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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 44 - Témoignages du 25 avril 2018


OTTAWA, le mercredi 25 avril 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, dans la mesure où il concerne les obligations internationales du Canada, se réunit aujourd’hui à 16 h 15 pour étudier la teneur du projet de loi, puis poursuit à huis clos pour examiner un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Nous nous réunissons aujourd’hui afin de poursuivre notre étude de la teneur du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, dans la mesure où il concerne les obligations internationales du Canada.

Avant de donner la parole à nos témoins, j’aimerais demander aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Greene : Sénatrice Greene, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, je représente l’Alberta.

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Paul J. Massicotte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, je représente le Manitoba.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec

[Traduction]

La présidente : Je m’appelle Raynell Andreychuk et je représente la Saskatchewan.

Nos témoins d’aujourd’hui sont de retour parmi nous pour la deuxième fois. En votre nom à tous, je tiens à les en remercier. Nous étions au beau milieu d’une séance de votes, la fois précédente, et ne savions plus exactement quand nous pourrions arriver à entendre tous les témoins. Ils ont eu la gentillesse de nous proposer de revenir, si bien qu’ils sont ici aujourd’hui. Nous les avions invités à témoigner pour nous fournir des précisions et des explications.

Nous recevons Mme Jennifer Lutfallah, directrice générale des Programmes d’exécution de la loi et du renseignement à l’Agence des services frontaliers du Canada, ainsi que M. Eric Costen, directeur général au Secrétariat de la légalisation et de la réglementation du cannabis à Santé Canada, de même que son collègue David Pellmann, directeur exécutif du Bureau du cannabis médical.

Les témoins peuvent maintenant nous présenter leurs exposés. Nous leur poserons ensuite quelques questions.

Je souligne que nous avons invité des témoins de Santé Canada, en particulier, parce qu’il y a des questions d’importation et d’exportation à prendre en considération, dans une perspective internationale, et c’est ce qui les amène ici.

Mme Lutfallah est ici parce que nous sommes conscients qu’il pourrait y avoir des problèmes transfrontaliers en ce qui touche les protocoles, les conventions et toutes les autres ententes que nous pouvons avoir avec notre voisin ou tout autre pays. Ce sont donc les considérations internationales dont nous avons invité les témoins à venir discuter avec nous.

Eric Costen, directeur général, Secrétariat de la légalisation et de la réglementation du cannabis, Santé Canada : Merci infiniment, madame la présidente. Nous sommes très heureux de revenir vous voir en cette journée pluvieuse.

Honorables sénateurs, je vous remercie beaucoup de me permettre de comparaître devant vous aujourd’hui. Je vous présenterai un bref aperçu de l’approche du gouvernement quant à la légalisation et à la réglementation stricte du cannabis. Je vous décrirai en particulier les dispositions réglementaires pertinentes et les règles qui entourent l’importation et l’exportation de cannabis.

Comme vous l’avez tous entendu, le gouvernement aborde la légalisation et la réglementation du cannabis sous l’angle de la santé publique et se fonde sur les contrôles réglementaires stricts déjà en place.

Le projet de loi C-45 propose des règles nationales détaillées afin de régir la production, la distribution, la vente et la possession de cannabis au Canada.

Le projet de loi C-45 s’accompagnera de dispositions réglementaires sur divers éléments comme les permis et les licences accordés pour les activités réglementées, l’établissement de normes de sécurité et de qualité, les restrictions en matière d’emballage et d’étiquetage et l’accès continu au cannabis à des fins médicales.

Les détails du cadre réglementaire proposé par le gouvernement sont présentés dans deux documents publiés au cours des derniers mois.

Le Canada est un leader mondial de la réglementation de production de cannabis à des fins médicales grâce à l’actuel Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales.

Nous avons déjà plus de 100 producteurs autorisés qui répondent aux besoins d’environ 300 000 patients, de sorte que le Canada a déjà acquis une expérience et une expertise considérable dans la réglementation du cannabis.

[Français]

Si le projet de loi C-45 devait obtenir l’approbation du Parlement, ces dispositions réglementaires bien établies, qui sont en place depuis 2013, constitueront la base de l’approche du gouvernement concernant la réglementation du cannabis.

[Traduction]

À titre d’exemple de contrôles réglementaires, notons les règles robustes régissant la sécurité physique et le personnel, afin d’éviter toute infiltration ou influence du crime organisé dans cette industrie réglementée et de protéger la sécurité publique; il y a aussi les dispositions sur l’emballage et l’étiquetage neutres qui visent à protéger les jeunes et les autres personnes contre toute incitation à consommer du cannabis; les inspections périodiques et la tenue de registres détaillés pour consigner toutes les activités de l’industrie et permettre à l’organisme de réglementation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la conformité; de même qu’un système moderne de suivi des stocks et des mesures de prévention des détournements pour éviter que du cannabis réglementé ne soit détourné hors de la chaîne d’approvisionnement réglementée ou que du cannabis illicite ne s’y intègre.

Si j’ai bien compris, c’est une question qui intéresse particulièrement le comité. Je prendrai donc quelques minutes pour vous parler de l’importation et de l’exportation de cannabis.

Pour commencer, je tiens à souligner très clairement que sauf autorisation, conformément au projet de loi concernant le cannabis à des fins médicales ou scientifiques, l’importation et l’exportation de cannabis sont interdites. Il est également interdit, sauf autorisation, de posséder du cannabis à des fins d’exportation.

Il y a des dispositions qui permettent à Santé Canada d’autoriser l’importation et l’exportation de cannabis à des fins très particulières. Ces dispositions font déjà partie du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales, et le projet de loi C-45 propose simplement de maintenir les règles actuelles sur l’importation et l’exportation de cannabis.

Premièrement, tout déplacement de cannabis doit respecter nos obligations internationales et les lois des autres pays. Nul ne peut transporter de cannabis au-delà de la frontière sans la permission expresse du pays d’origine et du pays de destination finale.

[Français]

Les permis requis pour déplacer du cannabis au-delà de la frontière sont très précis, ainsi qu’en ce qui concerne le produit et la quantité qui peuvent être transportés, le mode de transport et l’itinéraire du voyage, qui peut légalement envoyer ou recevoir le produit et la période de validité du permis. Santé Canada peut suspendre ou révoquer un permis si l’une des conditions n’est pas remplie.

Quant aux raisons pour lesquelles le cannabis pourrait être importé ou exporté à l’échelle internationale, les obligations internationales établies en vertu de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 limitent l’importation et l’exportation du cannabis à des fins médicales et scientifiques, telles que les essais cliniques, l’analyse ou l’établissement d’un régime médical dans un pays étranger.

[Traduction]

Autrement dit, les producteurs de cannabis canadiens n’ont pas le droit d’exporter du cannabis à des fins non médicales, même vers les marchés où la consommation de cannabis à des fins non médicales est légale. De même, aucun pays ne peut exporter au Canada du cannabis à des fins non médicales, destiné à la vente au Canada.

Ainsi, les mouvements transfrontaliers internationaux de cannabis non autorisés continueront de constituer une infraction criminelle grave sous le régime du projet de loi C-45. Ces actes pourront faire l’objet de mesures d’application de la loi allant jusqu’à l’enquête criminelle et à des poursuites.

Santé Canada fournit sur son site web de l’information sur les éléments que le ministère prend en compte lorsqu’il évalue une demande d’importation ou d’exportation de cannabis de la part d’un producteur autorisé.

Le projet de loi C-45 établit les conditions nécessaires à l’émergence d’une industrie légale et réglementée de production de cannabis au Canada, dans le but de protéger la santé publique, de protéger les jeunes et de remplacer le marché illicite tout en réduisant les risques d’infiltration du crime organisé.

Une représentante de l’Agence des services frontaliers du Canada est également ici aujourd’hui pour vous parler de la façon dont elle compte faire appliquer le projet de loi C-45 à la frontière s’il reçoit la sanction royale.

La présidente : Merci.

Jennifer Lutfallah, directrice générale, Programmes d’exécution de la loi et du renseignement, Agence des services frontaliers du Canada : Merci, madame la présidente, et bonjour à tous les membres du comité. Je suis ravie d’être ici afin de faciliter votre examen du projet de loi C-45 en ce qui concerne les frontières du Canada.

[Français]

Comme vous le savez, l’Agence des services frontaliers du Canada voit à l’application de plus de 90 lois et règlements aux points d’entrée pour d’autres ministères fédéraux et pour les provinces et les territoires.

[Traduction]

L’ASFC aide Santé Canada à appliquer les lois et les règlements relevant de Santé Canada qui visent les voyageurs, les moyens de transport, le fret et certains produits contrôlés, interdits, dangereux ou réglementés, dont la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Cette dernière établit le cadre législatif qui régit la possession, l’importation, l’exportation, la production, l’assemblage, la distribution, la vente, le transport, la fourniture, l’envoi et la livraison de substances désignées et de précurseurs qui peuvent être utilisés dans la fabrication de drogues illicites. Toutes ces activités sont interdites sauf si elles sont autorisées en vertu de la réglementation ou si elles font l’objet d’une exemption.

Les divers règlements d’application de la loi définissent les circonstances dans lesquelles les activités légitimes avec des substances désignées et des précurseurs sont permises.

Actuellement, la Loi sur les douanes autorise l’ASFC à inspecter les marchandises importées au Canada, tandis qu’elle oblige les exportateurs à déclarer les marchandises qui quittent le pays. Le projet de loi C-45 mettra en œuvre un cadre rigoureux pour le contrôle de l’importation et de l’exportation de cannabis.

Les voyageurs sont tenus de se présenter à un agent, de répondre sincèrement aux questions posées par un agent et de déclarer les marchandises en leur possession à leur arrivée au Canada. Qu’il soit déclaré ou non, le cannabis peut être retenu en vertu de la Loi sur les douanes. S’il n’est pas déclaré, il peut être saisi et retenu par l’ASFC, qui en aviserait alors la GRC ou la police locale compétente qui prendrait possession du cannabis au nom de Santé Canada et en disposerait.

Ensuite, c’est la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui régit l’admissibilité des ressortissants étrangers et des résidents permanents au Canada. L’ASFC peut refuser l’entrée aux personnes qui importent du cannabis dans notre pays. En outre, nos agents ont le pouvoir d’arrêter des personnes qui tentent d’importer des drogues illicites au-delà de la frontière. Aucun de ces pouvoirs ne changerait sous le régime de la nouvelle loi sur le cannabis.

En résumé, le projet de loi maintient le cadre de contrôle en vigueur associé à l’interdiction du mouvement transfrontalier de cannabis, mais transfère les dispositions relatives au cannabis de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances au projet de loi sur le cannabis.

Les voyageurs, les expéditions par la poste ou par messagerie et les expéditions commerciales seront toujours inspectés par l’ASFC pour déceler la présence de cannabis. Des mesures d’application de la loi continueront d’être mises en œuvre au besoin.

L’ASFC est un partenaire important dans la stratégie du gouvernement du Canada qui vise à protéger la santé et la sécurité publique et à réprimer l’activité criminelle relative au cannabis. L’ASFC recevra environ 40 millions de dollars sur cinq ans aux fins de la mise en application du projet de loi C-45. Ce financement permettra à l’agence de prendre des mesures particulières, soit d’investir dans la capacité de traitement en première ligne à la frontière grâce à l’ajout de personnel et de créer des outils de sensibilisation afin d’informer les voyageurs du maintien de l’interdiction visant le mouvement transfrontalier de cannabis, entre autres.

Madame la présidente, l’ASFC demeure résolue à mettre en application avec vigilance les dispositions législatives visant le cannabis tout en préservant la libre circulation des voyageurs et des marchandises légitimes à la frontière.

Je serai maintenant ravie de répondre à vos questions.

La présidente : Je vous remercie de vos exposés.

La sénatrice Cordy : On propose de mener une campagne de sensibilisation sur ce que les gens peuvent transporter au-delà de la frontière. Or, on voit encore des Américains qui pensent pouvoir emmener leurs fusils lorsqu’ils traversent la frontière. Ils les perdent et ne comprennent pas très bien pourquoi. Je me demande donc si nous pourrons mener une campagne de sensibilisation assez puissante pour que les Canadiens comprennent bien qu’ils ne peuvent pas en transporter au-delà de la frontière. C’est ma première question.

Dans la même veine, je rappelle que le cannabis demeure illicite aux États-Unis, à l’échelle fédérale, bien que sa consommation soit permise dans certains États, notamment dans l’État de Washington et en Alaska, deux États situés très près de la Colombie-Britannique. Ainsi, serait-il légal ou illégal de transporter du cannabis au-delà de la frontière canadienne quand on se rend dans l’État de Washington ou en Alaska ou à l’inverse, quand on entre au Canada depuis l’État de Washington ou l’Alaska, ou est-ce que ce seront les lois fédérales qui prévaudront?

Mme Lutfallah : Je répondrai d’abord à votre deuxième question.

Comme vous le savez, c’est la Customs and Border Protection qui a la responsabilité d’assurer la protection de la frontière aux États-Unis. Il s’agit d’un organisme fédéral, et c’est la loi fédérale qui régit la frontière.

Cela dit, l’inverse est aussi vrai pour les Canadiens qui traversent la frontière. Évidemment, ils ne peuvent pas traverser la frontière entre la Colombie-Britannique et l’État de Washington avec du cannabis.

Pour ce qui est de la campagne de sensibilisation, je conviens avec vous qu’elle devra comprendre divers volets. Je ne peux que vous parler de l’Agence des services frontaliers du Canada. Nous installerons des affiches aux points d’entrée très achalandés pour informer la population du fait qu’il est illégal de transporter du cannabis hors du pays et d’en faire entrer aux États-Unis. De même, nous installerons des panneaux et déploierons des campagnes d’éducation publique. Nous diffuserons des messages publicitaires afin d’informer les Canadiens de leurs obligations à l’égard du cannabis.

D’après ce que je comprends, le gouvernement du Canada devrait aussi mettre à jour son site web d’information aux voyageurs pour que les Canadiens sachent qu’ils ne peuvent pas transporter de cannabis hors du pays.

La sénatrice Cordy : Merci. La semaine dernière, nous avons reçu des témoins qui nous ont fait part de leurs préoccupations à l’égard de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies. Je me demande si vous pouvez nous dire comment Santé Canada coordonnera ses efforts à ceux des autres organismes et ministères fédéraux qui ont une part de responsabilité dans la protection de l’enfant, non seulement au Canada, mais à l’extérieur du pays. C’est une question qui a été posée, et je me demande si vous pouvez nous rassurer un peu en nous garantissant qu’il y aura une coordination en ce sens.

M. Costen : Je peux essayer de vous répondre. Quand nous disons que le projet de loi se fonde sur une approche de santé publique, nous voulons dire qu’il y a toute une série de mesures, dont certaines sont de nature législative et se trouvent directement dans le projet de loi, mais d’autres relèveront davantage de programmes destinés à aider les organismes communautaires à mieux informer la population des risques liés à la consommation de cannabis et à réduire le plus possible les torts qu’il peut causer ainsi que le nombre de jeunes qui consomment du cannabis et y ont accès.

Je pourrais vous décrire en détail la panoplie de contrôles réglementaires que nous prévoyons mettre en place et qui sont très inspirés des succès du Canada à ce jour avec la réglementation stricte du tabac pour faire diminuer le tabagisme, entre autres.

Ce projet de loi comporte de nombreuses facettes bien précises, mais il sera suivi d’un règlement et de programmes qui viseront notamment à protéger les enfants et les jeunes.

Je pense qu’il est assez difficile de dire pour l’instant à quel point nous en ferons un suivi serré, nous évaluerons l’effet de ces interventions et elles pourront aider le gouvernement à respecter ses obligations en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies, de concert avec tous les organismes fédéraux et les organisations de la société civile concernées.

Le sénateur Oh : Je remercie nos témoins. Nous avons entendu un monsieur, Len Saunders, qui a affirmé devant le comité de la sécurité nationale et de la défense que si un Canadien admet à la frontière avoir déjà consommé de la marijuana, il peut être immédiatement interdit à vie d’entrée aux États-Unis. Il voit personnellement un ou deux cas du genre chaque semaine.

Dans quelle mesure avez-vous évalué la chose? Savez-vous combien de Canadiens sont au courant de cela?

Mme Lutfallah : Quand le cannabis sera légalisé au Canada, sa consommation demeurera évidemment une infraction fédérale aux États-Unis. À l’heure actuelle, les États-Unis ont le pouvoir de déclarer une personne inadmissible pour cause de consommation de cannabis ou en raison d’autres crimes commis relativement au cannabis.

En définitive, nous en avons discuté avec nos homologues de la Customs and Border Protection, et ils nous ont indiqué ne pas avoir l’intention de changer leur approche à la frontière.

Je veux dire que quand un Canadien se présente à la frontière et qu’il demande à entrer aux États-Unis, il ne s’agit actuellement pas d’une question que les agents américains doivent obligatoirement poser. D’après ce qu’on nous a dit, aux États-Unis, à divers niveaux hiérarchiques, cela ne changera pas. Cela dit, s’il y a des indicateurs dans le dossier de la personne ou dans son comportement lorsqu’elle se présente devant un agent de la CPB, elle peut faire l’objet d’un second examen.

Il pourrait alors y avoir des questions sur sa consommation de cannabis, entre autres, mais d’après l’information que nous avons jusqu’à maintenant, ces questions ne seraient posées qu’en présence d’indicateurs seulement, elles ne seraient pas obligatoirement posées en première ligne.

Le sénateur Oh : Nous savons tous que les agents d’immigration américains ne sont pas les personnes les plus amicales au monde.

Il y a 1,6 million, de personnes ou plus, qui traversent ces frontières chaque année. À ma connaissance, il y a déjà environ 6 000 personnes qui se font refuser l’entrée aux États-Unis chaque année, pour toutes sortes de raisons et pas nécessairement toujours pour des raisons liées à la marijuana.

Affaires mondiales et l’ASFC ne sont-ils toujours pas parvenus à une entente sur la marijuana?

Mme Lutfallah : Je m’excuse? Pourriez-vous répéter la dernière partie de la question?

Le sénateur Oh : L’ASFC n’a toujours pas réussi à parvenir à une entente avec les États-Unis. Vous avez mentionné, un peu plus tôt, qu’ils n’avaient pas l’intention de changer leurs façons de faire, n’est-ce pas?

Mme Lutfallah : Ils ne changeront pas leur approche à la frontière, non. Nous avons déjà eu de nombreuses conversations avec nos homologues des États-Unis, à de très hauts niveaux jusque sur le terrain, afin de bien comprendre l’effet de cette décision sur les Canadiens.

Concernant la possibilité que les Américains signent un accord avec nous, je pense que notre ministre a affirmé très clairement qu’il serait très peu probable que les États-Unis acceptent de signer un tel accord, parce qu’ils se trouveraient à limiter le pouvoir discrétionnaire des agents de première ligne, du côté américain comme du côté canadien. Les agents doivent pouvoir examiner tout indice ou indicateur possible pour déterminer si une personne représente une menace ou s’il s’agit d’un criminel qui cherche à entrer au pays. La même chose vaut pour les Américains.

Le sénateur Oh : Merci.

Mme Lutfallah : Au sujet des Canadiens déclarés inadmissibles aux États-Unis, je pense que l’an dernier, 400 000 Canadiens ont demandé à entrer aux États-Unis chaque jour et que moins de 0,06 p. 100 d’entre eux y ont été déclarés inadmissibles, pour toutes sortes de raisons. C’est donc un très faible taux d’inadmissibilité.

Le taux d’inadmissibilité des Américains dans notre pays est également très faible, en fait, et bon nombre de ceux qui sont refoulés à la frontière le sont pour conduite avec les facultés affaiblies. C’est la même chose des deux côtés de la frontière.

Le sénateur Oh : Avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Costen : De manière très générale, peut-être, j’ajouterais que quand on parle de changer le statut juridique du cannabis, quel que soit l’enjeu étudié, je trouve personnellement qu’il ne faut pas oublier que, malgré qu’il soit encore illicite aujourd’hui, il y a environ quatre ou cinq millions de Canadiens qui déclarent consommer du cannabis en ce moment. Le risque est donc tout à fait réel et possible, mais c’est déjà un risque présent aujourd’hui, comme ce sera un risque après la légalisation.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Merci de vos présentations. Ma première question s’adresse à M. Costen. S’agissant des entreprises, puisque la loi fera en sorte que le cannabis non médical ne pourra ni être importé ni être exporté, aucun enjeu aux frontières n’entraînera une situation différente de la situation actuelle.

M. Costen : C’est cela.

La sénatrice Saint-Germain : D’accord.

Ma deuxième question concerne cette fois les citoyens et s’adresse à Mme Lutfallah. Une fois que la loi sera sanctionnée et en vigueur, donc, une fois que le cannabis sera légalisé, l’autorité fédérale américaine aux frontières ne changera rien aux mesures de contrôle et de sécurité qui sont déjà en place. Le principe de la mesure de continuité s’appliquera et les contrôles existants demeureront selon les mêmes critères; est-ce bien cela? Aucune mesure de contrôle additionnel n’est prévue à cette étape-ci.

[Traduction]

Ma question ne vise qu’à m’assurer qu’une fois le projet de loi concernant le cannabis en vigueur à la frontière américaine, les autorités fédérales continueront d’exercer les mêmes contrôles selon les mêmes critères et les mêmes méthodes qu’en ce moment et que cela ne changera rien à la façon dont les agents américains exerceront un contrôle et une surveillance.

Mme Lutfallah : Puis-je vous demander une précision?

La sénatrice Saint-Germain : Oui.

Mme Lutfallah : Parlez-vous des agents américains ou des agents canadiens?

La sénatrice Saint-Germain : Je parle des agents américains qui accueillent les touristes et les gens d’affaires canadiens qui voyagent aux États-Unis.

Mme Lutfallah : Cela ne change rien à ma réponse. Nous avons eu de nombreuses discussions avec nos homologues. Une réunion de très haut niveau a eu lieu hier, à Washington, et leur position est inchangée.

La sénatrice Saint-Germain : Merci.

Le sénateur Tannas : Monsieur Costen, je voulais vous poser deux ou trois questions pour m’assurer d’avoir bien compris. Madame la présidente, veuillez m’excuser si la question a déjà été posée, mais j’aimerais parler de la délivrance de permis pour les producteurs.

A-t-on l’intention de permettre ou d’interdire aux entreprises appartenant à des étrangers ou aux entreprises sous contrôle étranger d’obtenir un permis? Cela figure-t-il parmi les critères de votre régime de délivrance de permis?

M. Costen : Je vous remercie de la question. Actuellement, la propriété étrangère est autorisée. Toutefois, l’entreprise doit avoir un siège social au Canada; avoir un lieu d’affaires fixe au Canada est l’une des conditions de la délivrance du permis. Donc, à titre d’exemple, si une entreprise est basée au Canada, mais que sa société mère est aux États-Unis, ce serait autorisé.

Le sénateur Tannas : Très bien; il n’y a donc aucune ambiguïté. Vous avez aussi mentionné que votre objectif est de veiller à ce que le crime organisé ne puisse s’infiltrer dans la production légitime. À l’avenir, les sociétés cotées en bourse détiendront un fort pourcentage de la capacité de production. Nous avons appris dans les médias que des sociétés établies dans des paradis fiscaux et des endroits où l’anonymat est garanti détiennent déjà d’importantes parts dans ces sociétés ouvertes.

Comment parviendrez-vous à gérer tout cela? Avez-vous une stratégie? Il me semble que ce serait difficilement applicable si une société entièrement sous contrôle étranger, disons de Colombie, décidait d’acheter l’une de nos entreprises productrices.

M. Costen : Je vous remercie encore une fois de la question. Dans mon exposé, j’ai parlé de l’expérience plutôt pertinente que nous avons acquise à cet égard ces dernières années. Permettez-moi de présenter quelques observations sur la nature des contrôles actuels et leur pertinence à l’avenir, selon nous, pour atténuer certaines des préoccupations que vous avez soulevées.

On entend toutes sortes de commentaires sur les dispositions de notre cadre réglementaire actuel. On a tendance à les aborder de façon isolée; je vais toutefois tenter de les présenter de façon intégrée, comme un système, parce qu’elles sont complémentaires.

La première est liée au personnel. Qui dirige les activités au Canada? Vous savez peut-être que la réglementation actuelle et notre vision — notre proposition sur le fonctionnement de la nouvelle réglementation — visent à déterminer qui, au sein d’une entreprise, exerce un réel contrôle sur les activités. On parle d’une part du contrôle physique comme la manutention du produit et la responsabilité du transport du cannabis ou, d’autre part, d’une influence importante sur les activités de l’entreprise, venant par exemple du conseil d’administration.

Il est impossible d’obtenir un permis de Santé Canada sans avoir d’abord fait l’objet d’une vérification très rigoureuse. Je vais résumer, puisque nous avons peu de temps. La vérification ne se limite pas à la vérification des antécédents criminels. Habituellement, cela prend plusieurs mois, voire un an. Divers organismes de sécurité y participent, tant au Canada qu’à l’étranger, pour faire un pont avec votre exemple de la Colombie, de façon à avoir une vue globale sur la situation de la personne et sur ses relations.

L’aspect des relations est essentiel, car selon la réglementation et les critères d’autorisation, la question n’est pas tant de savoir si une personne quelconque a des antécédents judiciaires ou des caractéristiques qui posent problème; c’est assez facile à déterminer. On s’attarde davantage aux milieux dans lesquels la personne a vécu et travaillé. Quelles sont ses relations?

Donc, le processus de vérification vise réellement à comprendre les réseaux dans lesquels les gens évoluent et à déterminer si ces réseaux représentent une menace pour l’intégrité du système. Lorsque nous déterminons que cette personne ne représente pas une menace, l’autorisation de sécurité peut être accordée.

Il y a donc une multitude d’enjeux liés aux gens, mais en même temps, divers règlements portent sur la sécurité des lieux, c’est-à-dire sur les mesures de protection de l’entreprise dans la collectivité: clôtures, caméras vidéo, environnements sécurisés, et cetera.

La dernière dimension qui pourrait aider à répondre à la question sur la façon dont nous assurerons un contrôle adéquat des activités au Canada est la reddition de comptes. Les entreprises réglementées sont tenues de nous fournir des informations très détaillées sur leurs activités, leur production, l’inventaire, les quantités vendues et les quantités détruites, de façon à ce que nous puissions faire un suivi au gramme près. Nos préoccupations sont le détournement de produits vers le marché illicite ou encore l’écoulement de marchandises produites illégalement dans le nouveau marché.

Je dirais pour terminer, étant donné que cela se rapporte directement à votre question sur les paradis fiscaux, que la capacité de forcer la divulgation d’informations financières est une mesure qui fait défaut et que nous aimerions avoir à l’avenir, ce qui nous permettrait non seulement d’examiner tout ce que je viens de décrire...

Le sénateur Tannas : Exactement. Suivre la trace de l’argent.

M. Costen : ... mais aussi de faire un suivi des activités financières, dans le but de cerner et de signaler tout problème potentiel qui pourrait nécessiter notre intervention, en tant qu’organisme de réglementation, ou celle des organismes d’application de la loi.

La réponse est un peu longue, mais la question est très importante.

Le sénateur Massicotte : Sur ce sujet précis, je souscris à tous vos propos, mais les criminels sont extrêmement bien organisés. J’ai à l’esprit quelque chose qui m’a été dit par un officier supérieur de la GRC il y a 10 ans: certaines sociétés canadiennes très bien connues étaient essentiellement financées par le crime organisé, et elles ont fait du blanchiment d’argent. Elles ont maintenant bonne réputation, mais ce n’est pas le cas de la dernière génération.

Disons que vous demandez au sénateur Tannas de représenter cette entreprise. Il pourrait être grassement payé. Vous constaterez qu’il vient à se reprocher, mais il pourrait être associé au crime organisé, à l’insu de tous.

Je suis conscient de toutes les vérifications que vous faites, mais il y a des exemples probants qui démontrent la ruse dont font preuve les acteurs du crime organisé. Ils ont beaucoup d’argent et recrutent les meilleurs. Ma préoccupation, c’est qu’ils parviennent à contourner vos contrôles.

M. Costen : Je ne veux certainement pas sembler naïf. Je suis conscient que certains chercheront toujours à contourner les règles, et j’en prends acte.

Toutefois, en ce qui concerne le point que vous soulevez au sujet des relations, je dirais, pour que ce soit clair, que le processus de vérification tient justement compte de l’existence de cette façon de faire, du fait qu’on fait appel à des gens irréprochables pour représenter l’entreprise, mais avec la possibilité de leur imposer toutes sortes de conditions et de les manipuler de façon insidieuse. Nous revenons en arrière sur des décennies pour comprendre les relations d’affaires, les liens familiaux et pour établir de nombreuses correspondances pour savoir si... Je pourrais vous donner plus tard des exemples des liens que nous avons pu déceler grâce à ce processus de vérification rigoureux.

Il faut du temps et la participation de beaucoup d’organismes distincts, mais ce que nous cherchons à faire est directement lié à l’enjeu que vous avez soulevé, soit la nécessité de prendre conscience des nombreuses possibilités de recours à des façades. Nous essayons d’aller le plus loin possible.

Le sénateur Massicotte : Bonne chance. Je dois admettre que je ne suis pas totalement convaincu.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie de partager vos commentaires, vos réflexions et votre expérience. Ma première question est liée à celle qui a été posée par la sénatrice Cordy concernant les Canadiens qui se rendent dans des États américains où le cannabis est légal. J’aimerais examiner cela dans l’autre sens. Quelle sera l’incidence, à la frontière canadienne, de la légalisation et de la décriminalisation pour les habitants de l’Alaska et de l’État de Washington qui viendront au Canada?

Mme Lutfallah : Par rapport à quoi?

La sénatrice Bovey : Je parle d’Américains provenant d’États où le cannabis est légal qui apporteraient du cannabis au Canada, après la légalisation.

Mme Lutfallah : Là où il est légal?

La sénatrice Bovey : Oui; par exemple, des gens de l’État de Washington et de l’Alaska qui iraient en Colombie-Britannique. Gardons le même exemple.

Mme Lutfallah : Essentiellement, l’importation et l’exportation de cannabis demeurent illégales.

La sénatrice Bovey : Dans tous les cas?

Mme Lutfallah : Oui.

M. Costen : Cela fait partie intégrante de leurs campagnes de sensibilisation du public. L’Alaska a d’excellentes publicités. L’un des messages clés est que le produit ne peut être transporté à l’extérieur de l’État.

La sénatrice Bovey : Dans un autre ordre d’idées, en quelque sorte, nous avons appris la semaine dernière que le sénateur américain Schumer veut présenter un projet de loi visant à légaliser la marijuana au niveau fédéral aux États-Unis.

Certains spécialistes ont fait valoir que le retrait du cannabis de l’annexe et la réduction de l’ampleur du problème pourraient faciliter la lutte antidrogue. Je me demande si vous êtes d’accord avec cette affirmation. Si la substance était retirée de l’annexe, croyez-vous que la lutte contre le trafic de stupéfiants pourrait être plus facile à gérer?

M. Costen : Il m’est difficile, en tant que fonctionnaire, de répondre à la question. Vous avez certainement entendu les ministres et le gouvernement indiquer que c’est l’un des objectifs. Cela figure dans le sommaire du projet de loi. On considère que la mesure constituera un cadre plus efficace pour atténuer les risques sanitaires et sociaux associés à la consommation de cannabis. Je vais m’en tenir à cette réponse.

La sénatrice Bovey : Permettez-moi d’aller un peu plus loin. Croyez-vous que le Canada a l’occasion d’être un chef de file international de la réforme des politiques en matière de drogues?

M. Costen : Je pense que le Canada fait preuve de leadership en ce qui concerne le cannabis à des fins médicales. C’est un excellent exemple de son rôle de précurseur, que ce soit sur les plans de la recherche scientifique nécessaire, du développement de la recherche et des industries émergentes. De nombreux pays s’inspirent du Canada pour l’élaboration de leur réglementation relative au cannabis à des fins médicales. On discute actuellement des façons d’y arriver avec l’organisme de réglementation. Il y a toutefois un grand intérêt pour la tenue de rencontres avec les entrepreneurs canadiens pour discuter de leurs activités. On observe une grande effervescence dans l’industrie du cannabis à des fins médicales d’autres pays, comme l’Allemagne, l’Australie et beaucoup d’autres.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de vos exposés.

Madame Lutfallah, le ministre Goodale a indiqué que cela n’aura aucune incidence sur les temps d’attente à la frontière tant que les Américains n’auront pas modifié leurs procédures relatives à la consommation de cannabis. La modification des procédures et l’augmentation du nombre de Canadiens faisant l’objet d’un contrôle secondaire auraient toutefois des répercussions sur les temps d’attente à la frontière.

Avez-vous abordé cet aspect dans les discussions que vous avez eues avec les Américains concernant leurs procédures de contrôle primaire et secondaire et les questions liées à la marijuana? Si oui, quelle a été leur réponse?

Mme Lutfallah : Nous avons eu de nombreuses discussions avec nos homologues sur l’incidence de la légalisation et, en particulier, sur les temps d’attente à la frontière. Je peux vous dire que les temps d’attente demeurent au centre de leurs préoccupations et qu’ils aimeraient qu’ils demeurent les plus courts possible. Cela dit, les temps d’attente devraient rester sensiblement les mêmes, puisque les procédures à la frontière américaine demeureront inchangées.

Au Canada, comme je l’ai indiqué dans mon exposé, nous augmenterons le nombre d’agents de première ligne de façon, espérons-le, à ne pas nuire au temps d’attente à la frontière. Nous aurons en première ligne un questionnaire obligatoire relatif au cannabis. Nous espérons que l’ajout de personnel permettra de minimiser les répercussions sur les temps d’attente à la frontière.

La sénatrice Ataullahjan : J’aimerais revenir aux questions soulevées par le sénateur Oh et la sénatrice Cordy, ainsi qu’aux données selon lesquelles 44 p. 100 des Canadiens qui se sont rendus aux États-Unis ont avoué avoir déjà fumé un joint. Récemment, sur les médias sociaux, j’ai lu un article du Maclean’s. Je suis certaine que vous êtes au courant. On parle d’un Allemand marié à une Canadienne qui a traversé la frontière, puis acheté un joint en toute légalité. On appelle cela le « tour du poteau ». Je vais lire un extrait.

« [Il] venait de déménager à Vancouver avec sa femme, une Canadienne. [Il] est allé aux États-Unis pour activer son visa vacances-travail, ce qui signifie qu’il devait sortir du Canada et y revenir avec la documentation requise, une pratique couramment appelée « tour du poteau ». Le couple a décidé de faire un séjour d’une journée...

Quelques minutes après avoir traversé la frontière américaine, « il y avait, le long de l’autoroute, un énorme panneau publicitaire pour des joints... Nous nous sommes rendus là et avons acheté du pot. »

Le couple a poursuivi sa route vers Seattle, où il a consommé un peu et visité la ville...

… puis ils sont revenus.

Lorsqu’ils sont revenus au Canada:

« L’agent m’a demandé si j’avais fumé du cannabis, et j’ai dit oui [...] Il m’a ensuite demandé si j’en avais sur moi, et j’ai dit oui. »

Les autorités canadiennes ne lui ont donné aucune raison de s’inquiéter. Ils ont confisqué la drogue et lui ont demandé de revenir 24 heures plus tard, lorsque l’effet de la marijuana se serait dissipé. »

À son retour à la frontière américaine, on lui a demandé pourquoi il revenait si rapidement. En fin de compte, il a été menotté et amené à un centre de détention. Puisqu’il n’avait aucun statut légal au Canada, il a été renvoyé en Allemagne. Ce fut le début d’une mésaventure qui dura quatre semaines. Donc, bien qu’on nous dise que cela ne posera pas problème, les témoignages qu’on entend laissent plutôt croire que ce sera un problème important.

Mme Lutfallah : C’est malheureux, évidemment, mais je pense que c’est une situation plutôt singulière. À mon avis, ce n’est pas représentatif de la situation qui prévaudra généralement à la frontière.

Comme je l’ai indiqué dans mon exposé, cela demeurera illégal à la frontière en vertu de la législation fédérale américaine. Dans l’exemple que vous avez donné, cette personne a été renvoyée aux États-Unis, et c’est manifestement ce qui a éveillé des soupçons et incité les autorités à poser toutes sortes de questions sur les raisons de son renvoi vers les États-Unis.

Dans ma première réponse, si vous vous souvenez bien, j’ai parlé des indicateurs. Dans ce cas-là, l’agent avait de bons motifs de poser des questions et d’essayer de comprendre ce qui s’était produit. Toutefois, je ne pense pas que ce soit un cas représentatif.

La sénatrice Ataullahjan : Et pourtant, il dit qu’il a essentiellement admis avoir fumé un joint. Il a dit la vérité. Le cas est identique à celui de l’étudiant aux États-Unis qui a dit la vérité en avouant qu’il avait fumé de la marijuana. Ce cas est célèbre; nous le connaissons tous. Un an plus tard, lorsqu’il a demandé à un avocat de présenter une demande en son nom afin qu’il puisse retourner là-bas, sa demande a été rejetée. Et, comble de l’ironie, cela est survenu le 20 avril, la Journée internationale du cannabis. Il a le sentiment qu’il ne sera plus jamais autorisé à retourner aux États-Unis.

Nous pourrions dire qu’il s’agit là d’un cas isolé, mais il y a de nombreux cas isolés, et nous en entendons parler. Il y a un grand nombre de Canadiens qui avouent fumer de la marijuana, alors je pense qu’ils ont raison de s’inquiéter.

Le sénateur Dawson : Sénatrice Ataullahjan, je sais que nous tombons habituellement d’accord sur presque tout mais, comme vous en êtes parfaitement consciente, c’est dans le contexte de la loi actuelle, dans un monde où nous faisons l’autruche en prétendant que personne ne consomme de cannabis, que nous ne disposons d’aucun programme de sensibilisation et que nous n’offrons aucune éducation pour empêcher les gens de faire des choses que l’on pourrait facilement qualifier de bêtises. Aucune disposition du projet de loi n’empêche les gens de faire des bêtises, qu’il s’agisse de la nouvelle mesure législative ou de l’ancienne.

N’est-il pas vrai que le problème n’est pas lié à la nouvelle mesure législative, mais plutôt à un manque de sensibilisation? Un programme de sensibilisation sera mis en place, et il aidera les gens à mieux comprendre ce qu’ils sont autorisés ou non à faire ou à dire.

M. Costen : Je peux vous fournir une réponse générale en m’appuyant sur ce que mon collègue a déclaré.

Le fait est qu’il y a de nombreux malentendus et de nombreux mythes à propos du cannabis et des règles qui le régissent. Dans tous les ordres de gouvernement, non seulement à l’échelle fédérale, mais aussi à l’échelle provinciale et territoriale, en passant par toutes les villes et les municipalités, il y a, à mon avis, un désir très clair d’établir des priorités et de s’assurer que les citoyens du Canada comprennent les règles et la façon de les respecter. Les paliers de gouvernement essaient d’uniformiser les règles du jeu dans l’ensemble du pays en veillant à ce que la compréhension relative au cannabis, à sa consommation et à ses dangers soit fondée sur des données probantes.

Mais les gens doivent également connaître les règles du jeu : où suis-je autorisé à consommer du cannabis? Quelle quantité suis-je autorisé à consommer? Quel effet le cannabis aurait-il sur moi? Où puis-je l’apporter? Puis-je en donner à quelqu’un?

Je pense que ces questions et bon nombre d’autres sont celles auxquelles plusieurs gouvernements cherchent à répondre en investissant beaucoup d’argent, de temps et d’efforts, et ce, afin de s’assurer que les Canadiens disposent de tous les renseignements nécessaires pour pouvoir respecter les règles, lorsqu’elles changeront, le cas échéant.

La sénatrice Ataullahjan : Vous dites que les Canadiens ont besoin d’être éduqués et d’apprendre en quoi consistent les règles. Vous attendez-vous à ce que les fumeurs de pot et les consommateurs de cannabis ordinaires prennent le temps de prendre connaissance des règles? Pensez-vous qu’ils le feront? Les règles sont-elles facilement accessibles?

M. Costen : C’est une question intéressante. Il y a des millions de consommateurs de nos jours, dont certains achètent du cannabis auprès d’un ami ou dans la rue, et d’autres qui en achètent dans des magasins qui ont l’air tout à fait légaux aux yeux des gens mal informés.

Je peux parler d’un point de vue personnel et professionnel. Il y a littéralement des centaines, voire des milliers, de personnes qui se préparent en ce moment à mettre en œuvre le nouveau système à l’échelle provinciale, fédérale et locale, et tous ces efforts sous toutes leurs formes visent à faire en sorte que, lorsque la mise en œuvre surviendra, le cas échéant, elle se déroulera sans heurt et les gens comprendront ce qu’ils sont légalement autorisés à faire et les conséquences auxquelles ils feront face s’ils font des choses illégales.

Ce processus n’est pas nécessairement simple. Il nécessitera du temps et des efforts. Est-ce que j’estime que les gens ont conscience du caractère fondamental de l’argument que vous venez de faire valoir? Absolument.

La présidente : Avant que nous passions à la deuxième série de questions, j’ai quelques éclaircissements à vous demander à propos de l’élaboration.

Monsieur Costen, vous affirmez maintenant que lorsque le projet de loi C-45 entrera en vigueur, rien ne changera dans la façon dont vous traitez les exportations et les importations de marijuana et de cannabis, n’est-ce pas?

M. Costen : Oui.

La présidente : Le même système existe-t-il pour toutes les autres drogues qui sont des stupéfiants interdits, ou y a-t-il des variations dans les annexes?

M. Costen : Je précise encore une fois que je ne tiens pas à simplifier exagérément ma réponse mais, en bref, la réponse est oui. Les conventions qui définissent actuellement les obligations que les pays signataires doivent honorer ne visent pas expressément le cannabis. Elles concernent toutes les substances désignées, dont le cannabis fait présentement partie.

Par exemple, si une organisation souhaite participer à un essai clinique d’un type ou d’un autre et qu’elle désire transférer une substance désignée d’un pays à un autre, le système, que j’ai décrit au cours de mon exposé et qui comprend une série assez détaillée de demandes de permission que le pays importateur et le pays exportateur doivent approuver tous les deux, entre en jeu. Il s’agit là d’une transaction unique qui est surveillée très étroitement.

Les mêmes dispositions s’appliquent, que nous parlions du cannabis ou du précurseur d’une drogue, par exemple, qui serait une substance désignée. Il y a littéralement des centaines de substances désignées.

La présidente : Si le projet de loi C-45 est adopté, ferez-vous quoi que ce soit pour informer les gouvernements étrangers que rien ne changera en ce qui concerne l’utilisation, l’exportation et l’importation de marijuana? Lorsque nous parlons d’éducation, nous devons songer que des gens qui vivent dans d’autres pays liront des articles à propos des mesures prises par le Canada et qu’ils présumeront qu’ils peuvent apporter du cannabis au Canada puisqu’il est maintenant légal.

Je crains que, si nous les repérons à la frontière, ils se défendent en disant: « Je croyais que c’était légal maintenant ». Et, il s’agit d’une situation tellement inhabituelle qu’une personne ordinaire ne pense pas vraiment aux questions d’importation et d’exportation.

Renseignerons-nous les gens à l’extérieur du Canada de façon à ne pas les induire en erreur en leur laissant croire que c’est acceptable? Voilà une partie de mes préoccupations.

L’autre partie est la suivante : avons-nous l’assurance que les entreprises qui existent en ce moment dans d’autres pays seront les mêmes qu’auparavant, ou, pour abonder dans le sens des propos du sénateur Tannas, vont-elles changer leurs caractéristiques pour venir au Canada?

M. Costen : Je vais faire de mon mieux pour répondre à toutes ces questions.

En ce qui concerne votre première série de questions à propos de la sensibilisation mondiale générale, il y a quelques aspects qu’il est probablement pertinent de mentionner pour répondre à ces questions.

Je vais commencer par les aspects très généraux, puis je passerai aux aspects plus précis. Nous ne conservons pas les choses de ce genre. Je conviens avec vous que les règles qui ont été établies sont plutôt ésotériques mais, croyez-moi, si vous songez à exercer des activités de ce genre, nous ne cachons pas ce que je vous ai décrit en ce qui concerne la façon d’obtenir un permis, les exigences et ce qu’on attend de vous si vous obtenez un permis. Tout est exposé en détail sur nos sites web et, jusqu’à maintenant, il s’agit encore d’une industrie réglementée et relativement circonscrite. Cela fait donc partie de nos communications régulières. En tant qu’organisme de réglementation, nous voulons nous assurer que l’industrie respecte nos règles. L’une de nos stratégies consiste à diffuser l’information, à nous assurer que les membres de l’industrie comprennent la nature de nos règles.

En ce qui concerne le reste du monde, il y a quelques dimensions à mentionner. Pour parler encore une fois des aspects généraux avant de passer aux aspects particuliers, grâce à Affaires mondiales Canada, nous avons accès à des réseaux qui nous aident à transmettre des renseignements pertinents aux gouvernements étrangers. Dans le cas présent en particulier, nous avons, avec le temps, publié des bulletins à l’intention des délégués commerciaux canadiens qui travaillent dans des bureaux partout dans le monde, parce que nous comprenons que ces questions suscitent suffisamment de curiosité ou d’intérêt véritable pour que nous nous assurions que nos fonctionnaires canadiens, en tant que représentants du Canada dans d’autres pays, disposent, je le répète, de la plupart des renseignements que je vous ai communiqués. Cela fait partie de notre stratégie de communication.

L’autre pièce du puzzle — à laquelle j’ai encore une fois fait allusion en donnant une réponse plus tôt —, c’est qu’il ne s’agit pas d’une transaction effectuée de façon isolée. Souvent, un autre pays fait activement la promotion du développement, disons, d’une enquête scientifique sur le cannabis ou il s’apprête à créer un système de réglementation pour le cannabis à des fins médicales. Habituellement, ils ouvrent les voies de communication avec nous longtemps avant l’ouverture de leurs marchés. Que ces conversations soient avec l’Australie, la République tchèque ou l’Allemagne, la capacité d’échanger des deux gouvernements et de s’assurer que, premièrement, chaque gouvernement interprète les termes « médical » et « scientifique » de la même façon, et que la transaction respecte les diverses lois qui s’appliquent dans chaque pays est établie longtemps avant qu’une permission soit sollicitée ou qu’une demande de permission soit même présentée à l’un ou l’autre des gouvernements.

Il y a des mesures que nous prenons pour favoriser une sensibilisation générale, puis il y a des mesures propres à chaque transaction que nous prenons pour nous assurer que chaque pays concerné par la transaction est totalement informé des règles de l’autre pays. Nous sommes très prudents à propos de ces aspects.

La présidente : Pour donner suite à vos propos, la définition des termes « médical » et « scientifique » peut fluctuer en fonction du pays où vous vous trouvez. Vous semblez dire que la confiance règne entre les partenaires avec lesquels vous faites affaire. C’est un peu comme les lois fiscales lorsque nous avons commencé à négocier des conventions fiscales. Nous avons vu les avantages que ces conventions présentaient, mais nous avons découvert que la façon dont les renseignements étaient utilisés dans ces pays et ce qui se produisait là-bas ne respectaient pas vraiment nos normes.

Certes, dans le passé, certains parlementaires et même certains de nos gouvernements, je crois, se sont demandé si, premièrement, il s’agissait de pays avec lesquels nous souhaitions traiter.

Y a-t-il quelque chose d’intégré dans votre Règlement qui permet ce même genre de remise en question? Si quelqu’un dit, « Nous ne faisons cela qu’à des fins scientifiques, et nous voulons mener telle et telle expérience », portons-nous des jugements sur la question de savoir s’il s’agit d’un pays avec lequel nous voulons faire affaire et dont nous pouvons accepter les définitions?

M. Costen : Vous avez absolument raison. À ma connaissance, aucune définition ne figure dans aucune des trois conventions, et c’est intentionnel. Je crois comprendre que c’est un choix délibéré qui a été fait dans les années 1960, lors de la rédaction de ces conventions. Cette décision est fondée en partie sur le fait qu’on admet que certaines différences culturelles existent dans l’interprétation de ce qu’on entend par « médecine » et par « recherche scientifique », et sur le fait que les deux nations qui participent à la transaction jouissent d’une certaine marge de jeu pour faire reposer leur interprétation d’une pratique médicale ou d’une pratique scientifique sur leurs normes culturelles et les points de vue dominants.

Je pense qu’on permet intentionnellement à chaque nation de faire reposer ces concepts sur ses réalités particulières. Voilà donc le contexte.

Nous souhaitons absolument comprendre la nature précise des buts de l’importation et de l’exportation. En fait, cette information est essentielle pour procéder à notre évaluation et pour déterminer si nous accorderons le permis.

Si certains aspects nous donnent des raisons d’être inquiets, nous pouvons prendre la décision de ne pas leur accorder la permission en fonction de cela, et la transaction ne sera simplement pas effectuée. Ou, pour être franc, cela peut nous pousser à demander d’autres renseignements ou à exiger certaines garanties. Toutefois, cet examen s’articule autour de notre compréhension de la raison d’être de cette transaction. Comment se déroulera-t-elle? Qui joue un rôle dans cette transaction? Quelles mesures de protection sont mises en place? Nous n’accorderons la permission que lorsque nous aurons reçu des réponses entièrement satisfaisantes à toutes ces questions.

La présidente : J’ai quelques questions supplémentaires à vous poser. Mais j’ai une deuxième série de questions à amorcer, et nous arrivons à la fin de la séance.

Le sénateur Massicotte : Je suis un peu curieux; j’ai une question stupide à vous poser. Le conseil le plus important que vous pouvez donner à quiconque se rend aux États-Unis, c’est de ne jamais dire que vous avez fumé de la marijuana, quelle que soit la réalité. Voilà ce que les gens doivent dire, car la loi américaine est telle que, si vous l’avez fait il y a 10 ans… Comment pouvez-vous communiquer cela?

Mme Lutfallah : Vous ne le faites pas. Je comprends où vous voulez en venir mais, au bout du compte, tout Canadien qui cherche à entrer aux États-Unis devrait répondre honnêtement aux questions, parce que les mensonges peuvent avoir des conséquences très néfastes d’une portée considérable. Manifestement, ce n’est pas le genre de conseils que, selon moi, quelqu’un devrait donner à un Canadien qui approche de la frontière américaine.

Le sénateur Massicotte : Je suis d’accord, mais c’est un dilemme. Merci.

La présidente : Étant donné que nous nous sommes permis de formuler quelques commentaires, je vais en formuler un moi aussi.

Au fil des ans, Affaires étrangères Canada a toujours eu du mal à fournir des renseignements aux citoyens canadiens afin de leur conseiller, évidemment, de dire la vérité, mais aussi de leur faire part des conséquences qui découlent de séjours dans d’autres pays, à savoir que le droit canadien ne s’applique pas. Donc, si vous vous rendez dans un autre pays, vous ne serez pas assujetti aux mêmes processus juridiques. Vous serez soumis à ceux du pays dans lequel vous entrez. C’est une leçon difficile à assimiler, en particulier pour les jeunes, et nous connaissons ceux qui se sont fait prendre dans certains pays et qui, dans certains cas, ont été forcés de payer le prix ultime.

Le problème, c’est que l’éducation exige beaucoup de temps, et cette situation sera nouvelle. Les choses ne se passeront pas à la frontière comme elles se passent en ce moment. Ce qui est préoccupant, c’est ce qui pourrait survenir en raison du comportement humain. J’ai entendu dire que vous y réfléchissiez, ce qui est bien, mais je crois que, compte tenu de ce changement, le cas échéant, nous ignorons ce qui se produira.

J’ose espérer que vous vous employez à combler cette lacune, mais vous continuerez de tâcher de saisir le fait que l’éducation exige beaucoup de temps et qu’elle doit être offerte sous de nombreuses formes, à l’intention de nombreux Canadiens de nombreuses régions différentes. J’estime donc que cette tâche sera monumentale. J’espère que les agents et les fonctionnaires seront formés suffisamment bien et recevront les ressources nécessaires pour élaborer une composante éducative phénoménale, c’est-à-dire un autre aspect sur lequel nous n’avons pas passé autant de temps que nous aurions aimé le faire, selon moi.

Je sais, monsieur Costen, que vous devez partir. Par conséquent, je tiens à remercier M. Costen.

Monsieur Pellmann, vous étiez là pour l’aider, je crois. Je suppose qu’il a répondu aux questions assez bien pour que vous n’ayez pas à intervenir.

Madame Lutfallah, je vous remercie de nous avoir consacré du temps et, encore une fois, d’être venue une deuxième fois pour accommoder notre emploi du temps.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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