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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 8 - Témoignages du 5 mars 2014


OTTAWA, le mercredi 5 mars 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 14, pour poursuivre son étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada (sujet : La nature des conséquences involontaires de l'emploi de produits pharmaceutiques sur ordonnance); pour étudier l'ébauche d'un budget en ce qui concerne l'étude des produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada; et pour étudier l'ébauche d'un budget pour l'examen de l'incidence croissante de l'obésité au Canada, ses causes, ses conséquences et les solutions d'avenir.)

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m'appelle Kevin Ogilvie, je représente la Nouvelle-Écosse au Sénat et je suis président du comité. J'aimerais commencer par inviter mes collègues à se présenter.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.

Le sénateur Enverga : Sénateur Enverga, Ontario.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le président : Je dois rappeler à nos collègues que nous allons devoir clore la séance d'aujourd'hui à 18 h 10 au plus tard, puisque le comité doit examiner un budget. Nous allons prendre une courte pause pour libérer la table et nous y attaquer immédiatement. C'était la première chose.

Je rappelle également à mes collègues que nous en sommes à la quatrième phase sur quatre de notre étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance. Pour cette quatrième phase, nous allons nous pencher sur les conséquences involontaires.

Le sujet de la discussion d'aujourd'hui est la contrefaçon de médicaments, et nous recevons trois témoins. Je vais vous les présenter au fur et à mesure que je les invite à prendre la parole, dans l'ordre préalablement convenu.

Pour commencer, je vais inviter le sous-commissaire Mike Cabana à prendre la parole. Il représente la Gendarmerie Royale du Canada, où il fait partie de l'équipe de la police fédérale.

Monsieur Cabana, s'il vous plaît.

Mike Cabana, sous-commissaire, Police fédérale, Gendarmerie Royale du Canada : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Bon après-midi et merci de m'avoir invité ici aujourd'hui. Pour aider le comité dans son étude, j'aimerais vous donner un aperçu de la portée des enjeux posés par les médicaments de contrefaçon pour la GRC, ainsi qu'un survol de nos activités de répression.

Les médicaments de contrefaçon continuent d'être une préoccupation pour la GRC. Ils représentent une menace importante pour la santé et la sécurité des Canadiens, dans la mesure où ils ne font l'objet d'aucune réglementation ni d'aucun essai, et sont souvent fabriqués dans des conditions non sécuritaires.

[Français]

Bien que la GRC ne puisse confirmer l'existence des manufactures à grande échelle de médicaments de contrefaçon au Canada, nous savons qu'ils sont importés en quantité importante.

Je peux aussi souligner aux membres du comité que ce phénomène n'est pas unique au contexte canadien. Lorsque les Canadiens achètent des médicaments contrefaits, l'origine de ceux-ci varie, et tant leur contenu que leurs conditions d'entreposage sont inconnus.

Leur consommation peut causer des préjudices graves, voire la mort.

[Traduction]

Endiguer le mouvement des médicaments de contrefaçon au pays est une responsabilité partagée. La GRC n'est que l'un des acteurs. Une réponse efficace à ce problème implique la collaboration de l'Agence des services frontaliers du Canada (l'ASFC), de Santé Canada et de la GRC, chacune des agences ayant un rôle distinct à jouer. La répression prend la forme d'une réglementation de la part de Santé Canada ou d'une répression criminelle par la GRC. Lorsque Santé Canada ou l'ASFC traitent des saisies importantes qu'ils jugent correspondre à une échelle commerciale, ils les renvoient à la GRC aux fins d'enquêtes criminelles.

Au Canada, la principale source de médicaments contrefaits reste l'Asie du Sud-Est, en grande partie par Internet. Le mouvement de médicaments de contrefaçon facilité par Internet est un problème croissant et un des défis principaux pour les organismes d'application de la loi canadiens. Le consommateur peut se procurer facilement de ces médicaments en ligne auprès d'entreprises essentiellement étrangères et peu scrupuleuses qui proposent des médicaments illégaux ou non approuvés à une fraction du prix des médicaments licites. La majeure partie des médicaments de contrefaçon achetés par Internet sont introduits au pays par la poste ou par messagerie. La GRC collabore étroitement avec ses partenaires canadiens et étrangers pour endiguer ce problème croissant.

Bien qu'il y ait eu quelques enquêtes au pays impliquant des manufactures clandestines de médicaments sous ordonnance, le Canada n'est pas reconnu comme étant un pays source pour la production des médicaments de contrefaçon. Bien que des liens avec des éléments du crime organisé aient été révélés au cours de ces enquêtes, la GRC ne peut détecter une implication généralisée du crime organisé dans cette sphère d'activité criminelle.

La GRC se préoccupe de ce problème depuis un peu plus d'une décennie, et a présidé et coprésidé plusieurs conférences sur le sujet depuis 2007 avec plusieurs partenaires, incluant INTERPOL. Plus récemment, en 2012, la GRC a tenu une rencontre du Permanent Forum for International Pharmaceutical Crime à Ottawa, avec des représentants de 11 pays issus des domaines de la réglementation en matière de santé publique et d'application de la loi. Les médicaments contrefaits représentent en moyenne 5 p. 100 des enquêtes menées par la GRC en vertu des lois sur la propriété intellectuelle entre 2005 et 2012.

Toute affaire de médicaments de contrefaçon, une fois référée à la GRC par nos partenaires, suit le cours propre à toute enquête criminelle. Actuellement, des accusations peuvent être déposées en vertu du Code criminel, de la Loi sur les aliments et drogues et de la Loi sur le droit d'auteur. Le projet de loi C-8, Loi visant à combattre la contrefaçon de produits, s'il est adopté, permettra aux organismes d'application de la loi d'enquêter et de déposer des accusations pour des infractions nouvelles, notamment en matière de contrefaçon de marques de commerce, ce qui n'était pas possible auparavant. Le projet de loi C-8 donnera lieu à de nouveaux outils de répression grâce auxquels la GRC sera mieux à même d'enquêter sur des crimes en matière de propriété intellectuelle perpétrés par le crime organisé.

Depuis 2008, la GRC, l'ASFC et Santé Canada participent annuellement à l'opération Pangea, une semaine d'action internationale coordonnée par INTERPOL et ciblant la vente par Internet de médicaments de contrefaçon. En juin 2013, la GRC, l'ASFC et Santé Canada ont intercepté des médicaments interdits et contrefaits introduits au pays par la poste. Ces interceptions ont donné lieu à la saisie totale de plus de 238 000 doses de médicaments illicites et contrefaits d'une valeur de plus de 1 million de dollars. Les envois provenaient de 19 pays différents. Ces résultats sont le fruit d'une opération d'une semaine et ne représentent qu'une fraction des médicaments contrefaits mis en vente au Canada.

En outre, les résultats de l'opération Pangea au pays révèlent une intensification marquée et soutenue des saisies de médicaments contrefaits et non brevetés au fil des ans.

[Français]

Cette initiative n'est qu'un exemple des moyens que nous mettons en oeuvre pour réprimer le marché des médicaments contrefaits. La GRC demeure déterminée à collaborer avec ses partenaires afin d'attirer l'attention générale sur ce fléau grandissant exercé au mépris des frontières et de surmonter les défis que pose la contrefaçon des médicaments. Notre collaboration avec nos partenaires au pays et à l'étranger nous permet de cerner le cadre général de cette tendance criminelle et de cibler nos interventions.

[Traduction]

Je vous remercie à nouveau de m'avoir convié à ces audiences importantes et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant inviter Martin Bolduc, vice-président des opérations à l'Agence des services frontaliers du Canada, à prendre la parole.

[Français]

Martin Bolduc, vice-président, Opérations, Agence des services frontaliers du Canada : Bonjour. Je tiens à remercier le président et les membres du comité de donner l'occasion à l'Agence des services frontaliers du Canada de participer à l'étude du comité sur les médicaments d'ordonnance au Canada.

Il est évident que l'étude du comité est très complexe et qu'elle fait intervenir un bon nombre de participants directement et indirectement en ce qui a trait aux produits pharmaceutiques, plus particulièrement aux produits contrefaits. Le rôle de l'agence est très précis à cet égard et j'élaborerai sur le sujet à l'intention du comité.

Comme vous le savez sûrement, le mandat de l'ASFC consiste à assurer la sécurité et la prospérité du Canada en gérant la circulation des personnes et des marchandises légitimes au Canada.

[Traduction]

À cette fin, l'agence applique plus de 90 lois et règlements au nom d'autres ministères et elle collabore avec ses ministères partenaires afin d'identifier les personnes et les marchandises qui ne respectent pas les exigences en matière d'admissibilité, en vertu des lois applicables, et de les empêcher d'entrer au pays. Dans la même veine, l'agence est fière de savoir qu'elle exerce un effet positif dans la vie des Canadiens en contribuant à la sécurité et au commerce à l'échelle mondiale.

Actuellement, l'agence n'a pas le pouvoir légal de chercher, d'examiner ou de saisir des marchandises soupçonnées de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle. Par conséquent, en ce qui a trait aux produits pharmaceutiques contrefaits, la principale responsabilité de l'agence consiste à appliquer les politiques et règlements établis par Santé Canada en vertu de la Loi sur les aliments et drogues dans les secteurs des voyageurs, des postes et du commerce.

Dans le secteur des voyageurs, l'ASFC s'assure que tous les agents des services frontaliers reçoivent l'information nécessaire pour identifier les marchandises à risque élevé et prohibées lorsqu'ils appliquent les lois au nom d'autres ministères. Les agents des services frontaliers font appel à une approche de gestion du risque lorsqu'ils doivent déterminer si les voyageurs qui entrent au Canada doivent être assujettis à un examen secondaire, où ils seront interrogés de façon plus approfondie et où leurs effets seront examinés davantage. Par le passé, les examens secondaires ont révélé que le volume de produits pharmaceutiques contrefaits dans ce secteur était négligeable.

[Français]

D'autre part, c'est dans le secteur postal et le secteur commercial que l'ASFC découvre les volumes les plus élevés de produits pharmaceutiques contrefaits. L'agence est responsable d'identifier, d'examiner et de retenir les expéditions postales et commerciales suspectes à la frontière afin qu'elles soient inspectées par Santé Canada, qui rend ensuite une décision quant à l'admissibilité des produits.

Le pouvoir de l'ASFC de retenir des marchandises est décrit à l'article 101 de la Loi sur les douanes, qui permet aux agents des services frontaliers de retenir des marchandises jusqu'à ce qu'ils constatent qu'elles sont conformes à la loi. Les agents observent également d'autres lois du Parlement qui interdisent, contrôlent ou réglementent l'importation ou l'exportation de marchandises et ils appliquent aussi les règlements afférents.

Les produits pharmaceutiques sont contrôlés, réglementés ou prohibés. Les produits soupçonnés de représenter un risque pour la santé sont renvoyés à Santé Canada qui s'assurera qu'ils sont sécuritaires et qu'ils sont conformes aux lois en vigueur.

[Traduction]

Les produits qui ne sont pas conformes ou que l'on soupçonne d'être contrefaits sont assujettis à des mesures d'exécution de la loi par Santé Canada, ce qui comprend le refus d'entrer au Canada, la saisie des produits et leur disposition volontaire. L'importation de produits pharmaceutiques illégaux représente une préoccupation pour l'ASFC et pour ses partenaires. Au fil des ans, l'ASFC a collaboré étroitement avec la GRC et Santé Canada afin d'interdire les produits médicaux contrefaits illégaux ou dangereux. L'ASFC continuera à déployer ses efforts à la frontière afin d'identifier et d'intercepter les marchandises et les moyens de transport pouvant représenter un risque élevé et menacer la sécurité et la prospérité du Canada.

En terminant, j'aimerais informer le comité que le partenariat de l'ASFC avec la GRC et Santé Canada s'avère très positif et que l'agence poursuivra sa collaboration avec ses partenaires afin d'appliquer les politiques et règlements de la Loi sur les aliments et drogues en vue d'intercepter les produits pharmaceutiques contrefaits à la frontière pour protéger les Canadiens.

[Français]

Il me fera plaisir de répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Je vais maintenant céder la parole à Amir Attaran, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit, santé de la population et politique du développement mondial à l'Université d'Ottawa. Il comparaît à titre personnel.

Amir Attaran, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit, santé de la population et politique du développement mondial, Université d'Ottawa, à titre personnel : Je remercie toutes les personnes présentes ici aujourd'hui. Je suis un avocat et un scientifique, et mes recherches visent notamment à aider les autres pays à lutter contre les médicaments contrefaits et non conformes aux normes. Je travaille avec plusieurs organisations internationales, dont l'Organisation mondiale de la Santé, l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime et la Banque mondiale, afin de renforcer notre lutte commune contre le problème que mes amis viennent de décrire si bien, et je suis ravi de voir tout ce qu'ils font.

Je me suis rendu aux États-Unis, devant le Congrès, la semaine dernière, pour discuter de ce sujet, et c'est pour moi un grand plaisir d'être aujourd'hui ici devant notre Sénat pour en parler, parce que pour vous dire la vérité, le Canada a l'une des attitudes les plus faibles à cet égard parmi tous les pays développés. Il faut faire mieux. Je vais vous donner deux exemples. Il y a d'abord les médicaments importés au Canada, les médicaments fabriqués à l'étranger et qui ne sont pas nécessairement sûrs. Aux États-Unis, 80 p. 100 des médicaments et des ingrédients médicinaux sont importés actuellement. Nous n'avons pas de statistique pour le Canada, mais elle tournerait probablement autour de 80 p. 100 ici aussi.

La plupart de ces produits nous viennent de pays en développement comme la Chine ou l'Inde, qui ont des problèmes de qualité. Si vous voulez en voir, voici quelques médicaments contre la malaria fabriqués en Inde. L'un est authentique et l'autre, totalement faux. Si vous donnez ce médicament à un enfant atteint de la malaria, il mourra. Il est très commun que des produits venus de la Chine ou de l'Inde ne soient pas d'aussi bonne qualité qu'ils le devraient.

La situation est particulièrement effrayante en Inde. Le gouvernement fédéral, là-bas, ne règlemente pratiquement pas les médicaments génériques qui sont exportés. Dans une histoire notoire qui remonte à l'an dernier, une société indienne du nom de Ranbaxy s'est fait prendre à fabriquer des données sur ses médicaments. Ses dirigeants ont plaidé coupables de fraude aux États-Unis. Ils ont dû payer une amende de 500 millions de dollars pour le crime, et ses importations ont été interdites, mais en date d'aujourd'hui, tous les médicaments produits par Ranbaxy, cette société criminelle, sont disponibles au Canada. On peut se procurer au Canada quelque 160 médicaments de Ranbaxy pour les maladies cardiaques, l'Alzheimer, la douleur, les infections, n'importe quoi. Nous n'avons pris aucune mesure réglementaire même si nous savons qu'il s'agit de criminels qui ont plaidé coupables de fraude aux États-Unis.

Nous nous défendons extrêmement mal contre ce genre de risque, je dois le dire. J'ai toutes les raisons de m'inquiéter. La U.S. Food and Drug Administration inspecte chaque année plusieurs usines à l'étranger. En 2011, Santé Canada en a inspecté trois, pas des centaines : trois. Dans l'Union européenne, chaque cargaison de médicaments importés est analysée : pas ici. Malheureusement, notre Parlement laisse la porte ouverte à l'importation de médicaments sans qu'aucune analyse ne soit réalisée, contrairement à l'Union européenne. Nous ne savons pas — et mes collègues ne peuvent pas vous le dire non plus — combien il y a de médicaments falsifiés ou non conformes aux normes au Canada parce que nous ne les analysons pas, mais il y en a potentiellement beaucoup.

C'est attribuable au fait que nos sanctions criminelles ne sont pas aussi sévères qu'elles le devraient. Pour la possession, l'importation ou quelque forme de manipulation que ce soit de médicaments frelatés, la Loi sur les aliments et drogues prévoit, sur acte d'accusation, une peine de 5 000 $ ou de trois ans d'emprisonnement. Je dois vous dire une chose : personne n'a jamais été emprisonné pendant trois ans pour ce crime. Je pense que personne n'a jamais été emprisonné trois minutes pour cela. Je n'en ai relevé aucune occurrence dans mes recherches.

Cela m'amène à mon deuxième argument. Non seulement les Canadiens sont-ils exposés au danger d'importer des mauvais médicaments, mais nous mettons les étrangers en danger en permettant à des pharmacies en ligne de s'établir sur notre territoire pour vendre des médicaments illicites à l'étranger. Ce n'est pas très courant, mais cela arrive. Il y a des pharmaciens canadiens qui vendent illégalement des médicaments par Internet, principalement aux Américains, des médicaments qui viennent de l'Inde, de la Turquie et d'autres pays et qui n'ont jamais été approuvés par Santé Canada. Ils ne sont assujettis à aucune analyse ni à aucune réglementation par nos autorités.

Il s'agit évidemment de crime organisé. Malheureusement, Santé Canada ne prend pas la chose aussi au sérieux qu'elle le devrait à mon avis. Elle n'applique pas la loi à ces pharmacies. À ma connaissance, il n'y a jamais eu de poursuite au Canada contre des personnes accusées de vendre par Internet des médicaments non approuvés. Il est intéressant de souligner qu'à l'inverse, les Américains ont poursuivi plusieurs Canadiens pour ce crime. Quand je me rends aux États-Unis, je me fais souvent demander pourquoi nous n'appliquons pas nos lois à nos pharmacies. J'ai écrit au premier ministre à ce sujet. Malheureusement, il n'y a toujours aucune poursuite à ce chapitre ici.

Je vais donner quelques renseignements à mon ami de la GRC, et je sais qu'il va prendre des mesures en conséquence. Il manifeste beaucoup d'intérêt, mais nous devons endiguer le problème. Je vais l'aider de mon mieux à procéder à des arrestations. Nous avons besoin de lois plus fortes, et il faut arrêter les contrevenants.

Pour conclure, voici le portrait de la situation au Canada. Nous importons ici des médicaments de qualité douteuse comme ceux de la société Ranbaxy. Malheureusement, nous vendons également des médicaments non approuvés aux étrangers par Internet. D'autres gouvernements prennent des mesures pour défendre la population contre ces maux. Nous n'en faisons pas assez. Ce n'est pas une affirmation partisane. Aucun gouvernement canadien n'a jamais été assez proactif à cet égard. Nos lois sont déficientes. Les représentants des organismes d'application de la loi viennent de nous dire que nous avons besoin de nouveaux outils. Je suis totalement d'accord avec eux.

Permettez-moi de poser cette question aux parlementaires, puisque le Parlement est la Chambre des lois, après tout : pourquoi ne prenons-nous pas plus au sérieux cette forme de crime organisé dont les victimes sont des gens malades? Pourquoi ce problème ne nous préoccupe-t-il pas plus? J'espère que quelqu'un peut me le dire. Je m'en remets à vous pour trouver une solution à ces problèmes.

Le président : Merci, monsieur Attaran.

Avant de vous laisser poser vos questions, j'aimerais que M. Bolduc clarifie une chose sur les pouvoirs conférés à son agence relativement à ce qui traverse la frontière. Dès le départ, vous avez fait une observation sur la circulation des personnes à la frontière, et j'ai eu l'impression que vous étiez assez limité dans ce que vous pouviez faire dans ce contexte. Vous nous avez ensuite expliqué vos pouvoirs concernant les services postaux et de messagerie. Vous semblez détenir passablement de pouvoirs dans ce secteur, mais j'ai peut-être mal compris. Pouvez-vous m'éclairer?

M. Bolduc : Je vous remercie de cette question. La Loi sur les douanes nous autorise à retenir les marchandises que nous jugeons non conformes à la Loi. Si nous repérons des médicaments de contrefaçon, nous allons les retenir et demander à Santé Canada de les analyser et de déterminer s'ils sont conformes à la Loi.

Je parlais des pouvoirs que l'ASFC obtiendrait grâce au projet de loi C-8 une fois qu'il aura obtenu la sanction royale, puisqu'il va permettre aux titulaires de droits de demander l'aide de l'ASFC pour retenir les marchandises à la frontière le temps que les tribunaux civils se prononcent sur leurs droits et les fasse respecter.

Le président : Merci beaucoup. Avez-vous le pouvoir d'intercepter des colis dans le service postal?

M. Bolduc : Nous en avons le pouvoir.

Le président : Je vous remercie de cette précision très utile.

Le sénateur Eggleton : Est-ce que je peux poser une question complémentaire? Vous avez dit dans votre exposé, à ce sujet justement : « Actuellement, l'agence n'a pas le pouvoir légal de chercher, d'examiner ou de saisir des marchandises soupçonnées de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle. »

Vous dites ensuite pouvoir appliquer la réglementation établie par Santé Canada en vertu de la Loi sur les aliments et drogues. N'y a-t-il pas là contradiction?

M. Bolduc : Non, pas nécessairement.

Le sénateur Eggleton : Pouvez-vous nous expliquer cela?

M. Bolduc : Oui. En ce moment, l'agence n'a pas le pouvoir de saisir des marchandises soupçonnées d'être des reproductions d'une marque de commerce. Cependant, nous pouvons retenir des médicaments de contrefaçon parce que nous les soupçonnons de présenter un risque pour la santé des Canadiens et renvoyer l'affaire à Santé Canada pour l'évaluation finale.

Le sénateur Eggleton : Comment pouvez-vous savoir qu'ils sont contrefaits? Vous n'avez pas les compétences requises pour cela.

M. Bolduc : Nous utilisons différents indicateurs. Au fil des ans, nous avons élaboré des indicateurs susceptibles de porter un agent à croire qu'un colis contenant un pot de pilules puisse être issu de la contrefaçon.

Le sénateur Eggleton : Et s'il vient de l'une des plus grandes sociétés au monde comme Ranbaxy, en Inde? Auriez-vous ce genre de soupçons? Le produit vient d'une entreprise considérée bien établie. Comment pourriez-vous savoir qu'il s'agit de médicaments contrefaits?

M. Bolduc : Nous aidons également Santé Canada, qui nous demande de cibler les importateurs ou exportateurs que le ministère soupçonne de ne pas respecter la loi canadienne.

Le président : En ce moment, Santé Canada peut vous transmettre des renseignements qui vous permettront d'intervenir. Vous pouvez avoir des soupçons et renvoyer l'affaire à Santé Canada, mais en vertu du projet de loi C-8, une société pourrait vous transmettre des renseignements ou une cible et vous demander de surveiller des produits particuliers à la frontière. Est-ce exact?

M. Bolduc : Tout à fait.

Le président : Mais ces règles ne sont pas encore en vigueur.

M. Bolduc : Exactement. Un titulaire de droits pourrait demander l'aide de l'Agence des services frontaliers du Canada pour protéger ses droits d'auteur ou sa propriété intellectuelle.

Le président : Je voulais quelques précisions. Nous allons maintenant passer à la période officielle des questions. Je vais donner la parole au sénateur Eggleton.

Le sénateur Eggleton : J'aimerais interroger M. Attaran sur Ranbaxy. Vous avez dit que cette entreprise importait ici des produits interdits aux États-Unis depuis que les États-Unis sont allés examiner ses méthodes de fabrication là-bas. Est-ce vrai?

M. Attaran : C'est tout à fait vrai. J'ai vérifié ce matin sur le site web de Santé Canada, et il y avait environ 160 médicaments et dosage différents. C'est une très grande entreprise.

Le sénateur Eggleton : Ces produits ont été interdits aux États-Unis parce que la FDA est allée inspecter les usines de production en Inde et a déterminé qu'ils ne respectaient pas les normes.

M. Attaran : Certains de ces 160 produits, en effet. Permettez-moi de vous corriger sur une chose : la FDA, bien qu'elle dispose de ressources et de moyens beaucoup plus importants que Santé Canada, je dirais, et qu'il s'agisse d'un organisme de réglementation beaucoup plus en mesure d'intervenir...

Le sénateur Eggleton : Cela ne fait aucun doute.

M. Attaran : ... n'a pas été capable de détecter la fraude. L'affaire a éclaté au grand jour parce qu'un cadre supérieur de Ranbaxy a dénoncé l'entreprise et a tout raconté à la FDA.

La nature de ce crime montre que c'est très insidieux : une entreprise peut continuer de mener ses activités facilement sans se faire prendre, même par des organismes comme la FDA, d'où ma grande inquiétude. La FDA a indiqué clairement au monde que cette entreprise avait des agissements criminels, mais à ma connaissance, Santé Canada n'a toujours pas ouvert d'enquête.

Le sénateur Eggleton : Les agents en uniforme font de leur mieux, mais ils n'ont pas les compétences requises pour savoir tout cela si même Santé Canada n'est pas au courant.

M. Attaran : Ce n'est pas de leur faute, parce que ces agences n'ont pas suffisamment de moyens techniques. Il ne s'agit pas d'organismes de réglementation sur les drogues et les médicaments.

Le sénateur Eggleton : Je vais demander au représentant de la GRC de réagir aux propos de M. Attaran sur l'Internet. Il a nommé une entreprise du Manitoba et a écrit au premier ministre à son sujet :

Le Wall Street Journal a rapporté en 2012 qu'une pharmacie en ligne du Manitoba, CanadaDrugs.com, avait distribué aux médecins une publicité communiquée par télécopie concernant un médicament contre le cancer (Avastin) [...] qui contenait des solvants industriels plutôt qu'une vraie substance thérapeutique.

Y a-t-il une enquête sur ces activités en ligne?

M. Cabana : Je vous remercie de cette question. Il y a une enquête en cours et elle se poursuit. En fait, en 2010, nous avons lancé un projet pilote, le projet Centurion, afin d'essayer de comprendre la prévalence et l'ampleur du problème. Il porte plus précisément sur la vente de médicaments par Internet, bien qu'on ne parle pas nécessairement de « médicaments de contrefaçon ». Entre les mois d'avril 2010 et d'avril 2012, nous avons reçu 49 signalements des organismes d'application de la loi avec qui nous travaillons. Nous avons épluché 70 sites web de pharmacies canadiens. Il avait été déterminé qu'une adresse ou un serveur situé au Canada était associé à ces sites web. Nous avons examiné 400 sites web internationaux de pharmacies et 600 petites annonces publiées au Canada. Cette opération a donné lieu à 27 enquêtes, plus neuf grands projets.

Le sénateur Eggleton : Combien de poursuites ont porté fruit?

M. Cabana : À ma connaissance, aucune encore.

Le sénateur Eggleton : Eh bien, je ne sais pas. Est-ce que la pharmacie en ligne du Manitoba, canadadrugs.com, est toujours en activité? Est-ce que nous le savons? Est-ce que quelqu'un le sait? Vous en avez parlé dans votre lettre au premier ministre il y a un an, monsieur Attaran. Est-ce que cette pharmacie en ligne au Manitoba est toujours en activité?

M. Attaran : Oui, elle poursuit ses activités.

Le sénateur Eggleton : Oui.

M. Attaran : En toute honnêteté, il s'agit de l'une des entreprises les plus respectueuses des lois; quoi qu'il en soit, les autorités américaines l'ont accusée de faire de la publicité pour un faux médicament contre le cancer que des médecins achetaient et des patients utilisaient.

Le sénateur Eggleton : Qui a déterminé qu'il y avait des solvants industriels dans le médicament?

M. Attaran : Je pense que c'est la FDA, aux États-Unis, mais je pourrais me tromper.

M. Cabana : J'aimerais clarifier une chose sur ma réponse précédente. Je mentionne que nos recherches nous ont portés à conclure, comme M. Attaran l'a mentionné, qu'il y a des pharmacies en ligne situées au Canada, mais dont les activités sont menées de l'extérieur du Canada. Nous avons également constaté que beaucoup de pharmacies prétendent mener leurs activités du Canada. Quand on regarde leurs sites web, tout indique qu'elles sont canadiennes. Mais quand on creuse un peu, on se rend compte qu'elles se trouvent plutôt dans d'autres pays.

Le sénateur Eggleton : En informez-vous les autorités de l'autre pays ou faites-vous quoi que ce soit pour essayer de faire fermer le site web canadien?

M. Cabana : Nous essayons de faire fermer le site web canadien si des infractions sont clairement commises, bien sûr. Pour ce qui est de l'échange de renseignements avec nos partenaires internationaux, la plupart du temps, nous les informons. Il arrive cependant qu'il soit plus difficile de communiquer avec certaines autorités.

Le sénateur Eggleton : Je vous invite à jeter un coup d'œil au site canadadrugs.com.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie d'être de nouveau parmi nous.

Je présume que l'ampleur de ce problème est considérable. Comme nous n'avons pas accès à une tonne de données claires, j'ai beaucoup de questions. Comment pouvez-vous découvrir ce qui se passe? Je sais que vous examinez probablement différentes situations et que vous essayez de les signaler à qui de droit, à moins qu'il faille que le signalement vienne de quelqu'un d'autre? Faut-il nécessairement que quelqu'un meure pour qu'on découvre l'existence d'une importation? Je ne blâme personne, je crois simplement que l'ampleur de ce problème est telle qu'il est difficile à résoudre. Je me demande comment on peut même savoir qu'un médicament est contrefait.

M. Cabana : Est-ce que la question s'adresse à moi?

La sénatrice Stewart Olsen : À n'importe qui, s'il vous plait.

M. Cabana : Je vous remercie de cette question. Il est difficile d'y répondre.

La sénatrice Stewart Olsen : Je le sais.

M. Cabana : On ne veut pas attendre que quelqu'un meure pour avoir consommé des médicaments de contrefaçon. Nous menons enquête sur les cas qui nous sont signalés par nos partenaires d'exécution de la loi, l'ASFC et Santé Canada. Nous portons attention au problème et nous menons des enquêtes. Malheureusement, comme vous l'avez souligné, tant que nous ne connaissons pas la véritable ampleur du problème, même si nous savons qu'il est grave, nous ne pouvons pas enquêter sur toutes les activités de ce type.

Il arrive aussi qu'on découvre des choses en enquêtant sur des organisations criminelles sur des activités autres que la contrefaçon de médicaments. De temps en temps, comme nous ne mettons plus l'accent sur le produit en tant que tel, nous mettons l'accent sur les activités de l'organisation criminelle. Nous pouvons identifier des organisations criminelles qui participent aussi à la contrefaçon de médicaments. Quand nous établissons un lien, nous enquêtons activement sur la situation.

La sénatrice Stewart Olsen : Habituellement, vous n'êtes pas le premier point de contact.

M. Cabana : Non.

M. Bolduc : Je suis d'accord avec mon collègue pour dire que c'est une question difficile. C'est tout un défi pour l'ASFC.

Pour vous donner un aperçu de notre travail, sachez que plus de 137 000 envois postaux et 100 000 envois par messageries sont traités chaque jour au Canada. Nous tirons profit du renseignement de sécurité lorsque les données sont disponibles. Nous essayons de communiquer les dernières tendances à nos agents de première ligne de façon à ce qu'ils puissent intervenir et intercepter ces produits. Toutefois, c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin, compte tenu de l'augmentation considérable des achats en ligne et de l'utilisation des services postaux. Il est donc d'autant plus difficile pour nos agents de mettre la main sur ces colis et les médicaments contrefaits.

M. Attaran : Madame la sénatrice, vous avez posé une excellente question. Je crois que vos doutes sont fondés. Je ne peux toutefois pas vous dire si vous avez raison ou tort parce que nous ne faisons pas ce type de surveillance au pays. Santé Canada accuse un énorme retard sur le plan des pratiques en matière de surveillance.

Quant au problème de ce qui franchit la frontière, comme M. Bolduc en a parlé, les autres pays ont obtenu de bons résultats en munissant leurs douanes de matériel de laboratoire, aux points d'entrée ou dans les installations postales, afin de pouvoir effectuer des tests sur place et déterminer si un médicament est inférieur aux normes ou même carrément faux, sans devoir faire appel à l'Agence de la santé ou à Santé Canada.

Nous avons étudié une technologie, qui est même utilisée au Nigeria; il y a donc lieu de se demander pourquoi le Canada tire de l'arrière par rapport au Nigeria. Aux points d'entrée, on utilise un dispositif appelé spectromètre Raman. Il peut même détecter un médicament à travers son emballage-coque. Vous n'avez qu'à pointer le dispositif sur le paquet et vous aurez une bonne idée si le médicament est authentique ou non. La FDA et les autorités douanières américaines l'utilisent, tout comme le Nigeria et plusieurs autres pays. C'est le type d'outil qui pourrait aider énormément mes amis ici dans leur travail, et il n'y a pas de doute que l'ASFC et la GRC devraient aussi s'en servir. Toutefois, il est évident que la décision vient d'en haut et qu'ils ont besoin d'un mandat pour aller de l'avant, ce que j'espère que vous leur donnerez.

La sénatrice Stewart Olsen : C'est très utile.

J'aime les mesures réalisables. Je me demande pourquoi on ne pourrait pas se servir de certains moteurs de recherche, sites web et ainsi de suite pour faire une petite mise en garde du type « au risque de l'acheteur ». Lorsque les gens naviguent sur ces sites, ils croient probablement qu'ils sont légitimes et qu'ils ont été approuvés.

N'y a-t-il pas moyen de tirer profit de la technologie afin de mettre en garde les gens qui achètent en ligne et de les inciter à se méfier?

M. Cabana : Encore une fois, madame la sénatrice, il s'agit d'une proposition très raisonnable. Je peux vous expliquer ce que nous avons fait, et cela va dans le même sens que ce que vous avez proposé.

Dans le cadre du projet PANGEA, lorsque nous parvenons à identifier les destinataires des colis interceptés par l'ASFC et jugés non conformes par Santé Canada, la GRC leur envoie une lettre indiquant qu'ils ont acheté un produit contrefait, que ce type d'achat en ligne présente des risques potentiels pour la santé et que les fabricants s'exposent à des sanctions criminelles.

Vous avez abordé un élément qui revête une grande importance pour la GRC : la sensibilisation. Vous avez tout à fait raison; parfois il est impossible de faire la différence entre un site web canadien légitime et illégitime. Nous avons établi un partenariat avec l'Association des pharmaciens du Canada. Nous avons mené des campagnes de sensibilisation dans le cadre desquelles nous avons apposé des affiches et diffusé des vidéos dans les pharmacies en vue de sensibiliser les gens. Toutefois, nous pouvons en faire encore davantage.

La sénatrice Stewart Olsen : Je ne dis pas que vous devriez faire tout le travail, mais l'acheteur doit aussi assumer la responsabilité de ses achats.

Monsieur Bolduc, lorsqu'un produit se retrouve entre vos mains, peu importe sa nature, n'y a-t-il pas moyen d'apposer une étiquette qui dit : « À consommer à vos propres risques »? Dans ce cas, j'estime que la sensibilisation du public donnerait de meilleurs résultats que tout ce que nous pourrions entreprendre.

Le président : Toutefois, même si c'était possible, je présume que cela nécessiterait qu'on vous accorde des pouvoirs supplémentaires, à moins que vous ne les ayez déjà?

M. Bolduc : Lorsqu'on intercepte un colis à la frontière et qu'on décide qu'il ne peut pas entrer au Canada, l'importateur en est informé.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Stewart Olsen : Si je puis me permettre, je tiens à préciser que je ne parlais pas des paquets dont vous avez vérifié le contenu, mais bien de tous les paquets. Je ne vois pas d'autre façon de sensibiliser les gens.

Le président : Je crois que nous devrons en rester là, mais je conviens qu'il s'agit d'un problème très complexe qui implique de nombreuses questions. Toutefois, l'important pour l'instant, c'est que nous les ayons soulevées.

La sénatrice Seidman : Vous avez répondu à ma première question concernant l'ampleur du problème. Je sais qu'il peut être difficile d'essayer de comprendre à quel point ce phénomène est répandu, mais vous pourriez peut-être nous dire si cette situation a pris des proportions plus grandes ces dernières années, étant donné toutes les saisies et le travail concret que vous faites.

Ensuite, vous pourriez peut-être nous dire s'il y a un type de médicament qui est plus souvent contrefait que d'autres.

M. Attaran : Je ne dispose pas de données suffisantes en ce qui a trait au Canada. Peut-être que mes amis ici ont ces renseignements. Par contre, je sais qu'en Europe et aux États-Unis, c'est assurément un problème qui prend de l'ampleur.

Il y a quelques années — je suis désolé, je ne me souviens plus de l'année exacte —, l'Union européenne avait signalé une augmentation de 700 p. 100 du nombre de saisies de médicaments aux points d'entrée au cours d'une seule année. On parle donc d'une hausse assez considérable.

Il ne semble pas y avoir de distinction entre les différentes catégories de médicaments. Évidemment, ceux qui retiennent le plus l'attention sont le Viagra et le Cialis de contrefaçon, pour des raisons que je n'ai pas besoin de vous expliquer. Les gens achètent ces médicaments en ligne parce qu'ils sont gênés, je suppose, de les obtenir auprès de leur médecin.

Nous voyons toutes sortes de médicaments contrefaits, que ce soit pour traiter le paludisme, comme je vous l'ai montré, des antibiotiques, des médicaments contre le cancer et les maladies cardiaques, des analgésiques pour traiter la dépression, par exemple, alors s'il y a une limite, je ne l'ai pas vue encore.

La sénatrice Seidman : Les représentants de l'ASFC ou de la GRC souhaitent-ils répondre? C'est une question qui m'intéresse particulièrement.

M. Bolduc : Nous observons une augmentation du volume global des produits importés par voie postale. L'an dernier, nous avons traité 44 millions d'envois postaux. Cette année, après le 3e trimestre, nous sommes déjà à 36 millions.

Selon les renseignements de Santé Canada, pour l'exercice financier 2012-2013, nous avons intercepté 25 938 produits expédiés par la poste, principalement des médicaments d'ordonnance contrefaits. Pour le présent exercice, après seulement trois trimestres, nous avons intercepté 27 151 produits. Encore une fois, ce sont des données assez limitées, qui couvrent une période d'un an et trois quarts.

La sénatrice Seidman : Mais ce sont des données.

M. Bolduc : En effet, et on constate une augmentation du volume.

La sénatrice Cordy : Est-ce que vous parlez seulement de médicaments ou de tous les produits? Est-il uniquement question des médicaments ici?

M. Bolduc : Je parle des médicaments à usage humain et des appareils médicaux. En ce qui concerne les médicaments, l'an dernier, on en a saisi 11 756, et cette année, un peu plus de 7 000 au cours des trois premiers trimestres.

La sénatrice Seidman : Si vous me permettez, j'aimerais poursuivre dans cette veine.

Est-ce que vous catégorisez les médicaments que vous interceptez?

M. Bolduc : Non. Ces statistiques proviennent de Santé Canada. Ce sont eux qui prennent les décisions.

La sénatrice Seidman : Ont-ils créé des catégories? Avons-nous des données sur les catégories de médicaments qui sont plus souvent contrefaits que d'autres?

M. Bolduc : Non, ils ne font référence qu'à l'annexe F, c'est-à-dire les médicaments d'ordonnance. Je n'ai pas plus de détails.

La sénatrice Seidman : On nous a parlé d'une technologie qui permet de détecter un médicament de contrefaçon. Je vais m'arrêter là pour l'instant, parce que j'aimerais interroger le représentant de l'ASFC à propos du nouveau projet de loi. Le projet de loi C-8, dont la Chambre des communes est actuellement saisie, instaure de nouvelles mesures frontalières d'exécution de la loi qui permettent aux agents de douane de retenir tout produit qu'ils soupçonnent de violer le droit d'auteur ou les droits relatifs à une marque de commerce, et ces mesures s'appliqueraient également aux médicaments contrefaits. J'aimerais que vous nous disiez en quoi ces mesures permettraient d'améliorer le système actuel.

M. Bolduc : Si le projet de loi C-8 obtient la sanction royale, l'Agence des services frontaliers du Canada disposera de davantage de pouvoirs, et les titulaires de droits seront dorénavant en mesure de présenter des demandes de renseignements à l'AFSC. En fonction de cette demande, si l'AFSC intercepte des envois qui impliquent le titulaire de droit, elle sera autorisée à lui transmettre de l'information pour qu'il puisse ensuite se tourner vers les tribunaux et intenter des poursuites civiles, s'il le désire.

Par conséquent, ces pouvoirs feraient partie de la Loi sur les douanes et nous permettraient de retenir un envoi, en attendant la décision des tribunaux quant à savoir si ces produits portent atteinte ou pas au titulaire de droit.

La sénatrice Seidman : Au bout du compte, est-ce qu'il pourrait y avoir des sanctions?

M. Bolduc : Si le détenteur de droit intente des poursuites, oui.

M. Attaran : Je suis d'accord avec vous, mais j'aimerais apporter une précision au bénéfice de tous. Nous parlons ici de deux problèmes distincts. D'une part, il y a les médicaments qui n'ont jamais eu leur place dans la chaîne d'approvisionnement légitime — c'est-à-dire les médicaments contrefaits que les agents saisissent aux frontières, par exemple. Ces produits ne devraient jamais faire partie de la chaîne d'approvisionnement légitime. Ce sont des produits faux ou contrefaits. D'autre part, il y a les médicaments légitimes, qui sont produits par des fabricants réels comme Ranbaxy, mais qui, pour quelque raison que ce soit, ne répondent pas aux normes. Ce sont des produits qui ont été enregistrés auprès de Santé Canada et qui ont franchi toutes les étapes du processus, mais pour des raisons accidentelles ou délibérées, l'entreprise n'a pas maintenu les normes exigées en matière de qualité. Il faut faire cette distinction parce que nous avons besoin d'une solution des deux côtés.

Le président : Le dernier cas relèverait clairement du droit de Santé Canada de réglementer le produit étant donné que son approbation figure clairement sur une étiquette lorsque le produit est approuvé. Est-ce exact?

M. Attaran : Oui, mais à l'heure actuelle, la raison pour laquelle Santé Canada ne réussit pas aussi bien qu'elle le devrait...

Le président : Nous y reviendrons. Madame la sénatrice, une autre question?

La sénatrice Seidman : Merci. Un produit authentique peut-il être retenu à la frontière?

M. Bolduc : Si Santé Canada demande à ce que l'ASFC cible un exportateur ou un produit en particulier, oui.

La sénatrice Seidman : Si on examine la situation d'un autre angle, nous avons beaucoup entendu parler des pénuries de médicaments au sein du comité. Ma question est donc la suivante : les pénuries de médicaments pourraient-elles créer un marché pour les médicaments contrefaits et, par conséquent, aggraver le problème?

M. Attaran : C'est sans aucun doute un phénomène qui a été observé dans d'autres pays qui effectuent un suivi plus étroit que nous. Les États-Unis ont connu une catastrophe sanitaire il y a un an, en raison d'une pénurie de stéroïdes. Une société de préparation en pharmacie — une pharmacie qui produit entièrement ses produits sur place — a fourni des injections de stéroïdes contaminés à des centaines de patients, dont de nombreux sont tombés malades et sont même décédés. Chaque fois que nous sommes forcés, pour quelque raison que ce soit — notamment une pénurie —, de déroger à la chaîne d'approvisionnement ordinaire, on met la vie des gens en danger.

[Français]

La sénatrice Chaput : Veuillez excuser mon retard.

Ma première question s'adresse à la GRC et elle concerne les produits pharmaceutiques contrefaits.

Si j'ai bien compris la réponse que vous avez donnée aux sénateurs qui ont posé la question, il y a eu, au cours des dernières années, une augmentation de produits pharmaceutiques contrefaits sur le marché canadien.

M. Cabana : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Ce qu'on a observé, c'est une augmentation de saisies de produits pharmaceutiques contrefaits.

Si je peux donner une statistique qui rejoint un peu la question posée auparavant, pour la période de 2008-2013, le nombre de dossiers qui ont fait l'objet d'enquêtes par la GRC a augmenté de 100 p. 100.

La sénatrice Chaput : Très bien. C'est une pratique illégale au Canada, n'est-ce pas?

M. Cabana : Oui.

La sénatrice Chaput : Y a-t-il des sanctions prévues pour cette pratique illégale?

M. Cabana : Pour ce qui est de l'importation?

La sénatrice Chaput : Oui?

M. Cabana : Oui.

La sénatrice Chaput : Quelles sont-elles, par exemple?

M. Cabana : Je m'excuse, je n'ai pas l'information avec moi. Je pourrais vous la faire parvenir, si vous le voulez.

La sénatrice Chaput : Mais vous ne pourriez pas me donner un exemple de sanction portée contre une entreprise ou contre des gens?

M. Cabana : Il faut faire une distinction. La majorité des enquêtes que la GRC entreprend sont dirigées contre le crime organisé. Les accusations qui en résultent, à la fin de la journée, sont des accusations qui ne sont pas nécessairement déposées en vertu de la loi sur la contrefaçon. Il peut s'agir d'accusations en vertu du Code criminel, d'accusations de fraude. Donc, les sanctions sont celles qui sont retrouvées au niveau du Code criminel.

L'étendue de ces sanctions est quand même assez grande. On a des individus qui ont été assujettis à des amendes et d'autres qui ont reçu jusqu'à cinq ans d'emprisonnement.

La sénatrice Chaput : Êtes-vous en mesure de me dire quel pourcentage des gens qui ont été arrêtés pour ce genre de méfait aurait reçu des sanctions?

M. Cabana : Non, malheureusement, je ne suis pas en mesure de vous donner cette statistique.

La sénatrice Chaput : Et en ce qui concerne la GRC, monsieur Cabana, avez-vous dernièrement mis en place des pratiques pour optimiser l'interception de ces médicaments contrefaits?

M. Cabana : Je crois encore une fois qu'il faut faire la distinction. L'interception des médicaments contrefaits ne relève pas de la GRC. On travaille avec nos collègues de l'Agence des services frontaliers du Canada, qui sont réellement les gens de première ligne en ce qui concerne l'entrée au Canada de médicaments contrefaits.

La sénatrice Chaput : Participez-vous aux discussions avec ces responsables? Y a-t-il une communication ou un échange d'idées? Parce que vous auriez sûrement des recommandations ou des suggestions à leur faire?

M. Cabana : Je peux vous dire qu'il y a des échanges d'idées et d'information de façon courante. Il y a des représentants de l'ASFC qui siègent à des comités formés d'agences d'application de la loi et qui participent à des discussions qui ont lieu au niveau du Comité sur la sensibilisation aux drogues de l'Association canadienne des chefs de police, en relation avec les médicaments contrefaits. Il y a des initiatives qui ont été mises en place aussi. Ce type de dialogue est donc chose courante.

La sénatrice Chaput : Si je comprends bien, en termes de médicaments contrefaits, vous avez la responsabilité de les intercepter si vous croyez que c'est le cas. Mais vous n'avez pas la responsabilité de donner des sanctions?

M. Cabana : On a la responsabilité d'enquêter. L'interception n'est pas notre responsabilité. Donc, nous, on complète les enquêtes. Pour ce qui est des sanctions, elles sont données au niveau criminel et des cours judiciaires.

M. Bolduc : J'aimerais compléter la réponse de mon collègue. L'ASFC est responsable de l'interception. Alors si on a des indications que le volume est de nature commerciale ou que le crime organisé pourrait être à l'origine d'une importation spécifique, à ce moment-là l'information est transmise à la GRC qui, elle, va enquêter au chapitre des allégations de nature criminelle. C'est un partenariat. Et je vous dirais que les échanges se font au quotidien.

[Traduction]

Le sénateur Segal : Il y a un concept reconnu en droit qu'on appelle « le critère de la personne raisonnable » — la personne moyenne et la conclusion à laquelle elle arriverait. J'ai bien peur que — corrigez-moi si je me trompe, et je m'adresse ici à nos témoins en uniforme car j'ai une question précise pour notre autre témoin —, malgré le grand professionnalisme, tous les efforts, la diligence raisonnable et les activités dans le cadre de la loi qui vous permettent de faire votre travail et de comprendre vos limites, vous êtes en fait dépassés par le volume de produits contrefaits qui entrent au pays. Vous n'avez pas les outils ni les instruments, et je ne vous blâme pas, pour être en mesure d'effectuer une vérification approfondie, d'enquêter et de porter des accusations, comme dans le cas des crimes qui ne sont pas perpétrés au moyen d'Internet. C'était ma première conclusion. Permettez-moi de poser deux autres questions.

Premièrement, y a-t-il une personne au sein du gouvernement du Canada qui veille à ce qu'aucun médicament contrefait n'entre au pays ou en sorte? Y a-t-il quelqu'un, soit une personne dont vous relevez ou un groupe interministériel avec qui vous êtes associés? Du point de vue du comité, il serait vraiment utile de savoir si une personne assume ce rôle et, si non, comment on pourrait y remédier.

Deuxièmement, nous homologuons toutes sortes de choses dans notre société. On ne peut pas acheter de cigares sans qu'il n'y ait l'estampille de Sa Majesté. Je sais que la GRC est déjà entrée dans des tabagies parce qu'elle avait des renseignements selon lesquels les droits d'accise des cigares n'avaient pas été acquittés, et elle les a fermées. Tous les produits saisis sont des preuves dans le cadre de notre vaste enquête. Que ce soit juste ou pas, ils ont un travail difficile à faire et ils le font du mieux qu'ils peuvent.

Si nous avons le pouvoir pour les cigares et l'alcool, que nous avons toujours eu — et je ne vous demande pas de parler des lacunes dans la loi car ce n'est pas votre faute —, ne serait-il pas plus facile pour vous, dans l'exercice de vos fonctions, s'il y avait des lois strictes en vertu desquelles il serait interdit de vendre tout produit pharmaceutique sur Internet ou ailleurs à moins d'avoir un permis? Le permis serait délivré à la suite d'un processus d'évaluation de prévente qui permettrait de voir la qualité du produit.

Le président : En ce qui concerne la première question, la responsabilité ultime, je pense qu'il pourrait y avoir deux sources de réponse possibles. Aimeriez-vous commencer, monsieur Bolduc?

M. Bolduc : Je vais répondre à la première question, en partie à la deuxième, puis laisser la troisième à mon collègue. Je vous remercie pour vos questions, sénateur. En fait, cela représente tout un défi. Compte tenu du volume croissant, il est très difficile de trouver les colis et les envois qui contiennent des médicaments contrefaits. La filière postale est également une autre difficulté. L'ASFC ne reçoit pas d'information à l'avance sur les colis qui entrent au Canada, ce qui est différent de ce que l'on voit ailleurs, par exemple, par voie aérienne ou maritime, où toute l'information est fournie à l'ASFC et où nous sommes en mesure de cibler nos interventions. Dans ces cas, lorsque les biens arrivent à la frontière, nous savons exactement quel conteneur ou quel envoi nous voulons examiner.

Nous n'avions pas cette capacité pour les colis, mais un nouveau centre de tri sera fonctionnel à Vancouver à la fin de mars. Les États-Unis et certaines régions du Royaume-Uni vont nous fournir des informations partielles à l'avance pour nous aider à cibler les colis concernés.

Santé Canada réglemente et contrôle le milieu et s'appuie sur des partenaires comme l'ASFC et la GRC. L'ASFC représente la plupart des ministères à la frontière. Nous recherchons les produits pharmaceutiques contrefaits de la même façon que les autres produits. Nous formons une équipe et faisons de notre mieux pour empêcher la revente de produits potentiellement dangereux qui menacent la sécurité des Canadiens.

M. Cabana : Me laissez-vous répondre à la troisième question?

M. Bolduc : Oui, je vous la laisse.

M. Cabana : Merci de la question, mais je vais sans doute contester sa prémisse sur le plan de l'application de la loi.

Il y a un peu plus d'un an, nous avons modifié nos méthodes d'enquêtes et, surtout, notre façon de cibler la menace. Je dirais que la prémisse de votre question s'appliquait il y a un an et demi, lorsque l'attention portée aux marchandises variait selon diverses priorités et les ressources disponibles. Dorénavant, nous appliquons un seul outil pour établir les priorités, partout au pays. Nous établissons les priorités pour tous nos dossiers selon un certain nombre de facteurs concernant la politique, l'économie, l'intégrité sociale, la pertinence stratégique, les cibles, la vulnérabilité, les conséquences et les exigences liées aux ressources. Ce sont quelques-uns des facteurs pris en compte pour établir s'il faut enquêter en priorité sur un dossier.

L'implication du crime organisé est bien sûr une priorité pour la GRC, tout comme la sécurité des Canadiens. Je conteste la prémisse selon laquelle nous allouons moins de ressources aux médicaments contrefaits qu'à d'autres infractions, car ce n'est plus forcément le cas. Nous concentrons directement nos efforts sur les infractions commises par le crime organisé, dont la participation à la vente et à l'importation de médicaments contrefaits. Si la population canadienne est menacée aussi, nous accordons la priorité à ces dossiers.

Le sénateur Segal : Si je comprends bien, monsieur le commissaire, vous n'accorderez pas forcément autant d'attention à une entreprise en Inde qui ne fait pas partie du crime organisé et qui expédie des médicaments qui sont non conformes ou toxiques qu'à un groupe criminalisé qui commet la même infraction?

M. Cabana : C'est une question hypothétique.

Le sénateur Segal : En effet.

M. Cabana : Si le signalement indique clairement que les médicaments ne répondent pas aux normes et menacent gravement la population canadienne, l'enquête sera prioritaire. Nous n'avons pas de contrôle si nous ne recevons pas d'information sur l'arrivée des médicaments, qui entrent en grand nombre au pays.

Le sénateur Segal : Monsieur Attaran, voici ce que vous dites à la page 2 de votre article scientifique de novembre 2012 sur les mesures internationales à prendre contre les médicaments contrefaits et non conformes :

Il faut améliorer le partenariat entre l'industrie pharmaceutique, les chercheurs et les gouvernements pour obtenir, analyser et rendre publics les renseignements. Le Pharmaceutical Security Institute maintient une vaste base de données sur divers crimes liés aux médicaments, mais l'industrie garde presque toutes les données secrètes, de crainte que la transparence nuise aux forces de la loi et dissuade les gens de prendre des médicaments. Malheureusement, le silence de l'industrie n'aide pas les chercheurs et les gouvernements à sensibiliser la population à la contrefaçon, à catalyser les efforts politiques et à renforcer la sécurité des patients. Il faut parvenir à une certaine forme de collaboration et de compromis...

Ce paragraphe laisse-t-il entendre qu'au nom de la propriété intellectuelle, la collaboration entre l'industrie, les forces de l'ordre, Santé Canada et nos représentants en uniformes ne permet pas de prévenir le problème?

M. Attaran : Excellente question. Je vais y répondre de façon un peu plus large. Il s'agit d'une vaste problématique multidisciplinaire, la plus difficile que j'ai eue à régler de toute ma vie. Il faut avoir des connaissances concernant les sciences, le droit et l'application de la loi. Il faut comprendre l'industrie pharmaceutique et ses pratiques d'affaires et penser comme les groupes criminalisés.

Personne ou aucun organisme ne peut y arriver seul. Vous avez dit que nous avions besoin d'un seul responsable. Je dirais plutôt que nous avons besoin d'une force opérationnelle interinstitutions qui comprend des représentants externes de l'industrie des médicaments de marque et des génériques, ainsi que des chercheurs universitaires pour mettre un terme à ces pratiques. Comme la sénatrice Stewart Olsen a dit, nous avons besoin de meilleures données pour mobiliser les connaissances, que ces données viennent du Pharmaceutical Security Institute cité dans mon article ou résultent des efforts déployés par les autorités canadiennes. L'important, c'est d'avoir des données et d'améliorer nos connaissances pour aider les fabricants, les forces de l'ordre et les parlementaires à se concentrer sur le travail à accomplir.

Je propose que le Canada mette sur pied une force opérationnelle interinstitutions qui comprend les sous-ministres concernés, des hauts fonctionnaires, des représentants de l'industrie et des chercheurs. Nous devons rapidement tester les médicaments qui entrent au pays pour commencer à répondre aux questions qui nous sont posées aujourd'hui sur les types de médicaments concernés, leur provenance, la contrefaçon seule ou le problème supplémentaire de la non-conformité qui compromet notre santé?

Santé Canada n'a sans doute testé qu'une petite partie des quelque 7 000 lots de médicaments saisis jusqu'ici cette année selon M. Bolduc. Je présume qu'aucun de nous ne connaît la réponse.

En rassemblant les connaissances et les données, nous serons mieux placés pour prendre des mesures.

Le sénateur Segal : Merci, monsieur le président.

Le président : Merci de cette question brève, sénateur.

Le sénateur Enverga : Nous avons évoqué bon nombre de questions que je me posais. Si ces médicaments sont dangereux ou menacent notre sécurité parce que nous manquons de pouvoirs, pouvons-nous les considérer comme des narcotiques ou des drogues pour renforcer nos pouvoirs et enrayer la contrebande ou l'importation? Pensez-vous que cette approche serait utile?

M. Bolduc : Si Santé Canada ou la GRC obtient des renseignements sur des médicaments non conformes largement commercialisés, nous allons cibler l'exportateur et l'importateur et empêcher la revente. Nous agissons en fonction des renseignements fournis. Un des grands objectifs de l'ASFC, c'est de prévenir l'importation des produits qui menacent la sécurité des Canadiens. Nous ne faisons aucun compromis à cet égard.

Le sénateur Enverga : La loi s'appliquerait-elle de façon différente si les médicaments contrefaits très dangereux étaient classés comme des drogues illicites et des narcotiques?

M. Bolduc : Cela dépend de nos informations et du résultat de l'expertise de Santé Canada. La GRC pourrait nous prêter main-forte et mener une enquête si nous croyons qu'un crime a été commis.

Le sénateur Enverga : Concernant l'Internet ou les transactions clandestines généralisées, quel rôle peuvent jouer les bureaux de poste, FedEx et ce type d'organisations pour vous aider?

M. Bolduc : C'est une bonne question. Nous travaillons en partenariat avec les entreprises de messagerie, comme FedEx, UPS, et cetera. Nous pouvons mieux cibler leurs colis, car ces entreprises obtiennent de l'information sur eux à l'avance. Leurs renseignements nous aident à cibler les colis que nous voulons examiner. Je répète que nous utilisons des indicateurs, comme le type de produits, la provenance, la description et l'emballage. Nos agents emploient bon nombre d'indicateurs pour intercepter ces colis.

Le sénateur Enverga : Des commentaires?

M. Cabana : Je ne ferais que reprendre les explications de mon confrère.

Le sénateur Enverga : Si vous permettez, je vais poser une autre question brève. Monsieur Attaran, pourquoi selon vous les gens achètent-ils des médicaments contrefaits bon marché si leurs médicaments d'ordonnance sont couverts par les provinces et leurs assurances? Les agences les aident tous à obtenir leurs médicaments d'ordonnance.

M. Attaran : Il ne faut pas oublier que la plupart des médicaments ne sont pas couverts par les régimes d'assurance, au pays. Les gens qui travaillent au Sénat, à l'Université d'Ottawa, à la GRC ou à l'ASFC sont couverts par des assurances privées mais, en vertu de la Loi canadienne sur la santé, les médicaments ne sont pas couverts, sauf s'ils sont administrés à l'hôpital.

C'est dommage, mais bien des gens au pays veulent peut-être trouver des médicaments sur Internet, parce qu'ils sont moins chers.

La sénatrice Seth : Merci, monsieur le président. C'est une question sérieuse et très complexe. Vous avez dit qu'au Canada, les médicaments contrefaits viennent surtout de l'Asie du Sud-Est et sont commandés sur Internet. Pourquoi les médicaments proviennent-ils de cette région? Nous devons trouver la cause du problème.

Combien de personnes ou d'entreprises ont été accusées pour la vente ou l'achat de médicaments contrefaits venant de l'étranger?

Quelles mesures la GRC prend-elle pour garantir la sécurité des Canadiens?

Avez-vous des données sur le pourcentage de gens qui meurent à cause des médicaments contrefaits?

Enfin, quel pourcentage de ces médicaments entraîne des effets indésirables?

Le président : Veuillez répondre aux deux premières questions. Sauf si vous possédez de l'expertise dans le système de santé, nous allons garder les deux dernières questions pour Santé Canada ou d'autres témoins. Répondez à ces questions si vous avez de l'information.

M. Attaran : Ma principale préoccupation, c'est que les médicaments ou leurs composants fabriqués en Asie du Sud-Est, surtout en Inde, entrent dans la chaîne d'approvisionnement légale. C'est ce qui est arrivé avec le fabricant Ranbaxy.

Nous sommes très dépendants des fournisseurs comme l'Inde et la Chine. Vous allez peut-être étudier cette question durant d'autres audiences, mais la réglementation des médicaments en Inde est tellement déficiente. Je crains que notre approvisionnement fondamental de médicaments légaux ne respecte pas toujours les normes, parce que la réglementation sur la qualité des médicaments en Inde est lamentable, et je pèse mes mots.

La sénatrice Seth : Pourquoi le Canada achète-t-il des médicaments auprès de ces fournisseurs? Il devrait cesser de les acheter.

M. Attaran : La mondialisation joue un rôle plus important de nos jours. Il y a 30 ans, les médicaments que prenaient les Canadiens étaient sans doute produits au Canada, aux États-Unis, en Europe ou au Japon, soit dans les pays développés où les organismes de réglementation entretenaient une relation de confiance avec ceux du Canada. Je soutiens fermement le libre-échange, mais l'industrie est mondialisée au point que les marchés devancent maintenant de beaucoup les organismes de réglementation. En toute connaissance de cause, nous achetons de plus en plus de médicaments qui proviennent de pays qui sont loin de respecter nos normes ou les normes européennes, et cetera.

Vous allez peut-être étudier cette question durant d'autres audiences. À Washington, D.C., le Congrès américain s'est penché là-dessus la semaine dernière. C'est une question extrêmement sérieuse, mais je doute qu'elle concerne l'étude d'aujourd'hui.

La sénatrice Seth : Je vais vous poser une question hypothétique. Les médicaments proviennent de différents pays. Ne savons-nous pas que les normes sont moins élevées là-bas? Ne faudrait-il pas vérifier la composition des médicaments avant de les donner aux patients, qui pourraient éprouver des effets indésirables et mourir?

M. Attaran : Les lois canadiennes ne l'exigent pas. En Europe, la Directive sur les médicaments falsifiés établie par la Commission européenne et mise en œuvre par les pays européens exige de tester tous les médicaments qui ne viennent pas de l'Union européenne et de quelques pays dignes de confiance, comme le Canada. Tous les lots de médicaments qui entrent dans l'UE sont testés. Cette exigence légale n'existe pas ici.

Nous ne testons pas les médicaments, parce qu'aucune exigence légale ne s'applique au pays.

La sénatrice Seth : Je suis perplexe. Pourquoi l'espérance de vie est-elle supérieure au Canada par rapport aux États-Unis? Pourquoi les taux de mortalité ne sont-ils pas supérieurs ici, puisqu'il y a tellement de médicaments contrefaits et non conformes? L'espérance de vie est pourtant supérieure au Canada par rapport aux États-Unis, malheureusement.

M. Attaran : Je dirais plutôt heureusement; je suis content qu'elle soit supérieure ici.

La sénatrice Seth : Non, ce n'est pas grâce à notre système de santé.

Le président : Madame la sénatrice, vous soulevez une vaste question sociale. Sauf si vous pouvez donner une réponse précise du point de vue pharmaceutique, nous allons passer à la prochaine question. Merci, madame la sénatrice.

La sénatrice Cordy : Ces informations sont très utiles, même si elles ne nous rassurent pas. Merci à tous de votre travail, parce que c'est un problème difficile à régler.

Monsieur Bolduc, vous avez dit à la sénatrice Seidman que vous aviez examiné environ 44 millions de colis et qu'aux trois quarts de l'année, vous étiez rendus à 36 millions. Faisiez-vous référence à tous les colis ou seulement à ceux qui contiennent des médicaments et des appareils médicaux?

M. Bolduc : À tous les colis.

La sénatrice Cordy : C'est ce que je pensais, mais je voulais confirmer mon intuition.

Vous avez dit que 7 000 lots de médicaments ont été saisis à la frontière. Savez-vous combien de lots contenaient des médicaments contrefaits ou non conformes?

M. Bolduc : Je n'ai pas ces données sous la main. J'ai parlé de près de 7 000 lots de médicaments d'ordonnance contrefaits selon l'annexe F de la Réglementation sur les aliments et drogues.

La sénatrice Cordy : Santé Canada peut-il nous fournir ces données?

M. Bolduc : Les chiffres que j'ai mentionnés viennent de Santé Canada, qui peut sûrement vous les fournir.

La sénatrice Cordy : Parmi les 44 millions de colis, savez-vous combien sont liés aux médicaments ou aux appareils médicaux?

M. Bolduc : Malheureusement, nous n'avons pas cette information. Je répète que nous n'obtenons pas de renseignements à l'avance sur les colis. C'est un travail manuel fastidieux. Nous avons des données sur les colis interceptés, mais pas sur tous les colis qui entrent au pays.

La sénatrice Cordy : Les chiffres pourraient être considérables. Nous ne le savons pas, mais 7 000 colis saisis, c'est beaucoup. Si vous ne recevez pas d'information à l'avance, comment ciblez-vous les colis? Je présume que vous examinez de plus près les colis qui viennent de Ranbaxy que ceux d'une autre entreprise, n'est-ce pas?

M. Bolduc : Nos indicateurs doivent montrer que le colis vient bel et bien de l'entreprise déclarée. L'emballage est un facteur qui entre en compte. Les colis sont traités rapidement au centre de tri, et nous ne sommes pas en mesure de les intercepter s'ils n'éveillent pas de soupçons.

M. Attaran : Il ne faut pas oublier que les étiquettes de médicaments contrefaits ne renvoient pas aux entreprises qui les ont vraiment fabriqués. La définition légale de la contrefaçon, c'est d'imiter délibérément une marque de commerce. Il se peut que le médicament porte l'étiquette de Pfizer ou de GlaxoSmithKline, sans que ces sociétés l'aient fabriqué. À mon avis, les marques de commerce ne constituent pas un outil de contrôle très efficace à la frontière. Ranbaxy ne produit pas des médicaments pour la chaîne d'approvisionnement illégale, mais ses médicaments qui entrent dans la chaîne d'approvisionnement légale sont dangereux et non conformes.

La sénatrice Cordy : Pouvez-vous examiner les médicaments d'une entreprise si vous savez qu'elle ne respecte pas les normes? Je présume qu'ils portent l'étiquette de Ranbaxy.

M. Bolduc : Il faudrait poser la question à Santé Canada, qui contrôle et réglemente les importations. Si le ministère alerte la GRC ou nous transmet des informations, nous pourrons prendre les mesures qui s'imposent. C'est la responsabilité de Santé Canada.

La sénatrice Cordy : Connaissons-nous le pays d'origine des colis qui entrent au pays? Les entreprises qui expédient des marchandises par bateau déclarent le pays d'origine. Connaissons-nous la provenance des colis postaux?

M. Bolduc : Les pays d'origine figurent en général sur les déclarations de douane des colis.

La sénatrice Cordy : Est-il illégal pour une personne d'importer des médicaments non conformes ou légitimes?

M. Bolduc : Je ne peux pas répondre à cette question.

À l'aéroport, la personne qui a des médicaments obtenus de façon légale pour usage personnel dans un contenant adéquat avec l'ordonnance du médecin peut importer ses médicaments.

La sénatrice Cordy : Comment savons-nous si tout est en règle?

M. Attaran : C'est une zone grise. Les agents doivent exercer leur jugement. Par exemple, un de ces médicaments contre la malaria est conforme, tandis que l'autre est contrefait. À mon arrivée au Canada aujourd'hui, les douaniers ne m'ont pas envoyé en prison pour autant. Je les remercie beaucoup de leur compréhension.

Le président : Ça ne vous est jamais arrivé?

M. Attaran : Pas encore. C'est laissé à la discrétion de l'agent. L'ASFC nous a permis d'apporter des échantillons pour nos tests ou nos recherches.

La sénatrice Cordy : Vous avez dit que divers organismes, la GRC, Santé Canada et l'ASFC travaillaient en collaboration. Monsieur Attaran, vous avez proposé que des représentants du secteur privé participent aux discussions. Nous semblons pourtant travailler en vases clos, car vous ne pouvez pas empiéter sur les responsabilités de Santé Canada. À quel point la collaboration fonctionne-t-elle? Pouvez-vous me donner un exemple de collaboration efficace ou des problèmes auxquels vous êtes confrontés?

M. Cabana : Selon moi, l'opération Pangea qui est menée chaque année constitue le meilleur exemple. Elle ne dure qu'une semaine, mais nous travaillons en étroite collaboration pour fournir les indicateurs nécessaires, saisir le matériel interdit et mener les enquêtes qui s'imposent par la suite. La collaboration peut fonctionner.

M. Bolduc : L'expertise de Santé Canada nous aide à donner la formation essentielle à nos agents sur ce genre de questions.

C'est un problème important, mais je ne veux pas vous donner une fausse impression. Au contraire, la collaboration fonctionne.

M. Attaran : J'espère que nous allons en arriver au point où la collaboration entre les divers organismes au Canada devient très courante. Inévitablement, il faudra éliminer certaines balises qui délimitent les rôles des organismes. Par exemple, je milite pour que les agents de l'ASFC reçoivent le matériel et la formation nécessaires pour tester les médicaments de façon rudimentaire aux points d'entrée. Les agents pourraient établir plus facilement s'ils doivent faire appel à Santé Canada.

De plus en plus de pays semblables le font. Au Royaume-Uni, la collaboration fonctionne bien entre la MHRA et les forces de l'ordre. Aux États-Unis et en Belgique, cette relation devient plus étroite. Nous pouvons mettre à profit les meilleures pratiques de nos partenaires, mais il faudra en effet décloisonner les organismes jusqu'à un certain point.

La sénatrice Cordy : La question s'adresse peut-être plus à Santé Canada, mais la GRC ou d'autres organismes ont-ils des données sur les effets indésirables des médicaments illégaux, contrefaits ou non conformes? La sénatrice Stewart Olsen a demandé s'il fallait attendre que quelqu'un meure. Les médicaments contrefaits ne peuvent pas être très bons pour la santé.

M. Cabana : Non, mais le rôle de la GRC consiste à mener des enquêtes, pas à collecter des données et à mesurer les effets des médicaments qui entrent au pays. Nous savons que des gens sont morts à cause des médicaments contrefaits.

Nous savons que c'est un problème grave et que des gens sont morts. Mais nous ne recueillons pas de données là-dessus.

La sénatrice Cordy : Je ne suis pas surprise et je présume que Santé Canada possède ces données, mais la population n'est pas bien renseignée. La sénatrice Stewart Olsen a dit qu'il fallait sensibiliser le public à ce problème grave et complexe.

Le président : Nos autres études signalent que, pour une raison ou une autre, moins de 3 p. 100 des effets indésirables sont détectés. Nous avons fait nombre de recommandations pour régler ce problème très grave.

La sénatrice Eaton : La plupart des génériques sont-ils produits à l'étranger, comme en Inde et en Asie?

M. Attaran : J'ai posé la question, mais Santé Canada ne m'a pas remis ces données.

Aux États-Unis, oui, la plupart des génériques sont produits à l'étranger. C'est peut-être d'autant plus vrai au Canada que la taille de l'industrie pharmaceutique est plus modeste.

La sénatrice Eaton : Je vous pose la question, monsieur, parce que des témoins précédents nous ont indiqué que la pénurie de médicaments allait s'aggraver. Dans la plupart des hôpitaux, 70 p. 100 des médicaments prescrits sont des génériques.

Notre rapport devrait-il recommander de faire comme l'UE et d'inspecter tous les médicaments qui ne viennent pas des pays agréés comme les États-Unis ou des pays qui appliquent les mêmes normes que nous?

M. Attaran : Je soutiens le test des lots de médicaments, comme l'Union européenne. Je ne vois aucune raison de ne pas le faire. Ces tests ont un coût plutôt modeste et renforcent beaucoup la sécurité. C'est la politique qu'ont adoptée les 28 pays de l'UE, qui ne tirent pas de conclusions hâtives. Il serait très sage de prendre cette direction.

La sénatrice Eaton : Messieurs Bolduc et Cabana, y a-t-il des entreprises qui fabriquent des médicaments contrefaits, au Canada?

M. Bolduc : Je ne le sais pas.

La sénatrice Eaton : Je pose la question, parce que la GRC aurait mis en œuvre le projet Centurion à Montréal en 2010 pour enquêter sur la contrefaçon de médicaments au Québec.

M. Cabana : C'est arrivé très rarement.

En janvier 2010, deux personnes ont plaidé coupables à Montréal. Elles ont été condamnées à cinq ans d'emprisonnement, en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, et à une peine concurrente de deux ans en vertu du Code criminel, en plus de recevoir une amende de 10 000 $.

Ces gens produisaient de fausses pilules de Viagra et de Cialis, de l'ecstasy et des méthamphétamines dans un laboratoire clandestin au Canada.

Fait intéressant, ce laboratoire était situé dans un espace commercial insalubre. Ces gens utilisaient de la peinture au latex résidentielle comme colorant pour les pilules.

Le sénateur Segal : Est-ce qu'il la mélangeait? C'est seulement pour vérifier.

M. Cabana : Je ne peux pas dire qu'aucun médicaments contrefaits ne sont produits au Canada, parce que c'est déjà arrivé. Mais la grande majorité de ces médicaments viennent de l'étranger.

La sénatrice Eaton : Donc, les médicaments offerts sur des sites Internet canadiens sont surtout produits outre-mer?

M. Attaran : Il semble que oui, même si des Canadiens font partie de ces groupes criminalisés. Un certain nombre d'entre eux se trouvent en sol canadien.

La sénatrice Eaton : Les Américains commandent beaucoup de médicaments du Canada, parce qu'ils seraient moins chers. Les amis de ma mère en Floride achètent tous leurs médicaments sur un site Internet canadien, parce qu'ils sont bien moins chers qu'aux États-Unis.

Prenons-nous des mesures contre les exportations aux États-Unis? Nous n'avons pas à nous préoccuper des morts qui pourraient survenir en Floride à cause de médicaments achetés sur un site Internet canadien, n'est-ce pas?

M. Attaran : Nous devrions être préoccupés.

La sénatrice Eaton : Je suis d'accord.

M. Attaran : Nos lois sont claires à ce propos. Santé Canada a bien fait de souligner en 2006 que la loi interdit à un pharmacien canadien de remplir une ordonnance délivrée par un médecin étranger pour un patient étranger. Les pharmaciens d'ici doivent servir les Canadiens.

C'est illégal de contourner le système pour les gens en Floride. Pourtant, Santé Canada n'applique pas la loi avec assez de vigueur.

Le président : Revenons au sujet que nous étudions présentement, la contrefaçon. Quel lien établissez-vous avec la question de la sénatrice?

M. Cabana : Même si les gens pensent commander des médicaments sur des sites Internet canadiens, notre évaluation indiquerait qu'il ne s'agit pas de sites canadiens. Même si le drapeau du Canada est affiché, le site n'est pas canadien pour autant. C'est encore plus préoccupant.

La sénatrice Eaton : Que nous recommandez-vous de faire pour mettre fin à ces pratiques? Que devrions-nous recommander dans notre rapport ou quelles mesures législatives faudrait-il adopter pour empêcher que le drapeau du Canada soit affiché sur les sites qui ne sont pas canadiens? Devrions-nous placer un avertissement sur tous les sites Internet? Que recommandez-vous?

M. Cabana : Je ne pense pas que ce soit mon rôle d'indiquer ou de recommander ce que le comité devrait mettre dans son rapport.

N'oublions pas que le gouvernement du Canada a sans doute une capacité limitée de contrôler et de légiférer les groupes criminalisés établis à l'étranger, qui profitent de l'Internet pour se cacher.

M. Attaran : M. Cabana a raison. Nous pouvons facilement réguler ou criminaliser les activités qui se déroulent au Canada, mais c'est plus difficile pour ce qui se fait à l'étranger. En général, il nous faut un accord ou un traité international.

Nous pouvons et nous devons réglementer les pharmacies au Canada qui violent la loi et qui fournissent des médicaments, souvent non approuvés, à des étrangers. Je pense que vous devriez le mentionner dans votre rapport.

Je crois également que le rapport du comité devrait porter sur l'avenir. Il est question ici de crime organisé à l'échelle internationale. Des criminels situés bien loin du Canada publient une feuille d'érable sur leurs sites web pour faire croire à leurs victimes qu'elles achètent des médicaments canadiens, alors que c'est faux. La seule façon de régler ce problème, c'est de faciliter la coopération internationale entre les forces de l'ordre, le droit et d'autres pays ayant des intérêts communs. Pour cela, il faut un traité.

La sénatrice Eaton : Nous nous dirigeons vers un PTP. Est-ce un dossier qu'on pourrait aborder dans le cadre de ce programme?

M. Attaran : Je crois que cela dépasse la portée du PTP, car il est question ici d'activité criminelle internationale et non d'activité commerciale légitime, ce sur quoi se concentre le PTP. Je crois que ce qu'il nous faut — et bon nombre de mes collègues sont du même avis —, ce sont des mesures législatives du droit pénal international sur la qualité des médicaments pour contrebalancer ce qui a été fait en matière de droit commercial international.

Je vais utiliser l'analogie suivante. Les ententes de l'OMC permettent à quiconque d'importer des médicaments. En général, c'est une bonne chose, puisqu'on peut maintenant se procurer des médicaments dans plusieurs pays, et ce, à moindre coût. Mais, lorsqu'on ouvre une telle porte sur le monde, il faut y placer un gardien. Ce que nous n'avons pas fait, c'est d'adopter une mesure législative du droit pénal international, un traité international qui faciliterait la coopération entre mes amis de la GRC et de l'ASFC et leurs homologues étrangers à des fins d'enquêtes, d'entraide sur le plan juridique et de poursuites transnationales lorsqu'il est question de réseaux criminels présents dans plusieurs pays. Ils ont besoin de ces outils, mais malheureusement, tout ce que le Parlement peut faire, c'est de demander ces outils. Il revient au ministère des Affaires étrangères de négocier ces outils avec d'autres gouvernements ayant la même optique.

Le sénateur Eggleton : La sénatrice Eaton a posé les questions que je voulais poser, notamment sur la façon d'exercer un meilleur contrôle sur les produits pharmaceutiques non conformes par opposition aux produits pharmaceutiques frauduleux. Si Santé Canada ne réagit pas en ce qui a trait aux produits pharmaceutiques non conformes, il faudra faire quelque chose.

Si j'ai bien compris, en réponse à une question de la sénatrice Eaton, vous avez dit qu'il faudrait que chaque lot soit examiné lorsqu'il entre au pays. Selon vous, est-ce faisable du point de vue pratique?

M. Attaran : Ça se fait déjà en Europe et ça fonctionne plutôt bien.

Le sénateur Eggleton : Est-ce que c'est ce que font les États-Unis?

M. Attaran : Non.

Le sénateur Eggleton : Mais, c'est ce qu'ils font en Europe?

M. Attaran : Les États-Unis étudient cette option.

Le sénateur Eggleton : Le traité international n'est pas un traité onusien, n'est-ce pas? Ce serait plutôt un traité entre divers pays. Qui servirait de modérateur? Est-ce que cela intéresserait l'Organisation mondiale de la santé?

M. Attaran : Ça pourrait être l'OMS, l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime ou un sui generis. Il pourrait s'agir d'un protocole en vertu de la Convention contre la criminalité transnationale organisée. Il y a de nombreuses façons de procéder, mais la réalité, c'est que ce n'est pas avantageux pour l'industrie pharmaceutique et les patients ne sont pas protégés par une mesure législative du droit pénal international permettant d'éliminer de nos voies commerciales internationales la fraude de façon générale ou la fraude pouvant entraîner la mort. Pour cela, il faudrait mettre en place un projet de réforme du droit international, un projet que le Canada pourrait mener. Je sais que d'autres pays réfléchissent à cette option. Par exemple, c'est une idée qui intéresse beaucoup le gouvernement français.

Le sénateur Eggleton : Est-ce que l'OMC pourrait s'en charger? J'essaie juste de voir quel serait le véhicule approprié, par exemple, l'OMC, l'OMS ou les Nations Unies. Merci.

Le président : Il nous reste encore du temps pour aborder quelques points. J'aimerais revenir à la question de l'autorité.

Je crois comprendre clairement ce que disent messieurs Bolduc et Cabana : si les organismes réglementaires appropriés définissent les cibles et fournissent les renseignements nécessaires, il est possible pour chaque pays de poursuivre le travail. Les témoignages recueillis par le comité sur différents sujets montrent clairement que les pouvoirs de Santé Canada sont limités. Toutefois, le ministère dispose tout de même de beaucoup de pouvoir, notamment en ce qui concerne l'étiquetage des médicaments, l'application des règles relatives à cet étiquetage et l'évaluation des produits pharmaceutiques. Il a ces pouvoirs. Il a également le pouvoir de visiter des centres de production à l'étranger.

Dans le cadre des séances du comité sur la pandémie de H1N1, il a été question du Tamiflu. Ça peut vous surprendre que je parle de ce médicament dans le contexte actuel, mais il s'agit d'une production très importante. Dans le cadre de ces séances, j'ai demandé aux représentants d'une des sociétés pharmaceutiques qui possèdent les droits de production du Tamiflu où le médicament était fabriqué, mais ils ont refusé de me répondre.

J'ai aussi demandé à Santé Canada si le ministère vérifiait les centres de production de ce médicament et d'autres médicaments à l'étranger. On m'a fourni une réponse très bureaucratique bien ficelée qui ne disait rien. Si j'ai bien compris, au cours de la dernière année, le ministère a inspecté peut-être trois centres de production à l'étranger.

Je crois que vous nous avez fourni de bonnes informations. Je ne vous demanderai pas plus de détails, mais il est très clair que M. Attaran a identifié la deuxième raison, et peut-être la plus importante, pour laquelle il faut soumettre les produits pharmaceutiques qui entrent au pays à un examen afin de vérifier s'ils sont conformes aux normes. Nous avons de nombreux exemples connus au Canada de produits pharmaceutiques contenant du verre, notamment.

Je veux m'assurer que tout cela figure au compte rendu pour que l'on puisse en discuter en comité.

L'expression « crime organisé » me fascine beaucoup. La société Ranbaxy me semble être une organisation hautement criminelle. Elle a mis sur pied un complot bien conçu pour la fabrication de produits pharmaceutiques faisant appel à des sources d'ingrédients ou de production provenant de plusieurs pays; la fabrication de résultats d'essais; la fabrication de tests à l'aide de produits pharmaceutiques authentiques dont les résultats étaient transmis aux autorités chargées des enquêtes; et toutes ces activités étaient protégées en vertu des lois des pays concernés.

Il a fallu beaucoup d'efforts pour convaincre la FDA de se pencher sur ce dossier. Même lorsque l'agence voulait enquêter, elle devait en informer la société. Cela donnait le temps au fabricant de noyer le poisson. Mais je me rends compte que Ranbaxy était effectivement une exploitation du crime organisé dans ce domaine.

Monsieur Attaran, vous avez fait référence à plusieurs médicaments fabriqués par cette société au Canada. Je croyais qu'elle avait été achetée par une société japonaise. Existe-t-elle encore en Amérique du Nord sous le nom de Ranbaxy? Elle dispose d'une installation considérable aux États-Unis.

M. Attaran : Oui. Ranbaxy a été acquise par Daiichi Sankyo, une société pharmaceutique japonaise. Fait intéressant, Daiichi Sankyo a poursuivi les anciens dirigeants de Ranbaxy pour leur avoir vendu une société impliquée dans des activités frauduleuses. Mais, vous avez raison, la société est toujours exploitée sous le nom Ranbaxy.

Le président : Donc, les médicaments auxquels vous avez fait référence, les 160 fabriqués par Ranbaxy au Canada, jusqu'à tout récemment, ces médicaments étaient encore vendus sous l'étiquette Ranbaxy?

M. Attaran : J'ai consulté la base de données électronique de Santé Canada sur les médicaments ce matin; vous pouvez le faire vous-même. L'information est très facile à trouver; il suffit de chercher « base de données sur les produits pharmaceutiques, Santé Canada » dans Google. En cherchant le nom Ranbaxy, j'ai obtenu la liste de 159 médicaments approuvés.

Le président : Je n'irai pas plus loin. C'est un exemple fascinant qui montre à quel point il est nécessaire d'adopter des règlements très rigoureux, y compris l'analyse des produits importés.

Je n'ai pas eu l'occasion de le vérifier, mais, l'usine de Ranbaxy aux États-Unis vend-elle encore des produits sous le nom de Ranbaxy? Savez-vous si les médicaments fabriqués à cette usine sont expédiés sous un autre nom?

M. Attaran : La marque Ranbaxy est bien vivante, mais ne se porte pas bien. Il y a environ trois semaines, la commissaire de la Food and Drug Administration s'est rendue en Inde où, selon les journaux, des membres de la haute direction de Ranbaxy l'ont imploré de permettre l'importation aux États-Unis de médicaments fabriqués dans les usines suspectes de la société. Elle a refusé, et je crois que c'était la bonne décision. Je suis surpris de voir que le Canada n'a encore pris aucune décision dans ce dossier.

Le président : Nous devons conclure, car le comité a d'autres points à discuter à l'ordre du jour. Je tiens à vous remercier pour votre contribution très importante à cette étude. Je tiens aussi à rappeler les deux dossiers importants qui ont été abordés — les médicaments contrefaits pour lesquels il existe une description juridique clairement définie; et les médicaments que je qualifierais de « sous-performants » en vertu des exigences actuelles de Santé Canada en matière d'approbation.

Vous avez donné au comité plusieurs éléments à considérer dans le cadre de ce dossier très important, car finalement, c'est de la santé des Canadiens dont il est question. Cela nous ramène aux observations et aux recommandations des sénateurs, par exemple, en ce qui a trait aux effets indésirables des médicaments. C'est une chose que l'on ne peut pas déterminer au pays.

Une chose est très claire : nous avons fait des recommandations importantes dans plusieurs domaines et nous en ferons d'autres. Les renseignements que vous nous avez fournis nous seront extrêmement utiles en ce sens. Je tiens à vous remercier d'avoir accepté notre invitation et à remercier aussi mes collègues pour leurs questions.

Le comité directeur a étudié ces demandes, les a approuvées et les a renvoyées au comité aux fins d'approbation. En vertu du Règlement du Sénat, nous sommes tenus de les présenter. Elles seront ensuite acheminées à la régie interne aux fins d'approbation finale.

Nous avons deux projets de budget. Nous allons les étudier un à la fois.

Le premier est lié à l'étude actuelle, la quatrième étape de notre étude sur les produits pharmaceutiques, et ne concerne que les frais possibles associés à la production de deux rapports. Il ne concerne aucune dépense de déplacement ou autre. Le budget proposé s'élève à 20 470 $, ce qui inclut l'infographie, les services d'édition, l'impression et diverses dépenses pour une somme de 250 $. Je demande au comité d'approuver ce budget. La motion est proposée.

Plaît-il au comité d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

Le président : Quelqu'un s'y oppose? Merci.

Le deuxième projet de budget est lié à l'ordre de renvoi que nous avons reçu au sujet d'une étude sur l'obésité au Canada. Il ne concerne que la production d'un rapport. Encore une fois, nous avons rejeté la demande du sénateur Eggleton qui voulait que le comité rencontre des gens dans tous les pays du monde. Cette demande a été rejetée, car, selon ce que nous avons appris, le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a déjà dépensé le budget de déplacement. Ce projet de budget s'élève à 10 360 $. J'aimerais que quelqu'un propose une motion d'adoption.

Le sénateur Segal : J'imagine qu'aucune nourriture n'était incluse dans le budget de l'étude sur l'obésité?

Le président : Nous y avons songé, mais avons jugé que cela pourrait compromettre notre objectivité dans le cadre de cette étude.

Le sénateur Segal : Je suis heureux de proposer la motion d'adoption pour ce budget.

Le président : Plaît-il au comité d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

Le président : Quelqu'un s'y oppose?

Merci. La séance est levée.

(La séance est levée.)


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