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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 29 - Témoignages du 12 mars 2015


OTTAWA, le jeudi 12 mars 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 29, pour étudier le projet de loi S-208, Loi constituant la Commission canadienne de la santé mentale et de la justice.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je suis Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse, et je suis le président du comité. J'invite mes collègues à se présenter.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, Ontario.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

Le sénateur Wallace : John Wallace, New Brunswick.

La sénatrice Nancy Ruth : Nancy Ruth, de Toronto.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

[Français]

La sénatrice Chaput : Maria Chaput, sénatrice du Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur Cowan : Jim Cowan, sénateur de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto, et le vice-président du comité.

Le président : Merci, mesdames et messieurs.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi S-208, Loi constituant la Commission canadienne de la santé mentale et de la justice. Avant de souhaiter la bienvenue à notre premier témoin, je rappelle au comité que nous entendrons trois groupes de témoins ce matin. La présente session terminera au plus tard à 11 heures. La règle d'une question par sénateur sera appliquée. Le parrain et le porte-parole intérimaire du projet de loi posera la première question, suivi du sénateur Eggleton.

Sur ce, je souhaite la bienvenue à M. Don Head, commissaire de Service correctionnel Canada. Je vous invite à faire votre exposé, qui sera immédiatement suivi des questions.

Don Head, commissaire, Service correctionnel du Canada : Monsieur le président et honorables membres du comité, bonjour. Je suis ici pour vous fournir toutes les informations dont vous pourriez avoir besoin au sujet du Service correctionnel du Canada, ou SRC, dans l'optique du projet de loi S-208 à l'étude. Je vais m'en tenir à une brève allocution afin de vous laisser plus de temps pour des questions.

Comme vous le savez peut-être, le SCC est chargé d'administrer les peines d'emprisonnement de deux ans ou plus qui sont imposées par les tribunaux. Pour répondre aux besoins en santé mentale des délinquants, le SCC offre un continuum de services de santé mentale aux délinquants, depuis leur admission jusqu'à l'expiration de leur mandat. Le SCC est résolu à fournir aux délinquants un niveau raisonnable et efficace de services dans ce domaine, et il a une stratégie globale en matière de santé mentale qui comprend cinq éléments clés, à savoir : le dépistage des troubles mentaux à l'évaluation initiale; les soins primaires de santé mentale en établissement; les soins intermédiaires de santé mentale destinés à répondre aux besoins des délinquants qui sont incapables de s'adapter au milieu carcéral régulier, mais dont les problèmes de santé mentale ne sont pas suffisamment graves pour nécessiter des soins dans un centre régional de traitement; les soins intensifs dans les centres régionaux de traitement; les soins transitoires en prévision de la libération dans la collectivité.

En plus de procéder au dépistage des troubles mentaux à l'évaluation initiale, le SCC a renforcé les équipes interdisciplinaires composées de professionnels de la santé mentale dans les établissements réguliers pour fournir les services de santé mentale essentiels et les mesures de soutien connexes. Durant l'exercice 2013-2014, environ 48 p. 100 des délinquants ont reçu au moins un service de santé mentale en établissement, et soulignons que ce fut aussi le cas pour environ 73 p. 100 des délinquantes et 51 p. 100 des délinquants autochtones.

Le SCC est en train de perfectionner son modèle de prestation des services de santé mentale afin de s'assurer d'offrir les soins de santé mentale essentiels de la manière la plus efficace possible pour répondre aux besoins de la population de délinquants. Le « modèle amélioré de soins » du SCC sera conforme au continuum de soins préconisé par l'Organisation mondiale de la santé, de sorte que les détenus recevront les soins les plus appropriés quand ils en auront besoin.

Les délinquants de sexe masculin atteints des troubles mentaux les plus graves qui doivent être hospitalisés pour suivre un traitement sont soignés dans des centres régionaux de traitement agréés. Pour ce qui est des délinquantes sous responsabilité fédérale qui doivent être hospitalisées, le SCC a actuellement des places pour elles au Centre psychiatrique régional à Saskatoon, en Saskatchewan; des places sont également disponibles pour ces femmes dans des hôpitaux psychiatriques de l'extérieur, soit à l'Institut Philippe Pinel de Montréal et au Centre de santé mentale de Brockville. De plus, des soins intermédiaires sont donnés aux délinquantes ayant une cote de sécurité minimale ou moyenne par l'entremise des milieux de vie structurés (MVS) dans les établissements régionaux pour femmes.

Depuis.avril 2007, le SCC a donné une formation sur les principes fondamentaux en santé mentale à environ 10 800 membres de son personnel travaillant en établissement ou dans la collectivité. La formation a également été suivie par 560 autres personnes ne faisant pas partie du personnel du SCC et partenaires communautaires. Depuis 2013-2014, cette formation est une composante du programme d'orientation que doivent suivre les nouveaux agents correctionnels.

Ce n'est là qu'un aperçu du modèle que le SCC a mis en place pour répondre aux besoins en santé mentale des délinquants sous sa surveillance. Je vais maintenant vous céder la parole, honorables sénateurs, et répondre à vos questions concernant les sujets dont j'ai traité ou d'autres points.

Le président : Merci beaucoup. Comme je l'ai indiqué, je cède la parole au sénateur Cowan.

Le sénateur Cowan : Bienvenue, monsieur Head. C'est un plaisir de vous revoir. Je vous ai déjà entendu témoigner devant divers comités du Sénat, notamment le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Je me souviens d'une occasion où vous avez parlé de la difficulté à recruter et à maintenir en poste des professionnels de la santé mentale qualifiés et compétents. Pourriez-vous me dire ce qu'il en est à l'heure actuelle? Réussissez-vous à combler les besoins de dotation en personnel de manière à mettre en œuvre votre stratégie et à maintenir les professionnels en poste à long terme?

M. Head : Merci de cette question, sénateur.

En fait, nous avons fait beaucoup de progrès depuis la dernière fois que vous m'avez entendu témoigner. Divers groupes et diverses associations aident maintenant à promouvoir Service correctionnel Canada comme un endroit qui embauche des professionnels de la santé mentale, tout particulièrement des psychologues et des professionnels des soins infirmiers.

Toutefois, un des problèmes qui subsiste, c'est que beaucoup de nos établissements sont situés dans des endroits où ces professionnels ne veulent pas aller vivre et travailler. Prenez un endroit comme Grande Cache, en Alberta, qui est magnifique : vous pouvez imaginer qu'il est très difficile d'y attirer suffisamment de professionnels. Par conséquent, l'emplacement géographique continue de poser problème. Cependant, nous travaillons avec les diverses associations d'infirmières et de psychologues pour encourager les gens vivant dans les endroits où nos établissements sont situés à venir travailler pour nous à temps plein ou, dans certains cas, à titre contractuel.

La sénatrice Seidman : Merci, monsieur Head. Aux termes de l'article 4 du projet de loi S-208, la commission serait chargée d'élaborer des programmes de formation à l'intention des agents correctionnels « afin de maximiser leur participation au dépistage des problèmes de santé mentale et à la prestation de soins de santé mentale ». À votre avis, est-ce que l'élaboration des programmes de formation à l'intention des agents correctionnels devrait être effectuée par une organisation autre que le SCC? Pourquoi ou pourquoi pas?

M. Head : Merci, madame la sénatrice. Vous posez une bonne question.

À l'heure actuelle, d'autres organisations nous aident à élaborer certains de nos cours de formation. Par exemple, le Centre de toxicomanie et de santé mentale, couramment appelé le CAMH, collabore avec nous à la modification de la formation sur la thérapie comportementale dialectique que nous offrons aux délinquantes. Nous travaillons aussi avec un groupe de l'Hôpital Royal Ottawa à la revitalisation de la formation sur le suicide et le comportement d'automutilation. Nous collaborons donc avec divers groupes qui ont une expertise plus poussée que la nôtre, et nous allons continuer de chercher à collaborer avec des partenaires de ce genre.

Nous avons également formé d'autres partenariats, notamment avec l'Université de la Saskatchewan, non seulement sur le plan de la formation, du perfectionnement et du recrutement de psychiatres, mais nous faisons aussi appel à eux pour nous aider à évaluer la formation que nous offrons aux membres de notre personnel.

Le sénateur Eggleton : Les améliorations dont vous parlez sont bonnes.

Hier, des représentants de CAMH étaient ici, et ils nous ont dit que le taux de suicide dans les établissements du système correctionnel fédéral est sept fois plus élevé que la moyenne nationale. Bien sûr, il y a eu des cas très médiatisés, comme ceux d'Ashley Smith et d'Edward Snowshoe, où l'on a critiqué ce qui est considéré comme étant un isolement cellulaire excessif, qui a mené au suicide ou à d'autres troubles de santé mentale. Pourriez-vous nous dire quelles mesures sont prises pour éviter de telles situations?

M. Head : Merci de l'occasion d'aborder ce sujet, sénateur.

Nous examinons constamment la manière dont nous utilisons l'isolement. Le terme « isolement cellulaire », qui est beaucoup utilisé dans les médias, décrit en fait quelque chose de différent que ce que nous faisons au Canada. D'habitude, l'isolement cellulaire signifie qu'une personne est dans une cellule pendant 22 ou 23 heures par jour, sans avoir de contact humain significatif.

Quand nous mettons des délinquants en isolement, des gens communiquent constamment avec eux. Ils sont peut- être enfermés 22 ou 23 heures par jour, mais des agents correctionnels et, dans certains cas, des psychologues parlent avec eux. De plus, les directeurs des établissements et le personnel des soins de santé sont tenus de visiter les délinquants en isolement tous les jours.

Cela dit, il nous reste encore certains défis à relever sur le plan de la gestion des délinquants en isolement souffrant de problèmes de santé mentale. Une des raisons pour lesquelles nous mettons des personnes en isolement, c'est qu'elles se comportent d'une manière qui met en danger la sécurité des membres du personnel et d'autres délinquants et même leur propre sécurité; il importe donc de les retirer de la population carcérale ordinaire. La seule place où nous pouvons les mettre, c'est en isolement. Pendant qu'elles sont là, nous tentons de stabiliser leur comportement et de les faire réintégrer la population générale aussi rapidement que possible.

Notre processus d'évaluation est rigoureux, et nous envisageons de le rendre encore plus rigoureux. Toute personne qui est mise en isolement est évaluée dans les 24 heures qui suivent. Toute personne qui manifeste des comportements d'automutilation ou des idées suicidaires reçoit la visite de professionnels peu après avoir été placée en isolement, et ensuite nous faisons une évaluation officielle après 5 et 30 jours.

Nous avons été comparés à beaucoup d'autres pays du monde, par exemple, aux États-Unis, qui commencent à évaluer les gens après qu'ils aient été en isolement pendant 120 jours. Comme je l'ai dit, nous commençons à faire nos évaluations après 24 heures.

Cela dit, nous éprouvons encore des difficultés, surtout avec les gens qui ont des problèmes de santé mentale.

La sénatrice Stewart Olsen : Je comprends les problèmes auxquels vous êtes confrontés. Dans le temps, il existait des établissements ou des hôpitaux où certaines sections étaient réservées aux aliénés mentaux criminels, comme on les appelait, je crois. Tout à coup, quand on a décidé de fermer ces sections réservées, on a fait cadeau à Service correctionnel de bon nombre de ces patients. À mon avis, on s'attendait à ce qu'il lui soit plus facile de les gérer, mais je sais que cela n'est pas le cas.

Si une crise se produit, avez-vous une équipe de gestion de crise? Pourriez-vous brièvement me dire ce que vous feriez?

M. Head : Merci, madame la sénatrice. Avant de répondre à votre question, j'aimerais dire que j'ai commencé à travailler à Service correctionnel il y a 37 ans, en 1978. À ce moment-là, franchement, les personnes manifestant des problèmes de santé mentale comme celles à qui nous faisons affaire aujourd'hui n'étaient pas placées dans les établissements réguliers où je travaillais. Dans les années 1980 et 1990, quand, pour diverses raisons, les provinces et les territoires ont été contraints de fermer leurs sections réservées à ces malades, nous avons assisté à une augmentation du nombre de personnes placées dans les établissements correctionnels. Bien sûr, ces personnes arrivaient avec d'importants problèmes de santé mentale, mais elles avaient aussi eu des démêlés avec la justice. Cela nous a poussés à réexaminer notre façon de procéder.

Même à cette époque, nos interventions auprès des personnes qui affichaient un comportement difficile visaient surtout à assurer la sécurité en essayant de régler leur comportement physique, mais pas nécessairement les facteurs qui causaient ce comportement. C'est seulement au cours des 10 dernières années, environ, et probablement surtout au cours des cinq dernières années, que nous avons mis l'accent plus précisément sur ce qui est à la racine du comportement de beaucoup de ces délinquants.

Depuis cette époque, nous avons mis en place un processus d'évaluation approfondie. Il nous reste du travail à faire sur ce plan, mais nous utilisons divers outils d'évaluation pour déceler les problèmes ou les troubles de santé mentale. Nous avons mis en place des équipes interdisciplinaires, formées de psychologues, d'infirmières, de médecins, de travailleurs sociaux, d'ergothérapeutes et de membres du personnel de première ligne, qui ont comme mandat d'examiner de tels cas et d'envisager des solutions de rechange. Nous continuons d'utiliser nos centres de traitement régionaux, soit les hôpitaux psychiatriques agréés, pour les cas les plus graves. À tout moment, 150 personnes au pays répondent aux critères d'admission, c'est-à-dire qu'elles ont été déclarées malades et qu'elles acceptent et ont besoin de recevoir des soins intensifs 24 heures sur 24.

Nous éprouvons encore des difficultés avec ceux qui ne répondent pas à ces critères. Nous essayons de trouver de nouvelles solutions. Une des choses que nous faisons, c'est de réaffecter certains de nos lits d'hôpitaux au pays de manière à pouvoir au moins fournir des soins continus à ces gens.

Essentiellement, je suis devenu responsable par défaut des soins de santé mentale au pays, alors que ce n'est pas ce à quoi un système correctionnel est censé être destiné.

Le sénateur Wallace : Merci, monsieur Head. Comme vous l'avez expliqué, il est extrêmement difficile de traiter les problèmes de santé mentale dans les prisons. Nous comprenons cela. Vous avez une stratégie en matière de santé mentale. Cependant, à mon avis, nous reconnaissons tous qu'il faut en faire davantage — il est certain que le sénateur Cowan le reconnaît en tant que parrain de ce projet de loi. Il y a encore du travail à faire, mais il reste à déterminer quoi faire exactement.

J'ai été très intéressé par votre description des types de services et d'efforts auxquels vous avez participé. Ce matin, vous avez dit que, à l'heure actuelle, vous êtes en train de peaufiner votre modèle de prestations des soins de santé mentale. J'en déduis que ce modèle n'est pas encore en place, mais que vous y travaillez en ce moment et qu'il se conformera au continuum de soins de l'Organisation mondiale de la santé.

Pourriez-vous nous donner les grandes lignes de ce à quoi le modèle ressemblera? Comment va-t-il améliorer la situation d'aujourd'hui?

M. Head : Merci, sénateur. Encore une fois, je pense que je vais commencer par dire que nous essayons de combler des lacunes. Ce que je peux faire ne remplacera jamais une bonne stratégie communautaire en matière de santé mentale. Voilà ce dont nous avons besoin. Honnêtement, à mon avis, il faudrait effectuer une évaluation différente et adopter une approche différente pour intervenir auprès des personnes dès leurs premiers démêlés avec la loi — avant qu'elles n'arrivent à ma porte. Je les récupère à la toute fin du processus.

En attendant, notre approche comporte trois volets, comme je l'ai mentionné brièvement. Premièrement, nous offrons des soins psychiatriques de longue durée à l'hôpital pour les quelque 150 cas les plus graves, soit les gens qui sont déclarés atteints d'une maladie mentale ou qui correspondent à cette définition et qui acceptent de recevoir des soins à l'hôpital 24 heures sur 24. Deuxièmement, nous réservons 620 ou 630 lits dans nos établissements d'un bout à l'autre du pays aux personnes qui ont besoin de ce que nous appelons des soins intermédiaires. Elles ont de grands problèmes de santé mentale et ont besoin de soins plus intensifs, mais elles ne répondent pas aux critères établis pour être admis dans un des hôpitaux psychiatriques. En général, ce sont aussi des individus qui n'acceptent ni d'être logés à l'hôpital ni de participer à des programmes dans un établissement de soins psychiatriques. Comme vous le savez, aux termes des règles qui s'appliquent aux hôpitaux agréés, les personnes qui n'ont pas été déclarées atteintes d'une maladie mentale et qui n'acceptent pas de recevoir des soins intensifs sur place ne peuvent être admises à l'hôpital. Elles sont donc renvoyées dans mes établissements réguliers. Nous leur offrons donc des soins intermédiaires et nous nous assurons qu'elles aient accès aux services dont elles ont besoin sans être physiquement dans un hôpital psychiatrique. Dans certains de nos établissements psychiatriques, nous réaffectons des lits aux soins intermédiaires et nous gardons ces personnes même si elles ne consentent pas à être dans le principal hôpital psychiatrique; cela leur permet d'avoir accès à tous les mêmes services.

Nous renforçons nos équipes interdisciplinaires de manière à pouvoir répondre aux besoins fondamentaux des délinquants sur le plan de la santé mentale. Nous mettons aussi sur pied des équipes de soins ambulatoires qui peuvent suivre les détenus d'un établissement correctionnel à un autre dans le système, pour assurer une certaine continuité des soins.

De plus, nous améliorons l'ensemble de nos processus d'évaluation pour nous assurer de bien comprendre les troubles en santé mentale des délinquants. Cela nous permettra de prévoir les interventions qui répondent à leurs besoins, du moins au début, pendant qu'ils sont à notre charge. Toutefois, idéalement, nous voulons aussi être en mesure de prévoir une approche intégrée pour eux quand ils retourneront dans la collectivité, afin qu'ils sachent avec qui communiquer pour avoir accès aux soins dont ils ont besoin après l'expiration de leur mandat.

Le sénateur Enverga : J'aimerais surtout faire un suivi au sujet de l'étape de la transition. Selon les résultats attendus, il serait question d'une transition de la collectivité vers le système correctionnel plutôt que d'une réintégration dans la collectivité. Quel pourcentage de personnes retournent dans la collectivité et combien d'entre elles sont renvoyées dans vos établissements?

M. Head : Vous posez une excellente question, sénateur. Au cours des premières étapes de l'évaluation de l'initiative sur la santé mentale dans la collectivité, nous avons trouvé que les personnes ayant eu accès aux services de soins de santé mentale pendant qu'elles étaient à notre charge et qui retournent dans la collectivité ont 34 p. 100 moins de chances de voir leur libération conditionnelle révoquée et ont 64 p. 100 moins de chances de récidiver. Par conséquent, nous savons que si nous réussissons à déterminer quelles personnes ont ces problèmes et quels sont leurs besoins et si nous leur donnons accès à des soins de santé mentale, quand elles feront leur transition à la collectivité, elles auront moins de chances de récidiver et d'être ramenées à court terme.

Un des plus gros défis à relever après que leur mandat est expiré et qu'elles ne sont plus à notre charge dans la collectivité, c'est de voir comment les mettre en contact avec les personnes qui peuvent leur offrir les services dont elles ont besoin et comment maintenir ces liens afin qu'elles n'aient plus de démêlés avec la justice.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Je ne suis certainement pas une experte dans le domaine des établissements de santé mentale ou au sujet de ce qui est arrivé dans le passé. Or, d'après ce que je comprends, au fur et à mesure que des drogues et des traitements ont été mis au point et sont devenus plus courants, les malades ont été libérés des résidences, des asiles et des endroits où ils avaient été pris en charge, mais ils n'ont pas pu s'en sortir pour une raison ou une autre. Souvent, ils étaient responsables de prendre leurs médicaments, et s'ils ne les prenaient pas, leur comportement posait problème.

Dans le système correctionnel canadien, soignons-nous ces gens à l'aide de médicaments? Craignez-vous que, après l'expiration de leur mandat, quand ils ne seront plus supervisés, le même problème se reproduise?

Dans le même ordre d'idées, j'aimerais simplement savoir...

Le président : Je vais vous interrompre ici.

La sénatrice Raine : Tout est lié. Toutes les questions portent sur les produits pharmaceutiques. Connaissez-vous un produit appelé EMPowerplus, qui est essentiellement une formule minérale?

M. Head : Merci, madame la sénatrice. En réalité, cette question concerne les soins de suivi.

Pour revenir à la première partie de la question, sous les ordres de psychiatres, qui ont le droit de prescrire des médicaments, certains de nos délinquants prennent des produits pharmaceutiques dans le cadre de leur traitement.

Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, le problème c'est que, lorsque les délinquants sont à notre charge dans les établissements et sous notre supervision dans la collectivité jusqu'à l'expiration de leur mandat, nous sommes capables de les surveiller et de les encourager à continuer de prendre les médicaments qui leur ont été prescrits. Une fois que leur mandat est expiré, nous n'exerçons plus de contrôle sur ce qu'ils font. Si l'individu choisit de ne pas prendre ces médicaments et de ne pas se prévaloir des services qui ont été prévus pour lui, c'est là que leur vie commence à aller mal.

Nous connaissons bel et bien le médicament dont vous parlez. J'ignore s'il a été utilisé ou prescrit par notre personnel, mais nous le connaissons.

[Français]

La sénatrice Chaput : Vous élaborez vos propres programmes de formation dans le domaine de la santé mentale et d'autres dans le même milieu que vous le font aussi.

Croyez-vous qu'il est temps de créer un organisme indépendant qui puisse maximiser les efforts de tout le monde et appuyer la formation qui se fait à un autre niveau?

[Traduction]

M. Head : Merci, madame la sénatrice. J'ai deux brèves observations.

Je suis ouvert à toute organisation possédant les compétences nécessaires pour nous aider à ce chapitre. Je suis ouvert à l'aide de quiconque, qu'il s'agisse de groupes comme le Centre de toxicomanie et de santé mentale, ou CAMH, l'Hôpital Royal Ottawa, l'Hôpital médicolégal East Coast, et même la Commission de la santé mentale du Canada. Jusqu'à ce qu'un organisme quelconque s'en charge, nous continuons à tendre la main aux organisations qui prennent part à ce genre d'activités.

Le président : Lorsque nous ciblons nos questions et que nous obtenons des réponses claires et concises d'un témoin qui connaît son sujet, il est impressionnant de voir le nombre de questions que nous arrivons à poser dans le temps alloué.

Je tiens à remercier mes confrères. Je vous remercie aussi, monsieur Head, de votre comparution d'aujourd'hui.

Je suis ravi d'accueillir les prochains témoins. Nous recevons les représentants du Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada : Howard Sapers, enquêteur correctionnel; et Ivan Zinger, directeur exécutif et avocat général.

J'aimerais rappeler à mes confrères que la séance se terminera au plus tard à 11 h 45.

Howard Sapers, enquêteur correctionnel, Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada : Merci, monsieur le président. Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je suis ravi de comparaître devant vous ce matin. J'ai bien hâte de contribuer à la discussion entourant le projet de loi S-208 et de souligner le leadership dont le comité et le sénateur Cowan ont fait preuve en soulevant cette question.

Ce n'est pas la première fois que votre comité ouvre la voie à ce chapitre. Je suis très conscient de l'apport ayant donné lieu au rapport novateur De l'ombre à la lumière, qui a contribué directement à la création de la Commission canadienne de la santé mentale du Canada, dont nous allons discuter.

Le point de rencontre entre la santé mentale et la justice est à la fois important et complexe. Au fil des ans, on a cherché sans relâche à mieux comprendre la question et à s'y retrouver. Il se peut que le temps soit venu de créer un organisme de haut niveau qui mette davantage en lumière les défis et les pratiques exemplaires, et qui dirige des discussions importantes à ce sujet.

J'aimerais prendre un instant pour parler de la prévalence des troubles de santé mentale dans le système correctionnel canadien. Je sais que vous venez d'entendre le témoignage du commissaire. Je vais tenter de ne pas répéter ses propos, mais je commenterai tout de même la capacité de Service correctionnel Canada de répondre aux demandes grandissantes en matière de soins de santé mentale dans les prisons fédérales. Je conclurai avec certaines pistes de réforme, en parlant notamment du rôle que jouerait une commission.

Je suis accompagné aujourd'hui de M. Ivan Zinger, directeur exécutif et avocat général de mon bureau. M. Zinger parlera maintenant du cadre législatif qui régit les soins de santé dans le système correctionnel fédéral et présentera des données sur la prévalence des troubles de santé mentale.

[Français]

Ivan Zinger, directeur exécutif et avocat général, Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada : Le Service correctionnel Canada est le seul responsable de donner un accès raisonnable aux soins de santé essentiels aux délinquants purgeant une peine de ressort fédéral. En vertu de la loi, et je cite :

La prestation de soins de santé doit satisfaire aux normes professionnelles reconnues.

Le Service correctionnel du Canada est en outre tenu de tenir compte de l'état de santé d'un délinquant et de ses besoins en soins de santé dans toutes ses décisions, y compris le placement pénitentiaire, le transfèrement non volontaire, l'isolement préventif, les mesures disciplinaires, la mise en liberté sous condition et, finalement, la supervision.

Aux termes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, on entend par soins de santé mentale, et je cite à nouveau :

le traitement des troubles de la pensée, de l'humeur, de la perception, de l'orientation ou de la mémoire qui altèrent considérablement le jugement, le comportement, le sens de la réalité ou l'aptitude à faire face aux exigences normales à la vie.

Ces troubles augmentent au fil du temps. Le pourcentage des délinquants sous responsabilité fédérale ayant des besoins connus en santé mentale a plus que doublé entre 1997 et 2008.

En 2007 et 2008, 11 p. 100 des délinquants sous responsabilité fédérale avaient reçu un diagnostic de trouble de santé mentale à leur admission et des services externes étaient fournis à 6 p. 100 d'entre eux.

En outre, 30 p. 100 des délinquantes, par rapport à 14,5 p. 100 des délinquants, avaient déjà été hospitalisées pour des raisons psychiatriques avant leur incarcération.

Le pourcentage de délinquants sous responsabilité fédérale s'étant fait prescrire des médicaments pour des troubles psychiatriques dès l'admission a presque doublé, passant de 11 p. 100 en 1998 à 21 p. 100 en 2008.

Un récent échantillonnage de délinquants entrants suggère des taux de prévalence très élevés pour certains troubles. Entre autres exemples, le taux de prévalence de troubles de l'humeur dans cet échantillon était de 17 p. 100. Le taux de prévalence des troubles liés à l'alcool et à la consommation de drogues se chiffrait à près de 50 p. 100. Les taux de prévalence des troubles de la personnalité limite et des troubles de personnalité antisociale étaient de 16 p. 100 et de 42,5 p. 100 respectivement. De plus, 32 p. 100 des délinquants souffraient de trouble de l'anxiété. Ces taux de prévalence sont de deux à trois fois plus élevés que ceux qu'on retrouve dans la collectivité.

Finalement, à l'heure actuelle, plus de 60 p. 100 des délinquants admis dans un pénitencier fédéral doivent faire l'objet d'une évaluation ou d'une intervention de suivi en matière de santé mentale. Un instantané pris en août 2014 montre que les psychotropes, quels qu'ils soient, étaient prescrits à 63 p. 100 des délinquantes purgeant une peine de ressort fédéral.

[Traduction]

M. Sapers : Merci, monsieur Zinger.

Il est de plus en plus complexe et coûteux de fournir des soins de santé en milieu carcéral. Une part grandissante de l'enveloppe budgétaire des services correctionnels y est consacrée. Le coût total annuel des soins de santé dans les établissements correctionnels fédéraux dépasse maintenant 210 millions de dollars. Le coût de la prestation de soins de santé physique aux détenus représente la plus grande partie du budget, soit près de 70 p. 100 ou environ 150 millions de dollars. Pour leur part, les soins en santé mentale comptent aujourd'hui pour environ le tiers du total, soit 66,4 millions de dollars.

Chez les délinquants souffrant de troubles mentaux, les symptômes peuvent se manifester sous forme de comportements perturbateurs, agressifs, violents ou autodestructeurs, de pensées suicidaires, de retrait, de refus ou même d'incapacité de se conformer aux directives ou aux règles. L'an dernier, il y a eu plus de 1 000 blessures auto- infligées par 295 délinquants dans des prisons fédérales, soit trois fois plus qu'il y a cinq ans. Les incidents impliquant un comportement autodestructeur grave ont représenté près de 20 p. 100 des interventions avec recours à la force examinés par mon bureau au cours du dernier exercice. Selon les dossiers de Service correctionnel Canada, des préoccupations en matière de santé mentale ont été soulevées dans près de 30 p. 100 des interventions avec recours à la force en 2013-2014.

Sur le plan des résultats correctionnels, les constatations d'une recherche effectuée par le Service correctionnel du Canada démontrent que les délinquants purgeant une peine de ressort fédéral et souffrant de troubles de santé mentale sont : plus susceptibles d'être considérés à risque élevé et d'avoir des besoins plus importants; plus susceptibles d'être placés dans un établissement à sécurité maximale; moins susceptibles de se voir accorder une libération conditionnelle et plus susceptibles d'obtenir une libération d'office; plus susceptibles de purger une plus grande partie de leur peine derrière les barreaux; plus susceptibles de voir leur libération conditionnelle révoquée en raison de manquements d'ordre technique aux conditions, s'ils sont libérés sous condition; et enfin, plus susceptibles de faire l'objet d'un plus grand nombre d'accusations d'infractions disciplinaires mineures et graves menant à un taux plus élevé de placements en isolement sollicités et non sollicités.

Ce portrait des besoins importants, des risques élevés et des résultats décevants devient encore plus problématique lorsque l'on considère l'incidence de la toxicomanie et de la dépendance sur les problèmes de santé mentale. Les troubles de santé mentale, seuls ou combinés à l'abus d'alcool ou à la toxicomanie, constituent un défi important en matière de soins de santé et de sécurité publique.

Au moment de leur admission, 80 p. 100 des délinquants sous responsabilité fédérale ont de graves problèmes de toxicomanie. Plus de la moitié des délinquants ont indiqué que la consommation d'alcool ou de drogues avait contribué à la commission de leur infraction. Plus de 90 p. 100 des délinquants pour lesquels une forme de maladie mentale a été diagnostiquée sont atteints d'au moins un autre trouble, habituellement, mais pas toujours, une dépendance à une substance.

[Français]

M. Zinger : Le Service correctionnel du Canada possède actuellement cinq centres régionaux de traitement exploités conformément aux lois provinciales applicables en santé mentale. Ces centres offrent des soins hospitaliers pour des problèmes de santé mentale aigus et chroniques, principalement des troubles psychiatriques.

La capacité totale de ces centres de traitement est de moins de 700 lits, soit une capacité d'hospitalisation de 4,5 p. 100 de la population carcérale totale. Le coût total d'exploitation des centres régionaux s'élève à environ 110 millions de dollars par année.

La grande majorité des détenus qui requièrent une intervention en santé mentale ne répondent pas aux critères d'admission des centres régionaux de traitement. Outre quelques projets-pilotes, le Service correctionnel du Canada n'a actuellement ni la capacité ni les services nécessaires dans ses pénitenciers réguliers pour répondre aux besoins des délinquants dont l'état ne justifie pas une hospitalisation.

Pour répondre aux besoins intermédiaires en soins de santé mentale, le Service correctionnel du Canada met actuellement en œuvre un plan qui conduira à l'abolition de jusqu'à 500 lits de soins psychiatriques dans les centres régionaux. Ce plan vise à réaffecter les ressources de soins aigus de manière à créer une capacité pour un modèle optimal de soins de santé mentale.

[Traduction]

M. Sapers : Dans une série de rapports et d'enquêtes publics, j'ai souligné plusieurs axes de réforme de la capacité et de la prestation de services de santé mentale dans le système correctionnel fédéral. Pour conclure, permettez-moi de préciser quels sont, selon moi, les besoins les plus criants en matière de soins de santé mentale en milieu carcéral au Canada. Bien que cette liste ne soit pas exhaustive, elle constitue un important point de départ pour amorcer le dialogue, établir les priorités et mettre en œuvre des réformes.

Il faut maintenant recruter et maintenir en poste un plus grand nombre de professionnels de la santé mentale dans les établissements. Dans les prisons, nous devons traiter l'automutilation grave comme un trouble de santé mentale, et non comme un problème de sécurité. Nous devons interdire l'isolement prolongé des délinquants à risque de suicide ou d'automutilation, et de ceux qui ont un problème grave de santé mentale. Nous devrions élargir les partenariats avec les provinces et les territoires relativement à la prestation d'autres services de santé mentale. Il faudrait nommer des défenseurs des droits des patients ou des coordonnateurs de la qualité des soins indépendants dans chacun des cinq centres psychiatriques régionaux de Service correctionnel Canada, et fournir des services de soins de santé ininterrompus dans tous les établissements à sécurité maximale et moyenne et à niveaux de sécurité multiples.

Pour que la réforme prenne racine dans le milieu correctionnel, il faut s'éloigner de l'intervention axée sur la sécurité devant les gestes et les comportements qui découlent d'un trouble de santé mentale. Répondre aux symptômes ou aux manifestations d'une maladie mentale avec du gaz poivré, avec des moyens de contention physiques ou chimiques ou encore avec des périodes prolongées dans une cellule d'observation ou d'isolement ne favorisera pas une amélioration de la santé mentale, et, ultimement, ne renforcera pas la sécurité publique. Il y a toujours, dans les pénitenciers, quelques délinquants souffrant de troubles de santé mentale dont les symptômes, les comportements ou la gravité sont trop importants pour que Service correctionnel Canada les prenne en charge en toute sécurité. Ces délinquants devraient être transférés en priorité dans des hôpitaux psychiatriques provinciaux ou dans des établissements médicolégaux.

Bien que ces réformes soient instamment requises et importantes, je suis conscient qu'elles ne peuvent pas être réalisées uniquement par Service correctionnel Canada. Dans le cadre de mon enquête sur la mort d'Ashley Smith, j'ai suggéré la création d'une stratégie nationale qui assurerait une meilleure coordination entre les systèmes correctionnels et les systèmes de santé mentale fédéraux, provinciaux et territoriaux. Le projet de loi S-208 reconnaît que les provinces et les territoires, ainsi que l'ensemble des intervenants du système de justice pénale, ont un rôle important à jouer pour assurer un système de prestation cohérent, intégré et continu, un système qui prend en charge les délinquants dès le début et qui assure un suivi auprès de ceux qui réintègrent la collectivité. En principe, une commission sur la santé mentale et la justice pourrait fournir l'énergie et la direction nécessaires pour conduire une réforme et un changement à l'échelle nationale. Bien qu'une partie du travail ait été accomplie, il reste beaucoup à faire pour diriger les personnes souffrant de maladie mentale en conflit avec la loi vers une source de traitement, plutôt que de recourir à l'incarcération, où les résultats et les risques sont coûteux et imprévisibles.

Je vous remercie encore une fois de nous avoir invités ce matin. Merci de votre attention, et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci. Je vais maintenant laisser mes confrères poser leurs questions. La règle d'une question par sénateur est invoquée, et nous allons procéder ainsi jusqu'à ce que le temps soit écoulé.

Le sénateur Cowan : Messieurs, je vous remercie d'être avec nous ce matin et de contribuer à la discussion. J'aimerais revenir sur le dernier point que vous avez soulevé à propos de la latitude nécessaire pour diriger les personnes souffrant de maladie mentale dans les établissements appropriés.

J'ai posé une question à M. Head à propos du recrutement de professionnels de la santé mentale, et il m'a répondu. L'autre volet porte bien entendu sur les contraintes des établissements et des budgets dont vous avez parlé dans votre exposé ce matin. Je m'intéresse à la question et à votre expérience en la matière. Comment fait-on? J'ai noté votre remarque sur la fermeture de lits dans les centres régionaux de traitement de façon à réaffecter les fonds. Sommes-nous en train de voler Pierre pour payer Paul?

M. Sapers : Merci, sénateur. Service correctionnel Canada est bien conscient qu'un de ses principaux défis consiste à jumeler la capacité aux besoins en santé mentale. Le système n'a jamais été conçu pour être le fournisseur de soins de santé mentale par défaut, mais c'est ce qu'il est devenu.

Le recrutement et le maintien en poste de professionnels sont d'une importance capitale, tout comme l'espace physique et la qualité des locaux. Par exemple, nous avons récemment assisté à la fermeture du Centre régional de traitement, en Ontario, qui se trouvait sur le terrain du Pénitencier de Kingston. Certains des individus qui y étaient détenus ont été déménagés dans deux établissements. Il y a toutefois eu de nombreuses interruptions sur le plan des soins, des traitements et des relations thérapeutiques. La consolidation et les déménagements sont toujours en cours.

L'autre changement en train d'être opéré, à savoir la fermeture de deux tiers ou plus des lits actuellement désignés pour les soins de courte durée, est fort troublant. Puisque ces lits sont occupés, nous pouvons en conclure que le personnel clinique ayant pris les décisions en matière d'admissions et de mises en congé n'a pas bien fait son travail puisque les gens qui occupent les lits ont maintenant des besoins. Nous nous sommes déjà penchés sur la question. En fait, je pense qu'une des recommandations de votre rapport De l'ombre à la lumière visait à augmenter la capacité des soins de courte durée de Service correctionnel Canada, et non pas à la diminuer.

En revanche, sénateur, la Stratégie en matière de santé mentale de Service correctionnel est excellente. Elle comporte cinq volets. Un aspect important se rapporte aux soins intermédiaires. Or, le service n'a jamais réussi à financer et à mettre en place cette composante de sa stratégie, de sorte qu'il est maintenant en train de réaffecter les ressources des soins de courte durée pour enfin pouvoir offrir des soins intermédiaires. Ce service sera important et diminuera le fardeau des établissements en leur offrant une solution de rechange à l'isolement. Les soins intermédiaires sont souhaitables, mais je crains fort qu'ils soient mis en place aux dépens des soins de courte durée. La demande à ce chapitre n'a pas diminué. Je connais le modèle de l'Organisation mondiale de la santé. Je suis au courant de la présentation qu'on en fait et de ceux qui en font la promotion. Ce n'est rien de plus qu'un modèle à appliquer qui doit être adapté aux populations particulières, mais je n'ai vu aucune adaptation semblable. À bien des égards, Service correctionnel Canada a encore du pain sur la planche.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup, monsieur Sapers.

Votre bureau sert d'ombudsman pour les délinquants sous juridiction fédérale. Vous assurez donc un examen indépendant en tenant une enquête au sujet des préoccupations individuelles et systémiques. C'est ce qui était écrit sur votre site web. J'ai donc l'impression que ma question est justifiée.

La Commission de la santé mentale du Canada n'a aucune assise législative, pour ainsi dire. Même si l'incertitude entourant sa longévité peut être un désavantage, comme le sénateur Cowan l'a souligné hier, la commission a l'avantage de n'avoir aucun lien de dépendance avec le gouvernement.

À votre avis, quelles sont les conséquences de créer une commission dont le fondement ou pouvoir législatif est prévu au projet de loi? Cette assise a-t-elle une incidence sur la crédibilité ou le pouvoir de la commission qui sera créée?

M. Sapers : Je vous remercie infiniment de la question. Vous ne serez pas surprise d'apprendre que j'ai une idée sur l'importance des mesures législatives et du pouvoir légal. Mon bureau profite bel et bien d'une telle situation. L'assise est un gage de stabilité et de continuité. Elle élimine par exemple la question devant laquelle se trouve actuellement la Commission de la santé mentale : l'organisation existera-t-elle au-delà de 2017? Il ne faut pas sous-estimer l'importance d'une telle certitude.

Cela ne veut pas dire que les organismes ou organisations ne peuvent pas exister sans pouvoir légal, ni que ces pouvoirs ne devraient jamais devenir caducs ou être révisés de temps à autre. Quoi qu'il en soit, je peux vous dire que je trouve très important que mon bureau ait un fondement législatif.

Le sénateur Eggleton : Je vous remercie de votre exposé. Ce sont des chiffres très surprenants que vous nous avez donnés. L'augmentation des problèmes relatifs à la santé mentale dans le système carcéral semble devenir incontrôlable pour les établissements.

En fait, M. Head a dit qu'une des difficultés, c'est que certaines prisons situées dans des régions éloignées n'arrivent pas à attirer les professionnels des collectivités avoisinantes. La situation laisse entendre qu'il pourrait s'agir d'un problème majeur pour les patients de ces établissements souffrant de troubles mentaux. Avez-vous des propositions sur la façon de gérer la question?

M. Sapers : Oui, et je vous remercie de la question. Comme je l'ai dit, le recrutement et le maintien en poste sont des problèmes de taille. Le salaire pose problème.

Lorsque nous discutons avec des associations professionnelles, celles-ci nous parlent de la mobilité interprovinciale, des exigences en matière de permis et du perfectionnement professionnel. Un certain nombre d'obstacles empêchent les professionnels de la santé de venir travailler pour Service correctionnel Canada, que les prisons se trouvent en milieu éloigné ou en milieu plus urbain. Service correctionnel s'est doté d'une stratégie très dynamique en matière de ressources humaines pour s'attaquer à la question, et le problème perdure.

Une des façons serait bien sûr de favoriser les solutions de rechange à l'incarcération fédérale pour cette population, à commencer par la police, les procureurs, le rôle des tribunaux et surtout des tribunaux de la santé mentale, et d'essayer de trouver des solutions non carcérales pour ceux qui ont surtout besoin d'un traitement.

Une certaine population pourrait être prise en charge de façon sécuritaire dans le milieu, avec des peines sous surveillance purgées dans la communauté parallèles à un traitement. Nous en avons vu des exemples. Il y a par exemple les tribunaux de la santé mentale au Canada. Il y a des équipes d'intervention et de diversion policières partout au Canada. Il existe de bons exemples à ce chapitre, mais ils sont tout à fait propres à chaque situation. Si nous envoyons moins d'individus atteints de troubles mentaux en prison, les problèmes de capacité vont s'améliorer. Les établissements correctionnels auront toujours besoin de ressources en santé mentale puisque certains peuvent devenir malades pendant leur incarcération, mais ce serait un excellent point de départ.

La sénatrice Nancy Ruth : Dans votre document, vous affirmez que 30 p. 100 des femmes délinquantes et 14,5 p. 100 des hommes délinquants ont déjà été hospitalisés pour des raisons psychiatriques. Dans le cadre de nos délibérations, d'autres ont dit que les femmes détenues ont généralement plus de problèmes de santé mentale que les hommes.

J'ai supposé que cela pouvait avoir affaire avec l'inceste, le viol, l'agression sexuelle, le trafic de personnes et d'autres problèmes de ce genre. Êtes-vous d'accord et, d'après vous, quoi d'autre pourrait expliquer la différence dans les statistiques?

M. Sapers : Merci, madame la sénatrice. C'est une caractéristique très troublante de l'incarcération. L'augmentation du taux d'incarcération des femmes dans ce pays est spectaculaire. En fait, elle est étonnante, s'agissant des femmes autochtones. Dans leur cas, le taux est énorme.

Lorsque l'on songe à la vie de ces femmes, elle est, presque sans exception, traumatisante. Je ne veux pas dire par là qu'elles ne sont pas coupables du crime qu'elles ont commis, mais que lorsque l'on songe à la vie qu'elles ont vécue, on ne peut pas s'empêcher de voir en elle des victimes. Ces femmes ont souvent été maltraitées de toutes les manières inimaginables. Elles ont essayé de faire face, quelquefois sans succès, en prenant des médicaments ou des drogues, et c'est troublant. C'est une population extrêmement traumatisée et vulnérable. Le Service correctionnel du Canada s'occupe de mieux en mieux de ces questions, mais si l'on songe au nombre d'incarcérations, le problème n'est pas résolu.

Bien des raisons expliquent pourquoi les femmes entrent en conflit avec la loi et, une fois qu'elles le sont, pourquoi elles reçoivent des peines d'emprisonnement. Mais finalement, il s'agit d'un segment de la population extrêmement à risque, très vulnérable et traumatisé.

La sénatrice Stewart Olsen : Ma question concerne ce que vous faites en réalité. Interrogez-vous les gens à risque dans les institutions? Est-ce que ces interviews font partie de votre rapport et à qui remettez-vous ce dernier?

M. Sapers : Comme on l'a dit, le Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada sert d'ombudsman pour les délinquants sous responsabilité fédérale. Les plaintes que nous recevons proviennent directement des détenus ou de leur famille. Nous donnons quelquefois suite à une demande du ministre de la Sécurité publique et la loi prévoit que nous procédions nous-mêmes à des enquêtes. Mon pouvoir concerne donc ce qui fait l'objet d'une enquête, la façon dont cette dernière est conduite et rapportée, et la façon dont elle se termine.

L'an dernier, nos enquêteurs ont passé environ 400 jours dans les institutions fédérales pour rencontrer les détenus et le personnel, et essayer de résoudre les plaintes jugées fondées. Lorsque les plaintes ne sont pas jugées fondées, nous en avisons le détenu.

Cette année, nous avons reçu 18 000 appels sur nos lignes téléphoniques sans frais. L'an dernier, notre site web a été consulté environ 7 millions de fois et nous avons ouvert des centaines de dossiers d'enquête. En un an, nous examinons entre 1 000 et 1 200 dossiers faisant état de recours à la force.

La nature de l'enquête varie en fonction du dossier et de la plainte. Souvent, les questions sont réglées au niveau inférieur. Notre intention est de toujours les régler le plus rapidement possible au niveau inférieur, c'est-à-dire au niveau de l'établissement.

Mes services publient un rapport annuel, qui est présenté au Sénat et à la Chambre des communes. Le bureau a également le pouvoir qui lui est conféré par la loi de publier des rapports spéciaux et, au cours des dernières années, il a fait des enquêtes sur les problèmes systémiques et d'intérêt public. Par exemple, nous avons récemment publié des rapports sur les automutilations chez les femmes, le suicide dans les établissements fédéraux et sur le processus d'examen des décès suivi par le Service correctionnel du Canada.

[Français]

La sénatrice Chaput : Je vous remercie, messieurs, pour votre présentation si claire et si précise. Vous suggérez la création d'une stratégie nationale afin d'assurer une meilleure coordination entre les systèmes correctionnels et les systèmes de santé mentale, que ce soit au palier provincial, territorial ou fédéral. Si le comité arrivait avec une telle recommandation, à votre avis, devrait-il l'accompagner d'un financement additionnel pour arriver à répondre aux besoins de cette stratégie nationale?

M. Zinger : Le Service correctionnel Canada a développé une stratégie nationale de concert avec les provinces, les territoires et la Commission de la santé mentale du Canada à la suite de l'une de nos recommandations. Nous avons un exemplaire de la stratégie que nous remettrons au comité.

C'est un outil de travail qui vise à renforcer la coordination entre les provinces, le fédéral et les territoires. Cela a une très grande valeur ajoutée. Par contre, vous avez soulevé, ce qui est tout à fait excellent, que la stratégie n'est pas accompagnée de fonds ou de ressources pour sa mise en place, mais elle existe.

La sénatrice Chaput : Et c'est vous qui la coordonnez?

M. Zinger : Non. Nous avons fait la recommandation et le service l'a acceptée. Il est allé de l'avant et a élaboré ce document en partenariat avec les provinces. C'est surtout pour essayer de faciliter la coordination des services entre le fédéral et le provincial ainsi que pour développer de bonnes pratiques. C'est une très bonne stratégie, mais, comme vous le dites, elle n'a pas été financée jusqu'à maintenant.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Merci de votre exposé. Je comprends que vous vous entretenez régulièrement avec des détenus fédéraux. Avez-vous, à l'occasion de ces entretiens, remarqué des tendances qui feraient qu'ils ne seraient pas en prison s'il y avait eu intervention précoce de la part du système de soins de santé provincial? Avez-vous constaté des tendances de ce genre?

M. Sapers : Sénateur, je vous suis très reconnaissant de votre question, mais il est très difficile d'y répondre. J'ai des opinions et des impressions, mais je suis également très conscient du fait que les hommes et les femmes incarcérés dans des pénitenciers fédéraux ont été condamnés par un juge. Ils ont donc été trouvés coupables d'une infraction.

Tout ce qui les a amenés à ce moment de leur vie a dû peser dans la condamnation et même dans les modalités de la poursuite. Mais une fois que cela est fait, il revient au Service correctionnel du Canada de gérer la peine et de s'occuper, conformément à sa responsabilité légale, des besoins de santé, y compris les besoins de santé mentale, des hommes et des femmes qui lui sont envoyés par les tribunaux.

J'ai personnellement traité des cas que j'ai trouvé très troublants et frustrants, car il m'était impossible de comprendre comment ces personnes avaient fini dans un pénitencier, mais cela dépasse largement le pouvoir d'un enquêteur correctionnel. Ces gens ont été envoyés en prison par le tribunal et il incombe alors au Service correctionnel du Canada de s'en occuper.

Le sénateur Patterson : J'aimerais poser une question à M. Sapers. Vous avez fait l'éloge du comité pour la publication du rapport De l'ombre à la lumière et pour la création de la Commission de la santé mentale du Canada. Comme vous le savez, cette commission a élaboré en 2012 une stratégie portant sur des recommandations visant à améliorer la santé mentale dans le système de justice pénale. Par la suite et toujours en 2012, au niveau fédéral- provincial-territorial, les autorités responsables du service correctionnel ont publié une Stratégie détaillée sur la santé mentale en milieu correctionnel au Canada, qui touchait toute une gamme d'enjeux, dont la promotion de la santé, le dépistage et l'évaluation, les traitements et les services, la prévention du suicide, la formation du personnel et les appuis communautaires.

Vous avez dit qu'il est peut-être temps de créer ce qui me semble être un autre organe de coordination de haut niveau. J'aimerais vous demander si, ce faisant, on ne referait pas ce qui se fait déjà sur le terrain en utilisant des crédits et des services administratifs dont on a un besoin urgent ailleurs?

M. Sapers : Sénateur, il y a toujours la crainte que ces mesures deviennent bureaucratiques et se perpétuent grâce à des fonds qui pourraient être utilisés ailleurs.

Je me permets d'ajouter que mon bureau a contribué à la stratégie fédérale-provinciale-territoriale sur la santé mentale et les services correctionnels ainsi qu'au document stratégique produit par la Commission de la santé mentale du Canada. Je respecte beaucoup le travail de la Commission de la santé mentale du Canada et j'apprécie beaucoup les efforts qu'ont déployés les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux et les autorités responsables des services correctionnels pour mettre au point la stratégie en matière de santé mentale. Mais la Commission de la santé mentale du Canada a un mandat beaucoup plus large que le système de justice pénale, et il ne s'agit de rien d'autre que d'une stratégie qui sert essentiellement de modèle dont on peut s'inspirer. En dépit des efforts déployés par les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux et les autorités responsables des services correctionnels, cette stratégie n'est ni coordonnée, ni suivie, ni évaluée. Elle est là, elle existe et c'est une bonne chose. Mais personne ne vient taper sur l'épaule de quelqu'un pour lui demander : « Alors, que faites-vous de cette stratégie? » Voilà pourquoi j'arrive à la conclusion qu'il est peut-être temps de créer ce genre d'instance, qui s'intéresse au point de jonction entre la santé mentale et la justice pénale et qui peut, par exemple, examiner la mise en œuvre, dans le système carcéral fédéral, du modèle de soins optimal qu'a proposé l'Organisation mondiale de la santé et en arrive à une conclusion indépendante, fondée sur l'expertise clinique et l'expérience mondiale, s'agissant de l'application convenable et correcte de ce modèle de soins.

Le président : Sénateur Wallace.

Le sénateur Wallace : M. Sapers a déjà traité la question que j'allais soulever en réponse au sénateur Patterson.

Le président : Pour terminer la période de questions, je donne maintenant la parole au sénateur Cowan, puis au sénateur Eggleton.

Le sénateur Cowan : À ce sujet, de nombreux témoignages laissent entendre que d'autres organismes pourraient s'en occuper, que leur mandat est suffisamment large pour cela et qu'il y a une stratégie qui permettrait à un particulier ou à un organisme de le faire. Mais ce que je voulais faire valoir en présentant ce projet de loi — et je pense que vous l'avez fait dans vos derniers commentaires — est que le fait d'avoir une stratégie dont on peut s'inspirer n'est pas la même chose que passer à l'action. Ne convenez-vous pas avec moi qu'il faut un organisme — nouveau ou actuel — auquel on confierait le mandat et les ressources correspondantes pour accomplir ce sur quoi nous sommes tous d'accord, mais qui n'est pas accompli? Êtes-vous d'accord?

M. Sapers : Pour le dire simplement, sénateur, oui, je le serais. Qu'il s'agisse d'un nouvel organisme ou d'un organisme actuel dont on renforcerait le mandat n'est pas ce qui m'inquiète. Ce que je souhaite, c'est que la question fasse davantage l'objet d'attention et de coordination.

Le sénateur Eggleton : En présence de M. Head, j'ai fait valoir les témoignages présentés hier par le CAMH, selon lesquels le taux de suicide dans le système correctionnel fédéral est sept fois plus élevé que la moyenne nationale. Je lui ai parlé des cas d'Ashley Smith et d'Edward Snowshoe et de toute la question de l'isolement cellulaire.

Il m'a répondu qu'on ne qualifie pas vraiment cette mesure d'isolement cellulaire, mais d'isolement préventif. J'ai essayé de comprendre la différence qu'il y avait entre les deux. La seule chose que j'ai comprise, c'est que les personnes qui en font l'objet peuvent recevoir de l'aide d'un professionnel en santé mentale, mais qu'ils se retrouvent essentiellement dans les mêmes cellules. Avez-vous des commentaires d'ordre général à ce sujet ou des précisions sur la définition ou la différence?

M. Sapers : Merci, sénateur.

Au Canada et au niveau fédéral, ce genre d'isolement est qualifié de préventif. Pour être honnête, il ne s'agit que de sémantique. Au niveau fédéral, cette mesure est régie selon un cadre juridique et stratégique assez rigoureux, mais l'on se pose toujours des questions sur ceux qui en font l'objet et pour quelles raisons, et sur ceux qui prennent la décision d'imposer l'isolement préventif et d'y mettre fin.

Ce qui distingue l'isolement préventif tel que pratiqué au Canada de l'isolement cellulaire pratiqué disons, à Hollywood, c'est l'application d'un cadre juridique et stratégique. Cela dit, le recours à l'isolement est étonnamment élevé au Canada. En fait, il n'y a pas de limite et l'isolement peut être de durée indéterminée, même si, selon la loi, la mesure doit être la moins contraignante possible. En outre, nous n'interdisons pas l'isolement de gens pour lesquels on a posé un diagnostic de maladie mentale grave ou qui risquent de se suicider ou de s'automutiler. En fait, selon l'étude que nous avons menée sur les 30 derniers suicides survenus dans les établissements correctionnels fédéraux, près de 50 p. 100 — soit 14 suicides sur 30 — sont survenus dans des cellules d'isolement.

Les détenus confinés dans ces cellules sont souvent à haut risque et en dépit de la rigueur entourant la gestion de l'isolement, nous constatons des lacunes dans cette gestion.

Le président : Pour conclure, j'aimerais vous poser une question au sujet des statistiques globales. Les chiffres que vous nous donnez sont évidents, et je les comprends. Avons-nous des chiffres qui répondent à la question suivante : est- ce que nous nous sommes améliorés s'agissant de déterminer les troubles mentaux sous-jacents?

Deuxièmement et s'agissant des défis que présente la santé mentale, quels changements avons-nous remarqués au cours des 20 dernières années au sein de la population générale?

M. Sapers : Merci, sénateur. Je peux certainement vous fournir des statistiques comparées. Celles que j'ai en mémoire concernent la population carcérale. Celles que je demande à mes collaborateurs de me fournir concernent la population générale.

Je peux vous dire que le Service correctionnel du Canada s'est beaucoup amélioré s'agissant d'identifier et d'évaluer les troubles mentaux. Nous avons par exemple mis en œuvre un processus d'évaluation informatisé. Nous avons fait beaucoup de progrès dans le dépistage. Nous sommes par ailleurs beaucoup plus sensibilisés aux besoins de la population carcérale en matière de santé. En conséquence, on se soucie du pourcentage de maladies mentales, qui n'a pas vraiment augmenté. Ce qui a augmenté, ce sont nos connaissances sur le pourcentage de troubles mentaux au sein du système, ce qui est probablement vrai en partie.

En revanche, il y a encore des choses que nous ne dépistons pas ou ne dénombrons pas systématiquement.

C'est le cas par exemple des troubles cognitifs, des déficiences intellectuelles, des traumatismes cérébraux et de l'ETCAF, qui sont rarement signalés. Si l'on songe à tous les enjeux de santé mentale dans les prisons, nous n'avons toujours pas ce que j'appellerais des faits avérés ou un tableau précis. Nous connaissons les tendances et même si une toute petite partie de l'augmentation s'explique simplement par un meilleur dépistage de notre part, ces tendances restent alarmantes.

Le président : Merci beaucoup. Si vous avez des chiffres, nous vous saurions gré de les communiquer à la greffière. Sur ce, je tiens, au nom du comité, à vous remercier de votre témoignage.

Pour cette dernière partie de la séance, je souhaite la bienvenue aux témoins suivants : la directrice générale de la Société John Howard du Canada, Catherine Latimer, et par vidéoconférence, Kim Pate, directrice générale de l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry.

J'inviterai Mme Pate à faire son exposé en premier, car elle témoigne à distance, et j'aimerais profiter du temps pendant lequel la technologie fonctionne.

Je rappelle à nos collègues que la séance se terminera au plus tard à 12 h 30 et que pour les rondes de questions suivantes, la règle d'une question par sénateur s'applique.

Sur ce, je vous invite à faire votre exposé, madame Pate.

Kim Pate, directrice générale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Merci beaucoup, monsieur le président. Et merci beaucoup au comité de m'avoir invitée à témoigner au nom de l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry. Notre association connaît très bien le dossier dont vous êtes saisis en raison de l'action que nous menons dans tout le pays auprès des femmes et des filles victimisées, marginalisées, criminalisées et institutionnalisées.

On aurait du mal à redire de cette mesure législative en soi, car tous les efforts déployés pour s'assurer d'avoir les services de santé mentale appropriés pour empêcher les gens d'être criminalisés d'une part, et pour les traiter une fois qu'ils sont criminalisés et au moment de leur remise en liberté d'autre part, sont tous d'excellents efforts.

J'aimerais signaler cependant que le Comité permanent de la sécurité publique et nationale a été saisi de la question et a publié un rapport en décembre 2010. Le rapport contient des recommandations qu'il serait très utile de mettre en œuvre sans tarder, plutôt que de songer à mettre sur pied une autre commission dont le mandat ferait peut-être double emploi avec celui de la Commission de la santé mentale actuelle.

Je rappelle au comité que les recommandations qui avaient été faites au sujet de la santé mentale, de la toxicomanie et de l'alcoolisme dans le système carcéral fédéral portaient essentiellement sur les mêmes enjeux, mais étaient axées sur des mesures à prendre, dont la plupart n'ont pas été prises. Il s'agit en particulier des recommandations sur la prévention et sur les investissements à faire dans la collectivité afin de disposer des ressources nécessaires pour empêcher les gens d'être hospitalisés pour des troubles mentaux et de développer des dépendances.

Les membres du comité ont également visité d'autres pays et ont particulièrement souligné l'importance de certains modèles, comme le modèle norvégien, qui mettent fortement l'accent sur la santé et le bien-être social. En Norvège, en Angleterre et au pays de Galles, ce sont en fait vraiment les ministères de la Santé qui sont chargés de la prestation des services aux gens dans la collectivité qui ne sont pas criminalisés et aux personnes en prison lorsqu'elles réintègrent la société.

Le comité parlementaire a recommandé des modèles proposant une telle intervention, et ce sont les mêmes recommandations qu'a faites l'enquêteur correctionnel à la suite de son enquête sur la mort d'Ashley Smith; ce sont aussi les mêmes recommandations que notre organisme et notre homologue, la Société John Howard, ont faites.

Nous demandons au comité non seulement de se pencher sur la création d'une commission, mais aussi de fournir en fait les ressources nécessaires pour avoir de nouveau des normes nationales plus sévères en matière de soins de santé, de services sociaux et d'éducation et de conclure des accords bonifiés avec les provinces et les territoires qui incluent des normes nationales en ce qui a trait à la prestation de services de santé aux personnes dans la collectivité et à ceux qui sont criminalisés.

J'aimerais également porter une attention particulière aux recommandations de ce comité concernant les Autochtones. Ne perdons jamais de vue qu'encore une fois l'une des recommandations qui sont ressorties de l'enquête sur la mort d'Ashley Smith était d'élaborer de nouvelles ressources semblables à ce qu'a recommandé le comité. Or, jusqu'à présent, il n'y a eu qu'un contrat signé concernant deux places à l'établissement de Brockville, et seulement l'une des deux est occupée. Qui plus est, en plus du soutien psychologique normal, cette femme a besoin de soutien additionnel en raison de ses racines autochtones, de son expérience dans les pensionnats indiens et des sévices physiques et sexuels qu'elle a subis.

Nous aimerions donc vraiment souligner les recommandations présentées dans ce rapport concernant la nécessité d'élaborer des approches en matière de guérison axées sur la culture autochtone pour les détenus autochtones.

Je m'excuse; j'espérais pouvoir y avoir accès. Néanmoins, j'aimerais rappeler une autre des recommandations faites, soit l'ajout de places de soins intermédiaires dans le système carcéral fédéral, et le projet de loi semble en démontrer la nécessité. Le Service correctionnel du Canada a récemment annoncé qu'il y avait plus de places de soins intermédiaires, mais il ne s'agit, en réalité, que du déclassement de certaines places pour faciliter le déplacement des détenus.

Je vais m'arrêter là. J'ai hâte d'entendre vos questions sur les autres recommandations du rapport concernant la grande nécessité d'une surveillance et d'une reddition de comptes et la nécessité de revoir les approches en matière de lutte antidrogue, parce que tous ceux qui assuraient la prestation de services de santé mentale et de lutte contre les dépendances considéraient qu'elles causaient en fait plus de torts et contribuaient à créer plus de problèmes de santé mentale.

Je vous invite à tenir compte des récents travaux réalisés sur les conséquences de l'environnement sur la progression des dépendances et des problèmes de santé mentale.

J'ai hâte de répondre à vos questions, et je vous remercie énormément de nous avoir permis de témoigner, même si je ne pouvais pas être là physiquement à Ottawa aujourd'hui.

Le président : Merci beaucoup, madame Pate.

Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : Je tiens, moi aussi, à vous remercier énormément d'avoir invité la Société John Howard à témoigner devant votre comité pour discuter d'un important projet de loi visant à constituer la Commission canadienne de la santé mentale et de la justice.

Comme bon nombre d'entre vous le savent, la Société John Howard est un organisme de bienfaisance qui s'emploie à trouver des réponses efficaces, justes et humaines aux causes et aux conséquences de la criminalité. Nous avons plus de 60 bureaux partout au Canada, dont un grand nombre d'endroits qui offrent du soutien aux gens qui ont des troubles mentaux et qui ont été pris en charge par le système de justice pénale ou non.

D'entrée de jeu, j'aimerais dire que nous appuyons le projet de loi S-208. À mon avis, nous avons grandement besoin de plus de renseignements et de collaboration, et il faut mettre davantage l'accent sur les problèmes très complexes qui se trouvent à l'intersection de la justice pénale et de la santé mentale. Notre système de justice, notre système de santé et notre société ne traitent pas adéquatement ce problème complexe. Trop de personnes sont envoyées par défaut dans le système de justice pénale en raison d'un manque de ressources communautaires et accessibles en matière de soins de santé en temps opportun. Dans notre droit criminel, les concepts d'aptitude mentale et de maladie mentale ont été définis dans les années 1840 et ne tiennent pas compte des progrès réalisés dans les domaines des sciences neurologiques, des lésions cérébrales et de la vieillesse, soit des facteurs qui peuvent influer sur la capacité d'avoir une intention criminelle et d'avoir la maîtrise de son comportement.

Comme les deux témoins précédents vous l'ont expliqué, les prisons deviennent nos plus grandes résidences pour les gens qui ont des troubles mentaux, mais ces établissements ne sont pas vraiment conçus ou équipés pour offrir les soins dont ces personnes ont besoin. J'avais l'intention de vous donner des statistiques qui démontrent la croissance des besoins en matière de santé mentale dans les prisons, mais je vais m'abstenir, étant donné que le commissaire Head et l'enquêteur correctionnel en ont déjà parlé.

L'absence de soins thérapeutiques dans les prisons fédérales pour vraiment nous occuper de ces problèmes nous préoccupe extrêmement, et c'est aggravé par l'annonce de la fermeture du Centre de rétablissement Shepody à Dorchester, qui est le centre régional de traitement au Canada atlantique, et la perte de cette capacité en matière de soins de courte durée nécessaires dans la région. Bref, nous perdons 50 places qui étaient disponibles pour les gens qui ont des troubles mentaux graves. Nous avons aussi vu la fermeture du centre de traitement en Ontario, et nous attendons toujours la réaffectation des ressources pour ces services.

Nous constatons que beaucoup trop de détenus qui ont des troubles mentaux sont placés en isolement préventif, soit une pratique que nous considérons comme inhumaine et une violation des droits des prisonniers garantis par la Charte. Par ailleurs, les personnes qui sont placées en isolement préventif durant de longues périodes courent un risque élevé de développer des troubles mentaux, et personne ne souhaite en fait que nos prisons empirent la santé mentale ou les troubles mentaux des détenus.

La réintégration dans la société de patients qui ont des troubles mentaux à la fin de leur emprisonnement peut également être complexe, étant donné qu'il faut nous assurer qu'ils reçoivent les soins de santé mentale dont ils ont besoin et que le transfert entre les organismes fédéraux et le système provincial de soins de santé est fait en temps opportun et adéquatement quant à la manière dont nous répondons aux besoins de ces gens dans la collectivité.

En conclusion, nous sommes d'avis que, dans le cas de problèmes complexes comme la santé mentale et la justice, dont divers ordres de gouvernement et diverses disciplines détiennent des parties de la solution, ce serait un atout important d'avoir une commission de la santé mentale et de la justice ayant un vaste mandat qui pourrait vraiment mettre l'accent sur ces domaines importants.

Nous appuyons le projet de loi, mais nous vous recommandons d'élargir sa portée pour inclure les lésions cérébrales, les troubles cognitifs et leurs conséquences sur la criminalité, le système de justice pénale et le système correctionnel.

Je serai ravie de répondre à toutes vos questions.

Le président : Merci.

Passons maintenant aux questions de mes collègues.

Le sénateur Cowan : Merci de vos déclarations de ce matin. Elles sont très utiles.

Madame Latimer, j'aimerais vous poser une question concernant l'élimination des places au centre régional de traitement dont ont parlé MM. Sapers et Zinger dans leur déclaration il y a quelques instants. Selon ce que j'en comprends, 500 des 700 places ont été éliminées, et ces places étaient occupées, selon ses dires. Il s'agit donc d'une réaffectation des ressources, mais ces personnes n'ont pas disparu et ne reçoivent pas les soins et les traitements qu'elles devraient recevoir. Est-ce ainsi que vous le comprenez?

Mme Latimer : C'est certainement préoccupant. Je partage les inquiétudes de l'enquêteur correctionnel, et je me demande si nous répondrons adéquatement à ces besoins pressants à la suite de la fermeture de ces établissements.

Je suis bien entendu plus au courant de ce qui s'est passé à la suite de la fermeture du centre régional de traitement en Ontario; les autorités ont essayé de déplacer les détenus dans divers établissements. Les détenus qui ont des besoins moins graves sont toujours en transition de Collins Bay à Bath. Ils ne sont donc toujours pas arrivés à leur destination finale, ce qui est très déstabilisant pour des gens qui ont des troubles mentaux.

Le plus préoccupant, ce sont probablement les 10 détenus qui ont des troubles mentaux très graves et qui ont été déplacés dans l'ancienne unité d'isolement de l'établissement de Millhaven, à savoir un établissement que l'enquêteur correctionnel a examiné et a jugé nettement inadéquat pour le traitement de détenus qui ont des troubles mentaux très graves.

À mon avis, il y a un véritable problème quant à la capacité générale des services correctionnels d'assurer des services en ce sens, et je crois qu'il nous incombe à tous de mieux faire connaître les limites de leur capacité dans l'espoir que cela entraîne des améliorations et le transfèrement des détenus qui ont des troubles mentaux très graves à d'autres établissements, ce qui aura pour effet d'améliorer la capacité des services correctionnels d'offrir des soins aux détenus qui demeurent dans leurs établissements.

Le président : Madame Latimer, avez-vous dit que les 500 places pour les cas graves n'ont pas été éliminées, mais qu'elles ont plutôt été réaffectées à un autre niveau de soins? Vous ai-je bien compris?

Mme Latimer : Mme Pate aura peut-être d'autres choses à ajouter au sujet des 500 places et du reclassement, mais je faisais en fait allusion à la fermeture des centres régionaux de traitement, soit ceux en Ontario et à la prison de Dorchester, où il y avait 50 places pour les détenus qui ont des troubles mentaux très graves.

Le président : Madame Pate, aimeriez-vous ajouter quelque chose?

Mme Pate : Je suis plus au courant de ce qui s'est récemment passé au centre psychiatrique régional à Saskatoon. Comme vous le savez peut-être, je suis actuellement titulaire de la chaire Sallows en droits de la personne au Collège de droit de l'Université de la Saskatchewan. Je sais que l'Université de la Saskatchewan s'inquiète énormément de sa capacité de continuer de donner au coup de pouce concernant le soutien judiciaire offert par l'entremise de psychiatres, de psychologues et d'autres formes de soutien et de poursuivre les recherches réalisées par l'intermédiaire de l'Université de la Saskatchewan au centre psychiatrique régional.

En gros, ce qui s'est passé, c'est que les places pour les patients qui ont des troubles mentaux graves ou les places dans les hôpitaux psychiatriques sont devenues de simples places en milieu carcéral. Les autorités nous ont notamment expliqué qu'il serait ainsi plus facile de garder les gens dans l'établissement et que cela éviterait de devoir les transférer.

Certains avaient affirmé que cela faisait partie du problème qui découlait de la manière dont les services correctionnels traitaient les détenus comme Ashley Smith. Cependant, cela ne changera pas fondamentalement la façon dont les services correctionnels s'occuperont d'eux. Cela signifie tout simplement que ce ne sont plus des places pour recevoir des soins et que les ressources qui n'étaient déjà pas disponibles, parce que la majorité de ces personnes étaient placées en isolement, seront encore moins susceptibles d'être disponibles.

Nous nous inquiétons grandement de la manière dont le tout sera fait. La décision vient à peine d'être prise. Il est donc difficile d'en prévoir les conséquences à long terme. Par contre, ce qui est clair, c'est que tout le monde dans le milieu, y compris ceux qui travaillent dans les établissements, s'inquiète grandement de l'insuffisance des ressources disponibles pour aider les détenus et de l'augmentation possible de l'utilisation de contraintes chimiques et physiques. Nous constatons déjà une augmentation des comportements d'automutilation.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup à vous deux de vos déclarations.

Hier, des représentants de la Commission de la santé mentale et du Centre de toxicomanie et de santé mentale nous ont parlé des stratégies, des approches et des programmes actuels. Les représentants de la Commission de la santé mentale et du CAMH, je crois, ont notamment souligné l'importance d'adopter une approche intégrée pour nous attaquer à ces problèmes.

Madame Pate, vous avez parlé brièvement des modèles en Norvège et au Royaume-Uni, et vous avez dit que ces modèles mettent l'accent sur la prévention et les investissements dans la collectivité. Je vous serais grandement reconnaissante de bien vouloir nous en parler un peu.

Mme Pate : Dans les modèles en Norvège et au Royaume-Uni, l'administration des services de santé mentale et de lutte contre les dépendances incombe aux ministères responsables, et ce, pour les gens dans la collectivité, les personnes criminalisées ou non criminalisées et les détenus. Bref, ils sont responsables des services de santé mentale appropriés.

La raison normalement évoquée pour ne pas appliquer ce modèle au Canada, c'est le partage des pouvoirs dans les pénitenciers fédéraux. Cependant, en Saskatchewan, nous avons l'exemple parfait d'un endroit où cela se fait depuis un certain temps, mais le mandat multiple, à savoir que la sécurité a toujours préséance sur la santé mentale, est un problème de longue date.

Si tous les services de santé mentale et de lutte contre les dépendances relevaient des services de santé provinciaux — selon ce qui est actuellement possible, l'article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition permet le transfèrement d'une personne à un établissement de soins approprié pour le détenu. Nous avons demandé le transfèrement de détenus à des établissements de santé mentale, et nous avons obtenu gain de cause dans de très rares cas.

Le contrat que le Service correctionnel du Canada a signé à Brockville avec le Centre de traitement St. Lawrence ne vise que deux places, mais il est certainement possible d'en avoir plus. La situation des gens qui ont des troubles mentaux et qui sont placés dans des établissements de santé mentale, y compris ici à Halifax, où je me trouve, à l'hôpital Nova Scotia rattaché à la prison, s'améliore considérablement. Nous constatons normalement une nette amélioration en moins de 24 heures, et ce, même dans le cas des détenus qui ont des troubles psychotiques et des tendances suicidaires. C'était le chef du service de psychiatrie qui a été le premier à demander notre participation au dossier de Marlene Carter, soit la femme qui se trouve à Brockville. Même s'il était le chef du service de psychiatrie, il a très clairement dit que les besoins en matière de sécurité avaient toujours préséance sur les besoins thérapeutiques au centre psychiatrique régional.

Il est devenu très évident que les modèles au Royaume-Uni et en Norvège, où la responsabilité incombe entièrement aux services de santé et l'objectif est donc d'assurer des services de santé mentale adéquats aux gens — les transférer dans la collectivité et continuer de les soutenir dans la collectivité pour qu'il y ait une supervision et un soutien continus lorsqu'ils sont là —, ont été beaucoup plus efficaces en vue d'empêcher les gens de se retrouver en prison et de soutenir ceux qui sont criminalisés et détenus.

Le sénateur Eggleton : J'ai posé des questions aux témoins au sujet de l'isolement, parce que la représentante du Centre de toxicomanie et de santé mentale rapportait hier dans sa déclaration que le taux de suicide dans le système correctionnel fédéral est sept fois plus élevé que la moyenne nationale. Aujourd'hui, l'enquêteur correctionnel nous apprend que la moitié des suicides dans le système correctionnel surviennent en isolement.

Madame Latimer, vous dites dans votre déclaration que « beaucoup trop de détenus qui ont des troubles mentaux sont placés en isolement préventif, soit une pratique que nous considérons comme inhumaine et une violation des droits des prisonniers garantis par la Charte ». Que feriez-vous différemment?

M. Head, lors de son témoignage ce matin, a dit que les gens en isolement côtoient un plus grand nombre de personnes, mais je n'ai toujours pas l'impression qu'il y a eu beaucoup d'efforts en vue de modifier suffisamment le système pour réduire ces problèmes de santé mentale, en particulier concernant les détenus qui ont des tendances suicidaires comme Ashley Smith ou Edward Snowshoe. Qu'est-ce qui devrait être modifié, selon vous?

Mme Latimer : Il y a d'excellentes solutions de rechange qui permettent d'éviter de recourir à l'isolement pour les gens qui ont des problèmes de santé mentale. Je crois que les pénitenciers pourraient avoir des unités résidentielles structurées et d'autres aires ou groupes de cellules où l'on accorderait une attention spéciale aux problèmes de santé mentale, ce qui permettrait d'éviter de placer ces personnes en isolement.

L'isolement aggrave les problèmes de santé mentale de ces personnes. Même chez ceux qui n'ont pas ce genre de problème, il cause des hallucinations et des psychoses, et il les rapproche de l'automutilation et du suicide.

Nous pouvons faire beaucoup mieux. Je crois qu'il faut faire preuve de créativité dans l'organisation des choses de manière à ce que nous soyons forcés de nous demander si l'isolement est vraiment la solution appropriée. Puis, il faudrait offrir d'autres services en ligne. Comme Mme Pate le faisait remarquer, ces personnes n'ont même pas besoin d'être dans un établissement correctionnel fédéral si nous pouvons les transférer ailleurs où les conditions de vie sont meilleures.

Le président : Madame Pate, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Pate : Oui. Je pense en fait que cela commence bien avant le placement en isolement. De son vivant, Ashley Smith n'avait pas été vue comme ayant des problèmes de santé mentale. L'un des problèmes fondamentaux concernant les personnes qui se retrouvent en prison c'est que leur comportement est perçu sous l'angle de la criminalité, ce qui n'est pas surprenant puisqu'elles ont été traitées comme des criminels.

Ainsi, un comportement symptomatique d'un problème de santé mentale ou d'un trouble psychiatrique est considéré comme un comportement répréhensible parce qu'il est perçu sous l'angle de la criminalité lorsque la personne est rendue en prison, ce qui, encore une fois, n'est pas surprenant. Les personnes qui affichent des comportements jugés problématiques se retrouvent en isolement, et je dirais que, la plupart du temps, ce n'est pas parce que les responsables sont mal intentionnés.

Même si la convention onusienne contre la torture indique clairement que le placement en isolement des personnes qui ont des problèmes de santé mentale est de la torture —, et ce, sans égard pour la durée de l'isolement —, la réalité est que si nous ne regardons pas la situation dans son ensemble, nous perdons de vue que ce sont ceux qui peinent à s'adapter au milieu carcéral qui se retrouvent étiquetés comme étant des détenus à sécurité maximale.

Même dans les pénitenciers où des aires et des unités résidentielles ont été aménagées — et il y en a d'excellentes dans les pénitenciers pour femmes — ces personnes n'y vont jamais parce qu'elles sont étiquetées comme étant à sécurité maximale. Cela met bien en évidence le besoin d'envisager d'autres solutions.

Je peux vous donner trois exemples d'établissements qui n'ont pas d'unités d'isolement, et qui réussissent à se débrouiller quand même. Lorsque je travaillais auprès des jeunes, le directeur de l'établissement a décidé qu'aucun jeune ne pouvait être placé en détention — et les Nations Unies ont signalé que la détention ne devrait jamais être utilisée avec des jeunes. Il avait donc établi qu'un membre du personnel qui aurait décidé d'isoler un jeune dans une pièce tranquille — ce qui était l'euphémisme utilisé pour désigner ce genre d'endroit — n'avait pas droit à une chaise et qu'il devait se tenir debout devant la porte de cette pièce et interagir avec le jeune. Or, la mesure a permis de réduire considérablement la durée des séjours en isolement, la faisant passer de plusieurs jours, voire de semaines, à seulement quelques heures.

Au moment de la rénovation du pénitencier de Dorchester, il y a quelques décennies de cela — je débutais dans la profession et je travaillais avec les hommes —, il fut un temps où il n'y avait pas d'unité d'isolement. En lieu et place, les autorités avaient mis au point des façons d'intervenir auprès des détenus qui permettaient au personnel de contenir les problèmes en devenir.

À Kingston, lorsqu'ils s'apprêtaient à fermer le pénitencier pour femmes, ils avaient d'abord l'intention de déménager les femmes dans une aire d'isolement du pénitencier. Mais les femmes ont protesté. Les autorités n'ont pas changé d'avis sur la fermeture, mais l'établissement est resté presque trois ans sans aire d'isolement et même sans secteur à sécurité maximale. Nous avons donc au moins ces trois exemples — trois cas que j'ai connus de près — qui montrent que les autorités carcérales sont en mesure de se débrouiller sans recourir à l'isolement. Mais lorsque l'isolement est possible, c'est presque assurément le traitement qui sera utilisé d'office pour ceux qui ont des problèmes de santé mentale. La mise en isolement n'est pas motivée par de la méchanceté. On y a recours parce que c'est la façon la plus facile de surveiller ces personnes.

La sénatrice Nancy Ruth : Ma question s'adresse à vous deux. Nous savons que de nombreuses femmes qui sont en prison ont un parcours marqué par des agressions sexuelles, le trafic sexuel, et cetera, et que certains hommes qui sont en prison sont les auteurs de ces crimes. Comment une commission sur la santé mentale et la justice, ou un plan d'action national pour contrer la violence envers les femmes pourrait-il aider ces personnes et favoriser le règlement de ces problèmes?

Mme Pate : À vrai dire, j'estime que le fait de prendre au sérieux la violence faite aux femmes est un enjeu de tous les instants, tant au Canada qu'ailleurs dans le monde. Un plan d'action pour demander que les femmes et les enfants soient protégés... Maintenant que je suis en Saskatchewan, je constate que le sort réservé actuellement aux femmes et aux filles autochtones est un enjeu auquel nous sommes confrontés de près sur une base quotidienne. C'est un exemple patent de la façon dont nous avons retiré la protection de l'État — ou du fait que nous ne l'avons jamais offerte — pour contraindre les femmes et les filles à se protéger elles-mêmes, ni plus ni moins. Nous leur avons dit que c'était de leur faute et que c'était à elles de se protéger. Mais lorsqu'elles font ce qu'il faut pour se protéger, nous intervenons aussitôt et en faisons des criminelles.

Sur l'ensemble des femmes détenues, 91 p. 100 des femmes autochtones et de 80 à 82 p. 100 des femmes en général ont des parcours marqués par la violence physique ou la violence sexuelle, quand ce n'est pas les deux. Un plan d'action permettant de veiller à ce que leurs besoins soient satisfaits serait non seulement utile et constitutionnel, mais il permettrait aussi de favoriser l'application des dispositions des articles 77 et 80 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, lesquels stipulent que Service correctionnel du Canada doit s'intéresser tout spécialement aux approches particulières visant les femmes et les Autochtones. S'ajoutent à cela les dispositions relatives à la détermination de la peine qui figurent à l'alinéa 718.2e) du Code criminel et la décision de la Cour suprême du Canada dans Ipeelee, pour préciser que ces processus devraient aussi s'appliquer à ceux qui jouissent d'une libération conditionnelle ou doivent se plier à une ordonnance de surveillance de longue durée. Oui, je pense qu'un plan d'action est important, mais ce qui compte encore plus c'est qu'il soit mis en œuvre. J'aimerais que des normes nationales en matière de services sociaux, de soins de santé et d'éducation soient mises en place à l'intention du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux et territoriaux. Cela pourrait permettre d'éviter que certaines personnes soient transformées en victimes et marginalisées pour être ensuite emprisonnées et perçues comme des criminelles.

Mme Latimer : Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce qu'a dit Mme Pate si ce n'est que je pense que nous devons insister sur la prévention. Je parle d'une prévention des agressions sexuelles sur les enfants et d'une variété d'autres choses. Nous espérons que la commission sera aussi en mesure d'examiner ces questions.

Le sénateur Enverga : Merci de vos exposés. Ma première question s'adresse à Mme Pate.

J'ai cru vous entendre dire qu'il nous fallait intervenir immédiatement, que nous avons besoin de plus d'action et de moins de paroles, ou quelque chose du genre. Cela signifie-t-il que vous êtes satisfaite de l'organisation que nous avons maintenant et que nous devons mettre l'accent sur l'action? Est-ce bien ce que vous dites?

Mme Latimer pourrait peut-être nous dire un mot là-dessus, elle aussi.

Mme Pate : Nous avons assurément besoin d'agir. À tout le moins, outre les recommandations pour la tenue d'une commission ou d'une Commission de la santé mentale améliorée, il faudrait que tout cela débouche sur l'imposition de normes nationales. Le Canada est un pays riche. Il n'y a aucune raison pour empêcher que chaque homme, chaque femme et chaque enfant soit nourri, vêtu et éduqué, et qu'il reçoive les services nécessaires pour éviter qu'il ne devienne une victime, ou qu'il se fasse enlever, tuer ou jeter en prison. C'est ce type de normes nationales qu'il nous faut.

Cette question me tient très à cœur, car je suis en Saskatchewan cette année, et que c'est dans cette province que ce type d'approches a vu le jour. Mais nous devons vraiment veiller à faire en sorte que ces normes nationales soient créées et que le gouvernement fédéral voit à leur application par le biais d'ententes fiscales et d'autres mécanismes semblables. Le gouvernement doit en outre s'assurer que les services nécessaires seront offerts de façon uniforme à toute la population et à l'échelle du pays.

Mme Latimer : Je suis d'accord pour dire qu'il faut que des gestes soient posés, mais nos actions doivent être éclairées et coordonnées. Je crois qu'une commission semblable pourrait être d'une grande utilité à cet égard.

Par exemple, au moment de répondre au sujet d'Ashley Smith, le gouvernement a indiqué qu'il allait élargir ses consultations. Or, c'eût été idéal s'il y avait eu une commission ayant une connaissance certaine du dossier, qui aurait pu aider à étayer la réponse du gouvernement au sujet des problèmes d'isolement et de certaines autres choses. Bref, ce serait formidable qu'il y ait un mécanisme simple apte à combler les lacunes en matière de connaissances et de compréhension.

La sénatrice Raine : Je vous remercie toute les deux de vos opinions à ce sujet.

En 2012, la conférence fédérale-provinciale-territoriale a publié un rapport au sujet d'une stratégie pour le système correctionnel et la santé mentale. D'après ce que vous nous avez dit, je crois comprendre qu'il y a certaines difficultés en matière de compétence concernant le lieu de prestation et la qualité des services destinés aux personnes qui se font happer par notre système de justice. Cette stratégie fédérale-provinciale s'intéresse aux enjeux en matière de santé mentale et de justice.

Ce que je crains d'une autre commission, c'est qu'elle s'intéresse aux problèmes de justice et de santé mentale alors que nous devrions nous attaquer à la santé mentale et à la prévention, de la naissance au trépas, comme vous l'avez dit. J'aimerais savoir si vous pensez que cette stratégie fonctionne. Bien entendu, elle est relativement récente, alors il faudra probablement attendre un certain temps.

Mme Latimer : Selon moi, les problèmes liés à la santé mentale dans le système de justice empirent. Alors, en l'absence d'une stratégie, on ne voit pas les améliorations que beaucoup d'entre nous souhaitent en ce qui concerne la façon dont les personnes sont traitées dans le système de justice pénale lorsqu'il est question de santé mentale.

Vous soulignez le fractionnement des responsabilités entre le gouvernement fédéral et les provinces, lequel cause toujours des problèmes — même pour des choses comme la fourniture de cartes de santé —, surtout lorsque les détenus sont libérés d'institutions fédérales et qu'il faut les aligner sur les services. Il n'est pas rare qu'ils soient libérés avec des médicaments pour deux semaines, lesquels sont vite épuisés quand les personnes n'ont pas une bonne stratégie de réinsertion. Les détenus fraîchement relâchés se retrouvent donc face à eux-mêmes, sans suivi et sans continuation de soins. Même ces choses pourtant très essentielles ne sont pas exécutées aussi bien que nous pourrions le faire ou que nous devrions le faire.

Mme Pate : Je suis d'accord avec cette description. La situation de femmes, que je connais mieux, ne s'améliore certainement pas. Dans certains cas individuels, nous avons été en mesure de faire des progrès, mais nous n'avons pas l'impression que la stratégie est particulièrement bien implantée. Je crois que les choses pourraient être grandement améliorées. Je serais d'accord avec une démarche qui couvrirait toutes les étapes de la vie, de la naissance au trépas. Les recommandations du sénateur Kirby — c'était comment on l'appelait au moment où il a préparé son rapport sur les problèmes de santé mentale —, les recommandations auxquelles sa commission a donné lieu restent encore à être suivies.

Le sénateur Cowan : Je crois comprendre votre point de vue à ce sujet. Il se peut que nous ne soyons pas d'accord sur la meilleure façon d'apporter ces changements nécessaires, mais votre témoignage m'indique qu'il n'y a pas de désaccord sur la nécessité de faire quelque chose, de prendre des mesures tangibles pour enquêter sur ces problèmes — lesquels, selon les témoignages, semblent aller de mal en pis —, coordonner nos actions et agir concrètement. Et ces problèmes ne concernent pas seulement le système correctionnel, mais bien le système judiciaire et nos collectivités dans leur ensemble. Êtes-vous d'accord avec cela?

Mme Pate : Oui. Je crois que les recherches les plus récentes montrant que l'environnement dans lequel une personne est placée revêt une importance névralgique pour le traitement des problèmes de toxicomanie et de santé mentale en disent long sur le besoin d'examiner les mécanismes non carcéraux et d'intervention précoce, et de lier ces mécanismes à d'autres approches comme des réformes financières et économiques, ainsi qu'à des réformes sur le plan de la justice sociale et de l'assistance sociale en matière de logement.

Mme Latimer : Si je peux me permettre d'ajouter quelque chose, il y a des domaines émergents dont nous ne savons pas grand-chose : les traumas, les lésions cérébrales, qu'elles soient organiques ou traumatiques. Ces facteurs ont une incidence sur le comportement. Il serait vraiment utile pour ceux d'entre nous qui tentent de faire en sorte que les réinsertions fonctionnent de connaître l'étendue des effets de ces blessures et de savoir ce qu'il faut faire pour aider ceux qui en ont et qui tentent un retour en société. Nous n'en savons pas beaucoup à ce sujet. Il y a en fait toute une gamme d'aspects sur lesquels il serait extrêmement utile d'avoir plus d'informations.

Le président : Je vais revenir à la question de clarification que j'ai posée après la première intervention du sénateur Cowan. Cela portait sur les 500 lits qui ont été fermés ou éliminés. J'ai demandé s'ils avaient été transférés. Je veux revenir aux déclarations rapportées dans les journaux du 5 mars. Dans ces déclarations, Service correctionnel Canada affirmait que 515 lits de soins intensifs étaient transférés aux soins psychiatriques intermédiaires, et M. Zinger a lui aussi parlé de ces transferts. Voilà où je voulais en venir. Les points que vous avez soulevés sur la façon de les utiliser, les besoins et tous ces autres enjeux, je comprends très bien tout cela. Ce que je tentais de clarifier, c'était cette question des transferts.

Je tiens à vous remercier toutes les deux. Certains d'entre nous aimeraient être en Nouvelle-Écosse avec vous, madame Pate, et c'est peut-être ce qui va se passer bientôt. Nous pouvons compter sur un appui bipartite à cet égard, n'est-ce pas?

Madame Latimer, je vous remercie, vous aussi.

Je remercie aussi mes collègues pour la rigueur dont ils ont fait preuve. Nous avons réussi à en poser un nombre impressionnant de questions. Nous sommes passés à travers toutes nos questions et nous l'avons fait assez rondement pour être en mesure de couvrir les trois groupes d'experts qui étaient là aujourd'hui. Je tenais à saluer mes collègues à cet égard.

(La séance est levée.)


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