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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 48 - Témoignages du 7 juin 2018


OTTAWA, le jeudi 7 juin 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 29, pour étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le comité a reçu l’autorisation du Sénat d’étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

En vertu de ce mandat, le comité est heureux de poursuivre son étude en accueillant des témoins très éminents. Avant de leur laisser la parole, je demanderais aux sénateurs de bien vouloir se présenter.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec. Bonjour.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Pat Bovey, du Manitoba.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

La présidente : Mon nom est Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan, présidente du comité.

Nous accueillons aujourd’hui la très honorable Adrienne Clarkson qui connaît bien cette chambre. Nous vous souhaitons la bienvenue. J’espère que vous m’entendez.

La très honorable Adrienne Clarkson, à titre personnel : Je vous entends, sénatrice Andreychuk. Je suis heureuse de vous revoir.

La présidente : Merci. Nous accueillons également Brian M. Levine, directeur général, et Roger Garland, président, Conseil d’administration, La Fondation Glenn Gould, ainsi que Susan Peterson d’Aquino, membre du conseil d’administration, La Fondation du Centre national des Arts, à titre personnel.

Nous accueillons également Martin Théberge, président, ainsi que Marie-Christine Morin, directrice générale, Fédération culturelle canadienne-française.

Mesdames et messieurs les témoins, je vous souhaite la bienvenue. Les témoins prendront la parole dans l’ordre que je viens de les présenter. C’est souvent la façon dont nous procédons lorsque des témoins participent par vidéoconférence, car nous perdons parfois la connexion. Il est plus simple de procéder de la sorte. Ainsi, s’il y a des problèmes, nous pouvons rétablir la connexion.

Bienvenue au comité. Je vais laisser la parole à la très honorable Adrienne Clarkson afin qu’elle puisse nous présenter son exposé. Je demanderais à tous les témoins d’être aussi brefs que possible, car les sénateurs auront des questions à vous poser. Encore une fois, bienvenue au comité. Vous avez la parole.

Mme Clarkson : Merci beaucoup, sénatrice Andreychuk. Je suis heureuse de pouvoir témoigner devant le comité et vous parler de ce qui me passionne, la plupart d’entre vous le savent déjà, la relation entre la culture et notre présence et identité nationales, tant au Canada qu’à l’étranger.

Comme vous le savez très bien, en tant que gouverneur général, mes visites d’État avaient un impact culturel important. Lors de mes voyages en Allemagne et en Russie, notamment, j’ai invité des artistes très populaires de la scène culturelle canadienne, pas seulement des artistes du milieu de la chanson, de la danse, des arts de la scène, de la rédaction et de l’art dramatique, mais aussi de la culture en général.

Par exemple, nous fabriquons du vin, et le vin fait partie de notre culture. Lors d’une visite en Allemagne, nous avons invité deux vinificateurs très importants — l’un de l’Ontario et l’autre de l’Okanagan — et avons visité leurs installations. Donc, ils ont répété l’expérience.

À mon avis, il se produit un échange et dans le cadre de cet échange, nous révélons au monde qui nous sommes. Le monde ignore qui nous sommes. Nous devons absolument le lui montrer. Nous devons l’exprimer.

Nous avons invité avec nous, en Allemagne, des gens comme Paul Desmarais qui jouait un rôle très important chez Bertelsmann Publishing à l’époque. Nous avons invité les cinéastes Atom Egoyan et Don McKellar, ainsi que les dramaturges Michel Marc Bouchard et Tompson Highway. Chacun offrait quelque chose d’intéressant et de distinct et avait un impact dans son milieu.

Nous avons organisé pour eux des expositions, séances de lecture ou représentations. C’est ainsi que le Canada se présentait, mais pas seulement au monde gouvernemental; à mon avis, les ambassades comprennent également à quel point il est important de présenter qui nous sommes à l’étranger et, à cet égard, elles nous ont apporté un soutien et une aide incroyables.

Je souhaitais poursuivre ce travail. Il ne suffit pas de dire que c’est possible lorsqu’on est gouverneure générale d’inviter des gens lors de nos voyages au Chili ou en Argentine. D’ailleurs, nous avons fait les mêmes choses au Chili, en Argentine, en Islande et en Finlande. C’est possible. Je crois qu’il est très important pour nous de comprendre que nous avons un message à transmettre. Nous ne pouvons laisser nos ambassades s’en charger seules. Nous avons une portée culturelle. Nos processus éducatifs, notamment, suscitent beaucoup d’intérêt. Nous devons comprendre que nous pouvons également transmettre tout cela au reste du monde à partir d’ici.

La culture, c’est ce qui nous définit en tant que Canadiens. Nous avons des cultures anglophone, francophone et autochtone. À celles-ci s’ajoutent les cultures que nous apportent les immigrants. La nature du Canada est telle que nous avons l’impression que la transformation s’opère lorsque les étrangers immigrent ici. Tous ceux qui immigrent au Canada, qu’ils viennent de l’Ukraine, de l’Italie, de la Syrie ou de la Chine, sont différents de qui ils auraient été s’ils étaient restés dans leur pays.

Ils continuent peut-être à utiliser leur propre langue et à manger leurs aliments traditionnels. Ils gardent peut-être en souvenir toutes sortes de choses. Toutefois, l’espace canadien, le mode de vie et le climat canadiens les changent et les transforment. Donc, notre culture est une culture transformée, puisqu’elle tire ses racines de différents endroits et de différentes choses.

Je crois que c’est très important. Depuis la fin de mon mandat comme gouverneure générale, je continue de croire que c’est important. Avec l’aide de John Ralston Saul, j’ai créé l’Institut pour la citoyenneté canadienne qui compte plusieurs programmes très concrets sur le terrain, dont le Laissez-passer culturel. Ce laissez-passer est né essentiellement de mon envie de savoir combien de personnes iraient aux musées et attractions culturelles s’ils en avaient l’occasion, et s’ils n’avaient pas l’impression de devoir revêtir leurs plus beaux habits ou de devoir attendre de s’exprimer parfaitement en anglais avant de visiter le Musée royal de l’Ontario, avec un nom pareil, par exemple, ou le Centre national des Arts. Comment peuvent-ils savoir qu’ils y sont chez eux?

La culture est une façon d’aider les gens à se sentir chez eux. C’est une façon de leur donner le même accès qu’ont tous les autres. Grâce à ce lien culturel, ils forment un tout. C’est ce qui les unit à notre nation.

Le Laissez-passer culturel est l’un des programmes de l’Institut pour la citoyenneté canadienne, créé en 2006, ayant connu le plus de succès. Il permet aux nouveaux Canadiens au cours de leur première année de citoyenneté de se déplacer sur notre territoire, d’explorer le Canada et de découvrir ce qu’il a à offrir. Lors de chaque cérémonie de citoyenneté tenue au Canada — il y en a plus de 2 500 —, des nouveaux Canadiens peuvent aller en ligne pour obtenir le Laissez-passer culturel d’une durée d’un an qui permet aux familles comptant jusqu’à quatre enfants d’entrer gratuitement dans quelque 1 400 institutions culturelles au pays.

Le Laissez-passer culturel leur permet également de profiter d’un rabais de 50 p. 100 sur le prix le moins élevé de VIA Rail pour visiter le pays. Par exemple, un immigrant qui s’installe à Montréal peut prendre le train à moitié prix pour se rendre à Vancouver et utiliser son laissez-passer pour visiter le Vancouver Art Gallery ou le Museum of Anthropology. Ce programme existe depuis 10 ans et a connu un succès retentissant. Nous sommes très heureux de pouvoir offrir un tel programme.

Le Laissez-passer culturel nous a permis de compiler certaines données. Nous avons accueilli plus de 260 000 nouveaux citoyens, et, chaque année, 40 000 d’entre eux participent à ce programme. Nous avons maintenant environ 35 partenaires du milieu des arts de la scène, comme la Compagnie d’opéra canadienne. La compagnie offre parfois des billets gratuits. Disons qu’elle offre, par exemple, 70 sièges gratuits pour une représentation en particulier. Eh bien, en moins de 30 secondes, les billets sont réclamés par des immigrants qui participent au programme.

Il s’agit d’un programme totalement bilingue. Nous célébrons 10 ans de progrès. Le Laissez-passer culturel a beaucoup d’influence en Europe; les gens en prennent de plus en plus connaissance.

Nous souhaitons améliorer le Laissez-passer culturel, car nous croyons pouvoir attirer plus d’immigrants à ce programme s’ils n’ont pas à aller s’inscrire sur un site web. Nous allons créer une application mobile qui sera disponible dès 2019 et qui permettra de maximiser l’accès, la participation et l’engagement. Nous nous attendons à accueillir chaque année 100 000 utilisateurs, en nous appuyant sur le taux d’assermentations du gouvernement qui s’élève à plus de 200 000 nouveaux citoyens chaque année. Cela sera profitable pour toutes les organisations artistiques.

Nous travaillons avec Patrimoine canadien et avons également reçu des fonds du secteur privé.

Quatre-vingt-quatorze pour cent des nouveaux Canadiens utilisent un téléphone intelligent. Nous sommes très enthousiastes à l’idée de pouvoir faire découvrir notre culture à des gens d’ailleurs et qui pourront ensuite en parler à d’autres, car ils auront pu profiter de cet accès.

Nous avons fait la promotion de ce programme à l’étranger. Le programme suscite beaucoup d’enthousiasme, surtout en Angleterre, en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne.

L’institut a créé, entre autres, l’espace citoyen 6 Degrés, un forum international de trois jours qui se déroule en septembre, tous les ans. Ce forum est conçu pour encourager la conversation mondiale sur la citoyenneté, ainsi que sur l’inclusion et l’appartenance au XXIe siècle. Le Canada connaît beaucoup de succès, mais nous ignorons pourquoi, ce qui m’a toujours inquiété. Si l’on ignore pourquoi, on risque…

La présidente : Madame Clarkson, je dois vous interrompre. C’est probablement la première fois que je dois interrompre une gouverneure générale en service ou ancienne gouverneure générale. Je suis désolée. Nous avons prévu une séance d’une heure avec deux autres témoins et les sénateurs voudront poser des questions. Si vous n’avez pas terminé, nous vous saurions très reconnaissants de nous fournir une copie écrite de votre exposé afin que nous puissions l’avoir dans notre dossier.

Mme Clarkson : Certainement. Je vous le ferai parvenir.

La présidente : Nous entendrons maintenant M. Garland de la Fondation Glenn Gould.

Roger Garland, président, Conseil d’administration, La Fondation Glenn Gould : C’est un grand honneur d’être ici aujourd’hui. Il s’agit d’un sujet qui nous tient beaucoup à cœur. C’est une occasion incroyable pour le Canada. Dans le monde actuel, il s’agit d’un dossier dans lequel il y a de l’incertitude et de la concurrence et sur lequel nous devons réfléchir davantage.

Je vais laisser la parole à Brian qui vous expliquera ce que fait La Fondation Glenn Gould, la mission de la fondation et le lien avec la diplomatie culturelle. Je reprendrai la parole dans quelques minutes pour terminer l’exposé. Merci beaucoup.

Brian M. Levine, directeur général, La Fondation Glenn Gould : Merci. La Fondation Glenn Gould est un organisme de bienfaisance enregistré établi au Canada en 1983. Notre mission est d’honorer l’esprit de Glenn Gould et l’héritage qu’il a laissé en célébrant le génie, en encourageant la créativité et en transformant des vies grâce au pouvoir de la musique et des arts. La fondation jouit d’une portée mondiale grâce à la renommée de Glenn Gould et au respect qu’il inspire dans le monde.

Notre travail tourne principalement autour du très convoité prix Glenn Gould, la plus importante marque de reconnaissance internationale offerte au Canada pour une œuvre de création. Le prix est décerné à une personne, peu importe sa nationalité, qui a enrichi la condition humaine avec les arts et a incarné les valeurs de l’innovation et de l’humanitarisme.

De plus, la fondation joue un rôle actif dans un grand nombre de partenariats et de collaborations créatives. J’ai fait une recherche l’autre jour et trouvé environ 15 pays jusqu’à maintenant où nous sommes actifs. En cette capacité, nous croyons représenter fièrement le Canada.

Notre expérience internationale de plus de 30 ans nous donne une bonne idée générale de ce que la diplomatie culturelle peut accomplir et des domaines dans lesquels les politiques et investissements stratégiques sont les plus nécessaires.

Nous voyons trois objectifs clés pour la diplomatie culturelle canadienne : premièrement, communiquer au monde un message élaboré et éloquent sur le Canada, ses talents, ses valeurs et son identité, en participant à des événements et en en organisant; deuxièmement, renforcer les liens avec les alliés et les partenaires commerciaux, et réduire les tensions et les soupçons avec d’autres pays, en favorisant les rapports fondés sur une humanité commune pour contrer le sentiment d’altérité; et troisièmement, étendre la prospérité commerciale et économique bien au-delà des industries créatives en mettant en valeur la « marque Canada », qui mise sur les concepts d’ouverture, d’inclusion, d’excellence et d’innovation pour accroître l’influence du Canada sur la scène internationale.

Quelle est la position relative du Canada dans le monde? Nous jouissons de toute évidence d’un riche patrimoine culturel. Nous avons des talents incroyables qui connaissent du succès partout dans le monde. Pourtant, nos décennies d’expérience nous ont montré que ce succès ne se traduit pas par une perception du Canada dans le monde en tant que nation créative de premier plan. Ce succès n’a pas non plus su écarter la perception du Canada fondée sur la nature sauvage et les ressources naturelles. Nous devons cultiver une nouvelle image à jour pour faire avancer les objectifs que nous avons suggérés précédemment, car franchement, il y a de nombreux stéréotypes tenaces.

Je crois que vous allez voir une photo que j’ai prise dans les rues de Paris l’année dernière. Cela montre à quel point il est difficile de se défaire de certaines images qui ne correspondent pas à ce que nous voulons promouvoir à l’ère de l’économie du savoir. Je vous le demande. Si vous aviez cette image d’un pays, achèteriez-vous sa biotechnologie ou ses programmes d’intelligence artificielle? Feriez-vous d’autres investissements en haute technologie avec des personnes comme celle-là?

Pourquoi est-ce ainsi? Eh bien, premièrement, il y a eu un déclin au sein du cadre institutionnel nécessaire pour ancrer dans la conscience mondiale un lien direct entre les œuvres de nos créateurs et la nation qui a soutenu ces créateurs. Ce qu’il faut, c’est un message canadien sous-jacent et constant — j’insiste sur « constant » — qui peut nous unir tous. Sans cette constance du message, tout ce que nous avons, c’est l’envoi occasionnel d’artistes à l’étranger. Ils peuvent varier, en particulier compte tenu du cycle des nouvelles de 24 heures, et peuvent être rapidement oubliés alors que les stéréotypes de longue date perdurent.

Comment le Canada se compare-t-il à d’autres pays sur ce plan? Eh bien, le Japon a sa Japan Foundation. La Grande-Bretagne a son British Council. Il y a l’Alliance française et l’Institut Goethe. Nous n’avons rien d’équivalent. C’est peut-être ce qui explique que le Canada soit à la traîne.

Nous avons parlé de la « marque Canada », mais cette discussion est-elle appuyée par des politiques, des stratégies et des investissements? Notre mémoire présente des exemples de ce que d’autres nations font.

Nous croyons qu’il est possible de miser sur des cadres pratiques pour établir des politiques à l’avenir. Notre mémoire en comporte une description plus détaillée. J’aimerais redonner la parole à Roger, qui vous présentera un point de vue plus personnel.

M. Garland : Je crois qu’il est important de comprendre que la perception est en fait la réalité, dans ce monde. La réalité, c’est que la perception que le monde a du Canada ne correspond pas à ce que nous avons vraiment à offrir. Comme Brian l’a souligné, nous avons ce problème en partie parce que nous ne nous sommes pas mobilisés. D’autres nations ont fait de la culture un enjeu marketing bien plus important pour leur diplomatie. Nous sommes désavantagés, car nous n’avons pas convenablement encadré la façon de fonctionner du gouvernement et fourni le financement nécessaire.

J’ai lu avec intérêt le mémoire soumis à votre comité par l’ambassadeur Kinsman, en décembre dernier. Il a soutenu la même chose quand il était ambassadeur en Russie et en Italie : le financement est un élément vraiment important des réalisations des missions à l’étranger.

Comment pouvons-nous changer cela? La perception doit changer. Brian a mentionné le message uniforme et constant. J’ai consacré la partie de ma vie que j’ai consacrée au milieu des affaires à travailler avec les hôtels Four Seasons et à créer une marque qui est maintenant connue mondialement comme étant la meilleure entreprise hôtelière de qualité dans le monde. C’est parce que nous avons sans relâche mis l’accent sur la qualité et l’uniformité et que nous avons basé notre image internationale là-dessus. Je pense que le Canada a la possibilité de faire exactement la même chose.

C’est ce que fait en réalité le prix Glenn Gould, que je représente par l’intermédiaire de la Fondation Glenn Gould. Un prix est décerné tous les deux ans. Tout est décrit en détail dans le mémoire que nous vous avons remis ce matin. Cela permet au Canada d’attirer l’attention comme étant l’important promoteur d’une extraordinaire créativité en misant sur Glenn Gould, une icône canadienne. Je vais m’arrêter là. Nous serons ravis de répondre à vos questions. Merci.

La présidente : Merci.

C’est maintenant au tour de la Fédération culturelle canadienne-française. Monsieur Théberge, je crois que c’est vous qui allez présenter l’exposé.

[Français]

Martin Théberge, président, Fédération culturelle canadienne-française : Bonjour. Je suis accompagné de Mme Marie-Christine Morin, qui est directrice générale. Je vous remercie de nous accueillir.

La FCCF est la voix nationale des arts et de la culture au sein de la francophonie canadienne. Elle a pour vision d’inspirer, de mobiliser et de transformer le Canada grâce aux arts et à la culture.

Son réseau rassemble sept regroupements nationaux en théâtre, en littérature, en chanson et musique, en arts médiatiques et en arts visuels, 13 organismes œuvrant pour le développement culturel et artistique dans 11 provinces et territoires du Canada, ainsi qu’un regroupement de réseaux de diffusion des arts de la scène et une alliance de radios communautaires.

Forte de son réseau de 22 membres à travers le Canada, la FCCF chapeaute plus de 3 125 artistes et plus de 150 organismes en provenance de plus de 180 communautés d’expression française partout au pays. Depuis 40 ans, elle fait la promotion de l’expression artistique et culturelle des communautés francophones et acadienne.

Dans un premier temps, nous tenons à préciser que la FCCF est membre de la Coalition canadienne des arts et appuie l’ensemble des recommandations qui vous ont été faites en février dernier, notamment en ce qui a trait à la mobilité des artistes, la fiscalité internationale et les droits de suite de l’artiste. Nous prendrons ainsi un autre angle dans notre allocution, celle de la francophonie canadienne pour alimenter nos propos. C’est pour lancer un appel à la sensibilisation, à la cohérence et à l’innovation dans les actions déjà posées et celles à venir.

Comme plusieurs qui sont passés avant nous l’ont souligné, nous nous sommes aussi réjouis des investissements récents du gouvernement dans la stratégie d’exportation culturelle et la remise sur pied de postes à l’étranger pour assurer une coordination des actions de réseautage. En ce sens, nous croyons au bien-fondé de renforcer notre présence à l’étranger, d’être accueillis et mis en valeur par un réseau de porte-paroles de la culture à l’étranger. La stratégie d’exportation a prévu cette présence.

Pour maximiser les retombées de ce réseau, il faut des connaissances géopolitiques, de la situation économique des partenaires potentiels et surtout une connaissance du milieu culturel canadien dans toute sa diversité. Dans cette optique, nous souhaitons une collaboration accrue entre les différents partenaires ici au Canada.

Nous sommes également d’avis que la formation des agents culturels en poste est une composante fondamentale. Leurs profondes connaissances du terrain et des occasions qui émergent seront garantes de leur succès. Nous rêvons du jour où ces agents participeront à nos événements et viendront à la rencontre de nos artistes. À notre tour, nous les accueillerons et nous partagerons avec eux le talent et l’imaginaire de nos artistes de la francophonie canadienne. Ensemble, nous pourrons rêver et forger nos collaborations et ainsi faire valoir et faire découvrir l’envergure de cette diversité culturelle présente sur l’ensemble de notre territoire.

Charles Leblanc, un poète, a écrit ceci : « On est toujours l’étranger de quelqu’un d’autre. » Le secteur des arts et de la culture en francophonie canadienne tend la main pour être un peu moins l’étranger et mieux rayonner à l’étranger.

Marie-Christine Morin, directrice générale, Fédération culturelle canadienne-française : En ce qui concerne la francophonie canadienne, force est de constater que nous devons redoubler d’imagination et de créativité pour nous tailler une place de choix ici et à l’échelle internationale. Pour avoir ce regard croisé vers d’autres cultures, nous devons parfois chercher dans des marchés parfois plus petits et plus ciblés.

Si la stratégie d’exportation que le Canada se donne s’articule uniquement autour des grands événements ou de grandes foires internationales, nous ne sommes pas toujours au rendez-vous, faute de moyens, faute de pertinence. Nous passons à côté d’occasions de découvrir et de se faire découvrir. Nous nous retrouvons surtout dans l’incapacité de répondre à l’asymétrie des besoins de la francophonie canadienne qui rejoint des marchés différents, des marchés anglophones peut-être moins grands, mais tout aussi porteurs pour certaines industries.

Le secteur des arts et de la culture de la francophonie canadienne émet un souhait, soit de lui donner des ressources pour se doter d’une stratégie de promotion de ses artistes à l’échelle internationale qui tiendrait compte de ses besoins spécifiques. Qui plus est, cette stratégie pourrait inclure des actions plus élargies en lien avec la promotion de la langue française. La modernisation de la Loi sur les langues officielles qui se prépare est une occasion en or de se pencher sur cet élément aussi.

M. Théberge : Parmi les éléments clés qui constituent une stratégie efficace pour la diplomatie culturelle, notons la dimension numérique. Presque tout le monde s’entend pour dire que l’environnement numérique dans lequel nous évoluons est riche en possibilités pour diffuser, produire et interagir avec nos interlocuteurs d’ici et d’ailleurs.

Mais rappelons-nous que les enjeux entourant la dimension numérique sont nombreux et complexes. Si l’accès et la production du contenu sont au cœur de la réflexion sur l’avenir de la dimension numérique, nous nous devons de développer des modèles d’affaires qui mettent en valeur et savent reconnaître la valeur du travail des artistes et des créateurs de manière adéquate.

Nous devons également nous rappeler que ce paysage numérique et virtuel nous pousse à innover sur tous les plans, notamment du côté des partenariats novateurs. Avec la diplomatie culturelle numérique, le champ d’action n’est donc plus exclusif à l’État. Il interpelle à la concertation de nos actions et nécessite d’inclure de nouveaux joueurs pour que ces actions soient porteuses. Nous rejoignons les propos du Conseil des arts du Canada à ce sujet. Peu importe la stratégie de diplomatie culturelle numérique retenue, il est crucial qu’Affaires mondiales Canada maintienne le dialogue avec les artistes. À cet égard, nous souhaitons faire partie de ce dialogue instructif, de ces efforts accrus de connexion et de réseautage. Je vous remercie de votre écoute. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Je tiens à vous remercier tous de vos exposés.

Votre Excellence, je vous remercie d’agir comme un incroyable catalyseur pour les arts, non seulement au Canada, mais également à l’étranger. J’ai participé à l’un des voyages que vous avez faits il y a 15 ans, et c’est à cette occasion que nous avons entendu un des trésors canadiens, Ed Burtynsky, se produire sur scène. Comme mes collègues le savent, il y a quelques semaines seulement, à Londres, j’ai appris en voyant des affiches collées sur des lampadaires qu’on lui décernait le prix le plus prestigieux de la planète. Je n’ai pas appris cela au Canada, ce que je trouve très triste. J’ai pu m’y rendre à temps et célébrer avec lui.

Nous entendons ces propos très convaincants : la perception, c’est la réalité. Nous savons qui nous sommes, nous avons beaucoup de succès, mais nous ne savons pas pourquoi. John Ralston Saul a écrit que le rayonnement du Canada à l’étranger s’appuie surtout sur sa culture. Je veux prendre tout cela et le présenter d’une autre façon.

L’autre jour, Nicholas Cull, un professeur de l’University of Southern California, nous a présenté son témoignage. Il a parlé de l’importance des artistes canadiens. Nous avons vu cela avec les prix décernés par la gouverneure générale, l’autre soir. Nous devrions être très fiers, en tant que nation. Comme il l’a dit, personne ne sait vraiment qu’ils sont des Canadiens.

Compte tenu de cela et de l’importance de la diplomatie culturelle, comment pouvons-nous nous réjouir du fait que ces magnifiques artistes sont des Canadiens — qu’ils soient connus ou non; émergents ou expérimentés? Comment peut-on établir un lien entre la diplomatie culturelle et tous les autres aspects du Canada à l’étranger, plutôt que de cloisonner les arts? Comment cela s’intègre-t-il aux diverses couches de la société canadienne alors que celle-ci cherche à se faire valoir sur la scène internationale?

Mme Clarkson : Pouvons-nous juste prendre la parole pour répondre?

La présidente : Je vais demander aux sénateurs de préciser à qui leurs questions s’adressent.

La sénatrice Bovey : N’importe qui, mais nous pouvons commencer par notre ancienne gouverneure générale, suivie de Mme Peterson d’Aquino, avec le travail qu’elle accomplit concernant les Prix du Gouverneur général et son travail à l’échelle internationale.

Mme Clarkson : Sénatrice Bovey, je pense qu’on peut miser sur toute la question du succès de nos artistes dans le monde et au Canada, dans l’univers culturel. Par exemple, si vous savez qu’Ed Burtynsky va se produire en Grande-Bretagne, il faut miser là-dessus. Il n’est pas nécessaire de partir à zéro. Vous avez déjà cette personne.

Si Atom Egoyan est en vedette au London Film Festival, comme cela s’est produit il y a environ huit ans, vous n’avez pas à dire : « Avez-vous déjà entendu parler d’un type qui s’appelle Atom Egoyan et qui fait des films? » Vous devez miser là-dessus. Par conséquent, votre personnel à l’ambassade devrait le faire — et je suis d’avis qu’ils l’ont toujours fait. C’est juste qu’on a gravement réduit leur financement et qu’il n’y a pas de politique. Nous devrions vraiment miser là-dessus.

Atom Egoyan sera au festival international du film de Berlin. Il y sera comme juge, ou parce qu’il y présente un film, peu importe. Comment pouvons-nous miser là-dessus? Comment pouvons-nous alors tenir un mini festival où ses films seraient présentés? Comment pouvons-nous… Pas seulement avec des entrevues dans les journaux. C’est ce que fait toujours le bureau des affaires publiques. Ce n’est pas ce qui compte. Vous voulez l’intégrer dans d’autres choses, afin d’assurer la pénétration de la culture du pays.

L’espace citoyen 6 Degrés a été invité à l’étranger pour présenter notre espace citoyen, axé sur le sentiment d’appartenance, la culture et l’identité. Nous avons été invités à La Haye, où nous avons remporté un beau succès. Nous revenons de Saint-Gall, en Suisse. Nous avons été invités à Berlin en novembre. Où irons-nous? Nous irons au centre Barenboim-Said, soit la plus belle salle de concert bâtie par Frank Gehry. Elle vient d’ouvrir, il y a un an.

L’acoustique y est parfaite. C’est là que nous serons, et nous y tiendrons des manifestations culturelles.

Les ambassades travaillent en étroite collaboration avec nous afin de faire de la place et préparer le terrain. Chaque fois que l’ambassade apprend qu’un événement s’en vient, elle doit miser là-dessus. Personne ne doit rester seul. En culture, les gens qui sont au courant savent ce qu’il y a. Vous voulez que plus de gens sachent, et disent : « C’est canadien ». « Voilà ce que Glenn Gould représente. » Combien de fois nous, qui vivons à l’étranger, avons-nous entendu des gens dire : « Oh! Glenn Gould était Canadien? Je pensais qu’il était Américain. » Montrons-leur le film Glenn Gould’s Toronto, dans ce contexte. Quand vous voyez à quel point il était attaché à son pays, à sa géographie et aux choses qui ont fait de lui ce qu’il était, comme grandir dans le quartier The Beaches de Toronto. Ce sont les choses sur lesquelles il faut miser. Il ne faut pas faire comme si cela n’existait pas.

J’ai ressenti du découragement par le passé. Quand j’animais la seule émission culturelle de CBC en environ 50 ans… Je ne blague pas, parce que je l’ai fait pendant 12 ans, après qu’ils aient passé 25 ans sans rien faire. Il n’y a rien en ce moment.

L’autre chose qui manque à CBC, c’est que, à l’époque où il y avait une émission culturelle, elle participait à une organisation appelée MIPCOM. C’était une organisation réunissant tous les diffuseurs publics à l’échelle du monde, et il y avait des échanges d’émissions à très peu de frais. Nous pouvions les présenter, les réarranger et les produire. C’est la chose à côté de laquelle nous passons complètement. Nous n’avons aucun accès aux autres cultures, et nous ne pouvons pas promouvoir la nôtre. Le nombre d’émissions que nous leur soumettions était impressionnant, particulièrement en musique et dans les arts visuels. Maintenant, nous n’avons aucun accès à cela. Le monde numérique évolue, mais pas nous.

Susan Peterson d’Aquino, membre du conseil d’administration, La Fondation du Centre national des Arts, à titre personnel : La façon d’entremêler la diplomatie culturelle à d’autres formes de diplomatie… Je sais que vous avez entendu des témoins d’Affaires mondiales Canada, ainsi que de Patrimoine canadien. Je suis sûre qu’ils peuvent vous dire que cela fonctionnait mieux avant, dans nos ambassades, même si on a un peu étoffé les choses. Je ne vois aucune autre façon de faire cela, si ce n’est d’y accorder la priorité et de persister. Nous sommes un pays du G7. Nous sommes riches sur le plan économique, comparativement parlant, mais aussi sur le plan culturel. La culture peut et doit être un élément ferme de notre diplomatie.

Vous et moi, nous étions toutes les deux à la cérémonie des Prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle, samedi dernier. L’une des choses qui m’ont frappée, c’est que notre gouverneure générale a parlé du lancement de Voyager 1, il y a 40 ans, soulignant qu’il se trouve maintenant à 12,5 milliards de kilomètres de la Terre et qu’il continue de nous envoyer des signaux. Ce qu’elle n’a pas mentionné, c’est que, dans Voyager 1, il y a le disque d’or, sur lequel sont enregistrés les sons de la Terre. Il existe au cas où une forme de vie extraterrestre le trouverait. On y trouve 27 enregistrements choisis comme étant ce que la civilisation humaine a produit de meilleur en musique. Parmi les 27 enregistrements, il y a celui d’un Canadien, et c’est Glenn Gould, qui joue Bach, ce qui est formidable.

Le Canada doit lui-même mieux connaître ses propres histoires pour pouvoir les relater. Le prix Glenn Gould est certainement un prix international décerné par un jury international dont les membres sont de partout dans le monde. Jessye Norman est le dernier à avoir été honoré. La Fondation Glenn Gould est maintenant prête à faire de ce prix quelque chose de vraiment gros sur la scène internationale — un peu comme le prix Nobel, mais pour les arts.

Il se passe beaucoup de choses. Quelqu’un a dit : « C’est une renaissance. » Les choses de ce genre pourraient vraiment prendre de l’ampleur.

J’aimerais vous raconter une histoire, car je crois qu’il est fascinant de montrer ce qu’une personne peut faire pour les relations internationales, grâce à la culture. Nous parlons des relations entre le Canada et la Russie, qui ne sont pas toujours faciles.

Bob Kaszanits a été le directeur des services du Musée des beaux-arts, pendant un certain temps, dans les années 1990. Cinq œuvres de Picasso ont été volées au Palais Sternberg de Prague. Le gouvernement tchèque lui a demandé de venir et de leur dire comment mieux protéger leurs œuvres d’art. Cela a mené à un appel de l’ambassade de la Russie. On lui a demandé de se rendre au Musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg pour leur dire comment protéger leurs œuvres d’art, non seulement du vol, mais du soleil. Il y a passé 10 ans à moderniser les opérations du musée. Poutine lui a demandé d’y retourner et de poursuivre son travail.

L’effet sur les relations entre le Canada et la Russie a été formidable. Poutine lui a décerné le prix du président pour service distingué, et je crois qu’un seul autre Canadien l’a reçu. Cela pourrait encore avoir des effets positifs sur les relations entre le Canada et la Russie.

C’est un cadeau extraordinaire que le Canada a donné à la Russie. Qu’ont-ils fait en retour? Ils ont prêté de magnifiques œuvres d’art à des musées canadiens. Une personne a vraiment fait connaître le Canada et a contribué aux relations avec la Russie.

Le sénateur Massicotte : Merci à vous tous. C’est pour nous un honneur de vous accueillir, ce matin. Vous avez tous tant fait pour le Canada et pour la culture. Nous vous en sommes éternellement reconnaissants.

C’est peut-être parce que j’ai été dans les affaires, mais j’ai un préjugé selon lequel vous devez définir votre objectif et concevoir un plan, si vous voulez accomplir de grandes choses. Peut-être que ce que je vois, au gouvernement, c’est du saupoudrage d’argent, un peu n’importe où. Je ne pense pas qu’il y ait de plan cohérent. J’ai énormément de difficulté à cerner nos dépenses en matière de diplomatie culturelle.

Je comprends votre approche, messieurs Levine et Garland. Vous dites que si vous nous évaluez en fonction de notre performance, ce n’est pas très bon. Vous avez une solution ou un outil qui pourrait nous aider à y parvenir.

Pourriez-vous commencer par le premier point? Comment avez-vous déterminé que nos résultats ne sont pas bons, par rapport à nos efforts? De nombreux témoins ont dit que s’il s’agit d’aliments ou d’autres produits qui viennent du Canada, bien des gens ont la forte impression que c’est sain ou bon. Notre pain est très bon; nous ne savons peut-être pas pourquoi. Pouvez-vous m’aider à comprendre?

M. Levine : Je vais m’appuyer sur quelques anecdotes, et ce sont des expériences récentes de l’année passée.

Il y a eu des initiatives à l’échelle du monde pour souligner le 150e anniversaire du Canada et le 85e anniversaire de Glenn Gould — dans huit pays —, et notre organisation en a coprésenté, en a présenté en partenariat ou a participé à la réalisation de certaines des activités. Surtout parce que c’était lié au 150e anniversaire du Canada, nous avons constaté qu’il n’y avait presque pas de ressources pour nos présentations à l’étranger mettant le Canada en vedette. Enfin, je crois que les fonds ont été versés après la fête du Canada; Affaires mondiales a ouvert un fonds et les ambassades ont pu demander du financement pour des projets visant à célébrer le 150e anniversaire du Canada. Si j’ai bien compris, il y avait moins de 2 millions de dollars répartis entre nos missions, dont le nombre dépasse les 170.

Au début de 2017, nous avons participé à un projet à La Havane, avec l’une des principales troupes d’artistes au pays. Ils ont présenté au cours de l’année trois spectacles célébrant Glenn Gould et le 150e anniversaire du Canada. Nous avons demandé à l’ambassade si elle pouvait nous fournir du financement pour que nous puissions enregistrer le premier concert sur vidéo, mais elle n’avait pas de fonds pour cela. Je me suis plaint avant le deuxième concert et leur ai demandé s’ils pouvaient faire quelque chose. Après maintes tergiversations, ils nous ont dit que, en jouant un peu avec les catégories, ils pourraient peut-être nous trouver 100 $ pour l’accordage de piano.

L’année dernière, nous avons monté une exposition de photographie d’art, à l’occasion du festival de Verviers, l’un des plus importants festivals de musique et d’art en Europe, où l’argent coule à flots. La Suisse ne manque jamais d’argent. Voilà des endroits où nous voulons nous montrer à notre avantage. J’ai demandé au directeur du festival, un Canadien, s’il avait cherché à obtenir un coup de pouce financier de l’ambassade canadienne.

Il m’a répondu qu’on lui avait offert de lui prêter trois fauteuils Muskoka portant le logo du 150e anniversaire du Canada. Je pourrais vous donner plusieurs autres exemples.

Le sénateur Massicotte : La réponse qu’on me sert est qu’il n’y a pas assez d’argent. Je ne suis pas convaincu que si nous augmentons le saupoudrage nous obtiendrons un résultat ou que nous pourrons le mesurer.

M. Levine : C’est ce que je voulais ensuite dire. Nous en avons parlé plus en détail dans notre mémoire. Il faut une convergence. D’abord, nous avons beaucoup d’objectifs nationaux pour les arts et la culture, d’où l’augmentation du financement accordé au Conseil des arts du Canada. Cependant, ce que nous voulons savoir, c’est comment faire entendre notre message à l’étranger. Avec une dimension diplomatique, il parle d’affaires et de prospérité.

Je voudrais vous amener à au moins réfléchir un peu à l’aspect marketing, plus particulièrement celui de notre pays dans le monde entier. Nous devrions faire comme pour le marketing d’une marque très précieuse — la marque Canada. Nous agissons au hasard des circonstances, quand l’occasion se présente. Comme je l’ai dit, ça n’a rien de planifié, de stratégique ou de convergent, et l’effet est plutôt éphémère. C’est bon pour les artistes et c’est bon aussi pour une foule d’autres motifs, mais l’image de marque de notre pays ne laisse pas de souvenir durable.

Il faut d’abord que le message soit clairement compris, un message qui doit se fonder sur la réaction de nos partenaires internationaux et, parfois, nos rivaux. Il parle de ce qu’ils estiment, sans nécessairement s’adresser aux Canadiens.

Par exemple, le président de la France, qui est ici, a étudié 10 ans pour devenir pianiste classique. Cela ne l’indiffère pas. Nous avons Glenn Gould. Seize millions de Chinois étudient le piano classique. Nous avons Glenn Gould. C’est un exemple complaisant, mais vous voyez où je veux en venir. Comme notre pays n’est peut-être pas un marché effervescent pour le piano classique, on peut supposer que nous ne voudrons pas insister là-dessus à l’étranger, mais nous avons le plus grand des pianistes classiques des 100 dernières années, et aimé dans le monde entier. Insistons sur des messages qu’on entendra à l’étranger. Ensuite, dépensons de façon stratégique et répétons continuellement le message pour qu’il soit retenu.

Le sénateur Massicotte : Étant donné votre expérience, avez-vous des observations sur ce que vous avez vu de l’intérieur et de l’extérieur?

La présidente : Il faut écourter les questions et les réponses, parce que la liste est longue.

Mme Peterson d’Aquino : Dans l’administration publique, la mobilisation pour décider une priorité puis obtenir une action concertée est difficile, mais l’effort en vaut la peine. C’est possible. Il faut connaître la chanson, comme d’autres l’ont dit. C’est possible, mais ce n’est pas facile. Il faut plus qu’un champion pour dire que c’est important, que c’est faisable, qu’on l’accomplira et pour nous inciter à trouver un moyen.

Le sénateur Massicotte : Merci.

La présidente : Nous essayerons d’entendre le maximum de témoins avant le congé d’été. Je vous en supplie, il faut abréger. Encore trois sénateurs veulent poser des questions, et un autre attend le deuxième tour.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie tous pour vos exposés.

Monsieur Garland, vous avez rapidement comparé le Canada à d’autres pays sur le plan de la diplomatie culturelle. Quelles sont les pratiques exemplaires dont nous pourrions nous inspirer? Que pensez-vous du financement de l’État et de certaines de ses initiatives de promotion de la diplomatie culturelle?

M. Garland : Je ne suis peut-être pas aussi compétent que Brian pour répondre. Toutefois, comme il s’agit d’un plan de marketing, pour faire de Culture Canada une marque, je voudrais faire remarquer que, d’après mon expérience et comme le sénateur Massicotte l’a dit, un plan stratégique s’impose et, en s’en tenant à lui, il faut l’exécuter.

C’était plus facile, dans notre secteur de création d’hôtels de luxe dans le monde entier, de hisser un drapeau. La relation entre le Canada et un produit de qualité et de luxe sautait aux yeux. C’est moins évident dans le domaine culturel.

Il faudrait aussi réfléchir à l’artiste dans un sens plus large et à la notion actuelle de réalisation artistique. C’est une question de créativité et d’innovation. C’est ce que notre pays est terriblement désireux de développer. Cela dépasse la technologie, ça embrasse la médecine, la biochimie et beaucoup d’autres secteurs. Si, par les arts et la culture, le Canada se taille une réputation de centre de créativité et d’innovation, je pense que ça nous aidera dans une large gamme de domaines.

Quant à votre question, je ne suis pas sûr de pouvoir y répondre.

M. Levine : Nous citons l’exemple du programme britannique qui, je pense, succédait au programme « Cool Britannia », lancé en 2012 pour changer désormais l’image du Royaume-Uni et les sentiments à son endroit et montrer que c’était le meilleur pays à visiter et où investir, commercer et étudier. Ce programme roule dans 144 pays, grâce à 252 missions diplomatiques et il bénéficiait d’un budget de 113 millions de livres sterling. L’homologue britannique du vérificateur général a estimé qu’il engendrera pour 1,6 milliard de livres par année de profits directs et indirects pour l’économie du Royaume-Uni.

C’est le seul exemple de pratique exemplaire que je vous donnerai, parce que nous avons proposé d’oublier les pratiques exemplaires pour la formulation de cette initiative, qui se fonde sur la créativité, alors que les pratiques exemplaires impliquent adaptation et imitation. Nous devrions créer quelque chose d’entièrement original, à l’image du Canada, imaginer nous-mêmes le plan sans essayer de copier autrui, parce que, sinon, nous sommes sûrs de rester confortablement derrière le peloton de tête.

Je sais que nous adorons tous les pratiques exemplaires, parce qu’elles offrent une sorte de refuge facile, mais le temps est maintenant venu de l’audace, du courage et de l’originalité, un peu comme Glenn Gould.

La sénatrice Ataullahjan : Nous avons un ministre spécial de l’Innovation. Peut-être y a-t-il de l’espoir.

La sénatrice Cordy : Merci à tous les témoins. Vos propos sur la diplomatie culturelle m’emballent. Peut-être vous enverrons-nous autour du monde en messagers du Canada et de sa diplomatie culturelle.

Je pense être restée accrochée à la question du sénateur Massicotte. Je vois le ministère du Patrimoine canadien saupoudrer de l’argent — selon sa belle image — pour que chacun en obtienne un peu, mais sans susciter la collaboration ni la coordination des efforts.

Madame Clarkson, sur l’identité culturelle du Canada, vous avez dit que Glenn Gould passait pour être Américain. C’est le cas de beaucoup d’autres étoiles canadiennes, j’en suis sûre, parce que, malheureusement, beaucoup doivent s’exiler aux États-Unis pour gagner de l’argent. C’est vrai.

Parlons de la marque Canada. Existe-t-elle? Sinon, comment créer une marque?

Monsieur Garland, vous avez parlé du fait d’être dans le secteur privé, d’affaires et de l’élaboration d’une stratégie et d’un plan stratégique. C’est peut-être ce dont la communauté artistique, la culture et les arts ont besoin : un plan stratégique. S’il faut commercialiser les arts au Canada et y mobiliser l’industrie, c’est indispensable.

Au cas où la présidente m’interromprait, je pose tout de suite ma deuxième question.

Cette étude entreprise par la sénatrice Bovey est un bon début. Elle m’ouvre certainement les yeux. J’apprends l’importance de la diplomatie culturelle et comment commercialiser le Canada grâce aux arts. Après avoir entendu tous les témoignages, nous rédigerons un rapport dans lequel nous formulerons des recommandations pour le gouvernement. Il faut abattre les cloisons qui entourent des organismes de l’État comme Affaires mondiales Canada, le ministère du Patrimoine canadien et qui sait quels autres. Comment les faire agir en coordination? Comment créer une marque Canada? Que recommanderiez-vous que nous mettions dans le rapport?

M. Garland : Grande question! Si vous voulez des réponses courtes, je ne suis pas certain que ce sera facile.

Le point commun qui s’applique aux affaires et à la situation est, comme je l’ai répété ce matin, la nécessité d’être constant et de s’appliquer sans relâche. Cela signifie s’adresser à différents gouvernements, s’adapter à différentes politiques et aux différentes époques économiques. Il faut un plan de base. Même s’il peut devoir être révisé de temps à autre, il faut se focaliser sur la création de connaissances et sur une industrie créatrice qui est identifiée au Canada.

Je ne sais pas exactement à quoi ça ressemble. Le message de base, d’après moi, serait que le gouvernement doit s’en faire une priorité et le considérer comme s’il envoyait des navires spatiaux vers la lune et comme s’il créait un système fondamental. Les artistes et la communauté artistique et culturelle tiennent à y participer.

La Fondation Glenn Gould est là. Nous existons et nous fonctionnons année après année.

Les artistes sont là. Voyez ce que la compagnie théâtrale Soulpepper a fait à New York, l’été dernier. Nous n’avions presque pas de financement. J’en faisais partie. Nous avons trouvé des capitaux pour le faire nous-mêmes.

Il doit bien exister un moyen.

Mme Peterson d’Aquino : Je lis le témoignage de Jeremy Kinsman. Vous avez entendu beaucoup de témoins. Je l’ai trouvé intéressant. Il disait que des gens connaissent le monde artistique avec qui ils entretiennent des relations, tandis que vous avez, à l’étranger, des agents des Affaires étrangères, ce qu’eux n’ont pas. Il faut apparier les deux.

Si nous discutons de diplomatie culturelle, pour nous en servir à l’étranger, ce qui est bien son rôle, les ambassades à l’étranger doivent s’y connaître et agir comme catalyseurs. Il faut des entremetteurs au courant de l’actualité canadienne.

Il y a tellement d’ambassades dans le monde qu’on ne peut pas le faire partout. Il faut, en élaborant un plan, se donner des priorités et bien les motiver. Le hasard finit toujours par bien faire les choses en certains endroits. Il faut alors sur place, dans les ambassades, des esprits agiles, armés de budgets et capables de faire aboutir les projets.

Il faudra positionner nos ambassades à l’étranger pour qu’elles puissent profiter des occasions que des tiers porteront à leur attention et, ensuite, il faudra qu’elles parviennent à bien connaître le domaine de leur ressort pour prendre elles-mêmes des initiatives.

Mme Clarkson : Puis-je intervenir un moment et répondre?

La présidente : Très rapidement. Nous avons deux autres intervenants.

Mme Clarkson : Je ne crois pas que ça puisse se faire uniquement par les ambassades ou par un groupe particulier qui veut faire bouger certaines choses. Le gouvernement doit essayer de nous promotionner et en faire la marque. Et le faire pour que les Canadiens comprennent que c’est eux qu’on promotionne à l’étranger et pour qu’on nous reconnaisse d’une façon différente et surprenante. Cela passe directement par nos films touristiques et tout le reste.

Quand j’étais agente générale de l’Ontario, nous produisions des films qui montraient des lacs magnifiques. J’ai demandé : « Pourquoi personne ne s’y baigne? » Réponse : parce que personne, à l’étranger, ne pense que nous le faisons, l’eau est trop froide ». Ma réponse : « Vous êtes censés nous débarrasser de ça; montrez des gens qui sautent à l’eau. Vous êtes censés casser notre image ». Comme Brian l’a dit, les Britanniques n’ont pas de système fédéral et ils peuvent faire une chose à un certain moment, mais l’idée de « Cool Britannia » n’éveille-t-elle pas celle du « Canada cool ». Nous sommes très cool. C’est maintenant le moment propice de manifester notre culture, notre bilinguisme, notre esprit créatif, tout ça dans le monde entier. Jamais encore l’occasion n’a été si belle d’y rayonner.

[Français]

M. Théberge : Il est étrange que l’on parle d’une culture canadienne alors qu’un artiste métis de la rivière Rouge, un artiste acadien et un artiste anglophone de Toronto ne seront pas présentés comme produit culturel de la même façon. Quand Gillette lance un nouveau rasoir, il va étudier le marché où ce produit sera adapté. On proposerait de développer un groupe de réflexion qui réunirait une multitude d’intervenants, que ce soit des artistes, des jeunes ou de nouveaux arrivants. Il s’agirait d’une panoplie représentative de la communauté canadienne qui pourrait, elle, développer une ou des stratégies de promotion de nos artistes et de nos produits culturels, et qui seraient adaptés au marché vers lequel ces produits seront vendus. Il faut arrêter, comme vous l’avez dit, de saupoudrer du financement partout et d’avoir des stratégies ciblées selon les produits et les marchés.

La sénatrice Saint-Germain : Ma question s’adresse à Mme Morin et à M. Théberge. Nous sommes vraiment en convergence de vues. En fait, Brand Canada, en français, c’est la Marque Canada, c’est Enseigne Canada, et c’est aussi Label Canada. Depuis le début de nos travaux, je constate que la langue et les cultures francophones du Canada sont les enfants pauvres de la diplomatie culturelle canadienne. Les enfants pauvres parce que, trop souvent, ils sont confinés à la francophonie internationale.

Je pense qu’il faut de plus en plus miser gros sur le marché international. Il faut consacrer les énergies et les efforts à ce qui est porteur, à ce qui nous permettra de rayonner lors des grands événements internationaux qui sont, de toute façon, multilingues. En ce sens, il faut absolument que la diplomatie canadienne soit davantage ouverte aux langues et aux cultures spécifiques au Canada. Nous sommes dans un contexte multiculturel. Cela nous permettrait de percer davantage le marché mondial.

Il faudrait émettre des recommandations au ministère des Affaires mondiales. Vous avez parlé d’un groupe de réflexion, vous avez devancé la réponse. J’aimerais entendre vos commentaires en ce qui concerne d’autres pistes de réflexion.

[Traduction]

De même, nos collègues anglophones et la très honorable Adrienne Clarkson ont des méthodes pragmatiques pour collaborer avec tous les artistes canadiens qui ont du succès dans le monde entier, pour créer une véritable marque Canada, qui serait multiculturelle et qui s’appliquerait à tous les Canadiens.

[Français]

M. Théberge : Comme je l’ai mentionné, une marque pour tout le Canada me semble à la base un peu étrange, mais je crois qu’on pourrait développer plusieurs stratégies.

Il y a effectivement des artistes, comme Joseph Edgar, qui se produisent en République tchèque. Il y a le groupe BAM qui se produit en Asie. Ça existe déjà.

Il y a aussi quelques exemples au Canada qui sont ciblés et qui réussissent assez bien selon leurs moyens, et sur lesquels on pourrait se baser. Je pense ici à la Stratégie de promotion des artistes acadiens sur la scène internationale (SPAASI). Je pense aussi à l’Initiative de promotion de l’industrie musicale francophone de l’Ontario (IPIMFO). Ce sont deux exemples sur lesquels on pourrait se baser pour les artistes de la francophonie canadienne.

Il en existe sûrement au Québec et dans le marché anglophone du Canada, mais je pense qu’il faudrait créer un groupe de réflexion et mettre en œuvre des stratégies ciblées selon les marchés. Ne regardons pas seulement ce que l’artiste a à offrir, mais regardons ce que les marchés aiment, ce qu’ils apprécient. Faisons une étude de marché pour trouver le produit culturel canadien qui sera adapté à ce marché.

Je pense que l’idée du groupe de réflexion nous permettrait de ratisser large et de développer quelque chose de concret assez rapidement pour avoir le meilleur impact. On pourrait commencer ainsi.

[Traduction]

La présidente : Je ne poserai pas de questions, faute de temps. Je ferai une observation à la fin et je donnerai à la sénatrice Bovey et au sénateur Massicotte la chance de poser une question, et peut-être pourront nous avoir de courtes réponses. Je ne veux pas faire cesser le dialogue. C’est un dialogue fécond.

Je vous donne tous un devoir à faire à la maison. Les idées que vous commencez à développer pour nous sont très importantes. J’espère que nous poursuivrons le dialogue, d’abord par des mémoires supplémentaires, et peut-être qu’une réunion, après que nous aurons entendu plus de témoins, serait très utile.

Pouvons-nous entendre les questions de nos deux collègues?

La sénatrice Bovey : Nous avons passé une soirée mémorable, l’autre jour, avec Angela Hewitt, qui jouait du Bach et qui a invité un jeune danseur de rue à faire son numéro avec elle. C’est un merveilleux jeune Canadien qui vit à Londres et qui a canadianisé une forme d’art. Ne limitons pas la discussion à la seule marque. Élargissons-en la notion à une forme multigénérationnelle, pour abattre les cloisons; que ce soit vraiment une marque pour nous tous ensemble.

Ce qui m’amène à ma question, à laquelle on répond par oui ou non. Je réagis avec beaucoup de fierté quand nos artistes reçoivent des fonds d’autres pays pour se produire ou y exposer leurs œuvres. Je réagis aussi avec beaucoup de tristesse quand notre pays ne les finance pas. Réagissez-vous comme moi ou suis-je très égoïste pour les artistes canadiens?

[Français]

Le sénateur Massicotte : Pour faire suite à vos propos, monsieur Théberge, lorsqu’on conçoit une marque de commerce, on conçoit une image. Il faut toutefois s’assurer d’être cohérent avec cette image, sinon on en détruit la valeur.

Je n’ai aucune difficulté avec votre suggestion d’avoir différents artistes, mais qu’est-ce qui laisse croire qu’on aura différentes marques de commerce selon le pays ou l’artiste? J’ai de la difficulté avec cela parce que ce n’est pas cohérent avec l’image que l’on doit renforcer.

[Traduction]

La présidente : Qui veut répondre à la première question de la sénatrice Bovey?

M. Garland : Vous voulez un oui ou un non. C’est oui.

M. Levine : Oui.

M. Garland : Oui et oui.

[Français]

Mme Clarkson : Puis-je répondre à la sénatrice Bovey?

[Traduction]

La présidente : Oui, rapidement.

[Français]

Mme Clarkson : Je ne sais pas de quoi vous parlez. Votre question concerne-t-elle les artistes qui gagnent de l’argent et que nous ne payons pas? C’est-à-dire qu’ils font quelque chose dans un autre pays, et que c’est là où ils gagnent leur argent. Je n’ai pas très bien compris la question ou le constat.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Votre Excellence, je parle vraiment d’Ed Burtynsky. Il a été merveilleusement récompensé, mais c’est le gouvernement britannique qui l’y a aidé et qui l’a proposé. Je m’inquiète du nombre de jeunes artistes qui débutent sur la scène internationale sans l’appui du Canada, mais qui obtiennent du conseil britannique, du gouvernement français ou japonais ou allemand le tremplin financier qui leur permet de participer aux festivals et de présenter leur travail.

C’est agréable de constater la reconnaissance qui provient de l’étranger. Je voudrais que notre pays les appuie aussi.

Mme Clarkson : Ce serait très bien. Je pense que les artistes veulent toujours être rémunérés pour leur travail, peu importe d’où vient l’argent. Bien sûr, si c’est de l’argent propre, c’est parfait.

La présidente : Voilà qui semble une déclaration bien de son temps : « de l’argent propre ». Merci bien.

Comme vous pouvez le constater, nous avons amorcé un dialogue que nous aimerions bien pouvoir poursuivre. Tout cela est extrêmement utile. J’espère qu’il y aura un suivi à certains de nos échanges.

Je note par ailleurs que l’on semble, à bien des égards, avoir mieux réussi à unifier le Canada dans les sports que dans les arts et la culture. C’est l’un des dilemmes que nous avons. Notre pays est si vaste et si diversifié que nous devons apprendre à nous connaître les uns les autres pour pouvoir faire ensuite étalage de cette diversité. Dans les différents secteurs artistiques et culturels, chacun devrait pouvoir faire la promotion des produits des autres. J’utilise le terme « produit », ce qui témoigne bien de la grande influence qu’exerce sur moi le sénateur Massicotte.

Je tiens à remercier tous nos témoins. Je me fais le porte-parole des sénateurs en vous disant que nous souhaitons pouvoir continuer ce dialogue. Nous sommes honorés et très reconnaissants d’avoir pu bénéficier aujourd’hui de vos connaissances et de votre expertise.

Le Sénat a autorisé notre comité à étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie de notre pays en même temps que d’autres questions connexes. Nous sommes censés maintenant accueillir deux témoins, mais nous avons des difficultés techniques. Je crois que Mme Charron peut nous entendre, mais que nous ne l’entendons pas. À moins que ce soit l’inverse. On va essayer de réparer le tout. Nous allons débuter avec notre autre témoin dans un instant. Je profite de l’occasion — en espérant que les techniciens puissent se mettre au travail — pour vous faire part d’une requête de la vice-première ministre de l’Ukraine qui souhaite rencontrer, avec sa délégation, notre comité et celui des affaires étrangères à la Chambre. Il a été déterminé qu’il nous était impossible de le faire, car nous ne siégeons pas les lundis et les mardis. Les deux Comités des affaires étrangères, celui de la Chambre et le nôtre, vont donc se réunir de façon informelle pour le déjeuner afin de rencontrer la délégation ukrainienne. Ce sera le mardi 12 juin de 8 h 30 à 10 heures à la salle 325 de l’édifice Wellington. Vous recevrez un avis à ce sujet cet après-midi.

La vice-première ministre ukrainienne est en charge de l’intégration de son pays à l’Union européenne. Elle s’occupait auparavant de l’OTAN. Je crois que la sénatrice Cordy la connaît. Il s’agit d’Ivana Klympush-Tsintsadze. Ce sera une rencontre fort intéressante pour laquelle elle sera accompagnée d’une délégation de représentants de tous les partis. Si vous n’avez pas d’engagement au sein de comités ou par ailleurs, je pense que ce serait une bonne chose que vous participiez à ce déjeuner qui se tiendra de 8 h 30 à 10 heures.

Je constate que les techniciens ne sont pas revenus. Je vais donc céder la parole sans plus tarder à Aldo Mazza, fondateur et directeur artistique de KoSA Music. Bienvenue à notre comité. Nous vous demandons de nous présenter un bref exposé, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs. Nous espérons pouvoir permettre à Mme Charron d’intervenir dès que possible. Bienvenue au comité, monsieur Mazza.

[Français]

Aldo Mazza, fondateur et directeur artistique, KoSA Music : Merci beaucoup et bonjour.

[Traduction]

Mesdames et messieurs les sénateurs, j’ai eu le grand privilège de faire carrière pendant plus de 40 ans dans le milieu artistique en tant que musicien professionnel, auteur, formateur, compositeur, producteur, promoteur et homme d’affaires prospère à l’échelle internationale. Je suis très passionné par tout ce que je fais, surtout lorsqu’il y a un lien avec mon amour pour la musique et les arts.

Je suis arrivé au Canada à titre d’immigrant italien à l’âge de neuf ans. J’ai tout de suite aimé ce formidable pays et la grande diversité des gens et des talents qu’on y trouve. C’est la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui. Le Canada a tellement à offrir au reste du monde. Nous avons besoin d’une politique culturelle solide et dynamique pour permettre au Canada de prendre la place qui lui revient sur la scène internationale.

La culture n’est pas seulement bénéfique pour nos esprits et notre bien-être. Comme de nombreuses études l’ont révélé, c’est aussi un important moteur économique. En investissant dans notre secteur culturel sur la scène internationale, nous rehaussons l’image de marque du Canada sur tous les marchés de la planète. En outre, les perceptions à l’égard du Canada s’en trouvent améliorées. C’est aussi ce que démontre parfaitement mon expérience personnelle avec Répercussion, un groupe de percussionnistes de grande renommée qui a parcouru la planète au fil d’une carrière de 45 ans en représentant le Canada avec le soutien du ministère des Affaires étrangères. Je me souviens encore très bien des commentaires stupéfaits entendus à la suite de notre premier spectacle à Beijing en 1987 lorsque les gens se sont rendu compte que le Canada avait une culture des plus raffinée. À Mexico, des dignitaires qui tenaient une réception à notre intention après un concert nous ont dit bien franchement à quel point ils étaient surpris de découvrir que le Canada n’était pas seulement un pays avec de vastes forêts, du pétrole et des minéraux. Le Canada regorge aussi en effet d’artistes de pointe de grand talent. Nous sommes ravis d’avoir pu représenter le Canada de cette manière, et nous comprenons bien à quel point il est important de changer les perceptions du reste de la planète.

Il y a 23 ans, j’ai fondé KoSA Music en compagnie de Jolan Kovacs, mon épouse, qui est musicienne. Nous avons depuis organisé des camps musicaux, des festivals et des événements au Canada, aux États-Unis, à Cuba, en Europe, en Chine et un peu partout sur la planète. J’ai également publié un guide qui a été réimprimé et qui est distribué à l’échelle internationale. Il a été publié en espagnol pour le marché cubain et vient tout juste d’être traduit en chinois. En plus de générer des recettes, notre organisation construit des ponts entre le Canada et le reste du monde.

Malgré le succès de notre entreprise dans le monde musical, j’ai constaté et ressenti l’érosion et la mort lente de la présence culturelle du Canada à l’étranger au cours des deux dernières décennies. La situation s’est malheureusement détériorée depuis le début des années 1990 alors que plusieurs gouvernements fédéraux se sont succédé sans sembler saisir le lien entre économie et arts. Ils ne voyaient pas en quoi l’amélioration des perceptions à l’égard de notre pays pouvait avoir un impact significatif sur l’activité économique du Canada dans une perspective mondiale.

Je dois mentionner qu’avant 1971, les œuvres des musiciens canadiens n’étaient pas diffusées sur les ondes des stations de radio du pays. J’en ai moi-même souffert directement. On a finalement mis un terme à cette absurdité en 1971 lorsque le gouvernement Trudeau a créé le CRTC tout en mettant en œuvre sa politique sur le contenu canadien. Celle-ci exigeait que 25 p. 100 du contenu diffusé en ondes soit canadien. Conséquence directe de cette mesure, le Canada se situe maintenant parmi les plus grands producteurs mondiaux de musique. Nous représentons des légendes comme le regretté Leonard Cohen, Drake, Céline Dion, Rush et Arcade Fire pour n’en nommer que quelques-unes. Même lors de cérémonies comme les American Music Awards et la remise des prix Grammy, les artistes canadiens ont été à l’honneur cette année plus que jamais auparavant. Dans le domaine de la musique pop, trois des cinq artistes qui ont obtenu le plus d’écoutes en 2016 sur les sites de diffusion en continu ont été Drake, Justin Bieber et The Weeknd, tous des Canadiens. Nous avons pu atteindre cette position enviable dans le monde parce que le gouvernement a mis en place une politique ambitieuse, sérieuse et suffisamment financée. Les retombées économiques de cette politique sont incommensurables.

Voici mes principales recommandations à l’intention du gouvernement actuel en vue d’améliorer la promotion des arts et de la culture dans le cadre de la politique étrangère canadienne. Premièrement, il faut reconnaître que nos arts et notre culture ont une valeur tangible sur la scène internationale. On pourrait établir à cette fin au sein du ministère des Affaires mondiales à Ottawa une instance capable de financer et de coordonner les tournées des artistes canadiens à l’étranger.

Deuxièmement, chaque ambassade située dans un marché important devrait avoir, comme par le passé, un attaché culturel pouvant s’occuper des artistes canadiens en ayant à sa disposition toutes les ressources et l’expertise nécessaires. Cet attaché culturel aurait pour mandat de faire le lien entre l’artiste en tournée et la communauté locale afin de contribuer à mousser l’image du Canada.

Troisièmement, il faut que le gouvernement reconnaisse que la culture et les arts occupent une place de premier plan dans notre société et fasse comprendre à chacun qu’ils devraient être valorisés au même titre que la santé et l’éducation. Comme la culture et les arts sont tout aussi fondamentaux pour le bien commun, ils devraient obtenir un soutien similaire de la part du gouvernement.

Quatrièmement, il y a de sérieuses lacunes à corriger au sein de notre univers médiatique. Des ressources supplémentaires devraient être octroyées à CBC/Radio-Canada de telle sorte que nous puissions être mieux au courant de ce que les Canadiens accomplissent à l’étranger. La société d’État devrait avoir des contacts avec nos différentes ambassades pour que nos réalisations sur la scène mondiale n’échappent à personne, aussi bien au Canada qu’ailleurs sur la planète.

Je me réjouis de constater que le gouvernement actuel s’emploie à établir une nouvelle politique culturelle pour le Canada sur le plan international. Les arts ont un effet rassembleur et la musique est une langue universelle.

La culture est un important moteur économique et l’investissement dans les arts à l’échelle internationale est non seulement une nécessité du point de vue économique, mais aussi une façon de nous faire connaître de par le monde. Certains de nos artistes les plus renommés comme Leonard Cohen, Glenn Gould, Oscar Peterson, l’Orchestre symphonique de Montréal et Diana Krall, ont contribué à changer les perceptions internationales à l’égard du Canada et, du même coup, notre pouvoir de négociation et nos relations avec d’autres pays sur les plans académique et commercial.

La présidente : Merci. Je vous signale, en même temps qu’à notre autre témoin, que les sénateurs ont reçu des renseignements biographiques à votre sujet. Je ne parle donc pas de vos antécédents afin de conserver le plus de temps possible pour nos échanges.

Je vais maintenant céder la parole à Esther Charron, cofondatrice et présidente de la société Pôles magnétiques, art et culture. Elle nous parle depuis Québec, en espérant que la vidéoconférence tienne le coup. Bienvenue à vous.

[Français]

Esther Charron, cofondatrice et présidente, Pôles magnétiques, art et culture : Honorables sénateurs et sénatrices, bonjour. Je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner devant vous sur l’impact des arts et de la culture sur la diplomatie et la politique étrangère canadienne.

Je suis musicienne et pianiste. J’ai été fonctionnaire et diplomate en tant qu’attachée culturelle pour la délégation générale du Québec à New York, puis en tant que conseillère au sein du ministère des Relations internationales du Québec. Je suis gestionnaire culturelle et entrepreneure. J’ai fondé Pôles magnétiques, art et culture en 2005 avec mon partenaire, Bernard Gilbert. Depuis, nous avons réalisé des centaines de mandats en gestion, en direction de productions, en développement de marchés internationaux ainsi que des études de tout genre qui partagent un lien commun, celui des arts et de la scène.

J’ai passé l’essentiel de ma vie entre Québec et New York. J’ai acquis, au fil des ans, une compréhension profonde du marché international des arts, de la place et du rôle de chacun de ces acteurs, de la négociation de partenariats internationaux gagnants, le tout basé sur une expérience diversifiée et une vision à 360 degrés.

Ma présentation s’attardera sur les points suivants : nommer les aspects positifs liés à l’exportation de notre culture et à la mobilité des artistes en général dans une perspective d’intérêt diplomatique; identifier quelques faiblesses du système et des structures nationales et internationales; et donner quelques pistes de solutions réalistes et porteuses.

Les tournées de spectacles d’artistes, d’expositions et autres projets culturels internationaux engendrent de nombreuses retombées positives pour un gouvernement. Les œuvres artistiques intègrent, consciemment ou inconsciemment, des valeurs et des éléments identitaires de ce que nous sommes. Parmi ceux-ci, on retrouve l’ouverture d’esprit, la diversité, la créativité, la beauté, la relation au territoire, la liberté d’expression et la démocratie. La sophistication et l’avant-gardisme, souvent présents dans les œuvres canadiennes, font preuve d’audace, de leadership et d’un grand savoir-faire qui suscitent l’admiration de tout le monde. Cet esprit de créativité et de leadership se retrouve aussi dans les collaborations internationales, dans nos politiques étrangères et dans nos programmes de subvention aux arts.

Les artistes sont des ambassadeurs de premier plan. Sensibles, articulés, engagés et curieux, ils voyagent, découvrent, discutent, prennent la parole, enseignent, apprennent, collaborent, partagent, et reviennent enrichis de nouveaux savoirs et de nouvelles rencontres. Ils sont une source d’inspiration. Ils influencent le milieu.

La couverture médiatique de nos artistes présents sur la scène internationale est considérable et surtout positive. À titre d’exemple, le dépôt de la publication de toutes les coupures de presse dithyrambiques méritées par les artistes québécois sur le territoire de la délégation générale du Québec à New York est un des éléments qui a motivé le premier ministre d’alors à souhaiter la tenue d’une saison du Québec à New York en 2001.

On ne le dira jamais assez : le secteur culturel est un secteur économique important. En 2016, il était évalué à 53,8 milliards de dollars et représentait 2,8 p. 100 du PIB. Paradoxalement, le marché canadien est aussi petit que le territoire est vaste. Pour prolonger la durée de vie d’une œuvre, pour faire travailler les équipes plus longtemps et pour rentabiliser les investissements, les artistes doivent se tourner vers les marchés extérieurs.

Le succès est payant. Les cachets sont versés en devises étrangères qui sont réinvesties dans notre économie. Pour les compagnies de tournées les plus importantes, la part du revenu provenant de leurs activités internationales dépasse souvent les 80 p. 100. Ex Machina, par exemple, tire 80 p. 100 de ses revenus à l’étranger, mais dépense 80 p. 100 de ses budgets au Québec.

La notoriété internationale peut attirer des investissements majeurs dans des projets locaux. À titre d’exemple, un important homme d’affaires japonais a investi un million de dollars dans la construction du théâtre Le Diamant à Québec.

Réussir à se positionner favorablement sur l’échiquier international des arts et de la culture n’est pas de tout repos. L’offre est beaucoup plus importante que la demande. Il faut du talent, mais aussi du temps, des équipes, des ressources, de la détermination, du doigté et de l’aide.

Bien qu’on puisse facilement comprendre la tentation de s’associer à des noms déjà établis, comme le Cirque du Soleil, Céline Dion et ceux que M. Mazza a mentionnés plus tôt, rappelons-nous que les vedettes ne viennent pas au monde du jour au lendemain. Il y a beaucoup à gagner à avoir le flair et le courage d’accompagner des talents promoteurs qui, eux, ont un réel besoin d’encouragement.

J’aimerais attirer votre attention sur les faiblesses de notre système. Sous le gouvernement précédent, les travailleurs culturels qui misaient sur l’exportation ont énormément souffert de l’absence, dans la politique étrangère du Canada, de vision, de stratégies et de moyens pour soutenir leur travail. Plus concrètement, ils ont déploré l’abolition des postes de conseillers et d’attachés culturels dans les consulats et ambassades canadiennes.

La compétition existe aussi en diplomatie. Alors que le Canada démontrait au monde entier son manque d’intérêt pour sa culture en supprimant ses postes et ses programmes de soutien en faveur des tournées, les autres pays comblaient le vide en mettant en place des moyens de promotion d’autant plus efficaces pour mettre de l’avant leur propre culture. Les artistes en ont souffert, de même que le milieu et le Canada. Il faut reconstruire, et ce n’est pas mission impossible.

Le métier d’agent manque cruellement de reconnaissance et de soutien. Ils sont peu nombreux à exercer ce métier et la relève se fait rare. Or, ces entrepreneurs sont des porte-parole passionnés et d’importants créateurs d’emplois. Les exigences de certains pays, en matière de permis de travail, de charges sociales et de fiscalité, peuvent être lourdes et complexes. Les efforts pour soutenir l’accueil d’acheteurs étrangers au Canada sont insuffisants. Or, il est payant de recevoir des directeurs de salles de spectacles ou de festivals, des directeurs artistiques et des commissaires. Lorsqu’ils viennent au Canada à l’occasion d’un festival ou d’un marché, ils rencontrent plusieurs créateurs, ils voient et achètent de nombreux spectacles. Ils observent aussi notre système, entendent notre vocabulaire, savourent notre gastronomie, vivent notre quotidien et, surtout, ils en parlent aux leurs lorsqu’ils sont de retour dans leur pays.

De manière très générale, je recommanderais que soit mise en place une stratégie de diplomatie culturelle dont le principal élément serait l’engagement d’attachés et de conseillers culturels qui auraient pour mandat de travailler en complémentarité et en toute complicité avec les structures existantes, comme Patrimoine canadien, le Conseil des arts du Canada, les délégations du Québec, les associations professionnelles, les institutions et les compagnies, pour faire rayonner et prospérer la culture canadienne.

Les services offerts par ces équipes culturelles pourraient être, sans se limiter à ce qui suit, la mise en place de mesures cohérentes, utiles et efficaces (promotion, relations publiques, relations de presse, missions d’acheteurs, plateformes numériques, et cetera). Des services-conseil territoriaux pour les artistes, les producteurs et leurs partenaires pourraient comprendre un travail de veille et d’orientation de base sur les permis de travail et la fiscalité. On pourrait apporter un soutien diplomatique lorsque surviennent des problèmes liés aux tournées, tel que le passage aux frontières, le non-respect des droits d’auteur, comme on le vit en Chine, et le dédale des charges sociales et fiscales pour les artistes de la chanson en France. De plus, un ressourcement régulier de ces employés devrait être encouragé par le biais d’un programme de rencontres et de formation annuelles au Canada.

Les attachés et conseillers culturels occupent des postes clés lorsque vient le temps de bâtir et d’entretenir un réseau de contacts spécialisé sur un territoire donné. Armés d’une vision, de compétences, de connaissances et de budgets adéquats, ils peuvent devenir de véritables liens économiques, culturels et diplomatiques pour toutes les raisons élaborées plus haut.

Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Merci à nos témoins. C’est vraiment merveilleux. Je tiens à vous remercier tous les deux pour vos efforts de mise en valeur de notre culture qui ont permis au Canada de se distinguer sur la scène internationale.

Je constate que nos activités culturelles prennent de l’ampleur en Chine et à Cuba notamment. KoSA a, entre autres, tenu un événement annuel très réussi en Chine en 2015. Pouvez-vous nous parler de vos autres initiatives internationales?

M. Mazzo : Il y en a toute une liste. Je fais partie de ces gens infatigables qui se font toujours demander comment ils arrivent à en faire autant. Si je crois en quelque chose que j’aime et qui me passionne, je vais le faire jusqu’au bout. Auparavant, le gouvernement canadien appuyait nos efforts en ce sens, mais ce soutien s’est soudainement volatilisé.

Heureusement, le gouvernement du Québec répond toujours présent, et nous bénéficions de sa politique culturelle, qui est tout simplement phénoménale. J’ai eu le plaisir de travailler avec Mme Charron lorsqu’elle était en poste à New York. La délégation du Québec dans cette ville a d’ailleurs récemment joué un grand rôle dans le lancement de mon livre alors que la présence du Canada était en quelque sorte assurée par téléphone.

Nous avons donc mis en place différents programmes à Cuba et en Chine également. J’ai visité ce pays pour la première fois en 1987. J’y suis retourné à plusieurs reprises avec mon groupe. C’est ainsi qu’il y a neuf ans, une organisation appelée NINE BEATS a communiqué avec moi. Il s’agit d’écoles privées bénéficiant du financement de l’État suivant une formule qui s’apparente aux franchises. À ce moment-là, soit il y a neuf ans à peine, il y avait 40 écoles. On en compte aujourd’hui 850. Ils nous ont contactés parce qu’ils voyaient ce que nous faisions avec nos programmes et ont pensé que nous pourrions être leur fenêtre vers l’Occident en raison des méthodes que nous utilisions et de notre capacité à faire rayonner les arts sur la scène mondiale. Eux aussi ont été surpris d’apprendre que nous étions Canadiens, car ils pensaient que nous venions de New York ou de Los Angeles. C’est ainsi que l’aventure a commencé.

J’ai donc conçu un programme pour les aider à se tourner vers l’Occident. On peut presque dire que les Chinois ont maintenant la mainmise totale pour ce qui est du classique, mais ils veulent étendre ça aux autres secteurs, ce qui est une bonne chose.

Nous les avons ainsi aidés relativement au contenu, à l’éducation et aux performances. Nous avons commencé à organiser en Chine des événements, des camps et des festivals. Il y a maintenant une compétition internationale qui se tient à Tianjin et Beijing ainsi qu’à Shanghai. Elle a débuté il y a huit ans.

Celui dont vous parliez fait partie des événements annuels que nous tenons. Mon livre va donc être publié en chinois. Sans vouloir être négatif, j’aurais un commentaire à ce sujet. Chaque année, j’avais l’habitude de me rendre à l’ambassade chinoise pour y rencontrer M. Ning qui était l’attaché culturel. Nous avions à chaque fois des échanges intéressants. Je le tenais au courant de toutes les formidables activités que nous avions tenues depuis l’année précédente. C’est alors que l’on m’a demandé si j’aimerais que mon livre soit publié là-bas. Imaginez, il y avait 850 écoles uniquement dans ce réseau-là, et on comptait sans doute un millier de réseaux semblables. Avoir la possibilité de faire valoir ainsi la culture canadienne dans un pays comme la Chine, c’est tout simplement gigantesque. Comme nous le savons tous, c’est la force du nombre.

Étant donné qu’en Chine il faut avoir un collaborateur local pour pouvoir publier, j’ai demandé à M. Ning s’il pouvait m’aider. Après de nombreux échanges de courriels, rien ne s’était encore passé. Je vous parle de neuf années de tractation. Ils ont essayé de le faire, mais ils ne disposaient pas des ressources nécessaires et il n’y avait pas de politique en vigueur. Je ne suis bien sûr pas en train de le dénigrer.

Nous l’avons bien sûr fait nous-mêmes. Nous avons trouvé quelqu’un d’autre sur place. Le livre sera publié cette année, mais imaginez tout ce que nous pourrions réaliser s’il y avait un effort concerté dans le cadre d’un système où chacun sait ce que l’autre fait, ce qui rend possibles les initiatives bilatérales.

Le sénateur Oh : Avez-vous participé à la mission commerciale des industries créatives canadiennes en Chine?

M. Mazzo : Non. J’ai toutefois été invité à le faire, et les initiatives semblables ne peuvent être que bénéfiques pour nous. J’ai également pris connaissance de ce qu’ont dit les autres témoins. Je pense que notre discours est à peu près le même. Nous avons besoin de cette politique.

J’aurais cependant une mise en garde à faire à ce sujet. Comme le Canada est une véritable mosaïque culturelle, on ne peut bien sûr pas en présenter une image unique. C’est un peu comme parler de musique cubaine alors qu’il existe de nombreux styles musicaux dans ce pays. On y trouve de nombreuses variantes avec des rythmes bien différents.

Au Canada, nous avons les Autochtones, ce qui est merveilleux, les francophones et différentes régions comme Terre-Neuve qui ont chacune leurs particularités.

J’ai déjà organisé un événement pour les célébrations du 1er juillet sur la Colline du Parlement. Sous le thème de la mosaïque canadienne, j’ai invité des groupes de différentes régions du pays à participer au spectacle. En utilisant les percussions pour faire le lien entre les différents artistes, j’ai coordonné le tout de manière à ce que les groupes représentant les différentes cultures partagent la scène. À l’intérieur d’une trame commune, chacun faisait étalage de ses talents pour nous donner en fin de compte une image globale de la réalité canadienne.

Selon moi, c’est l’approche que nous devrions adopter. Il est primordial de parvenir à communiquer entre nous et à coordonner nos efforts en pouvant compter sur des gens qui s’y connaissent dans chacun de ces marchés.

La présidente : Je vais céder la parole à la sénatrice Bovey, qui va poser les prochaines questions, après quoi vous verrez quelqu’un de différent dans le fauteuil. J’y serai remplacée très avantageusement par le sénateur Dawson, car la sénatrice Cools et moi avons été convoquées à une réunion urgente d’un autre comité qui doit présenter son rapport au Sénat. J’aurai certes l’occasion de prendre connaissance de la suite de nos délibérations.

J’invite donc la sénatrice Bovey à poser ses questions et le sénateur Dawson à prendre le relais.

Le sénateur Dennis Dawson (président suppléant) occupe le fauteuil.

La sénatrice Bovey : Madame Charron, j’ai beaucoup aimé vous entendre dire que les artistes sont des ambassadeurs de premier plan. Vous avez parlé tous les deux d’érosion, de mort lente et de souffrance. Je reviens à la question que j’ai posée aux témoins précédents. Nos merveilleux artistes se distinguent à l’étranger, mais est-ce que quelqu’un sait vraiment qu’ils sont Canadiens?

Vous avez souligné tous les deux la nécessité de réinstaurer le soutien offert par les attachés culturels. D’autres témoins nous ont indiqué qu’il fallait effectivement renouveler ce soutien, mais pas nécessairement par l’entremise d’attachés culturels. À la lumière de votre expérience sur la scène internationale, pouvez-vous nous dire si c’est la solution qui convient dans tous les cas? Serait-il bénéfique pour le Canada d’avoir un attaché culturel dans certains pays? Est-ce qu’il y a une structure différente qui pourrait donner de meilleurs résultats ailleurs dans le monde? Vous avez travaillé dans différents pays. Je me demande simplement si nous devons appliquer une solution unique partout dans le monde ou s’il est préférable de prévoir une plus grande marge de manœuvre pour obtenir de meilleurs résultats.

[Français]

Mme Charron : Votre question est nuancée, et c’est une excellente idée. Les postes d’attaché culturel sont ni plus ni moins des postes de spécialiste de marketing pour un pays en particulier. Or, les experts en marketing vous diraient qu’ils ne vont pas utiliser la même stratégie pour tous les marchés. C’est tout de même une ressource qui est très importante lorsqu’ils sont recrutés localement parce que ce sont des gens qui sont issus de la culture, qui sont formés avec les habitudes de travail, les éthiques, les valeurs, et cetera, de l’endroit où ils sont en poste. Donc, ils sont vraiment bien placés pour négocier au nom de nos travailleurs culturels et de nos artistes lorsqu’ils commencent dans un pays ou un territoire, et de les rencontrer, de discuter avec eux et, surtout, de les informer adéquatement.

Je sais que le réseau des consulats et des ambassades du Canada compte 181 bureaux à l’étranger, ce qui est énorme. C’est beaucoup plus que le réseau des délégations du Québec. Cela a un immense avantage, c’est que les territoires sont plus petits. Et par le passé, aux États-Unis, j’avais beaucoup de plaisir à travailler avec ces gens. Ils étaient en poste depuis longtemps et avaient développé des réseaux pointus. Ils connaissaient bien leur clientèle et ils étaient très efficaces. Je pense que cela demeure, dans la mesure du possible, des postes à prioriser. Maintenant, pourrait-il y avoir d’autres méthodes ailleurs? Probablement, peut-être en faisant affaire avec des sociétés locales engagées par le gouvernement pour des mandats semblables.

[Traduction]

M. Mazza : Je suis d’accord avec Mme Charron. J’insiste toutefois sur le fait que l’attaché culturel doit avoir des liens avec le milieu.

Il y a également des distinctions à faire lorsqu’on parle de culture. Je dirais qu’il y a deux facettes, soit le divertissement et la culture à proprement parler, les deux ayant chacune leur valeur. Le Cirque du Soleil, c’est du divertissement et de l’émerveillement à très grande échelle. La culture est une nécessité. Shakespeare, c’est de la culture, mais aussi du divertissement.

Certains de nos artistes — par exemple, Robert Lepage dans les arts visuels — ont fait des choses vraiment merveilleuses. C’est por cette raison que David Bowie et Peter Gabriel sont venus au Canada pour organiser une grande tournée s’articulant autour de cette créativité. Je ne veux pas dire par là qu’il n’y a pas de créativité dans le divertissement. Il faut comprendre que ce sont deux facettes différentes qui ont chacune leur importance.

Selon moi, une personne qui vient du milieu est beaucoup mieux prédisposée à comprendre toutes les subtilités et les distinctions, ce qui lui permet de guider un peu mieux les efforts déployés. C’est du moins ce que je crois.

La sénatrice Bovey : J’ai une brève question de suivi, si vous me le permettez. Nous avons discuté aujourd’hui d’art contemporain. Vous nous avez fait part de votre contribution à la mise en place de ces écoles. Mme Peterson d’Aquino nous a parlé de cet employé du Musée des beaux-arts du Canada qui a aidé à la préservation des trésors de Russie. Nous savons que des experts canadiens en histoire de la culture matérielle et en patrimoine matériel travaillent actuellement dans certaines régions du monde touchées par des conflits pour essayer de sauver et de protéger des trésors culturels.

Croyez-vous que cet aspect du travail doit faire partie des responsabilités d’un attaché culturel ou de toute personne occupant des fonctions semblables?

M. Mazza : Voilà une question intéressante. Si vous voulez savoir si l’attaché culturel du Canada devrait prendre la responsabilité de préserver la culture locale dans un autre pays…

La sénatrice Bovey : Je n’irais pas jusque-là.

M. Mazza : C’est ce que je voulais déterminer.

La sénatrice Bovey : Je pense qu’une grande partie des efforts déployés en ce sens au Canada passent par l’UNESCO. Lorsque nos spécialistes doivent se rendre dans ces différents pays, pensez-vous que les attachés culturels concernés peuvent avoir un rôle de protection et d’assistance à jouer?

M. Mazza : Il peut y avoir selon moi un rôle de protection et d’assistance seulement… Nous faisons la promotion du Canada dans mon livre. Je suis, par ailleurs, très actif en Chine et à Cuba tout particulièrement. Nous avons créé un festival à Cuba. Nous avons également mis sur pied un portail grâce auquel des produits canadiens, comme des instruments de musique, peuvent être vendus à Cuba. Il s’agit en fait d’instruments qui ont été inventés à Cuba, mais qui ne sont pas en vente dans ce pays. Un des principaux fabricants canadiens, SABIAN Cymbals, est également propriétaire de Gon Bops. Cette entreprise vend des instruments de percussion comme des congas et des timbales, lesquels ont été inventés à Cuba, mais sont maintenant fabriqués par l’un des meilleurs manufacturiers au monde, une entreprise canadienne installée au Nouveau-Brunswick.

Mon rôle dans le cadre de cette association est d’aider les artistes locaux en utilisant toutefois nos propres mécanismes, ce qui est bien évidemment avantageux pour nous tant du point de vue artistique qu’économique. J’essaie généralement de voir les choses dans une perspective très ouverte. On ne devrait jamais considérer qu’il n’y a qu’une seule explication et que le processus doit être unilatéral. Il faut plutôt qu’il y ait sans cesse un juste retour du balancier.

Si vous vouliez savoir s’il est possible pour nous d’apporter notre aide de cette manière, en voici un exemple bien concret. Nous tenons chaque année un festival dans le cadre duquel nous organisons une compétition. Grande fête du rythme et de la danse, la Fiesta del Tambor qui se tient à la Havane est le plus grand festival à Cuba actuellement. Il a lieu lors de la première semaine de mars. On y tient donc une compétition qui était autrefois nationale, mais qui est devenue internationale. Les vainqueurs gagnent un instrument de musique — une batterie, des congas ou des timbales — mais ces instruments ne sont pas disponibles là-bas. Depuis 17 ans, je dois donc apporter les instruments aux écoles pour qu’ils soient remis aux gagnants, ce qui m’a permis d’ouvrir la porte à l’entreprise qui vend maintenant ses produits là-bas.

Notre apport est très précieux pour les artistes locaux, mais tout le monde peut également en bénéficier.

[Français]

Le président suppléant : Merci, monsieur Mazza. Madame Charron, voulez-vous ajouter un commentaire?

Mme Charron : Je suis d’avis que les attachés doivent connaître la culture. C’est pourquoi je recommande qu’ils viennent au Canada, une fois par année, pour se ressourcer. On ne demanderait pas à un vendeur de voitures de vendre des modèles qu’il ne connaît pas. De même, les attachés culturels provenant de tous les coins de la planète doivent revenir au Canada à l’occasion afin d’assister à des spectacles et rencontrer des artistes. C’est extrêmement stimulant pour eux de le faire.

Je pense aussi à certains services culturels d’autres pays qui sont très bien dotés de postes. Je pense à la France, qui a des services culturels sophistiqués partout sur la planète, ou au British Council. Rien n’empêche une ambassade ou un consulat d’avoir plusieurs postes spécialisés au lieu de généralistes, par exemple un attaché culturel pour les arts de la scène, un autre pour les arts visuels ainsi qu’un autre pour les industries culturelles. De cette façon, ils sont encore plus dévoués aux objectifs qu’ils doivent atteindre pour une industrie particulière.

Pour répondre à votre question, je ne crois pas que les attachés devraient aussi contribuer à préserver la culture d’un autre pays. Ce sont les ministères de la Culture des pays avec lesquels nous entretenons des relations diplomatiques qui doivent jouer ce rôle. À moins que ce soit à l’intérieur d’ententes ou de collaborations internationales où les artistes d’ici pourraient en tirer un parti.

À une époque où les ressources se font de plus en plus rares, il faut que ces personnes se consacrent à la promotion des artistes canadiens.

[Traduction]

La sénatrice Saint-Germain : Bienvenue, monsieur Mazza. Merci pour votre exposé fort intéressant.

[Français]

Madame Charron, je suis très heureuse de vous retrouver dans un cadre fédéral après que nous avons eu l’occasion de travailler ensemble au ministère des Relations internationales et de la Francophonie lorsque vous étiez à New York. Votre notoriété est vraiment très grande parce que j’ai appris, hier seulement, que vous étiez notre invitée. J’ai un commentaire à faire et j’aurai ensuite une question.

Un attaché culturel doit connaître non seulement la culture du pays qu’il représente, mais comprendre l’arrimage et la demande dans le pays ou les pays où il veut exporter la culture de son pays. Également, l’attaché culturel est non seulement quelqu’un qui doit connaître la culture, mais c’est également une personne d’affaires. Il doit avoir énormément d’initiatives et le sens des affaires, parce que, de plus en plus, et avec l’évolution des technologies, on est dans un contexte de commerce international lorsque nous parlons de la culture et cela, il faut vraiment le reconnaître.

Vous avez tous les deux fait référence, en particulier Mme Charron, à des stratégies renforcées et à l’importance d’avoir une stratégie culturelle internationale. D’une part, je constate de plus en plus que les cultures francophones du Canada sont les enfants pauvres de ce secteur.

On confine beaucoup à la francophonie internationale la promotion de la culture francophone lorsque la langue est un enjeu. À partir de vos expériences à l’étranger, comment pourrait-on, dans le cadre d’un plan d’action concret, lever cette barrière de la langue? Comment réussir sans se confiner au marché de la francophonie internationale qui, il faut le reconnaître, est un marché qui a ses limites et qui n’est pas un marché en croissance?

Mme Charron : Je suis tout aussi heureuse de vous retrouver, sénatrice Saint-Germain. Je suis entièrement d’accord avec vos commentaires. Les attachés sont des liens importants. Ils doivent être polyvalents. Ils doivent connaître la culture aussi bien que leur territoire.

Le modèle qui fonctionne très bien, et qui est présent dans les délégations et les consulats, c’est le modèle où l’attaché travaille avec un conseiller qui est normalement un membre du gouvernement en place. Il y a déjà une complémentarité dans ce genre d’équipe qui est intéressante. Je pense que l’une et l’autre finissent par se nourrir, se compléter et bien travailler ensemble. Je pense que ces personnes doivent avoir un flair immense et voir au-delà des occasions présentes. Lorsqu’on entend parler de la construction d’un nouveau musée ou d’un théâtre, dans un secteur où on est fort, il faut aller au-devant des gens, les informer de nos forces, de nos qualités, de ce qu’on a à offrir, et déjà commencer à créer des relations.

Pour ce qui est de la francophonie, aussi amoureuse que je sois de la langue française, personnellement, j’ai peu travaillé avec ces réseaux, ces dernières années, même si je travaille beaucoup avec des gens du théâtre francophone. Votre commentaire à ce sujet est intéressant, car, puisque j’étais en poste à New York, je ne pouvais pas vraiment compter sur les réseaux francophones. Et je partageais souvent une certaine frustration avec mon collègue de Londres qui, lui aussi, à ce moment-là, travaillait sur des marchés anglophones, parce que nous avions l’impression que beaucoup plus de ressources étaient allouées aux services culturels de la délégation du Québec à Paris que pour les territoires anglophones, alors que nous savions qu’il y avait énormément de potentiel.

Bref, les œuvres peuvent être traduites, avoir des surtitres ou des sous-titres pour une œuvre théâtrale. C’est un jeu d’enfant aujourd’hui avec les nouvelles technologies.

Il y a plusieurs territoires où les gens parlent plusieurs langues. Depuis plusieurs années maintenant, je travaille beaucoup plus en Europe qu’aux États-Unis. Lorsque j’assiste à des festivals ou à des rencontres d’affaires, je constate avec émotion que mes collègues sont polyglottes. Ils parlent très bien le français, l’anglais, l’allemand. Donc la barrière de la langue est moindre en Union européenne par rapport aux États-Unis ou au Royaume-Uni. De toute évidence, les gens passionnés qui travaillent dans ce milieu recherchent d’abord et avant tout la qualité, le savoir-faire, l’originalité, la créativité, et cela n’a pas de langue. Donc, encore une fois, si une pièce de théâtre ou une création est présentée ici en français, mais qu’elle est extraordinaire, je pense qu’on peut faire tomber facilement les barrières et sortir des réseaux traditionnels de la francophonie.

M. Mazza : Je suis tout à fait d’accord avec Mme Charron sur ce point. J’aimerais partager avec vous mon opinion et ma position. Le Canada est un pays, fort heureusement, multiculturel, mais nous avons deux langues. Et je pense que de pousser l’une ou l’autre, aujourd’hui, ce n’est vraiment pas important.

L’image que l’on projette, c’est qu’on n’a pas de barrière, que ce soit la culture francophone ou anglophone. C’est bien. C’est vraiment l’essence, l’œuvre, le talent qui importent. Si on parle français ou anglais, c’est bien, mais la chose vraiment géniale au Canada, c’est qu’on parle les deux langues et qu’on devrait être fier de cela, du fait que l’on exploite nos talents, notre culture et tout ce qu’on fait dans les deux langues.

La francophonie, qu’il y ait des paroles ou non, c’est moins important que le côté créatif. On devrait pousser cela plus qu’autre chose. J’ai entendu la phrase suivante plusieurs fois : « On devrait étudier le marché, voir ce que les gens veulent. » Pour moi, cela déclenche un voyant rouge. C’est non. Et les créateurs?

[Traduction]

Non, nous ne répondons pas à un besoin. Nous créons.

[Français]

On crée quelque chose qui est canadien. Sinon, on s’arrête. Si Dali avait pensé : « Qu’est-ce que le monde veut voir cette semaine? », on n’aurait pas eu Dali.

Si le Canada a cette ouverture d’esprit, c’est peut-être parce qu’il fait des affaires dans les deux langues. Il y a des choses qu’on ne connaît pas, donc on s’ouvre à la possibilité d’apprendre quelque chose qu’on ne connaît pas. On prend chacun notre place. Il faut donc soutenir la créativité. Promouvoir un projet pour satisfaire un marché, pour ma part, c’est la dernière chose que j’appuierais. Il faut plutôt exprimer ce qu’on a à dire, peu importe où au Canada.

La sénatrice Saint-Germain : Merci beaucoup à vous deux. Vos témoignages sont très enrichissants.

Le président suppléant : Vous avez abordé la question de la dualité linguistique. On a le service de promotion qui vient du gouvernement du Québec, en particulier, pour le Québec, et les services pour le Canada anglais, le rest of Canada. Est-ce qu’il y a une collaboration entre les deux niveaux de gouvernement? Que ce soit à New York, à Londres ou à Paris, est-ce que l’ambassade du Canada et la délégation générale du Québec travaillent en étroite collaboration, ou bien est-ce que, quand les uns invitent M. Mazza à Paris, l’autre niveau de gouvernement n’est pas au courant? Y a-t-il une collaboration?

M. Mazza : C’est une très bonne question. Je suis heureux que vous la posiez. Selon mon expérience des 20 dernières années, et ce, de façon tout à fait concrète, à Beijing il n’y a pas grand-chose, il n’y a pas de politique.

[Traduction]

Il n’y a pas de politique en place et personne ne sait quoi faire. Les gens nous disent simplement qu’ils sont là.

[Français]

J’ai fait le lancement de mon livre à New York, en novembre dernier. Mon livre est publié à l’échelle mondiale avec la plus grande maison d’édition au monde, qui s’appelle Alfred. Heureusement que le Québec me connaît. M. Dion et Mme Charron étaient là. Ils m’ont contacté et m’ont demandé ce dont nous avions besoin. Ils ont vu que c’était valable. J’ai invité beaucoup de mes amis, qui sont de grandes vedettes aux États-Unis à participer à un concert, mais le Canada m’a répondu : « Il faut attendre, il y a un comité, il faut voir qui est disponible. » Finalement, une représentante est venue, mais le Canada n’était pas présent parce qu’il n’y a pas de politique.

[Traduction]

Il n’y a pas de politique à l’heure actuelle. Il n’y a pas de financement non plus. Heureusement, le Québec est là pour nous appuyer.

[Français]

Cuba est un autre très bon exemple. Cela fait 17 ans que nous organisons ces activités. Je suis invité souvent à faire des concerts. Nous avons une grande présence à Cuba. Il y a trois ans, il a presque fallu forcer l’ambassade à s’impliquer pour fêter les 70 ans des relations ininterrompues de Cuba avec le Mexique ou le Canada, l’un des deux. J’étais dans la salle avec l’ambassadeur de l’époque, M. Gagnon, et j’ai écouté l’orchestre symphonique de Minneapolis, deux soirs de suite. La salle était bondée. J’étais à côté de lui et je lui ai dit :

[Traduction]

« Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je n’aime pas, pour ma part, regarder passer la parade. Qu’en dites-vous? »

[Français]

Il a très bien compris et, heureusement, le délégué commercial qui était présent a pris les choses en main et a dit : « On va fêter cela .» J’ai forcé la note et il a trouvé dans la communauté canadienne — pas à l’ambassade parce qu’il n’y a pas de politique ni de budget — la façon de fêter cela. Nous avons donc organisé un grand concert dans la vieille ville de La Havane, place San Francisco, devant 5 000 personnes. J’ai aidé à monter le spectacle avec deux artistes canadiens et deux artistes cubains. Nous avons organisé un grand spectacle. Il n’y a pas eu de suivi parce que cela ne faisait pas partie de la politique. C’était bien, mais ça s’est arrêté là.

Le Québec a ouvert un bureau à La Havane en septembre dernier. Mme Myriam — j’ai oublié son nom complet — a assisté à un des concerts de notre festival. Elle est venue à une soirée lors de laquelle j’ai été honoré. On m’a remis un prix, et cetera. Cela a confirmé notre place, car, au fond, je représente le Canada. Je suis un panneau publicitaire canadien ambulant. Elle a compris que c’était important d’organiser des spectacles avec nous. J’ai proposé un projet qui a été accepté. Il s’agit d’une collaboration avec un artiste canadien, qui joue dans le cadre du festival, et un artiste cubain, qui joue ici. J’ai également proposé une collaboration académique. Il existe une école du nom de ISA, l’équivalent de Juilliard, qui organise souvent des activités avec les États-Unis. Alors que je me trouvais dans le bureau de la doyenne, je l’ai invitée au festival. Elle m’a répondu : « Non, je suis à UCLA pour un colloque. » J’ai dit : « Je trouve ça curieux. Pourquoi pas le Canada? Le Canada est omniprésent. À Cuba, on est un des plus grands supporteurs économiques. » Elle m’a répondu : « C’est une bonne question. L’idée n’a jamais été proposée, mais ce serait intéressant. » J’ai dit : « Alors, si vous êtes d’accord, je vais aller de l’avant. »

En l’espace d’une semaine, le projet était réalisable. Et j’ai dit que si les parties étaient intéressées, nous irions de l’avant. Avec l’appui du Québec, nous avons obtenu une petite bourse. Ce n’était pas grand-chose.

[Traduction]

En fin de compte, il s’agit d’importantes percées réalisées en quelques mois à peine grâce au soutien du Québec pour représenter le Canada. Il y a donc effectivement de l’aide, ce qui nous a permis d’aller de l’avant.

[Français]

Le président suppléant : Madame Charron, est-ce que deux sources de soutien peuvent vous aider ou vous nuire?

Mme Charron : Il existe 180 consulats et ambassades dans le monde entier et une vingtaine de délégations. Il y a donc très peu d’endroits où on trouve les deux.

L’existence de délégations a été très utile lorsque le Canada a retiré son soutien, ses attachés culturels et ses conseillers. Pendant cette période sombre pour la culture, les artistes québécois ont été bien chanceux d’avoir en place des délégations vers qui se tourner.

De manière générale, la culture bénéficie déjà du financement des trois paliers de gouvernement, soit celui des grandes villes, de la province de Québec et du gouvernement fédéral. C’est déjà une chose que les artistes ont l’habitude de gérer. Quand ils arrivent à un endroit, il est dans l’intérêt de tous qu’ils puissent compter sur une certaine collaboration de la part des consulats et des délégations. Y a-t-il une collaboration? Je dirais que tout dépend des endroits et des chefs en poste. Certains sont heureux de collaborer, d’autres se sentent plus en compétition. Les politiques étrangères et les objectifs peuvent être différents. Les attachés et conseillers culturels doivent s’adapter aux directives données par leur patron, aux services offerts aux artistes et aux possibilités de collaboration.

Lorsque j’étais attachée culturelle à New York, je m’entendais très bien avec l’attachée culturelle du consulat. Notre collaboration était très bénéfique. On pouvait aller plus loin en mettant nos ressources en commun plutôt que de travailler chacune de notre côté. Nos interventions avaient plus de poids. On se trouvait souvent aux mêmes endroits. On se parlait régulièrement pour savoir ce que faisait l’autre de manière à éviter le dédoublement des efforts. Naturellement, elle s’occupait des artistes de tout le reste du Canada. Donc, elle avait une clientèle que je ne pouvais pas aider. Il y a eu des moments où on était un peu comme à deux vitesses sur une même voiture, c’est-à-dire où j’ai pu contribuer au lancement d’une compagnie, puis le gouvernement du Canada entrait en scène une fois que la compagnie était en place, lorsque cette dernière bénéficiait d’une certaine popularité et cela les intéressait encore plus.

Pour répondre à votre question, je crois que tout dépend s’il y a ou non une bonne entente. Et je trouve que c’est une bonne idée d’avoir les deux sur le territoire.

Le sénateur Massicotte : Merci à vous deux d’être parmi nous ce matin. J’ai une question qui s’adresse à Mme Charron. Revenons un peu en arrière. Lorsqu’on vient en aide aux artistes, le pays y voit un intérêt et c’est aussi intéressant pour les artistes. Cependant, le but de notre étude est la diplomatie culturelle. En d’autres mots, nous examinons les avantages que le Canada aurait à appuyer les artistes à l’extérieur du pays.

Selon cette perspective, quel serait l’objectif pour notre pays? Quels sont les avantages pour le Canada lorsqu’il appuie les artistes à l’extérieur du pays? Comment peut-on mesurer cet impact?

Mme Charron : La présence des artistes en sol étranger véhicule une image de marque inouïe pour le Canada qui est difficile à atteindre avec des produits purement économiques ou d’autres choses qui se perdent un peu dans la foulée de la mondialisation. L’artiste sur place véhicule, avec ses œuvres, des valeurs fortes et originales. Les membres du public qui voient les fruits de ces efforts trouveront incroyable ce qui se passe au Canada et se demanderont pourquoi il en est ainsi.

Lorsque j’assiste à des spectacles allemands, suisses, américains ou italiens, je vois une œuvre artistique, mais je ne fais pas exclusion du pays où l’œuvre est ancrée. L’image de marque est très forte et le Canada peut en bénéficier.

On se rappellera ce qui s’est produit lorsque le soutien a été retiré il y a quelques années. Je voyage encore beaucoup à l’étranger. Je ne peux pas vous dire le nombre de personnes qui m’ont demandé : « Qu’est-ce qui se passe? On vous a toujours admirés. Vous étiez là. » On voyait vraiment une admiration pour les programmes et les artistes. Le message était très fort. Puis, soudainement, les gens se sont sentis déroutés devant ce recul.

Je crois qu’ils sont bien contents maintenant du revirement. La situation est exceptionnelle. Le budget du Conseil des arts du Canada a doublé, et c’est le seul au monde à l’avoir fait. Avec les crises économiques, on a plutôt vu du recul. Cet avantage a fait beaucoup d’envieux et lance une image forte.

Au cours de l’histoire, ce que les civilisations nous ont laissé de plus précieux, c’est la culture. Les gens visitent les grandes villes comme Paris, Londres, New York, Berlin et Rome aussi pour la culture. Je suis convaincue qu’il y a là quelque chose dont tout le Canada peut bénéficier, que ce soit les citoyens, les politiciens ou les entreprises. Ce genre d’appui ouvre des portes.

Quand des artistes reconnus étaient de passage à la délégation du Québec, soudainement, mes collègues du tourisme, de l’économie ou des affaires publiques invitaient leurs clients à venir assister à ces prestations. Ces derniers repartaient réjouis, inspirés et rassurés. Ils voyaient notre belle civilisation et à quel point nous sommes de bons collaborateurs. Pour toutes ces raisons, j’estime que nous avons tout à gagner en faisant de la diplomatie culturelle canadienne.

On voit parfois des pays organiser une galerie à l’ambassade ou encore des concerts. À mon avis, ce n’est pas la bonne façon de faire. On va plus loin en s’intégrant à la vie culturelle des capitales et en travaillant avec elles. Les retombées médiatiques et publiques sont beaucoup plus importantes, en général, que si on organise des activités à des endroits peu visités par les gens d’une ville.

Ai-je répondu à votre question?

Le sénateur Massicotte : Oui. Plus tôt, des témoins ont abordé la question de l’image de marque. Selon eux, il faut toujours avoir un objectif et faire connaître l’image que l’on cherche. Ils recommandaient fortement que l’image à promouvoir soit celle de la crédibilité combinée à l’innovation. Êtes-vous d’accord avec cette proposition, avec cette image à laquelle on devrait aspirer pour montrer le Canada sous un nouveau jour, par rapport à la perception que nous sommes des habitants et avant tout une terre reconnue pour ses ressources naturelles? Avez-vous des commentaires à ce sujet?

Mme Charron : Cette image de crédibilité et de culture sophistiquée passe à travers tous les secteurs de la culture. Plus tôt, je pensais à ces annonces publicitaires de la carte de crédit Visa où on voyait, à la fin, un message qui disait que ces expériences n’avaient pas de prix. On nous montrait des gens qui assistaient à un opéra ou à une activité culturelle. Combien de fois ai-je été à une salle de concert où on faisait une ovation devant des artistes de mon pays? Quel sentiment inouï de fierté! Cela démontrait la force et l’impact de ces artistes sur un public étranger.

Je suis revenue d’une tournée en France où cette fois je jouais dans une production. C’était notre première tournée internationale. On était un peu nerveux. On se demandait si les gens étaient pour aimer le spectacle. La réception a été tout à fait inouïe. Je ne vous parle pas de cet exemple parce que je suis fière du succès de ce spectacle, mais parce que cela démontre que ce qui est créé ici — qui est inspiré de ce que nous sommes — traverse plus facilement les frontières que n’importe quelle campagne publicitaire ou n’importe quel produit économique.

[Traduction]

M. Mazza : Je suis tout à fait d’accord. Merci, madame Charron, c’est vraiment formidable.

J’ajouterais qu’il y a deux niveaux à considérer. Il y a d’abord cet effet de simulation économique dont je parlais. La totalité des sommes investies dans la culture entraînent des retombées. C’est un véritable moteur économique. Selon les statistiques, pour chaque dollar investi, on obtient 6 $ en activité économique.

D’un autre côté, sénateur Massicotte, pour le Canada et l’Europe, cela change la perception. Nous le voyons clairement continuellement. Lors de mes tournées, comme Mme Charron l’a mentionné aussi, j’ai vu la différence. C’est la perception qui change, et des produits se vendent.

Je vais vous donner quelques exemples. Nous nous souvenons tous de cette partie de hockey en 1972 qui opposait la Russie au Canada. C’était très serré. Nous avons gagné en prolongation. Premièrement, nous ne savions pas que les Russes savaient jouer au hockey de cette façon. Combien de Lada nous ont-ils vendues après cette partie de hockey? C’était une question de perception; notre perception a soudainement changé.

Cuba est un autre exemple. La semaine dernière, dans le cadre de ses efforts pour changer la perception des Américains — imaginez — Cuba a loué le Kennedy Centre à Washington pour présenter un grand concert mettant en vedette 25 artistes cubains parmi les plus populaires. C’est un exercice de relations publiques. Bien entendu, Cuba est reconnu pour sa culture, qu’il a su exporter. Il est clair que ce pays souhaite changer la perception erronée qu’ont bien des gens à son égard.

Pourquoi en fait-il autant? Il le sait bien, et nous aussi. Ceux d’entre nous qui voyagent beaucoup voient bien que le changement des perceptions est profitable. La perception modifie notre position de négociation, notre degré de respect et notre raffinement.

C’est tout à fait vrai. Il y a tant de choses que nous devrions faire valoir.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie beaucoup tous les deux. Vous avez largement contribué à la discussion, qui nous aidera à élaborer notre rapport.

Ma question s’adresse à M. Mazza. Vous avez parlé du premier ministre Trudeau — le premier premier ministre Trudeau — qui a mis en place en 1971 une politique sur le contenu canadien. Je m’en souviens. J’étais assez jeune, mais je m’en souviens. Cette politique a suscité une certaine controverse à l’époque, mais elle a très bien réussi à faire la promotion des arts, particulièrement de l’industrie cinématographique et des arts de la scène au Canada, si je ne m’abuse. Nous en voyons encore les résultats. Quoique, étant donné l’évolution de la technologie, elle n’a probablement pas les mêmes répercussions qu’elle a eues en 1971.

Monsieur Mazza, vous avez aussi affirmé que les médias n’ont pas suffisamment fait la promotion des arts. Vous avez parlé du rôle de CBC. CBC est notre radiodiffuseur public. Elle est financée en partie par les contribuables canadiens. Quel rôle devrait jouer CBC dans la promotion des arts au Canada? En fait-elle suffisamment? Que devrait-elle faire de plus?

M. Mazza : C’est une excellente question. Je vous remercie. Avant de répondre à la question concernant CBC, je voudrais revenir sur la politique de 1971. J’ai dit que j’avais apporté ma contribution. J’avais 15 ans à l’époque et j’habitais à Ottawa. Je faisais partie d’un groupe qui a été découvert. Nous avons enregistré une excellente chanson à Toronto. Ensuite, une maison de disques, une multinationale américaine, nous a dit : « Ah, vous êtes Canadiens, alors votre chanson ne sera jamais diffusée. »

Vous souvenez-vous des Guess Who? Ce groupe était populaire localement, et lorsqu’il a enregistré sa chanson, elle s’est révélée très populaire. L’enregistrement a eu lieu à Detroit. Le nom du groupe vient du fait qu’on ne voulait pas utiliser les noms des membres, alors on a proposé Guess Who. La chanson, Shakin’ All Over, a eu beaucoup de succès. Elle est devenue un succès international.

À cette époque, il y avait un grand débat au Canada, car de nombreux groupes, comme Lighthouse, avaient beaucoup de difficulté à faire diffuser leurs chansons, simplement parce que nous n’avions pas notamment notre propre système de distribution.

Cette politique a été très avantageuse, et nous en profitons encore aujourd’hui.

En ce qui concerne CBC, c’est un excellent radiodiffuseur. C’est un excellent modèle qui est respecté partout dans le monde. Son financement a été réduit au minimum, et elle fait ce qu’elle peut. C’est difficile. Premièrement, elle a besoin de financement et elle doit demeurer objective, afin d’éviter qu’elle ne devienne comme le réseau FOX, par exemple. Ce qui est merveilleux, c’est qu’elle peut faire la promotion du Canada. C’est comme le chemin de fer. Le chemin de fer national a établi des liens entre les différentes régions du Canada. C’est ce qu’a réussi à faire CBC également, et c’est ce qu’elle devrait continuer de faire.

À mon avis, Affaires mondiales peut contribuer à faire connaître le travail des artistes canadiens sur la scène internationale pour que nous sachions ce qui se passe ailleurs. Après tout, on utilise l’argent des contribuables, alors on doit nous représenter. C’est une bonne chose. Il faut aussi faire la promotion à l’échelon local par l’entremise d’un réseau bien établi. Le financement doit être suffisant, bien entendu, si nous voulons être informés de ce qui se passe ailleurs et ici.

À un moment donné, nous sommes allés à Hong Kong. Un journaliste de CBC a communiqué avec nous et a fait un reportage. Lorsque nous sommes revenus au Canada, nous avons vu des articles publiés dans l’Ottawa Citizen et dans la Gazette — j’habite à Montréal maintenant — relatant le succès de ce groupe canadien. Un article a également été publié à Hong Kong sur le sujet. On parlait de talents canadiens.

Cela alimente la discussion. Ce lien avec les médias est très important pour moi. C’est bien pour le marketing. L’information est également importante. Il ne faut pas se limiter à Twitter; il faut aussi de véritables reportages objectifs.

[Français]

Le président suppléant : Madame Charron, vous pouvez faire un dernier commentaire. À vous la parole.

Mme Charron : Lorsque j’étais à New York pour Radio-Canada, il y avait des correspondants culturels sur place qui faisaient des reportages relayés à Montréal et dans tout le réseau de la Société Radio-Canada. Ils étaient présents dans d’autres grandes villes. Lorsque j’étais directrice des Violons du Roy, j’ai réalisé des projets extraordinaires avec CBC Radio 2, qui était non seulement un partenaire médiatique, mais aussi un partenaire qui investissait dans des projets. Je me rappelle, entre autres, d’avoir amené La Chapelle de Québec faire le Messie de Handel à Disney Hall, à Los Angeles, qui venait tout juste d’ouvrir. Radio-Canada et le producteur étaient présents. Ce spectacle a été radiodiffusé partout sur les zones et dans le réseau international. Il s’agissait de plateformes de visibilité incroyables. À mon avis, il y a de la place pour une radio non commerciale dont le but est d’éduquer, d’informer, de cultiver et d’inspirer. Je trouve malheureux qu’ils aient subi des compressions budgétaires au cours des dernières années.

Enfin, j’ai deux passions dans la vie. La première, c’est la culture. La deuxième, c’est de comprendre et de découvrir ce qui se passe à l’échelle internationale, le rapprochement des humains sur cette planète. Mon travail me comble tous les jours. Je continue à mettre en lien des artistes et leurs partenaires d’outre-mer pour faire naître des projets qui, je le souhaite, dureront longtemps. Puisque nous avons été invités aujourd’hui, j’ose espérer que le Canada réfléchira sérieusement à mettre en place de nouvelles mesures à long terme qui feront une différence dans le travail que font des gens comme M. Mazza et moi.

Le président suppléant : Je vous remercie. C’est le but de notre comité. Vous êtes la preuve, tous les deux, que cela répond à un besoin. Vous pouvez compter sur nous. Notre étude mènera à un rapport.

[Traduction]

Nous avons bien compris le message.

[Français]

Nous vous remercions tous les deux. Vous pouvez suivre les progrès de notre étude sur Internet.

(La séance est levée.)

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