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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 16 - Témoignages du 20 avril 2015


OTTAWA, le lundi 20 avril 2015

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour examiner la teneur du projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Avant de souhaiter la bienvenue à nos témoins, j'aimerais présenter les gens autour de la table. Je suis Dan Lang, sénateur du Yukon. J'ai à ma gauche le nouveau greffier du comité, Adam Thompson. Je vous souhaite la bienvenue.

Nous allons faire un tour de table et j'invite chaque sénateur à se présenter et à dire la région qu'il ou elle représente, en commençant par notre vice-président.

Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, de l'Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : La sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Kenny : Colin Kenny, de l'Ontario.

Le sénateur Runciman : Bob Runciman, de l'Ontario.

Le sénateur Campbell : Larry Campbell, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur White : Vernon White, de l'Ontario.

Le sénateur Baker : George Baker, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le président : Je vous remercie, chers collègues.

Le Sénat a saisi ce comité du projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

La question du terrorisme est à l'avant-plan des préoccupations des Canadiens. Nous recevons de plus en plus les rapports d'actes de terrorisme, non seulement chez nous, mais dans le reste du monde. Les organismes de sécurité du monde entier passent en revue leur mandat, et les gouvernements cherchent à s'assurer que ces organes soient dotés d'un pouvoir approprié pour lutter contre les actions ou les menaces de terrorisme au sein de nos systèmes démocratiques de gouvernement. La France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Belgique, l'Australie, entre autres, et évidemment, le Canada, sont tous en train de réfléchir à ce qui peut être fait de plus.

À l'échelle locale, nous avons recensé 684 cas de financement du terrorisme depuis 2009. En octobre dernier, nous avons appris que 145 djihadistes canadiens appuyaient l'État islamique à l'étranger, que 80 autres étaient revenus au bercail et que 93 autres souhaitaient y aller, mais en avaient été empêchés et étaient surveillés. Ces chiffres sont importants, et nous savons que les organismes d'application de la loi sont débordés.

Les poursuites au criminel semblent aussi accuser un retard comparativement à nos collègues de la France et du Royaume-Uni.

Nous accueillons aujourd'hui, pour examiner le projet de loi C-51, Michel Coulombe, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité; Mike Cabana, sous-commissaire, Police fédérale, Gendarmerie royale du Canada; et Greta Bossenmaier, chef des communications au Centre de la sécurité des télécommunications.

Monsieur Coulombe et monsieur Cabana, nous vous souhaitons la bienvenue au comité.

Madame Bossenmaier, puisque c'est la première fois que vous comparaissez devant notre comité en qualité de chef du CST, nous vous souhaitons la bienvenue, et nous vous félicitons pour votre nomination.

À ce que j'ai compris, vous avez chacun une déclaration liminaire. J'invite donc M. Coulombe à prendre la parole, puis ensuite M. Cabana et Mme Bossenmaier.

Michel Coulombe, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité : Merci, monsieur le président.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis ravi d'être ici aujourd'hui, en compagnie de mes collègues, pour discuter du projet de loi C-51.

[Français]

J'ai comparu devant vous à maintes reprises, au cours des derniers mois, mais je n'ai jamais eu l'occasion de prononcer une allocution d'ouverture. Je suis très heureux de le faire aujourd'hui.

J'aimerais commencer en fournissant des renseignements additionnels concernant la menace qui pèse sur la sécurité nationale du Canada et le rôle que joue le SCRS pour la contrer. Soyons clairs. Lorsque je parle de la menace à la sécurité du Canada, c'est dans le contexte de la définition qui se trouve dans la Loi sur le SCRS. Cette définition a résisté à l'épreuve du temps, elle s'applique toujours en dépit de la transformation du contexte de la menace pour le Canada depuis la création du SCRS et elle ne changera pas après l'entrée en vigueur du projet de loi C-51.

[Traduction]

Quand la loi sur le SCRS est entrée en vigueur, en 1984, l'espionnage était la menace principale pour la sécurité. Il s'agissait d'un phénomène sérieux, mais qui ne représentait pas et ne représente toujours pas une menace grave pour la vie. La présence d'un espion étranger au Canada représentait une menace à long terme pour la sécurité nationale, mais pas un danger immédiat pour la sécurité publique. Pour le SCRS, il suffisait alors de recueillir des renseignements sur la menace et de les communiquer au gouvernement. Il n'est plus du tout suffisant de réagir de cette façon dans le contexte actuel de menace. Un avis de secteur à surveiller ne suffit pas pour contrer la menace de plus en plus directe pour la sécurité des Canadiens et leur mode de vie.

Au cours des dernières années, la menace terroriste pour le Canada et ses alliés s'est amplifiée. Le Canada n'est pas à l'abri de violents attentats terroristes. Ceux d'entre nous qui travaillent au sein de l'appareil de la sécurité nationale le savent depuis longtemps. Tout récemment, nous avons observé une augmentation constante du nombre de terroristes ou voyageurs, notamment ceux qui ont voyagé ou qui reviennent de voyage ou qui souhaitent partir.

D'après les évaluations du service, la menace terroriste qui plane sur les intérêts du Canada en matière de sécurité nationale n'a jamais été si directe ou immédiate. À vrai dire, la portée de la menace, la rapidité du changement et la facilité avec laquelle les personnes qui se livrent à des activités liées à la menace établissent des liens ce qui signifie que nous ne pouvons plus nous permettre de réfléchir longuement avant d'intervenir.

En plus de projets complexes qui impliquent plusieurs auteurs de la menace sur une période prolongée, nous devons également être à l'affût de la menace de plus en plus intense que font planer des individus décidés à agir et capables de le faire avec ou sans avertissement ou soutien. Comme on l'a mentionné, il est extrêmement difficile de déterminer l'identité des personnes agissant seules, d'enquêter sur celles-ci et de prévoir leur comportement.

Pour conclure sur le contexte de la menace, j'aimerais souligner que, même si le terrorisme est le phénomène qui nous préoccupe le plus à l'heure actuelle, notre mandat exige que nous ne perdions pas de vue les autres menaces comme l'espionnage, la prolifération et la cybermenace.

Il faut considérer la Loi sur le SCRS comme un produit de son époque, et dans le contexte des événements qui ont mené à la création du SCRS comme service de renseignement indépendant de la GRC. Vous êtes, bien sûr, au courant des recommandations de la Commission McDonald, et vous savez que le SCRS a été précisément créé en tant qu'organisme civil pour garantir que ses opérations puissent être rigoureusement examinées et contrôlées. Aujourd'hui, cependant, tant le SCRS que le contexte de la menace ont évolué.

[Français]

Les modifications proposées à la Loi sur le SCRS tiennent compte des leçons apprises et des recommandations formulées par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) et le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme.

[Traduction]

Le mandat qu'a reçu le SCRS d'enquêter sur les menaces à la sécurité du Canada lui permet d'être au courant des menaces qui se dessinent tôt dans leur développement. Malgré cela, la loi ne permet pas au SCRS d'agir afin de donner suite aux informations qu'il recueille, et ce, même lorsque cela permettrait de sauver des vies ou d'atténuer la menace, voire de l'éradiquer.

[Français]

Des observateurs ont avancé que le SCRS veut obtenir le mandat de réduire la menace, parce qu'il ne veut pas divulguer l'information à la GRC pour que cette dernière fasse appliquer la loi. Ils ont aussi indiqué que ce serait une source de conflit avec la GRC. Pour dire les choses simplement, c'est une fausse interprétation qui ne fait pas honneur à notre relation avec la GRC, et ce n'est certainement pas la raison pour laquelle le service demande le mandat de perturber les menaces.

En fait, le nœud du raisonnement est plutôt le suivant. Grâce au mandat demandé, le gouvernement du Canada pourrait exploiter les connaissances spécialisées du SCRS, son savoir-faire et sa capacité de déceler rapidement les nouvelles menaces. En conséquence, il aurait une plus grande souplesse et serait mieux en mesure de protéger activement le Canada et les Canadiens contre les dangers.

[Traduction]

Le fait de donner au SCRS le pouvoir de perturber les menaces n'enlèverait rien aux pouvoirs accordés à la GRC. Par ailleurs, le SCRS et la GRC se sont tous deux engagés à aplanir les difficultés et à coordonner leurs activités lorsque cela est nécessaire et approprié, comme ils le font déjà.

Pendant les quelques minutes qui me restent, j'aimerais aborder rapidement quelques autres idées fausses qu'on se fait au sujet du projet de loi.

Il ne transformera pas le SCRS en police secrète. Le SCRS n'est pas un organisme d'application de la loi. Le projet de loi ne lui conférera aucun pouvoir de ce genre. Un mandat de réduction de la menace n'équivaut pas à un rôle d'application de la loi.

Rien dans ce projet de loi ne nous donne de pouvoir de procéder à des arrestations ni le mandat de recueillir des preuves pour traîner des gens devant les tribunaux. Il ne s'y trouve rien non plus pour nous permettre d'appliquer la loi, y compris le Code criminel.

Le projet de loi précise plutôt les exigences auxquelles le SCRS doit se plier afin de prendre des mesures pour perturber une menace. Tout d'abord, avant de prendre une telle mesure, le service devra avoir des motifs raisonnables de croire qu'une activité représente une menace. Ce critère est plus exigeant que celui à remplir pour enquêter sur l'activité, à savoir que le service doit toujours avoir des motifs raisonnables de soupçonner qu'elle représente une menace. Ensuite, le service devra demander une autorisation judiciaire chaque fois qu'il veut prendre une mesure pour perturber une menace qui porte atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte, ou qui est contraire à d'autres règles du droit canadien. Les dispositions du projet de loi donnent au juge le pouvoir de déterminer si une mesure est juste et adaptée aux circonstances, compte tenu de la nature de la menace, de la mesure et des solutions de rechange acceptables. Le juge peut aussi ajouter des conditions qu'il estime indiquées dans l'intérêt public.

De plus, le projet de loi ne change rien aux activités du service concernant les groupes environnementalistes et les groupes de militants. Comme je l'ai mentionné au début de mon allocution, on ne changera pas la définition des « menaces envers la sécurité du Canada » qui est donnée dans la Loi sur le SCRS. Celle-ci exclut très clairement les activités licites de défense d'une cause, de protestation et de manifestation. Le CSARS a d'ailleurs confirmé à plusieurs reprises que le service n'avait pas outrepassé les limites de son mandat à cet égard.

[Français]

Les modifications proposées à la Loi sur le SCRS sont adaptées aux besoins; elles sont mesurées et, selon moi, essentielles. Les nouveaux pouvoirs qu'elles accordent sont semblables à ceux qui sont exercés par bon nombre de nos partenaires étrangers, et ces pouvoirs sont assortis de solides mesures de protection. Le nouveau mandat du service comportera un processus rigoureux d'autorisation judiciaire fondé sur les instructions du ministre, examiné par le CSARS, et mené selon un cadre d'évaluation des risques bien défini.

[Traduction]

Les hommes et les femmes qui travaillent au SCRS ont toujours été déterminés non seulement à remplir le mandat d'assurer la sécurité du Canada et des Canadiens, mais aussi à le faire dans le respect de la loi et des valeurs canadiennes.

Merci de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le président : Nous vous remercions, monsieur Coulombe.

Monsieur Cabana, vous avez la parole.

Mike Cabana, sous-commissaire, Police fédérale, Gendarmerie royale du Canada : Monsieur le président et membres du comité, bonjour.

[Français]

Je vous remercie de l'invitation à vous entretenir au sujet du projet de loi C-51 selon la perspective de la GRC. Ce projet de loi constitue une étape déterminante pour aider la communauté canadienne de la sécurité et du renseignement à mieux lutter contre le vaste éventail de menaces à la sécurité nationale.

[Traduction]

S'il est adopté, le projet de loi renforcera les outils de prévention mis à la disposition de la GRC et des autres organismes canadiens d'application de la loi. Mon exposé d'aujourd'hui sera axé sur ces mesures de prévention. Je vais notamment préciser leur application par la GRC.

Afin de replacer notre organisation dans son contexte, précisons d'emblée qu'elle assume toute une gamme de mandats et de responsabilités liés à la sécurité nationale, qui vont des enquêtes criminelles menées en la matière jusqu'à la gestion des incidents graves et aux fonctions de la police de protection. En tant que service de police national, la GRC a aussi le mandat prescrit par la loi de prévenir les activités criminelles et d'enquêter sur celles-ci en vue d'assurer la sécurité publique.

La GRC reconnaît que la démarche la plus efficace pour réprimer le terrorisme consiste à empêcher une personne de tomber dans la radicalisation menant à la violence. Grâce à son Programme de prévention du terrorisme, notre organisation fournit aux organismes d'application de la loi et aux collectivités du pays les compétences et les outils nécessaires pour repérer les personnes susceptibles d'être radicalisées et d'intervenir auprès d'elles avant qu'elles ne passent à l'acte.

Malheureusement, nous ne serons jamais en mesure de prévenir toutes les activités terroristes. Au besoin, nous utilisons notre longue expérience pour accéder à un assortiment d'outils et de dispositions législatives qui nous permettent de neutraliser les menaces avant qu'elles ne se concrétisent à divers stades. Nous travaillons également en étroite collaboration avec nos partenaires au pays et à l'étranger pour lutter contre les menaces pouvant peser sur le Canada, ici même et à l'étranger. Si les mesures de perturbation sont quelquefois nécessaires pour protéger la sécurité publique, elles ne sauraient, et ne doivent jamais, se substituer au dépôt d'accusations criminelles, à la capacité de procéder à des arrestations et aux poursuites en justice.

À cet égard, l'adoption de la Loi antiterroriste en 2001 nous a permis, ainsi qu'à nos partenaires, de réprimer le terrorisme avec une efficacité certaine. Jusqu'ici, 19 personnes ont été condamnées, et des accusations criminelles ont été portées contre 17 autres en rapport avec diverses activités liées au terrorisme. Cela témoigne donc de l'efficacité de l'appareil judiciaire pour lutter contre le terrorisme dans le respect de la primauté du droit, dans le cadre d'un processus transparent.

Cela dit, depuis l'adoption de la Loi antiterroriste en 2001, le contexte de la menace a sensiblement évolué. Si nous continuons d'affronter la menace de complots savamment orchestrés, dont l'élaboration s'étend sur une longue période, nous devons désormais composer de plus en plus avec des complots ourdis par des individus seuls et pouvant se matérialiser rapidement et de façon imprévisible. Nous savons pertinemment que le Canada et les Canadiens ne sont pas à l'abri de cette menace.

Ce nouveau contexte pose un défi considérable pour les autorités d'application de la loi. Il nécessite la capacité de contenir les menaces imminentes tout en poursuivant une enquête. Les enquêtes de sécurité nationale sont complexes, de longue haleine, accaparent de nombreuses ressources et s'étendent habituellement sur de multiples territoires de compétence. L'objectif clé consiste à atténuer le risque de violence et à maintenir la sécurité publique tout en recueillant des preuves suffisantes pour porter des accusations criminelles en vue d'une condamnation éventuelle.

La GRC fait tout en son pouvoir pour gérer l'environnement actuel de la menace. Ainsi, elle facilite l'échange d'information par l'entremise de son Centre des opérations conjointes sur la sécurité nationale, exemple éloquent d'une collaboration interorganismes sans précédent. En outre, elle a intensifié ses initiatives de formation, de sensibilisation et d'intervention, et a réaffecté des centaines de personnes — plus de 600 jusqu'ici — des quatre coins du pays aux équipes intégrées de la sécurité nationale — les EISN — qui sont dirigées par la GRC, et aux sections d'enquêtes de la sécurité nationale.

Malgré toutes ces démarches, nous continuons d'affronter des défis dans la répression et la gestion de la menace que représente le terrorisme. Ainsi, il n'existe pas de parcours unique dans la radicalisation menant à la violence. Comme l'ont montré les attentats commis en octobre dernier, on reçoit rarement d'avertissement laissant présager l'intention d'un individu de recourir à la violence. En ce qui concerne les voyageurs à haut risque, certains individus font des plans de voyage sans en aviser famille et amis, et les organismes d'application de la loi n'en prennent connaissance qu'une fois que les intéressés ont quitté le pays. Essentiellement, la menace ne suit pas un parcours linéaire — chaque cas représentant des conditions uniques — et les autorités doivent élaborer avec soin chaque mesure d'intervention pour empêcher que la menace n'évolue ni ne s'aggrave.

Dans ce contexte, l'affectation à grande échelle d'effectifs de la GRC aux dossiers de contre-terrorisme, bien que nécessaire, entrave notre capacité à gérer d'autres risques, notamment ceux que posent le crime organisé et les crimes graves, ainsi que l'espionnage. Par conséquent, la GRC reconnaît qu'il lui faut trouver une solution à long terme pour pouvoir assumer l'intégralité de son mandat de police fédérale.

Les changements proposés au Code criminel dans le projet de loi C-51 renforceraient les dispositions actuelles de l'engagement assorti de conditions et de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public en matière de terrorisme. Il s'agit de dispositions importantes qui peuvent être appliquées avec le consentement du procureur général. L'engagement assorti de conditions permet à la police d'arrêter une personne, sans mandat, lorsque cette arrestation préviendrait la perpétration imminente d'un acte de terrorisme. L'imposition de restrictions sur les déplacements et les activités de la personne aiderait la police à gérer la menace tandis que l'enquête suit son cours.

Je dois souligner que ces instruments seront utilisés dans des circonstances restreintes au cours d'une enquête criminelle. L'abaissement du seuil de preuves et le prolongement des périodes de détention rendront ces instruments plus efficaces pour prévenir les activités terroristes, qu'il s'agisse de la planification d'un attentat ou d'arrangements de voyage à des fins terroristes. Les critères actuels font qu'il est difficile d'utiliser ces instruments dans un but préventif, car ils sont essentiellement les mêmes que pour porter des accusations criminelles. Et comme on l'a dit précédemment, il faut du temps pour être en mesure de déposer des accusations, car il faut mener une enquête et recueillir les éléments de preuve voulus. Dans certaines circonstances, nous n'en avons pas le loisir. Pour assurer la sécurité de nos collectivités, des Canadiens et des citoyens d'autres pays, la police doit avoir la capacité d'intervenir sans délai.

L'ajout d'une infraction interdisant de préconiser ou de fomenter des activités terroristes aidera la police à s'attaquer à la propagande servant à radicaliser les Canadiens. Grâce au projet de loi C-51, les tribunaux auront des pouvoirs de saisie, de confiscation et de retrait à l'égard de ce genre de propagande au Canada, ce qui permettra aux corps policiers de collaborer avec le procureur général pour ordonner aux fournisseurs de service canadiens de retirer les communications qui contribuent à la radicalisation de Canadiens.

Cela dit, malgré toutes ces nouvelles dispositions proposées dans le cadre du projet de loi C-51, nous ne serons jamais en mesure d'atténuer toutes les menaces éventuelles. Sachez cependant que la GRC entend continuer de mobiliser les ressources voulues et de collaborer avec ses partenaires à tous les niveaux du gouvernement et de la société civile. Un des partenaires clés demeure le SCRS. En ce qui a trait à son nouveau mandat de réduire les menaces, la GRC entend rehausser ses efforts de concertation afin d'assurer la coordination d'enquêtes distinctes menées en parallèle.

[Français]

En terminant, je tiens à réitérer mon objectif, qui est aussi celui de la GRC, de vous communiquer en toute transparence la façon dont ces mesures aideront notre organisation à s'acquitter de son mandat et les démarches entreprises pour assurer l'entière protection des droits des Canadiens.

Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

Greta Bossenmaier, chef, Centre de la sécurité des télécommunications : Bonjour, monsieur le président, honorables sénateurs. Je vous remercie de m'avoir invitée à me joindre à mes collègues de la GRC et du SCRS, alors que vous amorcez l'étude du projet de loi C-51.

Comme l'a dit le président, je me présente pour la première fois devant ce comité à titre de chef du Centre de la sécurité des télécommunications. C'est avec plaisir que je vous ferai part de certaines observations que j'ai faites depuis mon entrée en poste, notamment celles qui ont trait au projet de loi C-51. Je sais que le temps est compté, alors mes commentaires seront brefs.

[Français]

C'est avec fierté que j'occupe le poste de chef du Centre de la sécurité des télécommunications, le CST. Mon rôle consiste à appuyer le ministre et le ministre associé de la Défense nationale.

En tant qu'organisme national de cryptologie du Canada, le CST occupe une place unique au sein du gouvernement du Canada et compte parmi les principaux organismes canadiens chargés de la sécurité et du renseignement. Depuis près de 70 ans, le CST joue un rôle essentiel dans le maintien de la sécurité du Canada et de tous les Canadiens.

[Traduction]

Le mandat du CST comporte trois volets, comme le stipule la partie V.1 de la Loi sur la défense nationale. Plus précisément, monsieur le président, le CST doit recueillir des renseignements concernant l'étranger en fonction des priorités du gouvernement du Canada en matière de renseignement. Il doit aussi fournir des conseils et du soutien au gouvernement du Canada en ce qui a trait à la protection des systèmes électroniques d'importance, ce que l'on appelle souvent la « cyberprotection ». Enfin, le CST doit soutenir les organismes fédéraux chargés de l'application de la loi et de la sécurité dans l'exercice des fonctions que la loi leur confère.

Bien que le projet de loi C-51 ne modifie pas directement le mandat ou les pouvoirs conférés au CST, notre organisme fait partie des ministères et organismes mentionnés dans la Loi sur la sécurité de l'échange de renseignements au Canada. Le CST continuera de veiller à la conformité des lois et au respect de la vie privée des Canadiens lorsqu'il transmettra des renseignements à ses partenaires fédéraux ou en recevra. Le CST a mis en place des politiques, des pratiques et des protocoles pour guider les échanges de renseignements, qui reflètent les lois canadiennes, la Charte et les mesures de protection de la vie privée pertinentes.

[Français]

J'aimerais donner des précisions sur le mandat d'assistance du CST. En vertu de la disposition sur l'assistance du CST, les organismes fédéraux chargés de l'application de la loi et de la sécurité, comme la GRC et le SCRS, peuvent solliciter l'assistance technique du CST, conformément aux mandats qui leur sont conférés. De fait, lorsque le CST prête assistance à ces organismes, il agit en vertu du pouvoir juridique de l'organisme demandeur et doit se conformer aux restrictions et aux conditions qui y sont associées. En vertu du projet de loi proposé, cette disposition reste la même.

La Loi sur la défense nationale définit aussi clairement les mesures que le CST est tenu de prendre pour protéger la vie privée des Canadiens. Elle précise que les activités liées au renseignement étranger et à la cyberdéfense du CST ne doivent en aucun cas viser des Canadiens ou des personnes se trouvant au Canada, et que ces activités doivent être soumises à des mesures de protection de la vie privée des Canadiens lorsque des renseignements interceptés sont utilisés et conservés. La Loi sur la défense nationale définit le Bureau du commissaire du CST et les responsabilités qui lui incombent, et fournit le cadre juridique lui permettant d'exercer son vaste pouvoir d'examen.

[Traduction]

Monsieur le président, depuis mon arrivée au CST, j'ai été impressionnée par le dévouement, l'engagement et le professionnalisme de ses employés. Ce dévouement se reflète, entre autres, dans l'engagement et l'intérêt marqués des employés à respecter et à protéger la vie privée des Canadiens. J'ai pu constater que l'organisme tout entier s'est engagé à respecter le cadre juridique qui le régit, notamment en protégeant la vie privée des Canadiens. Le commissaire indépendant du CST confirme également que la culture du CST est axée sur la conformité. Je tiens à assurer les membres de ce comité que je m'acquitterai fidèlement du mandat qui m'a été confié et que je veillerai à ce que l'organisme continue de se conformer aux lois et de protéger la vie privée des Canadiens.

Je vous remercie de m'avoir invitée aujourd'hui.

Le président : Chers collègues, avant d'entamer les questions, j'aimerais poser une question d'ordre général à M. Coulombe. Il y a six mois, notre comité a appris que plus de 300 Canadiens participaient directement ou indirectement à des activités terroristes au pays, en grande partie liées au Moyen-Orient. Est-ce que vous pourriez faire le point sur la nature de la menace djihadiste islamique radicale qui pèse sur les Canadiens?

De plus, pourriez-vous nous dire si l'une de vos organisations a fait des projections en matière de menaces pour les 7 à 15 prochaines années? Si les choses continuent comme maintenant, quelles menaces pèseront sur les Canadiens compte tenu du mouvement djihadiste islamique radical actuel?

M. Coulombe : Je commencerai par la dernière partie de votre question. Il est extrêmement difficile de prévoir ce que sera la situation dans une dizaine d'années. Ce que je peux dire cependant, c'est que le phénomène n'aura pas disparu dans 10 ans. Nous composons encore avec des menaces découlant des guerres en Afghanistan et en Bosnie, et nous devrons composer avec cette menace et la gérer pendant encore longtemps.

Pour ce qui est de faire le point, la dernière fois que j'ai comparu devant vous, j'hésitais à vous donner des chiffres, mais je peux néanmoins vous dire qu'ils sont en hausse. Il convient peut-être toutefois de corriger une donnée. Vous avez dit au début de la séance que, à l'époque, il se trouvait 145 personnes en Irak et en Syrie. Il s'agit en fait de 145 Canadiens connus dans le monde entier, dont environ un tiers en Irak et en Syrie, et d'autres en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen, en Libye et ailleurs. Ce chiffre global augmente tout doucement, et la plus forte augmentation concerne les Canadiens en Irak et en Syrie. De fait, depuis trois ou quatre mois, nous avons constaté une augmentation de quelque 50 p. 100 du nombre de personnes parties pour l'Irak ou la Syrie.

Le sénateur Mitchell : Je vous remercie, chacun, pour vos exposés provocateurs, dans un sens positif. Il est clair que vous manquez de ressources. Vous l'avez presque explicité, et je sais que vous ne pouvez pas vraiment le dire explicitement, mais nous verrons bien ce qui arrivera demain.

Ma première question s'adresse à M. Coulombe. Puisque vous menez probablement des activités de perturbation de temps à autre déjà — peut-être voudrez-vous en parler — quelles autres activités de ce genre est-ce que le projet de loi C-51 vous permettrait de mener, que vous ne pouvez pas exécuter actuellement? J'aimerais aller au-delà de cette idée de pouvoir parler aux parents, puisque c'est le genre d'exemples simplets qu'on donne généralement. Pourriez-vous être plus explicite?

M. Coulombe : Je répondrai à la partie de votre question sur les activités de perturbation ou de réduction de la menace que nous menons déjà. De fait, nous ne le faisons pas, parce que nous n'en avons pas le mandat. Il arrive toutefois que nos activités de collecte de renseignements aient un effet secondaire. Il peut arriver que lorsque nous parlons à quelqu'un, cela ait pour conséquence de réduire le niveau d'activité, par exemple. Mais ce n'est pas l'objet de notre entrevue avec cette personne. Notre mandat, pour l'instant, est de recueillir des renseignements, et c'est ce que nous faisons au sens strict du terme, ce qui peut avoir pour conséquence de réduire la menace. Il est important de le comprendre.

Quant à vous donner des exemples de ce que nous pourrions faire à l'avenir, mis à part les exemples simplets — il pourrait s'agir de demander à des gens qui collaborent avec le service d'intervenir pour tenter de dissuader quelqu'un qui prévoit de voyager ou y songe. Il pourrait aussi s'agir de faire obstacle à une transaction financière qui se fait par Internet, de désactiver un dispositif mobile ou d'altérer de l'équipement qui pourrait servir à des activités terroristes. Ce serait le genre de choses pour lesquelles il faudrait des autorisations judiciaires. Il y a toutes sortes d'activités que nous pourrions mener pour nous acquitter de ce mandat de réduction de la menace.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais poser ma prochaine question à Mme Bossenmaier. Vous pourriez tous trois y répondre, mais vous en avez parlé dans votre exposé. Vous avez dit que c'était une grave préoccupation que les gens avaient, en raison de la loi sur l'échange de renseignements. Vous pouvez restreindre l'utilisation de ces renseignements, mais pouvez-vous nous assurer que, en vertu de ces changements, nous n'aurons pas un autre cas Arar, où des renseignements vont à un autre pays ou à un autre ministère, puis ce ministère ou ce pays fait ce qu'il veut de ces renseignements? Comment éviter cela? Comment rassurer les Canadiens? C'est un problème fondamental.

Mme Bossenmaier : Merci de votre question, sénateur. Mes collègues voudront peut-être aussi y répondre.

Comme je l'ai dit dans mon exposé liminaire, du point de vue du CST, ce projet de loi ne modifie en rien notre mandat ou notre pouvoir. Je vous soumets ça d'emblée.

En ce qui a trait à l'échange de renseignements, j'aimerais faire valoir quelques points. Premièrement, toutes les activités du CST peuvent être examinées par le commissaire indépendant du CST. Il dispose d'un mécanisme d'examen solide de nos activités, et il a un accès complet à nos données, nos systèmes et nos employés, tant et si bien qu'il peut citer des employés à comparaître. Ainsi, nos activités font l'objet d'une surveillance éprouvée, et le commissaire ne nous a jamais reproché d'avoir enfreint la loi.

Aussi, j'ai abordé dans mon exposé liminaire les procédures et les façons de faire que nous avons pour protéger la vie privée. Depuis mon arrivée à l'agence il y a environ deux mois maintenant, j'ai été impressionnée dès le premier jour par la rigueur démontrée dans la protection de la vie privée des Canadiens. La formation de nos employés, la surveillance des cadres, les vérifications des systèmes, les mesures de conformité font toutes partie des mesures que nous prenons pour protéger la vie privée et respecter la loi.

Encore une fois, mes collègues voudront peut-être compléter ma réponse.

M. Coulombe : Premièrement, je crois qu'il est important de noter, comme nous l'avons dit précédemment, qu'une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée sera complétée et envoyée au bureau du commissaire à la vie privée. De plus, les articles 5 et 6 en particulier de cette nouvelle loi sont extrêmement importants. Dans un premier temps, ces articles énoncent clairement que toute réglementation ou toute loi qui, à l'heure actuelle, empêche ou restreint la divulgation d'informations n'est en rien modifiée par cette nouvelle loi. Cette loi vise à préciser expressément que vous pouvez partager de l'information portant sur la sécurité nationale. Si vous êtes soumis à une loi qui empêche ou restreint cet échange, rien ne change.

La loi prévoit aussi — et je vais citer le service en exemple — que si vous décidez d'échanger des renseignements avec le service, vous ne pouvez seulement échanger de l'information qui relève du mandat du service. Bien souvent, les gens lisent la définition comprise à l'article 2 de la loi et disent qu'il s'agit d'une très vaste définition de la sécurité nationale et qu'ainsi, le service pourra désormais recevoir des renseignements portant sur toutes sortes d'activités.

C'est ce qui arrive lorsqu'on lit l'article 2 mais pas l'article 5, qui prévoit que les renseignements peuvent seulement être échangés avec le service si ces renseignements relèvent du mandat actuel du service. Comme je l'ai dit dans mon exposé liminaire, la définition qu'a le service de « menace à la sécurité du Canada » n'est en rien modifiée par le projet de loi C51.

De plus, si vous lisez l'article 6 de la loi sur les renseignements, vous verrez que rien ne change en matière de divulgation. Si vous êtes sujet à une loi ou à un règlement qui interdit ou restreint l'utilisation ou la divulgation supplémentaire, cette loi ou ce règlement s'applique toujours.

Le sénateur Runciman : J'ai quelques questions rapides pour le sous-commissaire Cabana. Dans votre déclaration liminaire, vous avez mentionné, je pense, 19 condamnations et 17 autres accusations. De ces 19 condamnations, incluons-nous les 18 de Toronto? Font-elles partie du nombre?

M. Cabana : Oui sénateur, elles en font partie.

Le sénateur Runciman : Donc à part ces 18, une condamnation.

Si vous comparez ce chiffre à ce qu'on a vu chez certains de nos alliés au cours des dernières années en ce qui a trait aux accusations de terrorisme et de financement du terrorisme, la comparaison n'est pas avantageuse. Je me demandais si vous pouviez nous parler de cette situation. Pourquoi n'y a-t-il pas eu plus d'accusations déposées? Peut-être est-ce une question plus appropriée pour le prochain panel, les services de poursuites pénales. Je ne suis pas certain. Mais peut-être pouvez-vous nous dire pourquoi il en est ainsi et de quelle façon cette loi aidera la GRC à déposer plus d'accusations et à mieux relever ces défis.

M. Cabana : Merci beaucoup de votre question, sénateur. Peut-être puis-je mettre en contexte certaines des statistiques auxquelles vous faites allusion. Je ne remets pas en question les succès comparatifs qu'ont connus les autres pays. Peut-être cela reflète-t-il simplement le degré d'activité dans ces autres pays. Je ne fais qu'émettre des hypothèses.

Ce que ces statistiques ne disent pas, c'est que non seulement la GRC, mais toutes les forces de l'ordre au Canada, envisagent l'ensemble des outils à leur disposition lorsqu'ils mènent une enquête liée au terrorisme. L'enquête ne débouche pas toujours sur des accusations liées au terrorisme. Ces enquêtes peuvent mener à des accusations criminelles faisant en sorte qu'un individu se retrouve derrière les barreaux. Pour autant que je sache, nous n'avons pas les statistiques à ce sujet. Lorsque nous évaluons la viabilité d'une enquête et lorsque nous développons notre stratégie d'enquête, nous examinons toutes les solutions à notre disposition.

Le sénateur Runciman : Le comité a entendu, je crois, qu'il y a environ 80 individus qui sont revenus au pays après avoir voyagé à l'étranger pour des raisons liées au terrorisme. Je ne crois pas qu'il y ait eu d'accusations déposées contre aucune de ces personnes. On a les tristement célèbres épouses djihadistes. Combien de ces personnes sont visées par une ordonnance en vertu de l'article 810 du Code criminel? Quel genre de surveillance existe et quelle activité, s'il y en a, décèle-t-on?

M. Cabana : Malheureusement, je n'ai pas ces statistiques, mais je ne crois pas qu'il est vrai de dire qu'aucune de ces personnes n'ait été accusée. Certains individus ont été accusés. Certains ont voyagé de nouveau et font face à des accusations à l'heure actuelle. Donc, il y a eu des accusations.

Vous avez probablement vu dans les médias que les dispositions de l'article 810 étaient davantage utilisées ces derniers temps. Toutefois, il est difficile à l'heure actuelle d'utiliser ces outils en raison de la proximité. Les exigences en matière de preuve pour l'utilisation de cet outil sont très proches. À l'heure actuelle, pour un engagement à ne pas troubler la paix, il n'y a pas vraiment de différence. Si on peut obtenir un engagement à ne pas troubler la paix, bien souvent, on peut presque déposer une accusation.

Le sénateur Runciman : La fin de semaine dernière, je lisais un article dans un journal de la région de Montréal — je ne veux pas me tromper dans le nom de la publication et je ne l'ai pas avec moi, mais je sais que c'était un journal montréalais — je lisais un article portant sur le financement du terrorisme et le peu d'accusations déposées. Je ne sais pas qui est l'avocat qui était cité dans l'article, mais il disait que le Canada est de plus en plus embarrassé à l'international parce qu'il a une mauvaise réputation en ce qui a trait aux accusations portant sur le financement du terrorisme.

Le CANAFE a communiqué de nombreux — 683 selon eux — renseignements portant sur des allégations de financement du terrorisme. Il semblerait encore une fois que les forces de l'ordre n'agissent pas après l'obtention de ces renseignements. Je me demandais si vous pouviez répondre à ces commentaires.

M. Cabana : Ces commentaires sont peut-être bien fondés. En ce qui a trait au financement du terrorisme, il est difficile pour le Canada de confirmer, de manière probante, l'utilisation des fonds qui sont transférés outre-mer. Beaucoup de ces activités ont lieu dans des endroits où il est difficile pour nous d'obtenir les preuves nécessaires.

Le sénateur Runciman : La loi que nous étudions vous permettra-t-elle de mieux contrer ces problèmes?

M. Cabana : Malheureusement non, sénateur, je ne crois pas que cette loi nous aidera à ce chapitre. Je ne crois pas que le Canada puisse adopter une loi qui oblige une nation étrangère à suivre ces dispositions.

Le président : J'aimerais revenir aux 80 individus qui ont voyagé aux fins de terrorisme. Au cours des six derniers mois, ont-ils vu leurs rangs grossir grâce à des Canadiens revenant au pays qui étaient impliqués dans des activités terroristes?

Deuxièmement, je ne comprends pas les raisons pour lesquelles nous avons déposé très peu, ou pas, d'accusations contre ces individus qui ont manifestement enfreint la loi. Nous savons qu'ils ont enfreint la loi. Grâce aux changements proposés dans ce projet de loi, verrons-nous plus d'accusations être déposées et ces personnes seront-elles traduites en justice pour qu'elles ne puissent plus poser un danger?

M. Cabana : Ce n'est qu'une hypothèse, sénateur, mais je crois que oui, vous verrez que nous pourrons mieux utiliser les outils à notre disposition. Ainsi, on peut s'attendre à ce qu'il y ait plus d'accusations déposées et plus d'engagements à ne pas troubler la paix.

Le président : Vous n'avez pas répondu à ma première question. Y a-t-il plus d'individus qui reviennent au Canada?

M. Cabana : Eh bien oui, il y en a plus. Je n'ai pas le chiffre exact, mais comme vous l'avez vu dans les médias, il y a des individus qui voyagent assez fréquemment. Ainsi, ce nombre d'individus change sur une base quotidienne ou hebdomadaire, sinon encore plus fréquente.

Le président : J'aimerais approfondir ce point à un autre moment.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vais vous poser une question portant davantage sur les renseignements, si ça ne vous dérange pas. Pouvez-vous nous dire pourquoi ce projet de loi donne expressément au SCRS le pouvoir d'œuvrer hors du pays? Ne pouviez-vous pas faire cela avant et pourquoi est-il nécessaire d'énoncer ce pouvoir dans le projet de loi?

M. Coulombe : En fait, selon notre interprétation de la loi sur le SCRS, nous avons toujours pu œuvrer à l'étranger. Mais, encore une fois, pour que ce soit énoncé de façon explicite dans la loi sur le SCRS, c'est en fait le projet de loi C-44 qui nous donne ce pouvoir.

Si le projet de loi C-44 est adopté, alors le projet de loi C-51, lorsqu'appliqué, prévoit que l'on puisse mener des activités visant à réduire les menaces à l'extérieur du Canada tout comme notre mandat nous permettant de recueillir des renseignements. Mais, c'est le projet de loi C-44 qui prévoit expressément un pouvoir que nous avions déjà.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci beaucoup d'avoir expliqué ainsi les dangers qui nous menacent et dont les Canadiens devraient être au courant.

J'ai une question pour Mme Bossenmaier au sujet de la vie privée des Canadiens. Avez-vous confiance que la vie privée des Canadiens sera protégée en vertu de ce projet de loi étant donné les nouvelles requêtes qui vous seront acheminées? Avez-vous confiance quant à l'échange d'information avec 17 agences différentes?

Mme Bossenmaier : Encore une fois, ce projet de loi ne change en rien le mandat ou les pouvoirs actuels du CST.

En ce qui a trait à la vie privée, notre mandat tel que prévu par la loi contient des limites et des dispositions claires quant aux activités entreprises pour protéger la vie privée des Canadiens. Comme je l'ai dit un peu plus tôt, nous respectons toutes les lois canadiennes, dont la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Charte canadienne des droits et libertés.

En vertu de la loi, le CST n'a pas le droit de cibler des gens au Canada ou des Canadiens, où qu'ils soient, en ce qui a trait aux renseignements étrangers et aux activités de cyberdéfense. Comme je l'ai mentionné, nous faisons l'objet d'un examen par le commissaire indépendant du CST depuis 1996, selon lui, nous n'avons jamais été dans l'illégalité et dans des rapports précédents, il a noté la culture de conformité à la Loi du CST.

Pour ce qui est de la liste des 17 agences, comme je l'ai dit, oui, nous faisons partie des agences fédérales qui pourraient recevoir des renseignements. Je réitère que ces renseignements doivent être directement liés à notre mandat de renseignements étrangers ou de cyberprotection, donc un mandat très restreint.

Ce sont des renseignements que nous pouvons recueillir déjà, mais ces dispositions nous permettraient de faire tomber certaines des barrières existantes qui empêchent d'autres ministères de partager ces renseignements avec nous. Encore une fois, ces renseignements doivent strictement être en lien avec notre mandat de renseignements étrangers et de cyberdéfense.

Le sénateur Kenny : Monsieur le sous-commissaire Cabana, j'ai quelques questions à vous poser. Pourriez-vous décrire au comité les coûts, financiers ou autres, de la mutation de 600 membres du personnel de la section du crime organisé à l'EISN? Le coût annuel pour un gendarme est d'environ 180 000 $. Le commissaire Zaccardelli, à l'époque, estimait que ce coût était d'environ 200 000 $. Ce montant inclut le salaire, l'équipement, les heures supplémentaires, et tout le reste.

Je voudrais savoir à quel point il est difficile de muter des employés à l'EISN, combien de temps cela prend avant qu'ils soient efficaces dans leurs nouvelles tâches et comment la relève fonctionne pour le crime organisé?

Si vous obteniez 100 millions de dollars supplémentaires dans le budget de demain, vous pourriez ainsi avoir 500 gendarmes supplémentaires. Combien cela faudrait-il de temps pour que ces nouveaux employés soient efficaces et utiles dans l'unité du crime organisé ou au sein de l'EISN?

M. Cabana : Merci de votre question, sénateur. C'est une bonne question. Malheureusement, je ne sais pas à quel point je puis vous répondre, puisque ce n'est pas une chose pour laquelle nous avons établi les coûts.

Les employés que nous avons mutés aux priorités de sécurité nationale n'ont pas été, pour la plupart, déplacés. Ils travaillent dans le même secteur, mais poursuivent un objectif différent. Pour ce qui est des coûts, je vous laisse faire le calcul. Je pense que les chiffres que vous avez sont probablement assez justes.

Mais ce n'est pas une situation sans précédent pour la GRC, car c'est ce que nous faisons. Nous priorisons continuellement nos ressources et les orientons vers les priorités les plus importantes.

La plupart d'entre vous se rappelleront peut-être que, il y a quelques années à peine, des bateaux transportant des migrants arrivaient au Canada. À l'époque nous avons redirigé énormément de ressources vers cette priorité en particulier.

Maintenant, nous concentrons nos efforts sur la sécurité nationale et le terrorisme. Je suis d'accord avec vous, il y a des coûts, mais je ne sais pas exactement ce qu'ils sont.

Pour ce qui est du temps requis avant qu'un employé devienne efficace, j'imagine que ça dépend de votre définition du mot « efficace ». Nous savons qu'un grand nombre d'entre eux ont peu d'expertise ou d'expérience dans le domaine de la sécurité nationale. Nous prenons acte des recommandations de la Commission O'Connor et de la Commission Iacobucci et savons pertinemment que ces employés doivent faire l'objet d'une supervision étroite par d'autres employés qui ont assez d'expertise. Nous avons modifié notre formation pour que les employés soient formés aussi rapidement que possible et qu'ils aient les connaissances de base pour œuvrer dans le domaine de la sécurité nationale.

De plus, le cadre de gouvernance entourant notre travail en matière de sécurité nationale est centralisé ici à Ottawa. Ainsi, toutes les étapes du processus d'enquête sont gérées et supervisées étroitement par des personnes ici, qui ont énormément d'expertise en matière de sécurité nationale.

Voilà certaines des mesures que nous avons prises pour atténuer le fait que certains employés n'ont pas autant d'expérience que d'autres dans le domaine de la sécurité nationale.

Le sénateur Kenny : Si vous pouviez augmenter de 500 employés la capacité de traitement du dépôt, combien de temps cela prendrait-il avant que ces employés puissent être utiles au sein de l'EISN?

M. Cabana : Je crains ne pas avoir de réponse à cette question. Cela prendrait du temps.

Le sénateur Kenny : Deuxièmement, j'aimerais demander au sous-commissaire Cabana de nous fournir des exemples de cas où la police pourrait arrêter quelqu'un sans mandat. Pourriez-vous nous parler de toutes les étapes du processus décisionnel, ce que vous feriez, et comment tout cela fonctionnerait?

M. Cabana : C'est une vaste question puisque cela pourrait se produire dans bien des circonstances. Je me souviens d'un incident en particulier, qui remonte à juin de l'an dernier, quand un individu sous enquête s'est rendu à l'aéroport dans le but de quitter le Canada, et nos agents de police croyaient que cet individu voyageait à des fins de terrorisme. Bien qu'ils n'avaient pas de mandat d'arrestation, ils ont appréhendé l'individu. Donc, si nos membres ont des motifs raisonnables et probables, ils peuvent à l'heure actuelle appréhender des individus.

Le sénateur Kenny : Et les détenir sans mandat?

M. Cabana : Au Canada, personne ne peut être détenu indéfiniment sans mandat. Il existe des dispositions législatives pour les individus qui sont arrêtés sans mandat. Ils comparaissent devant un juge aussitôt que possible et assurément dans un délai de 24 heures.

La sénatrice Beyak : Merci à tous de vos excellentes présentations. Elles étaient claires et instructives, en plus de rassurer les Canadiens qui nous regardent à la maison. La lutte contre le terrorisme nous concerne tous, et nous voulons vous donner autant d'outils que possible.

Certains de mes commettants croient qu'il y a deux types de justice au Canada. Une pour les Canadiens ordinaires et une justice moins sévère pour des personnes comme les épouses djihadistes. Est-ce vrai? Pouvez-vous m'expliquer les raisons pour lesquelles vous n'avez pas déposé d'accusations contre elles bien qu'elles semblaient appuyer une organisation terroriste? Était-ce leur âge, leur pays d'origine ou d'autres détails que vous pouvez nous dire et dont on n'a pas connaissance?

M. Cabana : Je présume, madame la sénatrice, que la question s'adresse à moi. Je présume aussi que vous faites référence aux trois adolescentes de Toronto.

La sénatrice Beyak : Oui.

M. Cabana : Déposer ou pas des accusations n'est pas une décision prise à la légère. Cette décision implique des consultations exhaustives avec des représentants des SPPC. De nombreux facteurs sont pris en considération afin de prendre cette décision. Au final, la décision de déposer ou de ne pas déposer des accusations relève du procureur général.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Ma question s'adresse à M. Cabana.

Le projet de loi C-51 rendra criminelle la glorification des actes terroristes, et je crois qu'il s'agit d'un aspect très important compte tenu de la facilité avec laquelle cette glorification peut se faire sur Internet.

J'aimerais que vous nous parliez de vos méthodes de travail et de ce que vous recherchez pour vous permettre de porter des accusations en vertu des dispositions de la nouvelle loi.

Avez-vous une idée du nombre d'accusations que vous auriez pu porter si le projet de loi C-51 avait été en vigueur au cours de la dernière année?

M. Cabana : Merci beaucoup pour votre question. C'est une très bonne question, mais, malheureusement, je ne peux y répondre. Nous ne nous sommes pas arrêtés au nombre d'enquêtes qui auraient pu mener à des accusations en vertu du projet de loi C-51.

Plusieurs méthodologies seront utilisées. Nous n'avons pas une approche simple qui s'applique à chacune des enquêtes. Nous travaillons au cas par cas et, dans certaines circonstances, en fonction de l'information qui nous parvient, soit de la part de la famille ou de la communauté ou de sources d'information confidentielle. De même, il y a des gens, au sein de la GRC et au Service canadien du renseignement de sécurité, qui suivent les médias sociaux afin de déterminer quelle sorte de matériel ou d'information est partagée publiquement sur certains sites.

[Traduction]

Le sénateur White : Merci à chacun d'entre vous d'être des nôtres.

Monsieur Coulombe, vous parlez de perturbation. D'après ce que je comprends, d'autres pays utilisent la perturbation, dont les pays scandinaves, le Royaume-Uni, je crois, et d'autres pays avec lesquels nous sommes souvent partenaires. Ces pays vous diraient que leurs services de police travaillent en plus étroite collaboration avec leurs services de renseignements que nos services de police avec le SCRS et que certains d'entre eux se sont au moins joints à des unités.

Pouvez-vous expliquer aux Canadiens — vous avez expliqué comment vous le feriez — pourquoi il est nécessaire que le Canada ait une telle capacité ou habileté?

M. Colombe : Pour diverses raisons. Nous avons parlé de la vitesse, de la vélocité à laquelle une attaque terroriste passe de l'aspiration, à la conception, à l'exécution. J'ai dit que parfois nous n'avons pas le temps de décider de notre réaction. Vous pourriez, par exemple, ne pas atteindre le seuil permettant à la GRC d'intervenir. Si par exemple nous demandons à une source humaine de tenter de dissuader quelqu'un de voyager à l'étranger, si nous avons un lien avec cette personne, il est logique de lui demander d'agir plutôt que de transférer cette source humaine à la GRC. Sinon, le temps passe, et à la vitesse à laquelle les choses évoluent cette personne pourrait déjà avoir pris l'avion.

Nous pouvons intervenir avant qu'un crime n'ait lieu. Encore une fois, je réitère que nous avons déjà des consultations avec la GRC en vertu de notre mandat de cueillette des renseignements pour nous assurer de ne pas miner une enquête criminelle, pour nous assurer de ne pas dédoubler nos efforts, mais aussi pour nous assurer qu'il n'y ait pas de lacunes, qu'il n'y ait aucun aspect qui soit laissé-pour-compte. Le même principe s'étend à notre mandat de réduction des menaces, mais ce n'est pas qu'avec la GRC. C'est aussi avec des partenaires comme l'ASFC.

Mike parlait du centre d'opération commun pour traiter les voyageurs à haut risque de concert avec de nombreux partenaires. C'est un bon exercice de gestion de cas car nous sommes tous réunis et nous décidons pour chaque cas quelle est la meilleure marche à suivre et qui devrait se charger du dossier.

Le sénateur White : Merci de votre réponse. En fait, nous avons au Canada plus ou moins 198 services de police répartis partout au pays. La GRC n'est pas le service de police qui a compétence dans les deux plus grandes provinces et joue plutôt un rôle fédéral et de sécurité nationale bien sûr. Beaucoup de gens vous diront que cette impossibilité de perturber des actions terroristes pourrait mettre en péril la vie des Canadiens.

M. Coulombe : Oui.

Le sénateur Ngo : Pour donner suite aux commentaires du sénateur White, avez-vous dit que l'échange d'information au sujet des menaces terroristes avec le SCRS relevait de votre mandat? Si oui, qui décide de l'échange et à quel moment? Quelqu'un a aussi dit que le SCRS garde dans ses archives le dossier d'un suspect un peu trop longtemps. Êtes-vous d'accord avec cela?

M. Coulombe : Désolé, que nous faisons quoi?

Le sénateur Ngo : Que vous gardez les dossiers des suspects un peu trop longtemps avant d'échanger l'information.

M. Coulombe : Par exemple, avec la GRC?

Le sénateur Ngo : Oui.

M. Coulombe : Pour vous dire bien franchement, je ne suis pas du tout d'accord avec cette affirmation. Vous devez voir comment s'articule la relation entre le service et la GRC aujourd'hui et non comment elle s'articulait il y a 20 ans. Chaque jour, nos bureaux régionaux, nos différents services et nos quartiers généraux tiennent des dizaines de réunions entre nos agents et les agents de la GRC.

Lorsque j'étais directeur général à Montréal — et je sais que les choses n'ont pas changé — il y avait une rencontre mensuelle entre nous et la GRC pour passer en revue les différents dossiers pour lesquels il fallait établir le seuil criminel. Nous ne sommes pas des agents de police. Nous ne sommes pas des experts pouvant déterminer le seuil criminel. C'est la raison pour laquelle nous consultons tout le temps la GRC quant au moment où l'information devrait lui être transmise.

Encore une fois, je suis totalement en désaccord avec l'idée que nous conservons des dossiers pour nous-mêmes et que nous décidons de notre propre chef lorsqu'ils doivent être transmis à la GRC et que cela se fait habituellement trop tard.

Le sénateur Ngo : Alors, qui détermine si l'information doit être communiquée et à quel moment?

M. Coulombe : Encore une fois, nous en décidons à la suite de consultations avec la GRC et avec le temps, le service a développé certaines connaissances. Nous ne sommes pas des experts. Mais nous savons quand il faut faire intervenir la GRC.

Pour ce qui est du dossier antiterroriste, nous parlons quotidiennement avec la GRC, nous échangeons de l'information avec elle, elle sait ce que nous faisons, elle connaît nos cibles et elle sait à quel moment elle doit intervenir. Il est important de comprendre que lorsque la GRC décide d'intervenir, cela ne veut pas forcément dire que nous abandonnons le dossier intérêt. Mike, dans sa déclaration préliminaire, a parlé d'enquête parallèle. Nous ne sommes pas ici pour complémenter ce que fait la GRC, mais nous pouvons mener des enquêtes parallèles.

Le sénateur Day : Merci beaucoup d'être là. Je commence à peine à ma familiariser avec ce projet de loi. Ça prend quand même un certain temps pour en comprendre les nuances, de sorte que, à cette étape-ci mes questions sont assez générales. Avec le temps, nous pourrons aborder des points plus précis.

Ma première question s'adresse à M. Coulombe, le directeur. Monsieur Coulombe, il me semble que vous nous rassurez entièrement, ainsi que le public, avec ce paragraphe de votre exposé où vous dites ce qui suit :

Les modifications proposées à la Loi sur le SCRS sont adaptées aux besoins, mesurées et, selon moi, essentielles.

Aujourd'hui, nous nous penchons sur l'ensemble du projet de loi C-51 et les modifications à la Loi sur le SCRS se trouvent à la partie 4 et visent essentiellement les articles 40 à 51, ce qui ne représente qu'une petite partie du projet de loi qui en compte cinq. Quand vous dites que les modifications sont « essentielles », parlez-vous uniquement de celles visant la Loi sur le SCRS ou bien devraient-elles viser l'ensemble des quatre autres parties du projet de loi?

M. Coulombe : Je parle très certainement de la partie concernant la communication de l'information qui est essentielle pour nous.

Le sénateur Day : Oui, et qui se trouve dans la partie 1.

M. Coulombe : Oui. Et même si l'impact est indirect pour notre service, je crois certainement que les trois autres changements apportés au Code criminel concernant la sécurité aérienne et la section 9 sont également des changements nécessaires.

Le sénateur Day : Merci. C'est utile pour comprendre les observations que vous avez faites.

Vous avez également parlé d'un nouveau pouvoir semblable à ceux qu'exercent un bon nombre de nos partenaires étrangers. Vous vous dites satisfait que les nouveaux pouvoirs qui figurent dans divers articles du projet de loi — non seulement ceux liés aux modifications touchant la Loi sur le SCRS, comme la communication d'informations notamment — sont semblables à ceux exercés par de nombreux partenaires étrangers?

M. Coulombe : Dans ce cas-là, oui, mais je parle plus particulièrement des activités de réduction de la menace.

Le sénateur Day : Merci pour vos explications. Je comprends un peu mieux le sens de votre présentation.

Ma deuxième question s'adresse au sous-commissaire et porte également sur son exposé. Je me demande si vous pouviez me donner davantage d'explications sur les quelque 600 membres qui sont mutés aux équipes intégrées de la sécurité nationale afin d'assurer la sécurité nationale du Canada. Je comprends cela. Je suis certain que vous avez songé à ceux qui travaillaient dans des domaines où des individus essaient d'amasser des fonds illégaux pour appuyer des activités terroristes. J'imagine que vous n'allez pas retirer de l'effectif de ce secteur particulier.

Vous pouvez parler de cette question, mais ce qui m'intéresse le plus, c'est lorsque vous dites :

Par conséquent, la GRC reconnaît qu'il lui faut trouver une solution à long terme pour pouvoir assumer l'intégralité de son mandat de police fédérale.

Nous reconnaissons aussi qu'un bon nombre de l'effectif de la GRC est aussi affecté aux services policiers offerts sous contrat.

Pouvez-vous nous dire un peu comment vous pensez trouver une solution à long terme? Nous reconnaissons aussi que vous avez besoin de fonds supplémentaires pour embaucher d'autres membres, mais cela arrive probablement en temps et lieu. Que pensez-vous faire à l'heure actuelle pour ce qui est de la gestion?

M. Cabana : Je vous remercie, sénateur Day, pour cette question.

C'est une réalité à laquelle nous devons faire face. Nous avons dû commencer à nous pencher sur cette question il y a au moins un an lorsque nous avons perçu la tendance. Au sein du service, nous avons eu des discussions pour déterminer l'importance de la tendance et comment nous positionner par rapport à cette dernière.

À l'interne, nous essayons d'agir de la façon la plus judicieuse possible en choisissant les membres qui peuvent s'ajouter aux enquêtes actuelles et qui font partie de l'EISN, c'est-à-dire notre équipe d'enquête sur la sécurité nationale. Nous voulons nous assurer que nous ne sommes pas contre-productifs en retirant ces personnes d'un secteur d'activité qui appuie en fait la priorité. Le fait est que notre effectif est important et que, au bout du compte, cela a une incidence sur certains de nos autres mandats.

C'est ce que je voulais dire quand j'ai parlé d'examiner des solutions à plus long terme. La situation actuelle n'est pas viable. Sommes-nous en mesure de gérer la tendance et la crise actuelle, oui. Nous affectons le nombre nécessaire de ressources à ce secteur d'activité, mais cela a un coût et une incidence sur d'autres secteurs. Je ne peux pas vous dire quelle sera notre solution parce que nous n'en avons pas à l'heure actuelle.

Nous examinons des possibilités et évaluons comment nous établissons l'ordre de priorité de nos dossiers. C'est quelque chose que nous faisons constamment, presque quotidiennement. Nous essayons de voir comment nous pouvons apporter des ajustements pour nous assurer d'avoir une approche équilibrée afin de respecter nos divers mandats. Mais il y a une chose que nous continuerons de faire, c'est d'accorder la priorité aux dossiers les plus à risque qui, à l'heure actuelle et pour la plupart, portent sur la sécurité nationale.

Le sénateur Day : Est-ce que ce rajustement comprend un examen des actifs que vous affectez maintenant aux services de police à contrat? Avez-vous envisagé accroître le nombre de membres et de nouvelles recrues qui seront envoyées à la division Dépôt de la GRC?

M. Cabana : Je peux vous dire que, à l'heure actuelle — même si ce n'est pas dans une grande mesure — nous avons des membres qui viennent ou que nous avons retirés des services policiers à contrat pour qu'ils puissent prêter main-forte à certaines de nos équipes. Comme je l'ai dit, ils ne sont pas nombreux, mais il y en a quelques-uns.

Pour ce qui est d'augmenter nos effectifs à Regina, nous apportons des changements à notre nombre de recrutements assez souvent, mais nous ne sommes pas en mesure à l'heure actuelle de commencer à embaucher de nouvelles recrues en grand nombre et à les envoyer à la division Dépôt.

Le sénateur Day : C'est une question de financement?

M. Cabana : C'est une question de financement.

Le sénateur Baker : Monsieur Cabana, si je fais l'objet d'une de vos enquêtes, disons pour une infraction concernant de la drogue, vous mèneriez votre enquête et ensuite vous porteriez des accusations. Mais dans le cas d'une enquête visée par les dispositions sur le terrorisme, vous mèneriez une enquête et ne pourriez pas porter d'accusations. Vous devez envoyer le dossier dans un bureau à Ottawa afin qu'il soit examiné pour qu'il ne comporte aucune violation de la Charte, ce qui prend des jours, voire des semaines ou des mois avant que vous ne puissiez porter des accusations. Seriez-vous en faveur que notre comité recommande que les policiers puissent être autorisés à porter des accusations comme ils le font dans le cadre de toute autre infraction courante visée par le Code criminel?

La première partie du projet de loi prévoit une période de prescription d'un an pour porter des accusations liées à une infraction punissable par procédure sommaire. S'il s'agissait d'une enquête sur la violation de la Loi sur les pêches, cette limite serait fixée à deux ans, pour une infraction à la loi sur l'environnement, deux ans, pour porter des accusations contre un politicien, dix ans, cinq ans après que vous ayez pris connaissance des faits. La première partie du projet de loi établit la limite de prescription à un an et au-delà de cette période, il est impossible de porter des accusations.

Peut-être ne voudrez-vous pas répondre à ces questions, cela dépend de vous, mais appuieriez-vous le comité si nous recommandions que la période permettant de porter des accusations soit prolongée plutôt que de ne disposer que d'une période d'un an dans un domaine très complexe comme le terrorisme?

C'était mes deux questions.

M. Cabana : J'ai bien peur de ne pas pouvoir répondre par oui ou non, sénateur.

En gros, la GRC est responsable de l'application des lois que le Parlement juge bon d'élaborer et d'adopter, et c'est ce que nous allons continuer de faire.

En termes de contexte, je veux éviter toute confusion. D'abord, il y a un certain nombre d'administrations au Canada où les accusations au criminel ou relatives aux stupéfiants nécessitent une approbation préalable au dépôt d'accusations.

Ensuite, la relation que nous avons avec le Service des poursuites pénales du Canada pour ce qui est de monter les dossiers est encore plus serrée que celle que nous avons avec le SCRS. Le service nous offre des conseils dès le début de notre enquête. Et oui, il existe un processus dans le cadre duquel le dossier est envoyé à Ottawa pour approbation, mais les discussions le concernant ont eu lieu bien avant que le processus n'entre en jeu.

Le sénateur Baker : Et pour la deuxième question, portant sur la prescription.

M. Cabana : Eh bien, il incombe au Parlement de décider la limite qu'il veut imposer sur l'application de ces dispositions.

La sénatrice Jaffer : Je m'adresse à vous trois. À l'instar de bon nombre de personnes dans la communauté musulmane canadienne, je suis très inquiète de la façon dont cette loi sera appliquée. Le président a parlé de djihadistes musulmans, et il ne fait aucun doute que la collectivité se sent très menacée. J'aimerais savoir ce que vous comptez mettre en place.

L'une des choses que me disent les membres de la collectivité porte sur la communication de l'information. Maintenant que l'information sera partagée avec 17 groupes, y compris l'Agence d'inspection des aliments ainsi que le ministère des Transports et l'Agence de santé publique. Les gens sont à l'aise de penser que le SCRS a le savoir-faire nécessaire pour recueillir des renseignements de sécurité et en assurer la protection. Comment allez-vous partager cette information avec tous ces groupes tout en vous assurant qu'il n'y aura pas d'atteinte à la vie privée?

M. Coulombe : Je pense qu'il est important de comprendre que le projet de loi vise à faciliter la communication d'informations. Il n'apporte aucun changement à notre façon de faire avec les autres ministères en ce qui a trait au partage de l'information, et je parle ici du SCRS.

Pour nous, c'est essentiel à l'heure actuelle parce que nous devons demander aux autres ministères s'ils ont telle ou telle information, mais il est difficile d'essayer d'obtenir quelque chose sans savoir si cette chose existe. Comme l'indique l'article 5, les organismes peuvent, de leur propre chef, décider de nous communiquer de l'information si elle relève de notre mandat.

Nous avons des protocoles pour le partage d'informations. Nous imposons des réserves sur son utilisation : « Vous devez nous informer. » Rien n'a changé à cet égard. Les contrôles qui sont déjà en place continueront de l'être à l'adoption du projet de loi C-51. Cela ne change rien quant au flux d'information. Cela ne fait qu'expliciter que dans le contexte de la sécurité nationale on s'attend à ce que vous transmettiez l'information si votre loi habilitante vous le permet.

M. Cabana : Peut-être puis-je présenter la position de la GRC sur cette question.

Les dispositions portant sur la communication d'informations qui se trouvent dans le projet de loi ne changent pas grand-chose dans nos façons de faire. Nos méthodes de fonctionnement ont été élaborées au fil de nombreuses années en fonction de recommandations découlant de diverses commissions. Nous partageons l'information conformément au cadre juridique actuel, y compris celui de la Loi sur la protection des renseignements personnels et en fonction de l'usage. Cela ne va pas changer.

Quant à votre question liée aux préoccupations de la collectivité musulmane, je puis vous dire que nous en tenons compte. Nous comprenons ses préoccupations. Nous nous employons à travailler de très près avec les personnes clés de cette collectivité, mais en fin de compte, nous ne ciblons aucune collectivité. Nous ne ciblons aucun particulier en fonction de sa religion ou de son origine ethnique. Nous travaillons en fonction d'éléments de preuve.

Nous comprenons très bien les craintes de la collectivité et j'espère que, après un certain temps nous pourrons montrer clairement que cette collectivité n'est pas la cible de la GRC. Je ne peux pas parler pour mon collègue, mais je peux vous dire sans hésitation que le service...

M. Coulombe : Je suis tout à fait d'accord. Nous ne ciblons aucune collectivité. Nous ciblons des particuliers en fonction de leurs activités. Si leurs activités correspondent à ce que l'on entend par « des menaces à la sécurité du Canada », dont la définition se trouve dans la Loi sur le SCRS, nous ferons enquête.

Le président : Chers collègues, j'ai une question de suivi à l'intention du sous-commissaire Cabana.

Il y a six mois, comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, le grand public a appris qu'il y avait plus de 300 Canadiens qui étaient directement ou indirectement liés à des activités de terrorisme. Six mois se sont écoulés depuis.

Quand j'ai posé la question, on m'a répondu que ce nombre a augmenté, mais on ne nous a pas donné de chiffres précis. Je pense honnêtement qu'il est grand temps que le public sache combien de Canadiens sont activement impliqués, que ce soit directement ou indirectement dans des activités terroristes au Canada, qu'il s'agisse d'individus au pays ou à l'étranger.

Monsieur Cabana, seriez-vous prêt à transmettre au comité le nombre de voyageurs à risque élevé qui sont rentrés au Canada au cours des six derniers mois, c'est-à-dire ceux qui ont quitté le Canada pour participer à des activités terroristes à l'étranger. Pourriez-vous aussi nous transmettre le nombre actuel de personnes qui s'adonnent activement à des activités terroristes à l'extérieur du Canada? Les Canadiens veulent cette information et je vous serais reconnaissant si vous pouviez déposer cette information au comité.

M. Cabana : Sénateur, je vais essayer de répondre à votre requête, mais il faut savoir que dès le moment où je fournirai un chiffre, il est fort probable qu'il sera obsolète parce que le nombre change continuellement.

Le président : Peu importe. Cela fait six mois et je sais que nous ne voulons pas obtenir une mise au point quotidienne. Le public canadien mérite de connaître la menace à laquelle il fait face. J'aimerais connaître le nombre de personnes qui participent activement, soit directement ou indirectement, à des activités de terrorisme.

C'est préoccupant et nous savons que la menace terroriste a augmenté considérablement depuis six mois. Nous nous réjouissons à l'avance de cette réponse et nous vous serions reconnaissants de nous la transmettre le plus rapidement possible.

Je vous remercie d'avoir témoigné. Nous apprécions votre honnêteté dans vos réponses.

Chers collègues, je souhaite remercier nos témoins d'avoir été là et d'avoir répondu à nos questions. Je veux aussi souhaiter la bienvenue aux représentants du Service des poursuites pénales du Canada, M. George Dolhai, directeur adjoint des poursuites pénales, et Mme Ursula Hendel, avocate-conseil et coordonnatrice nationale des poursuites de terrorisme.

Le Service des poursuites pénales du Canada est concerné au premier chef par l'application des lois adoptées par le Parlement. Comme nous l'avons entendu, vous travaillez de près avec la GRC et, dans certains cas, avec le SCRS pour déterminer les modalités d'application de ces lois.

Monsieur Dolhai et madame Hendel, je vous souhaite la bienvenue au comité. Je crois comprendre que M. Dolhai a une déclaration préliminaire. Je vous invite à commencer.

George Dolhai, directeur adjoint des poursuites pénales, Service des poursuites pénales du Canada : L'automne dernier, Mme Hendel et moi avons eu le plaisir de comparaître devant votre comité pour répondre à des questions générales sur la sécurité nationale et plus particulièrement sur le terrorisme. Comme vous le savez, le Service des poursuites pénales du Canada n'élabore pas de politique législative. Nous sommes un ministère axé sur les opérations.

L'enquête et la poursuite liées aux infractions de terrorisme, comme vous l'avez entendu de témoins précédents et selon notre expérience, regroupent les efforts des services d'application de la loi, de renseignement de sécurité et de poursuites.

[Français]

En ce qui concerne les dispositions du Code criminel portant sur le terrorisme, nous exerçons une compétence partagée avec les services des poursuites pénales des provinces. Nous coordonnons notre approche avec ceux-ci au moment de décider lequel mènera la poursuite dans une affaire donnée, en fondant cette décision sur le critère de l'intérêt public.

[Traduction]

À l'échelle régionale et à l'administration centrale, nous communiquons constamment avec les organismes d'enquête comme la GRC pour nous assurer que nous connaissons bien leurs priorités opérationnelles. Nous continuons d'affecter et de réaffecter nos ressources en matière de poursuites selon les besoins afin d'être en mesure de répondre à ces exigences opérationnelles.

Nous affectons des avocats d'expérience dans chaque région pour traiter des divers aspects du rôle consultatif tout au long d'une enquête, ou bien pour mener à bien une poursuite. Nos avocats de la Couronne offrent des conseils en temps voulu aux organismes policiers qui mènent des enquêtes sur le terrorisme. Nous offrons également de la formation aux agents affectés à l'application des lois. À l'administration centrale, nous avons des avocats principaux, comme Mme Hendel, qui veillent à ce que les procureurs désignés obtiennent l'appui dont ils ont besoin dans les régions et sur le terrain et cela comprend des outils et de la formation spécialisés.

Je consulte souvent le groupe des avocats généraux principaux qui sont les avocats plaidants ayant le plus d'expérience au pays. Nous estimons que leur groupe est une ressource nationale à qui je peux faire appel pour du travail consultatif ou la tenue de poursuites peu importe où ils se situent et en fonction de leur expérience. Tout cela nous permet de mener un effort coordonné en relation avec ces dossiers.

En plus d'offrir des conseils aux policiers, nous devons faire des évaluations pour déterminer s'il faut offrir le consentement du procureur général relativement à des engagements assortis de conditions, à des engagements de ne pas troubler l'ordre public ou à des poursuites pour infraction de terrorisme. Ces décisions sont le fruit de consultations sérieuses et continues et de communication entre nous, les enquêteurs ou les procureurs responsables à notre administration centrale. La décision ultime d'accorder un engagement assorti de conditions, un engagement de ne pas troubler l'ordre public ou une poursuite pour infraction de terrorisme me revient à titre de directeur adjoint.

En tant que directeur adjoint, mon rôle consiste non pas à déterminer si je dois permettre le déroulement du processus recherché par l'imposition d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public, d'un autre type d'engagement ou le dépôt d'accusation, mais plutôt s'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour qu'un juge puisse — et non pas qu'il doive — déterminer que les exigences légales et les seuils ont été respectés.

Comme l'a évoqué le sous-commissaire Cabana, Mme Hendel, moi et d'autres avocats principaux à l'administration centrale entretenons une relation continue relativement aux enquêtes et aux conseils formulés par les avocats de la Couronne. En général, à moins qu'il n'y ait quelque chose qui survienne à la toute dernière minute, Mme Hendel et moi sommes très au courant des éléments de preuve qui ont été recueillis parce que nous en avons été informés directement par nos avocats les plus expérimentés.

Sénateur, lorsque je reçois une demande ou comme vous l'avez dit lorsque c'est envoyé à Ottawa, au même moment un avis est envoyé à l'administration centrale de la GRC. Et au moment où cela se produit, nous avons une très bonne idée des éléments de preuve et nous savons si les seuils ont été respectés. À ce moment-là, ce n'est pas comme si nous lisions les faits ou que nous les apprenions sur-le-champ.

[Français]

En conclusion, le Service des poursuites pénales du Canada accorde une grande priorité aux poursuites en matière de terrorisme. Je suis fier du dévouement et de l'expertise dont font preuve les procureurs du Service des poursuites pénales dans de tels dossiers. Nous avons hâte de répondre à vos questions. Merci.

[Traduction]

Le sénateur Runciman : Monsieur Dolhai, vous avez énuméré vos responsabilités en ajoutant que vous êtes procureur général délégué pour les poursuites dans des affaires de terrorisme et que vous signez les engagements à ne pas troubler la paix. Je songe ici à un incident — je veux parler de la mort de l'adjudant Patrice Vincent — qui préoccupe particulièrement les Canadiens et auquel ils ont vivement réagi. Apparemment, l'individu responsable de la mort de l'adjudant faisait l'objet d'une demande d'engagement à ne pas troubler la paix.

Pouvez-vous nous donner plus de détail sur le processus qui était prévu en l'occurrence? Vous avez parlé d'un seuil. Est-ce que cette demande d'engagement à ne pas troubler la paix s'est rendue jusqu'à un tribunal et quel a été le rôle de votre bureau dans le processus?

M. Dolhai : Dans le cas de cette mort tragique, il n'y a pas eu de demande d'engagement à ne pas troubler la paix. Des discussions se déroulaient entre nos enquêteurs à Montréal et nos procureurs principaux afin de voir si nous possédions assez de preuves pour faire une telle demande d'engagement à ne pas troubler l'ordre public.

Il s'agit d'un processus courant entre nos procureurs et les enquêteurs à l'échelon local. Dans le cas qui nous occupe, en fait, il a été déterminé que les preuves étaient insuffisantes et ne répondaient pas au seuil prévu par la loi.

J'ai été consulté tout au long du processus et ainsi j'étais au courant des preuves existantes et de l'évaluation qu'en faisaient nos procureurs principaux au bureau régional ainsi que du rôle des enquêteurs.

Le sénateur Runciman : Étant donné les modifications prévues dans le projet de loi C-51, dans un cas du même genre, quelle serait votre réaction?

M. Dolhai : Je procéderais à l'évaluation des preuves. Comme je l'ai dit, notre service est axé sur les opérations et ainsi actuellement, nous venons principalement à l'aide des forces de l'ordre et les poursuites sont engagées en vertu des dispositions législatives qui existent actuellement.

Le sénateur Runciman : Je comprends bien. Je songeais ici à une plus grande latitude quant à l'interprétation d'une menace.

M. Dolhai : Le seuil est nettement moins élevé.

Le sénateur Runciman : Absolument. Je suppose que si ces dispositions législatives avaient été en vigueur, votre réponse et celle des enquêteurs auraient été différentes.

J'ai parlé tout à l'heure d'un article paru dans Le Journal de Montréal ce week-end. Il y était question d'une entente consentie par le Service des poursuites pénales du Canada avec les militants des Tigres tamouls afin que personne ne soit poursuivi pour raison de financement du terrorisme.

Depuis 2009, le CANAFE consacre des sommes importantes pour contrer le financement du terrorisme. Je pense que vous étiez présent quand, plus tôt, j'ai cité certains paragraphes de cet article relatant que la situation est gênante pour le Canada au niveau international, car très peu d'accusations, voire aucune, ont été portées. Souhaitez-vous saisir l'occasion de répondre au contenu de cet article?

M. Dolhai : Sénateur, la question du financement du terrorisme est capitale. Nous y travaillons en étroite collaboration avec la police. Il y a eu des condamnations au Canada dans le cadre d'infractions de ce genre. Dans un cas, il s'agissait des Tigres de libération de l'Eelam tamoul de Colombie-Britannique. Monsieur Thambithurai a plaidé coupable et a été condamné.

Comme l'a dit le sous-commissaire Cabana, il s'agit d'obtenir des preuves. En tant que procureur, notre rôle est de conseiller la police. Ce rôle n'est pas passif et nous ne nous contentons pas de dire qu'il n'y a pas assez de preuves. Le processus est tout à fait itératif et les enquêteurs, nos procureurs et notre quartier général, moi y compris, sommes constamment occupés à réévaluer la suffisance des preuves dans le cas d'une accusation, y compris une accusation de financement d'un acte terroriste.

J'ai déjà cité le cas de Thambithurai. Il y a également eu des accusations semblables portées contre M. Khawaja.

Le sénateur Runciman : Deux depuis 2009, n'est-ce pas?

M. Dolhai : C'est cela.

Le sénateur Runciman : Eh bien, je pense qu'il y a de quoi s'inquiéter quand on songe qu'il s'agit de 250 millions de dollars, de 683 pistes fournies à la GRC, au SCRS et à d'autres forces de l'ordre alors qu'il n'y a eu que deux poursuites. Nous vous serions reconnaissants de nous fournir d'éventuels conseils sur cet aspect.

Merci.

Le président : Comme cet aspect est inquiétant, je pense qu'il faudrait l'approfondir.

Est-ce que grâce aux dispositions du projet de loi C-51 votre bureau, l'agence du renseignement et les forces de l'ordre auront-ils plus de latitude pour faire appliquer la loi en ce qui concerne le financement du terrorisme et des poursuites éventuelles?

M. Dolhai : Les dispositions du projet de loi ne portent pas précisément sur le financement du terrorisme. De nouvelles infractions y figurent et on rabaisse la barre pour ce qui est de l'obtention d'un engagement à ne pas troubler l'ordre public ou un engagement avec condition. Toutefois, le financement du terrorisme n'y figure pas comme tel. À cet égard, la police devra compter sur les outils qui existent actuellement dans le code.

Je reconnais que c'est une tâche colossale pour la police et à cet égard nous avons collaboré avec elle. Nous collaborons également avec elle sur la question des produits de la criminalité en général, mais là encore, il nous faut réunir les preuves nécessaires pour aboutir à une poursuite. En présence de telles preuves, nous allons de l'avant. En fait, il est entendu que la police tirerait les mêmes conclusions que nous en présence des preuves adéquates.

Le président : J'aimerais des précisions sur un point soulevé par le sénateur Runciman. Est-il vrai que votre bureau a conclu une entente avec l'organisation tamoule l'exonérant de toute accusation?

Ursula Hendel, avocate-conseil et coordonnatrice nationale des poursuites liées aux activités terroristes, Service des poursuites pénales du Canada : Non, je ne dirais pas que c'est vrai.

Le président : Alors, où est la vérité?

Mme Hendel : Tout dépend de quelle affaire vous parlez. À ma connaissance, nous n'avons en aucun cas conclu de telles ententes avec qui que ce soit quand des accusations étaient justifiées.

M. Dolhai : Dans le cas des Tigres tamouls, sénateur, nous avions assez de preuves pour procéder à la contrainte, à la saisie et à la confiscation de propriétés conformément aux dispositions du code qui portent sur le terrorisme. Point n'est besoin de porter des accusations. Il suffit de la prépondérance des probabilités et cela est un seuil inférieur à ce qu'exige une affaire pénale ordinaire. Le tribunal doit s'assurer que les biens en question sont utilisés à des fins de terrorisme. En l'occurrence, certains biens ont été confisqués, notamment les sommes versées dans des comptes en banque.

Le sénateur Mitchell : Je voudrais approfondir cette question, mais sous un angle un peu différent.

On nous a dit que, au Royaume-Uni il y avait eu 2 000 poursuites de ce genre et quand on constate le peu de poursuites ici au Canada, la comparaison est inquiétante. D'aucuns disent que quiconque combattrait pour l'EIIS et souhaiterait revenir ici devrait se voir interdire l'entrée au pays.

Le problème vient-il du fait qu'on ne peut pas obtenir les preuves suffisantes des activités d'un individu à l'étranger? Comment doit-on s'y prendre? Comment tient-on la preuve que quelqu'un a combattu pour l'État islamique ou encore a enfreint les lois portant sur le terrorisme? Est-ce là le problème? Est-ce que cela explique pourquoi il est si difficile d'intenter des poursuites?

M. Dolhai : C'est un problème. C'est indéniable. Toutefois, nous avons intenté des poursuites avec gain de cause contre des individus qui voulaient se rendre à l'étranger. Ils n'avaient pas encore quitté le pays. Monsieur Hersi en est un exemple. En fait, il avait conseillé à un agent d'infiltration de le suivre pour s'adonner à des activités dans une organisation terroriste étrangère.

À part ces poursuites-là, actuellement, il y a devant les tribunaux l'affaire d'individus qui se préparaient à aller à l'étranger ou qui y sont allés. De nos jours, les sénateurs le savent, il y a également les gens qui se servent d'Internet. Cela pose un problème particulier pour ce qui est de la preuve, mais nous nous en servons dans la mesure du possible. Cela fait partie des dossiers que nous montons. Nous avons eu cinq cas d'individus qui étaient allés à l'étranger ou essayaient d'y aller et dans ces cas-là, nous avons obtenu des condamnations — M. Khawaja, M. Hersi.

Mme Hendel : Jamal James des 18 de Toronto est le troisième et nous avons émis des mandats contre deux autres individus. Les cinq individus dont M. Dolhai parlait ont été accusés avant l'entrée en vigueur des quatre nouvelles infractions qui portent sur le fait de quitter ou d'essayer de quitter le Canada. Des accusations ont été portées depuis.

Le président : Qui sont les deux autres individus?

Mme Hendel : M. Yar et M. Imam de Winnipeg.

M. Dolhai : Conformément aux nouvelles dispositions, nous avons actuellement cinq accusations qui portent précisément sur des individus qui cherchaient à quitter le pays afin de participer aux activités d'une entité terroriste ou plus précisément pour commettre un acte terroriste également. Nous avons donc utilisé ces nouvelles dispositions. Aujourd'hui même, de nouvelles accusations concernant un déplacement à l'étranger ont été portées.

Le président : Combien d'accusations ont été portées à l'égard des infractions que vous venez de décrire?

Mme Hendel : Je vais vous donner les statistiques dans un instant. Nous allons faire le calcul. Votre question porte précisément sur les déplacements, n'est-ce pas?

Le président : Oui.

Mme Hendel : Je vais faire le calcul. Je tiens à apporter un complément d'information. On a parlé de 19 lors du témoignage. Il s'agit là du nombre de condamnations. En fait, 45 individus ont été accusés au Canada. Dix-neuf d'entre eux ont subi leur procès au tribunal, lequel a abouti à une condamnation. Je vais vous donner dans un instant le nombre d'accusations pour une éventuelle sortie du Canada.

Le nombre d'individus ne correspond pas exactement au nombre d'accusations car de façon générale, il y a plus d'une accusation par personne.

Le président : Combien d'individus?

Mme Hendel : Vous voulez savoir combien d'individus ont été accusés de quitter ou d'essayer de quitter le Canada, n'est-ce pas?

M. Dolhai : Je peux vous renseigner sur la situation générale des poursuites après 2001. Il y a 19 individus qui ont été accusés de terrorisme, 17 ont été condamnés et leur peine a été prononcée, et 2 ont été déclarés coupables à Toronto en lien avec le projet qu'on a appelé projet Smooth. Cette affaire a été conclue récemment avec déclaration de culpabilité et on attend actuellement le prononcé de la peine.

Nous avons sept cas de demandes d'engagement à ne pas troubler l'ordre public. Dans deux de ces cas, le consentement de l'individu a été assorti de conditions plutôt lourdes, y compris une surveillance électronique grâce à un bracelet. C'était après les événements d'octobre.

Il y a eu un acquittement lors des poursuites et cela dans le cadre du projet Samosa. La Couronne a suspendu deux accusations et en a retiré une dans le cas d'OSage. Nous avons actuellement deux demandes d'engagement à ne pas trouver l'ordre public. Nous avons des arrestations ou des procès en suspens. Si je dis des arrestations en suspens, c'est parce que les individus visés ont quitté le Canada et ne sont pas encore revenus. Il y en a 17 dans ce cas-là. Sur ces 17, 7 font l'objet de mandats d'arrestation à l'étranger. Ils figurent dans le système et advenant qu'ils se rendent dans un autre pays, ils pourront être appréhendés.

Mme Hendel : Je pense que mon calcul n'est pas tout à fait juste. Je l'ai fait sur un bout de papier, et j'en arrive à 16 individus accusés d'une infraction en lien avec le fait de quitter ou de tenter de quitter le Canada afin de participer à des activités au sein d'un groupe terroriste à l'étranger.

Le sénateur Mitchell : D'aucuns laissent entendre que, à la suite de l'adoption de cette loi, il y aura des changements dans le recours aux avocats spéciaux. Je voudrais ici des éclaircissements. Le problème tient bien entendu au fait que l'avocat spécial représente quelqu'un qui est accusé d'une infraction, mais ne peut pas être présent, car le processus est secret. Pouvez-vous nous dire s'il y a des changements majeurs au recours aux avocats spéciaux? Le cas échéant, quels sont ces changements et où en sera le recours aux avocats spéciaux dans le cas des certificats de sécurité et pour ce qui est des audiences administratives en matière d'immigration?

M. Dolhai : Sénateur, je ne peux pas vous répondre à propos des affaires d'immigration, car nous n'agissons pas au nom de la Couronne dans ces cas-là.

Pour ce qui est des poursuites dont nous nous occupons, les avocats spéciaux peuvent intervenir de deux façons. Jusqu'à présent, ils sont intervenus dans des affaires entendues à la Cour fédérale quand, en vertu de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, le juge de la Cour fédérale éprouve le besoin qu'il y ait une divulgation faite en application du critère de l'arrêt Stinchcombe. Le juge de la Cour fédérale doit alors évaluer les intérêts de l'individu par rapport à ceux de l'État ou encore les intérêts de la poursuite par rapport à la nécessité d'empêcher que le Canada ne subisse un préjudice. Cela s'est produit par exemple dans l'affaire Khawaja. Je pense qu'il y a eu cinq requêtes de la sorte à la Cour fédérale.

Dans le cas de Khawaja, bien des aspects de cette divulgation ont été réglés au tribunal de première instance car, en vertu du système, c'est un juge de la Cour fédérale qui est saisi de l'affaire. Le juge prend connaissance de tous les renseignements et détermine ce qui pourra être présenté au procès et le juge de première instance essentiellement prend connaissance des renseignements fournis.

Dans un certain nombre de cas, plus récemment dans l'affaire Smooth mais dans d'autres cas également — le cas d'Osage notamment en ce qui a trait aux adultes — nous avons fait en sorte que le juge de première instance prenne connaissance de certains renseignements délicats. Dans le cas de l'affaire Smooth, le juge de première instance a pris connaissance de tous les renseignements délicats concernant une contestation des tables d'écoute, ce que l'on appelle une procédure Garofoli. Ainsi, grâce à cette information, il a pu déterminer que cet élément n'était clairement pas pertinent si bien qu'il ne serait pas présenté à la Cour fédérale. Tout renseignement pertinent peut être résumé suffisamment de sorte que l'accusé sait quelles sont les accusations portées contre lui. C'est ce qui s'est produit dans ce cas-là.

Ainsi, dans le cas du projet Smooth, il n'y a pas eu de renvoi à la Cour fédérale pour obtenir une décision en vertu de la Loi sur la preuve au Canada. Il a été très utile de pouvoir tout régler au tribunal de première instance.

S'il y avait eu contestation et si le juge de première instance, le juge Code en l'occurrence, avait pris connaissance de renseignements qu'il ne pouvait pas résumer, alors il aurait fallu faire intervenir la Cour fédérale. Toutefois, le juge de première instance aurait indiqué à la Cour fédérale le degré d'importance de ces renseignements du point de la divulgation au procès. Dans de tels cas, il faut espérer que ces renseignements ne sont pas trop volumineux.

Ainsi, dans cette affaire, une telle requête n'a pas été nécessaire si bien que le verdict a pu être rendu de façon opportune. Je pense que, entre le moment où les accusations ont été portées et le verdict de culpabilité, il s'est écoulé environ deux ans. Étant donné la nature de la preuve et tout ce que cela implique — le processus de divulgation, et cetera — c'est un délai raisonnable pour qu'une telle affaire soit conclue.

Le sénateur Kenny : Le président revient constamment à la question des accusations et des condamnations et je pense que je ne me trompe pas en disant que c'est parce qu'il veut des chiffres. Beaucoup de temps et d'argent sont en cause. Nous voudrions savoir quel est le bilan? Comment mesurer ce que nous faisons? Y a-t-il d'autres chiffres que vous pourriez nous donner afin que nous sachions si l'argent est optimisé et si le temps consacré en vaut la peine?

Monsieur le président, vous pourriez intervenir, mais je pense que j'ai compris ce que vous cherchiez.

Si vous n'avez pas la réponse vous-même, dites-nous à qui nous adresser pour que nous obtenions des chiffres ou des indices qui démontreraient que tout cela en vaut la peine. Atteignons-nous les objectifs que nous souhaitons? Devrions-nous obtenir des condamnations ou devrions-nous choisir un moyen moins officiel de résoudre le problème en entravant l'activité des terroristes potentiels?

M. Dolhai : Sénateur, j'aborde le problème du point de vue d'un avocat de la poursuite, compte tenu de notre rôle en matière de poursuites et d'enquêtes pénales. Les témoins précédents vous l'ont dit, et vous l'avez déjà entendu dire, il y a diverses façons de relever les défis.

Dans notre droit, il y a des seuils qu'il faut atteindre avant d'engager des poursuites pénales. D'autres seuils seraient peut-être appropriés en matière d'immigration. Il en va de même pour ce qui est des seuils importants et appropriés quand il s'agit de saisir des actifs comme dans le cas des TLET/WTM, s'agissant des comptes en banque. Je le répète, il y a un certain nombre d'outils à notre disposition.

Vous me demandez si ce que nous faisons en vaut la peine. Je pense qu'il faudrait poser la question à un criminologue ou à un sociologue. Qu'il s'agisse de terrorisme ou d'autres infractions, il appartient à la criminologie de faire le lien entre les condamnations et les peines imposées et la récidive.

Nous devons nous soumettre aux directives des tribunaux. Au moment du prononcé de la peine, nous mettons l'accent sur le fait que l'objectif principal dans le cas d'une infraction liée au terrorisme est la dissuasion. D'habitude, il s'agit d'empêcher la personne qui a commis l'infraction de recommencer. De façon générale, il s'agit de dissuader quiconque voudrait imiter le même acte. Ensuite il y a la réadaptation. La Cour suprême et les cours d'appel ont dit très clairement que, à cet égard, la dissuasion prend le pas sur tous les autres intérêts. Cela ne signifie pas que la réadaptation n'est pas prise en compte, mais nous sommes dans une situation où la dissuasion est un élément particulièrement important.

Je ne sais pas si ma réponse vous est utile, mais la question que vous avez posée est hors de ma compétence en tant que procureur.

Le sénateur Kenny : Étant donné la nature de notre travail, nous nous intéressons à toutes les perspectives. Vous parlez de dissuasion, avez-vous des chiffres quant aux résultats à cet égard?

M. Dolhai : On pourrait tenir compte de la récidive chez un individu en particulier. On pourrait évaluer nos résultats de la dissuasion de façon générale chez les terroristes potentiels. C'est une tâche difficile non seulement pour ce qui est des infractions de terrorisme, mais aussi pour d'autres infractions comme celles qui sont liées aux drogues. Il est difficile de savoir s'il y a une augmentation des criminels à cet égard ou une augmentation du nombre de gens que ce genre d'activités attire. Avant tout, il faut savoir à quel bassin de population vous avez affaire. Pour évaluer la dissuasion, outre l'accusé qui se voit imposer une peine qui tient compte de la gravité de son infraction, j'imagine — et là je suis hors de mon champ de compétence — il nous faudrait savoir quelle profondeur a le bassin si nous voulons mesurer nos progrès éventuels.

Le sénateur Kenny : J'ai interrompu Mme Hendel.

Mme Hendel : Je pense que votre question est manifestement très importante. Toutefois, pour nous, humbles procureurs, quand il s'agit de réduire les risques d'activités terroristes au maximum, si nous avons quelque expertise que ce soit, nous devons utiliser les règles de la preuve et nous demander comment saisir les tribunaux et plaider ces affaires. Je n'ai pas vraiment de réponse à formuler.

Le sénateur Kenny : Je suis un peu surpris de votre réponse, parce que les procureurs ont un grand pouvoir discrétionnaire dans notre système. Lorsqu'ils exercent ce pouvoir, ils doivent tenir compte de certaines valeurs et je me demande comment on peut adapter ces valeurs. Si vous n'avez pas de réponse, soit. Toutefois, je suis heureux qu'il y ait de l'espoir, parce que je commence à en avoir assez de devoir poser la question suivante : « Combien de condamnations aujourd'hui? ».

M. Dolhai : C'est une question importante, comme Mme Hendel l'a indiqué, mais il est difficile d'y répondre.

Vous avez parlé de valeurs. Du point de vue d'un procureur, nous avons un critère en vertu duquel nous devons examiner la preuve afin de déterminer s'il existe une possibilité raisonnable de condamnation. Il importe de veiller à ce que ce critère soit respecté pour déterminer si c'est dans le meilleur intérêt du public d'aller de l'avant. Nous avons un certain nombre de critères ou de valeurs, si vous préférez, dont nous devons tenir compte pour déterminer s'il est logique d'entamer des poursuites.

Selon notre manuel, et aussi selon les juges et la jurisprudence, plus une infraction est grave et plus des poursuites sont nécessaires du point de vue de l'intérêt du public. De par leur nature, les infractions liées au terrorisme sont généralement très graves. Par conséquent, des poursuites sont nécessaires du point de vue de l'intérêt du public.

Si les procureurs donnent suite à ces dossiers et en arrivent à une décision sur le mérite, bien que la Couronne ne perde ni ne gagne, nous agissons tout de même comme représentants. Nous avons évalué la preuve et nous pensons qu'elle nous indique une direction, et nous faisons nos représentations de façon équitable devant le tribunal.

Toutefois, si un autre procureur allait de l'avant et qu'il y avait un verdict de culpabilité et que les peines ne concordaient pas avec les orientations portant sur la dissuasion individuelle et ce qui permet de dissuader par rapport au droit criminel, alors je serais préoccupé par notre efficacité.

Heureusement, les tribunaux ont traité ces infractions de façon très sérieuse. Des peines d'emprisonnement à vie ont été imposées à de nombreuses reprises.

Le président : Je tiens à revenir sur la question étant donné que je continue de la poser parce qu'elle est importante du point de vue de l'intérêt du public. Il est intéressant de souligner que nous avons entamé nos audiences il y a six mois. De nombreuses accusations ont été portées au cours des derniers mois alors que ce n'était pas le cas auparavant, mais pourtant, la fonction publique et les agences d'application de la loi savaient fort bien qu'il y avait un grand nombre d'individus impliqués, directement ou indirectement, dans des activités terroristes. Je crains que, maintenant que nous l'avons fait, comme cela a été prévu, 80 Canadiens — et tout indique qu'il y en a davantage — qui reviennent au Canada ont été impliqués directement ou indirectement dans des activités terroristes.

Pour ce qui est de votre ministère qui doit être en mesure d'intenter des poursuites dans ces cas, si nous devons les régler en respectant la loi, parce que des actes illégaux ont été commis, serez-vous en mesure de faire face à la demande, puisque le nombre de cas augmente manifestement?

M. Dolhai : Eh bien, sénateur, je conviens qu'il y a des questions légitimes à poser à ce sujet à la suite des événements d'octobre. Les services policiers, comme le sous-commissaire Cabana l'a indiqué, ont été restructurés. C'est notre cas également. Nous avons affecté encore plus de hauts dirigeants à cette question. Ils ont été choisis tout spécialement en raison de leur expertise approfondie et vaste du droit criminel et de la sécurité nationale. De par son expérience, le groupe est excellent.

Si nous avons les preuves nécessaires, oui, nous irons de l'avant. Nous avons actuellement la capacité de faire face à tous les dossiers que la police nous adresse.

Le sénateur White : Merci d'être ici aujourd'hui.

Je me demandais si vous pourriez nous donner les détails de cas d'épouses de djihadistes que vous avez traités au cours des 8 ou 10 derniers mois ainsi que des recommandations concernant les accusations qui pourraient avoir été formulées par votre bureau à l'intention de la GRC.

M. Dolhai : Le problème, sénateur, c'est que ces discussions entre nos procureurs de la Couronne, Mme Hendel, les policiers et moi sont confidentielles. Nous ne pouvons pas contourner le privilège.

Le sénateur White : Je vous pose donc une autre question. Pouvez-vous nous dire si vous n'avez pas appuyé le dépôt d'accusations dans ces cas. Ce n'est pas confidentiel parce que c'est une opinion qui n'est pas partagée avec eux. Elle est partagée avec nous.

M. Dolhai : Dans tous les cas, nous avons travaillé avec la police pour obtenir les preuves nécessaires. Comme je l'ai dit, nous nous entendons généralement avec la police pour déterminer si la preuve est suffisante pour intenter des poursuites. Généralement, si ce n'est pas suffisant, ils se joignent à la discussion et indiquent quelle est leur évaluation et les raisons pour lesquelles la preuve n'est pas suffisante. Si la preuve est suffisante, généralement, il y a une entente avec la Couronne.

N'oubliez pas que notre intervention est constante. Comme vous le savez, sénateur, ce n'est pas une situation qui survient à l'improviste. Les gens travaillent sur une affaire de façon suivie. Les délais peuvent être courts, selon la situation à laquelle on fait face, ou ils pourraient être plus longs si, par exemple, on parle d'écoute électronique. Il y a beaucoup d'évaluations faites pendant ce temps, de sorte que nous nous entendons généralement avec la police.

Mme Hendel : Je peux peut-être tenter de répondre à cette question d'un point de vue différent.

De façon générale, nous procédons à nos évaluations en fonction de la preuve. Cela ne nous intéresse pas de savoir si les individus en question sont des hommes ou des femmes, par exemple, si c'est ce qui vous préoccupe. En fait, ce matin, une femme a été accusée et elle l'a été uniquement en fonction de la preuve portant sur les éléments des infractions.

Le fait de participer à des activités d'un groupe terroriste de façon générale, par exemple, signifie plus que d'être simplement membre du groupe; le financement des activités terroristes va plus loin que le fait d'envoyer de l'argent à l'étranger. Nous devons être en mesure de prouver que l'argent devait profiter aux activités des groupes terroristes. Le Code criminel renferme des éléments précis. Je pense que le sous-commissaire en a parlé dans son témoignage.

Nous tenons compte de ce que nous savons et de ce que nous sommes en mesure de prouver. Nous établissons des liens entre cela et les infractions du Code criminel. Si, pour chaque élément de l'infraction, les preuves sont suffisantes en regard du critère de possibilité raisonnable de condamnation, de façon générale, nous nous mettons d'accord et il y aura des accusations. Sinon, il n'y en a pas. Ça n'a rien à voir avec des considérations extérieures entourant les circonstances des suspects.

Le sénateur White : Madame Hendel, vous avez dit qu'être membre n'était pas suffisant. Pouvez-vous me l'expliquer?

Mme Hendel : Le fait d'être membre d'un groupe terroriste ne figure pas dans le Code criminel; ce n'est pas une infraction d'appartenir à un groupe terroriste. Pour faire l'objet d'accusations, il faut commettre l'une des nombreuses infractions prévues au Code criminel. Une infraction très courante est le fait de participer aux activités d'un groupe terroriste. Une infraction précise est prévue si on part ou qu'on tente de partir dans ce but également. Il faut participer aux activités d'un groupe terroriste. Nous devons prouver qu'il existe un groupe terroriste et que le suspect participe à ses activités ou a l'intention d'y participer, par exemple.

C'est la même chose pour le financement des activités terroristes, et je tiens à ce que la conversation demeure d'ordre général. Je ne veux pas que vous croyiez à tort que je tente de faire référence de façon détournée à un cas en particulier. La preuve doit démontrer que l'individu participe à une activité terroriste ou que cette activité est liée aux activités d'un groupe qui mène une activité terroriste. Nous devons avoir une preuve.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Dolhai. Selon vous, est-ce que les services policiers au pays ont suffisamment de connaissances ou d'information pour monter rapidement un dossier afin que vous puissiez intervenir? Ou bien, la plupart du temps, devez-vous demander aux services policiers des compléments d'information? Le projet de loi C-51 va-t-il accélérer le processus de façon significative?

M. Dolhai : Selon moi, cela dépend. Quant à la question des policiers et, en particulier, de leurs connaissances de la loi, tout dépend de la personne. Au sein de la GRC, de même que dans les autres corps policiers, comme la SQ ou la PPO, il y a des membres qui ont une connaissance approfondie de la loi. C'est le cas en particulier des membres qui travaillent au sein de l'équipe appelée INSET, qui comprend des membres de la GRC, des policiers municipaux, des policiers provinciaux et un représentant du SCRS.

[Traduction]

Le sénateur Ngo : Ma question est brève et précise. En vertu du projet de loi C-51, une personne qui publie ou communique des affirmations qui glorifient le terrorisme, mais qui ont été formulées par une autre personne sera-t-elle accusée en vertu de la nouvelle infraction proposée?

Mme Hendel : Malheureusement, je pense que ma réponse ne sera pas aussi brève que votre question. Il faudra déterminer si le comportement de la personne correspond à l'infraction. Selon l'infraction, l'individu — je trouverai la formulation exacte devant moi — doit promouvoir ou défendre la perpétration d'une infraction liée au terrorisme. Oui, il existe définitivement un élément mental.

Nous devons évaluer si le comportement correspond à la définition en fonction de la preuve précise que les policiers nous ont présentée, de sorte qu'il est très difficile de répondre de façon abstraite.

M. Dolhai : On peut faire des déductions à partir des preuves circonstancielles dans le comportement de la personne ou de ses déclarations. On peut aller au-delà du matériel pour déterminer si la personne défend ou promeut la perpétration d'une infraction liée au terrorisme. Cela pourrait comprendre des situations où un individu est imprudent pour ce qui est de la question de savoir si ça se produit ou non. La personne doit le faire sciemment, mais elle peut être imprudente quant à la question de savoir si ça se produit.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup pour vos témoignages.

Dans notre lutte contre le terrorisme, je pense que nous avons tous les meilleures intentions, mais les Canadiens qui nous regardent ont l'impression que les droits de 35 millions de Canadiens ne sont pas pris en considération et qu'ils n'ont pas priorité par rapport aux droits des terroristes dans le cadre des poursuites intentées. Dans ma question précédente au commissaire, il a indiqué que, au vu de la preuve, le bureau du procureur général avait pris la décision finale de ne pas intenter de poursuites.

Dans le cas des épouses des djihadistes et des adolescents, pouvez-vous nous dire pourquoi vous prendriez une telle décision, quelle preuve manquait et comment pourriez-vous réévaluer vos critères dans les cas futurs? Le terrorisme est un enjeu très grave. Les Canadiens sont mal à l'aise et ont des craintes par rapport à leurs droits et ceux des terroristes.

Mme Hendel : J'ai tenté de répondre à la question du sénateur White. Je pense que nous ne pouvons vraiment pas parler des cas individuels pour de nombreuses raisons, y compris la confidentialité, mais également parce que si nous parlons d'une preuve manquante à propos d'un cas particulier, nous proposons aux gens des scénarios leur permettant de ne pas violer la loi. Il est important de ne pas discuter de cas individuels.

Nous pouvons certainement parler de façon générale de comportements interdits en vertu du Code criminel et de la preuve que nous pouvons déposer en cour au sujet de chaque élément de ces infractions, mais sinon, je ne suis pas certaine que nous puissions en dire beaucoup plus.

La sénatrice Beyak : Pourriez-vous réévaluer vos critères, d'une façon ou d'une autre, au sujet du terrorisme? Vous avez mentionné des critères que vous utilisez dans ces dossiers. Les Canadiens ne sont pas satisfaits de la réponse.

M. Dolhai : Mesdames et messieurs les sénateurs, les critères sont ceux qui s'appliquent à tous les crimes, et le Parlement a décidé de faire du terrorisme un crime. Les critères d'évaluation de l'intérêt public sont donc ceux qui s'appliquent à tous les crimes.

Comme je l'ai dit au début, lorsqu'il s'agit d'une infraction grave, on part du principe général que, en vertu de l'intérêt public, il faut des poursuites. C'est ainsi qu'on commence à appliquer les critères qui nous permettent de vérifier que rien ne pourrait nous amener à une conclusion différente — il ne s'agit pas de soupeser des droits concurrents. Encore une fois, nous mettons l'accent sur la preuve et son admissibilité.

Le sénateur Day : Je me reporte aux articles 57, 58 et 59 du projet de loi. L'article 59 est la disposition générale assujettie à l'article 83 de la loi :

Il incombe au ministre de fournir à l'avocat spécial, dans le délai fixé par le juge :

a) copie des renseignements et autres éléments de preuve...

Qui ont été fournis en vertu d'un certificat ou d'un mandat.

Je comprends que cela porte sur la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, mais j'aimerais que Mme Hendel m'explique l'exemption concernant le fait de fournir cette information à l'avocat spécial qui figure à l'article 57, qui modifie ou crée un article 83 qui, essentiellement, indique que le ministre peut demander de ne pas fournir l'information à l'avocat spécial.

Nous avons appuyé le concept d'un avocat spécial pour concilier l'exigence importante de secrets concernant la sécurité nationale d'une part et l'importance de l'équité et de la justice naturelle pour chaque individu d'autre part. Il semble maintenant que nous allons empêcher l'avocat spécial d'avoir accès à de l'information sur laquelle il aurait pu se fier auparavant. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi il a été jugé nécessaire de créer cette exemption?

Mme Hendel : Merci pour votre question. J'ai déjà mentionné mon peu d'expertise en général, en particulier pour ce qui est du système d'immigration et d'octroi du statut de réfugié, et de même que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Je ne suis pas qualifiée pour formuler des commentaires.

Le système criminel est très différent. Il repose sur le fait, pour un individu, d'obtenir un procès équitable et d'être en mesure de répondre pleinement pour sa défense. Des considérations entièrement différentes s'appliquent, de sorte que je ne peux même pas formuler d'hypothèses sur la raison pour laquelle cela est considéré comme important.

Le sénateur Day : Existe-t-il un type de disposition semblable dans la Loi sur le SCRS, par exemple, dont vous êtes au courant? Je n'en ai pas trouvé, mais je pense que vous pourriez peut-être nous aider.

Mme Hendel : Encore une fois, en ce qui concerne la Loi sur le SCRS, je peux vous dire ce qui se passe lors d'un procès criminel, mais c'est tout.

Le sénateur Day : Le Code criminel, alors.

Mme Hendel : Oui.

Le sénateur Day : Avez-vous une telle disposition qui permet au ministre de demander une exemption?

Mme Hendel : Non. Ce qui s'en rapproche le plus, du point de vue de l'information sur la sécurité nationale, est un certificat ministériel. Mais je n'en ai jamais vu, et je pense qu'il serait difficile de poursuivre un procès si le matériel et la preuve pertinente jugée essentielle pour une défense pleine et entière étaient cachés à l'accusé.

La sénatrice Stewart Olsen : Dans votre témoignage, vous avez indiqué avoir deux demandes de mandat en suspens. Pouvez-vous me dire depuis combien de temps ils sont en suspens? N'oubliez pas que, selon le SCRS, la vitesse à laquelle on peut prendre des mesures afin de dissuader ou de prévenir est cruciale. Quel est le délai? Depuis combien de temps ces demandes sont-elles en suspens, et pouvez-vous agir rapidement?

M. Dolhai : Nous pouvons agir relativement rapidement pour préparer l'information et l'affidavit qui l'accompagnent, établissant les motifs.

La sénatrice Stewart-Olsen : Que voulez-vous dire par « relativement »? Grosso modo.

M. Dolhai : Ça dépend de la situation. Nous réagissons aussi rapidement que requis par les policiers, et c'est à cela qu'ils doivent s'attendre de notre part. Par exemple, s'ils travaillent sur un dossier et que nous trouvons un renseignement ou rédigeons un affidavit, nous tentons d'agir la même journée, dès que possible, parce que c'est eux qui doivent signer l'affidavit. Nous sommes là pour les aider. Nous ne voulons pas qu'ils attendent après nous, de sorte que nous agissons aussi rapidement que possible pour l'entrer dans le système.

Ensuite, tout dépend du moment de l'audience, et nous faisons pression, comme nous l'avons fait dans de nombreux cas, pour obtenir une date dès que possible, compte tenu de la nature de ces infractions.

La sénatrice Stewart-Olsen : Merci. C'est quelque peu rassurant, mais les deux mandats en suspens sont préoccupants.

M. Dolhai : Je comprends.

Le président : Chers collègues, nous n'avons plus de temps. J'aimerais remercier les témoins d'avoir comparu. Nous sommes heureux que vous ayez été ici.

Nous recevons maintenant, pour parler de ce projet de loi important, le juge de la Cour suprême à la retraite John Major.

Monsieur le juge, bienvenue au comité. Nous sommes ravis de vous recevoir. Nous apprécions que vous ayez pris le temps de vous joindre à nous aujourd'hui, et nous sommes impatients d'entendre vos commentaires érudits. Je crois comprendre que vous avez une déclaration liminaire. Vous avez la parole.

L'honorable John Charles Major, ancien juge de la Cour suprême du Canada, à titre individuel : Vous êtes un peu trop généreux d'appeler ceci une déclaration liminaire. C'est un simple retour sur ce que j'ai dit lors de comparutions précédentes.

Je n'ai rien à redire au sujet du projet de loi C-51. Toutefois, c'est un projet de loi qui accroît les pouvoirs des agences du gouvernement, et surtout ceux du SCRS. Toutes les protections prévues par le projet de loi C-51se retrouvent en amont, comme l'obtention des mandats, le fait de permettre au SCRS d'agir de différentes façons que vous connaissez, mais il n'y a pas suffisamment de contrôle, en fait, il n'y en a pratiquement aucun en aval. Ce que je veux dire, c'est que si le SCRS obtient un mandat, comment savoir qu'il a agi en respectant les pouvoirs consentis par le mandat?

Théoriquement, le SCRS est gouverné grâce à la surveillance du CSARS. Je pense que le Sénat sait bien que le CSARS n'est pas particulièrement efficace, puisqu'il manque de membres et de ressources financières pour faire son travail de supervision ou d'efficacité.

Le manque d'échange obligatoire d'information entre les organisations est une lacune, et j'ai conclu que cette nécessité découlait de l'affaire d'Air India. Dans le rapport sur Air India, on recommandait entre autres qu'il y ait un conseiller national sur la sécurité et, à l'époque, le gouvernement avait interprété à tort cette recommandation, que ce soit sciemment ou innocemment, comme étant un ministère. La recommandation indiquait clairement que cela devait être un agent du gouvernement, relevant probablement du ministère de la Justice, qui pouvait agir comme arbitre, pour utiliser un terme général, entre le SCRS et la GRC.

C'est une longue histoire. J'étais un tout jeune avocat lorsque la Commission McDonald a recommandé la création du SCRS. Au nom du ministère des Impôts, j'ai assisté à cette longue commission, de sorte que je suis familier avec le contexte de sa création. Peut-être qu'un jour il n'y aura plus de débat sur la personne qui devrait être en charge de la sécurité nationale. Nous avons décidé d'opter pour une agence distincte, le SCRS. Mais ce qui me préoccupe, comme je l'ai dit à de nombreuses reprises, n'est pas l'objet du projet de loi, que j'appuie, mais la surveillance des organisations qui le mettront en œuvre.

C'est tout ce que j'ai à dire.

Le président : Merci, monsieur le juge.

Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur le juge, de tout le temps que vous voulez bien consacrer au comité. Votre participation est précieuse.

Nous avons eu une réponse à votre préoccupation, fournie, je crois, par l'un des deux ministres : que les juges assureraient un suivi. Ils ont le droit d'assurer un suivi des mandats. D'après votre expérience, vous qui avez une longue carrière dans le domaine judiciaire, est-ce le cas ou est-ce une contrainte majeure?

M. Major : La question est de savoir qui va informer le juge. Comment le juge est-il saisi de la question? En principe, si un agent du SCRS dépasse l'autorité du mandat, le juge n'en sera pas nécessairement informé.

Le sénateur Mitchell : Effectivement. Merci.

Avez-vous réfléchi à la possibilité d'une surveillance parlementaire plus générale, outre une surveillance de type plus administratif?

M. Major : La surveillance parlementaire, d'après le peu que j'en sais, semble plutôt floue. On se demande qui, au Parlement, est responsable de la surveillance. Les parlementaires sont également des politiciens. Ils ont toute une série de préoccupations, en-dehors de la surveillance d'une agence. Je ne pense pas que ce soit le type de choses dont s'occupent les parlementaires.

Le sénateur Runciman : Je voulais vous poser la question sur la surveillance parlementaire, parce que j'avais remarqué vos commentaires sur la question. Comme vous le savez, plusieurs députés ont suggéré et défendu cette approche. Quoi qu'il en soit, cela ne vous semble pas approprié.

Vous avez demandé cet examen après coup de la capacité. En vertu de la Loi sur le SCRS existante, y a-t-il des circonstances, à votre connaissance, où le CSARS a le pouvoir de questionner d'autres agences et ministères, et de leur demander de produire les documents qui seraient liés à une opération du SCRS? Je pense notamment à l'alinéa 39(2)b), qui semble suggérer un mandat plus large que celui qui figure déjà dans la Loi sur le SCRS. Avez-vous une opinion sur la question?

M. Major : Non, pas vraiment. Je n'y vois pas assez clair. Je ne comprends pas, d'un point de vue général, pourquoi le gouvernement rechigne à améliorer la loi telle qu'elle existe. On touche là le partage de l'information par les agences et tout ce que je peux vous dire d'utile en la matière est que l'absence de partage a directement entraîné la tragédie d'Air India.

Le sénateur Runciman : L'absence du partage de l'information, c'est bien cela?

M. Major : Oui.

Le sénateur Runciman : Vous soulignez depuis longtemps le besoin d'établir un mécanisme permettant d'améliorer la coordination entre les agences. Je le sais.

Plus tôt, la sénatrice Stewart Olsen a questionné des témoins quant au risque de voir des journalistes accusés, en vertu des dispositions de la loi, de promouvoir le terrorisme, préoccupation exprimée par plusieurs personnes, dont un ou deux universitaires et ayant comparu devant le comité lors de notre dernière séance. La loi dit « Quiconque préconise sciemment ». Pensez-vous que cette préoccupation soit excessive? Pensez-vous qu'elle soit le moins du monde fondée?

M. Major : À première vue je dirais que oui, elle est excessive. Au commencement, au moins, nous sommes tous disposés à croire que les diverses agences opèreront de bonne foi. Mais la nature humaine est ce qu'elle est. Imaginons que le SCRS soit à la veille de conclure une enquête qu'il estime très importante — et qui peut effectivement l'être. La tentation d'aller juste un peu plus loin que ce qui est permis pour obtenir ce que l'on recherche est parfois telle qu'un être humain a du mal à y résister. Ça ne m'empêche pas de dormir la nuit, le risque d'abus que planifierait le SCRS. Mais je crains que, tout pénétré d'enthousiasme à l'idée de démanteler un réseau terroriste ou quelque chose du genre, le SCRS n'aille trop loin.

Le sénateur Runciman : Pour la surveillance, vous suggérez un conseiller en matière de sécurité nationale. Est-ce une approche qui a été adoptée par l'un ou l'autre de nos alliés, à votre connaissance?

M. Major : Non, pas que je sache.

Le sénateur Runciman : Sur quoi vous basez-vous? Qu'est-ce qui est à l'origine de votre suggestion? Essentiellement votre expérience dans l'affaire Air India.

M. Major : Oui, cela découle de mon expérience dans l'affaire Air India et de la recommandation qui a été faite à la sortie. Pourquoi? Parce que l'idée était, avant que le présent projet de loi ne soit introduit, de constituer le SCRS pour la collecte de renseignements. Une fois les renseignements réunis, si on suspectait un crime, le SCRS devait passer la main à la GRC. Mais à quel point les renseignements recueillis amènent-ils un transfert à la GRC?

On a constaté à plusieurs reprises que le SCRS rechignait à céder le dossier à la GRC — le contraire étant vrai aussi, soit dit au passage. Le SCRS avait le sentiment d'être à la veille de résoudre le problème et, pour des raisons personnelles, ambitions ou autres, estimait devoir conserver le dossier. La question n'était discutée avec personne. Il n'y avait pas une personne vers laquelle le SCRS pouvait se tourner.

Dans l'autre sens, — je ne veux pas faire du SCRS un bouc émissaire —, la GRC était censée entrer sur la scène pour l'enquête sur le crime; elle n'était pas censée effectuer la collecte de renseignements en lien avec les activités terroristes; toutefois, il lui arrivait d'effectuer un travail qui relevait plus logiquement du SCRS. Elle rechignait, pour les mêmes raisons, à transmettre le dossier au SCRS dès le début.

Le phénomène est facile à comprendre. C'est pourquoi nous estimions, après Air India, qu'un conseiller à la sécurité nationale, complètement indépendant, serait bien placé pour étudier une demande de la GRC, du SCRS ou de toute autre agence, pour examiner l'information détenue par le SCRS, la GRC ou quiconque d'autre et pour déterminer si le moment était venu de transmettre le dossier ou du moins de le partager avec d'autres agences.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Évidemment, on entend beaucoup de commentaires au sujet du projet de loi C-51, et je suis toujours surpris lorsqu'on parle d'un manque de contrôle ou peut-être d'un abus de pouvoir de la part des services de renseignement de sécurité ou des organisations policières.

Je sens même une espèce de climat de méfiance envers les organisations qui pourraient travailler avec cette loi. Selon vous, à qui devrions-nous faire confiance, sinon aux organisations qui doivent assurer notre sécurité?

[Traduction]

M. Major : Je comprends ce que vous dites, mais il ne s'agit pas de méfiance. N'oublions pas que le SCRS n'est pas une abstraction; c'est une agence composée d'individus. J'estime, quant à moi, qu'ils agissent de bonne foi, au départ. Je ne pense pas qu'ils planifient d'outrepasser leurs pouvoirs. Après 50 ans d'expérience dans ce domaine, je constate que les agents de police les mieux intentionnés ainsi que d'autres personnes en position d'autorité, malgré la meilleure volonté du monde, s'engagent parfois sur une voie qu'ils auraient dû éviter. Sans chercher bien loin, on a vite fait de trouver des exemples de cela. Après Air India, on était en droit de critiquer le SCRS.

Ce n'est pas une question de méfiance. Il s'agit plutôt d'agents bien intentionnés et d'agences souhaitant faire un bon travail mais dépassant les limites qui leur sont imposées. Il reste à savoir pourquoi le gouvernement ne s'en préoccupe pas.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Il faut dire que les comités de surveillance se composent d'humains qui peuvent aussi commettre des erreurs. On sait que des policiers ou des gens du SCRS se sont retrouvés dans des situations fâcheuses alors qu'ils avaient de bonnes intentions. Il ne faut pas oublier que les comités de surveillance dont on parle, parce qu'il va y en avoir, sont composés d'humains qui peuvent faire des erreurs.

[Traduction]

M. Major : Je suis d'accord, mais il s'agit de probabilités et aucun système ne sera parfait. Que la surveillance soit assurée par un comité ou une personne, il peut y avoir des erreurs. Mais il faudrait un nombre suffisant pour éviter trop d'erreurs. Ils ne vont pas être infaillibles, côté surveillance, mais c'est une étape de plus.

Si le SCRS — et je ne sais pas pourquoi je continue à m'en prendre à lui — ou toute autre agence a conscience du fait qu'il existe un comité de surveillance ou un conseiller en matière de surveillance efficace, c'est dissuasif. C'est un frein de plus à la tentation d'aller plus loin que ce qui est autorisé.

Ce n'est pas parfait. Cela ne va pas éliminer tout écart de conduite, si c'est un mot qu'on peut utiliser, ni empêcher entièrement les gens d'outrepasser leurs compétences.

La sénatrice Beyak : J'ai lu tout votre rapport sur Air India avant votre dernière comparution et je me souviens d'une partie portant sur la glorification. Vous insistiez sur l'importance de lutter âprement contre la glorification du terrorisme. Pourriez-vous élaborer à ce sujet, pour les membres du comité et les téléspectateurs?

M. Major : Pourriez-vous répéter la question? Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris.

La sénatrice Beyak : J'ai lu votre rapport sur Air India et il me semble qu'il y avait une partie où vous exprimiez des préoccupations quant à la promotion et à la glorification du terrorisme. Vous souligniez, bien entendu, pourquoi c'était à éviter et vous aviez des recommandations à cet effet.

M. Major : Je faisais allusion au fait que les meneurs dans l'affaire Air India vivaient à Surrey, en Colombie-Britannique. Je crois que Surrey compte la plus grosse population sikhe au Canada. Chacun savait qu'ils appuyaient ce mouvement — mouvement qui, comme vous le savez, avait son origine en Inde, où les sikhs cherchaient à obtenir leur propre pays. Après avoir été écrasé par le gouvernement indien, le centre de commandement, si on peut employer ce terme, s'était réinstallé à Surrey.

Même après le désastre d'Air India, vous vous souviendrez que cela est resté en toile de fond un certain temps. Des personnes soupçonnées d'être membres du mouvement radical sikh ou reconnues comme étant membres paradaient lors de défilés auxquels assistaient nos politiciens. Je ne sais pas s'ils réfléchissaient à leur participation, mais le fait est qu'ils côtoyaient des terroristes. Les spectateurs n'avaient pas nécessairement conscience de ce qui se passait mais, selon nous, il était plutôt regrettable qu'un député soit amené à côtoyer un terroriste.

La sénatrice Beyak : Y a-t-il des leçons à en tirer pour aujourd'hui?

M. Major : Je pense que oui.

Le président : Monsieur le juge, permettez-moi de creuser cette question. J'ai visité un temple la semaine dernière à Toronto. J'ai constaté la présence aux murs de plusieurs photographies grand format de bon nombre des individus impliqués dans la catastrophe d'Air India sur laquelle vous avez enquêté.

Alors, peut-être pourriez-vous élargir un peu votre réponse à la question de la sénatrice Beyak. Quel rôle le gouvernement peut-il bien jouer pour veiller à atténuer autant que possible ce type de glorification?

M. Major : Dans une démocratie, c'est une question épineuse : jusqu'à quel point peut-on légitimement se mêler de qui les gens choisissent de fréquenter? Je crains de ne pas pouvoir vous fournir de bonne réponse.

Le fait qu'on immortalise les victimes de la tragédie d'Air India ne me dérange pas. Vous non plus, j'en suis convaincu. Il s'agissait d'innocents tragiquement assassinés.

Les chefs indépendants d'un autre pays, comme l'Inde et l'organisation radicale sikhe au Canada, ont une énorme influence. Ils terrorisent virtuellement certaines collectivités. Et ils le font de façon subtile, qu'il me semble difficile de policer.

Dans l'affaire Air India — j'y reviens toujours —, le SCRS et la GRC étaient en conflit constant. La GRC avançait que le SCRS avait « brûlé » certains témoins en se mêlant de l'enquête de la GRC. Il y avait toute une série d'instances où chacun, agissant peut-être de bonne foi, avait entraîné un résultat final regrettable.

J'en reviens à un thème déjà abordé à maintes reprises : s'il existait une personne — je continue à penser qu'une personne serait préférable à un comité — assurant une surveillance, la GRC ou le SCRS ou n'importe quel organisme impliqué dans l'exercice pourrait, s'ils souhaitaient obtenir des renseignements détenus selon eux par un autre organisme, s'adresser à cette personne et défendre leur position. Cette personne entendrait l'autre agence expliquer pourquoi la divulgation des éléments en sa possession ne serait pas appropriée à ce moment donné. Il me semble simplement que le partage d'information avec des gens qui sont habilités à la connaître serait une étape vraiment utile vers l'atteinte d'une plus grande efficacité, au vu du terrible défi que constitue aujourd'hui le terrorisme.

La sénatrice Jaffer : Je voulais clarifier une chose : c'est un gourdouara que vous auriez visité, pas un temple. Je suis sûre que votre langue a fourché, monsieur le président.

J'ai une question pour vous, monsieur le juge Major. Elle me tracasse. Elle n'est pas directement liée à votre enquête, mais plutôt au poste important que vous aviez à la Cour suprême du Canada. Ma question a trait aux mandats. Le projet de loi stipule ce qui suit :

La prise par le Service de mesures pour réduire une menace envers la sécurité du Canada est subordonnée à l'obtention d'un mandat au titre de l'article 21.1 s'il s'agit de mesures qui porteront atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte canadienne des droits et libertés ou qui seront contraires à d'autres règles du droit canadien.

Cela me semble problématique dans la mesure où cela change le rôle d'un juge. Un juge peut ainsi donner l'autorisation de contrevenir à un droit garanti par la Charte, à ce que je comprends. Je trouve que c'est poser les juges dans une position très délicate. J'aimerais vous entendre dire ce que vous pensez des mandats.

M. Major : Je pense que c'est un article qui tracasse tout le monde. Je pense qu'on justifie la nécessité de prendre des mesures radicales au vu du terrible comportement de l'EIIL et des radicaux djihadistes. Si je comprends bien l'article, il prévoit qu'une agence s'adresse à un juge pour obtenir, mettons, la permission de s'introduire par effraction afin d'obtenir certains documents. Dans l'affidavit, l'agence explique pourquoi cette contravention à la loi est une opération raisonnable en vue de l'objectif recherché.

C'est effectivement une situation très délicate. Je sais qu'on s'attend à ce que les contraventions à la loi ainsi autorisées soient limitées à des crimes non violents ou plus sérieux. N'empêche que, comme vous le soulignez, cela constitue une infraction aux droits constitutionnels d'un individu. C'est pourquoi il est alors important de fournir une preuve solide de la nécessité de l'infraction. Il faut, aussi et surtout, un suivi quelconque afin de vérifier que le pouvoir accordé en vertu du mandat n'ait pas été excédé, n'ait pas été outrepassé par les agents participant à l'opération.

La sénatrice Jaffer : Quand on discute de ces infractions à la loi, pensez-vous qu'il serait bon qu'un avocat spécial soit présent?

M. Major : Ce serait une soupape de sûreté. Mais on a beau multiplier les soupapes de sûreté, elles ont leur limite, quand il s'agit d'une question grave. Je n'aurais pas d'objection à la présence d'un avocat; ce serait peut-être rassurant. Je pense, toutefois, qu'il nous faut une protection en aval, après la mise en œuvre du mandat. Il nous faut quelque chose, dans le cours des choses, pour vérifier que les agences ne vont pas plus loin que ce qui est autorisé par le mandat, vu que le mandat autorise quelque chose de tout à fait inhabituel.

Le sénateur Campbell : Merci d'être venu aujourd'hui, monsieur le juge.

Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que lorsqu'un mandat est accordé, les droits de quelqu'un sont violés. Si un policier obtient un mandat pour une écoute électronique ou un mandat de perquisition, la vie privée de quelqu'un va être violée. Il me semble que le policier doit obtenir un mandat afin qu'il y ait une surveillance judiciaire, afin que quelqu'un vérifie qu'il existe des preuves qui justifient cette atteinte à la vie privée. Est-ce que je me trompe?

M. Major : Vous ne vous trompez pas, mais vous vous êtes arrêté trop tôt. Par exemple, si un policier veut effectuer une écoute électronique, il doit présenter à un juge les raisons pour lesquelles il veut faire cette écoute, pourquoi il veut empiéter sur la vie privée d'une personne avant d'obtenir le droit de procéder à l'écoute électronique. La surveillance s'effectue lorsque l'affaire est portée devant les tribunaux. La Couronne essayera de faire admettre comme preuve l'information obtenue par l'écoute et le juge examinera le mandat et dira : « Vous aviez le droit de faire une écoute électronique au domicile, mais vous n'aviez pas le droit de mettre le téléphone du bureau sur écoute. Cette preuve du bureau n'est donc pas admissible. » C'est là qu'intervient la surveillance dans le genre de situation que vous avez mentionnée. Si l'affaire n'aboutit jamais devant un tribunal...

Le sénateur Campbell : Si un tribunal en est saisi et que le policier a suivi toutes les règles et a mis sur écoute seulement des téléphones de la maison, pour lequel il avait un mandat, il y a quand même une surveillance, mais la vie privée de quelqu'un est quand même violée.

M. Major : En effet, mais c'est dans l'intérêt du public, comme on dit. Pour protéger le public et empêcher la commission d'un crime, il faut violer la vie privée d'un individu parce que la preuve indiquant que cette personne a commis ou va commettre un crime est suffisante pour justifier la violation de sa vie privée.

Le sénateur Campbell : Merci beaucoup, monsieur le juge.

Le sénateur Baker : Vous dites, monsieur le juge, qu'il n'y a rien en aval. Est-ce que vous parliez de deux choses différentes? Par exemple, lorsqu'un mandat est émis en vertu des articles 487 à 492, et un mandat d'écoute électronique en vertu de l'article 86, que vous venez de mentionner, il faut qu'un rapport soit fourni à un juge de paix. Ça, c'est un mécanisme de contrôle, le rapport à un juge de paix. Mais en plus, vous dites qu'il faudrait également assurer une surveillance à la fin du processus pour vérifier que l'opération a été menée dans les limites imposées dans le mandat et dans le respect des règles de droit. Est-ce que vous parlez de ces deux éléments, c'est-à-dire le rapport à un juge de paix, exigé normalement pour l'obtention d'un mandat et, en outre, l'intervention d'un conseiller en matière de sécurité?

M. Major : Non, pas dans tous les cas. Comme vous l'avez mentionné, le policier se présente devant le juge avec sa preuve. Dans la majorité des cas, la question d'une surveillance à la fin du processus ne se posera probablement pas. Rien ne justifiera une telle surveillance. Les conditions du mandat seront respectées et l'on procédera.

Ce que je propose, c'est qu'il y ait au besoin un mécanisme de surveillance. Je pense que ce ne serait pas souvent le cas, car je ne crois pas que les policiers et les agents du SCRS outrepassent délibérément les pouvoirs qui leur sont accordés dans un mandat. Je dis qu'il serait bon, au cas où cela se produirait, d'avoir un mécanisme pour corriger la situation.

Le sénateur Baker : Certains ont mentionné qu'aucune de ces dispositions ne mentionne un rapport à un juge de la paix. Cependant, je jetais justement un coup d'œil au projet de loi et je constate que, à la page 22 que tout mandat de perquisition accordé en vertu de l'article sur le transport, de l'article sur les lignes aériennes et des dispositions sur le terrorisme en général seront également visés par cet article. Je lis :

(3) les articles 487 à 492 du Code criminel s'appliquent aux infractions — prétendues ou commises — à la présente loi.

Le titre de cette disposition est « mandats ». Les articles 487 à 492 prévoient un rapport à un juge de paix.

M. Major : Après le fait?

Le sénateur Baker : Oui, mais vous avez raison, dans la deuxième partie du projet de loi qui concerne le SCRS, il n'y a pas de disposition de ce genre. L'alinéa 487(1)e) ou l'alinéa 489(1)b) s'appliquerait et les deux prévoient un rapport à un juge de paix. C'est quelque chose que le comité pourrait peut-être ajouter au projet de loi.

Permettez-moi de vous demander quelle idée au juste vous vous faites de la surveillance par un conseiller en sécurité, étant donné ce qu'on a appris au sujet du CSARS. Comme vous le savez, la Cour suprême du Canada est saisie d'une affaire concernant le CSARS et un rapport qu'il a préparé en 2013 et dans lequel il disait qu'une décision de la Cour fédérale de 2009 accordait un nouveau pouvoir en matière de mandat au SCRS. Bien sûr, il se trompait. Il a produit un rapport. Le SCARS a 14 employés qui sont experts dans le domaine. Je suppose que bon nombre d'entre eux sont des avocats comme ceux qui travaillent ici au Sénat. Nous avons des avocats partout. Nous avons d'anciens policiers, et ainsi de suite. Je suis sûr qu'ils ont des employés qui connaissent la loi au bureau du CSARS, néanmoins, ils se trompaient. Le juge de la Cour fédérale a dit qu'ils avaient mal compris ce qui se passait et nous avons maintenant cet énorme problème de tous ces mandats décernés pendant quatre ans — un millier, environ. On ne sait que faire des résultats de ces mandats.

Nous avons déjà ces experts du CSARS. Ils sont au nombre de 14. Qu'est-ce que vous proposez pour réduire les inefficacités ou les erreurs commises par l'organisme de surveillance?

M. Major : Permettez-moi de prendre un peu de recul. Pour quelle raison les dispositions que vous avez lues concernant le transport ne seraient-elles pas adoptées comme dispositions générales qui s'appliqueraient à toutes les autres?

Le sénateur Baker : Bonne idée.

M. Major : Cela me permettrait d'arrêter de formuler les mêmes critiques.

Pour ce qui est de l'autre question, je pense que la confusion au CSARS tient probablement au fait qu'il y a trop de membres. Si vous mettez 12 ou 13 avocats ensemble dans une pièce, vous entendrez beaucoup d'opinions différentes. Je préférerais que ce soit une seule personne qui prenne ces décisions.

Le président : J'aimerais enchaîner sur la question du sénateur Baker, mais allez-y, posez votre question sur la GRC.

Le sénateur Baker : Nous avons discuté de toutes les dispositions relatives au terrorisme. Lorsque la Loi sur le terrorisme a été adoptée, elle contenait une sauvegarde spéciale qui s'appliquait à tous les mandats, toutes les actions et à toutes les poursuites. La GRC devait soumettre au Service des poursuites pénales du Canada, qui à l'époque était le procureur général du Canada, les renseignements qui lui étaient transmis par le SCRS. Le SPPC devait examiner les renseignements avant de décider si une accusation serait portée. Cette disposition est différente de celles du Code criminel qui s'appliquent normalement aux Canadiens. La GRC a le droit de porter une accusation.

Que pensez-vous de l'idée de donner à la GRC le pouvoir de porter une accusation comme elle le fait suite à une enquête sur une affaire de meurtre ou de drogue? Comme pour tout autre Canadien, il appartiendrait alors au tribunal d'examiner la constitutionnalité des mesures prises par la police et ce serait au Service des poursuites pénales du Canada de décider s'il convient de continuer la poursuite. Bien des gens diront que c'est la façon de faire canadienne. La police porte les accusations et la Couronne décide s'il y a lieu de poursuivre. Qu'en pensez-vous?

M. Major : Je n'ai pas d'objection à cela, mais d'après moi le problème se pose avant qu'on en arrive là. Le problème, d'après moi, ce sont les activités du SCRS — je m'en prends toujours à lui — avant que l'affaire ne soit transférée à la GRC. Avant que l'accusation soit portée, qu'est-ce que le SCRS a fait? A-t-il transféré l'affaire assez rapidement? Une fois que cela est fait, là je suis d'accord avec vous.

Le président : J'aimerais revenir à la question des mandats et à l'idée de faire en sorte que la boucle soit bouclée en ce qui concerne l'effet du mandat et le rapport à un juge. À l'heure actuelle, si j'ai bien compris, le juge peut exiger qu'on lui fasse rapport à la fin de l'enquête. N'est-ce pas le cas? Le juge peut demander cela.

M. Major : Pour répondre à votre question, si tous les juges avaient la même ambition et demandaient un rapport, ce serait une chose. Mais une fois qu'un juge a signé un mandat — il en signe plusieurs. Il signe un certain nombre d'ordonnances et en général il faut qu'il y ait quelque chose d'inhabituel pour qu'il fasse un suivi de sa propre initiative. Il s'assure d'avoir les renseignements qu'il faut et ensuite il signe. Une fois qu'il a signé, d'après mon expérience, il cesse d'y penser à moins qu'il se produise quelque chose.

Le président : Pour poursuivre dans la même veine, un témoin antérieur a proposé que le gouverneur général exige, par règlement, que tout agent du SCRS qui demande un mandat s'engage à faire un suivi dans un certain délai pour dire au juge s'il a exécuté correctement le mandat. Est-ce que cela vous satisferait?

M. Major : Ce serait certainement un grand pas dans la bonne direction.

Le président : Nous vous remercions encore une fois, monsieur le juge, de nous avoir consacré du temps malgré votre horaire chargé. Nous apprécions vos conseils. Je vous remercie d'être venu aujourd'hui.

M. Major : Merci et bonne chance.

Le président : Pour notre dernier panel, nous accueillons deux représentants de l'Association du Barreau canadien : Eric Gottardi, président, Section du droit pénal, par vidéoconférence, et Peter Edelmann, membre de l'exécutif, Section du droit de l'immigration, par vidéoconférence également. De l'Association canadienne des libertés civiles, Mme Sukanya Pillay, avocate générale et directrice exécutive et, de la Criminal Lawyers' Association, M. Michael Spratt, membre et criminaliste et M. Leo Russomanno, membre et criminaliste.

Madame Pillay, je sais que vous avez déjà comparu devant notre comité et je suis ravi de vous revoir.

Monsieur Gottardi, monsieur Edelmann, monsieur Spratt et monsieur Russomanno, bienvenue au comité.

Je crois savoir que chacune des associations a une déclaration préliminaire. Madame Pillay, je vous invite à commencer.

Sukanya Pillay, avocate générale et directrice exécutive, Association canadienne des libertés civiles : Merci, sénateur Lang, et merci à vous, membres du comité, de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui. Il est très important pour l'ACLC d'avoir été invitée ici aujourd'hui. Des gens de l'ensemble du pays m'ont écrit pour me demander d'exprimer les graves préoccupations de l'ACLC à ce comité, et c'est pour moi un honneur de pouvoir le faire. Nous avons fourni des mémoires détaillés au comité et je crois savoir qu'ils sont en train d'être traduits. Je vais vous faire part de trois de nos préoccupations les plus urgentes et ensuite je serai heureuse de répondre à toutes vos questions.

Comme vous le savez, pendant plus de 50 ans, l'ACLC s'est battue pour protéger les droits, les libertés et la justice dans ce pays. Le projet de loi C-51 va créer de nouvelles lois et en modifiera d'autres dans le but de créer de nouveaux pouvoirs et de nouveaux crimes. Une de ces nouvelles lois s'appelle la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, que j'appellerai la LCISC. Nous ne remettons pas en cause le fait que le gouvernement doit pouvoir partager des renseignements pour protéger les Canadiens de la menace terroriste. Le partage de renseignements, quand il se fait correctement, est un outil efficace et indispensable dans la lutte contre le terrorisme, tel que reconnu par la Commission Arar, la Commission sur Air India et par la communauté internationale, en particulier après les événements du 11 septembre et l'adoption de la résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Mais les renseignements ainsi recueillis doivent être assujettis à des garanties juridiques essentielles, y compris la surveillance et la collecte de renseignements ciblées, et assorties de limites sur la distribution, l'utilisation et la conservation, avec des protocoles de destruction et des conditions imposées au texte écrit. La LCISC ne contient aucune de ces protections juridiques. Elle élargit l'envergure et la portée relatives au partage d'information, qui s'appliqueraient bien au-delà des activités terroristes, aux termes du libellé extrêmement vague « d'activités portant atteinte à la sécurité du Canada ».

La LCISC et l'amendement récents proposés à l'article 6 portent sur les protections juridiques actuelles, mais comme les Commissions Arar et Air India l'avaient démontré, les protections juridiques actuelles étaient si inadéquates qu'il s'en est suivi des conséquences tragiques. La LCISC ne fait qu'aggraver les lacunes au plan de l'imputabilité et fait complètement fi des recommandations faites par la Commission Arar au sujet de la nécessité de faire un examen intégré.

De plus, il ne sert pas à grand-chose de dire que le commissaire à la protection de la vie privée et le vérificateur général pareront à ce déficit d'imputabilité. Je sais que le commissaire à la protection de la vie privée vous a déjà parlé de ses préoccupations, et nous pensons également que l'examen du partage des renseignements entre les 17 agences, et aussi avec des gouvernements étrangers et des acteurs canadiens et étrangers, doit faire l'objet d'une surveillance adéquate. Un tel manque d'imputabilité expose les Canadiens à de sérieux risques et n'est pas compatible avec l'obligation d'imputabilité inhérente à un pays libre et démocratique.

La surveillance de masse et le partage de renseignements ne renforceront pas la sécurité, mais mèneront à davantage d'erreurs; chaque individu ne sera pas perçu comme quelqu'un ayant le droit à la protection de sa vie privée, mais plutôt comme un suspect.

J'aimerais deuxièmement parler des amendements proposés à la Loi sur le SCRS. Nous craignons que ces amendements donnent de nouveaux pouvoirs d'une grande envergure au SCRS, et transforment le service d'une agence qui recueille des données à une agence qui pourra agir tant au Canada qu'à l'étranger pour perturber des menaces. Nous reconnaissons et respectons la valeur et l'importance du CSARS, mais nous estimons, tout comme le CSARS lui-même, qu'il n'a pas les ressources nécessaires pour examiner les opérations entourant la collecte de renseignements. De plus, selon son libellé actuel, la disposition portant sur les mandats permettrait au SCRS de poser des gestes qui violeraient la Charte et les autres lois canadiennes, si jamais un tel mandat est autorisé par un juge. Le mandat serait délivré ex parte et à huis clos, et le processus ne permettrait pas à la partie intimée de se défendre.

À notre avis, cette approche va à l'encontre de l'engagement du Canada envers la suprématie de la Constitution et de la règle du droit. Contrairement à ce que certains témoins ont dit, les mandats ne peuvent pas être utilisés pour violer la loi, point à la ligne. En fait, les mandats visent à s'assurer que les parties agissent en fonction de la loi et des protections juridiques.

Combiné au projet de loi C-44, le projet de loi C-51 permettra au SCRS d'agir en contravention des lois canadiennes qui s'appliquent à l'extérieur de notre territoire, et aussi des lois internationales. Ces deux projets de loi envoient le mauvais message à nos alliés internationaux et aux agences internationales, et minent le cadre international qui est essentiel dans la lutte contre le terrorisme à l'échelle mondiale.

Finalement, j'aimerais parler des amendements proposés à la LIPR, qui permettraient au ministre de ne pas divulguer des éléments de preuve pertinents aux avocats spéciaux dans les cas concernant les certificats de sécurité. Cela nous préoccupe au plus haut point. D'après nous, cette mesure est un recul par rapport à la protection garantie par l'article 7 de la Charte.

Les avocats spéciaux ont une cote de sécurité de niveau très secret qui leur permet de recevoir des informations secrètes sur la sécurité nationale. Nous rappelons respectueusement au comité que, comme l'indiquait la Cour suprême du Canada dans sa décision unanime dans l'affaire Charkaoui — qui a amené le Parlement à mettre sur pied le Programme des avocats spéciaux —, le principe de justice fondamentale veut qu'une personne dont la liberté est en péril sache ce qui lui est reproché. Le tribunal a également affirmé que le cadre de la sécurité nationale ne peut pas être utilisé pour saper le fondement de l'article 7, qui garantit une protection véritable et substantielle.

Le risque que comporte la « guerre contre le terrorisme » n'est pas seulement le préjudice réel que les terroristes peuvent nous causer, mais encore ce que la consternation, la colère, l'anticipation, l'opportunisme ou la dramatisation peut nous amener à faire à nos propres institutions juridiques et politiques.

Voilà une citation de la Cour suprême du Canada dans l'affaire d'Air India. Dans l'affaire Suresh, dont la décision a été rendue seulement quelques mois après l'attentat du 11 septembre, la Cour suprême du Canada nous a également rappelé que si on venait à éradiquer le terrorisme en sacrifiant notre engagement envers des valeurs qui sont au cœur de notre ordre constitutionnel, nous aurions alors une victoire à la Pyrrhus.

Le président : Merci.

Je donne la parole maintenant à l'Association du Barreau canadien.

Eric V. Gottardi, président, Section du droit pénal, Association canadienne du Barreau canadien : Je tiens à remercier le président, le greffier et les membres du comité. Je vais vous parler pendant trois minutes après quoi M. Edelmann fera de même.

Nous vous sommes reconnaissants d'avoir de nouveau l'occasion de comparaître devant ce comité. Comme vous le savez, l'Association du Barreau canadien est un organisme national regroupant 36 000 étudiants en droit, avocats, notaires et universitaires. En vertu de notre mandat, nous cherchons à améliorer la loi et l'administration de la justice.

Je préside la Section du droit pénal de l'ABC et M. Edelmann, mon collègue, travaille au sein de la Section du droit de l'immigration.

Dans le texte que nous avons soumis au comité, nous avons proposé 23 recommandations visant à améliorer ou à régler certains problèmes de ce projet de loi. Pour la rédaction de ce document, nous avons fait appel à divers experts dans les domaines du droit pénal, de la protection de la vie privée, des œuvres caritatives, de l'immigration et du droit autochtone et environnemental. Tous les membres ont contribué au document que vous avez sous les yeux.

Nous n'avons évidemment pas assez de temps pour parler des 23 recommandations. Je souhaite aborder deux points. L'un d'entre eux découle de témoignages que vous avez pu entendre, tout d'abord de la part du ministre de la Sécurité publique lors de sa comparution le 30 mars. Il s'agit de la définition et du fonctionnement des mandats judiciaires. Pour ceux qui ne comprennent pas de quoi il s'agit, je souhaite apporter quelques précisions.

L'ABC dit que les mandats qui contreviennent à la Charte — c'est comme ça que je les appelle — et qui sont envisagés dans le projet de loi C-51 diffèrent grandement des autres mandats pour infraction au Code criminel. Sachez que les mandats de perquisition émis par les juges protègent les droits issus de la Charte des Canadiens. L'article 8 de la Charte utilise d'ailleurs le qualificatif « d'abusives ». Les Canadiens ne jouissent pas d'un droit absolu qui les protège complètement de perquisitions policières, mais seulement de perquisitions policières abusives. Ainsi, quand la Cour suprême du Canada a tranché qu'une préautorisation judiciaire était nécessaire, elle protégeait en fait les droits issus de la Charte. C'est le mandat en soi, en vertu de l'article 8, qui rend constitutionnel ce qui serait sinon anticonstitutionnel. Les mandats qui contreviennent à la Charte proposés sont complètement différents.

Certains disent aussi que l'article 25(1) du Code criminel, des dispositions qui permettent aux agents de police d'enfreindre la loi, fait soi-disant jurisprudence pour ce qui est des mandats qui contreviennent à la Charte. C'est une interprétation erronée du Code. Cet article prévoit la violation des lois du Parlement, du Code criminel, des interdictions pénales et non pas de la loi ultime du Canada.

Finalement, lors de l'étude article par article, l'avocat du ministère de la Justice, Michael Duffy, a dit que le gouvernement proposait un nouvel argumentaire pour ces mandats qui contreviennent à la Charte, en faisant valoir que l'intention n'était pas de violer ladite Charte. Soyons clairs, si telle est l'intention, l'ABC appuie cette position entièrement. Nous voulons tout simplement que toute référence à la Charte soit retirée de l'article 12.1(3). Cependant, si, comme le suggérait ledit témoin, le mandat est d'une façon ou d'une autre une analyse en vertu de l'article 1 à être effectuée par un juge, cela témoigne d'une profonde incompréhension de notre Constitution et du fonctionnement de l'article 1.

[Français]

Peter Edelmann, membre de l'exécutif, Section du droit de l'immigration, Association du Barreau canadien : Je vous remercie de nous donner l'occasion de comparaître devant le comité. Je ne répéterai pas les commentaires de mon collègue. Comme vous le savez, nous avons présenté un mémoire écrit très détaillé. J'aimerais répéter deux des aspects fondamentaux de nos recommandations par rapport au projet de loi et aux lois en général dans le contexte de la sécurité nationale.

[Traduction]

Le premier aspect concerne la rédaction exacte des restrictions législatives. Pas tout le monde a accès aux rouages détaillés de notre système de sécurité nationale. Cela dit, tout le monde peut constater et comprendre le cadre juridique qui régit ledit système.

Deuxièmement, il faut une surveillance globale et efficace de notre système de sécurité nationale en général. Beaucoup ont parlé de la nécessité d'une surveillance efficace. Nous n'allons pas ressasser les mêmes commentaires, mais nous voulons tout de même souligner qu'une surveillance efficace devrait être accueillie plutôt que crainte par notre système de sécurité nationale.

La LCISC illustre le troisième problème du dialogue sur les modifications proposées. C'est seulement lors de l'étude article par article au comité de la Chambre que l'on s'est rendu compte de la portée de ces dispositions. Les craintes que nous avions que ces articles aillent bien au-delà des enjeux entourant le terrorisme ont été confirmées par les responsables du gouvernement. Je recommande aux membres de ce comité d'examiner de près les commentaires mis de l'avant par ces responsables sur la LCISC.

La LCISC va au-delà du partage de renseignements sur le terrorisme et bien au-delà du terrorisme djihadiste sur lequel se sont penchés de nombreux témoins qui ont comparu devant la Chambre et devant ce comité. Les responsables du gouvernement ont clairement indiqué que, selon la loi, n'importe quel service gouvernemental devait partager avec les 17 agences les renseignements répondant à la définition très générale qui a été donnée au terme « sécurité nationale ». Par exemple, il est difficile d'imaginer qu'une opération de l'Agence des services frontaliers du Canada ne soit pas couverte par le libellé de cette définition qui comprend la détection, la prévention ou l'enquête sur une interférence en matière de capacité ayant trait à la sécurité publique et aux opérations frontalières. Dans le cadre de ses opérations, l'ASFC, qui a de grands pouvoirs dans ces domaines, serait désormais en mesure de recevoir de l'information de n'importe quel organe du gouvernement du Canada. L'ASFC est un des seuls organismes d'application de la loi à ne pas être encadré par un organisme de surveillance indépendant. Contrairement à la GRC ou le SCRS, l'ASFC est seulement redevable au ministre.

Dans le contexte de la sécurité nationale, un libellé imprécis et un manque de surveillance sont fatals pour la confiance et la coopération qui sont de loin les outils les plus précieux pour nos agences de sécurité nationale. Nous serions heureux de collaborer avec vous afin d'élaborer une loi efficace.

Le président : Merci.

Je donne maintenant la parole à la Criminal Lawyers' Association.

Michael Spratt, membre et avocat criminaliste, Criminal Lawyers' Association : M. Russomanno et moi comparaissons pour représenter la Criminal Lawyers' Association. Nous sommes un organisme sans but lucratif regroupant plus de 1 200 avocats experts dans le droit pénal. Nous appuyons une loi qui est essentielle, modeste, équitable et constitutionnelle.

Tout d'abord je voudrais remercier le comité de nous avoir invités pour parler de ce projet de loi. C'est un plaisir de comparaître devant un organe véritablement indépendant qui évalue les projets de loi de façon objective.

Selon nous, il faut revisiter le projet de loi C-51. La CLA en convient avec l'ABC, l'ACLC, les professeurs Forcese et Roach et la myriade d'autres groupes qui ont critiqué ce projet de loi. En effet, j'étais complètement démoralisé quand j'ai entendu le témoignage du ministre qui rejetait dans les termes les plus vifs les critiques émises par l'ABC.

Ce qui nous inquiète beaucoup notamment, ce sont les modifications au Code criminel permettant un partage généreux d'information, les engagements de ne pas troubler l'ordre public, la détention préventive et l'absence consternante de surveillance que prévoyait ce projet de loi. Mais je suis là, aujourd'hui, pour me concentrer sur les mandats — il en est question à l'article 42 et aux articles proposés 12,1 et 21,1 — qui permettent au judiciaire d'autoriser l'État à violer la Charte, soit une façon détournée d'invoquer une clause dérogatoire.

Nos membres s'occupent quotidiennement des autorisations judiciaires. Nous savons comment fonctionne le processus et comment ses lacunes pourraient être exacerbées en vertu de ce projet de loi. Nous savons que les mandats judiciaires évitent, et n'autorisent pas, de violer la Charte. Par exemple, un mandat de perquisition rend ladite perquisition raisonnable assurant ainsi qu'elle ne viole pas la Charte. Habiliter les juges à autoriser des violations de la Charte revient à détourner les principes de base de notre système. Comme le professeur Forcese vous l'a dit très franchement, c'est un idéal radical qui déforme les rôles et la vision constitutionnelle de base du tribunal.

Le ministre Blaney vous a donné un avis contraire. En effet il a dit : « Il n'y a rien de nouveau sous le soleil », et les juges émettent tout le temps des mandats. Le ministre a tout simplement tort. Soit il a été mal avisé, soit son analyse est biaisée. Il ne faut pas dire : « Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. » C'est nouveau, c'est grave et c'est troublant.

Le sous-ministre adjoint principal Donald Piragoff a également comparu, signalant son désaccord avec l'interprétation de ce projet de loi. Il a dit :

Dans la même veine, j'aimerais simplement ajouter qu'on a reproché au projet de loi de permettre la violation de la Charte en amenant les juges à la violer. Cela n'est pas possible, car même les juges sont assujettis à la Constitution. Comme tout le monde, les juges doivent respecter la charte.

Il signale qu'on ne peut pas dire que cela permettrait une violation de la Charte car tout le monde, y compris les juges, sont assujettis à la Constitution.

Mais, c'est exactement ce que fait ce projet de loi. Il suffit de le lire pour le comprendre et l'argumentaire mis de l'avant par le sous-ministre adjoint principal contredit ce projet de loi et la position du gouvernement. M. Blaney demande aux juges de donner d'emblée leur aval à une violation de la Charte des droits lors d'une audience secrète qui ne peut pas faire l'objet d'un appel et où seul le gouvernement est représenté. Ce processus est différent du Code criminel, car il n'y a pas de préavis, pas de dispositions en matière de déclaration et peu de chances de mettre à jour une violation ou des problèmes qui surviendraient lors d'un procès.

Avant de donner la parole à M. Russomanno, je voudrais rejeter l'idée préconisée par M. Blaney, selon lequel il ne s'agirait que d'une codification plus poussée des pouvoirs déjà prévus par le Code criminel du Canada en vertu de l'article 25.1. Cette justification est tirée par les cheveux et trompeuse. En vertu de l'article 25.1 du Code criminel, les pouvoirs conférés à la police sont limités au droit pénal et aux enquêtes criminelles. L'article 25.1 n'autorise pas la violation de la Constitution et n'autorise pas non plus les perquisitions anticonstitutionnelles ou les détentions illégales. Fait important, les pouvoirs conférés à la police en vertu de cet article sont bien plus transparents car ils sont la plupart du temps assortis d'une exigence de rapport, de notification et de divulgation. Aucun de ces mécanismes ne s'applique au projet de loi C-51. Cette analogie est trompeuse et mal avisée.

Je vais donner la parole à M. Russomanno, qui nous fournira des détails concernant la portée des problèmes que nous avons constatés au sein du SCRS et comment ces problèmes seraient traités dans les tribunaux.

Leo Russomanno, membre et avocat criminaliste, Criminal Lawyers' Association : Merci de m'avoir invité à votre comité. C'est toujours un plaisir de venir échanger avec des parlementaires.

Nous aimerions vous parler de plusieurs aspects importants de ce projet de loi, mais ce comité a déjà accès à une panoplie d'opinions provenant d'experts tels que les professeurs Forcese et Roach. Le document de l'ABC a aussi été très utile pour nos besoins, tout comme l'Association canadienne des libertés civiles.

M. Spratt et moi essayons de partager des expériences pratiques. Nous avons contesté des mandats en vertu de la Loi sur le SCRS par le passé dans une enquête criminelle à Ottawa. Nous avons aussi traité des affaires de certificats de sécurité dans lesquelles le SCRS semait la confusion concernant le fait d'être une organisation policière. Et nous avons traité des questions sur son obligation de franchise.

Notre organisation se préoccupe de l'ajout potentiel d'activités policières aux pouvoirs du SCRS. Nous craignons que le gouvernement donne les clés du pays au SCRS avec ses pouvoirs élargis, assortis d'une surveillance très limitée. Nous nous préoccupons du fait que la procédure ex parte, qui fait nécessairement partie du processus des mandats, n'impose pas de contraintes significatives. S'agissant du mandat policier du SCRS, même si le projet stiple le contraire, il est préoccupant que le SCRS puisse détenir ou extrader des individus.

Sans surprise, des exemples de notre histoire récente montrent que le SCRS, en tant qu'organisation de renseignement, comprend très peu le rôle transparent qui est celui d'une agence policière. Les corps policiers savent bien qu'ils ont l'obligation de divulguer des renseignements — d'être francs devant les tribunaux. Quelques exemples récents, particulièrement dans l'affaire Harkat, l'affaire Jaser et l'affaire de la Cour fédérale impliquant le témoin précédent, le juge Major, montrent que le SCRS n'a pas respecté son obligation de franchise devant les tribunaux. C'est une situation préoccupante parce qu'il s'agit d'une procédure ex parte et nous dépendons de l'obligation de divulgation franche, entière et juste.

Je serai ravi de répondre à vos questions concernant l'intervention accrue du SCRS dans les enquêtes criminelles. Nous croyons que cela pourrait rendre la procédure plus complexe. Les pouvoirs de détention et d'extradition sont aussi troublants, tout comme le manque de transparence qu'on observe souvent de la part du SCRS.

Le président : Merci.

Sénateur Runciman.

Le sénateur Runciman : Merci à vous tous de votre présence aujourd'hui; elle est très appréciée.

Quelqu'un nous a dit plus tôt dans la journée — je pense que c'était le directeur du SCRS — que dans le monde antiterroriste, le succès se mesure en fonction de la prévention. Vous travaillez principalement dans la justice pénale traditionnelle. Je me demande si cela ne biaise pas votre opinion de ce projet de loi, parce que je ne pense pas que vous contesteriez la nécessité de faire aboutir les enquêtes et les poursuites antiterroristes. Étant donné la nature de la nouvelle menace intérieure, j'espère que vous serez tous d'accord pour dire qu'il faut cibler davantage la prévention plutôt que votre domaine principal d'expertise : le processus pénal traditionnel. J'aimerais avoir votre réaction à cela.

M. Spratt : Je ne peux pas nier l'importance de ces éléments-là dans le climat actuel. Toutefois, d'un point de vue pénal, nous avons été témoins de l'échec des poursuites, de l'exclusion des preuves et même de comportements scandaleux de la part du SCRS. Dans l'affaire Jaser, le juge Code a trouvé que le SCRS avait donné de l'information trompeuse au juge. Il suffit d'examiner le rapport du CSARS et la décision du juge Mosley pour voir ce qui peut se produire lorsqu'il n'y a pas une divulgation entière menant à des autorisations qui n'ont peut-être pas été accordées. Ou bien on pourrait parler de la décision rendue dans l'affaire Majid à Toronto, quand le SCRS a trouvé de la pornographie juvénile suivant une perquisition anticonstitutionnelle sans mandat, un outil qui serait disponible dans le cadre de ce projet de loi. Si vous examinez ce qui s'est produit pendant les procédures pénales, vous verrez que les éléments de preuve ont été exclus, les accusations ont été suspendues et le SCRS a été critiqué.

M. Russomanno : Je peux élaborer à ce sujet.

Le sénateur Runciman : Nous n'avons pas beaucoup de temps. Vous aurez peut-être une occasion plus tard.

Je voulais comprendre votre perspective sur ces questions. Je présume, et j'ai peut-être tort, que nombre des préoccupations qu'ont vos organisations — et nous entendons des rumeurs concernant ce qui pourrait se produire demain à l'égard du budget et la possibilité de plus de financement consacré à la sécurité et peut-être à la surveillance. Si la surveillance était bonifiée sur les points qui vous inquiètent, est-ce que cela vous rassurerait?

M. Russomanno : Ça dépend du type de surveillance. En général, je suis une optimiste, mais dans ce cas, je n'ai pas beaucoup d'espoir, sénateur.

Le sénateur Runciman : Eh bien, si je me base sur vos comparutions devant le comité, je ne me préoccupe pas beaucoup de votre appui non plus.

M. Russomanno : Alors permettez-moi de dire une chose : je suis quelqu'un qui pense qu'il faut limiter les pouvoirs du gouvernement. Donc, vous m'accuseriez peut-être d'être conservateur, mais je ne le suis pas.

Le sénateur Runciman : Ne vous inquiétez pas.

M. Russomanno : Je crois que si vous élargissez de façon draconienne les pouvoirs de l'État afin de limiter les libertés individuelles, vous devriez pouvoir le justifier par des preuves. Je pensais que cela était un principe conservateur.

Le président : Sénateur, veuillez formuler votre question pour que le témoin puisse y répondre. Ne commençons pas un débat.

Le sénateur Runciman : L'ABC a soulevé la question de la protection de la vie privée. Vous avez soulevé une préoccupation au sujet du partage de renseignements entre les ministères fédéraux et des préjudices que cela pourrait causer, selon vous. Mais examinons le contexte plus large. Pourquoi les divers ministères du gouvernement ne devraient-ils pas se parler et partager des renseignements dans des conditions bien définies? Des articles de la Loi sur la protection des renseignements personnels actuelle visent essentiellement à faire exactement la même chose que ce que propose le projet de loi C-51. Et donc, j'ai de la difficulté à comprendre votre argument.

M. Edelmann : Par rapport aux deux questions posées par le sénateur, la première au sujet de la surveillance, pour nous, il n'est pas simplement question d'étoffer le budget. Lorsqu'on parle d'effectuer des changements fondamentaux à la structure de l'appareil de sécurité nationale, la surveillance devrait être intégrée dans la structure juridique même.

En ce qui a trait aux agences de surveillance, je vous recommande de lire l'analyse faite par les professeurs Forcese et Roach au sujet des vases clos dans lesquels elles fonctionnent actuellement. Cette proposition élimine les vases clos mais les maintient pour la surveillance. Donc même avec plus de ressources, la surveillance ne se fait pas de manière exhaustive.

Par rapport au partage de renseignements, le problème est que cette discussion vise le partage de renseignements pour lutter contre le terrorisme. Toutefois, pendant l'étude article par article, il est devenu évident que le but de cette loi de partage de renseignements est beaucoup plus large. Je propose à ce comité, et aux comités de la Chambre, de scinder la loi de partage de renseignements de ce projet de loi pour que vous puissiez bien comprendre comment ces renseignements seront utilisés par l'Agence des services frontaliers du Canada, l'Agence du revenu du Canada et les 17 autres agences mentionnées, dont les mandats n'ont rien à voir avec le terrorisme.

Ultimement, notre critique était que les définitions ne sont pas particulièrement restrictives, une opinion qui a été confirmée par les fonctionnaires. L'intention de cela n'est pas le terrorisme; c'est le vaste mandat de toutes les 17 agences en combinaison avec la très large définition de sécurité nationale. Si vous examinez des agences telles que l'ASFC, le terme de « sécurité nationale » couvre presque toutes leurs activités.

Le sénateur Mitchell : Merci à vous tous. Des esprits juridiques bien formés peuvent clairement identifier et isoler des problèmes. Vous témoignez de cette capacité-là. Vous avez fait beaucoup de travail dans une très courte période de temps. Vous noterez dans un instant que je n'ai pas ce genre d'esprit, mais je les admire.

Ma question vise un éclaircissement. Une des choses mentionnées en particulier par M. Gottardi est la question de la différence entre un mandat en vertu du Code criminel, qui vise en quelque sorte à éviter de contrevenir à la Charte en raison d'une disposition qui y est enchâssée, et les mandats visés par ce projet de loi. N'importe qui pourrait répondre à cette question. Comment se fait-il que cette disposition s'applique dans le premier cas, mais pas dans le deuxième, pour ces mandats envisagés par ce projet de loi? Est-ce qu'il y a un moyen de faire en sorte pour que le mandat ne soit pas un mandat pour contrevenir à la loi mais qu'il soit conforme à la Charte? Ou est-ce que ce serait impossible?

M. Gottardi : Lorsqu'on parle d'un mandat en vertu du Code criminel, on parle principalement d'un mandat de perquisition. En vertu de l'article 8, on part du principe de jurisprudence selon lequel les perquisitions faites sans mandat sont déraisonnables et constituent une violation de la Charte.

L'autorisation judiciaire préalable, c'est-à-dire un mandat, transforme ce qui aurait été anticonstitutionnel en quelque chose de constitutionnel. Donc le mécanisme du mandat effectue un changement.

Dans le mandat envisagé par rapport aux mesures prévues dans la partie SCRS du projet de loi, si vous acceptiez l'interprétation de M. Duffy concernant le fonctionnement convenable du mandat, ce n'est pas vraiment un mandat du tout parce qu'il parle d'un juge qui invoque l'article 1 de la Charte — pour décider si la mesure qui contrevient à la Charte sera qualifiée de « limite raisonnable » en vertu de celle-ci. Toutefois, si c'est une limite raisonnable, alors ce n'est pas une violation de la Charte. Donc c'est ça. C'est une opinion judiciaire. C'est un peu comme une lettre d'intention en vertu de l'article 1. Ce n'est pas vraiment un mandat que cherche le gouvernement; c'est une opinion judiciaire selon laquelle les mesures qu'il cherche à entreprendre ne sont pas anticonstitutionnelles. C'est tout à fait différent de ce qu'est un mandat et de ses effets en vertu du Code criminel et de la Constitution. C'est quelque chose de complètement nouveau dans la législation et je crois que c'est clairement anticonstitutionnel.

Mme Pillay : J'appuie ce que vient de dire notre collègue de l'ABC. J'ajouterais que le mandat judiciaire de respecter l'article 8 s'assure que tous les freins et contrepoids sont établis pour que nous puissions avoir une saisie et une perquisition raisonnables et non pas déraisonnables. Nous nous préoccupons des autres protections en vertu de la Charte qui seront affectées par les pouvoirs élargis envisagés pour le SCRS. Donc si nous examinons la protection arbitraire ou le droit à l'application régulière de la loi, nous estimons inconcevable d'obtenir légalement des mandats dans ces cas-là.

Le sénateur Mitchell : J'ai beaucoup de questions concernant la surveillance. Le sénateur Runciman a fait valoir que si on avait une meilleure surveillance, on pourrait résoudre bien des problèmes que présente ce projet de loi.

Madame Pillay, vous avez mentionné quelque chose qui a attiré mon attention. Vous avez parlé de l'ère ou du contexte de la surveillance intégrée. Pourriez-vous nous en dire plus?

Mme Pillay : Je serai ravie de le faire, et merci pour la question.

Cela a été décrit clairement par le juge Dennis O'Connor dans le rapport de la Commission Arar lorsqu'il a dit que dans l'environnement actuel des menaces, qui est pertinent en 2015, nos agences travaillent de plus en plus de façon intégrée. Ce que nous n'avons pas, c'est une surveillance intégrée des activités de ces agences. Alors il propose quelque chose, comme une sorte de super CSARS, si on veut, qui créerait des passerelles législatives à l'intérieur de ces cloisons dont nos collègues ont parlé.

Le sénateur Mitchell : Est-ce que cela touche le problème du CSARS qui ne peut examiner la destination finale de certains renseignements une fois sortis du SCRS, disons vers le CSTC, l'ASFC, ou un autre pays?

Mme Pillay : Oui, et cela va également au-delà du CSARS. Le super CSARS était une analogie, mais il faut qu'il y ait une organisation qui peut examiner où vont tous ces renseignements. Comme vous le savez, suite à mon dernier témoignage ici, nous nous préoccupons beaucoup des agences comme l'ASFC où il n'y a pas de processus de surveillance. Cela nous inquiète.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup.

Le sénateur White : Madame Pillay, j'essaie de comprendre ce que vous avez dit à propos de la perturbation. D'après vous, que devrait faire le SCRS s'il avait l'impression qu'il fallait perturber une action qui allait se produire?

Mme Pillay : L'une des questions que l'ACLC pose depuis le départ, c'est pourquoi ces nouveaux pouvoirs de perturbation sont nécessaires. Pour répondre brièvement à votre question, je dirais que présentement, étant donné ce que nous savons et les lois existantes, c'est la GRC qui devrait jouer ce rôle. Nous nous inquiétons de donner ces nouveaux pouvoirs au SCRS, et nous nous préoccupons également que cela brouille la distinction entre les enseignements et les preuves. Comme le juge Major et mes autres collègues l'ont dit, cela pourrait empêcher que des poursuites en matière de terrorisme aboutissent à l'avenir.

Le sénateur White : Si on regarde les autres pays qui ont donné des pouvoirs de perturbation semblables à leurs agences, certains des pays scandinaves, le Royaume-Uni et d'autres, ils les ont depuis un certain temps et leurs actions démontrent qu'ils les appuient, mais ce qui est encore plus important, quand on pense à la GRC et ce qu'elle fait au Canada, elle n'est pas le service policier de première ligne en Ontario et au Québec. Étant donné la taille du pays et les centaines de villes et de villages et les 198 agences policières, si la GRC était le service de police pour l'ensemble du pays, on pourrait dire que les activités de perturbation pourraient leur être transférées facilement. Mais la GRC n'a pas la capacité de répondre rapidement à un appel à Ottawa, à Smiths Falls ou à Cornwall et s'en occuper. J'essaie de comprendre si, dans un tel cas, vous pensez que des activités de perturbation du SCRS pourraient sauver des vies.

Mme Pillay : Merci pour la question. D'après moi, on ne corrige pas un problème en en créant un nouveau, et c'est la conséquence des changements au SCRS. Si nous n'avons pas assez de policiers de la GRC pour effectuer les activités de perturbation, ce n'est pas une solution que d'utiliser le SCRS. Il faut réfléchir très clairement à la façon dont les agents du SCRS sont formés.

Bien que je ne doute pas des intentions du SCRS et du bon travail qu'il fait, il y a eu toute une série de dossiers dans lesquels le SCRS a commis des erreurs. Accroître ses pouvoirs sans corriger les failles systémiques qui ont mené à ces erreurs est, d'après moi, dangereux.

Pour répondre à votre première question, je ne prétendrai pas que je suis une experte en matière de ce que les autres agences ont fait, mais j'y ai quand même réfléchi. Je vous renverrais vers le billet de blogue le plus récent du professeur Forcese qui traite de ce que les agences étrangères font et ont fait, de leurs pouvoirs en matière de collecte de la preuve, qu'il faut distinguer, dans ce contexte, des pouvoirs de perturbation. Je vous dirigerais vers ce blogue. Je pense que le billet date du 16 avril.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Spratt et à M. Russomanno. Pourquoi est-il acceptable dans notre société d'augmenter les sentences minimales dans les cas d'agressions commises contre les femmes et les enfants, et d'augmenter les sentences des agresseurs sexuels? Vous dites que ce n'est pas acceptable dans le cas de ceux qui commettent des actes liés au terrorisme. Pouvez-vous apporter des précisions sur cette question?

[Traduction]

M. Spratt : J'étais assez ravi et surpris que vous ayez mentionné ce que j'ai dit lors d'autres témoignages.

Il ne semble pas y avoir de peine minimale dans ce projet de loi, ce qui est peut-être une première pour le gouvernement, mais ce qui a été le thème de notre témoignage...

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je fais un parallèle.

[Traduction]

M. Spratt : Ce qui a été un thème de notre témoignage, c'est que la preuve devrait être fondée...

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous êtes avocat. Je suis sûr que vous me comprenez.

[Traduction]

M. Spratt : Voici le parallèle entre ces deux mémoires : la Charte et la Constitution devraient guider toutes les lois, et demander au juge d'émettre un mandat pour que les policiers enfreignent la Charte — on ne parle pas ici seulement de fouille, mais il pourrait s'agir du droit de circuler, de refuser l'accès au pays, de détention arbitraire, d'arrestations de masse. Ce sont toutes des possibilités. D'utiliser le judiciaire pour obtenir une autorisation secrète, ex parte, qu'on ne peut examiner ni divulguer et qui sera probablement inutile dans le cadre de poursuites criminelles afin qu'elle serve de paravent à ce genre d'activité va à l'encontre des principes mêmes que l'on devrait défendre avec un tel projet de loi.

Alors notre témoignage est totalement cohérent. Ce qui ne l'est pas, c'est ce que le ministre et les fonctionnaires du ministère de la Justice vous ont dit. Il semble y avoir là des contradictions.

M. Russomanno : Nous sommes surtout contre toute loi inconstitutionnelle. Nous voulons éviter d'avoir à passer du temps à débattre de cela en cour, avec une situation où dans quelques années la Cour suprême ou une cour d'appel inférieure jugera de façon inévitable que cette loi est inconstitutionnelle. Je ne veux pas parler d'« unanimité », parce que je serai prudent, mais il semble y avoir un grand nombre d'experts juridiques qui trouvent que cette disposition est très choquante et presque certainement inconstitutionnelle. Voilà ce qui nous préoccupe.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je comprends qu'il peut y avoir un consensus parmi les juristes, mais il y a aussi un consensus parmi les Canadiens en ce qui concerne l'application des lois pour assurer la sécurité des citoyens. On parle souvent de la Charte canadienne des droits et libertés, mais on devrait aussi parler des devoirs et des responsabilités. Le gouvernement a la responsabilité de protéger les citoyens. C'est simplement un commentaire.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Merci pour vos exposés.

De nouvelles dispositions du projet de loi C-51 diminuent le fardeau de la preuve pour les engagements assortis de conditions et les arrestations préventives. Elles prendront fin le 15 juillet 2018. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cet article, et si vous êtes d'accord pour que ces dispositions prennent fin en 2018.

Mme Pillay : Le fait qu'elles prennent fin ne nous pose pas de problème. Nous croyons que c'est très important.

Mais nous nous inquiétons beaucoup de l'abaissement des seuils, de le faire passer de « probable » à « peut ». Nous croyons que cela élargit la portée. L'ACLC a déjà parlé de ses préoccupations concernant l'engagement assorti de conditions et la détention préventive. Je serais ravie d'élaborer à ce sujet si vous le désirez.

La sénatrice Beyak : Si quelqu'un a des commentaires à ce sujet, je les apprécierais, parce que cela semble controversé dans la population en général.

Mme Pillay : Je dirai une chose avant de céder la parole à mes collègues, parce que je suis certaine qu'ils ont des observations à faire à ce sujet. L'engagement assorti de conditions dans le contexte de la lutte contre le terrorisme est inquiétant. Nous avons demandé pourquoi les individus liés aux drames d'octobre n'avaient pas été détenus, mais nous n'avons pas reçu de réponse. Nous ne savons pas pourquoi.

Par contre, nous savons que dans un contexte de sécurité nationale, la surveillance est un outil important, et qu'il peut être avantageux de surveiller les suspects. Bloquer leur accès Internet, leur capacité d'interagir avec d'autres, peut en fait miner la capacité de recueillir des renseignements. L'un des sénateurs a parlé de ce qui se faisait dans d'autres pays, et au Royaume-Uni, dans les comités parlementaires qui ont examiné les ordonnances de contrôle, voilà un des résultats que l'on a constatés. Ces ordonnances ne sont pas toujours utiles et peuvent parfois être nuisibles.

J'aimerais ajouter que l'ACLC, et je crois que nous tous, mais je parle au nom de mon association, comprend que le gouvernement a la responsabilité de protéger le Canada et les Canadiens, et nous l'appuyons à cet effet. On l'a vu avec les 19 condamnations, avec les poursuites et les condamnations qui ont abouti pour VIA Rail et le Groupe des 18 de Toronto. Alors nous avons demandé pourquoi ces nouveaux pouvoirs sont nécessaires. Nous n'avons pas reçu de réponse satisfaisante.

Le président : Nous tenons ces audiences depuis octobre, et il y a eu une préoccupation générale soulevée souvent concernant le nombre de Canadiens qui participent directement ou indirectement au terrorisme, et il semble que c'est presque impossible de les arrêter pour une raison ou une autre.

Il y a eu des condamnations, mais lorsqu'on se compare à d'autres pays, que ce soit le Royaume-Uni ou d'autres, il y a eu très peu de poursuites. C'est ce que nous a dit le commissaire Paulson à la dernière séance, qui a ajouté qu'il fallait examiner les seuils afin de pouvoir agir pour protéger les Canadiens. Je voulais simplement le dire.

Le sénateur Baker : Je félicite le comité d'avoir invité ces témoins aujourd'hui, parce qu'ils ont de l'expérience dans des procès, surtout M. Russomanno et M. Spratt. M. Russomanno a travaillé sur beaucoup d'affaires touchant au terrorisme qui sont dans la jurisprudence.

J'ai noté que les deux derniers témoins, M. Spratt et le dernier témoin qui est venu ici, ont fait référence à l'affaire Jaser, pour laquelle un jugement a été rendu il y a six mois. Si cela vous intéresse, c'est le jugement 6424 de l'Ontario, et c'est le célèbre Michael Code qui a rendu le jugement.

Ma question s'adresse à M. Russomanno, qui a de l'expérience dans ce domaine. Juste avant, une observation : j'ai remarqué qu'il n'y a pas eu d'observations jusqu'à maintenant sur le nouvel article 12.2 du projet de loi. Dans des circonstances normales, des policiers, qui appliquent un mandat pour des opérations secrètes, ne peuvent pas porter atteinte à l'intégrité physique d'une personne. L'article 12.2 de ce projet de loi indique que le SCRS ne peut pas, premièrement, tuer quelqu'un, deuxièmement, agresser sexuellement la personne, et ne peut pas causer de lésions corporelles telles que définies à l'article 2 du Code criminel, qui ne sont pas de nature passagère. Je suis surpris que personne n'ait parlé de cette différence entre ce que les policiers et les agents du SCRS peuvent faire.

Cependant, ma question s'adresse à M. Russomanno. Il y a beaucoup de mandats émis, et le gouvernement a décidé de présenter le projet de loi C-44 pour corriger un problème par rapport à l'exécution de ces mandats dans les autres pays. Voilà pourquoi le gouvernement a déposé le projet de loi C-44, pour que le SCRS puisse agir dans les autres pays. Mais depuis 2009, il y a l'énorme problème de ce nombre faramineux de mandats, environ 1 000 d'après les renseignements divulgués par le CSARS, assez pour remplir cette salle, et des preuves — et pourriez-vous clarifier cela pour nous — qu'on ne pourra jamais utiliser dans le cadre de poursuites criminelles. Monsieur Russomanno, comment cela fonctionne-t-il quand le SCRS est un tiers parti et la GRC dépose les accusations? Est-ce exact que le Canada a devant lui un énorme problème avec toutes les preuves recueillies jusqu'à maintenant par le SCRS?

M. Russomanno : J'irai plus loin que seulement répondre oui ou non.

Il peut y avoir un problème, parce que, en vertu des lois actuelles, le SCRS est perçu comme un tiers parti. Si l'avocat d'une personne accusée d'infraction en matière de terrorisme veut que soit divulgué un mandat obtenu en vertu de la Loi sur le SCRS, il doit déposer une demande de divulgation de dossier en possession d'un tiers.

Le sénateur Baker : L'affaire O'Connor.

M. Russomanno : Oui, dans l'affaire O'Connor, comme John Norris et Bruce Davis l'ont fait dans l'affaire la plus récente, celle de VIA Rail à Toronto. Cela ajoute un degré de complexité à l'instance et peut la prolonger.

Lorsqu'un mandat en vertu de la Loi sur le SCRS est utilisé par une organisation policière classique, comme la GRC, pour obtenir ses propres autorisations de mise sur écoute, alors la constitutionnalité des mandats subséquents de mise sur écoute dépend de celle du mandat initial obtenu en vertu de la Loi sur le SCRS. Alors dans ce cas, et pour une affaire à laquelle j'ai participé ici à Ottawa, le mandat initial en vertu de la Loi sur le SCRS peut être contesté en Cour supérieure auprès de votre juge d'instance criminelle. Vous pouvez demander la permission de contre-interroger l'agent du SCRS.

Le sénateur Baker : Un mandat du SCRS, un mandat secret?

M. Russomanno : C'est un mandat secret que la Couronne et les policiers divulgueraient avec du caviardage. Très souvent, comme dans notre affaire, de même que dans l'affaire de Toronto, la Couronne décide de ne pas utiliser les paragraphes X, Y et Z qui sont caviardés, afin d'éviter les procédures pour voir si les paragraphes en question devraient ne pas être censurés. Cela ajoute une étape complexe aux instances. Le déposant du SCRS doit fournir de façon entière, franche et juste les renseignements utilisés pour obtenir le mandat, comme tout déposant des policiers devrait le faire. Voilà ce dont j'ai parlé dans mon exposé préliminaire; il y a une culture au SCRS qui est, sans surprise, orientée vers le secret et la collecte de renseignements, plutôt que les preuves et la divulgation nécessaire dans une instance criminelle.

Alors, oui, il est possible de contester un mandat en vertu de la Loi sur le SCRS dans une affaire criminelle. Lorsque le mandat en matière criminelle ou le mandat lancé par la police en vertu du Code criminel s'appuie sur un mandat émis en vertu de la Loi sur le SCRS, vous avez alors le droit de contester le mandat émis en vertu de la loi sur le SCRS.

Le sénateur Baker : Il y a donc un problème.

M. Russomanno : J'ajouterai que les preuves en matière de sécurité nationale ajoutent à la complexité. Lorsque le gouvernement ne veut pas que le défendeur ait accès à des renseignements qui seraient pertinents, il doit présenter une demande en vertu de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, et la Cour suprême a statué que ces cas sont de la juridiction de la Cour fédérale. Il y a donc une instance parallèle où il faut un amicus de la cour qui peut regarder sous le caviardage que moi, à titre d'avocat, je ne peux pas voir. C'est une instance distincte qui a lieu avant le procès au criminel.

Nous avons connu des cas — du moins cela a été mon expérience — où un procès, criminel ou autre, est interrompu à cause de revendications du gouvernement concernant la sécurité nationale. Il faut alors s'adresser à la cour fédérale. Avant de procéder au procès criminel, il faut se présenter en cour fédérale pour obtenir une décision sur l'opportunité des caviardages. En fin de compte, si le juge décide qu'ils n'ont aucune raison d'être, alors l'État doit décider s'il préfère abandonner la poursuite ou divulguer de l'information sensible quant à la sécurité nationale.

C'est comme un oignon, avec toutes ses pelures, mais c'est un problème inhérent aux enquêtes liées à la sécurité nationale.

La sénatrice Jaffer : En vous écoutant, j'ai l'horrible sentiment que l'on présume que tous ceux qui font l'objet d'une enquête par les services de sécurité sont présumés être des terroristes ou avoir des choses à se reprocher. On a dit qu'un des problèmes avec l'ASFC, c'est qu'ils n'ont aucun pouvoir de contrôle. Or, nous savons qu'il y a à peine deux mois, l'affaire Benatta a été déraillée à cause d'un traitement illégal que ce monsieur avait subi après le 11 septembre, notamment à cause des actions du gouvernement fédéral. Il a passé cinq ans en prison, et je le cite :

Les gens doivent comprendre qu'une iniquité a été commise à mon égard. J'ai été étiqueté comme un terroriste tout simplement parce que j'étais musulman. C'est du profilage racial de la pire espèce. Ces fonctionnaires canadiens m'ont gâché la vie sans hésiter, et c'est très difficile à accepter.

Le gouvernement canadien a conclu une entente avec lui hors cour parce qu'il reconnaissait qu'une injustice avait été commise. Mais pas tous les suspects poursuivis par les forces de sécurité sont des terroristes. Il y a des innocents qui sont ciblés, et c'est pourquoi nous avons des règles.

Je m'inquiète que si l'on partage cette information avec 17 agences différentes, même si cette information est partagée de bonne foi, qu'il y ait des erreurs ou des dérapages. Par exemple, une personne comme M. Arar n'aurait jamais droit à un dédommagement en vertu de ce projet de loi, car le gouvernement fédéral a bien prévu son coup. Je voudrais savoir ce que vous en pensez, car ce projet de loi est fondé sur la présomption de culpabilité, sur la présomption que le SCRS ne s'en prend qu'aux terroristes. Or, il y a sûrement des innocents qui se font prendre dans les mailles du filet.

M. Spratt : Il faut ajouter à cette question une réalité du droit criminel. C'est-à-dire que pour chaque mandat qui est infirmé par la cour, il en existe des centaines d'autres. C'est la pointe de l'iceberg. Il y a des centaines de mandats dont nous n'avons pas connaissance tout simplement parce que des accusations n'ont pas été portées.

Or, ce problème est aggravé par ce projet de loi. Il s'agit de partage d'information en masse. D'une part, le contrôle du partage d'information était inadéquat, et d'autre part, ce partage d'information en masse s'assortit de nouveaux pouvoirs. Donc, un manque de contrôle se conjugue avec une augmentation du secret.

Pour lier votre question à ce que disait M. Baker, je serais très surpris de voir un mandat de la GRC ou des poursuites criminelles aboutir relativement à des violations de la Charte perpétrées par la SCRS.

Ainsi, lorsque l'on conjugue un manque de contrôle avec un partage d'information débridée et un niveau de secret rehaussé, on pourrait ne même pas connaître l'existence d'un problème jusqu'à ce qu'un gouvernement dans 50 ans se mette à présenter des excuses pour ce qui arrive demain.

Mme Pillay : Je voudrais ajouter que l'ACLC entend souvent des plaintes de différents groupes partout au Canada. En 2012, nous avons organisé une conférence intitulée « Social Cost of National Security » au cours de laquelle toutes sortes de gens, non seulement des musulmans, mais également des sikhs et d'autres membres de communautés de minorités visibles, nous ont dit qu'ils sentaient qu'ils étaient désormais suspects. Ce qui nous inquiète avec cette loi, comme je le disais dans mon intervention orale et en détail dans mon mémoire écrit, c'est que le partage d'information à grande échelle, bien au-delà des activités terroristes, tel que prévu à l'article 2 de la loi, permet à toutes ces agences d'obtenir de l'information sur des gens au Canada, de créer des dossiers sur ces gens, ce qui sème la méfiance, ce qui est exactement contraire aux objectifs que sont la lutte contre la radicalisation et les menaces existantes.

Le sénateur Day : Dans votre mémoire écrit, vous parlez de l'Association du Barreau canadien et de ses 22 recommandations. Ce document n'a pas été distribué — a-t-il été reçu?

Le président : Il a été distribué la semaine dernière.

Le sénateur Day : C'est le même document que vous avez dit être très utile. J'imagine que c'est ce même document, donc.

Nous n'avons pas encore vu les mémoires d'autres témoins, mais j'imagine que ça ne saurait tarder.

Le président : Le mémoire sera distribué dès qu'il sera traduit.

Le sénateur Day : Notre règle veut que tout document soit distribué dans les deux langues officielles en même temps.

Vous avez dit à deux ou trois reprises que vous étudiez cette question depuis six mois. En principe, vous avez raison, mais il convient de préciser que nous sommes ici réunis pour mener une étude préliminaire du projet de loi C-51, et que nous recueillons des preuves aux fins du projet de loi C-51, et pas du C-44. Nous ne sommes pas là à des fins d'études générales, mais plutôt afin d'étudier précisément le projet de loi C-51.

Le président : Merci de clarifier ce point aux fins du compte rendu. Ces deux projets de loi sont interreliés, et il se trouve, heureuse coïncidence, que nous étudions le terrorisme. Nous avons déjà étudié le projet de loi C-44, et nous passons maintenant au C-51. L'un éclaire l'autre.

Je souhaite remercier les témoins d'avoir comparu. Nous apprécions le temps et l'effort que vous avez consacré à vos exposés, qui étaient très réfléchis.

Nous nous reverrons à 13 heures jeudi prochain pour poursuivre notre étude du projet de loi C-51. J'essaierais d'obtenir une nouvelle salle pour jeudi à l'édifice du Centre afin que nous puissions vaquer à nos obligations à la Chambre, mais je vous en donnerai des nouvelles.

Merci à tous.

(La séance est levée.)


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