'avait pas eu de lien de confiance avec le service de police. Ces gens auraient gardé cette information pour eux et ne nous l'auraient pas fournie.

C'est une question de confiance, et, très certainement, nous ne voulons pas trahir le lien de confiance avec ces communautés. Les gens peuvent fournir de l'information de façon anonyme. Nous devons les respecter et les aider à comprendre de quelle façon la loi est appliquée en ce qui concerne la communication de renseignements, et de quelle façon le système de justice pénale fonctionne au Canada comparativement à celui du pays d'où ils viennent, parce que, évidemment, la dynamique est complètement différente.

Le sénateur Day : Lorsque vous embauchez des membres des nouveaux groupes ethniques qui arrivent et s'installent dans votre région, est-ce qu'ils portent l'uniforme ou est-ce qu'ils occupent d'autres types de poste? Nous savons qu'une des choses qui permettra de renforcer le lien de confiance, au fil du temps, c'est le fait que des membres des différentes communautés deviendront des agents de police et porteront l'uniforme, même s'ils viennent de communautés où cela n'est pas toujours très respecté.

M. Knecht : Absolument. C'est ce que nous disent aussi les membres de ces communautés. Ils veulent voir des représentants de leur communauté dans l'uniforme du Service de police d'Edmonton. Nous travaillons très dur pour que cela se produise. Nous avons eu du succès dans un certain nombre de communautés, et moins, dans d'autres. Si nous n'arrivons pas toujours à embaucher un membre d'une communauté précise à titre d'agent de police assermenté, nous en engageons tout de même dans d'autres rôles. Ce peut être à titre d'interprète, dans le cadre des divers programmes communautaires que nous offrons ou tout simplement au sein du Service de police d'Edmonton. Nous voulons exposer ces gens le plus possible au Service de police d'Edmonton afin qu'ils puissent parler à deux amis, et que ceux-ci en parlent à deux autres et ainsi de suite afin que nous puissions créer un sentiment communautaire le plus rapidement possible.

Le sénateur Day : Merci beaucoup.

Le président : J'aimerais aborder un autre sujet. Nous parlons de radicalisation, et pourtant, nous n'avons pas parlé des idéologies qui mènent à la radicalisation autrement qu'en mentionnant Internet, par ricochet. À mesure que nos séances et nos lectures avancent, nous constatons, non seulement au Canada, mais partout dans le monde, qu'une idéologie politique et religieuse est assurément diffusée partout dans le monde par un groupe d'individus absolument extrémistes, à commencer par les membres de l'État islamique, entre autres.

Nous avons entendu, dans le cadre des séances de la semaine dernière, certains commentaires qui vont dans le même sens que ce que nous lisons, à savoir qu'il y a dans une certaine mesure des gens en Arabie saoudite qui prennent des mesures concrètes pour financer certaines institutions et aussi, peut-être, c'est ce qu'on dit, qui énoncent essentiellement les directives sur les enseignements qui émaneraient de cette région particulière.

Pour empêcher que cette idéologie politique et religieuse ne soit diffusée ici, au Canada, assurez-vous une surveillance continue dans les églises, les temples ou, en l'occurrence, les mosquées, ou d'autres institutions, comme les universités, pour veiller à ce que ce type d'idéal idéologique ne soit pas prêché auprès des masses?

M. Knecht : En deux mots, non, ce n'est pas l'approche que nous utilisons, à Edmonton, en tout cas. Notre approche, ici, consiste à mobiliser la collectivité et à lui demander de collaborer avec nous pour nous fournir cette information.

Dans votre exemple, nous aurions beaucoup de difficulté parce que — et, encore une fois, c'est lié à l'ouverture d'Internet et des médias sociaux — ce type de surveillance est tout à fait impossible et représente un défi énorme. Je ne crois pas que nous ayons suffisamment de ressources pour faire cela, parce qu'ils peuvent être, de toute évidence, présents partout. Ils sont présents dans chaque maison, dans chaque appareil, si vous cherchez cette information.

Je vais parler plus spécifiquement de notre région. Nous avons constaté que les méthodes de recrutement sont semblables aux méthodes utilisées pour recruter des jeunes dans des gangs; cette méthode consiste à rechercher les gens marginalisés et démobilisés, les gens qui se sentent isolés de leur collectivité, de leur famille, de leur culture, les gens vulnérables. En raison de cet isolement, je crois que ces groupes profitent de cet isolement, qu'ils capitalisent sur cet isolement et qu'ils le retournent contre le Canada et les Canadiens.

Le président : Pour conclure, j'aimerais poursuivre un peu sur le même sujet. Ce que nous constatons — du moins dans les recherches que nos membres ont menées — à l'échelle internationale, c'est que l'idéologie politique et religieuse est diffusée ou qu'elle est mise de l'avant dans certains milieux seulement. Si cela se faisait dans une institution publique plutôt que dans une autre institution, je ne crois pas que nous le tolérerions.

En tant que membre d'un groupe chargé de faire respecter la loi, vous vous intéressez d'abord aux jeunes. Je ne contredirai pas le fait que les marginaux seraient peut-être les premiers à mordre à l'hameçon et qu'il faut donc agir en conséquence. Je ne comprends pas très bien pourquoi nous ne pourrions pas à tout le moins prendre note de ces institutions, pour essayer de savoir ce qui s'y passe de façon à comprendre dans quels milieux le message est diffusé, parallèlement à Internet.

M. Knecht : Si nous le savions, si nous obtenions des renseignements selon lesquels une personne ou un groupe en particulier facilitait la radicalisation, nous prendrions des mesures, nous lancerions une enquête. Encore une fois, le critère à satisfaire, c'est qu'il faut avoir des motifs raisonnables de lancer une enquête. Notre meilleure arme, ce sont les gens qui nous renseignent et nous avisent de l'ampleur que tout cela prend et du nombre de personnes concernées. Nous serions alors en mesure de mener une enquête appropriée, avec les très maigres ressources dont nous disposons.

Le président : Je tiens à remercier chaleureusement le chef Knecht d'avoir pris le temps de comparaître devant nous.

Nous poursuivons notre étude des menaces à la sécurité nationale, en particulier le terrorisme, avec un troisième groupe de témoins. Nous recevons aujourd'hui le chef adjoint Brian Adams, du Service de police régional de Peel. Le chef adjoint Adams a commencé sa carrière comme agent de police au Service régional de police de Peel en 1981, je crois savoir que cela fera 33 ans la semaine prochaine. En avril 2009, il a été promu au poste de surintendant et a pris le commandement de la division 22. Il a ensuite été nommé chef des interventions de l'unité de protection en cas d'incident de la Police régionale de Peel, ce qui l'a amené à assurer la sécurité du tribunal dans le cadre du procès des 18 terroristes, à Toronto. En 2013, le chef adjoint Adams a été nommé à la direction des services d'enquête de la direction du soutien des opérations. Il est diplômé du Collège Sheridan et de l'Institut d'études stratégiques international. Le 15 septembre 2014, il a été nommé chef de police adjoint.

Monsieur Adams, permettez-moi de vous féliciter pour votre promotion récente au poste de chef adjoint. Vous avez mené une carrière assez impressionnante. Je crois savoir que vous voulez faire une déclaration préliminaire. Veuillez commencer.

Brian Adams, chef adjoint, Service de police régional de Peel : Pour commencer, j'aimerais, au nom du chef Jennifer Evans, des hommes et des femmes qui composent l'effectif de notre organisation et des citoyens de Peel, remercier le comité de nous donner l'occasion de comparaître. C'est un honneur pour nous d'être ici.

Nous savons tous que pour faire face à toute menace de terrorisme, il est important que les partenaires fédéraux, provinciaux et municipaux travaillent en étroite collaboration et partagent de l'information. Il est également important d'établir un partenariat avec la collectivité pour veiller à partager de l'information et à communiquer les uns avec les autres pour assurer la sécurité de nos citoyens.

Je vais prendre un moment pour vous donner un bref aperçu de ma région et de l'organisation, à l'intention de ceux qui ignorent qui nous sommes et où nous travaillons. Le Service de police régional de Peel est le second service de police municipale en importance dans la province. Nous sommes responsables de 1,2 million de résidents à Brampton et à Mississauga. Notre effectif compte environ 957 agents et 848 civils. Notre division dispose de cinq installations, dont une pour les services spéciaux et une autre qui est notre quartier général.

Nous offrons nos services sur un territoire de 538 kilomètres carrés. La Ville de Toronto constitue notre limite est, et la municipalité régionale de Halton, notre limite ouest. La région de Peel est située aux abords du lac Ontario. Notre unité maritime patrouille la rive, y compris les îles, de même qu'une superficie d'eau de 272 kilomètres carrés qui touche à la frontière internationale avec les États-Unis. L'aéroport le plus occupé du Canada, l'aéroport international Pearson de Toronto, est situé dans la ville de Mississauga et relève donc de notre responsabilité. On estime que 35 millions de passagers transitent par cet aéroport.

Le mandat de mon organisation est de maintenir la paix et l'ordre, de protéger les vies et la propriété, de mener des enquêtes sur les activités criminelles, de résoudre les affaires criminelles, de prévenir la criminalité et de répondre aux besoins de la collectivité. Tout en accordant beaucoup d'attention à la résolution des crimes les plus importants, notre organisation est déterminée à offrir des services de police communautaires et à mettre en œuvre des initiatives et des programmes de prévention de la criminalité efficaces et proactifs. Cela vous donne une bonne idée du travail du Service de police régional de Peel.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le chef adjoint Adams. Je vais donner la parole pour commencer au vice- président, le sénateur Mitchell.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup, monsieur Adams. Ma première question est liée à un des volets de notre mandat, qui consiste à déterminer l'ampleur du problème de la radicalisation de la menace. Pourriez-vous nous donner une idée du nombre de dossiers dont votre service s'occupe et qui impliqueraient peut-être des activités radicales ou terroristes?

M. Adams : Vous voulez un nombre précis. Mes agents s'occupent d'une poignée d'enquêtes, dans la région de Peel spécifiquement. Je crois qu'il est important que vous sachiez que nous faisons partie des Équipes intégrées de la sécurité nationale, ou EISN. Nous sommes l'une des unités mixtes qui font partie des EISN. Un de mes agents est affecté aux EISN. Un autre de nos agents est affecté à la section provinciale de lutte contre le terrorisme. Pour mener des enquêtes, nous disposons à l'interne d'une section du renseignement de sécurité. Cinq agents, un détective et quatre policiers sont affectés aux activités liées au terrorisme ou à la radicalisation. Cette unité particulière relève de mon service du renseignement. Nous nous occupons de ces dossiers.

Si vous voulez savoir de quoi nous nous occupons exactement, sachez que nous nous en occupons constamment. Ces agents travaillent sur ce type de dossiers au quotidien. En conséquence, nous traiterons une poignée de dossiers, je dirais entre 5 et 10 dossiers. Encore une fois, je tiens à le préciser, il s'agit parfois d'un coup de sonde, un cas où nous jetons un coup d'œil, mais certaines enquêtes sont un peu plus intenses, et, sur une échelle de 1 à 10, ce dernier type d'enquête se situerait entre 5 et 10.

Le sénateur Mitchell : Il existe une dichotomie entre les pouvoirs confiés aux policiers, les pouvoirs en matière d'enquête, le pouvoir de porter des accusations, le pouvoir d'arrestation, d'un côté, et, de l'autre côté, les programmes ayant pour but de veiller à ce que les jeunes ne s'engagent pas sur la mauvaise voie à un très jeune âge. Nous avons besoin d'un certain équilibre, ici. Pourriez-vous nous dire si, à votre avis, vous disposez de pouvoirs suffisants pour assurer l'ordre, et nous donner en même temps votre évaluation des programmes qui s'inscrivent dans cette approche?

M. Adams : Nous sommes un service de police municipal et, à ce titre, nous collaborons avec nos partenaires provinciaux et fédéraux. Dans la majorité de nos enquêtes, nous en venons, à un moment donné, comme la loi et notre mandat l'exigent, à faire intervenir nos partenaires provinciaux et fédéraux, ceux de la section provinciale de lutte contre le terrorisme ou ceux des EISN, les Équipes intégrées de la sécurité nationale. C'est ainsi que nous fonctionnons.

Vous voulez savoir si nous avons des liens avec le SCRS; oui, nous en avons. Cela se produit davantage au moment de l'enquête. Nous entretenons de très bonnes relations de travail avec ce service. Il y a deux semaines, je crois, le directeur adjoint du SCRS est venu à Peel discuter avec nos cadres pour leur donner un aperçu de ce qu'ils prévoient pour l'avenir et de ce à quoi nous avons affaire. Je ne suis pas certain d'avoir répondu à votre question.

Le sénateur Mitchell : C'est à peu près cela. Cela répond à une partie de ma question. L'autre côté concerne la sensibilisation des membres de la collectivité. Mettez-vous l'accent sur cette tâche? Avez-vous les ressources nécessaires pour le faire? Pensez-vous que cette tâche soit nécessaire?

M. Adams : Oui, certainement. Puis-je me référer à mes notes? Nous faisons deux ou trois choses. Je crois que nous essayons d'innover.

La première chose que nous avons faite a été de mettre en œuvre l'initiative de lutte contre l'extrémisme violent. C'est un cours de quatre heures que nous allons offrir aux hommes et aux femmes qui travaillent dans notre organisation. C'est en quelque sorte un programme de formation des formateurs. Je vais vous expliquer où nous espérons en arriver.

Nous avons offert ce cours, jusqu'ici, à quelque 150 à 175 agents. Nous avons créé ce cours il y a deux ou trois mois seulement. Je vais vous donner quelques détails sur l'exposé. C'est un cours de base, alors la radicalisation et le terrorisme sont abordés dès la première partie de l'exposé. Nous présentons un exposé sur l'État islamique, pour faire comprendre le climat politique général. Nous parlons ensuite des événements mondiaux et de leur incidence sur le Canada et le monde occidental, et nous expliquons les différents symboles et signes particuliers que nos agents devront chercher à reconnaître.

Je ne suis pas certain qu'il en a été question, dans les séances de votre comité, mais un volet important a trait aux répercussions de tout cela sur nos agents et les membres de leur famille. Cela nous a donné une perspective différente — étant donné que les agents travaillent sur la route — sur ce qu'ils doivent chercher et sur leurs préoccupations pour leur propre sécurité et celle de leur famille. Je suis policier depuis 33 ans, et je ne me souviens pas d'avoir vu, pendant ma carrière, avant aujourd'hui, cette réaction de la part des agents.

La génération d'aujourd'hui vit dans un monde différent. Il s'agit donc d'un exposé de quatre ou cinq heures, et nous avons édulcoré les diapositives. Nous avons un agent dans chacune des écoles secondaires de la région de Peel. Nous avons créé un bureau de sensibilisation des jeunes, qui s'occupe des écoles primaires. Nous assurons une présence dans les écoles du début de septembre jusqu'au dernier jour, en juin.

Nous présentons ces quatre ou cinq diapositives aux enseignants et à leurs assistants pour les renseigner sur les différentes choses qu'ils doivent apprendre à connaître et chercher à reconnaître. Ils sont pour nous une bonne source de renseignements, car ils peuvent nous signaler les jeunes qui, à leur avis, méritent qu'on s'y intéresse, et nous aimerions mettre cela en relief. Cela concerne donc nos écoles.

J'aimerais aborder le sujet de la diversité. Nous avons mis sur pied, à Peel, ce que nous appelons un « groupe d'inclusion ». Il est formé des représentants d'une cinquantaine d'organismes et de groupes culturels, et nous les rencontrons tous les trimestres. Nous essayons d'instituer un climat de confiance en rendant possible l'échange d'idées et d'information. Une grande partie du travail policier est fondée sur la confiance; les agents qui peuvent instituer ce climat de confiance pourront s'asseoir avec différents intervenants et échanger avec eux de l'information. Nous faisons cela depuis deux ou trois mois.

Récemment, notre aumônier a réussi à réunir une cinquantaine d'imams, que nous avons invités à Peel pour discuter avec eux de leurs préoccupations ou de leurs problèmes, chercher des façons de travailler de concert et atténuer certains des facteurs de stress auxquels ils sont confrontés. Tout cela exige de la confiance.

Nous avons appris que la GRC et le SCRS avaient également communiqué avec eux; tout le monde se tourne donc vers la collectivité. Un aspect important, quand on veut bâtir une collectivité, c'est de montrer aux gens que la démarche a de la valeur tout le monde plutôt que de simplement chercher de l'information et de l'aide pour parvenir à ses fins. Il est important d'exposer ses préoccupations et ses problèmes et de voir comment il est possible de travailler les uns avec les autres. C'est ce que nous avons fait. Le système scolaire est très important. Il faut commencer aux tout premiers échelons. Comme vous le savez, nous englobons dans l'école primaire les étudiants de la première année jusqu'à la dernière année d'études secondaires. Voilà donc deux ou trois des programmes que nous exécutons, sénateur.

Le sénateur White : Merci, monsieur le chef adjoint. En passant, je crois que vous venez de terminer, la semaine dernière, le programme Rotman à l'Université de Toronto; je voulais vous en féliciter.

Certains témoins nous ont parlé, aujourd'hui, des répercussions de certaines enquêtes. Les enquêtes ne sont pas très nombreuses, mais leurs répercussions sur les ressources semblent importantes. Pourriez-vous nous dire combien de ressources y participent et quelle est l'incidence de ces enquêtes sur d'autres priorités?

M. Adams : Ce n'est pas, je crois, lié uniquement à cette enquête, mais, après le décès tragique de deux de nos officiers militaires — et je tiens à les nommer, l'adjudant Patrice Vincent et le caporal Nathan Cirillo, qui venait de ma ville natale, Hamilton —, les choses ont changé pour nous tous. Nous parlons des enquêtes normales. Ces enquêtes sont plus intenses, aujourd'hui, elles exigent un travail 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Vous parlez des aspects tactiques, par exemple les mises sous écoute électronique ou les investigations plus poussées. Les besoins en personnel sont immenses, mais nous avons constaté, après ces deux décès, que les citoyens de la région de Peel savaient désormais à quoi ils devaient prêter attention.

Nous avons reçu 10 fois plus d'appels de citoyens qui avaient des soupçons à propos de quelque chose ou qui voulaient attirer l'attention des policiers sur une chose ou une autre. Cela a sensiblement changé notre travail général de réception des appels. Nous avons commencé à ce moment-là à recevoir des appels du public, qui voulait qu'on vérifie une chose ou une autre. Bien des doutes n'étaient pas fondés, mais cela nous a quand même pris du temps et des efforts pour donner suite à chaque appel. C'est notre travail de faire cela, et nous devons le faire avec rigueur. Ce travail dépend surtout de la disponibilité des ressources.

Le sénateur White : D'autres témoins nous ont parlé de l'échange d'information. Il y a plus de 200 services de police au Canada, et dans les 10 plus grandes villes de nos deux plus grandes provinces, le service n'est pas assuré par la GRC; il est au contraire assuré par les services municipaux ou provinciaux. Si nous avons bien compris, les normes touchant l'échange d'information entre services représentent toujours un défi. Pensez-vous qu'il est temps que le Canada établisse des normes nationales auxquelles les services de police devront se conformer de façon que l'échange d'information soit moins difficile que nous le disent les représentants de certains services?

M. Adams : Je m'excuse de mon petit sourire. J'imagine, après 33 ans... Vous avez vu cette relation évoluer au fil des ans, vous le savez très bien. Je crois que les voies de communication sont meilleures aujourd'hui qu'elles ne l'ont jamais été. Et je ne parle pas en tant que chef adjoint. Ce matin, j'ai passé un peu de temps, dans ma chambre d'hôtel, au téléphone avec les enquêteurs. Il y avait un homme et une femme, et ils ont dit que les communications s'étaient améliorées. Elles sont meilleures.

De manière générale, une bonne partie du travail des policiers, comme vous le savez, a trait à ces communications. Pourraient-elles être meilleures? Tout à fait. Pourraient-elles être plus transparentes? Oui, sénateur, ce serait possible. Est-ce que l'échange d'information est bon? Je crois qu'il l'est. Pourrait-il être meilleur? Oui.

Le sénateur White : Combien d'agents, dans votre service, ont une autorisation de sécurité de niveau très secret, relativement aux exigences du gouvernement fédéral?

M. Adams : Dans mon service?

Le sénateur White : Sur les quelque 1 900 agents que vous comptez, je crois.

M. Adams : Il y en aurait peut-être 20, au plus.

La sénatrice Beyak : Merci. C'était un excellent exposé. J'aimerais vous poser la question que j'ai déjà posée aux autres chefs de police. Sur le territoire que vous servez, quelle sorte de mesures de diligence raisonnable appliquez-vous pour veiller à ce que les gens que vous essayez de sensibiliser ne soient pas déjà radicalisés ou n'appartiennent pas déjà aux organismes qui ont des opinions radicales?

M. Adams : Nous travaillons avec toute la diligence voulue, peu importe le groupe auquel nous avons affaire. Il faut établir un certain niveau de confiance, comme vous le savez, pour que les activités de sensibilisation dans la collectivité permettent de jeter des ponts. Nous avons une unité responsable de la diversité, je crois qu'elle est composée aujourd'hui de sept personnes — un détective et six agents —, et elle travaille tous les jours sur le terrain pour tisser de tels liens. Je ne cherche pas à éluder la question. Vous m'avez demandé de dire s'il nous arrivait de penser que certaines personnes pourraient avoir été radicalisées. Nous faisons de notre mieux pour confirmer que ce n'est pas le cas. Nous assurons un suivi, nous faisons des vérifications. Je ne sais pas ce que je pourrais dire de plus.

La sénatrice Beyak : Voilà qui est rassurant. Ce qui me préoccupe, c'est que nous avons entendu un grand nombre de témoins; certains nous disent que le travail de sensibilisation que font les agents de police fonctionne bien, partout au Canada. Quatre ou cinq d'entre eux nous ont dit qu'on nous trompait, que nous faisons l'autruche et qu'il existe beaucoup de groupes que nous devrions examiner de plus près. C'est pourquoi il est rassurant d'apprendre que vous avez mis sur pied un comité qui s'occupe de cette question et qui travaille avec toute la diligence voulue.

M. Adams : Je dirais seulement qu'aucune relation n'est fiable à 100 p. 100, peu importe de quelle relation il s'agit. Il faut établir un climat de confiance et pouvoir se fier l'un à l'autre. Il faut également faire preuve de vigilance à l'égard de l'information que vous recueillez ou qu'on vous transmet. Si ces aspects changent, dans les relations avec la collectivité, il faudra régler le problème.

La sénatrice Beyak : Merci.

Le président : Si vous commencez à entretenir des doutes au sujet d'une personne donnée, pouvez-vous téléphoner au SCRS et expliquer que vous avez un certain type de lien avec M. Untel et que vous voulez vérifier ses antécédents? Pouvez-vous faire cela?

M. Adams : Oui, nous avons de très bonnes relations avec le SCRS et avec les EISN. Il arrive qu'on nous transmette de l'information, alors, oui, on communique avec nous, alors, de dire qu'il n'y a pas eu de contact et qu'on nous a ouvert les yeux... En effet.

La sénatrice Stewart Olsen : J'aimerais seulement poser deux ou trois questions qui pourraient nous aider. Un témoin du Service de police d'Edmonton a dit qu'il aimerait qu'on modifie ou qu'on étende l'article 83 du Code criminel, qui porte sur le terrorisme, en y ajoutant quelque chose au sujet de l'accès légal. Avec les nouvelles technologies, c'est très difficile. Apparemment, il vous est impossible d'entrer dans ces ordinateurs ou ces appareils. L'accès légitime demeure un problème.

Pourriez-vous penser à un autre aspect du Code criminel qui pourrait être modifié de façon à faciliter les poursuites?

M. Adams : Il n'existe que deux ou trois approches, en matière d'enquête. L'une d'entre elles consiste à chercher à obtenir des informations d'une source humaine, et l'autre a plus à voir avec la technique.

Je suis d'accord avec le représentant d'Edmonton. Je ne sais pas de qui il s'agit, mais l'aspect technique du travail des policiers devient très complexe. Je pense, par exemple, aux téléphones munis du logiciel PGP, desquels il est impossible d'extraire les données. Nous ne sommes pas capables de faire cela. Je constate que les organisations ou les gens auxquels nous faisons face vont en apprendre autant que nous sur les enquêtes. Quand nous arrivons devant le tribunal et que la procédure suit son cours, et ils s'instruisent, les gens de ce milieu se renseignent sur ce que nous sommes en mesure de faire et sur ce que la loi nous permet de faire. Voilà comment ils mènent leurs activités.

Alors, ils se renseignent, tout comme le font les agents de police, pour continuer à essayer de tenir le haut du pavé. Je constate, après 33 ans, qu'il devient de plus en plus difficile pour nous de maîtriser ces aspects techniques et de faire cela. Ce sont des défis auxquels nous devons tous faire face. Est-ce que la loi pourrait nous aider à ce chapitre? Oui, mais, encore une fois, il existera toujours des appareils qui ne nous permettront jamais de rattraper notre retard, si vous comprenez ce que je veux dire.

La sénatrice Stewart Olsen : Oui. À titre d'information seulement, combien d'accusations liées au terrorisme avez- vous déposées, dans la région de Peel? Combien de gens sont impliqués?

M. Adams : Nous n'en avons pas déposées.

La sénatrice Stewart Olsen : Cela relèverait de la GRC?

M. Adams : Nous ferions partie de la même équipe. Par exemple, nous menons une enquête au sujet de laquelle je ne peux pas fournir trop de détails, qui concerne trois jeunes femmes qui ont quitté la région de Peel. Elles ont été arrêtées en Turquie et nous ont été renvoyées. Il s'agissait tout simplement d'un dossier de personnes disparues. C'est un agent en uniforme, dans le cadre de ses tâches quotidiennes, qui est allé parler à la famille. Il a pu parler à la famille, qui disait qu'il était très étrange que ces trois filles ne soient pas à la maison. On a examiné l'ordinateur des parents, et c'est à ce moment-là que les agents en uniforme et les parents ont découvert que les jeunes filles avaient été incitées à se rendre en Turquie, et elles ont été arrêtées avant de partir pour la Syrie.

C'est tout ce que je puis dire au sujet de cette enquête, mais c'est dans des dossiers comme celui-là que nous devons collaborer avec nos camarades de la GRC. Ce que je vous ai dit est connu du public, de toute façon.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci. J'aimerais seulement féliciter le Service régional de Peel pour l'incroyable travail que vous effectuez. Cette division est très active, et il est remarquable de voir à quel point vous réussissez à garder la tête hors de l'eau. Félicitations.

M. Adams : J'aimerais si possible vous faire part rapidement de quelques faits. Notre collectivité est très diversifiée, par rapport à d'autres régions du pays. J'ai réuni quelques statistiques. Notre région compte 56 mosquées, 15 gurdwaras, 12 temples bouddhistes et 3 synagogues, mais il y en aura d'autres. Dans la région de Peel, 69 p. 100 des gens parlent uniquement le punjabi à la maison. C'est une collectivité très diversifiée. Ce qui se passe ailleurs dans le monde ne touche pas seulement... Nous parlons parfois de l'État islamique. La situation touche un grand nombre de ces groupes, et elle touche notre région. Les gens — cette population diversifiée — et les groupes communautaires font du très bon travail. Nous sommes fiers d'eux.

Le sénateur Day : Merci. Je vous ai peut-être mal entendu, je voudrais clarifier la question. Vous parliez de mettre sur pied des initiatives de sensibilisation et vous avez dit, je crois, qu'un groupe représentant une cinquantaine d'organismes et de groupes culturels se réunissait avec vous pour un échange de vues. Vous avez ensuite dit, je crois, que vous aviez appris que la GRC et le SCRS, ou un autre organisme, faisaient déjà la même chose.

M. Adams : Non. Si c'est ce que j'ai laissé entendre, c'était par mégarde. Il s'agit d'un des programmes de sensibilisation que nous avons mis sur pied. Ce que nous avons constaté, à cette occasion, c'est que ces organismes visitent les diverses communautés. Alors, ils n'ont pas constitué de bassins comme le nôtre, dans la région de Peel, mais ils visitent différentes communautés pour tenter de nouer avec elles un dialogue.

Le sénateur Day : Vous entendez par là la GRC?

M. Adams : La GRC et parfois le SCRS. Quand des choses de ce genre se passent, il est important de faire savoir aux autres ce que nous faisons.

Le sénateur Day : Je serais d'accord avec vous. Vous dites que cela ne se fait pas?

M. Adams : Cela se fait à l'occasion, mais, encore une fois, les communications pourraient être meilleures. Pendant des années, quand il fallait mener une enquête criminelle à Toronto, il fallait cogner à la porte de l'autre pour lui annoncer que nous étions dans son quartier. Nous pourrions faire mieux que cela.

Le sénateur Day : J'ai une question de suivi au sujet de la sensibilisation. Pourriez-vous nous dire si, dans votre service, un nombre important de gens viennent d'une minorité visible ou d'un groupe culturel autre qui reflète la société que vous devez protéger?

M. Adams : Il y en a. Il pourrait y en avoir plus, mais je vous répondrais oui. C'est l'une des choses que nous tentons de faire pour l'avenir : nous essayons de faire changer les choses et d'avoir un nombre correspondant aux attentes. Cela prendra du temps. Nous avançons dans ce dossier, et c'est un aspect dont nous tenons compte dans toutes les campagnes de recrutement. C'est aussi un aspect de la sensibilisation menée auprès des jeunes.

Dans un grand nombre de ces groupes culturels, il faut faire une sensibilisation auprès des jeunes et convaincre la famille que c'est un emploi où les traditions et la loyauté sont valorisées. Dans d'autres pays, les services de police sont parfois vus d'un autre œil. Nous avançons donc, dans ce dossier, et je crois que nous nous en tirons assez bien.

Le sénateur Day : Les gens que vous embauchez et qui représentent un autre groupe ethnique vont-ils porter leur uniforme dans la collectivité, après? Les agents qui sont postés dans les écoles portent-ils un uniforme, ou sont-ils habillés en civil?

M. Adams : Ils sont en uniforme. Tout ce que nous faisons dans les écoles, nous le faisons en uniforme. Nous avons une très solide relation avec les conseils scolaires. Nous avons parlé de la possibilité d'y aller moins carrément, mais la plupart des conseils scolaires veulent des agents en uniforme justement en raison de leur apparence et de leur prestance.

Le sénateur Day : Cela touche à la question de l'établissement d'un climat de confiance.

M. Adams : Tout à fait.

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Adams. Selon votre expérience dans la région de Peel, est-ce que le nombre d'individus impliqués dans le terrorisme ou la radicalisation a augmenté, au cours des cinq dernières années?

M. Adams : S'il a augmenté? La plupart des choses dont nous parlons nous sont inconnues. Est-ce que nous sommes plus actifs dans le cadre de ces enquêtes? Oui, nous travaillons davantage. Quant aux cibles spécifiques, je ne pourrais pas dire si les chiffres ont vraiment changé. Nous les connaissons mieux, aujourd'hui, étant donné ce qui se passe depuis un an ou deux, si vous comprenez ce que je veux dire.

Le sénateur Dagenais : Quelle sorte d'évolution avez-vous vue, en ce qui concerne la radicalisation? Auriez-vous quelques statistiques à nous donner?

M. Adams : Des statistiques, non. La plupart des données et de l'information que nous possédons nous sont transmises par nos partenaires fédéraux et provinciaux. En ce qui concerne l'échelon municipal, c'est notre source d'information.

Le sénateur Dagenais : Combien d'individus radicalisés surveillez-vous, dans votre région?

M. Adams : Vous voulez connaître leur nombre précis? Comme je l'ai dit, selon nos partenaires fédéraux, il y en a entre 5 et 10.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, chef Adams.

La sénatrice Beyak : Je me demande si vous pourriez faire parvenir à notre comité une liste des imams avec qui vous avez créé des liens, dans votre collectivité, pour ce projet.

M. Adams : Vous voulez savoir si j'ai cette liste?

La sénatrice Beyak : J'aimerais que vous la fassiez parvenir au comité, si vous pouvez l'obtenir.

M. Adams : Je ne voulais pas me substituer à mon aumônier. Imran Ali est l'un des aumôniers du Service de police régional de Peel. C'est lui qui a organisé cette rencontre. Je vais bien sûr lui demander cette liste et vous la faire parvenir.

La sénatrice Beyak : C'est très apprécié.

Le président : J'aimerais revenir sur la question qu'a posée, je crois, la sénatrice Stewart Olsen au sujet de l'article 83 du Code criminel du Canada. Cet article prévoit un certain nombre d'infractions énoncées très clairement. Il y est entre autres question de l'infraction consistant à quitter le pays aux fins d'activités terroristes, de l'engagement à ne pas troubler l'ordre public, et tous les articles que les organismes d'application de la loi peuvent utiliser pour effectuer leur travail, dont l'objectif ultime est de déposer des accusations, au besoin.

La question qui s'impose, et j'aimerais savoir ce que vous avez à dire à ce sujet... Je sais que vous travaillez à l'échelon municipal, mais il nous est difficile de comprendre, étant donné le nombre de dossiers dont on nous a parlé — c'est-à-dire essentiellement 170 ou 180 dossiers ou d'après ce qui a été dit aujourd'hui, peut-être 200 dossiers — qui concernent le terrorisme, sous une forme ou une autre, au Canada, pourquoi si peu d'accusations sont portées.

Est-ce que les normes de preuve sont si élevées qu'il est impossible de porter des accusations? C'est ce que les Canadiens veulent savoir. Ils ne comprennent pas vraiment pourquoi nous consacrons tant de ressources aux enquêtes et aux recherches, et le public est maintenant au courant du volume dont il est question. Pourtant, nous ne portons pas souvent d'accusations. Vous pourriez peut-être commenter la situation.

Je crois que je trouverais très frustrant, si j'appartenais à un service de police, d'avoir fait toutes les démarches nécessaires, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour constater qu'au bout du compte, aucune accusation n'est portée. Même si je travaille avec toute la diligence voulue.

M. Adams : Je ne crois pas que vous serez surpris d'apprendre qu'il s'agit d'un mandat fédéral. À titre de partenaire municipal, nous menons notre enquête, nous présentons un dossier bien documenté, nous travaillons avec nos partenaires et nous leur en laissons la responsabilité.

En ce qui concerne la loi et les raisons pour lesquelles des accusations ne sont pas toujours portées, je vous suggérerais d'interroger des représentants du système judiciaire, pas seulement des policiers.

Le sénateur White : Ne seriez-vous pas d'accord pour dire qu'un des buts, quand on parle de terrorisme — et je déteste parler de cela, c'est comme si c'était déjà une réalité —, consiste à démanteler les groupes terroristes, non pas seulement de porter des accusations? Il y aurait peut-être des histoires de réussite à glaner, dont vous n'avez jamais entendu parler.

M. Adams : C'est bien dit, et je suis tout à fait d'accord. C'est la vision de la vieille école, je suis désolé. On regarde toujours le résultat final. La perturbation joue un rôle majeur dans nos interventions, pas seulement pour ce qui est du terrorisme, mais aussi à l'égard de tous les autres éléments de notre travail. Je crois que c'est très bien dit.

Le sénateur White : Certains feraient valoir qu'en réalité, les Canadiens ne veulent pas voir plus de terroristes arrêtés; ils veulent voir moins d'actes de terrorisme commis.

M. Adams : Oui.

Le président : Néanmoins, si nous connaissons les chiffres et qu'ils sont connus du public, alors nous devons nous interroger — et c'est pourquoi nous tenons cette conversation nationale — sur le très faible nombre d'accusations portées... La question qu'il faut poser à des personnes comme vous, sénateur White, c'est pourquoi? Le seuil est-il trop élevé? Que se passe-t-il, exactement? Voilà ma question.

M. Adams : Une chose qu'il faut comprendre, c'est que tout le monde veut savoir quel est le chiffre et quel est le résultat. Encore une fois, lorsque vous prenez le temps de regarder ces enquêtes, vous les placez par ordre de priorité. J'imagine que les partenaires fédéraux ont un système dans le cadre duquel ils attribuent des cotes aux enquêtes pour savoir lesquelles seront poursuivies et lesquelles seront interrompues. J'ignore exactement quel était le modèle, comment on fixait les priorités ou comment on attribuait une cote pour dire : « nous avons 180 personnes ». Fonde-t- on cela sur les voyages? Fonde-t-on cela sur les croyances? Fonde-t-on cela sur de l'information provenant d'une source ou d'une autre?

Nous devons bien comprendre ou prendre garde avant de lancer des chiffres. J'ignore comment on est arrivé à ces chiffres. Encore une fois, je suis un partenaire policier, et nous siégeons à l'échelon de la direction pour les EISN et la Section provinciale de lutte contre le terrorisme. J'ignore comment ils ont déterminé ce chiffre qu'ils avancent. Chacun des cas nous a été présenté d'une autre manière.

Le sénateur Mitchell : Question de pousser cet échange plus loin et peut-être de compléter l'approche du sénateur White plutôt que celle de mon président, pourrait-on faire valoir que le fait d'identifier des gens — bien qu'il ne semble pas y avoir autant d'arrestations que ce que pourrait indiquer ce chiffre — témoigne justement du caractère délicat et du caractère préventif de votre intervention auprès de ces personnes qui évoluent vers une radicalisation? Cela pourrait en fait prouver à quel point la méthode fonctionne, le fait que vous les identifiez tôt. Vous les suivez tôt, vous les perturbez, puis, au bout du compte, aucune accusation n'est portée.

M. Adams : C'est certainement un facteur. Pour revenir aux commentaires du président, encore une fois, il faut comprendre le système judiciaire et le rôle que jouent les tribunaux à cet égard.

Tout ce que nous faisons, en tant que policiers, c'est de fournir la meilleure preuve possible. Nous la présentons aux tribunaux. Les tribunaux et les procureurs de la Couronne jouent aussi un rôle important pour ce qui est de déterminer si le dossier ira de l'avant et si des poursuites seront entamées. Nous ne contrôlons pas cet aspect. Notre travail se limite à mener l'enquête la plus rigoureuse possible. Cela comprend mes partenaires fédéraux et provinciaux. Présentez le dossier à un tribunal, et laissez-le décider si des accusations criminelles seront portées et si nous avons les éléments de preuve nécessaires pour le faire.

Sénateur Mitchell, je suis d'accord avec vous. C'est l'autre facteur. Effectivement, nous travaillons dur et rigoureusement. Le résultat final doit-il toujours être une accusation criminelle? Si c'était le cas, il serait fantastique que nous puissions le faire. Si ce n'est pas possible, pour être tout à fait honnête avec vous, la perturbation est la solution. Mais les tribunaux jouent autant un rôle que nous à ce chapitre, et j'ignore s'ils vont venir témoigner ici ou non. Leur rôle est aussi important que celui des services de police.

La sénatrice Beyak : J'ai déjà posé la question au Service de police de la Ville de Montréal, mais à la lumière de votre vaste expérience et de votre longue carrière dans un secteur très diversifié, comme la région de Peel, comment vous assurez-vous d'éviter toute infiltration durant votre processus d'embauche?

J'étudie le terrorisme depuis 2008. J'ai lu de l'information des quatre coins du monde sur la façon dont différentes choses ont été gérées.

J'ai lu un ouvrage d'Erick Stakelbeck intitulé The Terrorist Next Door, qui portait sur l'infiltration de notre société au complet. Il appelait cela le djihad furtif.

Mais, celui que j'ai trouvé le plus inquiétant était intitulé The Management of Savagery : The Most Critical Stage Through Which the Ummah Will Pass, dont l'auteur est un stratège d'Al-Qaïda, Abu Bakr Naji, traduit de l'arabe par William McCants, boursier au Combating Terrorism Center à West Point.

Dans son livre, l'islamiste a fait remarquer qu'il est essentiel d'infiltrer les adversaires et leurs compagnons de route et d'établir un système de sécurité solide plus favorable à la sécurité du mouvement islamique révolutionnaire maintenant et, plus tard, de l'État islamique. « Nous devrions infiltrer les corps policiers, les armées, les divers partis politiques, les journaux, les groupes islamiques, les sociétés pétrolières — en tant qu'employés ou qu'ingénieurs —, les entreprises de sécurité privées, les institutions civiles sensibles, et ainsi de suite. En fait, cela a commencé, il y a plusieurs dizaines d'années, mais nous devons accroître cette infiltration à la lumière des événements récents. »

Ces gens disent qu'ils infiltrent nos forces de l'ordre et nos armées. Je me demandais seulement, vu votre vaste expérience, ce que vous aviez remarqué.

M. Adams : J'ai remarqué que nos systèmes étaient très rigoureux, en ce qui concerne la recherche au sujet de nos agents. Je ne pourrais pas me prononcer au nom des forces armées, mais j'ai passé plusieurs années à collaborer avec elles, et leurs systèmes sont semblables aux nôtres. Il s'agit d'un processus très rigoureux.

Au fil du temps, à un moment donné, on s'attendrait à voir une sorte d'effet ou de processus naître au sein de l'organisation, pour modifier son fonctionnement. Cela ne s'est jamais produit au sein de mon organisation.

Comme vous, j'essaie de bien me tenir au courant de ce que font nos partenaires policiers. Je ne peux penser à aucune situation où cela se produit dans notre domaine. Je crois que nous avons vu au Canada plusieurs personnes accusées d'espionnage, mais pas au sein des services de police professionnels. Je ne pourrais me prononcer pour les forces armées, mais je parlerai au nom des services de police.

Vous devez faire confiance à nos systèmes. Encore une fois, nous sommes conscients de cela. Il faut, de temps à autre, être sur ses gardes, car aucun système n'est impénétrable. Mais il faut continuer à faire preuve de rigueur et s'assurer de faire diligence raisonnable lorsqu'on examine son propre personnel.

Le président : Y a-t-il d'autres questions? J'aimerais remercier le chef adjoint Brian Adams. Encore une fois, félicitations pour votre promotion.

M. Adams : Merci beaucoup, sénateur.

Le président : Vous avez certainement beaucoup éclairé les travaux du comité ici aujourd'hui. J'ai l'impression que vous tenez la situation bien en main dans la région de Peel, jusqu'à un certain point. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir témoigné aujourd'hui.

Pour notre dernier groupe de témoins de la journée, dans le cadre de notre étude sur les menaces terroristes à la sécurité du Canada et des Canadiens, nous accueillons Michelle Walrond. Mme Walrond enseigne l'anglais, milite contre la pauvreté au sein d'ACORN, et est l'une des fondatrices de la National Islamic Sisters' Association of Canada.

Mme Walrond a attiré notre attention la semaine dernière lorsqu'elle a soulevé des préoccupations relativement à la radicalisation de son fils à Ottawa, problème auquel elle est confrontée depuis plus de 20 ans.

Madame Walrond, nous comprenons votre préoccupation à titre de mère et de Canadienne à l'égard de ce qui se produit, pas seulement chez votre fils, mais aussi chez d'autres Canadiens. Je tiens à vous féliciter de mettre la question de l'avant et j'espère que, d'une façon ou d'une autre, à titre de parlementaires, nous pourrons comprendre la radicalisation de votre fils et aider des mères comme vous en nous assurant qu'aucune mère n'ait jamais à traverser la même épreuve que vous.

Encore une fois, merci d'avoir accepté l'invitation du comité. Nous avons hâte d'entendre votre témoignage. Je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire et que des copies sont seulement disponibles en anglais. Les membres du comité acceptent-ils qu'on les distribue? D'accord.

Madame Walrond, veuillez commencer.

Michelle Walrond, mère d'un homme radicalisé, à titre individuel : Merci, sénateur Lang, de me donner l'occasion de m'adresser à cette assemblée distinguée. J'espère que vous ne regretterez pas de m'avoir demandé de vous faire bénéficier de mon point de vue et de mon expérience, car j'attends cela depuis longtemps. Je dénonce le culte wahhabite depuis près de 20 ans.

Comme je ne connais personne d'autre à Ottawa qui est né et a grandi dans le noyau central de Philadelphie, dont la grand-mère était militante sociale, dont le père, le frère et le fils aîné ont été soldats dans l'Armée américaine et qui a vécu une conversion à l'islam avant que le wahhabisme devienne une influence dominante dans le monde musulman, puis, 27 ans plus tard, a entendu son fils exprimer des idées qui, je le sais bien, sont seulement un stratagème du gouvernement saoudien, j'estime posséder un point de vue unique sur les enjeux, les caractéristiques et les causes de la radicalisation islamiste et la façon de la combattre.

En outre, quiconque me connaît vous dira que je suis une véritable machine à idées. J'essaie constamment de trouver des solutions plutôt que de m'attacher aux problèmes, alors j'aimerais prendre quelques minutes pour ouvrir la discussion sur les mesures qui peuvent et qui devraient être prises, selon moi.

Le wahhabisme, aussi appelé salafisme, dont les adeptes peuvent se qualifier d'ahl al-hadith, d'ahl al-sunnah ou de zahiriste, repose sur l'idéologie même qui est à la base des monstres incontrôlables que sont l'État islamique, Al-Qaïda, al-Chabaab et Boko Haram. Il ne s'agit peut-être pas de la seule influence ultraconservatrice qui existe parmi les musulmans, mais, vu les milliards de dollars qu'injecte l'Arabie saoudite pour alimenter sa machine à propagande politique, il s'agit du courant le plus prolifique et omniprésent. Et c'est l'idéologie qui a été inculquée à mon fils, ici à Ottawa.

Au cœur des préceptes salafistes est le rejet de l'enseignement traditionnel, c'est-à-dire la doctrine collective mise au point par un corps de théologiens compétents possédant des capacités intellectuelles supérieures à la moyenne et ayant atteint des degrés de scolarité avancés. Le conservatisme peut être associé à une extrémité du spectre de l'enseignement traditionnel, mais un érudit doit faire face à un ensemble de freins et contrepoids et n'a jamais le droit de manquer de respect à l'égard d'un autre érudit ni de le discréditer.

Au cours des 14 derniers siècles, les érudits traditionnels d'avant le wahhabisme considéraient les divergences d'opinions comme une bénédiction, car ils permettent à la collectivité d'accéder à toute une gamme d'approches judicieuses et bien éclairées, fondées sur des croyances fondamentales communes et une grande maturité intellectuelle.

On ne saurait proposer une méthode de déradicalisation sans d'abord analyser la divergence des valeurs du wahhabisme par rapport à celles de l'islam traditionnel et du Canada. Nombre de nos jeunes hommes sont mal informés, insécures sur le plan social et fragiles sur le plan affectif. Si on inculque à 100 jeunes hommes l'idéologie wahhabite, que l'on combine cela à une bonne dose de désinformation et qu'on leur procure un sentiment de camaraderie, afin d'exploiter leurs émotions, lorsqu'ils arrivent à la trentaine, 80 d'entre eux seront devenus ultraconservateurs et adopteront une approche dogmatique et littérale à tous les aspects de la vie; 10 d'entre eux auront atteint un tel état de confusion ou de dégoût qu'ils rejetteront la religion en bloc; 7 d'entre eux militeront pour l'extrémisme violent en théorie ou le soutiendront, comme l'a fait mon fils; 2 d'entre eux deviendront violents et maltraiteront leur famille dans une tentative de mettre en œuvre leurs politiques religieuses à la maison; et un deviendra un radical violent potentiellement dangereux.

Mon fils est âgé de presque 40 ans. La seule façon d'offrir à un wahhabite plus âgé un moyen honorable de renoncer à sa position est de l'amener à le faire de son propre chef.

Le président : Madame Walrond, pourrais-je vous demander de parler un peu plus lentement? Vous faites très bien cela. Nous avons amplement de temps. C'est pour les interprètes.

Mme Walrond : D'accord, merci. J'essayais de me limiter à sept minutes.

Le président : Ne vous en faites pas pour cela. La parole est à vous.

Mme Walrond : La seule façon d'offrir à un wahhabite plus âgé un moyen honorable de renoncer à sa position est de l'amener à le faire de son propre chef. J'ai lu que certains pays, aux prises avec des problèmes beaucoup plus complexes et répandus, avaient réussi à déradicaliser certaines personnes en les engageant dans un débat. Ce débat, selon moi, devrait exiger de tous les participants qu'ils prennent connaissance du point de vue de leur adversaire, peut-être même qu'ils se soumettent à un examen administré par leur adversaire avant le débat, et qu'ils souscrivent à la condition de renoncer honorablement à leur position s'ils ne réussissent pas à la défendre à l'aide du Coran et des hadiths. Cela exige de la personne qui possède des opinions radicales qu'elle étudie et réfléchisse rationnellement. Si elle est incapable ou refuse de s'attacher aux faits ou de raisonner logiquement, eh bien, il serait possible de tirer une conclusion sur sa santé mentale.

L'idéologie radicale extrême pouvant mener une personne à l'extrémisme violent est une manifestation de l'ignorance. Le salafisme est l'un des intermédiaires par lesquels l'ignorance est diffusée. L'ignorance de l'histoire, la jurisprudence religieuse et de la politique moderne alimentent cet intermédiaire. L'ignorance est comme une maladie infectieuse. Il faut prendre des mesures énergiques pour l'anéantir. J'ai des idées pour aider à cette procédure d'anéantissement.

J'ai cinq propositions pour éradiquer l'ignorance et sa conséquence, l'extrémisme religieux violent. Je vais seulement énumérer les rubriques, sous lesquelles j'ai fourni des explications dans le document que vous avez devant vous. Je propose ces idées sans égard à leur faisabilité. Ça, c'est votre travail. J'espère qu'elles inspireront un dialogue, et je suis prête à répondre aux questions les concernant.

Premièrement : créer une certification ou une norme d'accréditation pour les membres du clergé et les chefs religieux au Canada.

Deuxièmement : créer un conseil scolaire religieux.

Troisièmement : obliger tous les chefs religieux canadiens à obtenir une accréditation ou une certification et les rendre juridiquement responsables des conséquences de leurs enseignements.

Quatrièmement : cesser d'accorder des exonérations fiscales pour des projets de construction.

Cinquièmement : accorder une aide gouvernementale à l'entreprise sociale pour les institutions religieuses et les organismes sans but lucratif et exempter d'impôts et de toute disposition de récupération le revenu des entrepreneurs sociaux et la rémunération des bénévoles.

Les mesures que je propose aideraient à désambiguïser les pratiques et idéologies religieuses qui sont incompatibles avec les valeurs canadiennes pour les générations actuelles et futures, à savoir les croyances et les pratiques qui causent un préjudice à autrui et compromettent la capacité d'intégrer des influences étrangères aux institutions canadiennes et découragent le processus. L'éradication de l'ignorance, ce qui signifie éradiquer l'influence de mouvements radicaux provenant de l'étranger, est la seule façon de se protéger véritablement de l'extrémisme. Cela tuerait les idées radicales dans l'œuf, avant qu'elles puissent prendre racine ici au Canada.

Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Walrond. Nous vous sommes reconnaissants d'être venue et d'avoir présenté une série de recommandations. Nous allons commencer par notre vice-président, le sénateur Mitchell.

Le sénateur Mitchell : Merci, madame Walrond. Votre mémoire était très bien écrit et très bien présenté.

Ma première question se rattache aux statistiques que vous avez utilisées au début de la deuxième page, les 100 personnes. Pouvez-vous me dire d'où vous tenez ces statistiques? Sont-elles fondées sur des études, ou reflètent-elles votre expérience personnelle?

Mme Walrond : Elles sont fondées sur mon observation de beaucoup de personnes sur un grand nombre d'années.

Le sénateur Mitchell : Dans le cas de votre fils et de sa progression, étiez-vous en mesure de voir le phénomène se produire lorsqu'il était jeune? Il était jeune il y a longtemps — et les choses ont peut-être changé —, mais connaissez- vous des endroits où pourrait aller une personne qui voit son enfant se radicaliser, connaissez-vous une source qu'elle pourrait consulter? On me dit qu'il existe aux États-Unis un mouvement qui permet aux parents de téléphoner à un numéro sans frais et d'obtenir de l'aide lorsqu'ils constatent que leur enfant semble emprunter le mauvais chemin.

Mme Walrond : Je n'ai jamais constaté que mon fils avait un problème lorsqu'il était jeune. Ma situation diffère de celle de nombre de musulmans, car j'ai immigré au Canada, mais je vivais déjà en Amérique du Nord. Mes enfants ont été élevés en Amérique du Nord, dans la culture nord-américaine. Je suis la première à me convertir à l'islam dans ma famille. Le reste de ma famille est chrétienne. Mon fils a grandi dans un environnement multiculturel, multiconfessionnel et à perspectives multiples. Il a toujours été un bon garçon, très obéissant. La différence s'est manifestée lorsqu'il a déménagé à Ottawa; il a quitté la maison et s'est retrouvé seul à l'âge de 18 ans. Je crois qu'il voulait enseigner à sa femme à être musulmane. Ils étaient mariés depuis deux ans lorsqu'elle s'est convertie. J'ignore exactement comment il a rencontré ces musulmans particuliers ici à Ottawa, mais, essentiellement, ils se sont liés d'amitié avec lui. Il était comme une sorte de vedette dans les années 1990. Un Noir américain à Ottawa, c'était quelque chose.

Les années 1990 étaient une autre époque. Après le 11 septembre, la plupart des salafistes extrêmes qui véhiculaient des idées très dures et dogmatiques... Je ne veux pas confondre les termes « radicalisme » et « extrémisme », car le radicalisme s'applique simplement aux idées sur un sujet donné. L'extrémisme se rattache davantage aux opinions radicales et à des actes potentiels. L'extrémisme était plus ouvertement adopté à l'époque; aujourd'hui, si un jeune veut trouver ce genre de discours, il doit aller sur Internet. Personne ne prêche cela aujourd'hui dans sa mosquée, y compris les gens qui le faisaient il y a 20 ans.

La façon de le déceler consisterait à suivre l'historique de navigation du jeune sur Internet. Il apprend les mots-codes sur Internet, alors, lorsqu'il va à la mosquée et parle aux gens qui partagent ces idées, il s'en rend compte. Il connaît les mots-codes, alors il n'a pas besoin de dire quoi que ce soit. Le jeune prend cela sur lui et chemine de façon individuelle.

Le sénateur Mitchell : Les gens de la congrégation comme vous ne sauront-ils pas identifier les personnes qui utilisent ces mots-codes et ne les dénonceront-ils pas à la police?

Mme Walrond : J'aimerais insister aujourd'hui sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un ensemble de mots ou de concepts particuliers. Le problème tient à l'emprise du wahhabisme sur le dialogue et le discours relatifs à l'islam partout dans le monde; et, si ces idées sont semées, comme je l'ai dit, j'ai vu le salafisme et l'extrémisme gagner du terrain et en perdre au cours des années, mais ces idées sont semées. Si une personne a la bonne combinaison d'instabilité affective et sociale et d'absence d'opinion relative aux événements dans le monde, elle est susceptible d'être attirée par cet extrémisme et de se tourner vers la violence à ce chapitre.

Je voulais insister sur le fait que le salafisme est une idéologie relativement nouvelle dans l'islam. Les Saoudiens ne sont pas un peuple très ancien, mais la plupart des immigrants venaient de pays qui sortaient à peine de régimes colonialistes et despotiques lorsqu'ils sont arrivés en Amérique du Nord, et ils n'avaient pas d'autres informations que celles produites par les salafistes.

Nombre de musulmans, tout comme nombre de personnes en général, ignorent que ce qui est aujourd'hui considéré comme l'islam traditionnel est marqué et influencé par le wahhabisme dans une telle mesure qu'on ne saurait même plus y démêler ce courant; c'est très difficile. C'est le message que je veux vous transmettre aujourd'hui. La démarche que j'aurais choisie au moment où mon fils s'est heurté à ce phénomène n'est pas la même que celle que vous devez préconiser maintenant. Le monde a changé.

Le sénateur Mitchell : Quelle démarche préconiseriez-vous maintenant?

Mme Walrond : Comme je l'ai dit, la priorité est d'éradiquer l'ignorance, si vous permettez que je revienne sur les cinq idées que j'ai présentées. Par exemple, ma première idée était de créer une certification ou une norme d'accréditation pour les membres du clergé et les chefs religieux au Canada.

Actuellement, dans la communauté musulmane canadienne, n'importe quel groupe d'hommes peut embaucher un homme et lui attribuer la description de tâches suivante : « Votre rémunération ressemblera au salaire minimum, vous mènerez les prières et ferez ce que nous voulons, comme nous le voulons. Votre titre est imam. » Or, traditionnellement, dans l'islam, cette personne n'a pas plus le droit de se faire appeler « imam » qu'un chrétien qui ferait un travail semblable aurait le droit d'être appelé « archevêque ».

Les qualifications que devraient posséder les chefs et les enseignants religieux et les membres du clergé ainsi que les ministres du culte accrédités ou certifiés au Canada seraient établies par un programme universitaire mis au point par des théologiens qui possèdent une connaissance avérée de la doctrine, de la philosophie, de l'histoire, des cultures, des lois et des langues de toutes les grandes religions — le judaïsme, le christianisme, l'islam, le bouddhisme et l'hindouisme — ainsi que des similitudes et des différences relatives aux croyances d'au moins cinq branches de chaque religion en plus de l'athéisme et de l'agnosticisme.

Les titulaires de la certification seraient tenus de suivre des cours de psychologie qui permettent d'acquérir au moins une connaissance de base de la façon de détecter les maladies mentales et de venir en aide aux populations vulnérables au Canada. Le principal avantage — relativement à notre discussion d'aujourd'hui — est que cela permettrait d'éradiquer l'ignorance religieuse, qui est la cause première du radicalisme et de l'extrémisme religieux, d'éliminer la confusion chez les musulmans canadiens quant aux qualifications de chefs religieux arrivent de l'Arabie saoudite et de neutraliser l'influence des personnes qui dépensent des sommes astronomiques pour promouvoir leur programme religieux.

Voilà le problème. Les gens se disent : « Oh, c'est un imam. Quoi qu'il dise, il a l'autorité pour le dire. » En fait, ce n'est pas le cas. J'utilise les termes « salafisme » et « wahhabisme » par opposition à l'islam traditionnel.

Le sénateur Mitchell : Vous ne parlez pas de tous les imams.

Mme Walrond : Non, je ne parle pas de tous les imams. Je ne parle pas de tous les musulmans. Je parle du fait que, ici au Canada, n'importe qui peut se proclamer imam, et la personne qui paie l'imam est celle qui verra son programme promu. Qui a l'argent pour payer un imam? J'aimerais avoir un différent imam, mais je n'ai pas les moyens de le payer et de lui faire promouvoir mes idées et mes croyances, qui correspondent à l'islam traditionnel modéré.

Pour comprendre l'islam et Dieu, on dit que nous devons parfaire nos connaissances. Nous devons accroître et élargir nos connaissances. Au départ, l'islam promeut l'ouverture d'esprit, et les gens sont censés avoir une perspective marquée par la maturité intellectuelle. Ce n'est pas cela qui est mis de l'avant. Voilà le problème. Un musulman éclairé ne saurait devenir extrémiste.

Le sénateur Mitchell : Croyez-vous que les femmes devraient pouvoir être imams?

Mme Walrond : Des femmes ont été imams dans l'islam traditionnel. Je ne voudrais pas être imam, car je ne cherche pas à diriger. Mais il y a eu des femmes imams, qui sont respectées et honorées parce qu'elles ont grandement contribué à notre histoire, mais je ne saurais imaginer une femme imam salafiste.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci d'être venue essayer de nous aider à comprendre cette question très difficile relativement à la radicalisation des jeunes, à laquelle nous sommes tous confrontés aujourd'hui, et que nous tentons de bien comprendre. Vous nous dites que les choses sont différentes maintenant. Vous avez mentionné que votre fils avait été radicalisé. Croyez-vous que le même phénomène se produit aujourd'hui? Vous avez mentionné que le monde avait changé. Les médias sociaux jouent probablement un rôle plus important, mais il y a encore des gens qui travaillent à ce chapitre. Pourriez-vous nous en parler?

Mme Walrond : Prenons, par exemple, le cas où je me rends à une mosquée particulière... Peut-être pas une mosquée, aujourd'hui. Vous voyez, il y a une époque où une femme vêtue même de beige ou d'une couleur vive pouvait entrer dans une mosquée, et des gens lui disaient : « Vous savez, vous portez des couleurs trop vives et vous ne devriez pas faire irruption ici comme ça. » Elle est voilée, mais elle porte une couleur vive. C'est arrivé à quelqu'un que je connais. Elle portait du beige. Il ne s'agit pas nécessairement de l'imam, mais elle ne peut pas aller voir l'imam pour lui dire : « Savez-vous ce que m'ont dit ces personnes? » Parce que cette personne a l'image d'un musulman pieux, il porte la barbe et des pantalons roulés — ce qui est une autre histoire — et il parle arabe, alors les gens croient qu'il est religieux et que, s'il dit quelque chose, il faut le faire.

L'image n'a en fait rien à voir avec l'islam, mais les gens accordent la priorité aux aspects externes et superficiels de la religion, simplement parce que ces choses sont assimilées aux valeurs islamiques, et il faut entrer dans le moule. Alors, si la personne dans mon exemple rentrait chez elle et se changeait, cela dirait alors aux gens qu'elle est prête à les écouter. La prochaine étape serait de lui dire : « Il est bien, chère sœur, d'avoir fait ce qu'on vous a dit. Vous êtes une bonne musulmane. » On se sent important. Personne ne vous dit que vous allez assurément au paradis parce qu'on vous approuve.

Cette approche ne fonctionnerait pas avec une personne comme moi et la plupart des musulmans canadiens. « Hors de mon chemin, je n'ai que faire de vos directives. » Mais la personne qui se laisserait atteindre — et cela revient aux 100 personnes dont je parlais — va maintenant porter du noir, du brun ou des couleurs foncées en tout temps, et elle voudra s'identifier à ce courant parce qu'elle est dans cet état d'esprit.

Encore une fois, de ces 100 personnes, j'ai déjà mentionné qu'il y en a qui dirait : « À d'autres, fichez-moi la paix, vous ne savez pas ce que vous dites. » Ensuite, il y a encore quelques personnes qui seront attirées par la doctrine qui revêt des aspects politiques.

Une fois qu'on vous attire vers le côté politique, à condition que vous n'en sachiez pas trop, on commencera à exploiter vos émotions. « Regardez ce qui se produit en Syrie. » Personne ne dit jamais : « Regardez ce qui se produit en Arabie saoudite. » Chaque jour, une personne est décapitée ou on lui ampute une main, une jambe ou je ne sais quoi ou elle est jetée en prison pour s'être exprimée. Personne ne mentionne cela, surtout à la mosquée.

Les gens diront : « Regardez ce qui se produit en Syrie. » « Regardez ce qu'a fait Assad. » « Regardez ce qu'a fait Kadhafi. » « Regardez ce qu'a fait Saddam Hussein. » Mais on ne parle jamais des gens du groupe saoudien.

On vous désinforme ou on vous présente une vision tordue du monde, et, à partir de là, on exploite vos émotions. Une fois que vous êtes victime de l'influence affective, la pensée rationnelle n'est plus possible. C'est là que réside le danger. Et cela va plus loin.

Lorsque la personne est engagée dans cette voie et que ces gens la manipulent ainsi, personne d'autre n'est là, et la capacité de la communauté musulmane... Il n'y a personne. Ces personnes n'ont pas de voix, elles n'ont pas la réputation d'exprimer leur désaccord ou de dénoncer ces choses. Il en est ainsi pour de nombreuses raisons.

L'une des raisons peut être que la personne a peur des répercussions sur sa famille dans son pays d'origine ou qu'elle ne se considère pas comme une personne religieuse. « Je ne porte pas le hidjab, j'écoute de la musique et je passe du temps avec mes amis au travail. Je ne suis pas très religieuse, alors je ne peux pas m'engager ici. » Ces gens croient que c'est la religion islamique. Nous luttons contre un réseau d'illusions instauré avec beaucoup d'habileté.

La raison pour laquelle j'essaie de dénoncer ce phénomène est que, premièrement, on ne peut rien me faire. On peut me tuer, j'imagine, mais je suis une combattante de rue. Si vous voulez me tuer, vous devez le faire devant tout le monde.

Deuxièmement, on ne peut toucher à ma famille, car c'est déjà fait. On ne peut me prendre de l'argent ou contrevenir à mes intérêts d'affaires. Cela a aussi déjà été fait. On ne peut rien me faire. Tout le monde a une raison de ne pas pouvoir dire clairement que ce sont les gens qui font cela. C'est pourquoi c'est moi qui dénonce. Je profite d'un grand soutien dans la communauté. Beaucoup de gens m'applaudissent.

Une dame m'a appelée plus tôt et a dit : « Je veux vous aider. Je veux prendre part à ce que vous faites. » J'ai dit : « Écoutez, vous aurez à faire face à certaines répercussions. » La plupart du temps, quand une femme m'aborde de cette manière, son mari a peur pour elle. Il veut la protéger. « Tout va bien. Restez tranquille. Tout ira bien. Vous ne pouvez simplement pas y prendre part. Nous ne pointerons personne du doigt et nous ne dirons rien. »

Je veux répéter que beaucoup de gens... En raison de la situation actuelle qui règne dans le monde, les Saoudiens ont rempli de connaissances religieuses le vide qui existait après le colonialisme, au moment où les nouveaux régimes sont apparus dans le monde musulman. Ils ont pris le pouvoir et détourné la religion à ce moment-là. Beaucoup de gens l'ignorent, même les gens qui nous écouteront ne sauront pas de quoi je parle quand je dis l'islam « traditionnel ».

C'est pourquoi je dis que nous souhaitons entamer un dialogue. Pour l'instant, ce n'est pas une question que l'on peut traiter. J'espère pouvoir ouvrir certaines portes afin que vous puissiez voir la situation d'un œil différent dorénavant.

Quelque chose est arrivé aujourd'hui. Mon principal enseignant ici à Ottawa est un jeune homme appelé Mohamad Jebara. Un de ses étudiants lui a posé une question par courriel sur le concept de l'amour de Dieu. Il lui a répondu, mais a expliqué pourquoi il y a autant de confusion entourant ce concept. Il était question de deux personnages historiques ayant un nom semblable et des livres qu'ils ont écrits. Les enseignants du wahhabisme utiliseront le nom traditionnel de la personne et feront croire aux gens que cette personne est la même qui dit qu'on ne peut rien aimer de la création, car cela reviendrait à du polythéisme et de l'idolâtrie. On ne peut aimer que Dieu.

Vous voyez comment cette idée est subtile. Tout d'abord, ils imputent le concept à quelqu'un qui est universellement reconnu dans l'islam comme une personne fiable et respectable. En même temps, ils modifient le concept pour qu'il ressemble — il faut du temps avant d'en arriver à cet extrême, mais cela pourrait arriver — cette cruauté et cette violence ne devraient pas m'affecter, car je ne ressens aucun amour pour la création. Quand ils détruisent les sites historiques, ce qu'ils font, ou tuent des universitaires à l'étranger et brûlent des bibliothèques, ils s'en tirent, en quelque sorte. Le monde musulman les regarde aller et trouve que quelque chose cloche. Ils idolâtraient ces universitaires. Ils leur baisaient la main et les vénéraient. C'est une forme d'idolâtrie.

Vous voyez comment une petite exagération ou manipulation subtile de l'information peut créer une tendance si tous les bons éléments sont en place. L'enfant musulman moyen est comme tout enfant. Cependant, beaucoup de nos enfants cherchent des réponses, veulent comprendre et accepter et peuvent facilement être manipulés par l'information à sens unique qu'ils reçoivent sur les événements mondiaux. C'est ce que nous devons surveiller.

Nous pouvons offrir à nos enfants les bonnes connaissances et les moyens nécessaires pour qu'ils puissent acquérir des connaissances, mais comment savoir ce que les autres disent? Qu'est-ce que les musulmans traditionnels disent, les gens qui suivent les mazhabs? Un mazhab est une école de pensée fondée par des intellectuels, qui se compare au bagage que devrait posséder un chef religieux certifié au Canada. Ça semble impressionnant, n'est-ce pas? Mais c'est le bagage qu'un imam est censé avoir, et bien plus.

Si votre fils ou votre fille s'adressait à une telle personne, celle-ci commencerait par l'encourager, uniquement en raison des nombreuses connaissances qu'elle a acquises, à se renseigner et à garder l'esprit ouvert. Si vous prenez quelqu'un qui vient de fréquenter une école en place depuis 35 ans en Arabie saoudite par opposition à une personne fréquentant al-Azhar, une école fondée il y a 900 ans, ou al-Quaraouiyyine, la plus vieille université au monde, et que vous présentez cette comparaison à un enfant en lui disant que c'est tout ce qu'il a besoin de savoir et qu'il l'accepte, qu'est-ce qu'il vous reste? Qu'est-ce que vous pouvez espérer?

La sénatrice Stewart Olsen : Je parlerai au deuxième tour pour donner la chance à quelqu'un d'autre.

Le président : Il faudrait que les réponses soient un peu plus claires afin que nous puissions entendre tout le monde. Vous faites bien ça.

Mme Walrond : Vous n'avez qu'à me le dire, j'aurais pu finir il y a longtemps.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai compris que vous reprochez aux wahhabites canadiens, financés par l'Arabie saoudite, d'avoir détourné votre fils de l'islam modéré dans lequel il a été élevé. Dans votre lettre d'opinion, vous dites que ce financement vise à influencer la nature de ce qui est enseigné dans les mosquées et les écoles à charte du Canada, ce qui donne des résultats variables.

Pouvez-vous nous expliquer ce que vous savez de la façon dont ces fonds se rendent aux institutions islamiques du Canada?

[Traduction]

Mme Walrond : Tout d'abord, je n'ai pas parlé des écoles à charte ou des écoles coraniques au Canada en particulier. Je ne peux pas vraiment en parler, car je ne sais pas grand-chose à leur sujet. Mes petits-enfants les ont fréquentées, mais ils vont maintenant à l'école publique.

Ce que j'ai dit, c'est qu'elles sont en mesure de faire d'énormes dons à Wikipédia, par exemple, qui repose sur les dons et qui est le site web que les gens consultent pour obtenir n'importe quel renseignement sur Internet, ou qu'elles détiennent des actions de Google, entre autres. Leur argent peut faire bouger les choses, et elles en ont beaucoup.

Je ne suggère pas d'essayer de les concurrencer; il faut simplement savoir que l'argent a une incidence sur ce que les gens apprennent au sujet de l'islam, et je veux donc que le gouvernement du Canada et les Canadiens soutiennent ceux d'entre nous qui souhaitent offrir une solution de rechange. Je suis totalement convaincue que, s'il y a une autre option, ayant une position semblable ou équivalente, les gens seront naturellement portés à la choisir et ils auront le courage de résister à toute influence ou intimidation qu'ils subissent ou qui, selon leur instinct, n'est pas dans leur intérêt supérieur ou dans l'intérêt supérieur du Canada. Je crois qu'il s'agit simplement d'une réponse naturelle lorsqu'on a accès à d'autres renseignements plus exacts sur l'islam.

[Français]

Le sénateur Dagenais : On a appris ce matin, dans les journaux de la région de Montréal, que des sommes considérables d'argent comptant sont recueillies à l'intérieur de certaines mosquées. Ces sommes seraient envoyées dans certains pays du Moyen-Orient, entre autres, pour soutenir le Hamas. Êtes-vous au courant de ce fait?

[Traduction]

Mme Walrond : Non, je ne suis pas au courant. Je ne sais rien de la situation dans les mosquées à l'heure actuelle. Je suis une femme; je ne suis pas particulièrement intéressée par les mosquées. Nous discutons beaucoup dans la communauté musulmane de la question de savoir si les femmes se sentent les bienvenues ou non dans les mosquées. Je ne vois tout simplement pas d'avantages à y aller, alors je n'y vais pas.

Cependant, en ce qui concerne la gestion du financement, à Ottawa, la plupart des communautés que je connais font extrêmement attention de ne pas envoyer d'argent à l'extérieur du Canada, même celles que mon fils a fréquentées, pour autant que je le sache. Toutefois, pour ce qui est des fonds reçus, que les communautés pourraient utiliser pour consolider leur image en tant que norme commune des musulmans au Canada, c'est une tout autre histoire.

Je ne dis pas que je sais ou que je dispose de connaissances ou de recherches vérifiables, mais j'ai observé que... Vous pouvez simplement consulter le site web de l'ARC pour voir la proportion des fonds ou les montants reçus de l'étranger. Selon mes observations, il y a une corrélation numérique entre le montant reçu de l'étranger et la mesure dans laquelle on promeut le wahhabisme.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup. Je me demande si vous pouvez nous aider un peu. Nous avons entendu des témoignages contradictoires sur la façon dont les responsables des programmes de sensibilisation dans les collectivités s'adressent aux jeunes et les aident. Ces programmes n'ont pas semblé aider votre fils. D'autres personnes nous disent que nous nous faisons duper; les programmes de sensibilisation ne sont pas du tout efficaces et ne correspondent pas aux croyances des musulmans qui viennent au Canada pour avoir une meilleure vie.

Qu'est-ce qui aurait pu aider votre fils et qui pourrait aider d'autres jeunes?

Mme Walrond : Comme je l'ai mentionné, la situation de mon fils était très différente, car il est issu d'une famille musulmane américaine. Les programmes de sensibilisation que je connais sont gérés par des immigrants musulmans, habituellement des gens de mon âge ou en âge d'être grands-parents, car les parents travaillent pour subvenir aux besoins de leur famille; les programmes sont donc exécutés par des gens âgés. Il y a une grande divergence entre leur point de vue, leur expérience et leur identité en tant que musulmans canadiens et ceux des enfants musulmans de première et de deuxième générations nés au Canada.

Je ne sais pas si les programmes de sensibilisation abordent réellement les programmes importants. Je suis contente qu'ils existent, mais je ne sais pas s'ils peuvent offrir l'autre solution dont je parle qui pourrait prémunir les enfants contre l'influence potentielle du radicalisme et les en écarter, mais, personnellement, je ne le crois pas.

La sénatrice Beyak : Que pensez-vous des gens qui conseillent votre fils? Comment se fait-il qu'il n'y ait pas de telles personnes dans la collectivité? De toute évidence, ils ne l'aidaient pas.

Mme Walrond : Évidemment, c'était un jeune adulte âgé de 20 ans à l'époque et il a une certaine responsabilité à l'égard des décisions qu'il a prises. Si nous voulons rendre les personnes qui promeuvent cet enseignement entièrement responsables, je ne crois pas qu'il y aurait un problème. C'est pourquoi j'ai suggéré qu'on les oblige à obtenir une certification.

Quand j'ai parlé d'imposer aux chefs religieux canadiens l'obligation d'obtenir une accréditation et une certification et de les rendre légalement responsables de leur enseignement... J'ai enseigné des techniques médicales d'urgence pendant environ 15 ans au grand public et à des professionnels de la santé. On s'attendait à ce que j'aie une assurance contre la faute professionnelle d'au moins 1 million de dollars au cas où quelqu'un mourrait ou serait blessé si les techniques que j'enseignais étaient mal appliquées. Il est donc évident que je crois que la foi repose sur un ensemble de compétences quantifiables, comme lorsqu'on cuisine. Chaque personne ou groupe qui souhaite transmettre cette compétence doit savoir quels ingrédients sont toxiques et être responsable s'il les utilise de façon insouciante ou les administre à une personne qui pourrait y être hypersensible.

Ils ne pourraient agir dans l'environnement actuel comme ils l'ont fait par le passé, mais ils pourraient tout de même causer autant de tort, car, peu importe ce qu'ils enseignent, les enfants iront chercher des renseignements supplémentaires sur Internet. S'il n'y a pas d'autre option, quand ils effectuent une recherche sur la « Syrie » dans Google, si toute l'information qu'ils reçoivent a trait à l'EI et à l'EIIL et que personne ne peut suggérer qu'il ne s'agit peut-être pas d'un djihad, que rien dans l'islam ne nous permet en tant que musulmans d'imposer la sharia à quiconque, même à d'autres musulmans, le concept général qui sert de fondement ne correspond pas du tout à l'islam. Ils ne trouveront pas ces renseignements. Ils ne trouveront rien.

La plupart des sites web musulmans qui enseignent l'autre option doivent avoir un nom qui ne sera pas considéré comme islamique par les moteurs de recherche, car nos sites web font constamment l'objet de sabotage et de piratage. C'est ce à quoi nous sommes confrontés.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.

Le sénateur Day : Merci beaucoup d'être ici. Je vous suis reconnaissant de partager votre expérience et votre point de vue personnels. Je présume que quelqu'un pourrait se convertir à l'islam s'il n'est pas personnellement satisfait de la religion organisée qu'il pratique.

Mme Walrond : Je présume que oui, mais ce n'est pas ce que j'ai vécu. J'étais chrétienne avant de devenir musulmane. Dans ma quête religieuse, je cherchais une voie pour compléter mon amour pour Jésus, pour me rapprocher de lui afin de suivre son exemple. À l'époque, l'islam était la seule voie qui m'a permis d'appliquer de façon pratique les enseignements de Jésus.

Aujourd'hui, mon expérience est complètement différente. On dit aux gens que le christianisme est l'ennemi de l'islam. Je connais seulement une poignée de gens tout au plus qui pourraient faire un sermon et dire : « Aimez votre voisin. » On entend souvent « Honorez vos parents ». Ces paroles sont répandues chez les musulmans, mais on ne dit pas :« Aimez votre voisin » et « Aimez votre ennemi ». On entend l'appel à la victoire contre les kafirs, les non- croyants, et cetera. Tout cela pourrait être traduit d'une autre manière, mais nos enfants entendent cette traduction particulière.

En fait, j'ai dit à maintes reprises que si j'étais en quête d'une religion présentement, à Ottawa, je ne serais jamais devenue musulmane, car je n'aurais pas trouvé ce que je cherchais, c'est-à-dire une proximité avec Dieu en suivant l'exemple de Ses messages.

Le sénateur Day : Vous avez décrit l'islam, puis le wahhabisme qui s'est répandu par la suite, longtemps après votre conversion à l'islam. Puis-je présumer que vous nous dites que le wahhabisme a infiltré une bonne partie de l'islam et qu'on est maintenant en présence d'une pensée et d'une tendance dominantes?

Mme Walrond : Très exactement. Lorsque j'ai proclamé la shahada, que je me suis convertie, il y avait un prince en Arabie saoudite à qui on pouvait écrire pour lui dire qu'on souhaitait propager l'islam. Il vous mettait sur une liste de paie. On m'a dit que les gens recevaient 2 500 $ par mois. Le prince a été tué par sa propre famille, qui a continué à offrir de l'argent à quiconque voulait propager la religion. Cependant, il fallait que ce soit de cette façon. C'était il y a environ 35 ans. Jusqu'à ce moment-là, j'avais beaucoup de livres qui provenaient de nombreux pays différents et qui présentaient d'autres points de vue. Une des choses importantes que j'ai relevées et que j'appréciais grandement à propos des livres qui m'appartenaient à l'époque était que, lorsqu'un auteur donnait une opinion ou traitait d'un sujet, il indiquait tout d'abord l'expertise qu'il avait à cet égard. Ensuite, il précisait en quoi consistaient les solutions de rechange et, enfin, il donnait son point de vue, compte tenu des autres opinions.

Cela n'existe plus maintenant. C'est complètement disparu. Dans certains livres, l'auteur peut indiquer qu'il présente un autre point de vue, mais c'est toujours un mensonge. Les auteurs mentent de façon éhontée. Ils déforment des choses, comme la question de l'amour pour Dieu, et jouent avec les noms, car les gens ne savent pas.

C'est ce à quoi nous sommes confrontés.

La sénatrice Stewart Olsen : Je me demande si vous en avez parlé avec des organismes d'application de la loi. Ont-ils communiqué avec vous pour obtenir ce genre d'information?

Mme Walrond : Oui, j'ai été très chanceuse. Samedi, deux professionnels de l'application de la loi m'ont rendu visite à la maison, et nous avons eu une longue conversation. Ils connaissaient très bien la communauté musulmane. Ils connaissaient les gens par leur nom. Je leur ai dit que je ne fréquentais pas la mosquée. Je ne sais pas le nom de la plupart des personnes que je connais, c'est plutôt le père ou la mère d'un tel, mais eux, ils le savaient. Ils ont pris le temps de parler avec un grand nombre de personnes dans la collectivité, comme je le fais avec vous. J'essaie de présenter un point de vue différent.

Beaucoup de gens qui perpétuent ces faux renseignements ne le savent même pas, malheureusement. Il se peut qu'ils n'adhèrent même pas à cette idéologie ou à cette perspective, mais ils croient qu'elle est acceptable et ne font pas tous les liens entre le début, qui semble plutôt inoffensif, et la fin éventuelle. Je suis la seule à faire cette affirmation.

La sénatrice Stewart Olsen : Y a-t-il un mouvement chez les imams qui n'adhèrent peut-être pas au wahhabisme en vue d'offrir un certain soutien à des gens comme vous et aux musulmans qui n'y adhèrent pas non plus, soit la majorité? Un soutien est-il offert? Il est difficile pour un gouvernement de dire quoi faire à un groupe religieux. Dans la plupart des groupes que je connais, la religion se surveille elle-même. Par exemple, si des pasteurs s'en prennent à la doctrine de l'Église Unie, ils sont démis de leurs fonctions. Je ne suis pas certaine que le gouvernement puisse intervenir. C'est très délicat. Nous croyons en la séparation de l'Église et de l'État, je peux comprendre que cet enjeu est complexe, et nous avons également des problèmes de compréhension.

Mme Walrond : Pour répondre tout d'abord à la deuxième partie de votre question, je considère la situation en tenant compte du fait que les chefs religieux ne sont pas seulement des chefs religieux. Ils sont des conseillers et des enseignants, fonctions pour lesquelles il faut habituellement certaines qualifications. Je regarde la situation sous cet angle. Alors, oui, je crois que le gouvernement canadien devrait établir certaines lignes directrices pour déterminer qui peut être un prêtre, un imam ou un membre du clergé.

Quant à savoir s'il y a d'autres gens ou non, je crois que presque tous les imams de la ville me donneraient une bonne réponse si je leur disais : « Voici mon problème et ce que je ne comprends pas », car ce sont de bonnes personnes. Après avoir mis sur pied la National Islamic Sisters' Association, nous nous sommes rendus dans de nombreuses mosquées pour dire ce que nous tentions d'accomplir et pourquoi. Tout le monde que nous avons rencontré... même l'imam de la mosquée qui avait offert ces enseignements à mon fils avait la larme à l'œil et a dit : « Nous avons vraiment besoin d'organisations comme la vôtre. » Mais il n'a pas de pouvoir. Son conseil dirige la collectivité. Les membres du conseil, du moins selon ce qu'on m'a dit et ce que j'ai observé, sont principalement des gens d'affaires. Ce sont des professionnels. Ils ne sont pas du tout religieux. Leur religion, c'est siéger au conseil de la mosquée. Je ne veux pas dire leur religion, mais leur contribution à la religion, leur contribution à la collectivité, c'est de siéger au conseil et d'aider à gérer les choses. En ce qui concerne l'orientation qu'ils adoptent, je me demande ce que peut dire celui qui infiltre le conseil pour orienter les membres vers le wahhabisme. Ils ne sont pas si religieux que ça. Les gens qui parlent le plus fort ont le plus d'influence. Dans le cas qui nous occupe, ces gens décident des pouvoirs de l'imam.

Vous voyez, la situation a changé. C'est ainsi dont je me souviens en avoir appris sur le communisme quand j'étais jeune. Ce n'était pas le fait d'une personne en particulier. Il y avait certaines idées clés ou une certaine mentalité combinée à ces idées qui menaient une personne à adopter le communisme et à devenir un problème de communisme radical anticapitaliste pour nous ici. Ce n'est pas si simple.

Le sénateur Day : J'aimerais revenir sur la discussion que nous avons tenue sur la transformation de l'islam à partir de votre voyage dans le premier pays islamique où vous vous êtes rendue. Quel était le nom? Le wahhabisme ou le salafisme n'était pas répandu à l'époque.

Mme Walrond : Le salafisme est seulement un autre nom du wahhabisme.

Le sénateur Day : Ces mouvements n'étaient pas répandus quand vous vous êtes convertie, mais vous avez vu la transition. Depuis 20 ans, vous mettez en garde les gens parce que vous êtes préoccupée par le fait que le wahhabisme devient dominant et qu'il véhicule des points de vue extrêmement conservateurs. Est-ce exact?

Mme Walrond : Oui.

Le sénateur Day : La situation est-elle la même aux États-Unis et au Canada, à la lumière des discussions que vous avez tenues?

Mme Walrond : Je suis au Canada depuis 25 ans, mais je crois que oui. Je suis allée à Philadelphie. Mon fils aîné a été blessé dans un accident et je me suis rendue à Philadelphie pour prendre soin de lui il y a quelques mois, ou le mois dernier. Je suis allée à Philadelphie pour la première fois depuis longtemps, et j'ai été relativement abasourdie. Le wahhabisme contrôle tout. Ses membres sont très radicaux. Par exemple, les femmes doivent se couvrir le visage, ce qui n'est pas nécessairement un reflet du wahhabisme. Pas nécessairement. Cependant, les membres sont radicaux et c'est leur uniforme.

Le sénateur Day : Voici donc ma dernière question : vous avez deux fils...

Mme Walrond : J'ai trois fils.

Le sénateur Day : Peut-être avez-vous constaté des différences. Certains d'entre eux ont peut-être été plus influencés que d'autres par les enseignements qu'ils reçoivent, par Internet ou par quoi que ce soit d'autre. Pouvez-vous aider d'autres gens qui nous regardent ou nous écoutent? Quels sont les signes? Comment sait-on qu'une personne se radicalise ou qu'elle adopte des tendances violentes et des points de vue extrêmement conservateurs?

Mme Walrond : Comme je l'ai indiqué précédemment, la principale chose est la prépondérance des émotions sur la rationalité. L'islamisme est habituellement une idéologie très rationnelle. L'islam traditionnel est très rationnel. Pour qu'une personne se radicalise, elle doit arrêter de faire preuve de bon sens et de penser de façon logique. Une personne radicalisée ne prête pas attention à ce qu'elle voit; elle prête attention à ce qu'une personne lui a dit de voir.

La jeune femme qui est avec moi ce soir?

Le sénateur Day : Elle est ici.

Mme Walrond : Elle s'est convertie à la mosquée que fréquentait mon fils. Les agents de police qui nous ont rendu visite cette fin de semaine lui ont demandé pourquoi elle ne s'était pas radicalisée. Elle a répondu que c'était parce qu'elle était indépendante d'esprit. C'est essentiellement cela. La plupart des jeunes Canadiens souhaitent éliminer cette influence dans leur collectivité, car ils sont canadiens et ils veulent penser pour eux-mêmes et faire ce qui est bien selon eux, mais d'autres gens leur disent que, s'ils agissent de la sorte, ils ne sont pas de bons musulmans.

Le sénateur Day : Je cherche les signes. En tant que mère, si vous regardez vos trois fils, quels sont les signes ou les indices que votre fils...

Mme Walrond : Il a commencé à remettre en question des choses qui, selon moi, ne peuvent pas vraiment l'être et à me dire que tout ce que je lui avais enseigné était mauvais, que mon interprétation de l'islam était fausse et que le fait d'agir sans tenir compte de l'intention sous-jacente pouvait vous rendre non musulman. Comme je l'ai dit, il a reçu le traitement complet. Il a eu une dose massive d'endoctrinement. Évidemment, je suis sûre qu'il y était ouvert, mais il y a un élément ou une partie de leur philosophie qui explique pourquoi ils tuent plus de musulmans que de non-musulmans à l'étranger. Ils peuvent excommunier les gens. Ils peuvent dire que ce sont des kafirs, qu'ils ne sont pas musulmans et qu'ils doivent donc être tués. C'est pour cette raison qu'ils tuent les universitaires. Ils disent qu'ils sont vénérés parce que les gens les respectent et ils leur disent qu'une telle personne est chiite ou qu'elle fait partie d'une autre secte ou pratique une autre religion. Ce sont des kafirs, leur sang est impur. C'est ce qu'ils disent.

Un jour, j'étais assise dans une mosquée et je suis devenue en colère contre mon fils. Nous nous disputions, et j'ai dit : « Je m'en vais à la mosquée. » C'était il y a plus de 15 ans. « Je m'en vais là-bas et je veux savoir qui est cet homme qui t'a enseigné cela et je veux qu'il me dise directement que je ne suis pas musulmane. »

Le sénateur Day : Vous ne parlez qu'un de vos fils. Les deux autres ne sont pas...

Mme Walrond : Mon fils aîné est chrétien. Mon benjamin est un musulman traditionnel. Je suis allée à la mosquée. Pendant que j'attendais cette personne, je ne sais pas son nom... on m'a donné un nom, puis on m'a dit que ce n'était pas le bon. Peu importe, je me suis assise avec des femmes qui suivaient un cours. Dans le cours, on discutait de ce qui fait qu'une personne est musulmane ou non. J'ai dit : « C'est ce que je fais. » La discussion se passait surtout en arabe, et j'en ai compris juste assez pour répondre en anglais : « C'est ce que je fais, alors est-ce que ça fait de moi une non- musulmane? » L'enseignant, qui me connaissait et savait que je m'opposais à leurs points de vue, a tenté de répondre subtilement en disant, par exemple, que je ne comprenais pas. Mais la jeune femme qui était assise à ma gauche a dit en arabe que je devrais être tuée sur-le-champ dans le cours.

Je devrais être tuée. « Son sang est impur. Elle n'est pas musulmane, c'est une idolâtre. » J'ai été abasourdie par ses paroles.

Le président : J'ai quelques questions à poser pour clarifier le compte rendu. La question porte sur les mosquées que vous connaissez; sont-elles toutes financées en entier ou en partie par l'Arabie saoudite, ou c'est seulement le cas pour quelques-unes d'entre elles?

Mme Walrond : Je ne sais pas. La seule que je connais est celle que mon fils a fréquentée et qui est, je crois, grandement financée par l'Arabie saoudite. Je dirais probablement des agents du gouvernement saoudien, pas précisément le gouvernement en tant que tel, des gens qui reçoivent de l'argent et qui le donnent.

Mais les autres mosquées, du moins selon ce qu'on m'a dit, font tout leur possible pour ne pas accepter de fonds de ces personnes, car elles savent que l'argent n'est pas donné de façon désintéressée. Cependant, si vous voulez mener un projet de 5 millions de dollars et que quelqu'un vous offre quelques centaines de milliers de dollars pour faire venir un certain prédicateur, je ne sais pas quelle serait ma réaction, mais je sais qu'il serait très difficile de convaincre le conseil de ne pas accepter l'argent.

Le président : À la lumière de mes lectures concernant la situation dans certains pays, je sais qu'on commence à se demander si on devrait permettre l'utilisation de ces sommes à cette fin. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

Mme Walrond : Oui. Ma quatrième suggestion était de cesser d'accorder des exonérations fiscales pour des projets de construction. Quand mon organisation demande des dons, beaucoup de gens nous disent : « Oh, nous sommes tous avec vous. Je vous soutiens. Je viens de faire un gros don à la mosquée. Dites aux responsables que je veux que vous touchiez des fonds pour cela. »

J'allais à la mosquée avant, je n'y suis pas allée depuis quelque temps, mais si je m'adresse à un représentant de la mosquée et lui dis que nous avons besoin d'un certain montant d'argent pour une personne pauvre, il me dira : « Eh bien, nous n'avons pas d'argent. Nous devons utiliser toutes les sommes que nous recevons pour le bâtiment. »

En tant qu'organismes de bienfaisance, ils ont le droit de produire des reçus à des fins fiscales et ils ont en plus le droit d'utiliser les sommes pour lesquelles ils ont produit un tel reçu pour leur bâtiment. Je ne dis pas qu'ils ne devraient pas avoir un statut d'organisme de bienfaisance, je dis simplement qu'ils ne devraient pas s'attacher à construire des édifices, parce que les gens ont besoin de manger.

Le président : Je poursuis dans la même veine que la sénatrice Stewart Olsen. Il semblerait qu'il y ait, au sein de la communauté musulmane, dans le cas qui nous occupe — et ce serait également le cas dans la communauté chrétienne — une vaste majorité de musulmans qui, selon ce que je comprends, sont modérés et ont des croyances propres à leur religion, mais qui ont également les mêmes valeurs que tous les autres Canadiens. Ce que je ne comprends pas tout à fait, à la lumière de ce qui se passe dans le monde et comme les mosquées sont dirigées par un conseil, selon ce que vous dites, c'est pourquoi les personnes qui se préoccupent de leur communauté — et elles doivent être très nombreuses — ne prennent-elles pas le contrôle afin de veiller à ce que les jeunes reçoivent la formation nécessaire et d'éviter les problèmes que d'autres organisations peuvent éprouver?

Mme Walrond : Eh bien, on m'a dit récemment que moins de 10 p. 100 des membres de la communauté musulmane fréquentent une mosquée. Tout ce que je sais, c'est que c'est vrai que la plupart des musulmans ne vont pas à la mosquée. La mosquée est là pour les gens qui ont une idée nostalgique, selon moi du moins, de ce que l'islam devrait être en Amérique du Nord, d'après l'idée nostalgique qu'ils ont de leur pays d'origine, et ils veulent que la mosquée soit un symbole qui assure leur présence.

Bien souvent, les musulmans canadiens ne s'y sentent pas liés. Essentiellement, je crois comprendre que vous me demandez pourquoi les musulmans ne se manifestent pas pour dire : « Cela ne nous représente pas. » Comme ils ne soutiennent pas les mosquées et le radicalisme en général, ils espèrent ne pas avoir à s'en préoccuper et laisser le radicalisme s'estomper de lui-même, mais il est trop puissant.

Comme je l'ai dit au début, il n'y a pas d'autre option, et tant que nous ne recevrons pas l'appui des autres Canadiens pour contrer le radicalisme, il poursuivra sa domination.

Le président : J'aimerais conclure en disant que c'est pour cette raison que nous tenons cette conversation nationale. C'est pour soutenir la vaste majorité des membres de la communauté musulmane et les Canadiens en général, dans le respect des valeurs qui nous sont chères au Canada, et pour veiller à ce que le terrorisme, et dans certains cas la haine sous-jacente, soit atténué, voire éliminé. Il faut se demander comment on peut le prévenir. Comment pouvons-nous aider et appuyer des gens comme vous dans votre collectivité et d'autres collectivités partout au pays?

Je peux vous assurer, au nom de tous les membres du comité, que c'est le but de l'étude que nous effectuons. Nous sommes bien placés pour tenir cette conversation et, à mesure que nous progresserons, nous nous adresserons à des personnes comme vous pour obtenir des idées et un soutien.

Merci beaucoup, madame Walrond, d'avoir eu le courage de témoigner et d'avoir mis autant de temps et d'efforts dans la préparation de votre exposé. Il sera certainement ajouté au compte rendu; si vous avez besoin d'aide à l'avenir, faites-le-nous savoir.

Mme Walrond : Merci beaucoup.

Le président : La séance est levée.

(La séance est levée.)


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