Aller au contenu
SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 6 - Témoignages du 12 février 2014


OTTAWA, le mercredi 12 février 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour poursuivre son étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[English]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Translation]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie. Je suis de la Nouvelle-Écosse et je préside le comité. Je laisse maintenant mes collègues se présenter.

Le sénateur Eggleton : Je suis le sénateur Art Eggleton, de Toronto, vice-président du comité.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Seth : Asha Seth, de Toronto.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal.

Le président : Je rappelle que notre séance d'aujourd'hui s'inscrit dans le cadre de notre étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance, la nature des conséquences involontaires de l'emploi de ces produits et d'autres aspects. Aujourd'hui, nous traiterons de la résistance aux antibiotiques.

Nous accueillons deux spécialistes du domaine que je présenterai en quelques mots avant de leur donner la parole. Tout d'abord, le Dr Philippe Lagacé-Wiens, médecin microbiologiste au département de la microbiologie médicale et des maladies infectieuses de l'Université du Manitoba. Il représente la Canadian Antimicrobial Resistance Alliance. Dr Lagacé-Wiens, vous avez la parole.

Dr Philippe Lagacé-Wiens, médecin microbiologiste, Département de la microbiologie médicale et des maladies infectieuses, Université du Manitoba, Canadian Antimicrobial Resistance Alliance : Merci beaucoup. Comme le président vient de l'indiquer, je suis ici surtout au nom de la Canadian Antimicrobial Resistance Alliance. Pour ceux d'entre vous qui l'ignoreraient, il s'agit d'un regroupement de scientifiques et de médecins de toutes les régions du Canada qui étudient la résistance aux antimicrobiens des pathogènes humains. Nous effectuons un certain nombre d'études, dont la plus importante est l'étude CANWARD, qui porte sur la résistance aux antibiotiques dans 13 hôpitaux canadiens.

Avec ces études, nous tentons d'établir certaines tendances à long terme en matière de résistance aux antibiotiques. C'est une étude longitudinale. Nous tentons aussi d'évaluer l'efficacité des antimicrobiens expérimentaux.

Dans mon exposé d'aujourd'hui, j'aimerais aborder quelques points dans mon introduction. Je veux notamment vous expliquer pourquoi nous assistons à l'émergence d'une résistance aux antimicrobiens dans les pathogènes humains. On oublie souvent que cette résistance existe, qu'on le veuille ou non. Que l'on emploie des antibiotiques ou non, la résistance existe.

Les antibiotiques ou antimicrobiens ne font qu'exercer une pression sélective : ils poussent certaines bactéries à survivre, selon les lois de Darwin. L'une des grandes conséquences imprévues de l'emploi d'antibiotiques est la pression sélective qui s'exerce sur les bactéries, lesquelles tentent simplement de s'adapter à leur environnement. Les bactéries sont bombardées de stimuli qui déclenchent une réaction et un désir de survie; les antibiotiques ne sont qu'un de ces stimuli. D'autres facteurs contribuent à la sélection de la résistance antimicrobienne lors de l'apparition d'un pathogène.

Le fait de savoir que la résistance existe, qu'on emploie des antibiotiques ou non, est important pour comprendre comment cette résistance fait son apparition. Peu importe le moment de la prise d'un antibiotique, les antibiotiques qu'on découvrira à l'avenir ou les antibiotiques qui remplaceront les antibiotiques, la résistance fera son apparition. C'est un simple fait. Il est très difficile de prédire à quelle vitesse elle apparaîtra et quelles seront les véritables conséquences de la résistance pour la santé humaine et animale.

Cela m'amène à vous parler de la façon dont nous déterminons si la résistance aux antimicrobiens fera son apparition et à quel rythme. Nous savons qu'il y aura résistance. Les plus grands défis consistent donc à tenter de prédire si cette résistance fera ou non son apparition, et si cette dernière résulte ou non de la surutilisation d'antibiotiques. Malheureusement, la réponse est loin d'être claire.

Nous savons que l'usage d'antibiotiques est une condition préalable à la sélection de pathogènes résistants, mais nous ne saurons jamais à quelle vitesse cela se produit, car trop de facteurs entrent en jeu. Nous, les êtres humains, ne contrôlons qu'un seul de ces facteurs, à savoir la pression antimicrobienne que nous exerçons sur l'évolution des pathogènes résistants. Voilà donc où nous devons agir, puisque nous n'exerçons aucun contrôle sur les autres facteurs.

D'après mon expérience des six ou sept dernières années au sein de la Canadian Antimicrobial Resistance Alliance, l'émergence de la résistance ne fait aucun doute, ce n'est qu'une question de temps.

Dans le mémoire que je vous ai remis et que vous avez tous reçu, j'espère, j'évoque un autre facteur d'émergence de la résistance aux antimicrobiens auquel j'aimerais m'attarder. Cela concerne non seulement les antimicrobiens utilisés au Canada, mais aussi ceux employés dans le monde entier. Les migrations d'humains sont un élément clé de l'émergence de la résistance aux antimicrobiens au Canada. Nous devons cesser de nous croire invulnérables. La migration des personnes entraînera l'apparition de la résistance au Canada, et cette dernière ne dépend pas que de notre emploi d'antibiotiques. Dans certaines régions comme en Asie du Sud, d'où sont venues la plupart des menaces récemment, la migration et le tourisme médical sont un énorme problème. Ils entraînent la résistance aux antibiotiques. Nous ne sommes pas les seuls concernés.

J'aimerais maintenant aborder deux ou trois des tendances que nous avons pu observer pendant les études que nous avons menées au cours des sept dernières années. La tendance la plus alarmante que nous ayons observée au Canada, dans le monde entier, en fait, est l'émergence de bactéries pathogènes Gram négatif multirésistantes, principalement la bactérie très commune E. coli, dont vous avez peut-être entendu parler, ou Escherichia coli. C'est une bactérie extrêmement courante qui est présente dans nos intestins. Elle est la cause de différentes maladies dans presque tous les systèmes du corps humain. Nous étudions entre autres ce pathogène depuis sept ans dans le cadre d'une étude longitudinale, et il compte parmi ceux dont la résistance a changé le plus.

La résistance aux fluoroquinolones, les médicaments les plus utilisés autant chez l'humain que chez les animaux, est passée d'environ 1 p. 100 en 2000 à 23 ou 24 p. 100 en 2014, et ce, à mon hôpital seulement. La tendance est la même ailleurs au Canada. En sept ans environ, la résistance de ce pathogène aux médicaments a presque doublé.

Il y a une autre tendance qui est inquiétante : c'est la présence ou l'évolution de ce que nous appelons la production de beta-lactamase à spectre étendu chez E. coli, qui a presque doublé en sept ans, depuis que nous l'examinons dans le cadre de CAWARD. E. coli et les pathogènes apparentés représentent un des plus grands défis à l'usage d'antimicrobiens au Canada et le resteront.

Le problème est d'autant plus difficile à résoudre que nous disposons de très peu de nouveaux médicaments pour traiter les infections causées par les pathogènes Gram négatif. Bien des médicaments ont été produits pour s'attaquer aux bactéries Gram positif, comme le staphylococcus aureus et ses souches résistantes. Quatre ou cinq nouveaux médicaments ont fait leur apparition au cours des 10 dernières années, et j'entends par là des médicaments complètement nouveaux, et non pas des thérapies médicamenteuses existantes qu'on aurait modifiées. En 10 ans, aucun nouveau médicament s'attaquant aux bacilles Gram négatif n'a été élaboré.

Nous sommes devant la combinaison parfaite de conditions défavorables non seulement au Canada, mais dans le monde entier et là où se trouve ce pathogène qui constitue un problème bien connu. Il devient très résistant, alors que nous n'avons que deux ou trois médicaments pour le combattre.

Le dernier bastion pour les pathogènes Gram négatif est ce que l'on appelle les endobactéries résistantes au carbapenem. J'ai trouvé cela intéressant, car j'ai enfin vu les médias s'intéresser à la question il y a quelques semaines. J'étais au courant depuis un certain temps. Néanmoins, nous n'en voyons pas encore beaucoup au Canada, mais nous en avons quand même entendu parler et elles se propagent assez rapidement. Si l'on se fie à l'expérience européenne, elles vont faire leur apparition et se développer.

Pour montrer qu'il ne s'agit pas uniquement de l'utilisation d'antibiotique, car les bactéries n'en ont que faire et n'importe quel stimuli les pousse à évoluer, nous avons assisté au cours des sept dernières années à une baisse de staphylococcus aureus résistant à la méthicilline, lequel était un pathogène très problématique auparavant. Nous en entendons un peu moins parler aujourd'hui, ce qui est une bonne nouvelle, mais on ne comprend pas encore bien pourquoi. Ce n'est pas dû au fait qu'on utilise mieux les antibiotiques au Canada, car ce n'est pas du tout le cas. Nous en utilisons exactement la même quantité depuis 10 ans. Je dirais qu'il s'agit probablement d'un autre type de pression évolutive qui finit par écarter les souches résistantes. Je ne sais pas de quoi il s'agit. J'aimerais bien le savoir. Cela me vaudrait sûrement tout un prix! Mais il s'agit probablement d'un genre de remplacement de souche.

En résumé, à mon avis, la plus grosse menace, en ce qui concerne la résistance aux antibiotiques au Canada et dans le monde actuellement, c'est l'émergence de ces pathogènes Gram négatif comme E. coli, qui deviennent résistants aux antibiotiques et plus virulents dans certains cas, et contre lesquels nous n'avons que très peu de nouveaux médicaments. La solution face à ces pathogènes spécifiques serait, bien évidemment, de mettre au point de nouveaux médicaments. Mais pour éviter que ces nouveaux pathogènes soient encore plus résistants, nous devons contrôler la seule et unique chose que nous puissions contrôler, à savoir l'utilisation excessive d'antibiotiques. Le reste des stimuli qui rendent ces bactéries résistantes ne peut pas être contrôlé, mais nous pouvons contrôler un élément.

Voilà, en gros, ce que je tenais à vous dire. Si vous avez des questions, allez-y, n'hésitez pas.

Le président : Nous allons entendre les deux présentations l'une après l'autre. Merci beaucoup.

Passons maintenant au Dr Scott McEwen, du Département de médecine des populations à l'Université de Guelph, qui est membre de l'Alliance for the Prudent Use of Antibiotics.

Dr Scott McEwen, professeur, Département de médecine des populations, Université de Guelph, Alliance for the Prudent Use of Antibiotics : Merci beaucoup, monsieur le président et mesdames et messieurs. Je vous remercie de l'occasion que vous me donnez de m'adresser à vous. Je vais utiliser quelques diapositives. J'espère que vous les avez sous les yeux. Je me contenterai de dire « prochaine diapo » quand j'y arriverai.

Aujourd'hui, dans le temps qui m'est alloué, j'ai pensé présenter quelques principes généraux sur la manière dont les antibiotiques sont utilisés chez les animaux et sur la façon dont cela contribue à la résistance aux antibiotiques, puis parler des effets que nous pensons que cela a sur la santé des animaux et des humains, et présenter certaines possibilités ou méthodes qui sont à notre disposition pour essayer de contrôler le développement d'une résistance.

De manière générale, on utilise les mêmes classes d'antibiotiques chez les humains et chez les animaux. Il y a certaines exceptions. À ce qu'on sache, par exemple, nous n'utilisons pas des carbapenems, comme Philippe l'a mentionné, mais on se sert des autres classes, sous une forme ou une autre.

Nous n'avons que très peu d'information sur les quantités d'antibiotiques utilisés chez les animaux d'élevage et de compagnie au Canada. La question a attiré énormément d'attention, à l'échelle internationale, pour comparer les quantités relatives qui sont utilisées.

En général, au Canada, aux États-Unis et dans les pays développés semblables, on utilise une plus grande quantité d'ingrédients actifs par kilogramme chez les animaux, mais il est très difficile d'établir des comparaisons, car il existe de grandes différences au chapitre de la puissance, entre autres choses.

Nous ne disposons pas de renseignements très détaillés sur les médicaments utilisés, sur les raisons de leur administration et sur les animaux auxquels ils sont administrés; pourtant, il est possible d'avoir cette information dans certains pays, mais pas au Canada.

Avant d'oublier d'en parler, en plus des utilisations spécifiques, dont je parlerai un peu plus tard, il y a au Canada des questions sensibles quant à l'utilisation d'antibiotiques chez les animaux. Il y a notamment deux questions qui continuent de se poser et qui sont ce que l'on appelle des échappatoires. Premièrement, il y a l'utilisation d'antibiotiques chez les animaux de ferme, que l'on fait entrer au pays en vertu de la clause pour usage personnel. Il s'agit d'un problème qui existe depuis un certain nombre d'années.

De plus, il y a l'importation d'ingrédients pharmaceutiques actifs. Vous en avez peut-être entendu parler dans d'autres contextes, mais on s'inquiète, dans certains secteurs, du fait que ce soit une façon d'importer des médicaments de manière plus ou moins contrôlée, puis de les administrer aux animaux et de contribuer ainsi aux problèmes de résistance.

En général, sur la première diapositive, vous voyez que les antibiotiques sont utilisés à des fins thérapeutiques, que ce soit sur des animaux individuels, des animaux de compagnie ou des animaux de ferme. La plupart des médicaments sont donnés sur ordonnance à des fins thérapeutiques, mais il existe certains médicaments en vente libre dans la plupart des provinces, à l'exception du Québec, où une ordonnance est requise.

Contrairement aux êtres humains, on utilise chez les animaux les traitements antibiotiques de groupe. Diapo suivante. En raison de la méthode d'élevage de bon nombre des animaux, comme les cochons et la volaille ou le bétail, on les élève en grands groupes. Il n'est pas pratique de traiter les animaux individuellement; les médicaments sont donc administrés à tout le groupe, le cas échéant. On peut intervenir à des fins thérapeutiques; si on a des animaux malades au sein du groupe, on traite l'ensemble du groupe. On peut aussi le faire aux fins de prophylaxie, afin de prévenir des maladies pendant les périodes à haut risque. On peut enfin agir pour favoriser la croissance. Il s'agit là du type d'utilisation des antibiotiques le plus controversé en agriculture. Les médicaments sont administrés aux animaux en partant du principe que les animaux grandiront plus vite et qu'ils se nourriront plus efficacement. Ces médicaments utilisés pour des traitements de groupe sont parfois vendus en vente libre, comme les stimulateurs de croissance, ou accessibles uniquement sur ordonnance.

En ce qui concerne la prochaine diapo, un des autres problèmes concernant la résistance aux antibiotiques est lié à l'emploi non conforme de médicaments de médecine vétérinaire. Il s'agit d'une pratique commune, due à bien des facteurs. C'est notamment en raison du fait que certains types d'animaux destinés à l'alimentation et d'animaux de compagnie sont élevés pour un petit marché. Les compagnies pharmaceutiques étant souvent peu incitées à inscrire des indications pour les diverses espèces sur leurs étiquettes, le nombre de médicaments enregistrés est parfois restreint. Il y a d'autres raisons pour lesquelles on utilise communément les médicaments sans respecter les indications prescrites.

Malheureusement, le débat sur la sécurité humaine concernant l'emploi non conforme des médicaments concerne surtout la prévention de la présence de résidus de médicaments dans les aliments d'origine animale, comme le lait ou la viande. On ne fait que très peu attention aux conséquences de la résistance. Je vous donnerais, dans quelques instants, un exemple d'un grave problème que nous avons eu à cause de l'emploi non conforme d'un médicament de médecine vétérinaire.

Sur la diapo suivante, nous considérons que le principal effet sur la santé humaine est attribuable à la sélection de la résistance des entéropathogènes des humains dans la population animale. Certaines bactéries comme la salmonelle, la campylobactérie et certaines formes d'E. coli, sont des bactéries normales et commensales chez les animaux. Souvent, elles n'occasionnent pas de maladie, mais elles peuvent acquérir une résistance et contaminer l'alimentation ou l'environnement; elles peuvent ensuite se retrouver chez l'être humain et entraîner des maladies. Certaines des maladies figurant sur cette diapo sont transmises de l'animal à l'être humain de cette façon.

Nous avons eu des problèmes de multirésistance aux médicaments avec la salmonelle. Il y a également eu des problèmes de résistance au fluoroquinolone avec la campylobactérie, notamment aux États-Unis et dans les pays européens, mais pas autant au Canada.

L'ERV est une infection importante chez l'humain. Les entérocoques résistants au vancomycine ont causé de graves problèmes en Europe à cause de l'utilisation de stimulateur de croissance. Cela n'a pas posé de problème au Canada, mais cela a attiré l'attention sur la résistance aux antibiotiques chez les animaux dès les années 1990.

Il y a d'autres exemples dont on peut se servir. Certains sont les mêmes que Philippe a mentionnés il y a quelques minutes.

Dans la diapo suivante, vous voyez un schéma compliqué qui montre l'écologie de la résistance antibiotique. Encore une fois, cela reprend ce que Philippe a dit, à savoir que les bactéries et les déterminants de la résistance ne connaissent pas de limite. Nous faisons partie d'un écosystème global. Les déterminants de la résistance des bactéries et parfois même les antibiotiques se retrouvent dans les divers secteurs de l'environnement et propagent la résistance.

Je vous fais remarquer qu'à notre connaissance, le principal vecteur des animaux vers l'être humain passe par la chaîne alimentaire, qu'on retrouve dans ce schéma. Je vous fais également remarquer qu'il s'agit d'un cheminement compliqué qui va de la ferme jusqu'à l'abattoir, puis par l'usine de transformation, la distribution et parfois jusqu'à l'économie mondiale. Il existe un bassin de bactéries et de déterminants prêt à circuler, lequel est très difficile à mesurer. Il est encore plus difficile d'évaluer la progression des choses dans le secteur environnemental.

Sur la diapo suivante, vous voyez que le Canada a la chance d'avoir un système de surveillance de la résistance aux antibiotiques de très haute qualité que l'on appelle le PICRA ou Programme intégré canadien de surveillance de la résistance aux antimicrobiens. Il s'agit d'un programme qui relève de l'Agence de santé publique du Canada. C'est une ressource très utile. Il permet de surveiller les bactéries entériques résistantes de différences espèces dans des cas cliniques d'animaux et d'humains, ainsi que dans la viande, aux abattoirs et dans la viande vendue au détail.

Sur la diapositive suivante, je vais vous montrer ce graphique assez compliqué sur le principe important de l'emploi non conforme des médicaments, la sélection de souches résistantes chez les animaux et les personnes, et la transmission à l'être humain. Cette diapo montre des données concernant Salmonella Heidelberg, un pathogène d'origine alimentaire important chez l'humain et la résistance à un médicament qui s'appelle ceftiofur, qui est utilisé chez les animaux, mais qui appartient à la même classe qu'un groupe important de médicaments pour êtres humains, le céphalosporine de troisième génération.

Ce graphique contient deux groupes de lignes, l'un pour les données du Québec et l'autre, pour celles de l'Ontario. C'est assez semblable, comme vous pouvez le voir. Je vais me concentrer sur les données du Québec, car elles sont de meilleures qualités à un égard. Ce que ce graphique montre, à gauche, ou sur l'axe des Y, c'est le pourcentage d'isolats de Salmonella Heidelberg résistants au ceftiofur. Sur l'axe des X, vous voyez le temps, exprimé en années et en mois.

Si vous avez une version en couleur, la ligne bleue avec des points ronds indique la prévalence de la résistance au ceftiofur, ces céphalosporines de troisième génération, et de Salmonella Heidelberg à partir de cas cliniques humains. La ligne noire, en haut, montre la prévalence de la résistance de Salmonella Heidelberg chez les poulets. Vous pouvez voir que c'est assez élevé, les chiffres allant de 30 à 70 p. 100.

La situation a alarmé les autorités de santé publique. Des enquêtes ont été effectuées, et on s'est aperçu qu'au Québec, et probablement ailleurs au Canada, le ceftiofur était employé de façon non conforme et qu'il était injecté à des poussins ou à des œufs dans les couvoirs. On s'en servait communément dans le cadre de traitement de groupe comme prophylactique pour prévenir des infections à E. coli et d'autres infections chez les nouveaux poussins.

Les microbiologistes et les autorités de la santé publique ont attiré l'attention des vétérinaires sur la question dans l'industrie des couvoirs. On a mis fin à cette pratique, au moins pendant un certain temps, et la ligne noire verticale représente l'abandon volontaire de cette pratique au Québec. Comme vous pouvez le voir, il s'en est suivi une chute vertigineuse de la prévalence de la résistance de Salmonella Heidelberg chez les humains et les poulets et aussi d'E. coli, dont on se sert à titre d'espèce indicateur. Le lien étroit qui existe entre l'abandon de l'utilisation et la chute de la résistance nous indique que l'emploi non conforme avait un effet extrêmement sélectif sur ce pathogène important qu'est Salmonella Heidelberg chez l'humain. Ces données ont reçu l'attention du monde entier, à l'Organisation mondiale de la santé et d'autres forums.

Sur la diapositive suivante, je vous montre les principales catégories d'intervention utilisées et dont on parle dans plusieurs pays du monde. Ce sujet a fait l'objet de nombreuses tribunes de discussion nationales et internationales à l'échelle planétaire, et bien des gens préconisent l'adoption de mesures réglementaires, dont de meilleurs règlements relatifs aux médicaments, de meilleures règles sur la bonne utilisation d'antimicrobiens, de bonnes pratiques de fabrication et de distribution, et la liste continue.

Certains pays et groupes demandent l'interdiction de certains types d'utilisation, notamment pour stimuler la croissance, mais également d'autres types. Certains proposent de restreindre certains types d'utilisation pour essayer de réduire les effets de la résistance sur la santé publique.

Parmi les autres interventions, on peut citer une meilleure surveillance. On propose également diverses mesures volontaires, notamment des programmes de prudence et des programmes d'intendance des antibiotiques. Malheureusement, en médecine vétérinaire, nous ne disposons pas de très bonnes données sur l'efficacité d'un grand nombre d'interventions, surtout celles qui sont volontaires. Nous ne savons vraiment pas si elles fonctionnent ou pas. Nous disposons de certaines données d'Europe sur l'efficacité de quelques interventions réglementaires, et nous pourrons en parler dans quelques instants.

Sur la diapositive suivante, j'aimerais faire remarquer qu'au Canada, beaucoup d'efforts ont été déployés concernant la question de l'utilisation d'antibiotiques chez les humains et l'incidence qu'ils ont sur la résistance chez l'être humain. Un rapport très détaillé est diffusé sur le site web de la Direction des médicaments vétérinaires de Santé Canada. Il a été publié en 2002. J'étais président du groupe de rédaction, qui a formulé quelque 38 recommandations. L'essence du rapport est encore valide aujourd'hui, tout comme c'était le cas en 2002. Certains des noms d'organismes importants ont évolué, mais sinon, les principes sont les mêmes. Le groupe qui en est l'auteur était composé d'intervenants provenant de toutes les industries concernées, et de représentants du domaine médical, de la santé publique et du milieu vétérinaire. Je trouve que ce rapport a bien été fait, mais j'ai un certain parti pris.

En résumé, monsieur le président, les antibiotiques sont importants pour la santé et le bien-être des animaux. Nous en avons besoin pour faciliter la production animale, nourrir la société et traiter les animaux malades. En revanche, nous devons mieux nous en servir. L'utilisation des antibiotiques contribue aux problèmes de résistance chez les animaux et chez l'être humain, mais nous ne connaissons pas l'ampleur de leurs effets. Il est très difficile pour nous d'évaluer le risque réel pour l'être humain. Il y a eu plusieurs tentatives faites à cet égard, et nous pourrons en parler si vous le souhaitez.

Étant donné l'urgence et l'ampleur des problèmes causés par la résistance, je croise qu'il faut déployer davantage d'efforts pour réduire ce problème.

Le président : Merci beaucoup.

Docteur McEwen, le comité vient de terminer une étude sur l'utilisation des médicaments à des fins autres que les usages ayant été approuvés. Pouvez-vous nous confirmer que vous utilisez le terme « non conforme » dans le même sens?

Dr McEwen : Oui, tout à fait.

Le président : Merci. Je vais maintenant céder la parole à mes collègues pour qu'ils posent leurs questions.

Le sénateur Eggleton : Merci de comparaître. Ce sujet semble alarmer certaines grandes organisations. Par exemple, l'Organisation mondiale de la santé a déclaré que la résistance aux antibiotiques était une crise planétaire qui risquait de transformer des infections courantes comme l'angine streptococcique en infection potentiellement mortelle.

Le Dr Thomas Frieden, directeur du Centers for Disease Control des États-Unis, a déclaré ce qui suit :

Si nous ne faisons pas attention, nous nous retrouverons bientôt dans une ère post-antibiotique... pour certains patients et certains microbes, nous y sommes déjà.

Nous sommes confrontés à un problème très grave. J'ai remarqué que les États-Unis avaient décidé de sévir contre l'utilisation d'antibiotiques pour favoriser la croissance du bétail. Vous avez parlé de l'utilisation de ces antibiotiques de façon individuelle chez les animaux et des problèmes lorsque des antibiotiques sont prescrits. C'est bien. Toutefois, nous nous apercevons qu' on se sert d'une assez grosse quantité d'antibiotiques pour la croissance, à tel point qu'aux États-Unis, on dit que 80 p. 100 des antibiotiques sont utilisés sur des animaux, soit en agriculture ou en aquaculture, avec les poissons également. Ce pourcentage de 80 p. 100 est assez alarmant; pourtant, vous ne semblez pas savoir quel est le pourcentage équivalent ici, au Canada. Avons-nous des raisons de croire qu'il est différent de celui des États-Unis?

Dr McEwen : Merci sénateur. Vous avez raison. On peut, selon moi, raisonnablement présumer que l'utilisation des produits au Canada est semblable à celle qu'on observe aux États-Unis. Nous disposons d'une gamme semblable d'antimicrobiens pour les animaux, et nos industries se ressemblent beaucoup.

J'aimerais reconnaître, comme vous l'avez dit, que le Centre for Veterinary Medicine, Food and Drug Administration aux États-Unis a récemment annoncé qu'il demande aux entreprises pharmaceutiques de retirer volontairement les allégations sur la stimulation de croissance et l'amélioration de l'efficacité alimentaire aux États-Unis.

Je n'en suis pas sûr, mais je crois qu'il a opté pour la voie volontaire parce qu'il a découvert par le passé qu'en obligeant les entreprises à cesser une pratique ou en exigeant qu'elles retirent une allégation, il s'exposait à une procédure très longue et onéreuse. Je ne sais pas exactement ce qu'il en est, mais je crois qu'il lui a fallu de deux et quatre ans, par exemple, pour faire retirer l'allégation sur la fluoroquinolone pour la volaille, laquelle constituait un élément important dans la sélection d'une résistance dans le cas de la campylobactérie, comme je l'ai indiqué. Nous avons espoir, dans le milieu scientifique, que les entreprises se conformeront à cette demande et retirerons les allégations.

Nous ne savons pas encore jusqu'à quel point cela réduira l'utilisation des antibiotiques et la pression sélective, parce que les conclusions d'autres études menées en Europe, par exemple, ont révélé qu'actuellement, les stimulateurs de croissance jouent probablement un rôle important au chapitre de la prophylaxie des maladies dans la production animalière. Par exemple, quand les stimulateurs de croissance ont été interdits au Danemark, on a observé une augmentation de la diarrhée post-sevrage chez les porcelets. Ce qui pourrait bien arriver, je crois, c'est que quand il y a une baisse ou un arrêt de l'utilisation des stimulateurs de croissance et de l'efficacité alimentaire, on observe une augmentation concomitante de bon nombre de ces mêmes médicaments utilisés comme agents prophylactiques en agriculture. J'espère que ce ne sera pas le cas, mais cela pourrait arriver.

Le sénateur Eggleton : Bien des gens semblent dire que c'est l'usage abusif de ces médicaments, que ce soit en médecine humaine ou en agriculture, qui a créé le problème auquel nous sommes confrontés.

Vous avez dit que le groupe du PICRA, qui relève de l'Agence de santé publique du Canada, assure une bonne surveillance. Que donne cette surveillance? Que devrions-nous faire dans ce pays face à ce problème? Devrions-nous suivre l'exemple des États-Unis ou peut-être même de l'Europe, étant donné que l'Union européenne vient apparemment d'imposer des frais d'utilisation en cas d'usage des antibiotiques sur des êtres non humains?

Mais c'est ce point, ainsi que la question de l'obtention de l'information pertinente au Canada, qui me préoccupent. Dans un article paru au mois de novembre dernier, on nous informe ce qui suit :

Des experts en maladies infectieuses disent qu'Ottawa traite les rapports de la surveillance nationale microbienne comme des « documents sensibles ». Et les médecins sont tellement frustrés qu'ils affichent publiquement les données qu'ils peuvent obtenir sur leurs propres sites web.

Sinon, il se passe des années avant qu'on puisse voir ces renseignements sur le site web fédéral, dit le Dr Mark Joffe, président de l'Association pour la microbiologie et l'infectiologie Canada (AMMI), qui représente des médecins, des microbiologistes cliniciens et des chercheurs.

Il poursuit en disant qu'il a un meilleur accès aux données de minuscules pays européens comme l'Estonie qu'a celles de l'Agence de santé publique du Canada.

Nous sommes donc incapables d'obtenir beaucoup d'information ici. L'agence de santé du gouvernement fédéral entrave les efforts pour contrôler ces produits, alors que leur potentiel mortel est énorme. Alors que les États-Unis et l'Europe vont vers l'avant pour trouver des solutions, nous semblons ne rien faire à ce chapitre.

Le président : Voulez-vous intervenir?

Dr McEwen : J'aurais un commentaire à faire. Vous soulevez un excellent point au sujet de la surveillance et de la détection des tendances en matière de résistance. L'exemple que j'ai soulevé vous indiquait que la mesure raisonnable à adopter serait de s'attaquer à l'emploi non conforme routinier de ceftiofur dans les couvoirs. Voilà qui met en lumière un des problèmes qui se posent au Canada au sujet de notre structure fédérale : le fédéral approuve des médicaments comme le ceftiofur pour la vente. Cet usage non conforme, normalement régi par une ordonnance du vétérinaire, est réglementé par les provinces, selon ce qu'on nous dit. Les autorités fédérales chez Santé Canada nous indiquent qu'elles n'ont pas le droit légal d'interdire un usage ou ce type d'usage. À l'opposé, les fonctionnaires américains de la Food and Drug Administration, voyant les données canadiennes, ont interdit l'usage non conforme du ceftiofur pour les animaux destinés à la consommation.

Nous observons encore et encore la disparité qui existe dans la répartition des responsabilités fédérales et provinciales. Je suis certain qu'on vous l'a fait remarquer dans d'autres contextes aussi.

Dr Lagacé-Wiens : J'aurais quelques observations à formuler. Cette question du PICRA et de l'accessibilité des données de surveillance, j'en témoigne aussi. J'ai moi-même connu des difficultés à obtenir des données pertinentes et mises à jour de l'Agence de santé publique en matière de résistance antimicrobienne, à un point tel que je n'en fais plus usage. Nous utilisons des « données d'auteur », c'est-à-dire des données nationales qui font le suivi dans sept provinces et qui reposent sur bon nombre d'études de surveillance effectuées au fil du temps. Et elles sont à jour. Je pourrais vous donner aujourd'hui même des données de 2013.

Donc, je confirme que ce problème existe. Mais je ne sais pas ce qu'on peut faire à cet égard. Je suppose que la structure gouvernementale a quelque chose à voir avec la capacité de publier ces données. Je n'en sais pas assez sur la structure pour pouvoir me prononcer, mais je conviens que c'est un problème.

En ce qui concerne l'approche canadienne à l'égard du problème de la résistance antimicrobienne, je dirai qu'il faut préconiser une approche mondiale, tel que je l'ai dit auparavant. Il ne s'agit pas ici seulement du Canada, des États-Unis ou de l'Europe, parce que les gens voyagent en Inde, y boivent l'eau, ingèrent des organismes multirésistants et reviennent au Canada. On peut bien s'enfoncer la tête dans le sable, mais nous sommes en fin de compte tous dans le même bateau; je crois donc qu'il nous faut en faire davantage. Il nous faut suivre le mouvement et peut-être ainsi encourager d'autres pays à nous imiter.

Dans bien des pays, le problème ne se limite pas à l'alimentation des animaux et à l'usage animal; il y a une foire d'empoigne pour les antibiotiques, car ils ne coûtent deux fois rien et on peut facilement s'en procurer. Et ils se retrouvent dans l'eau. Pensons ici à un pays comme l'Inde, qui abrite plus d'un milliard de personnes, lesquelles prennent ces antibiotiques à gauche et à droite, et les excrètent dans l'environnement. Ces antibiotiques se retrouvent dans le Ganges, où pullulent les bactéries. Et d'où vient la résistance? De ces zones densément peuplées où on trouve énormément de résistance, de bactéries et d'usage abusif d'antibiotiques.

L'approche doit être mondiale, j'en conviens. Il nous faut tous emboîter le pas et le Canada n'est qu'un joueur parmi d'autres.

La sénatrice Eaton : Merci à vous, docteurs.

Devrait-on contrôler les antibiotiques comme on contrôle les narcotiques?

Dr Lagacé-Wiens : Celle-là est pour moi, je crois.

La sénatrice Eaton : Je crois que le Dr McEwen a parlé des restrictions dans son exposé. Quand on vous prescrit un narcotique et vous allez à la pharmacie, le pharmacien téléphone et vérifie votre identité; vous obtenez une ordonnance pour un antibiotique, vous vous rendez à la pharmacie.

Dr Lagacé-Wiens : Du point de vue médical, en tant que médecin — et j'essaie de penser à mes collègues qui sont omnipraticiens plutôt que spécialistes —, je considère que c'est aller un peu trop loin dans l'autre direction et que c'est un renversement de tendance exagéré. Je pense qu'il serait justifié de resserrer un peu la réglementation pour l'utilisation humaine. Peut-être qu'on devrait indiquer clairement sur l'ordonnance l'utilisation qui doit être faite des antibiotiques , mais s'il faut rédiger une ordonnance en trois exemplaires, et obtenir l'approbation du collège, des médecins et des chirurgiens de sa province pour prescrire un antibiotique, je pense que certains médecins réduiraient le nombre de leurs ordonnances au point où les gens qui pourraient profiter des antibiotiques en pâtiraient.

La sénatrice Eaton : Auriez-vous peut-être des recommandations à formuler quant à la manière de restreindre l'utilisation d'antibiotiques de façon raisonnable? Vous pourriez les faire parvenir à la greffière.

Le président : Gardez vos réponses pour plus tard. On ne peut pour l'instant entrer dans les détails. Nous voulons connaître vos réponses générales sur les grands points. La restriction est une question très importante et complexe. Vous pourrez fournir vos réponses à la greffière après votre départ.

La sénatrice Eaton : Vous pouvez peut-être y réfléchir.

Docteur McEwen, j'étais à Guelph la semaine dernière avec le Comté sénatorial de l'agriculture, et nous avons visité Agroalimentaire Canada. On y fait de la recherche extrêmement intéressante sur les parasites chez les animaux afin de ne pas avoir à recourir aux antibiotiques. Fait-on de la recherche en médecine humaine également? Savez-vous si des études intéressantes sont en cours pour changer la façon dont nous utilisons les antibiotiques?

Dr McEwen : Je vous répondrai du point de vue de la santé animale, et Philippe pourra peut-être vous parler de la santé humaine.

Il existe bien des stratégies de rechange intéressantes à l'utilisation d'antibiotiques, qu'il s'agisse de différentes stratégies de gestion des animaux pour réduire le besoin de recourir aux antibiotiques ou, par exemple, de programmes de vaccination pour contrôler les maladies infectieuses. Il s'agit d'améliorer ce qu'on appelle dans le monde vétérinaire la biosécurité, soit un meilleur contrôle des infections au sein des troupeaux et entre les groupes d'animaux pour essayer de ralentir la transmission des maladies infectieuses, des mesures pour essayer de réduire le stress chez les animaux. Il existe diverses pratiques non thérapeutiques n'ayant pas recours à des médicaments.

La sénatrice Eaton : Et les antibiotiques?

Dr McEwen : Beaucoup de recherches ont été effectuées en vue de créer des stimulateurs de croissance sans antibiotique. Il est question de divers types d'additifs alimentaires et de probiotiques, qui sont des compléments biologiques. Il existe diverses solutions.

Malheureusement, on n'a pas encore pu démontrer leur efficacité, peut-être parce que ces solutions n'ont en général pas de propriétés prophylactiques et tendent, du moins jusqu'à maintenant, à être plus coûteuses que la majorité des antibiotiques de qualité alimentaire, qui se vendent à prix modique.

À l'échelle internationale, on s'emploie à rendre ces options plus accessibles. Dans l'avion ce matin, alors que j'étais en route pour la séance, je passais en revue mes diapositives, et le type assis de l'autre côté de l'allée m'a dit : « Je n'ai pu m'empêcher de voir vos diapos. » Il travaille dans le domaine des aliments pour animaux et essaie d'élaborer ce genre de produits, alors nous en avons discuté.

J'imagine que c'est une façon alambiquée de dire que oui, il existe des solutions de rechange, mais rien qui puisse encore remplacer les antibiotiques, surtout du point prophylactique.

Dr Lagacé-Wiens : En bref, oui, on étudie de nombreuses approches en vue de remplacer l'antibiothérapie chez les humains, des approches souvent semblables, comme l'immunothérapie ou la vaccination pour essayer de prévenir les maladies bactériennes. L'une d'entre elles a permis de réduire l'utilisation d'antibiotiques pour une indication : le vaccin antipneumococcique.

On fait également beaucoup de recherches sur les probiotiques afin de prévenir certains types de maladies et de trouver des solutions de rechange à la thérapie antimicrobienne pour certaines maladies, comme la diarrhée à Clostridium difficile.

Cependant, j'ajouterais que d'importants obstacles réglementaires entravent l'application de ces stratégies au traitement des êtres humains, notamment les organismes de réglementation comme la FDA, aux États-Unis, et Santé Canada, qui adopte souvent les mêmes règlements que la FDA. Il n'y a que très peu d'entreprises qui s'intéressent à la création de ces produits, puisqu'il n'y a pas de profit à la clé.

La sénatrice Eaton : Eh bien, il pourrait y avoir du profit à faire, en fonction de notre commerce avec l'Europe ou dans le cadre du PTP. Si on interdit la vente d'animaux ayant été traités aux stimulateurs de croissance ou aux antibiotiques, les gains pourraient être énormes.

Dr Lagacé-Wiens : Si ces produits deviennent aussi efficaces que les antibiotiques, oui, j'en conviens; et chez les animaux, c'est effectivement vrai.

Cependant, chez les êtres humains, les solutions de rechange aux antibiotiques ou les antibiotiques qui sont d'une certaine façon meilleurs ou qui ne provoquent pas autant de résistance sont utilisés pour des traitements qui, en général, ne durent qu'une à deux semaines, tout au plus. Les entreprises pharmaceutiques ne s'y intéressent donc pas. Ce qu'elles veulent, c'est maîtriser votre taux de cholestérol pour le reste de votre vie, puisque c'est bien plus lucratif.

Vous vouliez savoir s'il y avait des façons de restreindre la mauvaise utilisation des antibiotiques. Cette dernière est en partie attribuable au prix modique des antibiotiques. Il est facile de traiter un problème à coup d'antibiotiques. Voilà pourquoi notre société considère qu'un médicament qui peut sauver des vies devrait coûter 10 sous par comprimé, alors qu'un médicament qui prolonge l'espérance de vie et corrige le mode de vie, comme les traitements pour cholestérol, coûte 5 ou 10 $ par comprimé. Nous pouvons sauver des enfants ou rétablir un taux de cholestérol normal chez les gens de 65 ans.

Il semble donc y avoir un décalage entre la valeur des antibiotiques pour la société et la valeur qu'on leur attribue effectivement. Voilà l'origine de nombre de ces problèmes. On peut facilement traiter une maladie à coup d'antibiotiques, et on n'a donc aucun intérêt à en créer de nouveaux.

La sénatrice Seidman : Il ne fait aucun doute que les voix qui s'élèvent pour souligner l'urgence de ces questions se font de plus en plus fortes et sérieuses. En 2013, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis ont publié un important rapport sur la menace que représente la résistance aux antibiotiques — le rapport auquel faisait référence le sénateur Eggleton — intitulé Antibiotic resistance threats in the United States, 2013, qui préconise la prise urgente de mesures.

Il y a moins d'un mois, le Journal de l'Association médicale canadienne a publié un article. On s'y penche sur la création de nouveaux antibiotiques, mais on fait largement référence à l'expérience européenne et au fait qu'il est urgent de contrôler d'une façon ou d'une autre l'utilisation des antibiotiques.

Vous avez parlé de surveillance et de réglementation, mais je pense qu'il faut également sensibiliser la population et les fournisseurs de soins afin qu'ils comprennent mieux ces problèmes. Si vous me le permettez, j'aimerais qu'on mette donc l'accent sur la surveillance et l'information.

La question de la sensibilisation en est une d'ordre très général, puisqu'il s'est créé au fil du temps de nombreux programmes d'information publique pour de très graves problèmes de santé publique. Le tabagisme est peut-être l'exemple le plus connu, puisqu'en sensibilisant la population, on a fait considérablement diminuer le tabagisme. La question est de savoir quels sont les enseignements que nous en avons tiré et si nous pouvons les appliquer à la situation grave qui se pose à l'égard de l'utilisation des antibiotiques.

Je me demande également si les données de surveillance du PICRA ont servi à l'élaboration de politiques et si on peut apporter des changements afin que ces données soient plus efficaces.

Dr Lagacé-Wiens : Je suis probablement le mieux placé pour parler de l'information. Je suis certainement en faveur de la sensibilisation, surtout auprès des fournisseurs d'antibiotiques dans le domaine de la santé humaine — je ne peux autant me prononcer du côté de la santé animale — mais comme le Dr McEwen y a fait allusion plus tôt, la santé humaine relève surtout des autorités provinciales de santé publique.

Fort de ma propre expérience au Manitoba, je dois dire qu'on s'y efforce de sensibiliser tant les fournisseurs que les clients — ou les patients, peu importe — quant à l'utilisation d'antimicrobiens, et on commence à observer des changements dans la province. J'imagine que c'est la même chose partout au Canada, mais je n'en sais pas suffisamment pour en parler.

Les patients comprennent maintenant qu'ils n'ont pas besoin d'obtenir une ordonnance d'antibiotiques chaque fois qu'ils consultent leurs médecins. Quant à ces derniers, ils comprennent que les antibiotiques ne sont pas une panacée. On constate un changement marqué à l'égard des habitudes de prescription des médecins généralistes en ce qui concerne l'utilisation, bonne ou mauvaise, d'antibiotiques.

Il y a encore des progrès à faire. On peut encore sensibiliser les pharmaciens, les médecins et les omnipraticiens, qui sont les plus grands utilisateurs d'antimicrobiens, mais nous faisons tout de même des pas de géant dans la bonne direction.

Je pense que oui, ces démarches devraient être encouragées. Voilà en gros la réponse à votre question sur l'information. Je pense que les autorités provinciales de santé publique devraient être autorisées et même encouragées à aller de l'avant en se servant d'affiches, de publicité, et cetera. Cela a très bien fonctionné à certains égards.

En ce qui concerne la question qui porte sur le PICRA, je ne suis pas tellement bien placé pour me prononcer, puisque je suis bien loin de l'Agence de la santé publique. Il m'apparaît clairement qu'elle détient de nombreuses données, qui n'ont peut-être pas été utilisées à leur plein potentiel, cependant, simplement parce que je n'ai personnellement pas vu beaucoup de résultats.

Je connais des gens qui travaillent dans le cadre du PICRA à l'Agence de la santé publique et aux Laboratoires nationaux de microbiologie à Winnipeg qui ont des données de grande qualité, mais je n'ai pas vu de produits importants issus de celles-ci. Je ne peux vous en dire plus.

Le président : Docteur McEwen, auriez-vous quelque chose à ajouter?

Dr McEwen : Oui.

En ce qui concerne la sensibilisation, je suis tout à fait d'accord. Il est toujours bon de faire en sorte que tous les gens concernés soient plus au fait des problèmes et de leur origine.

Je ne suis pas un expert en matière de promotion de la santé ou de modification du comportement. Je pense qu'il s'agit d'un aspect important auquel il faut s'attarder.

Cependant, je tiens à signaler qu'on manque souvent de motivation pour résoudre ce problème. Plusieurs sénateurs ont parlé de l'importance de la résistance, et dans le secteur de la santé humaine, on a effectivement conscience de l'urgence de cette question.

Je dois dire que du côté de la santé animale, on n'a pas autant l'impression d'être confronté à une crise. Pour diverses raisons, nous n'avons pas eu le même problème, soit celui des infections graves devenant résistantes à presque tout.

Je peux citer en exemple des infections animales où on a constaté des problèmes de résistance, mais on n'en parle pas avec la même urgence que dans le domaine médical.

Je pense que c'est un des facteurs importants qui expliquent en partie le manque de motivation et de dynamisme dans le secteur animal, tant du côté des vétérinaires que des éleveurs d'animaux, à l'égard de la lutte à la résistance.

Si on en parle autant, c'est parce que les problèmes se propagent du côté de la médecine humaine et que le secteur vétérinaire se sent forcé de prendre des mesures.

Parfois, la réaction est noble : « Nous devons intervenir pour améliorer la santé publique. » Parfois, elle est plutôt défensive : « Nous ne sommes pas à l'origine du problème; c'est vous qui l'êtes, alors à vous de le régler. » Je pense qu'il y a un peu de déni. Voilà comment la sensibilisation peut montrer que l'utilisation animale peut avoir des répercussions sur les êtres humains.

Comme je l'ai déjà dit, il est difficile de mesurer cette incidence, et donc difficile de convaincre ceux qui sont réticents à accepter le fait qu'il existe un problème.

Je pense que l'information a du bon; mais de façon générale, il faut trouver des façons de motiver les gens afin qu'ils changent leur comportement.

En ce qui concerne le PICRA, j'en suis un ardent défenseur. C'est la seule chance que nous ayons de faire la lumière sur l'état de la situation dans l'ensemble du pays, en ce qui concerne les entérobactéries chez les animaux et les êtres humains. Ce programme a été fort utile dans le monde vétérinaire en attirant l'attention sur le PICRA. Il a aussi été très utile à l'échelle mondiale, puisque notre système de surveillance de la résistance chez les animaux, chez les humains et dans l'alimentation est aussi efficace que celui des États-Unis et des pays européens. Je pense que c'est essentiel d'avoir un tel système. Sans ce programme, on serait encore plus dans le noir. Il est donc essentiel.

Selon moi, il manque un élément fort utile au PICRA, soit un meilleur outil de surveillance de l'utilisation pour déterminer quels médicaments sont utilisés, chez quel animal, dans quelle concentration et sur quelle période. C'est très difficile à faire dans notre système de distribution de médicaments.

Nous n'avons pas l'infrastructure nécessaire pour nous faciliter la tâche, contrairement à certains pays européens qui disposent de systèmes électroniques de distribution en pharmacie. Je ne minimise pas les difficultés techniques à surmonter. Je dis simplement qu'il serait utile d'avoir des renseignements précis sur l'utilisation pour faire des recoupements avec la résistance.

Le sénateur Enverga : Je vous remercie de vos exposés.

D'après ce que j'ai entendu et ce que le sénateur Eggleton a dit, la situation est alarmante. La question ne serait pas de savoir si cela se produira, mais quand. Quand devrons-nous faire face à ces microbes hautement résistants? Ce qui inquiète ici, c'est la relation entre les animaux et la consommation humaine.

À votre avis, que peuvent faire les gens ordinaires? Le fait de prolonger le temps de cuisson peut-il améliorer grandement les choses, ou devons-nous manger des aliments biologiques? Que peuvent faire les gens ordinaires, comme moi, à cet égard?

Dr Lagacé-Wiens : Eh bien, au niveau personnel, il n'y a vraiment pas grand-chose qu'on puisse faire.

J'aimerais attirer votre attention sur le magnifique diagramme qui figure dans les diapositives du Dr McEwen, et qui montre l'environnement et les mouvements de la résistance entre les organismes et les bactéries chez les humains et les animaux. On n'effleure là que de la pointe de l'iceberg.

La façon dont les bactéries et leurs gènes se déplacent dans l'environnement et survivent sur les surfaces est une question complexe. Il ne s'agit pas que de la viande, mais de tout ce qui l'entoure, tout ce que nous touchons. Le microbiome, une expression que j'aime employer pour représenter la population de bactéries dans le monde, est omniprésent. Les bactéries sont partout, et on ne peut pas faire grand-chose pour éviter d'y être exposé.

Vous pouvez réduire votre exposition en vous lavant les mains et au moins en vous assurant de bien cuire vos aliments, surtout dans le cas des pathogènes. Vous pouvez éviter de visiter des pays où on retrouve nombre de ces organismes résistants, et peut-être que vous pouvez éviter de les contracter.

Cependant, je pense qu'au niveau personnel, c'est une bataille perdue d'avance. Selon moi, il faut adopter une approche beaucoup plus vaste, puisqu'il est à peu près impossible de ne pas être exposé à ces organismes.

Dr McEwen : Je suis d'accord avec Philippe. Nous avons la chance de vivre dans un pays bien développé, doté d'une bonne infrastructure d'hygiène. Nous avons, de façon générale, une eau et des systèmes de traitement des eaux d'égout d'une excellente qualité. Voilà des mesures de santé publique fondamentales qui ont grandement contribué à réduire l'effet des maladies infectieuses. De la même façon, le contrôle de la salubrité alimentaire influe sur l'exposition des gens aux pathogènes résistants et sensibles.

Je conviens avec Philippe que la résistance se transmet de diverses façons. Il n'y a pas de panacée, pas de solution miracle.

Le sénateur Enverga : Essentiellement, le fait de contrôler les antibiotiques n'accélèrera pas le processus, qui se produira de toute façon, n'est-ce pas? Est-ce bien ce que vous dites? Cela se produira de toute façon, nous ne faisons que retarder l'inévitable.

Dr Lagacé-Wiens : La présence d'antibiotiques dans un environnement, animal ou humain, provoquera ultimement la sélection d'un pathogène ou d'un organisme — pas nécessairement un pathogène — résistant à cet antibiotique. En bref, s'il y a des antibiotiques, il y aura de la résistance.

Leur bon usage tend à prolonger leur durée de vie simplement parce qu'on diminue l'exposition à l'antibiotique dans l'environnement, dans l'ensemble du système.

Habituellement, la résistance finit par émerger. Une utilisation prudente ne fait que retarder son émergence.

Le sénateur Enverga : Auriez-vous des propositions, comme par exemple cesser d'utiliser des antibiotiques? Pouvons-nous le faire?

Dr Lagacé-Wiens : Disons-le franchement : les antimicrobiens ont sauvé d'innombrables vies. Dans notre société, nous avons une espérance de vie de 83 ou 84 ans en moyenne en partie grâce aux antimicrobiens, et en partie en raison de toutes ces autres interventions dont a parlé le Dr McEwen.

Je ne crois absolument pas que nous devrions cesser d'utiliser des antimicrobiens; selon moi, c'est leur mauvais usage qui pose problème. Si on cesse de les utiliser, on revient à l'ère qui précédait les antibiotiques, où les gens mourraient de pneumonie dans la trentaine.

La sénatrice Seth : Vous avez dit qu'on avait pris de nombreuses mesures auprès des professionnels de la santé pour qu'ils rédigent moins d'ordonnances d'antibiotiques. C'est un sujet délicat dont nous continuerons de discuter, mais la situation continuera d'évoluer. Espérons, du moins, qu'on pourra y arriver.

L'Agence de la santé publique du Canada a récemment publié un rapport de surveillance sur les organismes résistants aux antimicrobiens qui vise à fournir des données sur les taux d'infections aux bactéries résistantes aux antibiotiques dans les diverses régions du Canada.

Pourriez-vous brièvement dire au comité quelle région du pays est la plus touchée par des bactéries résistantes aux antibiotiques, et pour quelle raison? Avez-vous des statistiques sur le nombre de gens qui meurent chaque année de maladies résistantes aux antibiotiques au Canada?

Dr Lagacé-Wiens : Pour répondre à votre première question, à savoir dans quelle région le problème est plus grave, sachez que la prévalence de la résistance antimicrobienne est plus ou moins équivalente d'un bout à l'autre du pays, bien qu'il y ait quelques exceptions. Les régions très peuplées, comme le Sud de l'Ontario, tendent à afficher des taux légèrement plus élevés de, disons, résistance générale aux antibiotiques; c'est le cas également de Vancouver et des régions très peuplées.

Le Québec, pour une raison quelconque, semble avoir des taux de résistance plus faibles que le reste du pays en général, mais il est difficile de déceler les différences entre les provinces ou les régions du pays et de les interpréter. Si j'avais à formuler les observations bien précises, je dirais que les zones plus populeuses ont tendance à avoir des taux de résistance plus élevés. Cette situation découle probablement d'un des facteurs que j'ai déjà signalés, c'est-à-dire des taux de migration plus élevés plutôt qu'une utilisation abusive dans ces zones.

Pourriez-vous répéter la deuxième partie de votre question, s'il vous plaît?

La sénatrice Seth : Les données statistiques qui sont fournies relativement au nombre de décès par année.

Dr Lagacé-Wiens : J'aimerais bien pouvoir accéder à ces données. Si on veut parler de lacunes dans les données disponibles, sachez que la Canadian Antimicrobial Resistance Alliance ne recueille pas de données propres aux dossiers. Nous ne recueillons de données que sur les isolats. Nous examinons la proportion d'isolats résistants en fonction de données démographiques de base, soit l'âge, le sexe, l'endroit où ils se trouvaient dans l'hôpital et le type d'infection contractée. En examinant les données, je ne peux pas dire que telle ou telle personne est décédée.

Par contre, il serait important que les autorités de santé provinciales recueillent ces données; mais de façon générale, il n'est pas obligatoire de les informer de la présence de ces organismes. Dans quelques provinces, les cas d'infection au Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline et au anterococcus résistant à la vancomycine sont rapportés, mais les infections qui me préoccupent le plus, soit les infections Gram négatif, ne le sont habituellement pas. Je ne connais aucune province où elles sont rapportées, mais il se peut que je me trompe.

La sénatrice Seth : Je comprends pourquoi on utilise des antibiotiques à des fins agricoles, dans l'élevage d'animaux, afin d'encourager la croissance, bien sûr, lorsqu'on élève des animaux et des plantes. Nombreux sont ceux qui disent que cela pourrait aussi contribuer à l'augmentation de la résistance aux antibiotiques. Est-ce possible? D'où viennent habituellement ces antibiotiques? Sont-ils fabriqués au Canada ou bien sont-ils étiquetés ici après avoir été importés? Quelle quantité provient de l'étranger?

Dr McEwen : Je vais essayer de répondre à vos questions.

Manifestement, on utilise beaucoup d'antibiotiques pour stimuler la croissance et améliorer l'efficience alimentaire au Canada, et cette pratique peut effectivement engendrer une résistance à divers médicaments. Bon nombre des médicaments utilisés pour stimuler la croissance font partie des mêmes classes de produits dont on se sert en médecine humaine, comme les tétracyclines et les sulfonamides. Nombre d'entre eux appartiennent à des classes plus anciennes, mais ils peuvent néanmoins provoquer d'importantes répercussions sur la santé humaine.

Comme je l'ai indiqué, nous n'avons pas de bon système de surveillance de l'utilisation des antibiotiques. À l'échelle nationale, le PICRA nous permet d'obtenir des données regroupées de l'Institut pharmaceutique canadien de la santé animale, qui représente les compagnies pharmaceutiques au Canada. Nous disposons de ces données de haut niveau, et de grandes quantités sont utilisées.

Je pense que vous avez demandé si les médicaments étaient fabriqués au Canada ou importés. Je ne connais pas la réponse à cette question. Je pense qu'une bonne quantité est fabriquée ici, mais il peut aussi y avoir des médicaments qui sont importés.

La sénatrice Seth : Si un antibiotique est utilisé sur un animal et que nous mangeons sa chair, cela a-t-il un effet sur les êtres humains? Existe-t-il des recherches à cet égard? Recueillons-nous des données à ce sujet?

Dr McEwen : L'utilisation d'antibiotiques est surtout préoccupante à deux égards pour la santé humaine. Il y a d'abord la question d'innocuité liée à la présence de résidus de médicaments dans le lait, la viande et les œufs consommés par la population. Nous sommes au courant de ce problème depuis des décennies. Pour y faire face, nous avons une excellente approche, appliquée de façon uniforme internationalement. Elle consiste notamment à cesser d'administrer les médicaments dans des délais adéquats afin d'arrêter le traitement avant d'envoyer l'animal à l'abattage pour que les résidus restent inférieurs au taux qui pourrait nuire à la santé humaine. Ce problème est bien connu. Des stratégies de tests sont en place pour vérifier les résidus et autres matières. Je dirais que c'est plutôt bien contrôlé.

L'autre question concerne la résistance aux antibiotiques, dont nous avons parlé aujourd'hui; or, en raison de la biologie de la résistance au sens large, comme Philippe l'a indiqué, c'est un aspect encore plus difficile à contrôler. Nous avons parlé de certaines des approches adoptées dans divers pays pour faire face à ce problème, et je pourrais vous les expliquer davantage si vous le souhaitez.

Le président : Docteur Lagacé-Wiens, êtes-vous du même avis?

Dr Lagacé-Wiens : Je suis essentiellement d'accord. J'allais dire que la question des résidus est une des mieux réglementées et qu'elle ne pose pas vraiment de problème pour ce qui est des animaux. Mais on l'a déjà fait remarquer.

[English]

La sénatrice Chaput : Ma question vient s'ajouter à celle de ma collègue parce que mon inquiétude c'est le lien entre la consommation de la viande par l'humain lorsqu'on sait que les animaux reçoivent des antibiotiques de croissance.

On me dit qu'au Canada, habituellement, ces antibiotiques sont approuvés par Santé Canada, mais j'ai lu aussi que les producteurs peuvent importer des antibiotiques non approuvés au Canada et que la réglementation diffère selon que les médicaments sont ajoutés aux aliments pour animaux ou à l'eau du bétail.

Y a-t-il une réglementation pour ces antibiotiques qui ne sont pas approuvés au Canada et que les producteurs peuvent importer pour leur propre usage?

[Translation]

Dr McEwen : Je vais tenter de répondre au meilleur de mes connaissances. C'est une question difficile.

Dans la première partie de mon exposé, j'ai mentionné deux questions sensibles. L'une porte sur l'importation pour usage personnel, et je pense que cela répond partiellement à votre question. L'autre concerne l'importation d'ingrédients pharmaceutiques actifs. Il y a deux aspects à cette question. Si je ne m'abuse, les dispositions sur l'utilisation personnelle permettent, par exemple, à un agriculteur d'acheter légalement des antibiotiques dans un autre pays et de les importer pour s'en servir sur son propre troupeau. Les compagnies pharmaceutiques canadiennes sont très préoccupées par ces deux échappatoires, parce qu'elles sapent leur marché intérieur.

De façon anecdotique, j'ai entendu dire que parfois, d'importantes quantités de médicaments n'ayant pas été approuvés pour usage vétérinaire au Canada sont importées de cette façon, que ce soit en commandant par Internet ou en passant par la frontière. Il s'agit uniquement d'information anecdotique. Je n'ai pas de données de première main, et nous ne disposons pas de bonnes données regroupées. Personne ne recueille cette information à la frontière, de sorte que nous ne savons pas exactement ce qui entre au pays; mais cela semble tout de même se produire. C'est préoccupant.

Si quelqu'un fait entrer au Canada des barils remplis de fluoroquinolones de mauvaise qualité, par exemple, en provenance d'un autre pays et qu'il en donne en grande quantité au bétail, cela poserait des problèmes sérieux. J'ignore si cela se produit, mais c'est hypothétiquement possible; c'est pourquoi bien des gens insistent pour qu'on élimine cette échappatoire.

Je sais que le gouvernement est bien renseigné à cet égard. Il s'est fait beaucoup de lobbying au fil des ans pour régler ce problème, mais je pense que les lobbyistes ont rencontré de la résistance de la part de différents acteurs au Canada, et il se peut que la même chose se produise relativement aux ingrédients pharmaceutiques actifs.

Je pense que bien des gens seraient heureux qu'on élimine ces échappatoires. C'est ce que nous recommandions dans le rapport de 2002 que nous avons présenté à Santé Canada, qui est toujours accessible.

La sénatrice Chaput : Sauriez-vous si ce sont les mêmes antibiotiques qui sont mis dans l'eau du bétail plutôt que dans la moulée? Les quantités sont-elles les mêmes ou est-ce que les gens peuvent faire ce qu'ils veulent?

Dr McEwen : Le mode d'administration des médicaments varie, cela dépend de divers facteurs. Certains médicaments sont solubles dans l'eau, tandis que d'autres ne le sont pas. Par exemple, les fluoroquinolones peuvent être administrées dans l'eau, de même que la pénicilline, mais bon nombre de médicaments ne peuvent pas l'être. Le fait que le médicament soit administré dans l'eau ou dans la moulée n'aura pas beaucoup d'incidence sur la sélection de la résistance. Ce qui importe, c'est qu'il est administré par voie orale et pourrait ainsi exercer des pressions sélectives sur les bactéries.

La sénatrice Chaput : Ce pourrait être les mêmes médicaments que nous prenons nous-mêmes, non? Je veux parler des antibiotiques. Est-ce possible?

Le Dr McEwen : Ce pourrait être les mêmes médicaments ou des médicaments de la même classe. Par exemple, pour la classe de la pénicilline, cela ne fait aucune différence s'il s'agit du même médicament utilisé pour les humains ou les animaux. La résistance est sélectionnée de la même façon.

La sénatrice Cordy : Je remercie les médecins d'être ici aujourd'hui.

Docteur McEwen, vous avez parlé d'interventions, de changements réglementaires, de surveillance et de mesures volontaires, et vous avez dit que nous ne savons pas si ces interventions fonctionnent réellement. Je suis curieuse de savoir pourquoi nous ne savons pas si elles fonctionnent.

Deuxièmement, vous avez dit que nous avions les données. Vous avez dit qu'il existe des données en Europe. Je me demande si vous pourriez nous donner de l'information sur ces données européennes.

Pourquoi n'avons-nous pas ces données au Canada?

Dr McEwen : J'ai été chanceux de participer à une évaluation de l'Organisation mondiale de la santé sur la suppression des stimulateurs de croissance au Danemark. Le Danemark réussit très bien du point de vue de la surveillance. Ce pays recueille des données sur l'utilisation d'antibiotiques. Il a recueilli des données sur la résistance chez les humains, chez les animaux et dans l'alimentation. Le Danemark a recueilli de l'information sur ce que nous appelons des infections d'origine zoonotique chez les animaux, notamment pour savoir comment la salmonelle et la campylobactérie courantes se sont retrouvées dans la volaille et le bétail. Ces données ont été recueillies sur plusieurs années avant que les stimulateurs de croissance ne soient bannis, et la collecte s'est poursuivie pendant de nombreuses années après l'interdiction. En outre, je devrais dire que le Danemark a amassé des données très détaillées sur la production animale et, par le fait même, sur l'efficience de la production animale et sur le nombre d'animaux produits.

En gros, les données démontrent que l'interdiction des stimulateurs de croissance antimicrobiens s'est traduite, comme on pouvait s'y attendre, par une diminution marquée de la consommation de ces médicaments chez les animaux parce que les gens ont arrêté d'utiliser ces classes de médicaments pour stimuler la croissance. On a aussi constaté peu après un déclin dans la résistance à bon nombre de ces médicaments dans des bactéries indicatrices, et surtout dans des bactéries gram positif pour une multiplicité de médicaments. Ce sont des résultats auxquels nous nous attendions.

Ce qui n'était pas attendu, c'était une augmentation de la diarrhée chez les porcelets surtout. Cela indique que les stimulateurs de croissance avaient un effet prophylactique chez les populations porcines. On a aussi constaté une petite diminution des maladies dans la production des poulets à griller, mais cette diminution était très faible.

Du point de vue de la santé publique, il y avait certaines préoccupations parce que pour régler le problème de diarrhée chez les porcelets, les vétérinaires ont dû prescrire des médicaments pour prévenir et traiter la diarrhée. On se retrouvait donc face à un compromis entre la réduction des stimulateurs de croissance et une augmentation de l'utilisation de médicaments. Il y avait donc un effet contraire : certains des médicaments utilisés pour traiter les porcs étaient plus proches des médicaments utilisés pour traiter les humains que ne l'étaient les stimulateurs de croissance.

L'autre résultat important, c'est qu'il y a eu un petit déclin dans la production de porcs au Danemark. Le Danemark est l'un des principaux pays producteurs de porcs et son industrie est très efficiente. Il y a donc eu une légère baisse, si on veut l'appeler ainsi, liée à la mortalité et à la morbidité chez les porcs, mais on a rapidement réagi et la croissance s'est poursuivie. Les effets généraux sur la production, si l'on veut, étaient plutôt mineurs. Il y a eu quelques effets sur la maladie chez les porcs, mais les producteurs ont pu y pallier rapidement.

Ce sont les meilleures données disponibles en raison des investissements du Danemark dans la surveillance. La raison pour laquelle nous ne disposons pas de telles données sur l'efficacité des interventions découle du fait que les études sur les interventions sont très coûteuses. Je pense qu'il y a aussi une question de motivation; nous devrions évaluer l'efficacité des programmes d'intendance en médecine vétérinaire, mais à ma connaissance, cela n'a toujours pas eu lieu. C'est difficile à faire et coûteux. En voilà peut-être les raisons.

La sénatrice Cordy : Je comprends bien que ce serait coûteux, mais les deux témoins ont dit qu'il s'agissait d'un problème mondial. Ne mettons-nous pas en commun nos ressources pour recueillir les données?

Qu'est-ce que le PICRA?

Dr McEwen : Bien sûr, si nous avions mis sur pied un programme national pour l'intendance des antibiotiques, alors le PICRA ou un programme semblable de surveillance nationale serait très utile pour mettre en œuvre ces mesures, mais nous n'avons pas établi de stratégies nationales d'envergure pour assurer une meilleure intendance des animaux.

La sénatrice Cordy : Le PICRA travaille-t-il avec d'autres pays ou uniquement au sein du Canada?

Dr McEwen : Oui. Il y a des conférences et des téléconférences à intervalle régulier entre le PICRA et son homologue aux États-Unis, soit le National Antibiotic Resistance Monitoring System. Les deux organismes font partie du groupe AGISAR de l'Organisation mondiale de la santé, soit le Groupe consultatif sur la surveillance intégrée de la résistance aux antimicrobiens, qui s'intéresse également à la surveillance intégrée.

La sénatrice Cordy : Devrions-nous avoir une stratégie nationale?

Dr McEwen : Tout à fait.

Dr Lagacé-Wiens : J'aurais quelque chose à ajouter sur les défis liés aux interventions des programmes de surveillance antimicrobiens et des résultats actuels de ces interventions.

Je ne connaissais pas l'étude danoise; je ne suis pas ces données. Il est tout de même remarquable de constater qu'ils ont réussi à obtenir ces résultats parce que même chez les humains, il est difficile de financer les études portant sur les répercussions de l'intendance sur la réduction des infections résistantes aux antimicrobiens. Il y en a eu quelques-unes, mais cela a été très difficile. Les Danois ont pu constater des économies générales parce que le traitement des infections résistantes aux antimicrobiens est coûteux, mais je ne sais pas si on pourrait constater les mêmes résultats chez les animaux.

Comme on l'a dit plus tôt, bien souvent, ces infections ne semblent pas être problématiques chez les animaux, en partie parce qu'ils sont abattus avant d'arriver à un âge où les infections deviennent problématiques et en partie parce qu'il y a très peu d'intérêt à suivre cette tendance chez les animaux parce que c'est rare et que cela serait encore plus coûteux à faire. Il y aura des réticences à étudier ce type de problème tant chez les animaux que chez les humains, sans compter le lien entre les deux, ce qui, d'après moi, n'a pas été fait dans l'étude danoise. Je ne sais pas si le Dr McEwen peut nous dire si les Danois ont fait des études chez les humains par après et tout au long de la chaîne alimentaire.

La sénatrice Cordy : Les gens semblent être préoccupés du fait que lorsqu'ils sont très malades, les antibiotiques ne pourront pas les soigner en raison de ce qui se produit.

Que font les compagnies pharmaceutiques? Docteur Lagacé-Wiens, vous avez dit qu'il y avait peu d'intérêt à mettre au point de nouveaux antibiotiques. On peut se demander s'il faut tout simplement continuer de concevoir de plus en plus d'antibiotiques, mais les gens craignent que s'ils tombent malades, les antibiotiques ne seront pas utiles.

Dr Lagacé-Wiens : Pour la grande majorité du public — et je veux dire par là en général plus de 99 p. 100 des gens qui sont atteints d'une infection bactérienne —, on a toujours des antimicrobiens pour traiter ces infections sérieuses. Seule une petite minorité de la population serait atteinte d'infections difficiles à traiter où il faudrait se tourner vers les antimicrobiens de dernier recours.

Je pense qu'ils ont raison d'avoir peur, mais cette peur est peut-être tout de même légèrement exagérée. Toutefois, c'est bien d'avoir un peu peur parce que cela nous oblige à trouver des solutions.

Pour ce qui est de l'intérêt des fabricants dans les nouveaux médicaments, cela pose un énorme problème. D'abord, très peu de compagnies pharmaceutiques ont des programmes actifs de recherche et de développement dans le domaine des agents antimicrobiens. Je pense qu'il n'y a que quatre grandes compagnies à l'échelle mondiale à l'heure actuelle. Bon nombre d'entre elles se retirent de ce type de recherche pour les raisons que j'ai mentionnées. L'une de ces raisons est le coût exorbitant des études de phase III pour examiner l'efficacité équivalente entre un antibiotique standard et un nouvel antibiotique. Des centaines, voire des milliers de patients doivent participer à ces études. Cela peut coûter jusqu'à des milliards de dollars avant qu'un nouveau médicament soit prêt à être utilisé pour soigner la population.

Je ne dis pas que c'est forcément mal. On veut s'assurer qu'un médicament est efficace et sûr avant d'en faire la mise en marché. Mais, d'autre part, les compagnies pharmaceutiques obtiennent d'infimes revenus, d'une certaine façon, pour les mêmes raisons que j'ai déjà mentionnées : des thérapies de courte durée et l'émergence de résistance, qui est pratiquement assurée à un moment ou à un autre, de sorte que leur médicament devient inévitablement inefficace. Il y a aussi les lois sur les brevets. Les compagnies pharmaceutiques disent : « Il m'en coûte 3 milliards de dollars pour mettre au point ce médicament; je ne pourrai jouir du brevet que pendant 10 ans » — ou peu importe le nombre d'années pendant lesquelles le médicament est protégé, car je ne suis pas les lois sur les brevets et je ne suis pas non plus un expert de l'industrie pharmaceutique. Les compagnies n'estiment pas que les profits en vaillent la peine par rapport au coût.

Cela revient à dire que la société s'attend à ce que les antibiotiques puissent soigner à moindre coût des maladies qui menacent la santé; je ne sais pas comment on en est venu là, mais c'est ce qui se passe. Les médicaments pour traiter un arrêt cardiaque ou l'hypertension peuvent être coûteux parce que ces maladies semblent toucher la population le plus en mesure d'en payer les coûts. Il y a donc des questions sociales qui vont à l'encontre de la mise au point d'antibiotiques et de l'usage des antimicrobiens.

Le président : Le sénateur Enverga a posé une question sur les préoccupations entourant les micro-organismes sur les aliments. Je pense qu'un des grands malheurs — le mot « tragédie » serait trop fort — découle du fait qu'une façon de traiter les produits de la viande afin de garantir leur innocuité serait l'irradiation. Il y a 40 ans, le Canada était un chef de file mondial dans la technologie qui permettrait d'irradier les aliments pour prévenir toute transmission de micro-organismes, mais en raison de la crainte du public entourant tout ce qui touche le nucléaire, cette technologie n'a jamais décollé. Néanmoins, l'irradiation des aliments pourrait régler une partie du problème, qui n'est qu'un petit aspect du problème dans son ensemble, parce qu'en général, la manipulation des aliments est très contrôlée, même si des éclosions peuvent survenir. Il y a une réponse au problème soulevé par le sénateur Enverga, mais on n'y a généralement pas recours.

Je pense que je vais m'en tenir là jusqu'à ce que mes collègues aient terminé.

Le sénateur Eggleton : Je vais reprendre là où la sénatrice Cordy était en train de poser des questions relativement à l'industrie pharmaceutique. Oui, nous avons bien souvent entendu parler des millions de dollars et des nombreuses années qu'il faut. Et si le médicament ne peut pas être utilisé très longtemps, raison de plus pour qu'elle ne soit pas intéressée.

Comment surmonter ce problème? Je pense qu'une partie du problème consiste à obtenir de nouveaux antibiotiques au fur et à mesure que de nouvelles souches bactériennes voient le jour. Cela signifie-t-il qu'il faut davantage d'aide gouvernementale? Les universités doivent-elles aussi faire partie de la solution? Selon vous, quelle est la réponse?

Dr Lagacé-Wiens : Bon nombre de scientifiques informés ont débattu de cette question, et vous avez soulevé certains des problèmes.

Il pourrait être possible d'obtenir du financement, voire des recherches dans le développement de nouveaux antimicrobiens, le tout financé par le gouvernement plutôt que l'industrie pharmaceutique. Les gouvernements ont tout intérêt à concevoir des antimicrobiens. Des subventions du gouvernement ou d'autres organismes, la participation des universités, tout cela représente des solutions possibles.

D'autre part, comment faire pour qu'il soit plus attrayant pour les grandes compagnies pharmaceutiques de continuer de faire de la recherche? On peut leur montrer que leurs profits pourront un jour payer pour la R-D, ce qui serait probablement utile. On pourrait aussi prolonger la durée des brevets afin que les compagnies puissent détenir des brevets plus longs que ce qui est permis par la loi actuellement, et on pourrait aussi contrôler ce que j'appellerais la fabrication illicite des antimicrobiens. Certaines de ces compagnies ont dépensé des millions de dollars sur la mise au point d'antimicrobiens, mais de très grands pays où la population est très nombreuse s'emparent de la formule chimique, fabriquent le médicament et commencent à le distribuer à leurs propres profits en dépit du fait que ce médicament soit efficacement protégé du point de vue de la propriété intellectuelle. En dépit de cela, leurs propres gouvernements, je ne dirais pas qu'ils protègent les contrefacteurs, mais plutôt qu'ils ignorent le problème.

Ce type de problème existe. L'Inde, plus particulièrement, a participé à la production d'antimicrobiens sous licence qui sont brevetés par d'autres organismes de réglementation apparemment en vue d'offrir les antimicrobiens nécessaires à une population importante qui ne pourrait pas se les permettre autrement, mais cela se fait en l'absence des mesures de contrôle nécessaires pour s'assurer que ces médicaments ne sont pas utilisés à mauvais escient.

Je pense qu'il faudra adopter une approche à volets multiples pour améliorer la mise au point de nouveaux antimicrobiens. Il y aura du financement provenant de sources publiques. Il faudra changer les lois en vue de contrôler la production illicite et accorder de plus longs brevets.

En outre, il faudra se pencher sur les exigences liées à la démonstration de la non-infériorité. Des organisations comme la FDA demandent que les fabricants prouvent que leur médicament n'est pas inférieur à un autre, à un médicament standard. À cette fin, il faut obtenir la participation d'un grand nombre de patients à des études pour prouver, entre autres, l'innocuité du médicament. Il existe peut-être une marge de manœuvre pour rendre ces études moins coûteuses.

Nous ne devrions peut-être plus insister sur la non-infériorité. C'est une chose de montrer qu'un médicament est efficace, mais il est beaucoup plus difficile de démontrer qu'il n'est pas inférieur à un autre médicament. Il faut obtenir la participation d'un plus grand nombre de patients pour simplement obtenir les statistiques nécessaires — je n'entrerai pas dans les détails de la statistique — pour prouver qu'un médicament n'est pas pire qu'un autre. C'est beaucoup plus difficile à prouver que s'il fallait démontrer qu'il équivaut à un autre médicament. C'est tout un défi.

La sénatrice Eaton : J'aimerais poser des questions sur les hôpitaux et les pratiques qui y ont cours. Vous avez parlé de tourisme médical et du mélange des flores bactériennes. Je siège au conseil d'administration d'un hôpital de Toronto, l'hôpital St. Michael. En entrant, il y a le micro...

Dr Lagacé-Wiens : Le désinfectant pour les mains, oui.

La sénatrice Eaton : On les trouve partout, et ils contiennent du savon antimicrobien. Utilisons-nous trop de ces produits? Il y en a pour la cuisine qui tuent 100 p. 100 des microbes. Sommes-nous trop propres? Cela fait-il partie de la non-résistance? Les chambres d'hôpital sont-elles suffisamment propres?

Dr Lagacé-Wiens : C'est un immense débat. Une partie du problème lié aux désinfectants pour les mains, surtout ceux que l'on trouve un peu partout, en vente dans les supermarchés et autres magasins, c'est qu'on n'a aucune preuve que ces savons fonctionnent mieux que d'autres savons à mains ou qu'un simple lavage de mains. C'est un problème de taille. Il n'a pas été démontré que ces produits sont efficaces pour réduire la transmission des microbes comparativement au savon utilisé habituellement pour se laver les mains dans la plupart des usages ordinaires.

Il y a aussi un double effet, parce que bon nombre de produits contiennent maintenant des antimicrobiens ayant de longs effets résiduels de sorte qu'ils se retrouvent dans l'environnement en quantités suffisantes pour déclencher une résistance et, dans certains cas, il s'agit d'antimicrobiens qui servent déjà, ou qui font l'objet d'études pour l'utilisation humaine. Le triclosan est un bon exemple. C'est un composé qui est intégré à bon nombre de produits, de la pâte dentifrice au savon, à titre d'antibactérien. En fait, la plupart des produits antibactériens que vous retrouvez dans les magasins contiennent du triclosan. Des composés semblables font maintenant l'objet d'études pour le traitement d'infections chez les humains. Nous sommes donc d'emblée désavantagés dans ce cas.

En général, dans la collectivité, ces types de produits ne sont pas une bonne idée. Qu'ils contribuent réellement ou non à une plus grande vulnérabilité aux microbes, je ne peux pas le dire, mais en général, rien n'est prouvé et ils sont potentiellement dangereux.

La sénatrice Eaton : Qu'en est-il des pratiques dans les hôpitaux?

Dr Lagacé-Wiens : Dans les hôpitaux, on cherche essentiellement à protéger une population de patients hautement susceptibles aux maladies, dans bien des cas.

La sénatrice Eaton : Il me semble qu'il s'agit d'une tendance, mais devrait-on retourner à des chambres individuelles, petites comme elles sont? Est-ce que vous avez vu l'article qui raconte que désormais, pour nettoyer les chambres, on utilise une mousse qui peut aller partout, qui se répand comme un brouillard pour nettoyer?

Dr Lagacé-Wiens : Vous parlez ici de mesures pour prévenir les infections chez les patients principalement. Dans un monde idéal, chaque patient aurait sa propre chambre, et surtout, chaque patient aurait sa propre salle de bain. Il ne faut pas oublier que nous avons beaucoup de bactéries dans nos ventres, et ces bactéries se répandent ensuite partout.

Effectivement, des chambres individuelles permettraient également l'utilisation de ces robots qui peuvent diffuser des solutions sanitaires dans les chambres d'hôpital pour réduire le risque de transmission au prochain patient. Je crois que cela fait partie de la solution à un niveau individuel, pour prévenir les infections chez les personnes qui vont à l'hôpital.

Pour ce qui est de la santé publique et de la résistance aux antimicrobiens, je ne pense pas que ces interventions à l'intérieur de l'hôpital auront une grande incidence parce que les réservoirs...

La sénatrice Eaton : On peut tout simplement éviter d'aller à l'hôpital à moins que ce soit nécessaire puisqu'on en sort toujours plus malade qu'à son arrivée. C'est ce qui m'a poussée à poser la question.

La sénatrice Seidman : J'aimerais vous poser une question sur la mise au point de nouveaux antibiotiques. Le sénateur Eggleton vous a déjà posé des questions là-dessus. Croyez-vous que cela fait partie de la solution? Serait-il utile de mettre au point de nouveaux antibiotiques? Comment le Canada se compare-t-il à d'autres pays? Sommes-nous disposés à le faire?

Dr Lagacé-Wiens : Oui, de nouveaux antibiotiques font partie d'une solution plus globale. J'ai déjà laissé entendre que même si l'on fait une utilisation prudente des antimicrobiens, on finira par voir de la résistance. Le taux de résistance dépend du médicament, de sa probabilité de sélectionner pour la résistance, et de l'endroit où il est utilisé, mais cela finira par arriver. Donc, il est bien d'avoir une arrivée constante de nouveaux agents. Les nouveaux agents aident, entre autres, à réduire les effets secondaires. Il y a des avantages à en créer, bien sûr, mais ce n'est qu'une partie d'une solution plus globale.

Pour ce qui est du développement pharmaceutique au Canada par rapport aux autres pays et des petites sociétés pharmaceutiques, je pense qu'il existe de jeunes entreprises qui mettent au point de nouveaux composés qui sont peut-être intéressants pour une utilisation antimicrobienne. Nous sommes probablement dans une situation semblable à d'autres pays avec une population semblable. Nous n'avons pas de grandes entreprises pharmaceutiques dans notre pays. La plupart de ces composés, comme je l'ai déjà mentionné, sont très coûteux à créer, et comme on ne peut pas simplement dire : « Oui, ça fonctionne » et « Oui, c'est sécuritaire chez les rats », alors ils sont vendus aux grandes entreprises pharmaceutiques. Ils sont vendus à Johnson et Johnson. Ils sont vendus à Pfizer — qui n'est plus dans le marché — et à AstraZeneca. Ces entreprises vont continuer à les mettre au point. Il faut soit les laisser tomber parce qu'ils ne fonctionnent pas, soit bien les finaliser, ce qui n'arrive qu'à une petite proportion de ces composés.

La sénatrice Seidman : Docteur McEwen, j'aimerais vous poser quelques questions très précises sur les aliments pour animaux. Nous savons que des antibiotiques sont ajoutés aux aliments pour animaux afin de stimuler la croissance et, pour ce faire, on utilise un processus très particulier : des concentrations faibles sur une longue période de temps. Est-ce que ces classes d'antibiotiques sont également utilisées chez les humains? Le cas échéant, croyez-vous qu'il devrait y avoir de la réglementation, ou existe-t-il des règlements qui limiteraient l'utilisation d'antibiotiques chez les humains dans les aliments pour animaux?

Dr McEwen : Oui, plusieurs des médicaments utilisés dans les aliments pour animaux comme facteur de croissance ou pour le contrôle des maladies font partie de classes utilisées dans la médecine humaine. Pour les fins de l'exercice dont nous parlons aujourd'hui, la Direction des médicaments vétérinaires a classifié les antibiotiques en fonction de leur importance dans la médecine humaine. Ils utilisent quatre catégories : très haute importance, haute importance, importance moyenne et faible importance. Les facteurs de croissance se trouvent généralement dans les deux dernières catégories. Ce sont les médicaments plus anciens : les sulfonamides, les tétracyclines, les lincosamides, et ainsi de suite. Certains se trouvent dans les catégories supérieures. Il y a un médicament qui s'appelle Tylosin, qui est utilisé assez souvent. C'est un macrolide. Il se trouve dans la deuxième catégorie d'importance.

D'autres pays ont d'autres systèmes de classification. Par exemple, aux États-Unis, ce médicament se trouve dans la plus haute catégorie. Il y a donc une différence. La classe ou le groupe de médicaments responsable du plus grand volume des facteurs de croissance s'appelle les ionafores. Ils ne sont pas utilisés chez les humains, je crois pour des raisons de toxicité, mais ils sont utilisés très souvent dans la production animale comme facteurs de croissance, mais également pour prévenir une infection parasitique, la coccidiose. C'est l'un des problèmes qu'on voit quand on compare des chiffres agrégés. Un grand nombre des antibiotiques qui sont utilisés chez les animaux dans les pays qui se servent de facteurs de croissance sont des ionofores, qui ne sont pas utilisés chez les humains. Mais même si on enlève ce groupe, il en existe encore beaucoup qui sont utilisés chez les animaux.

Vous avez également demandé s'il faut de la réglementation. Pour ma part, j'essaie de ne jamais faire la promotion d'une politique parce que j'estime ne pas être apte à élaborer des politiques. C'est au gouvernement de le faire, il me semble, ou à ceux qui sont responsables des politiques. Il est difficile de ne pas le faire parce qu'on voit ce qui se passe et on croit savoir ce qu'il faut faire, mais comme vous le savez, lorsqu'on change quelque chose, il y a souvent des effets secondaires non anticipés. On parle ici d'effets secondaires non voulus liés à la résistance. La même chose peut arriver avec des politiques.

Je ne fais pas la promotion d'une politique, mais je peux vous dire que plusieurs personnes et groupes bien informés croient fermement que les antibiotiques ne devraient pas être utilisés comme facteur de croissance, particulièrement ceux qui sont utilisés également chez les humains.

Le président : Docteur McEwen, je crois qu'avec ce dernier commentaire, vous avez soulevé un point très important : les conséquences non anticipées de l'élaboration des politiques. Dans ce contexte, on pourrait certainement en discuter pendant très longtemps.

Les problèmes sont complexes. Docteur Lagacé-Wiens, vous avez été très raisonnable dans vos commentaires sur l'industrie pharmaceutique et sur la mise au point d'antibiotiques. C'est une question très compliquée. Les forces du marché sont extrêmement importantes. Quand il est possible d'obtenir un médicament sur ordonnance qui existe déjà pour quelques dollars, l'idée de consacrer beaucoup d'argent à la recherche de façons encore plus compliquées d'interagir avec des micro-organismes par des voies biotechnologiques sera perdante dès le début dans ce genre de marché, comme vous l'avez correctement laissé entendre. Vous n'avez pas utilisé ces exemples précis, mais vous avez quand même insinué que c'est compliqué. Il s'agit d'un aspect très compliqué.

Vous nous avez donné tous les deux beaucoup d'information très importante sur le développement de la résistance aux antibiotiques. Il me semble, docteur Lagacé-Wiens, que vous avez soulevé un point connu de tous les chercheurs, mais qui est rarement exprimé de cette façon, ou plutôt qui est rarement exprimé de la même façon, et c'est que la résistance est inhérente et que les choses vont devenir résistantes à n'importe quoi ou presque. Maintenant, là où nous voulons un peu d'orientation, c'est sur le plan de la mesure dans laquelle cela se produit et les façons de mitiger une résistance à large spectre dans les composés qui sont essentiels à la vie humaine.

Docteur McEwen, dans la littérature sur l'utilisation d'antibiotiques comme facteur de croissance chez les animaux, et chez la volaille en particulier, on laisse entendre que des études faites il y a 40 ou 50 ans ne répondraient peut-être pas au critère des approches modernes aux études qui mèneraient aux mêmes conclusions qui ont été inférées à l'époque. Pouvez-vous commenter cette observation? Est-elle raisonnable?

Dr McEwen : Je crois que vous en avez fait un très bon résumé. Lorsqu'on étudie la littérature, on voit des estimés de 5, 10, 20 p. 100 d'amélioration de taux de croissance ou d'efficacité d'indice de consommation. Un grand nombre de chercheurs sont très sceptiques aujourd'hui par rapport à ces résultats. Je crois que les données danoises démontrent qu'il n'y avait qu'une amélioration marginale du rendement chez les volailles qui a été compensée par le coût du médicament. Je ne l'ai pas mentionné. Alors le fait d'enlever le facteur de croissance n'a pas nui à l'industrie, à tout le moins en termes de production améliorée.

Nous utilisons un autre groupe de facteurs de croissance ici, si bien que nous ne pouvons pas extrapoler ces données directement, mais je crois qu'il s'agit probablement d'un phénomène semblable.

Personnellement, si on se penche sur les données danoises, je crois que bon nombre des avantages associés à l'utilisation des facteurs de croissance résultent d'une prophylaxie de maladies, et que ces avantages varient probablement beaucoup selon la qualité de la gestion, de la santé et du traitement des animaux. On verrait probablement tout un spectre.

Je soupçonne que si on enlève les facteurs de croissance, et si on ne compense pas immédiatement en l'appelant quelque chose d'autre tel que le contrôle des maladies, on verrait, selon l'expérience danoise, et la même chose en Suède, probablement des problèmes plus graves de diarrhée post-sevrage chez les porcs. On verrait peut-être des entérites nécrotiques chez les poulets à griller.

Le président : Ce sont des aspects différents importants, n'est-ce pas? On n'utilise pas des antibiotiques pour accélérer la croissance chez les êtres humains. On utilise d'autres produits, c'est vrai, mais de façon générale, on n'envisage pas de les utiliser de cette façon chez les humains.

Voilà où j'en suis. Vous avez soulevé, il me semble, un point très important lorsque vous avez dit que si on cible l'utilisation d'antibiotiques chez les animaux pour régler des problèmes de maladies clairement ciblées, c'est une chose. Pour ce qui est de l'utilisation en grandes quantités de ces antibiotiques d'une façon générale avec des avantages marginaux ou même sans avantages, j'aimerais discuter de l'aspect réglementaire. Nous savons à quel point la réglementation est difficile à appliquer, mais l'industrie agricole est très concurrentielle et n'importe quoi qui peut réduire les coûts, même marginaux, en termes de production de masse, si les agriculteurs pouvaient faire des économies en évitant l'utilisation large des antibiotiques, il se pourrait qu'en tant qu'aspect d'éducation sur les avantages à long terme, il y aurait peut-être une incidence plus positive à suivre cette voie. Si l'on combine les deux possibilités, c'est-à-dire utiliser les antibiotiques seulement pour traiter des maladies précises, et non de foncer la tête baissée en les utilisant pour des taux de croissance théoriques ou inférés de valeur marginale, quelque chose dans ce domaine serait peut être utile.

J'aimerais revenir à l'une des questions posées par la sénatrice Eaton. On vous a demandé de réfléchir à ce que nous avons discuté aujourd'hui, lorsque vous serez dans l'avion et que vous vous direz : « Eurêka! Si seulement j'avais pensé à cela ». Alors, écrivez ces « Eurêka! » et envoyez-les à notre greffière, parce que nous voulons cerner des problèmes pragmatiques que nous pouvons traiter en tant que comité et ensuite faire des recommandations qui pourraient bénéficier ceux qui travaillent dans ce domaine.

Nous traitons d'un problème très compliqué. Nous discutons d'un aspect ici aujourd'hui, mais n'hésitez pas à nous envoyer vos pensées subséquentes par l'entremise de notre greffière, après que vous serez partis d'ici, sur des problèmes que nous aurions dû aborder, ou plus précisément, vos idées par rapport à des recommandations particulièrement qui, si elles étaient appliquées, pourraient un jour faire une différence.

Sur ce, encore une fois, j'aimerais remercier mes collègues de leurs questions et vous deux de vos exposés très instructifs et de votre dialogue avec nous ici aujourd'hui.

(La séance est levée.)


Haut de page