Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et
du commerce international
Fascicule no 16 - Témoignages du 2 février 2017
OTTAWA, le jeudi 2 février 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi S-219, Loi visant à dissuader l'Iran de parrainer des actes constituant du terrorisme, de l'incitation à la haine et des violations des droits de la personne, et le projet de loi S-226, Loi prévoyant la prise de mesures restrictives contre les étrangers responsables de violations graves de droits de la personne reconnus à l'échelle internationale et apportant des modifications connexes à la Loi sur les mesures économiques spéciales et à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, pour étudier les projets de loi.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du Commerce international étudiera ce matin le projet de loi S-219 pendant la première partie de sa réunion.
Le S-219 est un projet de loi d'initiative parlementaire du sénateur Tkachuk. Nous avions commencé à entendre des témoins à son sujet juste avant Noël. Aujourd'hui, nous aurons, par vidéoconférence de Washington, M. Behnam Ben Taleblu, analyste principal pour l'Iran à la Foundation for Defense of Democracies. Monsieur Taleblu, je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.
Vous avez déjà témoigné devant le comité. Je crois donc que vous connaissez notre façon de procéder. Je vous invite à présenter votre exposé préliminaire, après quoi les sénateurs auront des questions à vous poser. Je vous remercie de votre participation à nos travaux. Vous pouvez maintenant présenter votre exposé.
Behnam Ben Taleblu, analyste principal pour l'Iran, Foundation for Defense of Democracies : Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. Madame la présidente Andreychuk, monsieur le vice-président Downe, distingués membres du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, je voudrais vous remercier au nom de la Foundation for Defense of Democracies de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous pour la première fois par vidéoconférence.
C'est un honneur pour moi de vous parler d'une question qui touche à l'essence même des valeurs et des intérêts nord-américains en matière de politique étrangère, comme de nombreux professeurs, analystes et personnalités publiques présentes et passées l'ont mentionné. Il s'agit du rôle de la République islamique d'Iran dans l'incitation au terrorisme et la violation des droits humains fondamentaux de son propre peuple. C'est là une question qui touche de près aussi bien à la stratégie qu'aux valeurs de l'Occident.
Lorsque nous observons le Moyen-Orient à partir de Washington, nous savons que, par tradition, il est rare que les décideurs, les praticiens et les analystes aient la possibilité de mettre en œuvre des politiques transformationnelles et pas seulement transactionnelles. Toutefois, cela découle pour une grande part d'un aphorisme fondé sur des propos du philosophe Thomas Hobbes, selon lequel la vie au Moyen-Orient est désagréable, brutale et plutôt courte. Après la signature de l'Accord global conjoint, les relations avec l'Iran ont cependant permis aux décideurs nord-américains de se rendre compte que cela n'est pas nécessairement le cas. Des choix réels s'offrent aux pays tels que le Canada qui souhaitent entraver l'activité terroriste iranienne, combattre ceux qui la financent et mettre un terme à l'action de ceux qui participent à cette activité ou qui l'appuient à l'étranger tout en piétinant les droits des citoyens iraniens dans leur propre pays.
À mon humble avis, cette menace et la possibilité de la combattre découlent d'un autre lien caractérisant le défi que nous affrontons. Il s'agit du lien entre la politique étrangère et la politique intérieure de l'Iran : contrairement à ce qu'on croyait du temps de la guerre froide — à savoir que si on négocie avec un adversaire, on modifie son comportement chez lui et à l'étranger —, l'Iran a fait exactement le contraire au cours des pourparlers qui ont abouti à l'accord nucléaire. Pendant la durée de ces pourparlers, l'Iran n'a pas suspendu son agression régionale; bien au contraire, il a augmenté son appui au terrorisme, notamment en soutenant des entités telles que le régime Assad, que le Département d'État américain a qualifié d'État qui appuie le terrorisme.
Sur le plan intérieur, les exécutions n'ont pas cessé de croître en Iran. En 2015, Téhéran a mis à mort plus de 1 000 personnes, se classant ainsi au premier rang mondial au chapitre des exécutions. Le plus curieux pour les observateurs de la politique étrangère, c'est que l'Iran a atteint ce nombre d'exécutions pendant qu'il était dirigé par le président « modéré » Hassan Rouhani et qu'il a ainsi dépassé de plusieurs centaines le nombre d'exécutions ayant eu lieu sous le régime du président négationniste Mahmoud Ahmadinejad.
L'Iran n'hésite pas à exécuter des adolescents, ce qui est vraiment malheureux. L'autre jour encore, les Nations Unies ont protesté contre la politique iranienne d'exécution des adolescents. Toutefois, en dépit des nombreuses demandes de la communauté internationale, l'Iran a refusé de renoncer à cette politique. En fait, Téhéran a maintenu sa politique d'exécution dans le cas des infractions liées à la drogue. Il faut dire que les lois iraniennes à ce sujet comptent parmi les plus dures du monde.
Mais il y a pire. D'après les analystes et mes collègues de la Foundation for Defense of Democracies de Washington, la période actuelle, qui a succédé à l'accord nucléaire, est fort susceptible d'enrichir et d'enhardir les complices et les comparses des plus acharnés parmi les partisans de la ligne dure du régime de Téhéran. Je veux parler de la Garde révolutionnaire islamique, de ses vétérans, de ses nombreux organismes et intérêts commerciaux ainsi que des sociétés et filiales qu'elle possède et contrôle en Iran et un peu partout dans le monde. Ce sont des entités qui tirent parti du système financier mondial et rejettent l'ordre mondial à tendance libérale. Il faut les arrêter et les empêcher d'exploiter des richesses appartenant au peuple iranien.
Comme l'ont signalé les érudits et les analystes de Washington, le seul domaine dans lequel l'Iran a provisoirement modifié son comportement au cours des pourparlers qui ont abouti à l'accord nucléaire, ce sont les essais de missiles balistiques. Toutefois, il semble bien que, depuis la signature de l'accord, l'Iran a procédé à plus de 10 essais de missiles. Nous en avons en fait compté 14 en nous basant sur des sources publiques de langue persane et anglaise.
Encore une fois, c'est pour une grande part le résultat du lien qui existe entre la politique étrangère et la politique intérieure de l'Iran. Le gouvernement de la République islamique d'Iran a recouru à la peur, à la coercition militaire et au terrorisme pour exercer son pouvoir depuis qu'il a pris les commandes de l'Iran en 1979. Par exemple, après l'invasion irakienne de septembre 1980, l'Iran a non seulement combattu l'armée de Saddam Hussein mais a, à son tour, envahi l'Irak en 1982, prolongeant inutilement la guerre de six ans.
La situation critique que nous affrontons aujourd'hui dans la communauté internationale découle de ces six années de prolongation de la guerre attribuables à l'Iran. Au cours de cette période, l'espace politique iranien a été marginalisé et l'Iran a commencé à mettre en œuvre sa politique d'exportation de la « révolution ». L'Iran a créé et entretenu le Hezbollah, et a en fait commencé à se servir du terrorisme comme instrument de la politique de l'État.
Après la guerre et les enseignements qu'il en a tirés, l'Iran a continué à envoyer des terroristes et des commandos d'assassins partout en Europe et en Amérique latine. Nous savons qu'en Amérique latine, et particulièrement en Argentine, l'Iran a tué plus de 100 personnes au cours de deux attentats à la bombe à Buenos Aires en 1992 et 1994. Vers le milieu et la fin des années 1990, les commandos d'assassins iraniens ont fait des ravages en Europe, tuant de nombreux militants connus des droits de la personne, de musiciens, d'artistes et de dissidents politiques.
Compte tenu du lien déjà mentionné entre les menaces étrangères et intérieures pour le régime de Téhéran, les observations suivantes faites en 2015 par le Département d'État américain ne surprendront sans doute personne : Il y a en Iran un constant « mépris de l'intégrité physique des personnes », mais ce mépris peut s'étendre à la politique aussi bien étrangère qu'intérieure.
Les journalistes constituent le groupe qui a été touché d'une façon disproportionnée par ce mépris de l'intégrité physique. À Téhéran, les journalistes s'acquittent de leur tâche dans les conditions les plus strictes et les plus sévères qui soient et sont en butte à la censure aussi bien matériellement que dans le cyberespace. Les autres groupes touchés comprennent les minorités ethniques, comme les juifs, les chrétiens, les zoroastriens et les bahaïs.
Dans ce contexte de défis étrangers et intérieurs, de valeurs et d'intérêts que je viens de décrire, le Canada occupe une place unique parmi la communauté des nations. En fait, parce qu'il est resté à l'écart du groupe P5+1 et qu'il n'a pas participé aux négociations nucléaires qui ont abouti à l'Accord global conjoint, le Canada peut se permettre de maintenir fermement son attachement aux droits de la personne et aux droits fondamentaux de tous les peuples. Il n'a pas à lever des sanctions ou à fermer les yeux sur les violations des droits commises en Iran. Il peut et doit rester ferme dans sa défense des droits de ses propres citoyens et résidents, comme Saeed Malekpour qui, comme vous le savez, a été emprisonné en Iran.
Il ne doit pas non plus oublier les dures réalités et la fragilité du contrat social qui existe en Iran, même pour les citoyens iraniens et ceux qui ont une double nationalité. À cet égard, la vie, la mort et l'emprisonnement arbitraire de la photojournaliste canadienne-iranienne Zahra Kazemi sont particulièrement révélateurs et devraient servir de base à la politique canadienne.
Le Canada accueille depuis longtemps de nombreux réfugiés, d'anciens prisonniers ainsi que des Iraniens qui, malgré leur attachement à leur patrie, ont émigré à la recherche d'une vie meilleure. En s'opposant fermement aux violations grossières des droits de la République islamique et à son incitation à la haine aussi bien en Iran qu'à l'étranger, le Canada peut, de concert avec ses amis et alliés américains et européens, mettre en évidence, notamment à l'intention de l'ordre mondial à orientation libérale, les avantages d'une politique étrangère de réengagement fondée sur des principes.
La présidente : Je vous remercie.
La sénatrice Ataullahjan posera la première question.
La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie pour l'exposé que vous nous avez présenté ce matin.
À part ses violations des droits de son propre peuple, l'Iran a des ambitions qui vont au-delà de ses frontières. Nous devons considérer ce qui se passe au Yémen, où l'Arabie saoudite et l'Iran se livrent une guerre par procuration, ainsi qu'au Pakistan où ils attisent les haines sectaires entre chiites et sunnites. En 2015, près d'un millier de personnes ont été exécutées. Pour 2016, on a dit qu'un prisonnier est exécuté chaque jour. Où cela s'arrêtera-t-il? Quel rôle la société civile joue-t-elle en Iran? A-t-elle été tellement intimidée qu'elle garde le silence?
M. Taleblu : Je vous remercie de cette excellente question. Je crois que vous avez mis en évidence quelques-uns des aspects les plus importants du défi posé par la politique d'exportation de la révolution.
Avant de parler de la société civile, je voudrais mentionner qu'en 2015, les actualités Bloomberg ont rapporté une déclaration de Qassem Suleimani, commandant de la force iranienne Al-Qods. Parlant des nombreux petits conflits et guerres civiles du Moyen-Orient et de l'Asie du Sud, Suleimani a dit que c'était le résultat du succès de l'exportation de la révolution islamique. Les événements que vous avez mentionnés — la discorde au Yémen, les querelles entre les communautés musulmanes du Pakistan et d'autres régions du monde — sont considérés en fait comme des succès par les planificateurs iraniens de la sécurité. Pour moi, cela est inquiétant.
Vous avez parlé du rôle de la société civile iranienne. Au chapitre de la politique étrangère, je crois que c'est l'une des plus grandes hontes, l'un des plus grands échecs de la révolution islamique iranienne que la société civile ait eu si peu d'influence sur la politique étrangère. En réalité, la société civile a été réduite au silence. La société civile iranienne d'aujourd'hui considère avoir réalisé un gain stratégique quand des femmes peuvent déplacer légèrement leur hidjab obligatoire, quand des couples peuvent se tenir la main dans un parc public de Téhéran, quand de jeunes étudiants peuvent aller en voiture dans les montagnes du Nord pour faire un pique-nique à l'abri des regards indiscrets des forces iraniennes de sécurité. Malheureusement, la société civile a été écrasée, réprimée et contrôlée par l'appareil officiel de l'État, par des organismes tels que le Basij, qui signifie littéralement force de mobilisation. Les membres de cette force paramilitaire, ou Bassidjis, jouent un rôle double dans la société civile. Il y a des Bassidjis chargés de surveiller les campus universitaires ou collégiaux. D'autres s'occupent des syndicats, des associations d'enseignants et des organisations d'anciens combattants. Par conséquent, à chaque endroit où la société civile pourrait s'épanouir, il y a un contrôle officiel exercé par l'État par l'entremise des Bassidjis. Malheureusement, c'est la raison pour laquelle je crois qu'à court terme, la société civile iranienne continuera d'être opprimée parce que cet arrangement enrichit les alliés du Basij, la Garde révolutionnaire islamique avec ses organisations et ses entités affiliées.
La sénatrice Ataullahjan : Il y a quelques mois, nous avons entendu parler de réfugiés afghans traités comme des esclaves, peut-être même vendus comme esclaves. Depuis, nous n'avons rien appris à ce sujet. Avez-vous des nouvelles à nous donner à cet égard? Qu'arrive-t-il à certains de ces réfugiés venant d'Afghanistan?
M. Taleblu : Bien sûr. C'est une excellente question.
Je n'ai pas entendu parler d'esclavagisme ou d'un marché clandestin d'esclaves venant d'Afghanistan ou d'autres pays de l'Asie du Sud qui ont connu des crises de réfugiés. Il est cependant vrai que les Afghans et les Pakistanais sont très mal traités en Iran. Je peux vous donner un exemple montrant comment ces deux groupes sont forcés à défendre les intérêts iraniens.
Les médias de langue persane du régime disent qu'il y a dans l'armée iranienne deux brigades, les Fatimides d'Afghanistan et les Zeinabites du Pakistan. Les Iraniens ont mobilisé les deux brigades, les ont armées, équipées et entraînées en faisant passer leurs membres pour des Gardiens de la révolution, puis les ont déployés en Syrie, souvent en leur promettant, s'ils acceptent d'aller combattre en Syrie pour le régime de Téhéran, de donner à leur famille de l'argent et, s'ils mouraient, de leur payer de grandioses funérailles, d'envoyer un de leurs enfants à l'université ou de leur accorder d'autres services.
Le régime prétend qu'ils sont tous volontaires. J'ai beaucoup de peine à le croire. Au cours du siège d'Alep, entre 2012 et 2016, l'Iran a déployé ces deux forces, l'afghane et la pakistanaise, souvent comme chair à canon, pour appuyer les forces nationales syriennes soutenues par l'aviation russe, afin de réaliser ses objectifs stratégiques. Il y a aussi de nombreux documentaires et, je crois, quelques films primés qui témoignent des traitements infligés aux Afghans qui travaillent à Téhéran comme ouvriers du bâtiment et vivent dans des bidonvilles, à l'extérieur de la capitale.
Bref, beaucoup de réfugiés afghans et pakistanais ont une vie très dure en Iran. On leur promet souvent, par des moyens légaux et illégaux, de leur accorder la citoyenneté iranienne s'ils font tel ou tel travail, s'ils s'engagent à s'acquitter de différentes corvées, mais je n'ai pas entendu parler d'esclavage.
Le sénateur Marwah : Je vous remercie de cet exposé extrêmement intéressant.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce que l'Iran a fait récemment, surtout après la signature de l'accord nucléaire? Les choses ont-elles changé en Iran?
M. Taleblu : Puis-je vous demander des précisions?
Le sénateur Marwah : J'aimerais savoir ce que l'Iran a fait récemment, surtout après la signature de l'accord nucléaire. Y a-t-il des choses qui ont changé ou qui se sont améliorées au chapitre des droits de la personne?
M. Taleblu : Je vous remercie de ces précisions concernant les droits de la personne.
Pour ce qui est des violations des droits de la personne, il y a eu certains changements d'après les rapports d'Ahmed Shaheed, l'éminent rapporteur des Nations Unies sur la situation des droits de la personne en Iran. Il a noté une diminution du nombre d'exécutions. Je crois qu'il y en a eu plus de 1 000 en 2015. Pour 2016, les chiffres n'ont pas encore été communiqués ou vérifiés, mais ils ne sont malheureusement que de quelques centaines inférieurs, ce qui demeure excessif parce qu'il ne devrait pas y avoir d'exécutions.
Ce sont au mieux des succès marginaux, mais ils ne découlent pas de l'accord nucléaire. En réalité, ils sont attribuables au peuple iranien qui a créé de nouveaux blogues au fur et à mesure que des sites web étaient fermés, ou qui a établi de nouveaux moyens pour communiquer, organiser et même tenir des réunions de protestation publiques et privées. Ce sont donc des choses qui se produisent en dépit de l'accord nucléaire.
Les observateurs trouvent curieux que ces choses arrivent malgré l'accord nucléaire car, lorsqu'il a été signé en juillet 2015, puis mis en œuvre en janvier 2016, l'accord a recueilli un soutien massif dans la société civile. Cela est sans doute attribuable au fait que les Iraniens souhaitent avoir plus de rapports avec l'Ouest et veulent réintégrer la communauté des nations. Le problème est que leur gouvernement adopte des politiques et crée des obstacles qui les empêchent légalement et moralement d'agir. L'aspect positif, c'est que la société civile iranienne a réalisé ces choses en dépit de son gouvernement. Je dirais donc que ce ne sont pas des résultats de l'accord.
La présidente : Je voudrais revenir au projet de loi dont le comité est saisi, c'est-à-dire le projet de loi S-219, Loi visant à dissuader l'Iran de parrainer des actes constituant du terrorisme, de l'incitation à la haine et des violations des droits de la personne. Nous avons parlé jusqu'ici des violations des droits de la personne. Y a-t-il aussi en Iran de l'incitation à la haine, peut-être de la propagande antiaméricaine ou dirigée contre des groupes particuliers? Vous avez fait allusion à des groupes religieux. Qu'en est-il des autres questions?
Comme vous l'avez noté, l'ancien dirigeant de l'Iran en voulait particulièrement à Israël et l'a clairement manifesté. Évidemment, les Nations Unies et d'autres ont qualifié cela de haine, de négationnisme, et cetera À part les violations des droits de la personne, qu'en est-il maintenant de cette question de la haine?
M. Taleblu : Je vous remercie d'avoir mis en évidence la question de l'incitation à la haine et des actes pouvant être inspirés par la haine. Je regrette de ne pas avoir eu suffisamment de temps pour aborder le sujet dans mon exposé préliminaire, que j'ai essayé de rendre aussi concis que possible. Cette question demeure certainement un problème.
Elle revêt deux aspects : les sentiments antiaméricains et les sentiments anti-israéliens. C'est triste de le dire, mais ces deux volets s'alimentent l'un l'autre parmi les élites du régime iranien. Dans un régime autoritaire comme celui de l'Iran, il est difficile d'organiser de vrais sondages, le gouvernement ayant bien des raisons de cacher la réalité. La société et l'État ont intérêt à ne pas révéler les vrais résultats des sondages, qu'ils soient indépendants ou commandés par l'État. Il est donc difficile de connaître les vrais sentiments de la population.
Si vous me demandez un avis non fondé sur des données, je dirai que, dans une proportion de 60 à 70 p. 100, la population n'approuve pas le discours haineux diffusé sur une base quotidienne par le gouvernement et présenté officiellement chaque semaine à l'occasion de la prière du vendredi. À Téhéran, la prière du vendredi est un peu comme un mini-discours sur l'état de l'union : les éléments politiques et religieux qui appuient la République islamique présentent alors un message concerté. C'est à ce moment que la base religieuse et la base politique du discours haineux convergent.
Pour ce qui est du sentiment antiaméricain, la situation n'a pas changé. On entend constamment « Mort à l'Amérique » durant la prière du vendredi. Cela continue. Il y a une vidéo très instructive qui date, je crois, de l'automne 2016. Je ne me souviens pas de la date exacte. C'est un professeur bien connu de l'Université de Téhéran qui, au cours d'une émission de la télévision d'État diffusée au cours de l'été 2016, avait posé la question : « Pourquoi brûlons-nous des drapeaux? » Il avait simplement protesté verbalement contre cette cérémonie devenue plutôt routinière en Iran.
Les organisations de Bassidjis avaient mobilisé des étudiants partisans de la ligne dure et les avaient chargés de placer des drapeaux américains par terre à l'entrée d'un campus du nord-est de l'Iran où le professeur avait pris la parole. Le professeur — et c'est tout à son honneur — avait refusé de piétiner les drapeaux, mais cela montre à quel point le sentiment antiaméricain est ancré et à quel point les autorités essaient de le renforcer.
Du côté anti-israélien, la négation de l'holocauste est courante, de même que l'incitation au génocide. J'ai parlé dans mon exposé des essais de missiles balistiques. En mars 2016, l'Iran a lancé deux missiles à combustible liquide à moyenne portée. Ces engins portaient en blason une citation bien connue du père de la révolution iranienne, l'ayatollah Khomeyni. Elle figurait, paraît-il, en hébreu — que je ne lis pas — et en persan, que je connais. Cette citation était la suivante : Israël doit être effacé des pages de l'histoire, ou des pages du temps, selon la traduction choisie. La citation avait été fièrement peinte sur les missiles, qui avaient été lancés avec succès dans le désert central de l'Iran. Cela indique à la communauté internationale que, malgré l'accord et les 35 ans de la révolution, le sentiment anti-israélien reste tout aussi ardent.
Le sénateur Woo : Je vous remercie de votre exposé. Je suppose que votre organisation est opposée à l'Accord global conjoint.
M. Taleblu : Je ne connais pas la politique institutionnelle de chacun, mais nous concentrons nos efforts sur le pouvoir des sanctions économiques.
Je travaille pour la Foundation for Defense of Democracies depuis le début de 2013. Je consacre la plus grande partie de mon temps à trouver des moyens de recueillir plus de renseignements sur ce qui se passe en Iran. Je n'ai rien contre la diplomatie. Personnellement — et je ne parle pas au nom de l'organisation —, je suis en faveur d'« un » accord. Je n'aime pas particulièrement l'accord particulier qui a été signé, mais il me semble que la diplomatie constitue la voie la plus prudente à suivre pour affronter la plus grande menace iranienne, celle de l'arme nucléaire.
Le sénateur Woo : J'en déduis que, dans votre organisation, la position à l'égard de l'Accord global conjoint est assez ambiguë. S'agit-il d'une question distincte, sans lien direct avec l'abrogation de l'accord?
M. Taleblu : Me demandez-vous si notre organisation favorise l'abrogation de l'accord?
Le sénateur Woo : Ou plutôt un retrait.
M. Taleblu : Non, pas à ma connaissance. En fait, j'en ai discuté avec beaucoup d'analystes et d'érudits. Nous avons même chez nous un ancien sous-directeur de l'Agence de l'énergie atomique. Bref, nous appuyons énergiquement la mise en œuvre de l'accord. Que feront les États-Unis? Devraient-ils renégocier? Je crois personnellement que ce serait la chose à faire, mais je me rends compte qu'il serait difficile d'obtenir l'accord du groupe P5+1.
Le sénateur Woo : Notre projet de loi est centré sur l'Iran et sur son rôle dans le terrorisme parrainé par l'État, l'incitation à la haine, et cetera. Je suppose que votre organisation s'occupe de ces questions partout dans le monde, et pas seulement en Iran.
Où se situe l'Iran dans la hiérarchie du terrorisme parrainé par l'État? Si nous allons de l'avant avec ce projet de loi, que pouvons-nous en attendre? Que devons-nous faire pour ranger l'Iran parmi les « méchants » en fonction de notre définition du terrorisme?
M. Taleblu : Si j'ai bien compris votre question, vous semblez dire que l'Iran pourrait constituer un cas type pour mettre à l'épreuve des mesures pouvant également cibler d'autres, non seulement au Moyen-Orient, mais dans la région où la stratégie et les valeurs du Canada sont liées.
Le sénateur Woo : Je pose la question surtout parce que je suppose que votre organisation s'occupe aussi d'autres pays et a procédé à des analyses similaires.
M. Taleblu : Nous avons un collègue qui s'occupe en priorité du côté arabe du golfe Persique. Il s'appelle David Weinberg. Il a publié de nombreux rapports sur l'incitation à la haine dans les manuels scolaires saoudites.
L'Arabie saoudite ne fait pas partie de mon secteur de compétence. Je suis payé pour étudier la menace iranienne sous tous ses aspects. Toutefois, en me basant sur les rapports de mon collègue concernant l'Arabie saoudite, je peux dire que je ne serais pas surpris si l'incitation à la haine existait effectivement dans ce pays. Je ne peux cependant donner un point de vue que sur la façon dont l'Iran a institutionnalisé l'incitation et le terrorisme dans le pays. Je suis sûr que nous avons des gens qui peuvent vous renseigner. Mon collègue David Weinberg peut sûrement le faire dans le cas de l'Arabie saoudite.
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre présence aujourd'hui, même si elle n'est que virtuelle. Tout d'abord, je vous remercie d'avoir précisé la situation actuelle de l'Iran en ce qui concerne l'incitation et la haine, particulièrement envers Israël, parce que je pense qu'on suppose beaucoup trop souvent que ce n'était qu'un dada du président précédent et que les choses allaient changer avec son départ. Je vous remercie d'avoir fait le point à ce sujet.
Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure l'Iran et ses organismes aident le Hamas et le Hezbollah et, en corollaire, dans quelle mesure l'Iran s'attaque aux factions et aux régimes sunnites modérés dans cette région du monde?
M. Taleblu : Je vous remercie de vos questions. Je vais les prendre une à une, mais je voudrais d'abord commencer par votre commentaire.
Vous avez parlé de la perception, en Amérique du Nord, que Rouhani est qualitativement différent des présidents qui l'ont précédé. Je pense qu'il est important de noter que c'est une fausse impression, comme vous l'avez dit, je crois. Au cours de son audience de confirmation, en 2013, lorsque sa candidature avait été proposée comme ministre des Affaires étrangères, Zarif avait dit une chose assez révélatrice. Elle ne concernait pas nécessairement un changement d'attitude en Iran. Elle suggérait plutôt que l'Iran avait réussi à masquer son attitude. Je me souviens de ses propos parce qu'ils m'avaient vraiment frappé. Je n'ai même pas besoin de consulter mes papiers pour les citer. Zarif avait dit : Je ne laisserai pas la négation de l'holocauste devenir un instrument contre la République islamique. Il n'avait pas dit qu'il chercherait à changer le point de vue du gouvernement iranien sur l'holocauste ou à renseigner les citoyens du pays sur cet événement. Il a simplement dit qu'il ne permettrait pas aux autres États d'exploiter le fait, comme cela avait été le cas pour Ahmadinejad. Il faudra probablement reconnaître, lorsque je parle du gouvernement Rouhani, que nous avons affaire à un adversaire plus compétent.
Je m'intéresse énormément à l'histoire. J'aime donc beaucoup examiner les documents déclassifiés. J'ai trouvé des documents américains remontant au milieu des années 1980 qui disent que les pragmatistes iraniens ont un penchant pour la subversion et le terrorisme. La plupart des organismes du gouvernement américain ont pour politique de déclassifier les documents vieux de 20 ou 25 ans. Ces documents et évaluations remontent donc à 20 ou 25 ans. Ils ne concernent donc pas en particulier le gouvernement Rouhani. En Iran, le pragmatisme n'écarte pas nécessairement cette préférence pour la subversion et le terrorisme comme instruments de la politique de l'État. En fait, les pragmatistes d'aujourd'hui sont peut-être mieux équipés pour utiliser la subversion et le terrorisme parce qu'ils peuvent masquer leurs intentions.
Pour répondre à votre question, le Hamas et le Hezbollah demeurent certainement parmi les plus importants bénéficiaires du financement iranien. D'après un rapport de 2010 du Département d'État — qui reflète l'opinion qui prévalait alors à Washington —, le Hezbollah reçoit au moins 200 millions de dollars de l'Iran. Depuis 2012-2013, nous ne disposons pas de données sûres au sujet du financement du Hezbollah parce que c'est à ce moment que l'Iran a chargé ce groupe de combattre en son nom dans la guerre civile syrienne. Vous vous souvenez sûrement de l'opération visant à libérer Qousseir, petite ville stratégique de la Syrie où le Hezbollah avait prêté main-forte à l'armée nationale syrienne. Depuis, l'Iran n'a pas cessé d'augmenter ses fournitures d'armes au Hezbollah.
Par conséquent, la raison pour laquelle nous ne pouvons pas chiffrer avec précision le soutien iranien au Hezbollah, c'est que ce soutien est actuellement plus étendu en qualité et en quantité. Les 200 millions de dollars dont j'ai parlé devraient être considérés comme un minimum et non un maximum. Bien entendu, cela ne comprend pas les petits à- côtés accordés aux agents du Hezbollah par l'entremise des ambassades iraniennes.
La situation est un peu différente dans le cas du Hamas qui, lui, consacre tous ses efforts aux attaques contre Israël, qui est l'un des adversaires les plus importants — sinon le plus important — de l'Iran dans la région, sur le double plan stratégique et idéologique. Toutefois, le Hamas a adopté une position un peu différente envers le régime Assad dans la guerre civile syrienne. Cette guerre a donc créé une certaine tension entre le Hamas et l'Iran, mais c'est un peu comme une très vaste tente. La tente abrite tous les sentiments anti-israéliens et antisémites qui existent au Moyen-Orient. Ce n'est pas à cause de divergences concernant Assad que l'Iran hésitera à armer le Hamas s'il y a une autre guerre, une autre incursion dans Gaza ou une autre prise d'otages par le Hamas, qui entraînerait une nouvelle attaque contre Gaza. Bref, le conflit attribuable à Assad et à son régime n'empêche pas du tout que le Hamas continue de représenter le résultat de l'exportation de la révolution, selon les dires de Qassem Suleimani, commandant de la force iranienne Al- Qods.
Quant aux régimes sunnites que vous avez mentionnés, je n'ai pas grand-chose à dire de la Jordanie, mais je peux parler de l'Arabie saoudite avec laquelle l'Iran a une guerre froide depuis la révolution islamique. Il y a une autre citation du père de la révolution islamique, l'ayatollah Khomeyni. C'est une chose qu'il a dite environ 18 mois avant son décès : Si nous oublions l'Amérique, si nous oublions Israël, nous n'oublierons jamais l'inimitié pour le clan d'Al Saud. Il ne faut donc pas perdre de vue ce long antagonisme entre l'Iran et l'Arabie saoudite.
Il y a vraiment un bon article à écrire sur la façon dont ces deux pays s'affrontent dans différents théâtres pour gagner le cœur et l'esprit des communautés musulmanes, non seulement au Moyen-Orient, mais aussi en Afrique, à des endroits tels que le Nigéria, en Asie du Sud, à des endroits comme le Pakistan et l'Afghanistan et même en Amérique latine. Les deux encouragent le terrorisme. Ils cherchent à inciter les jeunes et les populations musulmanes impressionnables pour les attirer dans leur camp. Il y a donc une concurrence à la fois stratégique et idéologique.
La sénatrice Bovey : Je vous remercie de votre participation à nos travaux aujourd'hui. Vous avez parlé de la position unique du Canada comme leader international qui n'a pas pris part aux négociations. Étant nouvelle au comité, j'ai quelques questions à poser.
Est-ce que d'autres États ont adopté des mesures législatives semblables à ce projet de loi? Si non, dans quelle mesure croyez-vous que des sanctions unilatérales peuvent être efficaces?
M. Taleblu : Je vous remercie de m'avoir invité. Je vais commencer par votre seconde question concernant l'efficacité de sanctions unilatérales.
Je crois en fait qu'elles peuvent être assez efficaces si elles sont bien ciblées et si on sait quels objectifs précis on poursuit. La documentation relative aux sanctions nous permet de croire qu'elles sont de deux sortes : elles peuvent être comportementales ou punitives. Dans le premier cas, elles constituent un moyen de coercition visant à modifier le comportement des personnes ou des entités visées. On peut aussi recourir à des sanctions punitives si ces personnes ou entités ne se sont pas conformées à certaines normes de comportement. Je vais vous donner un exemple relatif à l'Iran et au financement illicite.
Beaucoup d'organisations internationales affirment que l'Iran fait du blanchiment d'argent. Le Département du Trésor est du même avis. Les entreprises respectent ces sanctions unilatérales de leur propre gré parce que de très nombreuses ONG et organisations internationales font la même chose. À cet égard, la force des sanctions unilatérales réside dans le partage d'un sentiment qui existe déjà parmi les entreprises privées.
Mais les sanctions unilatérales peuvent également servir à modifier les comportements. À mon avis, dans le cadre de l'accord nucléaire, que j'ai suivi de près, je crois que les sanctions ont été levées un peu trop tôt. Par conséquent, je pense que le débat ne porte pas vraiment sur la question de savoir si les sanctions unilatérales auraient pu permettre d'en obtenir davantage de l'Iran.
J'ai dit à un de vos collègues que je suis en faveur d'« un » accord, mais pas de cet accord particulier. Je crois en effet que si les sanctions avaient été maintenues, l'Iran aurait probablement connu une crise à cause du déséquilibre de sa balance des paiements. C'est pourquoi je crois que les sanctions unilatérales, et particulièrement certaines des mesures économiques dont j'ai pris connaissance en consultant le projet de loi sur le site web du Parlement... Encore une fois, je suis citoyen américain. Je ne vis pas au Canada et ne connais pas les lois et les règlements canadiens. J'ai pu voir que le projet de loi visait certaines cibles, comme le Setad, ou Comité exécutif de l'ordre de l'imam Khomeyni, organisation qui rapporte de l'argent à l'Iran par toutes sortes de moyens illicites.
Je m'excuse, mais j'ai oublié quelle était votre première question.
La sénatrice Bovey : Y a-t-il d'autres pays qui aient des mesures législatives semblables ou identiques, ou bien le Canada est-il le seul à en avoir?
M. Taleblu : Avant la signature de l'accord nucléaire, entre 2012 et 2013, l'Europe a en fait ciblé plus d'entités que le Département du Trésor des États-Unis. C'est une découverte fascinante que j'ai faite. Il y a les décisions du Conseil européen. Je sais que la Suisse, la Norvège et le Royaume-Uni ont concurremment adopté des sanctions, mais ont aussi publié des listes distinctes précisant que les entités nommées ne répondaient pas nécessairement aux critères définis pour la prise de sanctions — dont certains figurent dans votre projet de loi —, mais qu'elles masquaient les utilisateurs ultimes réels ou faisaient le commerce d'articles à double usage. Les critères n'étaient pas nécessairement très stricts, mais il y avait de bonnes raisons de croire que ces entités étaient suspectes.
Par conséquent, avant la signature de l'accord nucléaire, oui, je crois que certains pays, notamment en Europe, ont adopté des lois de ce genre. Je ne sais cependant pas ce qu'elles sont devenues après la signature de l'accord. J'ai l'impression qu'il a été plus difficile de convaincre beaucoup de pays d'Extrême-Orient d'adopter de telles lois. À ma connaissance, l'Europe était attachée aux mêmes normes de non-prolifération que les États-Unis.
La sénatrice Cools : Je voudrais remercier le témoin de sa comparution devant le comité et des points de vue énergiques qu'il a présentés. J'ai deux questions à lui poser.
Pouvez-vous nous dire quand le mot « terrorisme », dans son sens actuel, a été utilisé pour la première fois sur la scène mondiale? Savez-vous quand cela s'est produit?
M. Taleblu : Je peux essayer de deviner. Il y a des pays qui se sont livrés à des actes de terreur depuis des temps immémoriaux. Compte tenu de mon penchant pour l'histoire, je dirai que les armées mongoles de Genghis Khan jetaient des cadavres porteurs de maladies sur les murs de leurs ennemis pour les effrayer et les empêcher de défendre les murs. Cela avait marché.
Lors du siège d'Eger, en Hongrie, par le sultan ottoman Soliman le magnifique — qui est en fait mort en Hongrie —, les Hongrois s'étaient fiés à ce mythe lorsqu'ils avaient ajouté du sang de taureau à leur vin pour se donner plus de force afin de semer la terreur dans le cœur des envahisseurs ottomans.
À titre de politicologue, je crois que les premiers terroristes s'étaient manifestés en Allemagne de l'Est avec le groupe Baader-Meinhof. C'est ce que je crois, mais je me trompe probablement.
La sénatrice Cools : Je vais vous le dire, si vous avez envie d'écouter. Le mot a été utilisé pour la première fois dans son sens moderne en 1944 lors du meurtre de Walter Guinness, lord Moyne, ministre plénipotentiaire britannique au Caire. Il avait été tué à bout portant à Jérusalem par des membres du groupe Stern, que dirigeait alors Yitzhak Shamir, avant de devenir premier ministre d'Israël.
Le mot « nexus » avait été utilisé en anglais en 1947, je crois, à l'occasion du meurtre du comte Bernadotte, encore une fois en Israël.
M. Taleblu : Pouvez-vous répéter le nom de ce monsieur?
La sénatrice Cools : C'est le comte Bernadotte, qui était un grand philanthrope. Il avait été assassiné par le même groupe, encore une fois à Jérusalem.
La présidente : Quelle est la question?
La sénatrice Cools : Je demandais ce que signifiait le mot « terrorisme ». Je me demandais pourquoi certains sont qualifiés de terroristes et d'autres pas quand il y a un meurtre. J'estime que c'est une question très sérieuse.
M. Taleblu : Excusez-moi. J'ai mal compris la question. Parlez-vous de meurtre?
La sénatrice Cools : Un meurtre est un meurtre, mais il y a des cas où les meurtres sont assimilés à du terrorisme. Je vous disais que le sens moderne de « terrorisme » est vraiment très récent. Il ne remonte qu'à une cinquantaine d'années. J'aurais voulu connaître votre point de vue à ce sujet. Le groupe Stern s'était livré à de grandes activités terroristes. Il avait causé beaucoup de dommages. En fait, pendant un certain temps, il contrôlait virtuellement la ville de Jérusalem.
M. Taleblu : Je n'ai pas grand-chose à dire au sujet du groupe Stern, parce que je ne le connais pas assez, mais vous m'avez appris quelque chose au sujet de l'utilisation du mot en 1944 et en 1947.
Vous avez parlé de la période qui a précédé la fin de la Seconde Guerre mondiale. De toute évidence, vous connaissez cette période mieux que moi. Il y a tant de choses dans le monde moderne qui semblent exister depuis longtemps, mais qui remontent en fait à la Seconde Guerre mondiale.
Il y a un excellent livre intitulé Inventing Human Rights, qui montre comment la période de l'après-guerre nous a permis de créer une forte norme de défense des droits de la personne et de dire que tous les citoyens ont des droits humains. Dans l'ordre mondial libéral dont nous avons hérité, les Nations Unies ont vu le jour dans la même période. La période de l'après-guerre a consacré le regroupement...
La sénatrice Cools : La question que je voulais poser...
La présidente : Il ne nous reste plus beaucoup de temps. Allez-y rapidement, je vous prie.
La sénatrice Cools : En général, lorsque le Parlement du Canada adopte un projet de loi, c'est ordinairement une mesure d'application intérieure. Le pouvoir du Parlement du Canada ne va pas au-delà de nos frontières. Les projets de loi de cette nature — dont le nombre semble augmenter — tentent d'attribuer au Canada des compétences internationales, ce qu'aucune loi canadienne ne peut faire.
Comme nous le savons, les affaires étrangères relèvent du groupe de pouvoirs que nous appelons la prérogative royale. Lorsque le gouvernement dépose un projet de loi au Parlement, c'est ordinairement pour obtenir des fonds destinés aux affaires étrangères, à différentes initiatives ou au financement de nos militaires. Toutefois, le Parlement n'est pas habilité à conférer au gouvernement des compétences internationales dans le cadre d'un projet de loi.
La présidente : Monsieur Taleblu, c'est une question qui concerne le Canada. Vous pourriez ne pas souhaiter répondre à des questions concernant l'application des lois intérieures à l'étranger et vice versa. Si vous croyez pouvoir exprimer un point de vue à ce sujet, faites-le. Autrement, je dirais que nous avons fait appel à vous à titre d'expert sur certaines questions internationales et non sur des questions intérieures canadiennes.
M. Taleblu : Je vous remercie, madame la présidente.
Je n'ai pas nécessairement une position à ce sujet, surtout parce que je ne connais pas assez les lois canadiennes. Je suppose cependant que la norme qu'a mentionnée l'honorable sénatrice est essentiellement celle de la souveraineté. Les lois canadiennes peuvent avoir une application extrajudiciaire si vous le souhaitez. Encore une fois, je ne connais pas assez le droit canadien. Je m'excuse donc de ne pas être en mesure de répondre à cette question.
Pour ce qui est des sanctions et des conditions qui les régissent, les États-Unis ont des critères qui leur permettent de prendre des sanctions extrajudiciaires et extraterritoriales. J'ajouterai que celles-ci ont assez bien réussi.
Je peux donner deux bons exemples de telles sanctions, si vous le souhaitez. L'un portait à l'origine le titre Iran and Libya Sanctions Act, mais il est maintenant connu sous le nom d'Iran Sanctions Act. Cette mesure législative a ouvert la voie à une autre, qui a été adoptée par le Congrès américain en 2010 : la Comprehensive Iran Sanctions, Accountability and Divestment Act. Ces deux lois permettaient de prendre des sanctions extraterritoriales.
Encore une fois, je ne connais pas suffisamment le système canadien pour faire des comparaisons, mais je sais que cela existe et est utilisé efficacement aux États-Unis. Je m'excuse encore auprès de la sénatrice pour ne pas avoir été en mesure de parler de l'aspect canadien de la question.
La présidente : Je vous remercie.
Le sénateur Wells : Je vous remercie, monsieur, de votre comparution devant le comité. Nous examinons une loi visant à dissuader l'Iran de parrainer des actes constituant du terrorisme, de l'incitation à la haine et des violations des droits de la personne. Ma question porte sur la personnalité des dirigeants iraniens.
Je note en même temps les renseignements les plus récents à ce sujet : le président Trump a envoyé ce matin à l'Iran un message d'avertissement sur Twitter. Face à l'actuel gouvernement autoritaire de l'Iran, quel effet peut avoir un avertissement public de ce genre? Pouvons-nous considérer qu'il s'agit d'un bon moyen de dissuasion, ou bien ne servira-t-il qu'à les rendre encore plus belliqueux?
M. Taleblu : Je vous remercie, sénateur. Je crois que c'est une excellente question, une question à laquelle les politicologues ont de la difficulté à répondre : dans quelle mesure la coercition est-elle efficace? Je dirais que votre question pose deux genres d'hypothèses sous-jacentes. La première concerne la motivation et la seconde, la rationalité.
Je crois que les motivations des dirigeants iraniens sont très claires. Leurs intentions sont révisionnistes. Ils n'ont peut-être pas de revendications irrédentistes, mais ils ont certainement des intentions hégémoniques au Moyen-Orient.
Pour ce qui est de la rationalité, si on envisage une rationalité classique moyens-fins à la Max Weber, alors, oui, la République islamique d'Iran est éminemment et totalement rationnelle parce qu'elle défend ses intérêts au énième degré. Le problème est qu'elle cible cet intérêt marginal centré sur le régime aux dépens de la stabilité de tout l'environnement, menaçant ainsi le statu quo au Moyen-Orient et l'ordre libéral mondial partout ailleurs.
Je voudrais faire une distinction entre l'intérêt de l'État iranien et celui de l'élite de la République islamique. Vous avez peut-être noté que je n'ai jamais utilisé aujourd'hui l'expression « régime iranien ». J'ai parlé de l'État iranien et des dirigeants de l'Iran ou encore de la République islamique d'Iran. C'est parce que je crois qu'il serait péjoratif de dire que ce régime, qui détient actuellement les rênes du pouvoir en Iran, comprend des éléments particulièrement iraniens. Je crois que ce serait insultant pour les Iraniens canadiens, les Iraniens américains et, ce qui est encore plus important pour les Iraniens d'Iran qui font remonter leur histoire bien au-delà des origines de ce régime.
J'aimerais avoir plus de renseignements au sujet du message de Trump sur Twitter. Je crois que le conseiller à la sécurité nationale Mike Flynn avait parlé d'avertissement quelque temps avant l'envoi de ce message. Il a essentiellement dit que l'Iran était averti. Je crois que c'est une bonne chose. L'Iran a fait plus d'une dizaine de tests de missiles balistiques depuis la signature de l'accord nucléaire en juillet 2015. En me fondant sur des textes publics en persan et en anglais, je suis arrivé au chiffre de 14. Je crois qu'un avertissement est la moindre des choses à faire pour le moment.
Je suis en faveur du développement d'un consensus au sein du groupe P5+1. Je sais en particulier que le Conseil de sécurité de l'ONU a tenu une réunion hier. J'espère que le groupe P5+1 s'entendra sur le sens à attribuer aux tests iraniens de missiles balistiques pour l'avenir de l'accord nucléaire et de la résolution 2231 des Nations Unies. Je pense qu'un avertissement est la moindre des choses que les États-Unis et la communauté internationale puissent faire en ce moment. D'une part, 14 tests de missiles et de l'autre, un seul ensemble de sanctions américaines en janvier 2016? Je ne crois pas que cela suffise.
Le sénateur Wells : Je précise, par souci de clarté, que c'est le président Trump qui a dit ce matin, à 6 h 30 :
L'Iran a reçu UN AVERTISSEMENT officiel pour avoir lancé un missile balistique. Il aurait dû être reconnaissant pour l'horrible marché que les États-Unis ont conclu avec lui!
Le message semble avoir une destination extérieure. Et il venait non du conseiller à la sécurité nationale Flynn, mais directement du président.
M. Taleblu : Je m'excuse. J'ai seulement vu la déclaration d'hier de Mike Flynn. Je crois qu'il a parlé d'avertissement ou de quelque chose de semblable. Je vous remercie de votre précision.
La présidente : Sénateur Oh?
Le sénateur Oh : Vous venez juste de répondre à ma question concernant les essais de missiles de dimanche. Je vous remercie.
La sénatrice Saint-Germain : Je vous félicite pour votre exposé qui était aussi intéressant que fouillé.
Si ce projet de loi est adopté et mis en vigueur, quel genre de représailles craindriez-vous pour le Canada et les Canadiens de la part de l'Iran?
M. Taleblu : C'est une question intéressante.
En 2012, lorsque les États-Unis envisageaient d'appliquer des sanctions de plus en plus sévères tout en modifiant leur discours relativement au programme nucléaire iranien, l'ayatollah Khamenei, guide suprême de l'Iran, avait dit qu'il répondrait à la menace par la menace. Cette politique visait essentiellement à établir une sorte de parité tactique avec n'importe quel adversaire qu'il fallait affronter à ce moment.
Il est évident, je crois, que le Canada a en Iran une représentation diplomatique plus importante que celle des États- Unis, qui agit par l'intermédiaire de la Suisse. C'est un domaine dont il faudrait peut-être s'inquiéter, mais je ne crois pas que les problèmes découleraient de ce projet de loi.
Les enseignements tirés de la guerre Iran-Irak montrent que les Iraniens font ce que beaucoup d'analystes et d'érudits de Washington qualifient d'essai des limites. Je ne suis pas le premier à le dire, mais j'admets le point de vue conventionnel selon lequel, à cause de leur faiblesse, ils savent que leur réaction ne peut pas aller au-delà de certaines limites.
J'estime à première vue que l'Iran tire déjà beaucoup d'avantages économiques et politiques de cet accord nucléaire. Après 2020 et 2023, une fois que l'embargo sur les armes et l'embargo sur les missiles auront été levés par l'entremise des Nations Unies, l'Iran retirera également des avantages militaires de l'entente. Il ne foncera pas nécessairement tête baissée pour se venger du Canada. En fait, les Iraniens publieront sans doute des communiqués agressifs, comme ils ont l'habitude de le faire par l'entremise de leur ministère des Affaires étrangères. Ils parleront fort, mais je ne crois pas qu'ils prennent des mesures de représailles parce qu'ils n'ont pas envers le Canada la même inimitié qu'ils ont à l'égard des États-Unis.
C'est mon humble opinion. Les Canadiens ne seront peut-être pas d'accord, mais si on mesure les représailles en fonction des relations de l'Iran avec les États-Unis, je ne crois pas qu'il y aurait contre le Canada le même genre de mesure de représailles que le guide suprême a promis de prendre contre les États-Unis.
Le sénateur Housakos : Je voudrais poser au témoin une question concernant la dynamique politique qui règne actuellement en Iran. Compte tenu du degré de soutien populaire du gouvernement, dans quelle mesure celui-ci est-il fort ou fragile?
Dans le régime iranien, les personnalités politiques influencent le point de vue du public sur le monde extérieur... Comment l'Iranien moyen voit-il le monde? Il y a bien sûr un fort sentiment antiaméricain qui existe depuis des décennies, mais comment les Iraniens se perçoivent-ils eux-mêmes? Comment pensent-ils que le monde perçoit leur pays? Leur perception est-elle exacte?
Ma seconde question porte sur les relations entre l'Iran et la Turquie au Moyen-Orient. Bien sûr, les deux pays ont des points de vue diamétralement opposés, mais des objectifs très semblables. Pouvez-vous nous en parler?
M. Taleblu : Volontiers. Je pense que ce sont là trois domaines très intéressants que j'aimerais étoffer un peu, si vous voulez bien.
Pour ce qui est du soutien du public au président Rouhani dont le mandat se termine en mai prochain, je dirai — si je me souviens bien de l'histoire de l'Iran — que depuis le début des années 1980, c'est-à-dire après l'ancien président Rajai, tous les présidents iraniens ont été réélus. Le président Khamenei a fait deux mandats, de même que Rafsanjani, Khatami et Ahmadinejad. Dans le cas de ce dernier, je devrais préciser qu'il a été « choisi » la seconde fois. Je crois bien que le président Rouhani a de bonnes chances d'être réélu en mai. Je me trompe peut-être — comme beaucoup d'observateurs de l'Iran —, mais compte tenu de la tendance, j'estime qu'il remportera les prochaines élections.
Il y a cependant un mouvement de fond qui se dessine contre Rouhani. Je ne dirais pas qu'il s'agit d'une forte réaction populaire, mais il avait profité du soutien des réformistes. Il y avait une faction centriste qui l'avait appuyé et avait contribué à regrouper la base sociale qui lui a permis d'obtenir plus de 50 p. 100 des voix en 2013, lors de sa première élection. Cet appui s'est affaibli parce que les gens n'ont pas obtenu les avantages qu'ils attendaient de l'accord, le plus gros ayant été détourné au profit des Gardiens de la révolution et des niveaux supérieurs de l'élite du régime.
Par conséquent, il y a beaucoup d'insatisfaction à cause du manque de retombées de l'accord pour le peuple iranien. Il y a aussi la Déclaration des droits des citoyens dans laquelle Rouhani n'a pas voulu parler des ethnies, des minorités et des religions de l'Iran, préférant — ce qui est admirable — parler des citoyens iraniens. Malheureusement, en Iran, la primauté du droit ne s'exerce pas d'une manière égale, de sorte que la Déclaration des droits a constitué un grand échec qui a suscité un mouvement populaire contre Rouhani.
Ce que le régime veut faire et ce que Khamenei incite la diplomatie iranienne à réaliser, c'est amener l'Ouest à agir en faveur de Rouhani. Contrairement à Ahmadinejad — qui se présentait devant les Nations Unies non rasé et vêtu d'un blouson à fermeture éclair et qui niait l'holocauste devant de nombreuses tribunes internationales —, Rouhani est un interlocuteur et un adversaire beaucoup plus compétent et un homme beaucoup plus sophistiqué. Même sa diction en persan est très supérieure à celle d'Ahmadinejad. Il y a donc une grande différence entre les deux.
Quant à la façon dont le peuple iranien voit l'Iran, il est évident que les Iraniens veulent renouer avec le reste du monde. C'est pour cette raison que j'ai dit que la société civile iranienne voulait cet accord, mais elle n'en a pas tiré des avantages. Comme l'avaient prévu des organisations telles que la Foundation for Defense of Democracies, ceux qui en ont profité sont les sociétés, les filiales et les entités relevant de la Garde révolutionnaire islamique qui avaient comblé le vide laissé par le vrai secteur privé iranien.
Il y a un analyste militaire suisse-iranien bien connu qui était membre non-résident du Carnegie Endowment for International Peace. Il est rare qu'un groupe de réflexion de Washington tire son chapeau à un autre groupe de réflexion, mais je dois tirer mon chapeau à cet homme, Shahram Chubin. Il a écrit un excellent article sur les capacités militaires iraniennes dans lequel il dit que l'Iran souffre d'un « déficit de statut ».
Je dirais que le même sentiment existe dans la population iranienne. Les Iraniens souffrent aussi d'un déficit perçu de statut. Ils ont des visions de grandeur, presque du délire, en pensant à leur gloire passée. Je dois dire qu'il s'agit d'un passé aussi illustre qu'honorable. Toutefois, cela ne correspond pas à leur position dans le monde d'aujourd'hui compte tenu de leur PIB, de leur projection relative de puissance, de leur éducation et du plafond de verre qui leur est imposé. Il y a énormément d'Iraniens qui vont à l'université, mais bien peu obtiennent un diplôme et décrochent un bon emploi. Ils sont limités par un plafond de verre artificiel essentiellement créé par les 30 années d'incurie de ce régime. Bref, les Iraniens se perçoivent comme les descendants d'une grande civilisation, mais ne profitent pas des avantages matériels que cette situation aurait dû leur procurer.
Cela m'amène à la Turquie voisine et à la dernière partie de votre question. On parle depuis longtemps de la tache turque au Moyen-Orient. Un de mes collègues d'origine turque et moi-même avons créé le mot « aminimitié » pour décrire les relations entre l'Iran et la Turquie. Je crois que, pour l'avenir prévisible, les deux parties vont compartimenter leur amitié et leur inimitié.
Je crois que la Déclaration de Moscou, publiée fin décembre 2016, constitue un domaine dans lequel cette situation peut être bouleversée, mais les deux pays se font la concurrence pour gagner le cœur et l'esprit des musulmans du Moyen-Orient. Dans le vide arabe sunnite, les deux veulent se positionner comme principales puissances musulmanes non arabes.
Je pense qu'à long terme, il y a là une concurrence stratégique axée sur la politique des pipelines, sur l'histoire et sur les descendants de deux anciens empires du Moyen-Orient. En même temps, les deux pays affirment qu'ils visent des échanges commerciaux de 30 milliards de dollars. Ils en parlent depuis 2012, mais n'y sont pas encore parvenus. Quoi qu'il en soit, l'avenir du Moyen-Orient comporte des défis et des changements en ce qui concerne ces relations.
Le sénateur Housakos : Quelle est votre évaluation des Iraniens de la diaspora, et surtout ceux qui vivent à l'Ouest? Sont-ils proactifs ou indifférents par rapport à la politique iranienne? Peut-on dire que les Iraniens ou les gens d'origine persane qui vivent en Amérique du Nord et en Europe occidentale ont beaucoup de succès, mais sont un peu détachés de ce qui se passe dans leur pays d'origine? Est-il raisonnable de ma part de penser que ces gens ne s'opposent pas vraiment au régime de Téhéran? Si c'est bien le cas, à quoi attribuez-vous cette situation?
M. Taleblu : Il y a à ce sujet plusieurs thèses concurrentes qui me prendraient un certain temps à expliquer.
Je suis moi-même né aux États-Unis, mais de deux parents venant d'Iran qui ont voulu s'écarter de la révolution. Mon père vivait déjà à l'étranger, et ma mère est partie après la révolution. Par conséquent, en parlant de diaspora, c'est celle des États-Unis que je connais le mieux. Je ne sais pas grand-chose de la diaspora iranienne du Canada, mais je sais qu'il y a une importante communauté iranienne dans le pays.
Je dois dire que, du moins pour la génération qui a précédé la mienne, la politique n'est pas vue d'un bon œil. Même si vous parlez à des Iraniens de 40 ans et plus, vous constaterez qu'ils dédaignent toute action politique. Il y a en fait un comique iranien connu, Parviz Sayyad, qui a fait quelques sketches satiriques à ce sujet, dont nous pourrions parler plus tard.
Je crois que les Iraniens sont de fervents nationalistes. Ils aiment leur terre ancestrale. Aux États-Unis, ils se sont très bien intégrés, probablement mieux que n'importe quel autre groupe d'immigrants venant du Moyen-Orient.
Un de mes anciens collègues, un Danois d'origine iranienne, a un très bon mot qui illustre bien l'expérience. Il dit : « Les Iraniens réussissent bien partout, sauf en Iran. » Cela en dit long sur leur situation.
La présidente : C'est la sénatrice Ataullahjan qui posera la dernière question.
La sénatrice Ataullahjan : J'ai une question en deux parties. Au sujet du rôle des médias sociaux dans la politique et la société iranienne, Arash Sadeghi a fait la grève de la faim, ce qui a suscité une campagne très réussie dans les médias sociaux en faveur de sa libération. Dans quelle mesure les personnalités politiques iraniennes s'intéressent-elles à ces médias?
J'ai cru comprendre que vous croyez que le Canada devrait engager un dialogue avec l'Iran. Dans la génération montante iranienne, qui sont les personnes à surveiller parce qu'elles ont les meilleures chances de faire partie de la nouvelle direction du pays?
M. Taleblu : Au sein du gouvernement iranien?
La sénatrice Ataullahjan : Je parle des jeunes leaders. Dans la direction actuelle, il n'y a pas beaucoup de jeunes. Y a- t-il actuellement une personne que vous croyez susceptible d'assumer un rôle de leadership à l'avenir? Ou bien les jeunes sont-ils complètement opprimés, comme c'est le cas dans beaucoup de ces pays? On n'encourage pas beaucoup les jeunes à assumer un rôle actif.
M. Taleblu : D'après ce que je comprends du système politique iranien, il y a actuellement un effet de sélection qui se manifeste. À mon humble avis, les jeunes leaders iraniens les plus talentueux ne servent pas la République islamique, ayant choisi de faire leur vie ailleurs, soit dans le secteur privé marginal de l'Iran soit à l'étranger. Cela s'accorde bien avec le bon mot de mon ancien collègue, qui dit que les Iraniens ont du succès partout sauf en Iran.
Je regrette, mais je ne pourrai pas vous citer le nom d'une personne à surveiller, mais il y aura une transition dans un proche avenir en cas de décès du guide suprême, l'ayatollah Khamenei. Ce sera un événement critique dans l'histoire iranienne, surtout parce qu'il était le seul à pouvoir remplacer l'ayatollah Khomeyni, qui était le père fondateur. Le guide suprême n'a été remplacé qu'une seule fois, et c'est Khamenei qui joue ce rôle. À mon avis, quiconque le remplacera ne sera pas choisi parmi les jeunes. Ce sera probablement un vieux membre du clergé islamique de la ligne dure. Malheureusement, en parlant de la politique du pouvoir à Téhéran, la génération à surveiller est celle des cheveux gris et pas celle des jeunes.
Pour répondre à votre première question concernant l'engagement avec l'Iran et l'utilisation des médias sociaux, je dirais qu'une politique d'engagement fondée sur des principes est bonne. Je favorise l'engagement, mais avec les yeux grands ouverts, si je peux m'exprimer ainsi.
En principe, de nombreux médias sociaux comme Twitter et Facebook sont interdits en Iran, mais les Iraniens recourent aux réseaux privés virtuels pour contourner l'interdiction. Il y a en Iran une blogosphère florissante, qui compte parmi les plus importantes du monde. C'est là qu'on peut se mettre à l'écoute de la rue pour recueillir les opinions venant de tous les coins du pays.
Fait intéressant, l'élite conservatrice du régime se sert des médias sociaux même s'ils sont tabous. Le guide suprême a son propre flux Twitter non seulement en anglais, mais aussi en espagnol. L'Iran a une station satellite espagnole nommée HispanTV. Il n'y a donc pas de doute que l'Iran cible les pays non alignés en recourant aux médias sociaux.
De bien des façons, les médias sociaux — qui constituent un excellent moyen d'habiliter le peuple iranien pour qu'il puisse choisir son propre avenir politique, ce qui n'a pas encore été pleinement fait — sont une arme à deux tranchants. Plus le régime recourt à ces technologies, plus il est en mesure de créer des réseaux destinés à entraver la liberté de communication. En août 2016, par exemple, l'application de messagerie instantanée Telegram, qui permet le chiffrement de bout en bout, a été piratée par l'Iran. Je crois qu'il y a dans le pays 20 millions d'utilisateurs de Telegram. On suppose que le piratage est l'œuvre des autorités.
Cela reste à voir, mais les médias sociaux ne fonctionnent pas à sens unique en Iran. Tout en habilitant les gens, ils permettent aussi aux partisans de la ligne dure de se faire entendre partout dans le monde.
La présidente : Je vous remercie. Il est évident, avec toutes les questions qui ont été posées, que vous avez suscité un très grand intérêt et beaucoup de réflexion sur le projet de loi dont nous sommes saisis. Nous avons abordé des sujets allant au-delà de l'objet du projet de loi, mais je crois que cela a été instructif et utile. Votre connaissance du sujet et votre engagement à continuer à étudier non seulement l'histoire, mais aussi la situation actuelle en Iran ont été très précieux pour le comité. Je vous remercie de votre comparution.
Le sénateur Percy E. Downe (vice-président) occupe le fauteuil.
Le vice-président : Tous les membres du comité ont été avisés que nous passerons aujourd'hui à l'étude article par article du projet de loi S-226. Je demande aux nouveaux membres, mais aussi aux membres de longue date, de poser des questions s'ils souhaitent avoir plus de précisions sur cette procédure. Nous essaierons d'y répondre au fur et à mesure.
Collègues, est-il convenu de procéder à l'étude article par article du projet de loi S-226?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Est-il convenu de reporter l'adoption du titre?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Est-il convenu de reporter l'adoption du préambule?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Est-il convenu de reporter l'adoption de l'article 1, qui contient le titre abrégé?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : L'article 2 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : L'article 3 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : L'article 4 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : L'article 5 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : L'article 6 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : L'article 7 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : L'article 8 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : L'article 9 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Les articles 10 à 12 sont-ils adoptés?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Les articles 13 à 15 sont-ils adoptés?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Les articles 16 et 17 sont-ils adoptés?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Le titre est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Le préambule est-il adopté?
Le sénateur Woo : Je veux signaler un point qui revient dans de nombreuses dispositions, y compris le titre, le préambule et beaucoup d'autres places. Il s'agit de l'expression « droits de la personne reconnus à l'échelle internationale ».
À ma connaissance, les droits de la personne reconnus à l'échelle internationale sont ceux que prévoit la Déclaration universelle des Nations Unies, qui comprend deux pactes connexes. Comme vous le savez sans doute, il y a le Pacte relatif aux droits civils et politiques, qui est principalement visé par ce projet de loi, mais il y a aussi le très important Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. La plupart des analystes et des experts internationaux en droits de la personne s'entendent pour dire que les deux pactes sont indissociables. Ils sont universels et indivisibles, et aucun des deux ne peut prendre le pas sur l'autre.
Je crois que cela donne lieu à un problème dans le cas de ce projet de loi, qui englobe un très vaste secteur des droits de la personne reconnus à l'échelle internationale dans les domaines économique, social et culturel, qui ne sont pas censés être couverts par le projet de loi et qui, de plus, introduisent une certaine ambiguïté et pourraient même susciter des accusations d'hypocrisie de notre part si nous procédons de cette manière.
Le vice-président : Je vous remercie. J'invite la sénatrice Andreychuk, parraine du projet de loi, à répondre.
La sénatrice Andreychuk : Je sais que vous êtes un nouveau membre du comité. Nous avions déjà étudié ce projet de loi auparavant et avions abordé cette question. Je vous renvoie aux observations d'Irwin Cotler, qui constituent une réfutation efficace de ce que vous venez de dire.
Le projet de loi traite des droits de la personne reconnus à l'échelle internationale dans la mesure où ils s'appliquent au projet de loi. Celui-ci ne concerne pas directement les droits internationaux de la personne. Ce sont les normes actuellement reconnues, de sorte que — comme je l'ai dit à maintes et maintes reprises — le projet de loi, s'il est déclenché, constituera un outil pour le gouvernement. Il ne s'agit pas d'une question obligatoire. Il faudrait donc tout d'abord dire que le projet de loi sera utilisé et que, dans ce cas, les normes à appliquer sont celles qui sont reconnues à l'échelle internationale. Je conviens avec vous que nous devons dire que c'est universel. Dans le cadre du droit international, il y a un moyen d'en arriver là. Par conséquent, nous aurions respecté une norme des Nations Unies ou une autre norme internationale. Ce ne serait pas notre propre norme.
J'espère avoir répondu à votre question, mais cela n'ouvre pas la discussion. Je dois vous dire avec respect qu'à mon avis, les choses ne vont pas aussi loin que vous le dites et ne créent pas d'ambiguïté.
Le projet de loi englobe de nombreuses idées, et c'est le libellé qui a été proposé. Il a tout un historique et a fait du chemin depuis la première version proposée par Irwin Cotler. Nous l'avons modifié, mais c'est l'orientation générale qu'il présente. Comme vous l'avez remarqué, c'est dans le préambule. Les détails de l'application figurent dans le projet de loi lui-même. Bien sûr, il faudra le mettre à l'épreuve.
Le sénateur Gold : Je crois que c'est un point important. J'accorde une certaine attention à l'alinéa 4(2)a) parce que les circonstances pouvant amener le gouvernement à prendre des mesures ne se limitent pas à une violation des droits internationaux de la personne, mais s'étendent à certaines activités précises, qu'il s'agisse d'une dénonciation comme le prévoit le sous-alinéa (i) ou de la défense de droits et de libertés politiques comme le prévoit le sous-alinéa (ii). Je crois que c'est clairement là l'idée maîtresse du projet de loi.
Je ne crois pas que le préambule soit susceptible d'étendre la portée de ces circonstances. Il y a toujours de l'ambiguïté dans les cas limite, mais je ne crois pas que cela comprenne les droits sociaux et économiques que vous avez mentionnés à juste titre.
Le vice-président : Je rappelle aux collègues qu'au moment de voter, ils ont toujours la possibilité de s'abstenir ou de s'opposer. Si nous adoptons le projet de loi aujourd'hui, il fera l'objet de beaucoup d'autres discussions au Sénat. Je tiens simplement à le noter à l'intention des nouveaux membres.
La sénatrice Andreychuk : Je crois que c'est le genre de projet de loi et le genre de questions qui méritent un long débat. Lorsque les premiers projets de loi ont été déposés, et pas seulement à ce sujet, il ne s'agissait que de premiers jets, si je peux m'exprimer ainsi. J'ai participé à la discussion concernant le gel des biens. Comme il y avait une question immédiate à régler, les éléments les plus compétents ont réfléchi aux mesures à prendre et ont élaboré un projet de loi, mais il a été modifié par la suite. On apprend beaucoup de choses avec la pratique.
Je crois que le sénateur Gold a dit à juste titre que le préambule n'est que cela — un préambule — et que les détails de la mise en œuvre se trouvent dans le projet de loi lui-même. Je pense que son interprétation est la bonne. Je le félicite de sa sagesse.
Le vice-président : Je vous remercie.
L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Le projet de loi est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Le comité souhaite-t-il joindre des observations au rapport?
Le sénateur Marwah : Je crois que je vais m'abstenir.
La sénatrice Cools : Inscrivez-moi aussi parmi les abstentions.
Une voix : Cela fera trois.
Le vice-président : Trois. Je vous remercie.
Le vice-président : Est-il convenu de faire rapport du projet de loi au Sénat?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Collègues, quelques nouveaux membres ont proposé que le comité directeur examine l'organisation de la réunion d'aujourd'hui, toute critique formulée à ce sujet et les suggestions pour l'avenir. Nous y réfléchirons certainement en vue de la prochaine réunion.
La sénatrice Andreychuk : J'ai une observation à présenter. Nous devons toujours tenir compte de l'ensemble des témoignages. Nous avons entendu un témoin qui a présenté un point de vue particulier. Si vous connaissez un témoin qui aurait peut-être un point de vue différent et que vous souhaitez inviter, je vous prie de le faire. C'est l'objet fondamental de nos discussions. Comme nous ne pouvons faire comparaître les témoins que lorsqu'ils sont disponibles, il arrive que nous entendions une série de témoins qui présentent un certain point de vue. Ensuite, il faut peut-être attendre une semaine ou deux avant d'avoir ceux qui peuvent nous faire entendre un autre son de cloche. Nous essayons d'en arriver à un certain équilibre pour nous assurer de couvrir tous les aspects d'une question, mais je crois qu'il vaut la peine d'en discuter.
La sénatrice Cordy : Hier, il a été question de nos travaux futurs. On nous a dit qu'il est possible d'envoyer une lettre. J'aimerais que nous prenions 15 ou 20 minutes pour tenir une discussion générale et soulever les questions qui nous intéressent.
Il y a maintenant un nouveau président aux États-Unis, et nous pouvons nous attendre à des changements dans le domaine du commerce, qu'il s'agisse de l'ALENA, de l'Union européenne ou du Partenariat transpacifique. Nous avons également eu des changements il y a un peu plus d'un an avec l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement au Canada. Par conséquent, avant d'aller de l'avant, je crois qu'il serait utile de discuter ouvertement des questions que nous jugeons importantes. Nous pourrons peut-être en regrouper certaines. Je ne propose pas d'y consacrer une heure, mais il vaudrait la peine de mentionner un certain nombre de questions pour voir l'orientation que veut prendre le comité. Nous pourrons ensuite décider le plus tôt possible de ce que nous voulons faire afin de nous préparer avant de commencer à travailler. Je sais que nous devons recevoir des projets de loi, mais je crois que nous devrions être prêts à nous mettre à l'œuvre aussitôt que nous aurons fini d'examiner ces projets de loi.
Le sénateur Dawson : À l'une des premières réunions que nous avons tenues après notre retour, nous avions une liste où figuraient les lettres de mandat du ministre des Affaires étrangères. Eh bien, il est maintenant parti.
Nous avons maintenant une nouvelle lettre de mandat pour la nouvelle ministre des Affaires étrangères. L'une des bonnes choses que le comité a faites dans le passé — comme bien d'autres comités — a été de s'entretenir avec le ministre et de discuter avec lui de son interprétation du mandat que le premier ministre lui a confié.
Comme vous le savez, nous avions également sur la liste l'ambassadeur à Washington, ce qui est tout aussi pertinent aujourd'hui qu'il y a six mois. Nous avions aussi l'ambassadeur aux Nations Unies. J'aimerais que nous gardions à l'esprit la liste d'origine qui, à mon avis, demeure pertinente. Toutefois, le plus important serait la lettre de mandat de la nouvelle ministre des Affaires étrangères. Plus tôt nous aurons saisi sa façon de penser et plus nous en saurons sur ses objectifs, plus nous serons en mesure de faire du bon travail au comité.
La sénatrice Saint-Germain : J'appuie cette idée. J'ajouterai qu'il serait également intéressant de recevoir le nouveau ministre du Commerce.
La sénatrice Andreychuk : Les deux ministres ont été invités. La question est de savoir quand ils nous répondront.
Le vice-président : Nous attendons leur réponse. Nous en sommes conscients et nous nous efforcerons d'organiser leur comparution.
La greffière enverra un rappel au sujet de la conférence de presse de mardi sur notre rapport précédent concernant le commerce. Tout le monde est invité à la conférence de presse, et le comité de direction y participera aussi. La greffière vous fera parvenir une note dans les prochains jours pour confirmer le lieu et l'heure.
(La séance est levée.)