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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 47 - Témoignages du 30 mai 2018


OTTAWA, le mercredi 30 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 19, pour étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs et sénatrices, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international a été autorisé par le Sénat à étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie ainsi que leur utilisation dans ces domaines et d’autres questions connexes.

Dans le cadre de ce mandat, le comité est heureux de poursuivre aujourd’hui son étude et d’entendre le professeur Nicholas Cull, de l’Annenberg School for Communication, de l’University of Southern California.

Soyez le bienvenu, monsieur Cull, à notre comité. Merci d’avoir fait le déplacement à Ottawa pour notre séance. Votre témoignage est important pour nous, et nous sommes très heureux de vous avoir avec nous.

Avant d’entendre votre témoignage, je vais demander aux membres du comité de se présenter.

La sénatrice Cools : Je m’appelle Anne Cools. Je suis une sénatrice de Toronto; je siège au Sénat depuis 35 ans et je suis vice-présidente du comité.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, sénatrice du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

La présidente : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan et présidente du comité.

Bienvenue au comité, monsieur Cull. Habituellement, l’invité prononce une déclaration préliminaire et les sénateurs posent ensuite leurs questions.

La parole est à vous.

Nicholas Cull, professeur, Annenberg School for Communication, University of Southern California, à titre personnel : Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs et les sénatrices, c’est un honneur pour moi d’être invité à prendre la parole sur la place de la culture dans la politique étrangère, une question que j’étudie depuis quelques années.

Je parle de diplomatie culturelle pour conceptualiser le travail. La diplomatie culturelle est la mise à profit d’un secteur culturel dans la politique étrangère d’un pays. Cela comprend les beaux-arts, la grande culture, l’expérience particulière d’un pays, la culture de la langue populaire, la gastronomie, le sport et le divertissement populaire. De nombreux termes sont utilisés au niveau international pour parler de ce travail; chacun témoigne de l’état d’esprit du pays en cause et du cadre de travail privilégié.

Les États-Unis parlent de diplomatie culturelle, voulant ainsi faire ressortir l’utilité de l’activité pour l’État.

Le Royaume-Uni préfère parler de relations culturelles, qui sous-tendent un processus dynamique dans lequel le gouvernement joue un rôle de facilitateur.

Au Japon, on préfère parler d’échanges culturels; ce terme met en valeur l’idée d’apprentissage mutuel, dans le but peut-être de rassurer les interlocuteurs.

Quel que soit le nom qu’on lui donne, c’est un outil important pour mettre en place ce que Joseph Nye appelle le pouvoir de convaincre, un pouvoir découlant de l’admiration suscitée par les valeurs et la culture d’un pays.

Un psychologue social parlerait d’un effet de halo, un phénomène dans lequel, l’excellence perçue dans un domaine suscite, de prime abord, une réaction positive dans un autre domaine non relié au premier. C’est pourquoi un annonceur va utiliser les services d’une personne incroyablement attrayante pour endosser son produit dans un magazine.

Pour les spécialistes de la question, la culture fait partie de l’image de marque d’un pays, et la diplomatie culturelle constitue l’un des mécanismes à utiliser pour conférer du prestige à un pays au niveau international.

La diplomatie culturelle a une riche histoire. Nous en avons des exemples dans la Grèce et la Rome antiques, ainsi que dans les grands royaumes asiatiques d’Ashoka en Inde ou de l’empereur Tai-Song en Chine; mais c’est en France que ce type de diplomatie a vraiment connu son essor. C’est le cardinal Richelieu qui, le premier, a cherché à projeter une vision culturelle de la France à son propre peuple, à ses voisins et au monde. Avec le temps, d’autres pays ont réagi par des mesures semblables.

Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est l’importance que les organismes privés, non gouvernementaux et citoyens, comme l’Alliance française, prennent dans la diplomatie culturelle. On pourrait croire que l’intervention d’un État, qui en vient à exercer une sorte de monopole sur la diplomatie culturelle n’est rien d’autre qu’une anomalie du temps de la guerre froide et que ce n’est pas une bonne façon d’envisager l’avenir.

La valeur de la diplomatie culturelle peut se calculer de plusieurs façons, elle ne tient pas seulement au nombre de visiteurs à une activité culturelle ou à un pavillon d’une exposition. En 2012, le British Council a publié une étude intitulée Trust pays. Les auteurs du rapport ont constaté que l’exposition à la culture britannique avait accru la confiance des étrangers dans le Royaume-Uni dans une proportion moyenne de 16 p. 100. Dans certains pays, ce taux était encore plus élevé et pouvait atteindre parfois 25 p. 100. Cette confiance accrue s’est traduite par une augmentation des échanges commerciaux avec le Royaume-Uni.

En 2017, un professeur de l’Université d’Édimbourg appelé. J.P. Singh a dirigé une étude intitulée Soft Power Today: Measuring the Influences and Effects pour déterminer si une diplomatie culturelle dynamique, soit l’exercice d’un pouvoir de convaincre, est liée à des succès tangibles en politique étrangère, comme la capacité de gagner des votes à l’Assemblée générale des Nations Unies. Il a constaté un lien très fort à ce sujet et conclu ce qui suit :

La véritable influence à gagner en diplomatie internationale repose moins sur le pouvoir de contraindre que sur le pouvoir de convaincre, et cela comprend le rang occupé dans le monde de la culture et l’absence de restrictions politiques.

Le Canada a une très bonne image à l’ONU et il se classe parmi les pays capables d’attirer des investissements directs de pays étrangers, mais, lors de l’étude de M. Singh, il glissait en deçà du niveau normalement attendu dans d’autres domaines, comme le tourisme et le recrutement d’étudiants universitaires étrangers, ce qui donne à penser qu’il reste du travail à faire dans ces secteurs.

Je considère que la diplomatie culturelle se compose de quatre grandes approches, dont chacune occupe une place particulière. La première, la plus évidente, est ce que j’appelle le cadeau culturel. Dans cette approche, un pays choisit un élément de sa culture, qu’il privilégie, pour le présenter à un public étranger dans l’espoir de susciter de l’admiration. L’exemple classique serait la tournée de Glenn Gould en Union soviétique à la fin des années 1950.

L’information culturelle vien en second lieu. Il s’agit de faire mieux connaître une dimension méconnue de sa culture à l’étranger pour corriger une fausse perception ou diffuser une nouvelle information. Tel a été le cas notamment dans les années 1980, lorsque l’ONF a distribué des films sur la culture des Premières Nations à une audience internationale.

Il y a en troisième lieu le renforcement des capacités. Un joueur international cible un besoin d’un public étranger et y répond au moyen d’un programme de renforcement des capacités, lequel peut favoriser la compréhension, permettre de nouer des liens et promouvoir l’éducation. Un bon exemple de cette forme de diplomatie serait les programmes d’études canadiennes mis en place il y a de nombreuses années pour subventionner les études en littérature et en histoire dans des universités de pays étrangers. Ils ont donné des résultats extraordinaires tout en coûtant étonnamment peu.

Enfin, la quatrième approche, et celle qui, selon moi, est la plus importante, mais qui est oubliée, est le dialogue culturel. C’est l’utilisation de la culture comme instrument de dialogue, comme les quatre conférences de dialogue culturel organisées par le Fonds canadien pour la compréhension internationale par la culture, ou Can4Culture, avec la Chine.

Un bon plan de diplomatie culturelle peut, en fait, permettre de marquer des points dans tous ces champs d’intervention.

Naturellement, il existe de multiples genres de diplomatie culturelle. Je sais que vous en discutez depuis des mois. La diplomatie par les arts fait appel à la musique, aux beaux-arts, au théâtre, à la danse et aux festivals. La diplomatie par le sport peut se pratiquer par des événements. La diplomatie par le patrimoine recourt à la culture matérielle ou même à des pratiques culturelles comme la danse ou l’artisanat. Enfin, la diplomatie par la gastronomie porte sur la culture culinaire d’un pays.

L’avènement des médias numériques et sociaux a changé la donne en diplomatie culturelle. Il a ouvert la voie à de nouveaux modes de collaboration, à de nouvelles plateformes de participation et peut-être, plus sérieusement, à de nouveaux défis et à de nouvelles obligations pour aider d’autres pays dans le monde à s’adapter à notre ère numérique.

Cette nouvelle réalité donne peut-être au Canada accès à de nouvelles ressources insoupçonnées pour exercer un pouvoir de convaincre. Je me demande si votre comité connaît Lilly Singh. Elle est une des personnes les plus célèbres chez les adolescents partout dans le monde. Elle est une vedette sur YouTube et sert déjà d’atout de diplomatie culturelle pour l’UNICEF.

Le Canada compte d’autres cybervidéastes, comme Gigi Gorgeous et la famille Eh Bee. Je pense que l’ancien jeu voulant que « personne ne sache qu’ils soient réellement des Canadiens » connaît une nouvelle vie.

Malgré les bons résultats qu’elle a donnés, la diplomatie culturelle connaît régulièrement un certain nombre de problèmes. La culture sera toujours complexe et contradictoire, comme le sont les humains qui la créent.

Dans l’Ouest, au moins, il y aura toujours quelqu’un qui s’opposera à l’idée de dépenser des fonds publics pour quelque chose d’aussi frivole ou associé à tel ou tel élément ou événement indésirable.

La diplomatie culturelle n’est pas à éviter pour autant, mais une entité qui participe à la diplomatie culturelle doit s’attendre à se faire critiquer et elle doit se construire un mur coupe-feu pour se protéger contre la presse à sensation qui risque de s’opposer à un tableau exposé à une biennale, à un film projeté à un festival international ou encore à un artiste rattaché à un projet financé par des fonds fédéraux.

La culture peut servir beaucoup plus qu’à des fins d’autopromotion; il ne faut surtout pas l’oublier. Nous savons tous que la meilleure façon d’apprendre et de nouer des relations est de participer à un projet commun. Les gens sont influencés par ceux qui leur ressemblent et qui partagent leurs préoccupations. Ainsi, des projets de collaboration bien choisis dans le domaine culturel peuvent jouer un rôle déterminant dans la création d’un climat de paix, et ce, même dans les situations les moins prometteuses.

Pensons notamment au West-Eastern Divan Orchestra, fondé par Daniel Barenboim et le regretté Edward Said, qui réunit des musiciens arabes et juifs. Les organismes culturels peuvent servir d’intermédiaires et permettre aux autres de se réaliser, de s’exprimer et de faire connaître non seulement l’attrait superficiel de leur culture, mais également leurs valeurs profondes.

Bon nombre de joueurs internationaux ont donc décidé de mettre l’accent sur des programmes culturels axés sur la collaboration, les échanges et l’éducation. On ne se contente plus de se réjouir de voir arriver le Cirque du Soleil chez soi, on cherche à amener les gens à créer ensemble un événement culturel.

Enfin, je veux prendre le temps qui reste pour vous parler des raisons pour lesquelles le Canada doit agir. Vous pourriez vous dire que le Canada jouit déjà d’une très bonne réputation et d’un très bon pouvoir de convaincre. Que pourrait bien lui apporter de s’engager sur le plan culturel? Vous pouvez vous poser la question, c’est vrai, mais des enquêtes faites auprès d’étrangers montrent que le Canada est mésestimé dans certains secteurs. Tel est le cas, je crois, dans le domaine patrimonial.

Il faut du temps pour acquérir une bonne réputation. La réputation actuelle du Canada est le fruit de décennies de programmes, en diplomatie culturelle notamment, et de travail, comme la participation à des expositions internationales ou la tenue de telles expositions. Toutefois, le Canada n’a pas encore confirmé sa participation à l’exposition de 2020, ce qui est, à mon avis, un sujet de préoccupation.

Le Canada a conservé la réputation d’être un bon pays et un pays dynamique malgré un certain laisser-aller, mais il y a des limites. Chaque génération doit faire sa part pour protéger une bonne réputation. Elle doit confirmer cette bonne réputation et s’en montrer à la hauteur au niveau international.

Votre comité a donc la possibilité de faire un travail très important pour l’avenir et de transmettre la réputation enviable dont jouit le Canada à la prochaine génération. Je vous remercie de m’avoir invité et de m’avoir aimablement écouté. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci pour votre exposé. Vous avez couvert beaucoup de terrain. Beaucoup d’entre nous désirent vous poser des questions.

La sénatrice Bovey : Merci, monsieur le professeur. Votre exposé a été très captivant, intéressant et éclairant.

J’ai deux questions pour vous, si je peux me permettre. Je veux revenir à Soft Power 30 et au rapport de Portland, auquel vous avez participé, dans lequel le Canada s’est classé au cinquième rang l’an dernier. Vous avez dit que nous perdons du terrain. Vous avez également dit que la réputation dont nous jouissons a été gagnée il y a un certain nombre d’années. Vous avez mentionné que le programme d’études canadiennes n’est plus financé.

Je me demande si tout cela est lié au rang que nous occupons et si vous pouvez nous dire pourquoi nous sommes cinquièmes.

M. Cull : Tout d’abord, n’accordez pas trop d’importance aux classements. Vous pouvez trouver différents classements, mais, en moyenne, le Canada se situe clairement dans les 10 premiers pays, probablement au milieu; c’est un pays bien vu des autres.

À l’heure actuelle, une certaine partie de l’intérêt suscité par le Canada est lié aux difficultés de voisinage, et le Canada, devons-nous dire, se compare tout particulièrement bien à un voisin. Tel est le cas, notamment, dans le recrutement d’étudiants. Les derniers chiffres montrent, je crois, que le Canada fait des progrès; il arrive à recruter plus d’étudiants étrangers que jamais.

Pour ce qui est du pouvoir de convaincre, ce qui est important pour moi, c’est qu’un pays soit intéressant, et le Canada fait des choses qui intéressent les autres. Toutefois, il peut très bien arriver que le Canada intervienne au niveau culturel et dise des choses qui n’intéressent pas du tout le monde. Vous devez être prudents et bien choisir les thèmes dont vous traitez et engager des dialogues qui sont pertinents pour le reste du monde.

Lorsque je parle de pertinence, je donne habituellement l’exemple des expositions de calligraphie très coûteuses que Taïwan avait organisées à l’étranger. C’est déjà difficile de trouver des Chinois qui comprennent la calligraphie; alors ce n’est pas quelque chose qu’un étranger est prêt à adopter facilement. Je ne suis pas certain de ce que serait le pendant de la calligraphie pour le Canada; j’imagine que ce serait relié au hockey. C’est important de faire attention aux sujets dont on parle; vous ne pouvez pas tenir pour acquis que tout investissement dans la diplomatie culturelle vous fera nécessairement avancer sur l’échelle du pouvoir de convaincre. En fait, ce qui est le plus important, c’est d’être un pays positif sur la scène internationale, de participer à des discussions positives et de réaliser des activités culturelles positives dans le monde.

La politique étrangère est centrée plus que jamais sur les gens. Le grand changement auquel la révolution de nos communications a donné lieu tient à ce qu’on ne peut plus laisser les gens en marge de la politique étrangère. Ils doivent en occuper le centre. La culture concerne directement les gens; alors, il faut les faire participer à la politique étrangère, non seulement sur le plan politique, mais également sur le plan culturel.

Ma réponse vous éclaire-t-elle, madame la sénatrice?

La sénatrice Bovey : Oui, et elle m’amène directement à ma deuxième question. Je vais citer un passage d’un article publié le 21 mai intitulé « Mr. Trump kills the canary: The danger of dehumanization. »

Une phrase à la fin de l’article a attiré mon attention :

Nous avons pour tâche de mettre nos citoyens en communication avec ceux des autres pays et, si cela est nécessaire, de réfuter l’image déshumanisante que nous avons et celle que nos interlocuteurs ont les uns des autres.

Pourriez-vous nous donner quelques précisions sur la façon dont la diplomatie culturelle pourrait aider à créer des liens entre citoyens de pays différents?

M. Cull : Pour ceux qui ne l’ont pas lu, je suis l’auteur de l’article cité par la sénatrice Bovey.

J’ai fait valoir dans cet article que beaucoup de problèmes dans le monde sont attribuables au fait que nous ne percevons pas les autres comme des êtres humains à part entière. Certains termes utilisés actuellement sur la scène internationale sont carrément déshumanisants. Certaines paroles proférées par le président des États-Unis à l’encontre de pays africains et de certains migrants hispaniques ne devraient pas, je crois, être entendues en public.

C’est important de fournir des mécanismes qui permettent aux gens de comprendre que nous ne les voyons pas simplement comme des humains, mais que nous sommes nous-mêmes des humains. Il est extrêmement important de nous montrer honnêtes concernant les problèmes auxquels nous avons dû faire face par le passé, des problèmes sociaux que nous avons eus et de l’art qui en est ressorti. Il est important non seulement de comprendre que nos interlocuteurs sont des humains, mais de nous montrer nous-mêmes comme des êtres humains, et la diplomatie culturelle est un mécanisme extraordinaire à cette fin.

Pensons, par exemple, à la contribution que le Canada a effectuée dans le domaine de la littérature des femmes grâce aux œuvres d’Alice Munro et de Margaret Atwood. Ces femmes ont permis aux autres femmes du monde de profiter non seulement de ce qui se fait au Canada, mais également de ce que font des femmes. C’est une partie du cadeau que le Canada fait au monde entier. C’est une chose importante à partager; une chose extrêmement pertinente, qui mérite d’être soulignée.

Le sénateur Oh : Nous entendons souvent parler de la mosaïque culturelle par opposition au creuset et des distinctions qui existent entre le Canada et les États-Unis. Au Canada, nous sommes partisans du multiculturalisme et de la diversité.

Croyez-vous que cette distinction influera sur l’approche canadienne en matière de diplomatie culturelle comparativement à l’approche américaine?

M. Cull : Tous les pays dans le monde font maintenant face au même problème qui se présente sous différents aspects. Les populations sont plus mobiles que jamais auparavant. Ainsi, la plupart des pays, certainement la plupart des pays développés, comptent de nombreux citoyens qui ne sont pas nés sur leur territoire, mais qui s’y taillent maintenant une place. Ce phénomène soulève des questions d’intégration et d’identité nationale.

Tous les pays se débattent pour trouver leur position dans cette nouvelle réalité, et nous pouvons apprendre les uns des autres. L’expérience canadienne, qui remonte à loin, a été de gérer la différence, étant donné la nature même du Canada. En effet, votre pays a dû gérer différentes diversités, qu’il s’agisse des francophones et des anglophones ou encore des Premières Nations et des Européens. Il a beaucoup d’expérience dans ce domaine. Il y a eu des problèmes, certes. L’expérience dont on a tiré des leçons a été éprouvante de plusieurs façons.

Il vaut la peine, je crois, de faire connaître l’expérience canadienne au monde entier; c’est un sujet de discussion important. Toutefois, il ne faut pas que le Canada estime que son expérience doit être l’unique voie que le monde entier devrait adopter.

La réponse, c’est le Canada. Maintenant, quelle est la question? Ce n’est pas de cette façon que le Canada a agi, mais ce serait utile de discuter des questions de diversité. Je crois que le Canada jouit d’une crédibilité dans ce domaine; c’est d’ailleurs l’un des domaines dans lequel il possède une crédibilité particulière.

Le sénateur Oh : Dans vos commentaires, vous avez parlé d’investissements, du fait que la diplomatie culturelle joue un rôle important dans l’économie et dans les investissements. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

M. Cull : C’est la constatation de mon collègue, J.P. Singh. Il a pu établir une corrélation entre ce qu’il appelle les pays très actifs sur le plan culturel et les pays qui peuvent attirer des investissements directs de l’étranger. Dans l’article que j’ai cité, il fait valoir que l’investissement dans la diplomatie culturelle n’est pas une activité isolée d’autres activités souhaitées d’un État. C’est plutôt un geste qu’on attend normalement d’un État pour se doter d’une image équilibrée dans le monde. Les États qui se classent aux cinq premiers rangs devraient avoir un programme de diplomatie culturelle qui se classe lui-même aux cinq premiers rangs. Ce serait une façon de produire toutes sortes d’avantages non seulement politiques, mais également financiers.

Je n’ai pas vu moi-même ces chiffres, ce sont les siens. Toutefois, c’est tout à fait logique, je crois, que les gens soient attirés par un pays qui accorde de l’importance à la culture et cet attrait se traduit par des investissements dans ce pays. Voilà le lien que je vois.

L’auteur a donné des chiffres très détaillés dans son rapport. Le Canada obtient de bons résultats pour ce qui est d’attirer des investissements directs de l’étranger, mais je soupçonne qu’il pourrait faire encore mieux. Il doit agir maintenant pour rester à ce niveau et conserver sa réputation dans l’avenir.

Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur Cull, de votre présence parmi nous. Votre exposé était très bon, au demeurant. Ce que vous dites est sûrement vrai, mais permettez-moi de me faire un peu l’avocat du diable, simplement pour nous assurer que nous avons tous les faits devant nous.

Selon vous, M. Singh a établi, avec preuves à l’appui, que si on acquiert une bonne réputation au moyen d’activités culturelles, on attire des investissements. Dans son étude, l’auteur affirme-t-il simplement qu’on obtient un certain rendement ou, de façon plus importante, laisse-t-il entendre que les avantages dépassent les investissements à effectuer pour se doter d’une telle réputation?

M. Cull : Oui, absolument. Nous parlons très clairement du fait que les avantages dépassent largement les investissements effectués. La même constatation a été tirée dans l’étude du British Council de 2012, Trust pays. Les auteurs ne pouvaient être plus explicites : ils ont parlé d’un investissement payant dans les deux sens du terme.

Le British Council ne tire que le tiers de son budget du gouvernement du Royaume-Uni. Les deux autres tiers proviennent des frais acquittés par des étrangers pour apprendre l’anglais et s’inscrire aux examens au Royaume-Uni. Les Britanniques peuvent tirer énormément d’argent des services payants. Un petit investissement rapporte donc gros. Telle est la situation.

Le sénateur Massicotte : Je proviens du monde des affaires et je peux vous dire que c’est le cas pour n’importe quelle organisation. Si vous pouvez vous construire une bonne réputation, inspirer confiance, comme c’est le cas pour le Royaume-Uni, naturellement les gens vous aimeront et vous feront confiance. Ils seront plus enclins à faire des affaires avec vous parce qu’un lien de confiance s’est établi.

C’est certainement positif. Toutefois, je dis toujours que, dans la réalité, même si on peut dépenser beaucoup d’argent pour créer une impression favorable — appelons cela des relations publiques ou autrement — au final, c’est le comportement qui compte. Le comportement est beaucoup plus important que l’argent qu’on dépense pour des activités culturelles. Si le comportement n’inspire pas confiance ou n’est pas conforme à des valeurs fortes, tout le reste est probablement une pure perte d’argent.

Pouvez-vous vous prononcer là-dessus?

M. Cull : Je suis parfaitement d’accord avec vous. J’ai l’impression que les autorités de certains pays avec lesquelles j’ai discuté voient la diplomatie publique ou la diplomatie culturelle comme une sorte de baguette magique. Peu importe les horreurs perpétrées par leur pays, ils croient redorer leur image partout dans le monde par un magnifique pavillon à une exposition internationale.

La valeur d’un pays dans le monde repose en grande partie sur ses agissements, que les gens apprennent à interpréter. Honnêtement, le Canada a fait des choses très impressionnantes par le passé, des choses dont les gens se souviennent, mais il doit poursuivre ses bonnes actions, sinon son mérite finira par s’effriter.

Laissez-moi vous raconter une anecdote survenue à la maison, dimanche. Mon fils aime faire cuire du bacon le dimanche. C’est un adolescent, et il se montre responsable de ses choix. Il se demandait si le bacon avait été produit d’une manière humanitaire et, en lisant les petits caractères inscrits sur l’emballage, il s’est rendu compte que le bacon provenait du Canada. Il a alors déclaré : « D’accord, pas de problème. »

Qu’un adolescent de la Californie pense que, si un produit provient du Canada, ce sera un bon produit et qu’il sera éthique est un avantage qu’il serait très difficile d’acheter. Il ne faut pas perdre l’association ainsi créée.

Le sénateur Massicotte : J’ai une dernière question à vous poser. Certains témoins que nous avons entendus lorsque vous avez examiné l’historique des dépenses que nous avons effectuées en diplomatie culturelle ont accusé le gouvernement précédent, qui a été en place pendant environ 10 ans, d’avoir réduit considérablement le budget des activités culturelles aux niveaux national et international. Évidemment, c’est une opinion personnelle exprimée par ces gens.

Dans votre propre examen, avez-vous senti que nous avons terni notre réputation dans le monde parce ce que nous avons moins investi dans des activités culturelles à l’étranger?

M. Cull : Honnêtement, je m’attendais à ce que votre réputation se soit effondrée. Toutefois, on dit de la réputation d’un pays à l’étranger qu’elle est comme une étoile. C’est ce qu’en a dit Simon Anholt. Les pays sont comme des étoiles. Ce qu’on voit d’eux ne correspond pas à la réalité d’aujourd’hui. Le rayonnement qui émane d’eux provient de ce qu’ils ont fait bien des années auparavant.

Lorsqu’il était dirigé par le gouvernement précédent, le Canada a mis fin à ses activités culturelles. La diplomatie publique était alors centrée uniquement sur des prises de position, et c’était une stratégie risquée.

Étant donné que la lumière met du temps à se propager, il n’y a pas eu d’incidence directe sur la réputation du Canada; toutefois, si la situation devait perdurer, il y aura des dommages et il y en a. Les gens s’en rendent compte avec le temps. Ils voient le fossé entre les déclarations d’un pays et ce que ce pays semble être et comment il se comporte dans la réalité.

Au nombre des pays qui se sont heurtés à ce problème figure le Danemark. La crise suscitée par les caricatures danoises a soudainement révélé au reste du monde que ce pays n’était pas axé sur le libéralisme et le multiculturalisme, mais qu’il cherchait plutôt à protéger son identité et qu’il pouvait se montrer très insensible et très intolérant.

Des ressortissants de pays non musulmans mêmes ont eu l’impression que les Danois étaient moins amicaux et moins accueillants et que la campagne danoise n’était plus aussi belle.

Le sénateur Massicotte : Étant donné cet effet de rayonnement, vous estimez que notre comportement passé nuira à notre réputation au cours des 5 à 10 prochaines années, peu importent les investissements que nous puissions faire.

M. Cull : Non, pourvu que vos agissements parlent pour vous. Les gens cherchent la confirmation de leur opinion d’avant. C’est ce qu’on appelle le biais de confirmation. Si le Canada fait ce qu’il faut pour mener à bien une activité culturelle qui témoigne d’une vision humanitaire, engagée et multiculturelle, personne ne remarquera le petit fléchissement survenu à cette époque.

Dix ans de non-financement ne constituent pas une très longue période. Il n’y a pas eu de dommages. À moins que quelque chose n’arrive, les gens n’y verront qu’un hiatus parce que le Canada n’aura pas conservé ce comportement.

Le sénateur Massicotte : Lorsque vous parlez de notre réputation ou de notre image, vous en donnez une définition très large. Vous ne parlez pas seulement de notre apport sur le plan culturel, mais de tout ce que nous faisons comme pays qui témoigne de notre identité et de nos valeurs.

M. Cull : Absolument, oui.

Le sénateur Massicotte : C’est une définition très, très large.

M. Cull : Très large en effet, mais un pays de la taille du Canada devrait être plus actif sur le plan culturel qu’il ne l’est actuellement. Il y a des histoires de réussite canadiennes magnifiques à raconter et il y a des institutions canadiennes magnifiques qui peuvent participer au dialogue mondial. Il y a des gens qui pourraient réellement profiter de la participation du Canada dans ces échanges. J’aimerais beaucoup que les choses bougent.

Le sénateur Massicotte : Nous avons nous-mêmes de la difficulté à percevoir notre diplomatie culturelle parce qu’elle est répartie entre tant de ministères, qui sont si dispersés. La diplomatie culturelle est devenue une habitude pour eux. Ils s’en occupent parce qu’ils aiment les arts. Je ne vois pas de plan très précis qui nous permettrait de dire que nous faisons telle ou telle chose dans un but précis.

Nous essayons de mesurer les répercussions, mais les activités sont sporadiques, très personnelles et hautement politiques, sans objectif ni plan opérationnel précis.

Vous ne formuleriez peut-être pas la même observation, mais n’est-ce pas là une conséquence? Dans la vie, parfois on est chanceux et on gagne à la loterie, mais, habituellement, on obtient des résultats quand on adopte une approche méthodique pour s’attaquer à une question particulière.

Pouvez-vous vous prononcer à ce sujet?

M. Cull : Je suis tout à fait conscient du fait que je ne suis pas un Canadien. Je ne suis même pas un vrai Américain. Je viens du Royaume-Uni. J’estime que la réussite doit être planifiée et qu’elle nécessite une approche stratégique. Attendre que les choses arrivent d’elles-mêmes ne constitue pas la meilleure façon d’agir. Il faut plutôt se donner une certaine orientation stratégique, tenir des discussions et nouer des liens avec les différents intervenants du milieu.

Je soupçonne que nous sommes sur la même longueur d’ondes, monsieur le sénateur, mais je dois être prudent, car je ne suis pas un Canadien. J’aimerais que le Canada adopte une approche beaucoup plus stratégique en fonction de ce qui était ses points forts, en fonction des besoins passés et actuels dans le monde et en fonction de ce qu’il pourrait faire pour améliorer les choses au moyen de la culture.

Le sénateur Massicotte : Vous semblez être un type si gentil que vous êtes presque un Canadien, je crois.

M. Cull : C’est le bacon. C’est sûrement le bacon qui vous a conquis.

[Français]

Le sénateur Cormier : J’aimerais d’abord dire que la complexité de la diplomatie culturelle peut parfois tenir à la perception que les Canadiens ont d’eux-mêmes. C’est un des enjeux de la diplomatie culturelle.

Je vous remercie de votre présentation très éloquente qui, en même temps, soulève une multitude de visions et de défis possibles pour définir quelle serait au Canada une stratégie efficace de diplomatie culturelle. Comme vous l’avez dit, le Canada est un pays diversifié. Nous reconnaissons cette diversité et cela pose parfois un défi quant à savoir quelle image de nous-mêmes nous désirons projeter à l’extérieur.

Vous avez élaboré différentes stratégies possibles : la culture utilisée comme cadeau, l’information culturelle, le renforcement des capacités culturelles et le dialogue culturel. Il y a donc différentes manières d’utiliser la culture au bénéfice de la diplomatie publique et au bénéfice de l’image positive du Canada.

Selon vous, comment faire pour avoir à la fois une stratégie efficace, avec des objectifs précis, tout en gardant en tête cette notion de flexibilité nécessaire dans les relations internationales, en tenant compte de l’image et des changements qui surviennent dans le paysage international et qui font en sorte que le Canada doit aussi s’adapter?

[Traduction]

M. Cull : Eh bien, la première chose que vous devez faire, c’est d’y accorder assez d’importance pour y injecter des ressources. Le succès n’arrivera pas sans la volonté d’agir. J’imagine que votre rôle est de convaincre la ministre des Affaires étrangères et d’autres personnes au gouvernement que c’est important et que cet aspect a été négligé dans la diplomatie publique du Canada.

J’estime que ce qui est le plus important dans la diplomatie publique, c’est d’abord d’écouter, d’écouter l’interlocuteur étranger, de cerner les besoins auxquels il faut répondre dans le monde et de réfléchir ensuite aux recoupements entre les intérêts du Canada et un besoin particulier à combler. Il ne suffit pas de réfléchir à l’image que le Canada aimerait se donner. Il faut lier cette image à des besoins précis et présenter quelque chose vraiment intéressant et vraiment utile.

La flexibilité est importante. Ce serait une erreur d’essayer de créer une image unidimensionnelle et monolithique, parce que le monde est rendu ailleurs.

Pour votre retour en diplomatie culturelle, il vaudrait mieux adopter une approche en douceur, en choisissant bien vos projets et surtout vos partenaires.

Ma réponse vous éclaire-t-elle?

Le sénateur Cormier : Oui.

Vous avez parlé de l’image positive que le Canada devrait projeter. Vous avez parlé de culture, affirmant que la question est complexe et contradictoire. Vous avez également parlé d’un mur de protection.

Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet? J’aimerais comprendre comment nous pouvons y arriver.

[Français]

Lorsqu’on pense à la censure, quelle est la relation entre le gouvernement, cette politique et les artistes?

[Traduction]

M. Cull : L’un des très gros problèmes de la diplomatie culturelle tient à ce qu’on a affaire à des artistes. Comment un gouvernement doit-il travailler avec les artistes? Souvent, les artistes nuisent aux gouvernements et les gouvernements nuisent aux artistes.

Un incident est survenu en 1947 lorsque les États-Unis ont cru bien faire en envoyant des œuvres d’art moderne à l’étranger parce qu’ils étaient en compétition avec Staline. Or, tous les tableaux de l’Union soviétique montraient des hommes forts avec des tracteurs, de jolies femmes aux cheveux blonds et des gerbes de blé. Le style réaliste socialiste n’était pas vraiment commercialisable au niveau international.

Les États-Unis avaient des peintures modernes extraordinaires que les publics étrangers pouvaient trouver très séduisantes. Tout a magnifiquement fonctionné jusqu’à ce que les Américains prennent connaissance des œuvres. Les magazines ont commencé à dire : « Oh, vos impôts ont servi à payer cette peinture. »

Le président Truman a commis l’erreur de commenter la valeur artistique d’une œuvre en particulier et déclaré qu’étant un artiste lui-même, il n’y voyait aucun savoir-faire et que, selon lui, une œuvre d’art pouvait être jugée par le savoir-faire déployé. On s’est donc retrouvé dans une situation où le président des États-Unis s’était comporté comme un critique d’art en public. Or, il aurait dû plutôt dire que le département d’État avait collaboré avec le milieu artistique pour choisir ces œuvres; qu’on pouvait ne pas les aimer, qu’il pouvait lui-même ne pas les aimer, mais que des publics les aimaient et que ces œuvres faisaient vraiment partie de la culture artistique de son pays à ce moment-là.

Parlons des choses que nous pouvons contrôler et que nous connaissons suffisamment. La diplomatie culturelle britannique a toujours eu un mur de protection : le British Council; il n’arrête pas la critique, mais on peut toujours dire que ses choix sont représentatifs de la culture britannique réelle. Ainsi, le ministre ou le journal qui critique un mauvais langage ou quelque chose d’autre dans une œuvre finit habituellement par mal paraître.

Il faut un mandat très clair pour représenter le monde de la culture, parce que la culture est l’affaire de vrais artistes qui la vivent et qui l’explorent; on ne parle pas d’une sorte de culture aseptisée pour des publics étrangers. C’est comme donner des petits ciseaux à bout rond à des enfants. Les gens connaissent la différence. Un public international veut connaître ce qui s’inscrit dans la production artistique réelle, et non pas quelque chose de neutre à diffuser à l’étranger.

[Français]

Le sénateur Cormier : C’est très éclairant. Merci beaucoup, monsieur Cull.

[Traduction]

La sénatrice Cools : Merci beaucoup. Je vous écoute, monsieur le professeur, depuis assez longtemps, et je vous écoute très attentivement. De toute évidence, vous avez examiné ces questions en profondeur.

Vous avez dit deux choses. Vous avez d’abord dit que le Canada jouit d’une grande crédibilité dans le monde. Vous avez ensuite affirmé, quelques minutes plus tard, que la réputation du Canada a été acquise il y a des années de cela. Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet, s’il vous plaît?

M. Cull : J’ai d’abord dit que le Canada jouit d’une grande crédibilité.

La sénatrice Cools : C’est exact.

M. Cull : Certainement. Cette crédibilité provient des réalisations passées du Canada. Par exemple, les gens de la génération de mes parents se souviennent que le Canada a amené les forces de maintien de la paix à Suez. Les gens se souviennent de Lester Pearson. S’ils ont oublié son nom, ils se souviennent de la contribution du Canada à ce moment-là. Ils n’ont pas oublié non plus l’Expo de Montréal, cet événement culturel extraordinaire du centenaire de la Confédération et la façon dont il a été célébré. Il en va de même pour les Jeux olympiques. Les gens se souviennent de Vancouver et de toutes sortes d’autres choses qui ont fait partie de l’image culturelle du Canada dans le monde.

Je vois un lien entre tous ces événements. Ai-je répondu à votre question?

La sénatrice Cools : Oui. J’y réfléchissais moi-même. Vous avez raison à ce sujet. Les événements qui ont donné au Canada sa notoriété sont survenus il y a longtemps. Nous voguons donc encore sur des réalisations qui remontent maintenant à loin dans le passé; ce qui ne veut pas dire pour autant que nous n’avons rien fait depuis, mais que nous devons élaborer une approche beaucoup plus axée sur l’avenir.

J’ai été frappée par cette constatation parce qu’elle est très vraie. Que connaissent les gens au sujet du Canada? Tout le monde va nous parler d’Expo 67, et cetera.

Je vous remercie de me donner cet éclairage. Nous devons beaucoup penser à l’avenir maintenant et agir en conséquence.

La présidente : J’aimerais simplement vous demander quelques précisions avant de lancer la deuxième série de questions.

J’éprouve certaines difficultés. C’est peut-être parce que j’occupe le fauteuil et que je pense au rapport que nous devrons rédiger. Le sujet dont nous traitons est vaste. Il consiste réellement en partie à définir la culture et à déterminer ce que le gouvernement devrait faire dans ce domaine. J’ai bien conscience que la censure et la propagande ont été utilisées au cours des siècles et que les artistes y ont été mêlés. C’est un secteur qui pose problème pour moi.

Où nos droits et nos valeurs commencent-ils dans la culture? À mon sens, c’est tout pareil. Une journée, en parlant avec vous, je donnerais de la diplomatie culturelle la vieille définition qu’en donnait le British Council, et qui visait à bien des égards les intérêts du pays qui l’exerçait. Elle a pris naissance dans le Commonwealth et s’est étendue ailleurs par la suite. Maintenant, on enseigne l’anglais comme langue seconde.

La difficulté d’examiner la diplomatie culturelle comme elle a été définie dans certains pays tient à ce qu’on regarde en arrière. Comment peut-on définir la diplomatie culturelle en regardant en avant, en tenant compte du fait que, comme vous l’avez dit, une partie de notre réputation repose largement sur des droits et des valeurs? L’article 5 de la Charte de l’OTAN concerne notre défense commune. L’article 2 est tout aussi important, on y parle des valeurs et de leur importance pour rapprocher les nations entre elles.

Regardons ce que nous faisons de l’ONU. C’est un peu notre culture qui conditionne nos valeurs, nos droits, et cetera. Si nous voulons aller de l’avant, comment pourrions-nous donner une définition plus progressiste de la culture au lieu d’en faire la promotion, comme par le passé? Comment pouvons-nous y intégrer cet aspect? Voilà un dilemme qui me pose problème.

La deuxième partie de ma question porte sur ce à quoi vous avez fait allusion au début. Pour moi, l’art, c’est encore la peinture, les livres, la danse et la musique, alors que, pour les jeunes, ce sont toutes les nouvelles technologies. Vous avez nommé certains Canadiens, et je dois avouer mon ignorance totale à leur sujet. Je ne vais pas dans Facebook, Yahoo ou d’autres sites tous les jours comme les autres le font.

Si nous devons formuler des recommandations au gouvernement, devons-nous parler de la diffusion de notre culture à d’autres pays? Notre culture rejoint-elle les publics étrangers? Est-elle disséminée? A-t-on recours à des technologies modernes?

Les choses sont plus compliquées qu’elles ne l’étaient. Aidez-moi à y voir clair un peu, si vous le pouvez, ou est-ce comme le bacon?

M. Cull : Non, vos questions sont très bonnes. Je crois que vous pourriez en parler pendant un an. Il y a des programmes universitaires complets qui ne traitent que de la nature de la culture. Vous pourriez y consacrer toute votre carrière sans en venir à une conclusion sur le sujet. Des domaines scientifiques complets traitent de la culture; c’est le cas de l’anthropologie qui repose sur l’observation de la culture. Je n’oserais pas donner une définition de la culture.

Quand je discute du sujet avec mes étudiants, je les amène à réfléchir sur ce que la culture comprend, sur ce qu’ils estiment important, sur la définition la plus large qu’ils peuvent donner de la culture et la définition la plus étroite. Ils en viennent à comprendre par eux-mêmes qu’ils savent de quoi ils parlent et à saisir la portée de la discussion.

À mon sens, il est très important de ne pas restreindre la culture aux arts, mais de l’étendre aux expériences passées et nouvelles qui émergent du mélange culturel dont le sénateur Oh a parlé et du paysage multiculturel d’un pays comme le Canada, qui produit tout le temps de nouveaux genres de mélanges culturels.

Je pense que les actes sont plus convaincants que les belles paroles. Le Canada réussit mieux à communiquer ses valeurs en facilitant des discussions qu’il y arriverait en demandant à un conférencier d’aller parler des valeurs canadiennes dans une ambassade.

Le British Council était à l’origine un organisme de contre-propagande. Il a été conçu et mis sur pied pour sauver le monde du communisme, d’une part, et du nazisme, d’autre part, et pour dire à tous que les monarchies constitutionnelles étaient merveilleuses, que Shakespeare était merveilleux et que la langue anglaise était bien belle. L’approche était à sens unique, mais elle remonte à 70 ou 80 ans.

Aujourd’hui, le British Council se donne pour rôle de créer des liens pour l’avenir et de rassembler les gens. Parfois, il n’est seulement pas mentionné; mais il fait un travail culturel utile. Il aide des gens à se réconcilier, par exemple, après un conflit.

Un volet important consiste à développer les compétences du XXIsiècle. Nous sommes rendus à un tournant très dangereux. Certains joueurs dans le monde instrumentalisent la culture et les médias. Ils s’en servent pour semer de la confusion. Ils s’en servent pour nuire à la sécurité parce que ces joueurs comprennent que, dans un monde où personne ne peut faire confiance aux autres, la seule certitude est le pouvoir absolu. Si on travaille pour le gars le plus fort dans la pièce, pourquoi voudrait-on mettre l’accent sur les organisations, la confiance, le dialogue ou toute autre chose? On veut seulement faire triompher la force.

Dans ces circonstances, une des choses les plus importantes sur le plan culturel qu’on peut faire est d’aider les gens à développer une littératie culturelle, un dialogue culturel et une culture civique qui cadrent avec nos vies de Britanniques, d’Américains et de Canadiens et de trouver des moyens de mettre nos connaissances en commun et de travailler en partenariat.

Très peu de grands projets de diplomatie culturelle sont de nature unilatérale maintenant. De plus en plus, des donateurs multiples entrent en jeu pour la création d’un projet culturel, comme cela est le cas notamment dans les Balkans de l’Ouest; pensons également aux mesures prises pour aider les collectivités russophones dans des endroits comme l’Estonie à acquérir une identité propre pour qu’ils ne soient pas seulement des marionnettes du Kremlin.

Il est plus important de trouver des façons de travailler collectivement à promouvoir des objectifs culturels et des valeurs que de simplement dire : « Ne voudriez-vous pas que votre pays soit aussi merveilleux que le mien? Peut-être que, dans quelques centaines d’années, vous serez aussi merveilleux que le Canada, étant donné que vous aurez des poètes et des chanteurs comme Leonard Cohen. Attendez, tout simplement. Ce sera magnifique. »

Il faut plus que cela. Il ne s’agit pas simplement de s’afficher. Il faut mettre l’accent sur l’importance d’être un bon citoyen au niveau culturel et il faut construire quelque chose qui soit utile pour les autres pays.

La présidente : Je crois que nous pourrions continuer notre discussion, vous et moi, parce que vous en venez à parler d’un système de valeurs.

M. Cull : Oui, absolument.

La présidente : Voilà pourquoi je parle de culture, de droits et de valeurs. Vous avez utilisé l’exemple de M. Pearson. Je n’aurais pas associé M. Pearson à la culture, mais à nos valeurs.

Nous avons eu la possibilité de contribuer au règlement de la crise de Suez et la perspective du Canada a été de trouver un consensus et d’organiser une force de maintien de la paix. Les gens se souviennent de cela, mais ils se souviennent également de l’Afrique et du fait que nos premiers ministres se sont élevés contre l’apartheid dans le Commonwealth. Nous ne nous en souvenons peut-être pas au Canada, mais laissez-moi vous dire qu’on m’en parle chaque fois que je vais là-bas. On se souvient de M. Diefenbaker, de M. Mulroney et de M. Chrétien qui ont soulevé le problème. Je n’aurais pas associé cela à la culture toutefois.

Comment pouvons-nous rassembler ce que nous avons de mieux au Canada et le présenter en un tout? Je pense que vous avez commencé à répondre à cette question, et je vous en remercie.

M. Cull : Vous posez les bonnes questions, je crois. Il n’y a pas de démarcation claire entre là où les valeurs s’arrêtent et là où la culture commence, parce que les valeurs tirent leur origine de la culture et que la culture est elle-même le fruit des valeurs d’une société. La culture donne accès aux valeurs d’une société; en contrepartie, les valeurs sous-tendent clairement la culture.

Les œuvres d’Alice Munro ou les films d’Atom Egoyan peuvent nous donner accès aux valeurs des Canadiens. Ils nous permettent de réfléchir non seulement à ce que c’est que d’être un Canadien, mais également à ce que c’est que d’être un humain. Ils font partie du cadeau qu’un pays fait au monde.

Il est vraiment très utile de s’inspirer de ces œuvres de façon constructive et de trouver des façons de les intégrer aux débats et aux combats qui se tiennent ailleurs dans le monde.

La sénatrice Bovey : J’ai en tête une bonne synthèse de ce qui a été dit en partie. Je vous en remercie. Je crois que les questions posées et les réponses données ont été excellentes.

Vous avez parlé de stratégie et déclaré que la volonté d’agir assure le leadership. Je suis parfaitement d’accord, mais l’art canadien et la culture canadienne ne sont pas inspirés uniquement d’une perspective canadienne. En effet, nous devons reconnaître non seulement que de nombreux pays ont aidé à édifier notre culture, étant donné notre tradition d’accueil des immigrants, mais qu’il en est encore ainsi, que de nombreux pays appuient l’art canadien aujourd’hui.

Le prix Nobel attribué à Alice Munro ne provient pas du Canada. Le Master Photography Award décerné à Ed Burtynsky à Photo London ce mois-ci ne provient pas du Canada non plus. Je pourrais continuer ainsi.

Oui, nous pouvons avoir une stratégie, mais je crois qu’il nous faut aussi nous ouvrir au monde pour profiter des occasions de collaboration et de reconnaissance afin de faire rayonner l’art canadien. Nous ne pourrons y arriver autrement.

M. Cull : Oui, c’est exact.

La sénatrice Bovey : Je ne suis pas certaine que ce soit une question. Nous pourrions parler longtemps de stratégies, mais, à mon sens, le monde de l’art et de la culture ne se prête pas toujours à des stratégies.

M. Cull : Non, vous avez raison, je crois.

[Français]

Le sénateur Cormier : Ce sera peut-être plus un commentaire de mon côté plutôt qu’une question. Quand on pense à la diplomatie culturelle, je suis obligé de revenir et de penser à notre propre politique culturelle interne au Canada. Et je me demande quelles sont vos réflexions sur ce désir de faire de la diplomatie culturelle et notre capacité ou le type de politique culturelle qu’on se donne dans notre pays? Comment ce lien est-il important? Comment notre politique culturelle intérieure nous aide-t-elle à définir l’extérieur? Sans être critique de nos politiques culturelles canadiennes, je trouve qu’elles posent de nombreux défis. On veut établir un dialogue avec le reste du monde et l’on a parfois beaucoup de difficulté à établir un dialogue entre nous sur le plan culturel. Comment peut-on concilier tout cela?

[Traduction]

M. Cull : Vous soulevez un point important, monsieur le sénateur. Personne ne peut parler avec des Canadiens sans se rendre compte que votre société est en évolution.

L’une des forces du Canada est son attitude dans les discussions sur la scène internationale : « Regardez, nous nous occupons de ces questions. Nous apprenons comment gérer la diversité de la meilleure façon, mais nous n’avons pas réponse à tout. » C’est tout particulièrement évident dans les questions relatives aux droits des Premières Nations et au traitement dont elles font l’objet.

En toute franchise, je dois dire que, paradoxalement, cette situation rendra le Canada plus attrayant et plus pertinent dans ses discussions avec les autres pays, parce que la plupart des pays dans le monde n’ont pas non plus réponse à toutes ces questions. Les pays qui font montre d’une très grande confiance en affirmant avoir réponse à toutes les questions sont relativement rares. Peut-être parlent-ils simplement plus fort que les autres.

Il faut donc parler honnêtement des limites de la politique culturelle chez soi, mettre en lumière les réussites obtenues et veiller à ce que le Canada soit, sur son territoire, à la hauteur du discours qu’il tient sur la scène internationale. Il est important de ne pas oublier que ces valeurs doivent être mises en pratique au niveau national. Vous devez demeurer à l’affût pour vous assurer qu’elles le soient.

La présidente : Je pourrais bien commencer une autre conversation sur nos coutumes, notre gastronomie, et cetera. Ce sont là des aspects agréables de la diplomatie dont j’ai parlé à l’étranger. Ces sujets servent habituellement à briser la glace.

M. Cull : Ne buvez simplement pas le lait de jument fermenté du Kazakhstan.

La présidente : Je n’oublierai pas de sitôt le bacon canadien consommé en Californie.

Merci d’être venu. Vous nous avez beaucoup éclairés. Vous abondez dans le même sens que d’autres témoins déjà entendus. Nous continuons notre étude; nous regrouperons tout cela dans un rapport à un moment donné.

Si vous voulez ajouter quelque réflexion que ce soit sur le sujet, nous serons heureux de l’accueillir. Merci d’avoir fait l’effort de venir. Votre témoignage a été très utile au comité, comme en font foi les questions qui vous ont été posées.

(La séance est levée.)

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