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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 13 - Témoignages du 28 janvier 2015


OTTAWA, le mercredi 28 janvier 2015

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour continuer son étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Aujourd'hui, nous continuons notre étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

Notre témoin, M. Alain Saulnier, est l'auteur du livre Ici ÉTAIT Radio-Canada, et est un ancien directeur de l'information du diffuseur. J'invite M. Saulnier à commencer sa présentation, et ensuite les sénateurs pourront lui poser des questions.

La parole est à vous, monsieur Saulnier.

Alain Saulnier, professeur invité, Département de communication, faculté des arts et des sciences, Université de Montréal : Merci de votre invitation. Je suis très honoré d'être ici. Ma présentation porte essentiellement sur deux thèmes, soit la pertinence de la Société Radio-Canada dans le nouvel ordre numérique mondial et l'importance de son indépendance et de son financement adéquat.

Je considère que la Société Radio-Canada est l'une des institutions les plus importantes de ce pays. Je le dis d'entrée de jeu. J'aimerais aussi vous faire valoir qu'elle est plus cruciale que jamais en cette ère numérique.

Lors de la création de Radio-Canada, en 1936, il fallait contrer la puissance américaine et investir le territoire sur les plans culturels et démocratiques afin de bien servir les citoyens francophones et anglophones de ce pays. À l'arrivée de la télévision, en 1952, le but était toujours le même.

Depuis l'avènement d'Internet, plusieurs se disent que l'accès à des masses gigantesques d'information est plus facile que jamais, que le secteur privé fournit quantité d'information et de produits culturels de grande qualité, et que, par conséquent, les gouvernements des pays démocratiques pourraient peut-être se permettre de désinvestir ce secteur. Ces interrogations sont compréhensibles, mais on devrait, selon moi, y repenser à deux fois.

Je crois, au contraire, que si on veut préserver les valeurs démocratiques, il est crucial que le public de chaque pays démocratique ait accès à un grand nombre de sources différentes et, parmi celles-ci, à au moins une grande source indépendante de tout intérêt corporatif ou financier. Au Canada, les géants actuels que sont Bell, Rogers, Québecor et Gesca, dans le cas de la filiale de la Power Corporation of Canada, ont de grandes qualités — et mon objectif ici n'est pas de dénigrer leur travail —, mais il serait certainement imprudent de leur laisser tout l'espace.

En s'imposant les normes journalistiques exigeantes, en proposant des débats en profondeur sur les grands enjeux et en garantissant l'expression d'un large éventail de points de vue, un diffuseur public joue un rôle essentiel pour maintenir en alerte l'esprit critique des citoyens. C'est ce même esprit critique qui permet de réagir sainement devant les propagandes et les dérives idéologiques. Quand on sait à quel point la jeunesse peut être vulnérable aux endoctrinements qui sont maintenant si envahissants sur Internet, on se rend compte que l'éducation permanente à l'esprit critique est essentielle à la préservation de nos valeurs citoyennes et de notre démocratie.

À ce titre, j'irais même jusqu'à dire qu'un grand média public indépendant joue un rôle aussi important que l'école pour fournir des repères solides. Il fait partie de l'éventail des outils dont un pays doit se doter pour prévenir l'extrémisme. C'est un outil que les politiciens ont la responsabilité de protéger.

Bien sûr, on peut avoir à l'occasion des reproches à formuler à l'endroit du diffuseur public — et j'en suis! —, mais il est normal, d'ailleurs, que ses performances et ses comportements fassent l'objet de débats et de discussions. Toutefois, cela n'enlève rien à ce qu'on peut appeler sa nécessité intrinsèque.

Pour avoir de l'impact, le diffuseur public doit être un leader sur les nouvelles plateformes numériques, autant qu'il l'a toujours été, et il doit le rester, d'ailleurs, en radio et en télévision. Le défi est à la fois enthousiasmant et difficile. Sur Internet, on assiste à la domination des grands médias privés comme Google, Facebook, Twitter, Netflix, qui représentent une puissance énorme, encore inimaginable dans un passé récent.

Facebook existe depuis à peine 10 ans. Twitter n'existait pas il y a 10 ans. Pourtant, aujourd'hui, ces groupes occupent une place prépondérante. Dans le cas de Netflix et de YouTube, c'est la même chose, à un point tel qu'un expert français nommé Éric Scherer, dont je me permets de citer un passage de l'un de ses livres, les appelle les nouveaux prédateurs :

Nouveaux prédateurs, une poignée de géants du Web, forts de leur puissance inégalée et de leur position dominante, semblent invincibles. Ils sont en train de fragmenter, voire de verrouiller le Web, qui devait être un espace de liberté [...].

Dans un monde où l'information et la désinformation se livrent à ce que j'appelle le combat extrême du XXIe siècle, c'est une façon pour moi d'illustrer dans quel monde nous vivons à l'heure actuelle. Nous avons besoin de repères, de balises nationales, ainsi que d'ancrages régionaux à notre image. Nous ne pouvons laisser les géants de l'information contrôler seuls notre vie démocratique et culturelle.

Parlons maintenant de l'indépendance des diffuseurs publics. Ici comme en Europe, les diffuseurs publics ont bonne réputation et leur marque inspire une grande confiance. Pour se maintenir, une telle confiance repose sur une condition essentielle : l'indépendance du diffuseur vis-à-vis des pouvoirs publics, des pressions politiques et des intérêts financiers.

Cette indépendance doit être clairement inscrite dans la loi tout autant que dans l'esprit des élus. Bien sûr, encore une fois, cela ne se veut pas dire que la critique publique soit interdite. C'est pourquoi il importe, selon moi, que le mode de nomination du président-directeur général de Radio-Canada et des membres de son conseil d'administration soit totalement transparent et relève de l'ensemble des parlementaires. On a l'impression, à l'heure actuelle, que le seul critère de nomination est l'affiliation partisane avec le parti au pouvoir.

J'ai souligné dans mon livre, Ici ÉTAIT Radio-Canada, que les administrateurs actuels de Radio-Canada ont été nommés pour des raisons avant tout partisanes. En fait, une compilation des amis de la radiodiffusion montre que 10 d'entre eux ont contribué au financement du parti au pouvoir et que certains continuent de le faire. Cela doit changer. Ces nominations doivent être fondées sur une compétence et une représentativité réelles. Elles doivent aussi être soumises à l'approbation d'un comité parlementaire.

Dans le passé, d'autres intervenants importants ont insisté sur l'importance d'un mode de nomination non partisan, notamment dans le Rapport Caplan-Sauvageau en 1986. Je peux mentionner aussi au passage le rapport de Pierre Juneau, en 1986 également. Dans mon livre, j'ai aussi publié la lettre qui accompagnait le document d'information, le briefing book, destiné au PDG Hubert Lacroix par son prédécesseur Robert Rabinovitch. Il avait insisté sur un point majeur, et je veux en citer un passage. Il disait ce qui suit :

Il est essentiel pour ce pays que la Société préserve son indépendance éditoriale et journalistique contre toutes les pressions extérieures. C'est ainsi seulement que Radio-Canada pourra demeurer un véritable diffuseur public et non un diffuseur d'État.

C'est pour cette raison que la nomination du président-directeur général ne relève pas seulement du bon vouloir du gouvernement et que la Société rend compte de ses activités au Parlement par l'intermédiaire du ministre du Patrimoine.

Sur la question du financement, ce qu'on attend d'un diffuseur public comme Radio-Canada est, entre autres, qu'il offre des services qui intéressent moins le secteur privé, parce qu'ils coûtent un peu plus cher et sont moins rentables. C'est un fait. En télévision, par exemple, Radio-Canada a pu programmer une émission comme Enquête. C'est cette émission, créée alors que j'occupais la direction générale de l'information, qui a mené, entre autres, à la tenue de toutes les enquêtes sur la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction au Québec. Radio-Canada diffuse aussi des émissions de journalisme scientifique, comme Découverte à la télévision, et Les Années lumière à la radio. Sur le plan de l'information internationale, seule Radio-Canada offre une fenêtre sur le monde grâce à ses correspondants basés en permanence à l'étranger. C'est une valeur unique, extraordinaire, que nous avons avec Radio-Canada de cette façon.

Dans les régions moins peuplées du pays, qui sont par définition des marchés moins rentables pour les diffuseurs privés, l'information locale, tous médias confondus, serait anémique sans Radio-Canada. J'ajouterais que, pour les francophones hors Québec, c'est vital.

Sur le plan culturel, Radio-Canada peut prendre plus de risques et offrir aux créateurs un espace d'expérimentation et de liberté. Les grandes séries télévisées produites par Radio-Canada, plus particulièrement au réseau français — et vous me permettrez de préciser que, dans ma présentation, je fais référence au marché francophone de Radio-Canada davantage qu'au marché de la CBC, qui n'est pas, pour être honnête, le secteur que je connais le mieux, bien qu'on ait eu évidemment des expériences et qu'on ait partagé beaucoup de choses.

Le diffuseur public peut aussi diffuser de grandes productions qui n'attireront pas nécessairement les commandites les plus payantes, comme les concerts de nos orchestres symphoniques.

Tout ce sérieux accordé à l'information, toute cette audace en création culturelle doivent se retrouver sur le Web. Ainsi, pendant qu'on produit de nouveaux contenus plus adaptés aux nouveaux médias, il faut continuer à faire de la bonne télévision et de la bonne radio. Il ne faut pas passer de tout l'un à tout l'autre.

Les médias traditionnels ne sont pas morts, loin de là. Quand on parle de la télévision de Radio-Canada, on va chercher encore 15 à 20 parts de marché pour des émissions. Ce n'est pas rien; c'est important.

Les médias traditionnels ne sont pas morts, leurs contenus se retrouvent bien sûr sur tous les écrans autour de nous, ceux des téléphones mobiles, des tablettes numériques, des ordinateurs petits ou moyens, ainsi que des téléviseurs intelligents; la télévision connectée, comme on l'appelle maintenant.

Alors, pour garder son leadership, Radio-Canada devrait aussi pouvoir miser sur la force créative de la jeune génération. Malheureusement, à l'heure actuelle, la société se voit au contraire forcée de mettre à pied beaucoup de jeunes employés. Pour remplir toutes ces missions, Radio-Canada a besoin d'un financement stable et suffisant. Il est urgent d'opérer un virage majeur, car si on ne l'aide pas, il y a peu de chances que la SRC ait les moyens suffisants de maintenir sa place et sa crédibilité dans le nouvel environnement numérique, qui est en constante mutation.

Il y a plusieurs modes de financement possibles pour lui assurer stabilité et indépendance. Il faut certainement revoir les sources de financement actuelles (les subventions gouvernementales et les publicités — je suis un partisan de l'option de diminuer la portion dite de publicité au sein du financement de la Société Radio-Canada —), et rediscuter de toutes les autres sources de revenus, comme les redevances, les taxes sur les équipements, l'impôt sur le revenu de la distribution Internet, et cetera. On est rendu à l'étape où il faut explorer de nouvelles façons de favoriser le financement des diffuseurs publics, et c'est le cas partout dans le monde.

La Loi sur la radiodiffusion date de 1991. Elle est clairement obsolète. Elle précède même l'existence d'Internet. Ainsi, elle ne correspond plus à la situation actuelle et il est urgent de se mettre à l'œuvre pour la revoir entièrement.

Il est essentiel également de tenir une véritable discussion sur l'avenir de Radio-Canada et l'ensemble de l'écosystème médiatique au pays. Ces discussions doivent porter sur l'information et la culture, sur les médias nouveaux comme traditionnels, sur la production des contenus autant que sur leur distribution, sans oublier la spécificité fondamentale du marché francophone à préserver. Partout au pays, on s'entend là-dessus.

Le débat doit mobiliser toute la sphère politique, institutionnelle et citoyenne. C'est pour cela que je salue le travail que vous accomplissez ici. De plus, il est urgent de retenir les jeunes qu'on force actuellement à quitter le diffuseur public. Ils sont l'avenir, ce sont eux qui maîtrisent le mieux l'univers numérique. Grand paradoxe, on veut passer à l'ère numérique, mais ils ne sont pas là. Peut-être que certains d'entre vous ont pu voir la sortie de Charles Tisseyre sur YouTube. Il a été très éloquent à cet égard.

Cela dit, c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions. Vous comprendrez que je ferai référence plus spécifiquement à Radio-Canada, le diffuseur francophone, et à son marché, et je n'ai certainement pas la prétention d'essayer de parler en pleine connaissance de cause de la CBC et du marché anglophone, bien que je sois ouvert à toutes les questions.

Le président : Merci, monsieur Saulnier. J'ai le sénateur Plett, suivi du sénateur Demers et du sénateur Eggleton sur ma liste pour l'instant.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier M. Saulnier d'être avec nous ce soir pour faire le point. J'ai quelques questions à poser, si vous le permettez.

Ma première question concerne le processus de nomination dont vous parlez dans votre déclaration. Vous dites :

Une compilation des Amis de la radiodiffusion montre que 10 d'entre eux sur 12 ont contribué au financement du parti au pouvoir et que certains continuent de le faire. Cela doit changer.

Chaque personne a ses allégeances et ses préférences politiques, et d'ailleurs, chaque personne a non seulement le droit de voter, mais aussi l'obligation morale de le faire, selon moi. Nous avons tous des allégeances politiques. Que les personnes aient contribué financièrement au parti des membres de l'opposition ou au nôtre, comment cela peut-il les empêcher d'agir de façon professionnelle et de diriger une société comme Radio-Canada?

[Français]

M. Saulnier : C'est une excellente question. Mon objectif n'est pas de dire que ces gens ne devraient pas avoir accès à un conseil d'administration. Loin de là. J'ai vécu avec d'autres conseils d'administration au cours des années qui ont précédé les cinq dernières années où j'étais à Radio-Canada. Il est légitime que, provenant de n'importe quel parti politique, des gens puissent obtenir ce type de poste à l'intérieur du conseil d'administration ou comme président-directeur général, en fonction de leurs compétences.

Une fois ce fait accompli, il est important, par contre, de revoir ce que j'appellerais la transparence du mode de nomination, parce que sur la base de quels critères les nominations sont-elles effectuées? Est-ce sur la base de compétences? Pourrait-on les connaître? Pourrait-on savoir quels sont les antécédents — en termes professionnels, en termes d'expérience — qui pourraient qualifier ces gens pour occuper cette fonction? Il n'est pas du tout de mon intention, ni dans mon livre ni dans ma présentation, de dire que l'on devrait limiter l'accessibilité à ces gens à cause de leurs affiliations partisanes. Ce que je dis, par contre, c'est qu'il faut trouver un certain équilibre et privilégier davantage la compétence. Cette compétence peut aussi bien provenir d'un parti comme le Parti conservateur ou le Parti libéral, ou bien de l'extérieur de ces formations politiques, parce que les gens ont une expérience reconnue dans leur domaine, tout simplement.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Vous convenez donc que, peu importe l'affiliation politique, étant donné qu'il y a trois partis politiques principaux au Parlement, si nous prenions les 30 personnes les plus qualifiées pour diriger une organisation comme Radio-Canada, il se pourrait fort bien, et j'aimerais le croire, que 20 conservateurs en fassent partie. Aux fins de l'argumentation, disons qu'il y aurait 10 conservateurs, 10 néo-démocrates et 10 libéraux. Il serait logique que le gouvernement au pouvoir ait plus en commun avec les 10 personnes qui sont membres de son parti et qu'il les connaisse, comme c'était le cas lorsque nos collègues d'en face étaient au pouvoir; ces personnes seraient tout de même hautement qualifiées.

[Français]

M. Saulnier : Comme je vous l'ai expliqué, j'ai connu d'autres conseils d'administration qui comptaient sûrement des contributeurs politiques, des gens qui avaient des affiliations partisanes avec le Parti libéral, par exemple. Je ne voudrais pas que mon propos porte à croire qu'il faut limiter le nombre ou établir un quota de gens provenant du parti au pouvoir, et puis de façon minoritaire, provenant de formations qui ne forment pas la majorité. Je dis tout simplement qu'il y a un besoin pressant de clarifier un peu le mode de nomination. Sur quelles bases peut-on devenir membre d'un conseil d'administration? Sur quelles bases peut-on devenir président-directeur général? Très honnêtement, ce n'est pas clair pour personne; on ne connaît pas exactement quels sont les critères d'embauche, entre guillemets, auxquels on peut s'attendre à l'égard de ces membres du conseil d'administration. C'était l'essentiel de mon propos.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je vous remercie de votre réponse.

Je ne veux pas que la prochaine question soit considérée comme étant trop partisane. Je sais que mon ami, le sénateur Eggleton, pourrait le penser, mais ma question s'inspire de votre livre, et je vais donc la poser.

Dans votre livre, vous dites que les premiers ministres Trudeau et Chrétien ont explicitement menacé CBC/Radio-Canada parce qu'ils désapprouvaient le contenu qu'elle produisait. Le niveau de financement du gouvernement est-il resté plus stable dans les 10 dernières années que durant les années 1990?

[Français]

M. Saulnier : Vous avez raison de dire que Radio-Canada n'a jamais été épargnée par quelque parti que ce soit, et c'est exactement ce que je dis dans mon livre. À certains égards, il y a toujours eu des tensions entre le diffuseur public et le parti au pouvoir. D'une certaine façon, c'est normal et compréhensible.

Cependant, il faut aussi savoir qu'il y a eu — je l'explique dans le livre, si vous l'avez lu — des compressions budgétaires importantes à l'époque, entre autres, du premier ministre Chrétien, dans les années 1996-1997. Peut-on aujourd'hui faire une comparaison? Peut-on parler d'un financement stable aujourd'hui? Je dirais que non. Je dirais qu'il y a eu des compressions réelles. J'en ai fait, comme patron à l'information. Il y a trois, quatre ans, une coupure de 115 millions de dollars a été effectuée à Radio-Canada. Le problème, c'est que, présentement, tout cela se fait au moment où on a besoin d'investissements majeurs pour procéder au passage vers le numérique. C'est de ce point de vue que je considère qu'on est en train d'abandonner le diffuseur public; c'est à ce moment-ci que l'on aurait besoin d'injecter davantage d'argent.

Le journal La Presse a investi des dizaines de millions de dollars pour évoluer vers La Presse+. Ce n'est pas le moment de retirer des fonds aux diffuseurs publics, alors qu'ils doivent s'ajuster à l'ère numérique. Au contraire, il faut attirer un financement solide pour leur permettre de faire cette transition. C'est ce que je souhaite que les gouvernements fassent au cours des prochaines années.

[Traduction]

Le sénateur Plett : J'aimerais poser une dernière question, si vous le permettez. Parlons un peu de ce financement stable. Dans un éditorial du Star que vous avez rédigé en novembre, vous avez déclaré qu'à votre avis, la chaîne francophone de Radio-Canada subissait plus de compressions budgétaires qu'elle ne le devrait et, par extension, le budget de la chaîne anglophone CBC n'était pas assez dégraissé.

Cela dit, Radio-Canada, et nous en avons parlé ici à maintes reprises, semble mieux réussir à attirer les téléspectateurs que la CBC. Selon vous, Radio-Canada fait-elle quelque chose que la CBC ne fait pas pour attirer les téléspectateurs, ou croyez-vous qu'il s'agit principalement d'une question financière et, évidemment, selon ce que vous dites, qu'elle subit davantage de compressions budgétaires, mais qu'elle semble trouver le moyen de faire plus avec moins?

[Français]

M. Saulnier : C'est une question délicate, parce que mon objectif n'est pas de dire qu'il faut retirer de l'argent à la CBC pour le donner à Radio-Canada, ou l'inverse. On pourrait peut-être se réjouir du fait que le modèle d'affaires actuel de Radio-Canada soit plus solide. Les revenus publicitaires entrent davantage au moment où on se parle. Ce faisant, cela signifie que, au cours de la dernière année financière, Radio-Canada a atteint ses objectifs en termes de ventes commerciales. Bref, je ne suis pas en train de dire que nous devons déshabiller l'un pour habiller l'autre. Par contre, il faudrait offrir un financement stable, non pas pour dire que la CBC est un service moins sérieux que Radio-Canada ou qu'il faut préserver Radio-Canada et laisser de côté la CBC, mais, indépendamment des résultats des cotes d'écoute, que l'on soit du côté du marché anglophone ou du côté du marché francophone, nous avons besoin d'un diffuseur public indépendant, bien financé. Cela n'a rien à voir avec les cotes d'écoute ou la performance des ventes publicitaires. Ce financement doit être dirigé vers chacune de ces entités, que ce soit la CBC ou Radio-Canada, en tenant compte de leur marché respectif. Loin de moi l'idée que nous devions protéger l'un plus que l'autre. Ces deux marchés doivent pouvoir compter sur un financement stable.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Indépendamment des cotes d'écoute.

[Français]

M. Saulnier : Bien sûr, Radio-Canada peut atteindre des cotes d'écoute de 2 millions de personnes, par exemple avec Unité 9. Du côté de la CBC, en raison de la proportionnalité de la population, on ne pourra probablement jamais atteindre ce type de cotes d'écoute. Bien sûr, s'il y a zéro cote d'écoute, on va arrêter la discussion, mais à partir du moment où il y a cinq parts de marché, six parts de marché, comme c'est le cas dans plusieurs pays européens ou scandinaves, il faut comprendre qu'on ne peut établir un seuil de base pour justifier un refus à du financement. Personnellement, je prône l'équilibre afin de faire face aux différents objectifs et défis de chacun des marchés, francophone comme anglophone.

Le sénateur Demers : Monsieur Saulnier, j'apprécie votre témoignage.

Je considère que Radio-Canada est l'une des institutions les plus importantes de ce pays et, ce comité, avec à sa tête le sénateur Dawson, écoute attentivement et prend très au sérieux son étude. Nous voulons en arriver à une meilleure administration en ce qui concerne les dollars des Canadiens et nous voulons que soient minimisées les dépenses. Personne ici ne veut fermer les portes de Radio-Canada; vous avez raison, c'est important, mais nous voudrions que soient minimisées les dépenses et qu'il y ait de meilleures productions. Tous les gens qu'on a rencontrés ici sont des gens très compétents qui s'expriment bien, et quand je vous écoute, vous avez des réponses précises, mais c'est surtout de ce point de vue que nous voulons comprendre la situation.

Quel est le plus grand défi? Vous avez moins parlé de la CBC — je comprends — et surtout de Radio-Canada. Je me demande quelle est l'urgence pour Radio-Canada d'atteindre le public francophone — il y a tout de même des anglophones qui écoutent Radio-Canada —, et d'en faire une boîte où on peut reconnaître sa valeur réelle. Parce qu'à un certain moment, sa valeur était extrêmement importante, mais cela a chuté.

M. Saulnier : D'abord, moi qui ai 62 ans, j'ai connu l'époque où il n'y avait que Radio-Canada à la télévision. Puis, un jour est arrivé ce qu'on appelait Télé-Métropole. Radio-Canada avait le monopole pour ce qui est de la culture francophone à une certaine époque.

Je dis qu'aujourd'hui, pour se distinguer, Radio-Canada doit offrir une programmation différente de celle de ses concurrents privés. Cela ne veut pas dire qu'on doit se contenter d'une part de marché, comme je le disais tantôt au sénateur Plett. Il faut tout de même faire preuve d'une certaine performance. Toutefois, il faut être capable d'offrir une programmation différente. Je suis, moi, partisan d'un concept qui ferait en sorte que chaque fois que l'on allume la télévision, que l'on écoute la radio et que l'on navigue sur le Web, on soit toujours conscient qu'on est ailleurs que chez un producteur ou un diffuseur privé; que l'on est à Radio-Canada. À cet égard, il y a un problème, à l'heure actuelle; parce qu'on a moins bien financé Radio-Canada et la CBC au cours des dernières années, la seule façon pour Radio-Canada de se sortir de ce pétrin, entre guillemets, a été d'augmenter ses revenus commerciaux.

Quand je suis entré à Radio-Canada en 1984, on pouvait parler à ce moment-là d'une part de financement qui était peut-être de 12 à 15 p. 100 du financement. Aujourd'hui, il s'agit d'au-delà de 30 à 35 p. 100 de son financement qui provient de revenus publicitaires ou commerciaux. Quel est l'impact de cela? C'est que, à ce moment-là, les résultats d'écoute sont déterminants, parce que s'il n'y a pas une performance à l'écoute pour attirer les revenus commerciaux et les revenus publicitaires, vous allez nécessairement générer moins de revenus. Or, plus vous faites cela, plus vous allez devoir proposer une programmation qui ressemble à celle de vos concurrents privés. On est en train de se tirer dans le pied en faisant cela, parce qu'on fait comme les autres pour obtenir des résultats d'écoute.

Je ne suis pas un puriste du genre qui croit qu'il ne devrait jamais y avoir de séries télévisées grand public, et cetera; ce n'est pas mon style. Par contre, je dis que, lorsque j'allume la télévision, je sais que je ne suis pas à l'émission Occupation Double, mais plutôt dans une émission produite pour l'auditoire du diffuseur public qu'est Radio-Canada.

Le sénateur Demers : Merci beaucoup.

Le président : Soyez bien à l'aise.

Le sénateur Demers : Non, ça va, monsieur le président. Merci beaucoup. Il a bien répondu.

Le président : Je ne voulais pas vous mettre de pression.

Le sénateur Demers : Pas du tout. Je suis habitué à la pression.

Le président : Oui, c'est vrai.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : Vous avez occupé des fonctions liées à l'information à Radio-Canada; nous avons discuté ici du chevauchement des nouvelles entre les radiodiffuseurs privés et le radiodiffuseur public, principalement à l'échelle locale, mais aussi à l'échelle nationale, dans une certaine mesure. Selon vous, comment devrait-on régler ce problème?

[Français]

M. Saulnier : L'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés, c'est que lorsqu'il s'agit d'information locale ou de programmation locale et des francophones hors Québec, la seule façon d'avoir accès à de l'information locale quand on habite l'Ouest du pays, c'est par Radio-Canada, que ce soit en radio ou en télévision. Alors, nécessairement, il faut que Radio-Canada occupe une place à l'intérieur de cet espace qui s'appelle l'information locale ou la programmation locale. C'est correct et très normal.

Cela dit, il faut aussi, pour tous les francophones qui veulent avoir un accès au monde et à ce qui se fait de mieux à tous les niveaux, que leur ouverture sur le monde se fasse par le truchement d'un diffuseur public. Il faut donc plus d'information internationale, des émissions de qualité et une programmation web numérique bien adaptée à ce nouveau vocabulaire ou langage qu'on utilise pour informer les gens au moyen du mode numérique. Cela signifie qu'il faut trouver le bon équilibre en ce qui a trait à une programmation locale.

Toutefois, moi, comme francophone, je veux savoir ce qui se passe dans le monde; je ne veux pas simplement me regarder dans mon univers local ou régional. Il faut donc aussi avoir cette capacité de regarder partout à travers le monde. C'est un enrichissement qu'on offre aux francophones. Comment le faire? Je pense que c'est selon les marchés. Il y a peut-être des choses très différentes selon les différents marchés. Il faudrait faire l'analyse de chacune des régions, mais très certainement, il y a un équilibre à y retrouver. L'idée n'est pas de faire l'un au détriment de l'autre. Encore une fois, il faut trouver le juste équilibre. Mais dans tous les cas, il faut offrir une programmation et un contenu qui se distinguent des compétiteurs privés, en tout temps.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : En ce qui concerne le financement, je suis en grande partie d'accord avec vous lorsque vous dites :

[...] Radio-Canada a besoin d'un financement stable et suffisant. Il est urgent d'opérer un virage majeur, car si on ne l'aide pas, il y a peu de chances que la Société ait les moyens suffisants de maintenir sa place et sa crédibilité dans le nouvel environnement numérique en constante mutation.

Je lis ce passage parce que je pense qu'il est important.

Vous avez parlé d'autres modes de financement. Nous sommes sur le point d'aller en examiner un. Certains d'entre nous se rendront à la BBC, à Londres. Ils ont là-bas un mode de financement traditionnel qui les place dans une position avantageuse sur le plan du financement indépendant. Ici, nous dépendons davantage du gouvernement; ce gouvernement, qu'il soit libéral ou conservateur, réduit le financement depuis plusieurs années, et je pense qu'il va trop loin. Selon moi, nous avons atteint un point critique. Je pense que votre déclaration résume bien la situation.

Vous parlez de redevances, de taxes sur les équipements, d'impôt sur les revenus de la distribution Internet, et cetera. Pouvez-vous nous en dire davantage sur l'une ou l'autre de ces sources? Avez-vous une préférence?

[Français]

M. Saulnier : Je ne suis pas un expert, mais je peux très certainement vous dire qu'avec une formule de redevances, vous n'êtes pas tributaires d'un financement ou vous n'avez pas à quémander, année après année, auprès du gouvernement pour lui demander de renouveler votre budget à la bonne hauteur. Les redevances ont au moins cet avantage de permettre des rentrées financières stables et en continu, et même en progression, par exemple lorsque les redevances prennent la forme de taxes sur la vente des appareils de télévision ou de radio. De plus en plus, je pense qu'on devrait l'élargir — mais cela, c'est autre chose — aux tablettes numériques, aux iPad, aux iPod et à tout ce qui s'appelle l'univers numérique.

J'ai l'impression qu'à l'heure actuelle, ceux que j'appelle les géants du Web : Apple, Netflix, Amazon, Google, sont en train de se développer une sorte de propriété de tous les contenus numériques, mais qu'ils ne versent rien à titre de retour aux consommateurs. Ils ne versent rien aux différentes nations sur des contenus qui pourraient être proposés à leurs propres nations. C'est comme si nous en sommes au point où ils pourront aussi imposer une culture qui fait fi de nos propres cultures nationales. Ils font fi aussi de notre qualité d'information à nous. Il me semble donc qu'il est important pour un pays de développer une approche qui demandera aux géants du Web de réinvestir dans les diffuseurs nationaux, et également de réinvestir pour que ce passage à l'ère numérique ne serve pas uniquement à leur permettre, à eux, de faire des profits et de l'argent.

Sans compter que — je me permets une petite parenthèse — certains d'entre eux ne paient même pas d'impôts dans leur propre pays. Mais cela, c'est autre chose. Ils pourraient donc au moins injecter de l'argent qui pourrait contribuer aux diffuseurs publics, comme on devrait le faire; on parle donc de redevances, mais en mettant aussi à contribution les géants du Web. À mon avis, il est essentiel qu'ils apportent une contribution aux sociétés qui, de toute façon, les font vivre. Il doit y avoir un retour aussi.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : Mon temps de parole est écoulé. J'y reviendrai au deuxième tour.

Le président : J'essaie d'être juste, même si vous êtes nombreux d'un côté. Mais il est le vice-président. Il a le privilège d'être le vice-président.

Je vous ai inscrit pour le deuxième tour.

[Français]

Le sénateur Housakos : Monsieur Saulnier, merci pour votre témoignage et pour votre contribution à ce débat.

L'un des thèmes de votre livre met l'accent sur l'ingérence politique. Dans votre livre, vous prétendez que M. Hubert Lacroix a cédé aux pressions politiques du ministre Moore, parce que Radio-Canada n'a pas engagé Gilles Duceppe. Selon M. Hubert Lacroix, c'est faux, et c'est plutôt parce qu'il y avait un conflit avec la politique journalistique qui exigeait un moratoire de deux ans avant l'embauche d'un politicien défait. De plus, selon M. Lacroix, M. Duceppe a été invité en 2013 à joindre l'émission Le club des ex, mais ce dernier a dû décliner l'offre, car les règles régissant les pensions parlementaires lui interdisaient de travailler pour une société d'État. Selon vous, M. Hubert Lacroix ment-il?

Vous avez travaillé à Radio-Canada pendant 25 ans. À titre d'ancien dirigeant, étiez-vous au courant de cette politique journalistique?

M. Saulnier : Justement, non seulement j'étais au courant, mais c'est moi qui gérais cette règle. Or, on a tout mêlé là-dedans. On parle ici d'un collaborateur qui participe à une émission sur une base ponctuelle, que ce soit aux deux semaines ou aux trois semaines. Le moratoire existe pour les employés journalistes de Radio-Canada, mais il n'existe pas pour des collaborateurs.

D'abord, prenons l'exemple de l'émission Le club des ex que nous avons créée à RDI il y a quelques années; l'idée même est d'aller chercher l'expertise d'anciens politiciens et d'anciennes politiciennes pour qu'ils viennent commenter l'actualité. Je ne vais pas leur dire d'attendre deux ans; je veux savoir ce qu'ils savent et ce qu'ils connaissent tout de suite. Il n'y a donc pas de moratoire, cela n'existe pas. Je ne dis pas qu'il est menteur, je dis seulement qu'il a mal lu la politique, tout simplement. Quant à moi, je la connais mieux que lui, parce que c'était moi qui gérais cette politique à titre de directeur général de l'information.

Pour en revenir à Gilles Duceppe, je n'avais aucun problème à ce que Gilles Duceppe vienne donner ses commentaires dans le cadre d'une émission, pourvu qu'il ne soit pas seul. S'il est avec un opposant qui provient d'une autre formation politique, c'est là la richesse de la diversité d'opinions; c'est d'avoir quelqu'un qui a un point de vue noir, un point de vue blanc, un point de vue d'autres couleurs. L'idée, c'est d'enrichir la discussion. J'ai un immense respect pour les gens qui font de la politique et, quand ils se retirent de la politique, j'ai aussi du respect pour leur opinion et je veux les entendre commenter la politique. Il faut tout simplement trouver une façon d'établir la diversité d'opinions.

Le sénateur Housakos : À un certain moment — j'ai tiré cette information de votre livre —, il était question d'engager également M. Michael Fortier à titre de commentateur politique.

M. Saulnier : Oui.

Le sénateur Housakos : Il était un ancien ministre du gouvernement. Je comprends que vous étiez contre cette idée. Par contre, il semble que vous étiez en faveur d'engager M. Gilles Duceppe.

M. Saulnier : Non.

Le sénateur Housakos : Ma question est la suivante : pourquoi étiez-vous en faveur d'engager un politicien, mais pas l'autre? Franchement, beaucoup de personnes au Québec pensent que la Société Radio-Canada est devenue un porte-voix pour l'agenda souverainiste. Je suis sûr que vous avez entendu cela à plusieurs reprises.

M. Saulnier : Oui, oui.

Le sénateur Housakos : Il y a plusieurs politiciens et plusieurs Québécois fédéralistes qui ont cette perception.

M. Saulnier : Oui. Dans le cas de M. Michael Fortier, il faudrait que je retrouve le passage de mon livre car, malheureusement, je ne le connais pas par cœur. Toutefois, ce que je dis dans mon livre au sujet de Michael Fortier, c'est le malaise que j'avais — et cela, je l'ai expliqué, parce que j'avais des sources importantes pour écrire ce que j'ai écrit dans mon livre. Je sais fort bien que Michael Fortier, qui était sénateur à l'époque, était — on peut le dire — l'homme fort du Parti conservateur au Québec durant cette période. Je sais qu'il a joué un rôle primordial pour faire en sorte que M. Hubert Lacroix soit président-directeur général de la Société Radio-Canada. Comme responsable de l'information, j'éprouvais un petit malaise à ce que le bienfaiteur de l'un occupe une place à l'intérieur du Service de l'information. Très honnêtement, j'ai résisté le plus longtemps possible.

Finalement, on lui a fait la proposition, et c'est lui, M. Fortier, qui a refusé. Ce n'est pas Alain Saulnier, c'est M. Fortier qui a refusé. On n'est pas en train de dire ici que Michael Fortier non, mais Gilles Duceppe oui. Vous ne me ferez pas dire cela; ce n'est pas ce que je dis non plus dans mon livre, en tout respect.

Le sénateur Housakos : Non, c'est parfait; je pose la question afin de clarifier cela.

M. Saulnier : Tout à fait.

Le sénateur Housakos : Vous avez dit, lors de votre présentation, que Radio-Canada joue un rôle très important pour les communautés francophones hors Québec en situation minoritaire au Canada, et il est certain que c'est l'une des raisons d'être de Radio-Canada.

Notre comité a eu l'occasion de rencontrer plusieurs groupes francophones hors Québec. Une chose qu'on a entendue à plusieurs reprises est que Radio-Canada est très centrée sur Montréal, et que cela n'est pas assez représentatif et ne reflète pas leur communauté et leur réalité. Quelle est votre perspective à cet égard?

M. Saulnier : J'ai eu plusieurs fois des discussions avec les francophones hors Québec et avec les gens de l'Acadie, notamment avec la Société Nationale de l'Acadie. Il est vrai que nous sommes dans une situation où, effectivement, Radio-Canada est centrée davantage sur le Québec francophone et, peut-être, effectivement, trop centrée sur Montréal.

Cela dit, comme je le disais au sénateur Demers tantôt, on se retrouve aussi dans une situation un peu particulière : en même temps, on doit toujours performer pour obtenir des revenus commerciaux et on doit toujours aussi être à la hauteur des attentes de nos publicitaires. Pourquoi? Parce qu'il est indispensable d'avoir ces revenus commerciaux pour compenser l'absence d'un financement solide.

Dans un marché francophone, on a des concurrents privés et il faut pouvoir aller chercher une part de marché dans cet univers francophone au Québec. C'est là où, parfois, on est obligé de faire des choix. Je ne veux pas juger de l'importance d'une nouvelle plutôt que d'une autre, mais je peux vous dire une chose, c'est que du côté de RDI — et là, je peux en parler de façon plus indépendante et libre, parce que je n'y suis plus le patron —, je savais fort bien qu'on avait parfois plus d'écoute lorsqu'on parlait des inondations au Québec au printemps avec la crue des eaux que lorsqu'il y avait des inondations ailleurs au Canada. Je ne suis pas en train de juger laquelle des inondations est la plus importante sur le plan des valeurs de l'une ou de l'autre, mais il reste un fait : l'auditoire francophone du Québec est souvent plus captivé par ce genre de situations.

Si on faisait le contraire et qu'on traitait tout le temps les choses de façon égale, cela deviendrait délicat en ce qui concerne la recherche des revenus commerciaux.

Dans un monde idéal, si on était à l'abri de ces pressions commerciales et de ces revenus publicitaires, je pense qu'on pourrait avoir une base beaucoup plus équitable à l'égard non seulement des francophones du Québec, mais à l'égard des francophones hors Québec.

En même temps, je ne suis pas en train d'excuser totalement les erreurs qui ont pu être commises. Loin de moi cette idée; je pense qu'il y en a eu et qu'on devrait en faire davantage à l'égard des francophones hors Québec, parce que c'est leur seule ouverture sur le monde et sur le pays et parce qu'il est indispensable qu'on le fasse.

La sénatrice Verner : J'ai du temps, monsieur le président?

Le président : Dans votre cas, vous savez que vous en avez autant que vous en voulez.

La sénatrice Verner : Merci, monsieur Saulnier; c'est un plaisir de vous voir. Plusieurs thèmes ont déjà été abordés par mes autres collègues, notamment le fait que Radio-Canada performe beaucoup mieux que la CBC, mais cela, on le sait. On sait également que le réseau français de Radio-Canada a moins de concurrents que la CBC et que cela peut aider dans le contexte.

Je désire également effleurer le sujet des services offerts aux francophones hors Québec. Nous avons eu le plaisir de recevoir ici Marie-Linda Lord, que vous connaissez probablement.

M. Saulnier : Oui, que j'ai rencontrée.

La sénatrice Verner : En ce qui concerne les francophones hors Québec, elle a fait un commentaire en porte-à-faux par rapport à ce qui vient d'être mentionné, c'est-à-dire qu'en Acadie, la difficulté n'était pas d'avoir de l'information sur l'Acadie, mais plutôt sur le reste du Canada. Je tenais à formuler cette petite précision.

Pour faire suite à vos commentaires sur l'indépendance de la Société Radio-Canada, je reviens à ce qu'a dit mon collègue, le sénateur Housakos. Je ne vous cacherai pas que, comme ancienne élue — nous ne sommes que deux anciens élus dans ce comité, le sénateur Eggleton et moi-même... oh! et bien sûr, le président. Excusez-moi, sénateur Dawson.

M. Saulnier : Dans la région de Québec.

La sénatrice Verner : Vous êtes certainement au courant du fait que, à titre d'élus, nous avons souvent l'impression d'être les mal-aimés de Radio-Canada. Je tiens à faire cette remarque, même si dans votre présentation, vous nous avez dit que la critique publique n'est pas interdite. Par ailleurs, vous l'expliquez en mentionnant les tensions entre le parti au pouvoir et la Société Radio-Canada.

Durant la période des Fêtes, j'ai rencontré beaucoup de gens — de la famille et des amis. J'ai discuté plus particulièrement avec une jeune étudiante de l'Université Laval qui m'expliquait que la façon dont les jeunes s'informent aujourd'hui ne passe pas par les médias traditionnels; cela a même été mentionné dans ses cours à l'Université Laval. En outre, les jeunes ne font pas confiance aux nouvelles transmises par les médias traditionnels; on constate une perte de crédibilité chez les journalistes, tous postes confondus. Semble-t-il que les taux d'incrédulité sont très élevés à l'endroit des nouvelles transmises par les médias traditionnels. Comment interprétez-vous cette question? Comment peut-on rattraper ce déficit de crédibilité?

M. Saulnier : J'aimerais souligner deux aspects pour répondre à votre question : la notion de crédibilité et les nouvelles habitudes des jeunes.

J'enseigne le journalisme à l'Université de Montréal, comme vous le savez, et, en début de session, je pose toujours les questions suivantes aux jeunes étudiants : « Comment vous informez-vous? Qu'est-ce que vous lisez? Qu'est-ce que vous écoutez? » J'ai eu un choc la première fois que j'ai posé cette question, car dans une classe de 25 étudiants, 4 ne possédaient pas de télévision. J'ai dit : « Ah! bon, et vous voulez faire du journalisme? » Et là, on m'a mis en garde : « Attention! On n'a plus besoin de posséder une télévision pour faire du journalisme, pour lire et voir ce qui se fait en matière d'information, on fait tout ce que les jeunes de moins de 35 ans font, au lieu d'écouter Enquête en direct le jeudi soir, on rattrape l'émission soit sur Tou.tv ou par l'intermédiaire de Facebook; on se bâtit un petit réseau social où chacun va chercher ce dont il a besoin. »

Je crois que ceci reflète bien les nouvelles habitudes de consommation des médias. Comme je vous dis, je m'adresse à de futurs journalistes; s'ils ne sont pas informés, on a un problème. C'était le premier aspect que je voulais soulever.

En ce qui concerne l'aspect de la crédibilité maintenant, j'ai été président de la Fédération des journalistes du Québec durant plusieurs années, et je me souviens que des sondages sur la crédibilité des journalistes étaient menés tous les 10 ans environ. À une certaine époque, notre cote de popularité était très basse, alors qu'au cours des quatre dernières années, on a pu constater une amélioration. Pourquoi? Parce que le journalisme de l'avenir va privilégier les secteurs plus spécialisés — l'enquête journalistique, par exemple. Chez Radio-Canada, on a favorisé le journalisme d'enquête parce que, sur le Web, les journalistes professionnels doivent se distinguer de tout un chacun grâce à un blogue, un site web, Facebook, ainsi de suite.

Personnellement, je ne crois pas qu'il y ait une crise de crédibilité chez les journalistes. À l'heure actuelle, ces nouvelles habitudes de consommation sont réelles, ce qui fait que les journalistes doivent aller chercher les gens là où ils sont et non pas s'attendre à ce qu'ils regardent la dernière édition d'Enquête en direct. Depuis longtemps, Radio-Canada fait en sorte que ses reportages se retrouvent sur différentes plateformes, comme Twitter, par exemple.

Honnêtement, je ne crois pas que la crédibilité des journalistes soit entachée. Elle l'a été davantage il y a 20 ans. Je suis en mesure de vous le dire, parce que la FPJQ, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, avait fait des sondages à cette époque. C'était pire à cette époque que maintenant.

La sénatrice Verner : Même dans une société où il faut gagner la une à tout prix?

M. Saulnier : La une ne veut plus rien dire. Si vous connaissez La Presse+, vous constaterez qu'il n'y a plus de une. On n'ouvre pas sur la nouvelle du jour, on ouvre sur un dossier spécifique sur les malades psychiatriques dans les rues, par exemple. Il n'y a plus de une dans l'ère numérique. La une, c'est celle que vous choisissez d'aller chercher au moyen de vos abonnements, de votre réseau Facebook, de votre compte Twitter, selon vos intérêts.

L'effet pervers de cette réalité dans une société, par contre, c'est la disparition de l'aspect rassembleur que les médias traditionnels créaient, alors que tout le monde s'installait en même temps pour écouter une émission. L'effet rassembleur a disparu. Dorénavant, tout est atomisé, tout est éclaté. Il n'y a plus de cette cohésion dans une société et, sur le plan philosophique, il faut se préoccuper de cette question, ainsi que sur le plan démocratique.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Monsieur Saulnier, je vous remercie de votre présence. Vous êtes un témoin dynamique et très bien informé; c'est un plaisir de vous avoir ici. J'ai quelques questions à vous poser.

Vous avez parlé de l'importance d'un financement stable pour la transition vers une plateforme numérique, vers les médias numériques. Aux fins de la discussion, supposons que vous êtes encore chef des opérations et que vous devez composer avec le niveau de financement actuel. Si votre priorité est d'adapter Radio-Canada à cette nouvelle plateforme numérique, où irez-vous puiser les fonds nécessaires pour le faire, compte tenu de votre financement actuel?

[Français]

M. Saulnier : Je dois vous le dire : je n'ai pas l'ambition de vouloir redevenir patron de l'information ou occuper une fonction à la direction de Radio-Canada. Je suis très heureux dans ce que je fais à l'heure actuelle. Radio-Canada a besoin des jeunes, ces jeunes qui sont nés dans l'ère numérique et qui l'ont apprivoisée. C'est à ces gens qu'il faut confier l'avenir de Radio-Canada, selon moi. Le malheur, comme je vous l'ai expliqué plus tôt, c'est que ces jeunes sont écartés pour des raisons de compressions budgétaires. Malheureusement, ils sont les premiers à en subir les conséquences et, par le fait même, l'expertise de ces jeunes disparaît du jour au lendemain. C'est tragique.

Maintenant, vous m'avez demandé où je couperais.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Quel transfert effectueriez-vous?

[Français]

M. Saulnier : Oui, mais ce que j'ai envie de vous dire, c'est que je ne voudrais pas me retrouver dans une situation où il faudrait faire un choix entre l'information et les séries dramatiques à Radio-Canada. Je suis de ceux qui croient que les séries dramatiques typiquement radio-canadiennes sont extrêmement utiles sur le plan culturel. Elles ont ce côté rassembleur dont on parlait plus tôt. Ça existe encore, puisque 2 millions de personnes s'installent devant Unité 9 ou 19-2, des séries télévisées phares de Radio-Canada.

Lorsque je faisais des reportages à l'étranger dans les années 1980, je suis allé en Égypte avec mon collègue Gilles Gougeon faire la tournée de la première guerre du Golfe contre l'Irak. Quand on voulait une ligne avec Montréal, il fallait louer un satellite qui coûtait des milliers de dollars pour pouvoir l'utiliser à peine une demi-heure. Il fallait conclure une entente avec un télédiffuseur pour pouvoir occuper ses locaux. Les technologies numériques nous permettent d'épargner beaucoup d'argent d'une certaine manière. Maintenant, je peux sortir avec un iPhone de la place Tahrir, au Caire, et être en direct avec un iPhone, ce qui est extraordinaire. Des économies sont réalisées de ce côté. Parfois, on dit que le virage numérique nécessite des investissements majeurs pour la transformation de tout ce qui s'appelle la quincaillerie pour gérer le contenu afin de le rendre accessible à la radio, à la télé, et cetera. Il y a tout un travail à faire du côté des modes de production à l'interne. Il est évident qu'il va falloir se pencher sur cette question.

Les technologies numériques offrent des occasions extraordinaires, mais si nous souhaitons investir dans celles-ci, nos concurrents sur le marché francophone ne sont pas TVA ni la chaîne V. Désormais, le vrai concurrent, c'est l'univers. C'est la planète. Ceux qui pourront occuper une place à l'intérieur de la planète ce sont des marques fortes comme le journal Le Monde et le New York Times. Radio-Canada peut l'être aussi, mais il faut de l'argent pour structurer, développer et soutenir ce virage numérique.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : J'ai une deuxième question. Vous avez dit que la radiodiffusion publique est essentielle pour protéger la démocratie, mais la radiodiffusion publique pour la création du contenu canadien ne permettrait-elle pas de le faire? La radiodiffusion est déjà accessible, démocratique et de plus en plus égalitaire, avec YouTube, par exemple; est-ce le financement public pour notre société de radiodiffusion publique qui est essentiel, ou est-ce que ce sont les autres sources de financement pour les artistes qui ne sont pas obligés de réaliser des profits pour obtenir du financement? J'aimerais que vous répondiez à cette question.

[Français]

M. Saulnier : Je crois qu'on ne fait pas l'aumône aux créateurs ou aux artistes lorsqu'on a un diffuseur public. Selon moi, la raison pour laquelle il est essentiel d'avoir un diffuseur public, c'est — et je ne veux pas dénigrer le travail que font les diffuseurs privés; j'ai un immense respect pour ceux-ci. Cependant, je sais pertinemment, pour avoir fait carrière pendant 30 ans comme journaliste et pour avoir été aussi président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, qu'il y a certains sujets qui ne seront pas traités par le télédiffuseur privé, alors qu'ils le seront par le diffuseur public. Les intérêts des actionnaires de Bell, Rogers, Québecor et Gesca auront parfois une certaine influence sur les contenus. On a diffusé un bulletin de nouvelles au réseau TVA pour parler de l'arrivée de Québecor dans le monde de la téléphonie. Cela crée, à mon avis, un certain malaise. Je ne sais pas s'il s'agit de la bonne façon de procéder. Je ne dénigre pas leur travail, mais je sais que le poids des actionnaires est réel.

C'est la raison pour laquelle il est important, même dans cet univers de YouTube et des autres, d'aller chercher des contenus. Les contenus des marques fortes des diffuseurs publics, notamment la BBC et Radio-Canada, ont la liberté de traiter de toutes les questions en toute indépendance. C'est la garantie que vous donnez aux gens qui paient pour avoir Radio-Canada. Vous offrez un contenu culturel indépendant, libre de toute pression commerciale des actionnaires et des lobbies syndicaux et patronaux de toute sorte. Vous offrez une programmation indépendante et libre. Vous avez le droit, même dans une émission comme le Bye Bye, à Radio-Canada, de faire de l'humour sur les hommes et les femmes politiques. Je ne suis pas convaincu qu'on peut faire la même chose dans le secteur privé. Par le passé, des gens comme Louis Morissette et Véronique Cloutier n'ont pas pu travailler avec le groupe Québecor pendant 10 ans, parce qu'ils avaient fait de l'humour sur M. Péladeau. Il faut avoir la capacité, la liberté et l'indépendance de traiter de toutes les questions. Or, c'est un diffuseur public qui peut le faire. Même à l'heure du virage numérique, ce n'est pas parce que nous avons une multitude d'autres sources que nous disposons d'une garantie. On a besoin d'un repère solide, indépendant et libre de traiter de toutes les questions, qu'il s'agisse de l'actualité, du milieu culturel et du milieu sportif, entre autres.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Vous avez mentionné que certains sujets sont plus susceptibles d'être traités par les radiodiffuseurs publics que par les radiodiffuseurs privés. Autrement qu'en vous moquant des Pierre Péladeau de ce monde ou d'autres personnes du secteur privé, pouvez-vous nous donner un exemple plus précis, plus substantiel de sujets susceptibles d'être traités par les radiodiffuseurs publics et non par les radiodiffuseurs privés?

[Français]

M. Saulnier : Je peux vous donner l'exemple d'une émission comme Enquête à Radio-Canada, qui a pu traiter de tous les sujets en toute indépendance. C'est d'ailleurs mentionné dans mon livre. En tant que patron de l'information, j'ai autorisé un reportage qui concernait la belle famille du président-directeur général de Radio-Canada à l'époque. J'ai autorisé ce reportage, parce que je considérais que, en toute liberté, nous n'avions pas à protéger l'un ou l'autre. On devait traiter équitablement de tous les dossiers. On peut se permettre de traiter de tous les sujets en toute indépendance, en toute liberté. Comme patron de l'information, je savais que je pouvais autoriser un tel reportage. Par contre, j'ai dit à mon équipe : « Faites votre travail convenablement. Vous avez intérêt à ne pas avoir une seule virgule mal placée. » C'est cela, aussi, la liberté, l'indépendance.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Vous avez mentionné dans votre exposé qu'il nous faut une nouvelle Loi sur la radiodiffusion, un nouveau mandat, et cetera. C'est bien possible, j'en conviens. Qu'est-ce qui devrait figurer dans cette nouvelle Loi sur la radiodiffusion qui ne figure pas dans celle que nous avons actuellement?

[Français]

M. Saulnier : J'aimerais pouvoir répondre à tous les aspects de cette nouvelle loi, mais il serait vraiment prématuré, selon moi, de le faire. J'ai eu la chance de rencontrer Marcel Masse, ancien ministre qui a piloté la Loi sur la radiodiffusion en 1991. On a parlé longuement de tout le processus. Cette loi a été créée en 1991 alors qu'on commençait à entendre parler d'Internet. À cette époque, soit en 1995, Radio-Canada ne disposait même pas de réseaux de l'information en continu. On n'avait pas envisagé que le Web allait devenir le territoire sur lequel tout le monde allait migrer. Le monde a énormément évolué depuis l'époque où j'ai commencé ma carrière comme journaliste à Radio-Canada — et je vais même remonter plus loin, quand je livrais le journal La Presse. Il faut se demander ce que sera l'ère numérique dans les années à venir. Le CRTC a déjà affirmé que cela ne le concernait pas, mais c'est faux.

C'est une question de culture nationale et de la culture démocratique de ce pays. On doit se préoccuper d'Internet et du fait que ces géants sont en train de monopoliser la gestion du Web et de contrôler ce qu'on met dans le tuyau. Il faut que ce thème soit abordé, de même que la question du financement stable, des redevances ou d'autres formules très certainement. Il en va de même pour la question du mode de nomination du président et des administrateurs.

Maintenant, que l'on soit sur la patinoire numérique ou à l'ère de la période des médias traditionnels, il faut occuper un espace à l'intention des francophones de tout ce pays. Il faut être capable de remplir ce mandat. On ne va pas passer à côté. Cela fait partie de la raison d'être de Radio-Canada. Je vous dis humblement qu'il y a toute une réflexion à faire. Avec certains collègues, à l'université, on y réfléchit. Nous aurons sans doute des propositions à faire lorsque sera venu le moment de se pencher sur cette nouvelle loi. Je puis vous dire que nous avons déjà créé un comité de travail qui se penche sur la question.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Nous aimerions en savoir beaucoup plus à ce sujet. Ne diriez-vous pas que la chose la plus importante, c'est la capacité des Canadiens, qui fournissent un milliard de dollars par année à CBC/Radio-Canada, d'avoir accès à l'information et aux reportages qui les concernent? Qu'ils soient au Québec, au Canada atlantique, dans l'Ouest ou dans le Nord, ils veulent en apprendre plus au sujet de leur pays et de leur histoire, parler de leur avenir et se comprendre. C'est la principale raison d'être de CBC/Radio-Canada, selon moi.

N'y aurait-il pas une autre façon de faire les choses ou même de les améliorer? Au lieu de verser le milliard de dollars à CBC/Radio-Canada, on le verserait aux fournisseurs de contenu et aux producteurs qui créent les émissions, puis on obligerait les réseaux privés, au moyen d'une réglementation relative au contenu, par exemple, à présenter ces émissions; on n'aurait donc pas besoin de CBC/Radio-Canada. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

[Français]

M. Saulnier : La question que vous soulevez comporte deux aspects. Premièrement, on peut être francophone ou anglophone. Je ne parlerai pas de la partie anglophone, je me concentrerai surtout sur la partie francophone. Les francophones ont besoin de savoir ce qui se passe à l'extérieur du Québec et de l'Acadie. Ils ont besoin d'un effet de cohésion pour comprendre comment la culture se développe. En même temps, ce serait aller à l'encontre de l'intérêt de l'épanouissement de la francophonie que de ne pas lui permettre d'avoir une vision de ce qui se passe sur la scène internationale. Aujourd'hui, pour comprendre le terrorisme, on a besoin de savoir ce qui se passe ailleurs. Que l'on soit francophone, anglophone, Américain, Français ou Australien, on veut savoir ce qui se passe et ce qui est en train d'arriver.

Un diffuseur public, parce qu'il a des correspondants à l'étranger et des gens capables de s'informer un peu partout dans le monde, va nous apporter cet éclairage et faire des comparaisons. Il est vrai qu'un milliard de dollars, c'est beaucoup d'argent. Cette somme sert deux entités, anglaise et française; elle sert la radio, la télé et Radio-Nord, et elle permet d'avoir un site Internet. L'investissement dans Internet est majeur à cause de notre compétiteur.

Il suffit d'aller voir ce qui est inscrit sur le site de la compagnie Google. Je ne me souviens plus des mots exacts, mais ils disent quelque chose qui ressemble à ceci : on veut donner un accès universel à l'information. Ils n'ont pas de journalistes, mais ils veulent donner un accès universel à l'information. En faisant une recherche sur Google, vous verrez sa mission.

Je prétends qu'il faut être capable d'entrer en compétition avec Google pour offrir quelque chose. Il faut avoir notre propre diffuseur qui soit en mesure de rivaliser avec les vrais concurrents sur la place mondiale. Je ne suis pas en train d'excuser l'administration de Radio-Canada ou de la CBC. Mon propos n'est pas là. On pourrait en parler longtemps, mais pas ici.

Cet investissement vaut la peine, parce qu'il nous permet, comme francophones, de nous épanouir, de comprendre ce qui se passe dans le monde et, au moins, de ne pas être démunis quand surviennent des événements comme ceux qui se sont produits ici, au Parlement, ou en France, tout récemment.

Le président : J'aurais deux courtes questions. Vous avez parlé de votre comité de réflexion sur la Loi sur la radiodiffusion. Au-delà de la Loi sur la radiodiffusion, pouvez-vous réfléchir à ce que pourrait être une loi sur CBC/ Radio-Canada? Vous avez parlé de la nomination du président et du processus de nomination des membres du conseil. Au lieu de considérer la Loi sur la radiodiffusion comme si elle s'appliquait à tout le monde, est-ce qu'une loi constituante pour CBC/Radio-Canada ne pourrait pas être une approche qui vous aiderait à atteindre les objectifs que vous visez avec votre groupe?

M. Saulnier : Dans mon livre, je parle de deux entités. Je vais aussi loin que de dire que l'on ne peut traiter ces deux entités sur le même pied d'égalité.

Compte tenu des marchés très différents auxquels sont confrontés Radio-Canada, avec le marché francophone, et la CBC, avec le marché anglophone, il est important aussi d'avoir ces deux entités autonomes. Je ne dis pas qu'il ne faut pas partager les ressources. Toutefois, il faut une certaine autonomie pour permettre l'élaboration de stratégies appropriées pour le marché auquel on s'adresse. On ne s'adresse pas de la même manière à un marché francophone captivé, loyal et fidèle, comme il existe à Radio-Canada dans la télévision traditionnelle et comme on est en train de bâtir auprès des internautes francophones.

Oui, on a commencé à réfléchir à ces questions. Dans mon le livre, je les abordais aussi. Je parlais vraiment de deux entités. Je ne dis pas que l'une devrait être totalement indépendante. Par contre, il doit y avoir véritablement une frontière entre les deux pour permettre à l'une et l'autre de ces entités de fonctionner de façon plus autonome.

Le président : Sans vouloir commenter ce qui s'est passé à la CBC depuis quelques semaines au sujet des revenus externes pour les gens en onde, est-ce qu'il y avait une politique à Radio-Canada concernant les revenus que les journalistes en onde pouvaient avoir lorsqu'ils donnent des conférences à des organismes sur des sujets dont ils sont susceptibles de traiter dans les bulletins de nouvelles?

M. Saulnier : Il existe une politique qui vise les normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada. Ce sont, d'ailleurs, les mêmes pratiques en français et en anglais. Toute demande d'intervention extérieure ou de collaboration à l'extérieur de la part des vedettes devait m'être adressée, pour obtenir une autorisation, ou être adressée à leur supérieur immédiat. Est-il déjà arrivé que des vedettes ne m'en aient pas parlé? Peut-être. Il faudrait retourner en arrière. Toutefois, je puis vous dire que c'était la politique qui existait. J'ai été plutôt heureux de voir que mon successeur, Michel Cormier, a rendu publique, la semaine dernière, une politique qui souligne de façon encore plus importante cet aspect.

Ma philosophie, comme patron, c'était de dire que les animateurs, en général, ont quand même un bon salaire; c'est aussi de la représentation que l'on peut faire. Je leur disais que, si on leur offre un cachet, premièrement, ils ne sont pas obligés de l'accepter. Deuxièmement, je ne nommerai pas de noms, mais il est arrivé que des gens prennent le cachet et le donnent immédiatement à une œuvre de charité. De la même manière, on recevait parfois plein de livres pour en parler lors d'une émission. Je me disais ainsi que nous pourrions ramasser ces livres et les donner à la bibliothèque d'une municipalité quelconque. C'était ma philosophie, et je suis plutôt satisfait de voir comment les choses ont évolué avec les nouvelles règles.

[Traduction]

Le président : J'ai sur ma liste le sénateur Plett, le sénateur Eggleton et le sénateur Housakos. Le sénateur Plett aura une question à soulever à la fin de la séance, et je pense que le sénateur Housakos en aura une également.

Le sénateur Plett : Je vais essayer d'écourter mon préambule. Je voudrais parler encore un peu du financement. Il semble que nous ayons passé beaucoup de temps, dans ces études, à parler du financement, du manque de financement, du fait que CBC/Radio-Canada a besoin de plus de financement. Je ne parlerai pas des compressions de 440 millions ou de 414 millions de dollars qu'un gouvernement a effectuées par rapport à celles que l'autre gouvernement a effectuées, même si je l'ai maintenant mentionné.

Ce n'est vraiment pas la question ici. Les deux gouvernements ont effectué des compressions budgétaires. Je crois que notre gouvernement a réduit le financement de CBC/Radio-Canada et qu'il lui a dit qu'elle devait vivre selon ses moyens, comme toutes les autres sociétés d'État, et que cela passait par certaines compressions.

Vous avez parlé de Google et de divers appareils numériques. J'ai ici un BlackBerry. Mon premier téléphone cellulaire était un appareil qu'on appelait la « brique », et je pense l'avoir payé 1 500 $. Les ordinateurs étaient gros comme ça et ils coûtaient des milliers de dollars. Maintenant, ceci nous sert d'ordinateur, et je ne sais pas trop combien cela coûte.

Nous sommes allés à Toronto et nous avons visité les locaux de CBC, situés dans un immeuble de 10 étages. J'ai demandé à la personne qui nous guidait durant la visite : « Si vous deviez construire cet immeuble aujourd'hui pour les mêmes besoins que vous aviez à l'époque, combien d'étages aurait cet immeuble? » Il a répondu : « Cinq étages. »

Nous sommes allés à Halifax, et on nous a fait visiter un studio de production. Je crois qu'il en a coûté 600 000 $ pour l'aménager. C'est dans les documents, mais je crois que c'est ce qu'il en a coûté. On a supprimé, il me semble, trois postes au studio de production; de toute évidence, en quelques années, on aura compensé ces 600 000 $.

Les coûts sont moins élevés dans le contexte actuel. Le secteur privé réduit ses dépenses. On réduit le nombre de journalistes sur le terrain. On envoie un caméraman qui fait également le travail d'un journaliste.

Compte tenu de tout cela et du fait que le gouvernement dit que CBC/Radio-Canada est censée vivre selon ses moyens et qu'il coupe d'un même montant le financement, j'aimerais que vous m'expliquiez comment vous pouvez dire que CBC/Radio-Canada doit obtenir plus de financement — d'après ce que je comprends, c'est ce que vous dites, mais peut-être que vous parlez seulement d'un financement stable —, alors que tous les coûts sont moins élevés. Pourriez-vous répondre à cette question, s'il vous plaît?

[Français]

M. Saulnier : Je tiens surtout à souligner qu'on ne peut pas faire de planification s'il n'y a pas de financement stable sur un horizon d'au moins quatre ou cinq ans. Je me souviens qu'à une certaine époque — c'est un passage qui se trouve dans mon livre —, le financement a failli être étalé sur une période de cinq ans. Je n'étais pas là à cette époque, mais je sais qu'on a décidé que le financement serait étalé sur un an. Donc, chaque année, Radio-Canada devait aller cogner à la porte du ministère du Patrimoine canadien pour obtenir du financement en prévision du virage numérique. Je tenais à insister sur ce point. Je ne suis pas en train de dire qu'il faille augmenter de 250 millions de dollars le budget de Radio-Canada. Je serais irresponsable de faire une telle affirmation.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Merci.

[Français]

M. Saulnier : Le virage numérique demande une planification et un financement stable sur un horizon d'au moins cinq ans. Je crois également qu'on est allé trop loin en ce qui concerne le financement actuel de Radio-Canada. Il faudrait, à tout le moins, faire en sorte qu'on éponge une partie des coûts engendrés par le virage numérique. Or, nous ne sommes pas outillés pour le faire. Le journal La Presse a injecté 40 ou 45 millions de dollars pour mettre en œuvre la diffusion sur iPad. Ici, on parle juste d'un journal. Le virage numérique engendre des coûts importants.

[Traduction]

Le sénateur Plett : En tant que directeur général de l'information à Radio-Canada, comment déterminiez-vous quels reportages seraient présentés? Vos réunions de rédaction ont-elles déjà fait l'objet d'ingérence politique? Selon vous, en font-elles l'objet actuellement?

[Français]

M. Saulnier : Non, il n'y a pas eu d'ingérence politique. J'ai déjà autorisé la diffusion d'un dossier sur Guy Gendron en ce qui concerne les sables bitumineux à Radio-Canada. D'ailleurs, à l'époque, le bureau du premier ministre avait présenté une plainte au sujet de ce reportage. On a traité cette plainte en démontrant qu'on avait bien fait notre travail. Personne n'appelle Alain Saulnier ou Michel Cormier pour leur interdire de faire un quelconque reportage. Cela n'existe pas. C'est une caricature. Quel est le rôle du patron de l'information? Il donne une orientation. Pour ma part, je tiens à privilégier deux choses : les enquêtes journalistiques, parce que c'est l'avenir des journalistes, et les informations internationales, parce que sans Radio-Canada, ces informations n'existeraient pas. La firme Influence Communication a affirmé que Radio-Canada et La Presse produisent, à eux seuls, 80 ou 85 p. 100 des informations internationales. Retirez Radio-Canada des informations internationales et on n'a plus rien. Voilà le genre d'orientation qu'on cherche à donner. Évidemment, de mon côté, je dois résister à des pressions. Il m'est arrivé de croiser des gens qui me faisaient des demandes. Je me tenais le plus loin possible de ce type de pression. Les appels étaient toujours filtrés. J'avais un vice-président qui avait la délicatesse de bloquer ce genre de pression. C'est ce qui fait que Radio-Canada existe. La force de Radio-Canada, c'est de ne pas succomber à ces pressions afin de toujours marcher droit devant.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : Le sénateur Plett sera surpris d'apprendre que je suis d'accord avec lui : CBC/Radio-Canada doit vivre selon ses moyens. La question est de savoir ce que sont des moyens raisonnables. Indépendamment de l'importance des compressions, c'est leur multiplication qui n'a plus de bon sens, à mon avis.

Permettez-moi de revenir sur les fournisseurs de services Internet, y compris ce qu'on appelle la télévision par contournement, les fournisseurs de contenu d'émissions. Le CRTC ne s'est pas avancé en ce qui concerne la réglementation dans ce domaine. Selon vous, cette question doit-elle être réexaminée?

[Français]

M. Saulnier : Honnêtement, je n'ai jamais compris pourquoi le CRTC avait pris cette décision. Peut-être que ce sont des gourous ou des visionnaires. Peut-être qu'il n'en existe pas assez ou qu'il y en a trop. Tout le monde voyait venir le virage numérique, mais jamais avec autant de force qu'à l'heure actuelle.

À mon avis, c'est une erreur de la part du CRTC de ne pas avoir appuyé ce virage. C'est un peu comme s'il avait dit qu'il se retirait et que nous pouvions faire ce que nous voulions. Or, c'est ce que font les géants du Web. Ils font ce qu'ils veulent. Dans le cadre d'une nouvelle approche ou d'une nouvelle planification, il est temps, en tant que pays, État, société et culture, de se doter de balises, à savoir de déterminer nos priorités. Est-ce que l'on souhaite des diffuseurs qui vont faire rayonner notre culture? Est-ce que l'on veut des informations qui proviendront uniquement des réseaux américains ou, à la limite, des réseaux français pour les francophones? Ce n'est pas ce que l'on veut. Et pour ce faire, il est essentiel que l'on prenne le virage numérique. Il y a à peine cinq ans, le journal La Presse était une édition papier. Aujourd'hui, il nous annonce qu'il n'y en aura peut-être plus d'ici deux ans. Le papier fait de la télévision. Ils ont un studio de télévision à La Presse. Nous, à Radio-Canada, on publie des textes aussi sur le Web. On fait de plus en plus ce que j'appelle une production totalement éclatée avec la vidéo, l'audio, et cetera.

Tout le monde des médias traditionnels se retrouve sur la même patinoire et joue le même jeu, soit le virage numérique. La situation a complètement évolué, et le CRTC a raté complètement le rendez-vous.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : Je pense que vous avez raison. Cela doit être réexaminé. On n'a peut-être pas prévu les choses dont vous parlez et que nous connaissons actuellement dans le monde numérique.

J'ai une dernière question qui porte sur les nominations au conseil d'administration de Radio-Canada. À ce sujet, vous avez dit, à juste titre, je crois, qu'elles devraient faire l'objet d'un examen approfondi et qu'il faudrait procéder un peu différemment. Je ne parle pas des personnes qui contribuent à des partis politiques. Il s'agit simplement de nommer les personnes les plus compétentes au conseil d'administration.

J'aimerais que vous nous parliez de la position du président de Radio-Canada, car certains pensent qu'il faut nommer les bonnes personnes au conseil d'administration, comme vous l'avez indiqué, et que ces personnes devraient ensuite choisir le président, choisir quelqu'un qui possède des compétences extraordinaires, et non pas quelqu'un qui fait l'objet d'une nomination politique. Qu'en pensez-vous?

[Français]

M. Saulnier : Je ne vais pas m'aventurer de ce côté-là. Par contre, si le mode de nomination est transparent et qu'on établit les critères, je ne veux pas me retrouver dans une situation où les critères ne sont pas écrits quelque part. J'aimerais savoir sur quelle base on a choisi un tel ou une telle. Je ne dis pas que ce n'est pas une bonne personne, mais il est normal qu'on sache pourquoi on a choisi cette personne-là, tout simplement. Elle peut être d'allégeance conservatrice ou libérale, peu importe. Mais si, par exemple, dans les critères, on dit que la compétence, la connaissance des milieux des télécommunications et de l'univers numérique sont des facteurs déterminants, à ce moment-là, tout à coup, on vient de trouver un vrai critère qui va permettre de faire face à l'avenir. Ce qui fera en sorte que, peu importe le parti politique qui remportera les prochaines élections, on saura que le critère existe et qu'il est déterminant pour l'embauche ou pour le contrat offert à un administrateur qui doit siéger au conseil d'administration, de la même façon que pour le PDG de CBC/Radio-Canada. J'aimerais donc ajouter avec plaisir : allons vers les jeunes.

Le sénateur Housakos : Monsieur Saulnier, j'ai une question à laquelle vous pouvez peut-être répondre. Évidemment, après 25 ans à la tête du Service de l'information de Radio-Canada, si quelqu'un sait comment cela fonctionne, c'est probablement vous. Depuis plusieurs mois, on a entendu le président, M. Hubert Lacroix, dire qu'il faut tenir un débat national sur l'avenir de CBC/Radio-Canada. Il a même dit que la société est actuellement en situation de crise. Notre comité travaille depuis maintenant plus d'un an, et on fait exactement cela. À titre de comité parlementaire, on est en train de tenir un débat national sur l'avenir de CBC/Radio-Canada. On a la volonté de publier un rapport exhaustif accompagné de recommandations au Parlement à propos de l'avenir de CBC/Radio-Canada. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi les dirigeants administratifs ont affirmé à plusieurs reprises qu'il faut un débat national et une consultation publique à l'échelle nationale à propos de l'avenir du diffuseur public? De l'autre côté, notre comité travaille depuis un an et demi sur les nombreux enjeux liés à l'avenir de CBC/Radio-Canada. D'abord, on a de la difficulté à obtenir des renseignements de base de la part de M. Hubert Lacroix et de l'administration.

Ensuite, notre comité n'a eu aucune couverture de la part de Radio-Canada et de la CBC. Comment se fait-il que notre comité parlementaire qui, depuis un an et demi, s'est lancé dans une discussion nationale n'ait pas eu de couverture? Les gens chez CBC/Radio-Canada n'ont pas trouvé intéressant notre travail? C'est la dernière question que j'avais à poser. C'est tout de même une question intéressante.

Le président : Cela vous donne l'occasion de conclure en même temps. Je vous vois sourire.

M. Saulnier : Je souris, parce que tout le monde voudrait qu'on couvre tout. Très honnêtement, et avec tout le respect que j'ai pour le travail que vous accomplissez — et je peux voir que vous avez fait vos devoirs, car vous avez très bien préparé vos questions —, le public n'est pas tellement au courant de ce que vous faites. Les gens se demandent pourquoi le Sénat s'intéresse à Radio-Canada. Est-ce que ce n'est pas le ministère du Patrimoine canadien qui s'intéresse à Radio-Canada?

Le sénateur Housakos : C'est le comité parlementaire.

M. Saulnier : Vous le savez. Mais est-ce que l'ensemble du public le sait?

Le sénateur Housakos : On a besoin de l'aide de nos télédiffuseurs publics plus que jamais. C'est la question qui est importante.

M. Saulnier : Avec tout le respect que j'ai pour vous, sénateur Housakos, le télédiffuseur public n'est pas la retransmission des débats de la Chambre des communes ni des débats du Sénat. Il y aurait lieu, peut-être, d'informer le public sur vos travaux. En même temps, je ne veux pas expliquer ou excuser quoi que ce soit. Presque tous les parlementaires trouvent que le service public ne les couvre pas suffisamment ou qu'ils ne sont pas critiqués correctement. Les libéraux critiquaient la façon dont CBC/Radio-Canada faisait son travail. On accusait les journalistes d'être des souverainistes. On accuse les gens de la CBC d'être des gauchistes. Cela fait partie de l'univers dans lequel on travaille, et on est capable de jauger et d'équilibrer un peu tout cela. Mais je pense que vous avez peut-être aussi besoin de nous l'expliquer davantage. Ce n'est pas à Radio-Canada non plus que revient ce rôle.

Pour conclure, monsieur le président, tout ce que je peux souhaiter, c'est que, effectivement, le travail que vous accomplissez nous permette de pousser plus loin la présente réflexion. Pour ma part, il y a des choses qui représentent des enjeux majeurs. Un financement stable, à mon avis, est essentiel, parce qu'il faut planifier le virage numérique. Il faut clarifier le mode de nomination du président de Radio-Canada et de son conseil d'administration. Les gens s'interrogent, à l'heure actuelle. Quand on voit les contributions au Parti conservateur, les gens ont beau croire qu'ils sont peut-être à l'abri des pressions, mais en même temps, la perception n'est pas non plus toujours la meilleure dans ces circonstances-là. Il faut aussi revoir la Loi sur la radiodiffusion, peut-être la préciser davantage dans un champ qui traiterait non pas l'ensemble de la loi, qui traitait un peu de tout, qui était une immense loi à tous les égards. Il faut très certainement qu'on se penche sur Radio-Canada et sur la CBC. J'estime qu'on a besoin plus que jamais, à l'ère numérique, d'avoir des repères solides. Les repères solides, je l'affirme en tout respect et en toute humilité et modestie, c'est le diffuseur public qui joue le rôle de nous les offrir. On peut avoir plein de critiques à formuler, et je suis aussi de cet avis-là, mais c'est fondamental pour la culture, la démocratie et les francophones de notre pays. Il s'agit d'un besoin urgent. Voilà.

Le président : Je vous remercie, monsieur Saulnier. Puisque nous n'allons pas nécessairement avoir la couverture de Radio-Canada, je veux répéter aux gens qui nous écoutent sur Internet et CPAC que nos travaux sont toujours diffusés. J'ai été négligeant aujourd'hui, car, habituellement, je « tweet » sur les témoins qui vont comparaître devant notre comité, mais j'ai oublié de le faire ce soir. Je crois qu'il est important d'augmenter notre couverture et nous vous encourageons à nous suivre sur Internet au cours des prochaines semaines, puisque nous nous dirigeons vers la présentation du rapport.

Je vous remercie de votre contribution. Vous allez être en mesure de vendre quelques livres d'ici la fin de la soirée. Dans votre domaine, vous appelez cela une « plug ». Sur ce, je vais vous demander de vous retirer afin que nous passions à huis clos.

[Traduction]

Nous allons poursuivre la séance à huis clos, car deux sénateurs veulent aborder quelques sujets. Ce sera bref. Le personnel peut rester, mais je demande à tous les invités de bien vouloir quitter la pièce.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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