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Sous-comité des anciens combattants

 

Délibérations du Sous-comité des
Anciens combattants

Fascicule 7 - Témoignages du 1er octobre 2014


OTTAWA, le mercredi 1er octobre, 2014

Le Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 12 h 7, pour étudier les répercussions médicales, sociales et opérationnelles des problèmes de santé mentale dont sont atteints les membres actifs et à la retraite des Forces canadiennes, y compris les blessures de stress opérationnel (BSO) comme l'état de stress post-traumatique.

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui notre étude des répercussions médicales, sociales et opérationnelles des problèmes de santé mentale dont sont atteints des membres actifs et à la retraite des Forces canadiennes. Cela inclut les blessures de stress opérationnelles, abrégées parfois en BSO. L'une de ces blessures de stress opérationnelles fait couler beaucoup d'encre, l'état de stress post-traumatique.

Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui un témoin qui nous aidera à comprendre la blessure et les circonstances qui l'entourent, Victoria Huehn, directrice exécutive, Services communautaires de santé mentale et de dépendances de Frontenac.

Je vous laisserai nous donner un peu plus de détails sur votre institut, madame Huehn, mais je voulais indiquer à mes collègues et à ceux qui nous regardent que vous êtes une praticienne agréée de réadaptation psychiatrique, titre qui occupe, nul doute, la plus grande partie de votre porte. Vous êtes titulaire d'un baccalauréat en psychologie de l'Université Wilfrid Laurier et d'une maîtrise en administration publique de l'Université Queen's. Je vous laisse la parole pour vos remarques d'ouverture, après quoi nous aurons peut-être une petite discussion.

Victoria Huehn, directrice exécutive, Services communautaires de santé mentale et de dépendances de Frontenac : Merci beaucoup, monsieur le président. Vous pouvez ajouter à la liste le titre de directrice de services de santé car, selon moi, il est important de ne pas perdre de vue, dans nos discussions, qu'il s'agit bien d'une maladie et que la santé est un facteur extrêmement important.

C'est à titre de directrice exécutive des Services communautaires de santé mentale et de dépendances de Frontenac que je participe à la réunion et, si vous pouvez énumérer tout cela, vous êtes les bienvenus. C'est un titre à rallonge qui indique exactement de quoi nous nous occupons. Nous sommes situés à Kingston.

Le président : En Ontario.

Mme Huehn : Oui, pas dans l'est. Nous sommes à Kingston, en Ontario. J'ai été membre du Comité consultatif sur les systèmes de services de la Commission de la santé mentale, ainsi que du Groupe consultatif du ministre de l'Ontario, pour concevoir et élaborer une stratégie de 10 ans sur les dépendances et la santé mentale.

J'ai également présidé pendant six ans le Comité coordonnateur des services et de la justice de l'Ontario, qui fait son possible pour éviter que les gens finissent dans des hôpitaux et les prisons, quand c'est leur maladie qui les amène à contrecarrer la loi.

C'est en 1982 que j'ai commencé à travailler au Centre de Frontenac, en tant qu'unique membre du personnel à temps partiel. Depuis cette époque — et cela illustre combien les attitudes ont évolué en ce qui concerne les maladies, la santé mentale et les problèmes de dépendances — notre centre a été rebaptisé trois fois. Quand j'ai commencé, comme bénévole, nous avions un budget de 15 000 $. Il est maintenant de près de 15 millions de dollars. Et nous avons près de 200 membres du personnel, pour desservir plus de 3 000 personnes par an.

Il y a 33 ans, nous avions cinq propriétés en location; maintenant nous sommes propriétaires de 17 propriétés, comptant un total de 165 unités, ce qui constitue près de 15 millions de dollars en immobilisations. La gamme de services de soutien est donc large, incluant, par exemple, une unité mobile d'intervention d'urgence, la gestion de cas, diverses équipes de traitements communautaires, un programme de judiciarisation, du soutien à domicile et une myriade d'autres mesures de soutien dont les gens ont besoin quand ils s'efforcent de se rétablir.

Laissez-moi préciser que, si je me suis impliquée, si j'ai eu l'occasion de développer, de planifier et de mettre en œuvre différentes choses, ce n'était pas pour faire carrière, pour moi c'était par passion. C'est le même esprit qui m'anime aujourd'hui pour vous parler des gens dans leur processus de rétablissement.

Vous m'avez demandé au départ de vous donner une idée des systèmes de santé provinciaux et de parler de logement. Je me suis beaucoup occupée de logement partout au Canada, à la fois comme membre du comité consultatif de At Home/Chez Soi et comme membre du Comité consultatif sur les systèmes de services. J'ai codirigé le rapport sur le logement comme clé du rétablissement, Turning the key, qui passait en revue toutes les occasions existant au Canada.

Dans ce rapport, le sommaire fait plus de 20 pages. Le rapport lui-même en compte plus de 100, sans compter des annexes totalisant 600 pages. Je n'essayerai donc pas d'en résumer la teneur aujourd'hui. Mais nous avons découvert que le Canada avait désespérément besoin de plus de logements avec soutien. Nous parlons beaucoup de la nécessité d'une stratégie nationale du logement, mais il est clair que les personnes qui ont des problèmes de santé mentale et de dépendance ont besoin de soutien. Et je regrette de dire que, dans ce cas, nous passons complètement à côté de la plaque.

Notre recommandation dans le rapport est qu'il nous en faut au moins 100 000. Cela découle du rapport du sénateur Kirby, où il en avait mentionné 57 000. Notre rapport, sorti il y a au moins quatre ans, réduisait le chiffre à 100 000, bien que les calculs à l'époque établissaient le chiffre à 210 000.

Le sénateur Lang : Vous parlez d'unités ou de personnes?

Mme Huehn : De personnes prises individuellement. Il s'agit dans la plupart des cas de célibataires, donc oui, des personnes.

Le président : Si vous souhaitez approfondir cette question, je noterai votre nom sur la liste.

Le sénateur Lang : Je ne voudrais pas qu'elle perde le fil de ses idées.

Mme Huehn : Je peux perdre le fil rapidement et repartir sur autre chose tout aussi vite.

Je compte mentionner brièvement, toutefois, quelque chose qui, selon moi est directement lié au sujet que vous allez étudier : l'évolution des stratégies provinciales en matière de santé mentale et de dépendances. Je peux affirmer que, partout, on s'attache aux clients, aux choix, à l'inclusion, à la lutte contre les stigmates et à une véritable participation des utilisateurs, pour utiliser un terme prisé hors de nos frontières, auquel nous préférons ici celui de « clients » — ce qui est sûr, c'est qu'on n'utilise plus « patients » — participation, donc, des clients et des membres de leur famille.

Toutes les stratégies sont désormais clairement orientées vers ces questions. Pourquoi? La réponse est simple : cela repose sur des données probantes. Nous savons que, quand nous donnons aux gens la chance d'effectuer des choix sur ce dont ils ont besoin pour avoir un sentiment de réussite, ils sont nettement plus susceptibles d'atteindre leurs objectifs. La Colombie-Britannique va d'ailleurs encore plus loin, élaborant une stratégie appelée cadre de réadaptation psychosociale, qui lui permet de définir les modalités de prestation des services.

Laissez-moi vous expliquer un peu de quoi il s'agit. Une bonne part des grandes stratégies se penche maintenant sur la question du rétablissement. Or le rétablissement n'est pas un « modèle », pas plus que l'on ne peut dire que les gens utilisent un modèle quand ils se rétablissent du cancer. Nous connaissons tous quelqu'un qui a eu le cancer. Êtes-vous là à dire qu'ils suivent un modèle pour guérir? Non, ils se rétablissent. Il en va de même pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale et de dépendances.

L'une des définitions du rétablissement que je préfère est celle du Dr Bill Anthony. Je vais vous la lire. Il a été un des premiers promoteurs du rétablissement, un des premiers à l'identifier et à effectuer des recherches dans ce domaine. De plus, il établit une adéquation étroite entre la réadaptation psychosociale et les outils, les compétences dont on a besoin pour arriver au rétablissement. Il dit que le rétablissement est « un processus unique, profondément personnel, par lequel on change ses attitudes, ses valeurs, ses sentiments, ses objectifs, ses habiletés et/ou ses rôles. C'est une façon de vivre une vie satisfaisante, empreinte d'espoir et contribuant à la société... Le rétablissement implique l'élaboration d'un nouveau sens et d'un nouvel objectif dans la vie d'une personne qui surmonte les effets catastrophiques » d'une incapacité psychiatrique.

C'est en 1993 que Bill a pondu cet énoncé. Au fil des ans, une bonne part de la recherche, sauf celle portant précisément sur les médicaments, revenait constamment à la force de la réadaptation psychosociale qui permet aux gens de se rétablir. Notre agence, depuis que j'y travaille, est tournée sur des services axés sur le rétablissement. Une multitude d'autres organisations au Canada ont également fait œuvre de pionnier dans ce domaine. Je sais que vous avez parlé à Jennifer et à Howard de la Commission de la santé mentale. Ils évoquent la façon dont nous allons de l'avant avec cette idée d'ensemble de rétablissement, dans le cadre de la stratégie de la Commission de la santé mentale. Pour y parvenir, nous devons veiller à avoir les habiletés et les occasions voulues, ainsi que le personnel, un personnel dont le travail soit véritablement axé sur ce principe.

Je parle d'expérience : au fil des ans, on m'a rabaissée, on m'a ignorée. Peu m'importe. Il a été difficile de faire passer le concept même de laisser les gens prendre leurs propres décisions, parce que l'approche reposait vraiment sur un modèle médical. Non que la réadaptation psychosociale exclut un modèle médical. Je suis la première à dire que les médicaments sont un élément important du voyage de rétablissement d'une personne. Mais il y a aussi toute une série d'autres éléments dont il faut tenir compte. Avec l'adoption graduelle de ce nouveau paradigme, où la personne est au centre du plan, et non le personnel médical, nous battons en brèche le paradigme selon lequel un professionnel de la santé doit absolument être au centre du contrôle de la façon dont une personne progresse dans le cadre de son voyage de rétablissement. Or, il y a vraiment peu de données probantes indiquant que cela facilite les choses.

Au fil des ans, je me suis fait beaucoup d'amis qui progressaient dans leur voyage de rétablissement. J'ai eu le privilège de les accompagner. Je m'émerveille toujours de voir les gens ressaisir leur vie d'une façon riche de sens pour eux.

C'est pourquoi je souligne l'importance du rétablissement et de la nécessité de le garder à l'esprit quelle que soit la maladie, surtout quand les gens affrontent des blessures traumatiques, n'importe quelle maladie liée à l'anxiété ou à la manie ou n'importe quel problème de santé mentale. Tous peuvent bénéficier de cette approche axée sur le rétablissement.

Je suis présidente d'une organisation nationale, Psychological Rehabilitation Réadaptation Psychosociale Canada. Nous comptons des centaines d'individus et des douzaines d'organisations, des éducateurs, des utilisateurs, des membres de la famille, des prestataires de service de partout au Canada; des gens absolument dévoués au concept de rétablissement, convaincus qu'il faut appuyer les gens, où qu'ils en soient, où qu'ils se dirigent, les appuyer pour qu'ils puissent aller de l'avant.

Ceci est vrai non seulement au Canada mais dans le monde. Il existe une Association mondiale pour la réadaptation psychosociale qui compte des chapitres dans 70 pays, y compris le nôtre. La semaine dernière, le président de cette association et son secrétaire général sont venus assister à la conférence de notre organisation nationale à Toronto. Ils sont ravis d'avoir la chance de travailler en étroite collaboration avec le Canada sur notre plan d'éducation.

Le groupe avec lequel je travaille... nous sommes bénévoles, nous faisons ce que nous faisons parce que nous y croyons passionnément. Nous avons élaboré des compétences pour les praticiens qui veulent adopter des pratiques axées sur le rétablissement et qui veulent fournir ce type de service.

Je me souviens d'une époque où je me suis rendue dans un établissement qui disait pratiquer le rétablissement. Comment? Eh bien, ils allaient organiser un pique-nique de rétablissement cet après-midi dans le parc et voulaient que tout le monde se joigne à eux. J'en ai été accablée. J'ai découvert alors qu'ils ne savaient pas ce qu'était le rétablissement. J'avançais dans un couloir et une femme s'est avancée et s'est présentée, une femme charmante, mais quel était son rôle? Elle était la coordinatrice du rétablissement. On ne peut pas imposer le rétablissement à quelqu'un. Les gens doivent opter pour le rétablissement. Et je tenais à dire que c'était un mouvement à l'échelle mondiale.

L'AMRP a aussi un lien direct avec l'Association mondiale pour la réadaptation psychosociale et reconnaît que la réadaptation psychosociale est une stratégie nécessaire et bien documentée dans la voie vers la guérison. Comme je l'ai dit, lorsque notre stratégie provinciale a commencé à être axée là-dessus, nous avons ressenti beaucoup d'enthousiasme. Mais il faut veiller à ce que les gens comprennent.

De nombreuses stratégies sont offertes aux gens qui ont des besoins spéciaux par rapport à la maladie. La réadaptation psychosociale n'est pas une stratégie exclusive. Par exemple, la technique d'entrevue motivationnelle est une compétence vraiment importante à avoir lorsqu'on tente d'encourager quelqu'un à définir ses objectifs et ce qu'il a à faire pour se sentir bien.

L'éducation qui tient compte des traumatismes est absolument nécessaire. Il faut que les gens comprennent les répercussions des traumatismes. Nous savons qu'une personne sur quatre — ou sur cinq, dépendant de la source — souffre de maladie mentale. Ainsi, au moins cinq ou six personnes parmi nous ici aujourd'hui sont touchées.

Nous savons aussi que de nombreux événements de la vie nous touchent. De simplement dire aux gens « d'en revenir » ou « de passer à autre chose » ne fonctionne pas. Nous voyons constamment des gens qui souffrent de ce traumatisme, et j'en vois et j'en connais aussi dans ma vie personnelle. Il peut s'agir du jeune étudiant de l'Université Queen's qui a peur de dire à son père qu'il est gai ou de la femme qui a échoué son dernier examen et qui ne sera pas admise à une prochaine étape. Ces gens peuvent finir par se pendre.

De toute évidence, il faut commencer par l'éducation pour permettre aux gens d'avancer, pour qu'ils comprennent l'importance des traumatismes dans leur vie et la façon que nous avons de les reconnaître et de composer avec.

D'autres choses sont également importantes; par exemple, nous avons aussi adopté une culture d'accompagnement. Nous estimons que c'est très bien, ne serait-ce que pour faire en sorte que notre personnel puisse composer avec ses propres problèmes, mais la pratique s'applique aussi aux gens qui viennent nous voir pour obtenir de l'aide.

Le traitement ne consiste pas à dire aux gens quoi faire; il faut les accueillir et les accompagner dans la découverte de leur propre cheminement. C'est une pratique inclusive; c'est une chose qui ne peut être faite que par un seul organisme. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos hôpitaux, nos autres fournisseurs de services dans la collectivité, les amis, les membres de la famille; nous avons un centre de ressources familial, et nous l'appuyons comme nous le pouvons — quiconque peut venir, appeler et être présent. Il faut les soutenir pour qu'ils puissent à leur tour soutenir d'autres personnes.

Nous ne travaillons pas en silo. Évidemment, Kingston a une base militaire, où il y a beaucoup d'amis, et ainsi de suite. Je crois qu'il y a des occasions de sortir de l'isolement sur la base, mais la base fait partie de la collectivité. Il faut consulter la documentation et comprendre ce qui est important pour veiller à ce que le système, notre collectivité et notre travail avec les gens soient fluides. Il faut veiller à ce que les gens, qu'ils soient sur une base, dans la collectivité ou ailleurs, se sentent soutenus.

Il faut veiller à ce que nos connaissances de la guérison et de la réadaptation psychosociale soient appliquées dans toutes les parties du système — où qu'elles soient — pour comprendre qu'il faut être là pour les gens, composer avec eux, là où ils sont rendus dans leur cheminement, et veiller à ce qu'ils se sentent soutenus.

Le président : C'est un bon départ pour notre discussion. Merci beaucoup de nous parler du travail important que vous faites.

Je vais commencer par le sénateur Lang, parce qu'il a parlé des chiffres plus tôt.

Le sénateur Lang : Je vous remercie d'être là. Vous avez donné 100 000 comme chiffre. Je ne sais pas si vous parliez d'unités de logement ou de clientèles possibles ou des deux.

Mme Huehn : Nous parlions du nombre de personnes. La plupart des gens que nous cherchons à héberger sont célibataires. Il y a des familles, mais la plupart des gens sont célibataires, alors voilà le chiffre que je vous ai donné. En ce sens, il peut aussi s'agir du nombre d'unités dont nous aurions besoin, parce que chaque personne devrait pouvoir avoir sa propre unité.

Je sais que At Home/Chez Soi et Housing First en font la promotion. Je sais aussi qu'à notre agence, nous offrons Housing First depuis plus de 30 ans — c'est ce qu'on appelle les soutiens portables flexibles — et que certaines personnes peuvent vivre ensemble. Il y a un groupe d'hommes qui sont là depuis plus longtemps que moi, et ils constituent une famille. Ils vivent ensemble. Alors nous considérons les quatre chambres comme des unités également.

Le sénateur Lang : On ne parle pas de logement à ce comité, mais c'est un enjeu. Qu'on parle de 100 000 ou de 50 000 unités, il s'agit d'un engagement considérable des gouvernements. Mais c'est un autre enjeu, alors nous allons le laisser de côté.

Peut-être que je pourrai aborder plutôt un autre aspect? Je crois que vous avez dit avoir 3 000 clients actuellement, j'ai bien compris?

Mme Huehn : Plus de 3 000.

Le sénateur Lang : Pouvez-vous me donner votre taux de réussite? Lorsqu'une personne demande de l'aide, à quelle fréquence réussissez-vous à lui permettre de sortir, de faire sa vie et d'avancer?

Mme Huehn : Nous avons diverses fonctions. Par exemple, je peux vous dire que notre logement hautement supervisé — et je peux vous dire qu'il est bien d'offrir du logement mais que sans le soutien approprié, les gens ne réussissent pas. C'est évident. Je tenais à le préciser.

Nous veillons donc à ce que les gens aient du soutien. Dans le cadre de notre projet de logement intensif, nous avons pris des gens très malades et qui étaient à l'hôpital, et nous les avons déplacés dans la collectivité. Nous avons déménagé 13 personnes il y a 6 mois. Six d'entre elles restent dans le logement où nous les avons installées avec beaucoup de soutien. Sept sont déjà passées à d'autres types de logement avec moins de soutien. Elles sont plus indépendantes. Nous n'avons eu qu'une seule hospitalisation.

Je peux vous dire qu'en 10 ans, simplement avec le logement avec soutien, nous sommes passés de 10 ou 12 p. 100 de réhospitalisations à zéro.

Dans le cadre de nos programmes de formation professionnelle — nous n'avons pas de programmes de jour comme tels, parce que les gens veulent avoir une vie, qu'il s'agisse de faire du bénévolat, de travailler à temps partiel ou autre. Donc nous nous sommes éloignés du programme de jour, où les gens viennent et s'assoient. Il y a quand même place à cela, mais ils peuvent aller se chercher un emploi et nous les soutenons dans cette démarche. Je vous dirais que nous avons un très haut taux de réussite à cet égard. Je ne peux pas vous donner de chiffres exacts maintenant, mais certaines personnes font ce cheminement; je vous dirais qu'au moins 80 p. 100 sont passées par là. Nous avons des clients qui n'ont plus de paiements d'invalidité. Ils vivent leur vie. Ils travaillent.

Ce qu'il faut retenir avant tout, c'est que nous leur donnons de l'espoir. Je peux vous dire que nous ne connaissons pas de succès lorsque les gens ne reçoivent pas le soutien et l'espoir dont ils ont besoin.

Il est assez difficile de vous fournir une moyenne, étant donné qu'il y a tellement de gens qui se retrouvent dans tant d'endroits différents. Comme je vous l'ai mentionné, notre programme de logement a un taux de succès très élevé, car nous veillons à ce que les gens reçoivent le soutien dont ils ont besoin. Par exemple, le service de crise a réussi à faire en sorte qu'environ 350 personnes ne se rendent pas jusqu'à l'hôpital l'année dernière. Nous avons également des unités mobiles quotidiennement, qui travaillent entre 12 et 18 heures par jour, selon la journée. Les jours de semaine diffèrent de ceux de la fin de semaine.

Est-ce que ça fonctionne? Oui. Avons-nous des résultats pour montrer que cela fonctionne? Oui.

Le président : Merci de cet éclaircissement. Malheureusement, cela n'est pas encore clair pour moi et j'aurais souhaité que cela le soit suite aux questions du sénateur Lang. Malheureusement, cela me prend un peu plus de temps pour comprendre ce sujet. Vous avez 3 000 clients, 200 membres du personnel, et d'énormes dépenses qui représentent quelles régions au juste?

Mme Huehn : Nous desservons le comté de Frontenac et la ville de Kingston. Au cours des dernières années, nous avons eu la chance d'être en mesure de rassembler toute une gamme de services. Ainsi, si quelqu'un vient nous voir et nous dit : « Voilà. J'ai perdu ma famille. J'ai perdu tout l'argent qu'il me restait au casino hier soir. J'ai besoin d'aide immédiatement », nous pouvons l'orienter immédiatement. Nous avons toute une équipe d'intervention qui pourra dire : « Très bien. Vous avez besoin d'aide pour surmonter votre dépendance au jeu. Où habitez-vous? Ah, vous n'avez pas de logement. Très bien, voyons comment nous pourrions vous en trouver. »

Nous avons plusieurs services qui n'ont pas été éparpillés. Nous les avons amalgamés en deux points de service principaux afin que les gens puissent s'y rendre et que l'on puisse répondre à leurs besoins.

J'imagine qu'il existe également d'autres domaines. Nous avons eu de la chance au cours des dernières années de pouvoir rassembler ces services au fur et à mesure que nous en obtenons le financement. Dans d'autres régions, l'équipe de crise est gérée par l'hôpital et l'équipe de gestion des cas est gérée par un autre service et l'on retrouve ensuite les services de problèmes de dépendance dans un autre point de service. Nous pouvons fournir un service plus complet pour les gens qui ont besoin de notre aide.

Le président : Je vois que vous vous épuisez juste à nous en parler.

Mme Huehn : Oui, j'y pense beaucoup. Tout cela revient aux gens qui ont besoin du service, n'est-ce pas? S'ils doivent aller de droite à gauche pour essayer de comprendre le système, ils s'épuisent. Imaginez que vous ne vous sentiez pas bien ou que vous vous soyez cassé la jambe et que vous deviez vous déplacer un peu partout parce que vous ne saviez pas précisément qui allait vous aider. Notre service est particulièrement centré sur les clients et sur leurs besoins.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci d'être venue. Merci pour vos propos liminaires. J'aimerais revenir à la question des anciens combattants et de leur convalescence. J'aime ce mot. Voici ma question. Êtes-vous impliqués? Est-ce que les établissements des bases ou d'autres établissements créés par les militaires interagissent avec votre organisation? Est-ce qu'ils ont recours à votre expertise? Le savez-vous?

Mme Huehn : Mes interactions personnelles avec eux ont été fort limitées. Je sais que certains membres de mon personnel ont communiqué avec eux et qu'il y a eu, de temps en temps, une certaine interaction avec eux. Je pense qu'il s'agit d'une occasion qu'il faudrait saisir et développer davantage.

La sénatrice Stewart Olsen : C'est un excellent point. À mon avis, nous devrions nous diriger vers une approche plus axée sur la collectivité. Mais nous composons encore avec — et je sais que vous allez le comprendre — une culture militaire dans laquelle on n'a pas vraiment l'impression qu'une situation particulière se rapporte à la collectivité. Il s'agit d'entraves auxquelles il faut songer.

Vous avez proposé des aidants afin de pouvoir compléter la convalescence. J'aimerais vous fournir un exemple. Parlons de la famille. Pouvez-vous me fournir une liste des aidants que vous envisageriez pour nos anciens combattants. Je pense que nous devrions élaborer des programmes centrés autour de chacun de ces aidants, comme, par exemple, la famille, les époux et les enfants. J'aimerais que vous m'en parliez davantage.

Mme Huehn : La recherche et nos propres activités ont montré que la sensibilisation était ce dont avaient le plus besoin les familles et les amis. Ils ont besoin de comprendre ce que leur être cher vit s'ils veulent véritablement pouvoir l'aider.

La sénatrice Stewart Olsen : Oui, mais la famille, c'est l'aidant. Il faudrait voir ce que la famille a besoin de faire.

Mme Huehn : Oui.

La sénatrice Stewart Olsen : Les chiens sont des aidants pour certaines personnes.

Mme Huehn : Oui.

La sénatrice Stewart Olsen : Avez-vous d'autres exemples d'aidants? J'imagine que le logement en serait un exemple. Me suivez-vous? J'essaie de rendre cela le plus simple possible. Je ne suis pas une travailleuse dans le domaine de la psychiatrie, alors j'aimerais que vous rendiez ça le plus simple possible afin que les gens puissent le comprendre immédiatement.

Mme Huehn : La partie la plus simple est de déterminer ce que la personne souhaite faire. Bien entendu, avec certaines personnes, on peut commencer tout de suite alors qu'avec d'autres on peut se demander comment le processus de convalescence peut débuter si ces gens n'ont pas accès à un logement adéquat. C'est pour ces motifs que notre organisation a commencé par le logement. Le logement, c'est essentiel.

Je crois fermement qu'il faut avoir un logement et du soutien. Si vous ne faites que donner un logement à quelqu'un et que cette personne n'a pas de soutien, son état ne s'améliorera pas.

Nous savons également, et vous l'avez sans doute vu dans les journaux, que les problèmes de santé mentale sont encore plus présents chez les anciens combattants lorsqu'ils vivent dans la pauvreté et n'ont pas de revenus suffisants. Nous savons que ces facteurs auront une incidence considérable sur la santé mentale. Surprise. Vous n'avez pas d'endroit où habiter. Vous n'avez pas d'argent pour vous acheter à manger. Vous allez sans doute ne pas vous sentir bien. Si vous avez une maladie, ce sera certainement difficile de vous rétablir.

Il y a une phrase qui revient à juste titre souvent dans notre domaine et je vous la cite : « Un foyer, un ami, un emploi ». Que voulons-nous tous dans la vie? Nous voulons avoir un endroit où habiter, nous voulons avoir des gens qui sont là pour nous et nous voulons avoir quelque chose à faire au cours de la journée ou de la nuit. Il s'agit des choses de base dont les gens ont besoin afin de pouvoir s'épanouir — je ne parle pas de seulement survivre, mais de s'épanouir.

Vous avez parlé des anciens combattants. Je sais que beaucoup de travail a été fait en ce qui a trait à la création de centres familiaux dans les bases militaires, mais, et je ne dis pas cela seulement au sujet de ces centres, je pense à tout endroit où l'on croit que ce qu'on offre représente un service complet — je crois qu'on ne pense pas alors à la personne.

Ainsi, nous pouvons avoir un client qui a besoin de logement et de soutien. On peut aller de l'avant et créer une ligue de balle molle. On peut faire ceci ou cela, mais ce que nous voulons c'est que la personne puisse se créer une vie dans la collectivité. Nous ne voulons pas devenir leur vie. Nous ne voulons pas marcher à leur côté pendant qu'ils se créent une vie. Ainsi, certains de nos clients ont un handicap et souhaitent se rendre aux paralympiques. Nous veillons à ce que cela soit possible. S'ils souhaitent nager, nous les amenons à la piscine locale pour qu'ils puissent suivre des cours. Ainsi, les gens sont réinvestis dans leur collectivité.

Lorsque nous travaillons avec un ancien combattant qui retourne graduellement dans la collectivité sans demander l'appui des forces, il lui manque cet élément central et nous essayons de le faire rentrer dans les cases où nous le voyons. Tout à coup il sort et il est frappé par un autre élément de la réalité qui a toujours été là mais dont nous le protégions.

La sénatrice Stewart Olsen : Votre témoignage va nous aider dans notre étude de ce que les centres offrent. Merci beaucoup.

Le président : Puisque nous parlons des anciens combattants et des militaires, il y a une importante unité militaire à Kingston.

Mme Huehn : En effet.

Le président : Il y a également un grand nombre d'anciens combattants. Pouvez-vous nous dire combien de vos 3 000 clients sont membres actifs ou à la retraite des Forces canadiennes? Tenez-vous de telles statistiques?

Mme Huehn : Nous ne pouvons pas le savoir. Nous le saurions uniquement si eux-mêmes nous en avaient informés. Franchement, nos bailleurs de fonds ne nous demandent pas de vérifier si nos clients sont des anciens combattants ou pas.

Le président : Comment pouvez-vous déterminer l'origine de la maladie du trouble mental dont souffre un client? Vous avez parlé de pauvreté et d'orientation sexuelle, mais qu'en est-il du stress opérationnel? Qu'en est-il des premiers intervenants, des policiers et du personnel de l'armée? Vous devez d'abord trouver l'origine du problème avant de penser à une stratégie de rétablissement, du moins, je suppose.

Mme Huehn : Absolument. Souvent nous accompagnons la police, notre équipe de crise accompagne la police lorsqu'elle intervient auprès de quelqu'un qui a un problème de santé mentale, toujours dans l'objectif de lui éviter la prison, par exemple.

Notre équipe de crise a été formée pour reconnaître les symptômes d'un malaise particulier. Par exemple, comme je l'ai déjà mentionné, il est absolument essentiel que les intervenants aient reçu une formation relative aux traumatismes. C'est essentiel. Ils ont été formés pour reconnaître les traumatismes. Ils sont également formés pour reconnaître le trouble bipolaire, la schizophrénie, ou d'autres problèmes de ce genre.

Lorsque la police intervient et détermine qu'une personne ne pose aucun risque pour la collectivité ni pour elle-même, elle nous laisse nous en occuper. Notre équipe de crise peut faire appel à un psychiatre. Il ne s'agit pas de fournir à cette personne une thérapie suivie, mais simplement de la prendre en charge pour que le psychiatre puisse l'aider. C'est notre modèle d'équipe. Les gens travaillent ensemble, nous leur offrons du counseling, nous travaillons avec eux, nous les aidons à déterminer ce qu'ils souhaitent véritablement, et cetera.

Notre formation nous permet de savoir quoi faire et comment interagir. Comme je l'ai dit, les compétences et la stratégie de réadaptation psychosociale sont fondées sur les forces des gens, bien entendu. S'ils ont besoin de parler de ce qui leur est arrivé, nous leur offrons du counseling, mais nous veillons à ce qu'ils déterminent eux-mêmes ce qu'ils veulent faire. Franchement, nous exigeons qu'ils assument cette responsabilité.

Nous croyons également à ce que nous appelons « le droit à l'échec ». Parfois les gens prennent de mauvaises décisions. Je sais que pour ma part c'est de mes mauvaises décisions que j'ai le plus appris. Il est important que les gens aient le droit de prendre de mauvaises décisions, à la condition bien sûr de ne pas mettre en danger leur santé ou leur vie, et cetera, et nous devons être là pour les aider à se relever, à tirer les leçons de cette expérience et à avancer.

Quoi qu'il en soit, le fait est que, oui, nous aurions une équipe capable de le faire, et nous remplissons notre fonction de sorte que, une fois qu'une personne s'est engagée auprès de nous et a fait son choix, bien entendu — c'est tout à fait volontaire — nous offrons divers services. Cela comprend le soutien communautaire et professionnel ou les problèmes de toxicomanie.

Vous savez tous que selon la documentation, au moins 50 p. 100 — et d'après mes 33 ans d'expérience, c'est plus près du 70 p. 100 — des gens qui souffrent de troubles associés à la toxicomanie. La raison la plus évidente à cela, c'est tout simplement l'automédication.

Le sénateur Mitchell : Je m'intéresse à vos propos sur la réadaptation psychosociale. Je ne parlerai pas de « modèle », mais plutôt de « méthode » ou de « démarche ».

Mme Huehn : Je vous remercie.

Le sénateur Mitchell : Dans quelle mesure cette démarche thérapeutique est-elle répandue au Canada? À quel point est-elle intégrée au programme de la formation psychiatrique et psychologique universitaire?

Mme Huehn : Oh, c'est une excellente question.

Le sénateur Mitchell : Enfin.

Mme Huehn : C'est un sujet qui nous passionne tellement. C'était très intéressant, à notre réunion nationale, la semaine dernière. Nous avons un conseil d'administration de 10 ou 12 personnes qui proviennent de partout au Canada. La semaine dernière, le représentant provincial chargé du dossier des toxicomanies et de la santé mentale au Nunavut s'est joint à nous. Nous sommes bien représentés partout au Canada. Il y avait là des gens en provenance d'un bout à l'autre du Canada.

Nous avons des psychiatres. Comme je l'ai dit, de nombreuses professions sont représentées en notre sein. Une infirmière est membre de l'Ordre des infirmières et infirmiers, peut faire de la psychiatrie, du travail social, et tout le reste. Quiconque est en pratique peut faire de la réadaptation psychosociale, alors on y devient assez compétent.

Nous avons de nombreux éducateurs. Il y a le Dr John Higenbottam, à l'Université de la Colombie-Britannique. C'est à lui que la province a demandé de rédiger le cadre de réadaptation psychosociale pour la province. Il enseigne aux médecins résidants. Au moins s'il était ici aujourd'hui, il vous dirait qu'il continue de prôner l'intégration de ce thème à la formation en psychiatrie. Lui, en tout cas, le fait.

Il y en a d'autres. La Dre Terry Krupa, du département de réadaptation de l'Université Queen's, est très engagée là-dedans.

Quand on pense au Québec, il y a l'AQRP, l'Association québécoise pour la réadaptation psychosociale. Elle tient une conférence dans quelques semaines, à laquelle vont participer plus de 800 personnes.

L'approche est intégrée. Le problème, c'est qu'elle va à l'encontre du paradigme selon lequel on met au centre la personne la plus professionnelle, le professionnel de la santé le plus diplômé, au lieu de la personne en convalescence. Il est parfois un peu difficile de faire autrement. Toutefois, des psychiatres qui ont siégé à notre conseil d'administration et qui sont très engagés dans le domaine le comprennent et en font la promotion. Nous continuons de travailler là-dessus.

Le sénateur Mitchell : Vous avez mentionné au début de vos observations, les statistiques incroyables permettant de faire un lien entre le système de justice pénale et les problèmes de santé mentale. Si l'on pouvait régler ces derniers, il n'y aurait probablement que 5 p. 100 de la population en prison.

Mme Huehn : Beaucoup moins, en fait.

Le sénateur Mitchell : Un mouvement s'est amorcé — en fait, aux États-Unis et cela commence au Canada — dans le sens de la création d'une démarche pour composer avec les vétérans, les anciens combattants, surtout, ceux qui souffraient d'état de stress post-traumatique. Est-ce que vous en êtes au courant? Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez et ce qu'il faut faire sur ce plan?

Mme Huehn : Absolument. Il y en a plusieurs au Canada, et de plus en plus nombreux. Quand je dis qu'il y en a plusieurs, je ne parle pas d'une salle de conseil ou d'un tribunal particulier. Ce peut aussi être une question d'heure et de jour d'audience, l'heure ou la date choisie. Il y a des tribunaux qui traitent de santé mentale, et d'autres de toxicomanie. Je pense qu'il y en a à Oshawa. Je ne doute pas que celui du centre-ville de Toronto soit bien connu.

Des pénalités précises sont prévues pour les gens que la Couronne a reconnus comme des participants au système judiciaire à cause de leur maladie mentale ou de leur toxicomanie et, en fait, c'est quelque chose qui a été lancé sous ma direction, un programme de déjudiciarisation établi à Kingston, selon lequel nous collaborons avec les avocats de la Couronne et de la défense afin que lorsqu'une personne est convoquée à la suite d'une altercation, et qu'elle est attribuable à sa maladie, nous dressons un programme pour l'intégrer à un plan de rétablissement plutôt que de l'envoyer croupir en prison où elle ne recevra pas d'aide et en ressortira très probablement en bien pire état qu'à son entrée.

Il existe d'excellentes institutions où ces personnes peuvent être envoyées. Mon problème, c'est qu'il faut pour cela qu'un juge soit prêt à les y envoyer. Il faut aussi des avocats de la Couronne qui sont disposés à déjudiciariser. Maintenant, bien entendu, pour que cela puisse se faire, il y a des critères. À une époque, mon ancien député, John Gerretsen, était procureur général, et nous avons collaboré étroitement pour tenter d'intégrer cette mesure autant que possible, mais encore une fois, il s'agit du système judiciaire. On en verra certaines manifestations surgir ici et là, mais ce n'est pas toujours uniforme. Ce n'est pas systématique.

Je ne sais pas à quelle fréquence cela se fait chez nous, mais c'est une ou deux heures une fois par mois, alors qu'ailleurs, ce sera tous les jours ou tous les après-midi. J'ignore si vous savez comment cela fonctionne.

Le sénateur Mitchell : Pas vraiment.

Mme Huehn : Quelqu'un arrive, qu'on a pris la main dans le sac, en train de voler du rince-bouche parce que cela contient un peu d'alcool. Cette personne comparaît et le juge dit : « Bon, discutons-en. Qu'est-ce que vous préférez? Moi, j'aimerais bien déjudiciariser. » Notre collaborateur, celui qui s'occupe de la déjudiciarisation, interviendrait et dirait « Monsieur le juge, voici ce que j'ai et ce que je suis prêt à faire. Êtes-vous d'accord? » En fait, le juge a déjà vu le document et y a déjà apposé sa signature. Il arrive souvent, bien entendu, que la défense y participe aussi. La personne concernée dira : « Je suis d'accord » et le juge répondra : « Très bien, nous nous reverrons dans une semaine ou plus, et nous verrons alors où vous en êtes. »

Au bout du compte, si la personne peut obtenir les soutiens dont elle a besoin et progresser, nous trouverons un moyen de régler le problème à la base qui l'amenait à voler pour affronter ses problèmes. C'est, je le répète, une excellente façon de procéder. Le problème, c'est le manque d'uniformité, et tout dépend, vraiment, des participants au débat, et de qui est prêt à le faire. Si le juge n'y est pas ouvert, cela ne peut pas se faire dans la communauté.

Le sénateur Lang : J'aimerais revenir à l'intervention de la sénatrice Stewart Olsen. Nous avons parlé d'organisations communautaires et des installations qui, vous le disiez, sont établies partout au pays, dans des bases des forces armées. Vous êtes relativement près de l'une de ces bases.

Mme Huehn : Oh, oui.

Le sénateur Lang : Je m'interroge sur ce que vous savez. Avec votre vaste expérience, êtes-vous satisfaite des programmes qu'offrent les Forces armées canadiennes, le ministère de la Défense nationale, dans certains cas la GRC et le ministère des Anciens Combattants? Connaissez-vous les programmes qu'ils offrent?

Si vous ne les connaissez pas, j'aimerais savoir pourquoi. Il me semble que cela nous concerne tous. Qu'en dites-vous?

Mme Huehn : Je vous remercie. Je pense effectivement que nous le devrions. Il est gênant de dire que je ne connais pas très bien leurs programmes. C'est une des grandes lacunes de notre système, qu'il y ait cette espèce de ségrégation. Je ne vais pas conjecturer sur les raisons à cela, mais le fait est qu'il y a au Canada différentes cultures — la GRC, la communauté militaire — et parfois, elles sont beaucoup trop isolées, et le fait que je ne sache pas ce qui se passe est, selon moi, très problématique. Nous pourrions probablement faire beaucoup plus ensemble, mais il y a eu des deux côtés une certaine acceptation. Nous pouvons tous unir nos points forts et apprendre les uns des autres pour, ensemble, pouvoir aider ces gens.

J'ai eu une rencontre très intéressante. J'étais à l'île du Prince-Édouard il y a deux ans, et le Bureau national des anciens combattants est à Charlottetown. J'ai rencontré des directeurs et des gens qui souhaitaient s'entretenir avec moi. Je faisais un exposé dans le cadre d'une conférence, ils avaient entendu dire que j'étais en ville. Ils m'ont demandé si je voulais bien leur consacrer une ou deux heures. Ça a été absolument extraordinaire. Tous semblaient vraiment déterminés à trouver des moyens de faire des progrès.

Je leur ai parlé d'éducation, du mouvement de rétablissement, de la réadaptation psychosociale et de nos compétences, du fait que si on assure la formation des gens, si on veille à ce qu'ils comprennent tout cela, on réhumanise la personne qui souffre. J'étais vraiment emballée quand j'ai quitté ce bureau-là, ce jour-là. Pour moi, nous avions eu un excellent échange. Malheureusement, c'est la dernière fois que j'ai pu parler de cela à quiconque. Je sais qu'il y avait beaucoup d'intérêt pour le sujet.

Je me demande presque si ce n'est pas pourquoi je me retrouve ici, parce que je ne sais pas vraiment ce qui m'a valu cette invitation.

Le président : Nous avons constaté le bon travail que vous faisiez et nous voulions vous inviter à nous en parler.

Mme Huehn : Je ne suis pas très convaincue, mais quoi qu'il en soit, je crois qu'il y a beaucoup de possibilités. J'ai réfléchi aux choses sur lesquelles je voulais insister auprès de vous, et je vous ai rapporté des documents que je vous invite à distribuer, parce qu'il y est question d'aspects dont je n'ai pas parlé. Il s'y trouve aussi des renseignements qui démontrent combien nous pouvons plus faire ensemble.

Les stratégies provinciales, c'est bien beau, et les anciens combattants c'est un enjeu national, mais il y a encore bien des choses qu'on peut faire à l'échelle nationale, et il y a toutes sortes d'excellentes façons d'intégrer ces choses.

En ma qualité de directrice exécutive, il est certain que je dois travailler avec tout le monde dans ma communauté et je serais très heureuse de pouvoir le faire.

Le sénateur Lang : Ce qu'il me semble, vraiment — et peut-être que je me trompe — c'est a priori, on dirait qu'on travaille presque en vase clos. Il y a les Anciens Combattants d'un côté, et une organisation comme la vôtre de l'autre, à deux coins de rue l'une de l'autre, mais personne n'a traversé la route pour parler à l'autre.

Je pense que ceci pourrait se produire dans un avenir rapproché. Il me semble que c'est ce qu'on doit faire pour aborder un problème très préoccupant auquel sont confrontés de nombreux Canadiens, d'autant plus en raison de notre mandat portant sur les anciens combattants. On observe bien sûr le même phénomène actuellement au sein du ministère de la Défense nationale.

Il s'agit d'un problème, monsieur le président, que nous devrions étudier plus en profondeur afin de comprendre pourquoi les intervenants ne comparent pas leurs pratiques et comment nous pourrions faciliter ce type de comparaison. Parce qu'il faut être honnête — et j'aimerais vous entendre là-dessus — la plupart des traitements, en définitive, seront dispensés par les provinces. Ce sont les provinces qui disposent des hôpitaux, des installations et on devrait les mettre à profit, autant que possible.

Qu'en pensez-vous?

Mme Huehn : Absolument. Un effort coordonné est nécessaire et c'est pourquoi, comme je l'ai dit, au sein de notre organisation nationale, nous avons élaboré un plan d'éducation qui est prêt depuis trois ans. On s'en occupe tous un peu à temps perdu, mais nous savons qu'il est absolument essentiel. Nous aimerions pouvoir diffuser les meilleures données et encourager les intervenants à travailler ensemble. C'est possible.

Nous avons fait beaucoup de progrès, dans l'ensemble, et j'inclus les membres du comité. Pensez aux stratégies provinciales et à la manière dont elles abordent l'inclusion et le rétablissement. Il n'y a pas si longtemps, la stratégie consistait à placer ces gens en institution, en pensant ainsi régler le problème. Nous avons fait beaucoup de progrès depuis, mais il faut comprendre qu'il n'est pas simplement question de structures différentes, mais de personnes. Oui, cette personne est peut-être pilote, mais elle pourrait aussi devenir mère. Elle est la fille de quelqu'un, et l'amie d'autres personnes. Il faut considérer la personne dans son ensemble.

Dans notre société, on peut se retrouver à un endroit donné, occuper un rôle en particulier, à un certain moment de notre vie, mais il ne faut pas perdre de vue les autres conséquences qui peuvent entrer en jeu, c'est pourquoi il faut vraiment tous travailler ensemble.

Le président : Le temps prévu pour cette réunion est écoulé. Madame Huehn, nous vous remercions pour votre excellent travail et d'être venue nous rencontrer afin de nous éclairer un peu plus à propos des démarches dans leur ensemble.

Nous continuerons de mettre l'accent sur un aspect de votre travail. Parfois les anciens combattants, ou le personnel des forces armées, qui souffrent de stress post-traumatique, ont besoin de certains des services que vous offrez. Nous devons savoir s'il est préférable qu'ils se rendent à l'unité Frontenac, s'ils sont à Kingston, ou ailleurs, si leur maladie est différente de celle que vous traitez habituellement.

Mme Huehn : Puis-je ajouter quelque chose?

Le président : Bien sûr.

Mme Huehn : Il importe de garder une chose à l'esprit : l'important c'est d'aller chercher de l'aide. Les gens doivent aller chercher de l'aide là où ils sont plus à l'aise de le faire. Peu importe s'ils se rendent à Frontenac ou au centre, les différents intervenants doivent travailler ensemble pour que les patients se sentent à l'aise. Quarante pour cent en parleront d'abord à leur médecin de famille. La question n'est pas de trouver une seule façon de faire. Nous devons veiller à ce que les intervenants du système, y compris nous, travaillions ensemble pour ceux qui en ont besoin.

Le président : Voilà une excellente conclusion. Votre témoignage a été fort instructif et nous vous en remercions.

(La séance est levée.)


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