Aller au contenu
AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 48 - Témoignages du 14 juin 2018


OTTAWA, le jeudi 14 juin 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 33, pour étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Sénat a autorisé le comité à étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes. Conformément à ce mandat, le comité est fier de poursuivre aujourd’hui son étude.

J’invite les sénateurs à se présenter.

La sénatrice Bovey : Pat Bovey, une sénatrice indépendante du Manitoba.

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.

[Français]

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Massicotte : Paul J. Massicotte, sénateur très indépendant, de Montréal.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, un sénateur extrêmement indépendant de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Housakos : Leo Housakos, sénateur très conservateur, de Montréal.

[Traduction]

La présidente : Je m’appelle Raynell Andreychuk. Je suis une sénatrice de la Saskatchewan et je suis présidente du comité.

Merci d’avoir accepté notre invitation aujourd’hui. Nous avons, par vidéoconférence, Ron Burnett, président et vice-chancelier de l’Université d’art et de design Emily Carr. Monsieur Burnett, nous entendez-vous?

Ron Burnett, président et vice-chancelier, Université d’art et de design Emily Carr : Je vous entends, mais je ne vous vois pas.

La présidente : C’est peut-être votre jour de chance. La vidéoconférence nous cause des maux de tête de temps à autre. Nous poursuivrons la réunion, et les techniciens essaieront de vous donner l’image et le son pour la réunion.

À Ottawa, nous avons devant nous Jean R. Dupré, président-directeur général de l’Orchestre Métropolitain, et Brigitte Proucelle, conseillère culturelle et scientifique à l’ambassade de France au Canada.

Merci de votre présence. Nous savons que vous avez des points de vue et des intérêts variés, et nous essayons d’entendre le plus grand nombre possible de témoins en juin, qui est une période très occupée, parce que nous sommes saisis de beaucoup de projets de loi. Nous vous remercions de venir nous faire part de vos divers points de vue.

Je vais débuter par la vidéoconférence pendant que nous avons encore au moins l’audio. Monsieur Burnett, je vous invite à faire un bref exposé, parce que nous voulons conserver du temps pour les séries de questions. Bienvenue au comité. Vous avez la parole.

M. Burnett : Merci beaucoup. C’est un grand honneur de vous rencontrer. Je vous suis reconnaissant de me donner l’occasion de faire un bref exposé et de répondre à vos questions qui en découleront.

J’aimerais très rapidement mentionner que j’ai visité plus de 20 pays durant mes 22 ans à titre de président de l’Université Emily Carr. Dans l’ensemble, le soutien que je reçois des gouvernements provincial et fédéral a varié en fonction des endroits que je visitais. Cela dépendait aussi en grande partie [Note de la rédaction : inaudible] d’un pays donné.

De manière générale, la sensibilisation des diplomates canadiens [Note de la rédaction : inaudible] est bonne, mais ce n’est pas la priorité en ce qui concerne le travail sur le terrain et la mobilisation. C’est principalement parce que la culture au Canada est divisée en régions; il arrive souvent que les Canadiens ne soient même pas conscients de l’énorme quantité d’œuvres artistiques produites au pays, et c’est donc encore moins le cas à l’étranger. Nous reconnaissons le travail de certains de nos artistes du milieu littéraire, mais c’est une minorité.

Par exemple, nous avons organisé une grande exposition de design à la Maison du Canada à Londres, parce que l’ambassadeur à l’époque s’intéressait au design canadien et à son histoire. L’Université Emily Carr a joué un grand rôle dans la conception de l’exposition et le choix des œuvres exposées. Nous avons aussi contribué à la promotion de l’exposition. Cependant, l’exposition se limitait aux réalisations d’artistes de Colombie-Britannique. C’était en 2015, mais il n’y a pas eu de suite depuis, même si l’exposition a attiré beaucoup de visiteurs et que la presse britannique en a parlé. Aucun média canadien n’a répondu à l’appel ou n’a démontré d’intérêt pour l’exposition.

Voici un autre exemple. À l’automne 2015, nous avons organisé l’important vernissage de la première grande exposition européenne des œuvres d’Emily Carr, en collaboration avec la Banque Royale. Emily Carr est sans doute l’une de nos plus grandes artistes peintres et elle jouit d’une renommée internationale. Cette exposition à la Dulwich Picture Gallery à Londres, qui est l’un des plus vieux musées d’Angleterre, était une importante percée pour l’art canadien en Europe. L’ambassadeur canadien et le prince Charles ont assisté au vernissage. Cette exposition aurait dû entraîner une hausse de l’intérêt pour le rôle et l’importance des peintres et des artistes canadiens, mais très peu en a découlé. En fait, la participation du corps diplomatique canadien était dérisoire. La presse en Angleterre et en Europe a louangé l’exposition.

Je vous ai présenté ces deux exemples, parce que je tiens à vous exprimer un peu à quel point c’est difficile de vraiment mettre à l’avant-plan la culture canadienne dans nos activités diplomatiques, et j’aurai quelques suggestions à la fin de mon bref exposé.

J’ai assisté à des réunions à Shanghai et à Beijing où il était question de l’importance de l’art canadien pour les artistes chinois. Notre université a remis des doctorats honorifiques à de nombreux grands artistes chinois. En dépit des communiqués de presse et des mesures pour faire la promotion de ces événements auprès d’Ottawa et du ministère des Affaires étrangères, très peu a été fait pour faire fond sur ce que nous mettions en place, et cela n’a pas suscité davantage d’intérêt de la part du ministère des Affaires étrangères.

Je constate trop souvent que les connaissances des diplomates et des attachés canadiens se limitent à leurs propres expériences. Il n’y a pas si longtemps, les ambassades canadiennes offraient une vaste gamme de publications sur la culture canadienne qui ne se limitaient pas à quelques disciplines, mais c’est maintenant chose rare. Bon nombre de nos activités à l’étranger dans une multitude de domaines sont tellement décentralisées qu’il est difficile d’élaborer des politiques cohérentes et communes au Canada, encore moins à l’étranger.

Voici un autre exemple. L’enseignement des arts peut devenir un élément rassembleur dans le monde. J’ai été le premier représentant étranger à siéger au conseil de la Ligue européenne des instituts d’art. Il y a plus de 300 de ces instituts en Europe, comparativement à seulement quatre au Canada. Durant mon mandat au conseil, j’ai reçu de nombreuses demandes d’information au sujet du Canada et j’ai essayé tant bien que mal d’informer les gens de la diversité de ce que nous faisons et du caractère unique de notre contribution au sein de notre merveilleux pays.

Le gouvernement du Canada dispose d’énormément de renseignements sur le commerce des produits culturels, mais c’est le jour et la nuit en ce qui concerne les activités culturelles précises d’une province à l’autre. Cet accent que nous mettons sur le commerce n’est pas une mauvaise chose en soi, mais cela ne devrait pas se faire sans tenir compte de la production culturelle dans un éventail de disciplines. Le manque d’institutions culturelles fédérales dans des villes comme Vancouver, Calgary et Regina signifie que les connaissances générales à Ottawa sur ce qui se passe dans l’Ouest canadien sont très limitées, et cela rend encore plus difficile la promotion de nos œuvres culturelles à l’étranger.

Évidemment, tout cela nécessite des investissements, et je dois dire qu’au cours des dernières années, à ce chapitre, il y a eu une grande amélioration dans les fonds disponibles pour la promotion de la culture à l’étranger, mais je me demande si nous avons des organismes tels que... La Maison du Canada ou le British Council? Ces organismes se composent de spécialistes dans un éventail de domaines qui participent activement aux événements locaux qui se tiennent dans le monde, qui apprennent à connaître les intervenants locaux et qui investissent souvent considérablement dans les événements locaux au Canada. C’est la même chose avec les ambassades et les consulats français et italiens partout au pays.

Cela vise souvent la promotion de la culture en général, et ce n’est pas relié à des objectifs précis, mis à part de reconnaître que la culture est au centre de la manière dont se définit toute communauté; il peut y avoir des effets en périphérie, notamment l’acquisition de connaissances ou de véritables avantages économiques.

Si vous me le permettez, j’aimerais revenir brièvement sur un grand défi pour l’avenir et vous offrir des solutions. Par exemple, nous avons un solide secteur du design et de la technologie en croissance au Canada qui regroupe tout, dont l’architecture et les jeux vidéo. Nous avons besoin de politiques internes au pays concernant ces domaines pour être en mesure d’en faire ressentir les effets à l’étranger. Or, si vous lisez le rapport sur le Canada créatif publié par Patrimoine canadien, vous verrez que les points suivants sont soulevés. Les discussions portent sur les entrepreneurs créatifs canadiens et demandent à ce que plus de diplomates soient mis au courant des industries culturelles canadiennes, et le rapport recommande d’investir davantage dans les foires commerciales internationales. Il est aussi question de la première mission commerciale culturelle fédérale. Ce sont toutes des mesures pertinentes et importantes. Le problème est qu’une très grande partie de ce travail ne peut pas être fait si nous ne modifions pas grandement notre attitude en ce qui a trait à la culture et aux producteurs et aux créateurs culturels.

Le soutien fédéral pour les arts a augmenté au cours des dernières années, mais cela fait suite à une décennie de compressions. Si nous ne pouvons pas assurer à l’interne une certaine cohérence et force, comment pouvons-nous promouvoir la diversité de ce que nous créons auprès du reste du monde? Même si le budget du Conseil des arts du Canada a augmenté depuis quelques années, il est encore loin d’être suffisant pour soutenir nos activités culturelles à l’étranger. Seulement une petite proportion des subventions du Conseil des arts du Canada ciblent les relations internationales. Malgré tout, ces subventions ont eu des effets énormes. Demandez-vous ce qu’une initiative interministérielle et multidisciplinaire à l’étranger pourrait accomplir pour le pays et notre culture.

Pour être très pragmatique, j’ai quelques suggestions. Notre problème est la visibilité dans un milieu très concurrentiel. Les œuvres de création au Canada sont comparables à ce qui se fait ailleurs, mais la promotion n’est pas notre force, et nous n’avons pas d’institutions ou d’organismes qui peuvent faire en continu la promotion de ce que nous faisons à l’étranger. L’apprivoisement prend du temps, et cela exige de le faire de manière continue sur plusieurs décennies et non des années. Il faut réaliser un audit de nos principales ambassades à l’étranger pour déterminer le degré d’expertise des diplomates canadiens qui sont chargés de faire la promotion de la culture canadienne et d’établir des liens.

Deuxièmement, la ministre du Patrimoine a annoncé qu’elle mettra sur pied un Conseil des industries créatives qu’elle coprésidera avec le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique. Nous devrions ajouter au mandat de ce nouveau conseil d’envisager d’investir dans la culture canadienne à l’étranger.

Troisièmement, le rôle du design canadien n’est pas compris au Canada ou à l’étranger. Nous devons renforcer nos propres connaissances au sujet de la richesse du design canadien en vue de nous en servir pour sous-tendre la promotion à l’étranger et établir un conseil du design canadien en vue d’arriver à en faire autant que les Britanniques et les Néerlandais.

Quatrièmement, je propose de demander à Statistique Canada d’avoir comme priorité des données plus actuelles sur la culture canadienne en vue de mieux comprendre le rôle clé que joue la culture canadienne au pays et de nous en servir pour orienter nos initiatives à l’étranger.

Cinquièmement, nous devrions envisager d’embaucher plus d’attachés qui connaissent bien le secteur canadien de la création et d’offrir d’autres formations et plus d’information au personnel de nos consulats et de nos ambassades.

Enfin, comme sixième suggestion, les artistes canadiens font l’expérience des technologies de pointe comme la réalité virtuelle et augmentée, les médias sociaux, les nouvelles formes de distribution des médias traditionnels, les nouveaux matériaux, l’impression 3D, la réinvention numérique des technologies du son et la présence dans les communautés autochtones et du Nord grâce aux technologies numériques, et j’en passe. Nos expressions et nos formes culturelles sont d’une grande richesse. Ces activités ont aussi lieu dans d’autres pays. Nous devons réfléchir à une stratégie quant à la manière de faire la promotion sur le terrain de ces activités novatrices dans notre secteur de la création; qui plus est, il y a urgence, parce qu’à l’étranger, en toute franchise, en Asie, où je me suis rendu à de nombreuses reprises, les nombreux pays que j’ai visités ont un profond respect et une grande admiration pour nous et nous adorent dans une certaine mesure. Toutefois, en fin de compte, nous n’avons pas fourni suffisamment de renseignements à ces pays pour les aider à bien comprendre notre identité. Il arrive parfois que des visites et des échanges soient suffisants, mais nous avons besoin en général d’une stratégie globale en ce qui a trait à notre culture à l’étranger.

Merci.

La présidente : Merci, monsieur Burnett. Je cède maintenant la parole à M. Jean Dupré pour son exposé.

[Français]

Jean R. Dupré, président-directeur général, Orchestre Métropolitain : Merci. Cette invitation à m’exprimer n’est sans doute pas étrangère à la récente tournée internationale de l’Orchestre Métropolitain (OM) et au grand succès et au rayonnement incroyable qui en ont découlé.

La culture est une porte d’entrée universelle, une façon de se positionner rapidement, d’établir des contacts en terrains neutres et de favoriser les échanges et la découverte des valeurs des uns et des autres. La culture d’un peuple est la meilleure vitrine pour connaître, comprendre. La culture de notre peuple est la meilleure façon de se faire connaître et de se faire comprendre. Dans une période où des questions religieuses, politiques et environnementales peuvent diviser ou compromettre les échanges, l’utilisation de la culture comme levier et comme outil de diplomatie prend toute son importance et tout son sens. À l’instar du sport, la culture joue désormais un rôle d’emblème national.

On fait souvent un rapprochement entre le rôle de chef d’orchestre et celui de dirigeant. Les éléments clés de la diplomatie culturelle se reflètent, selon nous, par des figures qui exercent un leadership respectueux, positif et novateur, des exemples de dépassement de soi, des modèles de saine gestion, tant au chapitre administratif qu’humain, et des organismes qui incarnent l’inclusion et la force de la mixité des générations.

Autant d’exemples qui représentent les divers leviers économiques importants et doivent inspirer de nouvelles façons de gouverner, de tisser des liens, de dialoguer. Ces valeurs sont au centre des préoccupations du gouvernement canadien et sont symbolisées par les artistes d’ici, comme l’OM et son chef, Yannick Nézet-Séguin.

L’OM a fait ses premières armes à l’étranger avec des enregistrements de grande qualité et, tout récemment, une toute première tournée européenne couronnée d’un immense succès. Quelle occasion unique pour le gouvernement de s’approprier tout ce qui peut découler d’une telle vitrine canadienne! Un jeune chef d’orchestre canadien, sollicité dans le monde entier, et une centaine de musiciens formés ici partent, habillés par les créateurs canadiens Marie Saint Pierre et Aldo, présenter des concerts comptant des œuvres québécoises et canadiennes avec des solistes d’ici qui sont reconnus sur la scène internationale, et ce, dans les plus prestigieuses salles d’Europe, et obtiennent un succès retentissant.

Or, l’occasion n’a pas été saisie par le gouvernement canadien d’entreprendre un dialogue diplomatique soutenu par la présence de ces grands ambassadeurs culturels que sont les musiciens de l’OM et Yannick Nézet-Séguin.

L’OM a pu réaliser cette tournée grâce aux donateurs, aux commanditaires privés et à la volonté des acteurs clés à l’international à recevoir notre orchestre canadien. Sur un budget de 1,4 million de dollars, 44 p. 100 des coûts ont été absorbés à l’aide de dons privés, 36 p. 100, par les salles européennes qui ont accueilli l’orchestre, 15 p. 100, grâce à une subvention du Conseil des arts et des lettres du Québec, et seulement 5,5 p. 100 par le Conseil des arts du Canada, soit 90 000 $ sur un budget de 1,4 million.

Est-ce la position que le gouvernement canadien souhaite réellement occuper? Dans la mesure où ce dernier tend à reconnaître l’importance de la diplomatie culturelle, vous ne serez pas étonnés que je saisisse l’occasion d’encourager le gouvernement fédéral à être un chef de file, à travailler en amont pour soutenir les organismes qui lui permettent de faire rayonner aussi puissamment la culture canadienne et le talent des artistes d’ici à l’étranger.

Chacun des sept concerts de cette tournée a été un triomphe. Dans des villes où les plus grands orchestres du monde se disputent la scène, un critique allemand a même caractérisé l’OM comme l’orchestre qui impose de nouveaux standards. Nous sommes d’avis que l’engagement du gouvernement fédéral envers un projet aussi porteur, qui a un potentiel diplomatique incroyable, n’était tout simplement pas au rendez-vous.

Les instances provinciales, pour leur part, ont pris l’initiative de nous contacter et d’organiser différentes occasions d’échanges en sol européen. Nous invitons le Sénat à réfléchir aux raisons qui ont conduit à ce manque de leadership de la part des instances fédérales, au moment où tout était en place et que le contexte était très favorable pour que le Canada puisse en tirer profit.

Lorsque le Sénat nous demande ce qui favorise ou limite l’utilisation de la diplomatie culturelle dans les cadres nationaux et internationaux, un constat s’impose : les acteurs internationaux sont beaucoup plus présents et au-devant en matière d’initiative. Ils reconnaissent dans le talent canadien quelque chose d’unique. C’est à retardement seulement que notre propre nation semble percevoir, encourager et soutenir ce talent.

En ce sens, nous recommandons que le cadre national favorise et encourage le déploiement du talent canadien avec des modèles de financement adaptés aux besoins et aux projets des organismes. Nous souhaitons un meilleur soutien à l’exportation de la culture canadienne. Actuellement, les organismes culturels doivent répondre aux thèmes, aux orientations, aux normes et aux priorités du gouvernement, quitte à s’éloigner complètement de leur mission, et ce, pour avoir accès à des enveloppes budgétaires fort intéressantes, mais qui visent des projets moins pertinents, en dehors de leur mission, plutôt éphémères et à faible possibilité de rayonnement. Nous y voyons un risque de dénaturation des missions culturelles.

Nous encourageons également le gouvernement canadien à assurer une vision plus globale et plus équitable dans l’attribution de ses subventions à la culture. Vous serez peut-être surpris d’apprendre que l’OM reçoit l’équivalent de 3 p. 100 de ses revenus totaux de la part du Conseil des arts du Canada, et ce, même après la révision complète de l’ensemble des dossiers l’an dernier. Ce ratio le classe au 13e et dernier rang des grands orchestres canadiens qui, en moyenne, reçoivent des montants équivalents à 8 à 10 p. 100 de leurs revenus totaux. Ce déséquilibre est beaucoup moins marqué du côté provincial, où le gouvernement du Québec verse à notre orchestre 1,6 million de dollars.

Paradoxalement, l’intérêt qui est exprimé sur la scène internationale à l’égard du Canada est palpable. On sent un regard constant tourné vers le talent canadien. De nombreuses personnalités canadiennes assurent au pays un rayonnement partout à travers le monde grâce à des tribunes données à l’échelle internationale. Le Canada est un incubateur de talents, et le gouvernement devrait être un accompagnateur de premier plan des organismes et des artistes désireux de faire rayonner le fruit de leur art. Il ne faut pas oublier que le retour sur l’investissement est bien réel. Les retombées de la récente tournée de l’OM sont énormes. Elles sont tangibles à Montréal, au Québec, au Canada, et déjà à l’étranger. En font foi des partenariats à rayonnement international à venir, y compris un deuxième enregistrement sur la prestigieuse étiquette Deutsche Grammophon en novembre prochain et une deuxième tournée qui sera à confirmer très bientôt pour la saison 2019-2020.

Notre chef, Yannick Nézet-Séguin, s’interroge sérieusement quant au financement qui est offert à l’OM et au monde de la culture. Ce dernier a rédigé une lettre qui sera transmise dans les prochains jours au cabinet du premier ministre lui demandant une rencontre pour discuter des difficultés qu’éprouve notre orchestre à trouver écho auprès des instances fédérales, notamment auprès du Conseil des arts du Canada, pour que soit reconnu à sa juste valeur un organisme comme le nôtre qui en fait autant pour promouvoir la culture canadienne, ici et à l’étranger.

La première tournée internationale de l’OM a été un tour de force. Notre gouvernement canadien tirera-t-il profit des autres grands projets à venir pour l’OM et pour les autres organisations culturelles canadiennes désireuses de s’exporter? Le gouvernement comprendra-t-il qu’il a une responsabilité à l’égard de l’appui qui est offert aux organismes et que cette même responsabilité se matérialise en occasions à saisir pour profiter des bons coups des organismes culturels?

Il y a près de 40 ans maintenant que l’OM lutte pour mériter sa place dans son propre pays. Nous espérons que cette période tire à sa fin et que l’OM a enfin fait ses preuves aux yeux de son propre gouvernement.

La présidente : Merci.

La parole est maintenant à Mme Proucelle.

Brigitte Proucelle, conseillère de coopération et d’action culturelle, Ambassade de France au Canada : Honorables sénateurs, je voudrais tout d’abord vous remercier d’avoir donné à la partie française l’occasion d’apporter son témoignage dans le cadre des questions qui vous préoccupent. J’en profite aussi pour saluer Ron Burnett, avec lequel nous travaillons merveilleusement bien dans tout l’Ouest canadien. Bonjour, Ron.

Nous avons développé en France, à l’extérieur de ses frontières, ce que l’on appelle la diplomatie culturelle. Cette diplomatie culturelle est très fortement ancrée dans le terreau d’une politique culturelle nationale, volontariste et structurée qui s’appuie, d’une part, sur les talents français des artistes et des experts, mais aussi sur une interaction entre l’État, les régions, les départements et les villes. Cet ensemble va du patrimoine jusqu’à la création la plus contemporaine, en passant bien évidemment par la formation, qui constitue le vivier toujours renouvelé de notre diplomatie culturelle.

La diplomatie culturelle en tant que telle est une jeune dame très alerte de 100 ans précisément. La première fois qu’il a été question de diplomatie culturelle, c’était exactement en 1918. Cette date n’est pas du tout anecdotique, il s’agit des semaines et des mois qui ont succédé à l’horreur de la Première Guerre mondiale. On trouve là le fondement de notre diplomatie culturelle et son fil conducteur, c’est-à-dire l’entente entre les peuples, la connaissance et des échanges mutuels, et l’art comme langage de paix international et de prospérité partagée. Cette définition initiale est une intention et un objectif en soi absolument fondamental, ce qui a permis ensuite d’adapter les outils et les stratégies ad hoc.

Cette initiative de 1918 — il faut le préciser, parce que ce n’est pas non plus anodin — est le fruit d’un petit groupe d’hommes habités par cette philosophie, un petit groupe constitué d’artistes au premier plan, de collectionneurs et d’hommes politiques qui ont proposé au ministère des Beaux-Arts d’alors, c’est-à-dire l’ancêtre du ministère de la Culture, et au ministère des Affaires étrangères de s’unir pour promouvoir la création dans le monde. Ce détour historique est important, car il énonce parfaitement ce qui continue d’habiter notre politique extérieure en termes culturels, y compris dans les ajustements et les complexités de notre monde actuel.

Alors, qu’en est-il aujourd’hui? Il me semble important de vous en expliquer l’architecture générale. L’architecture générale de notre diplomatie culturelle sera sans doute parlante sous certains angles que vous souhaitez explorer.

D’abord, cette diplomatie culturelle repose sur un réseau très fort et sur un maillage à travers le monde qui s’articule autour de quatre grands piliers. Le premier pilier est l’enseignement. Nous avons 500 écoles, qui comptent 350 000 élèves et 9 000 personnels d’enseignement. Le deuxième pilier est l’action culturelle elle-même, comprise au sens large, c’est-à-dire culturelle, éducative et scientifique. On y compte 822 alliances françaises dans le monde, qui représentent environ 5 500 agents et qui sont, elles, autofinancées; 154 services de coopération et d’action culturelle rattachés directement aux ambassades, où je me trouve moi-même; 98 instituts culturels de par le monde et 27 instituts français de recherche. Le troisième pilier est l’attractivité de l’enseignement supérieur et de la recherche avec, par année, 31 000 mobilités pour des étudiants, des chercheurs et des experts. Le quatrième pilier, enfin, est l’interconnexion avec la diplomatie économique, intégrant, bien évidemment, le tourisme.

Ces piliers sont soutenus et alimentés en expertise par différentes agences et organisations : l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’Institut français — qui a son siège à Paris — pour ce qui touche les domaines artistique, éducatif et celui des industries culturelles; l’organisation Campus France pour la mobilité étudiante; l’organisation Business France en ce qui a trait aux économies créatives et culturelles; l’organisation Le Bureau Export en ce qui touche la musique actuelle, pour tout ce qui relève de la musique, des industries musicales, audiovisuelles et ainsi de suite.

En tout, nous avons donc une douzaine d’agences qui viennent renforcer ce dispositif à l’étranger depuis la France, et ceci pour un budget d’un peu plus de 800 millions d’euros, uniquement pour la partie du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, parce que, bien sûr, viennent s’ajouter à ces 800 millions d’euros toutes les participations des collectivités territoriales, c’est-à-dire les villes, les régions ainsi que les organismes culturels eux-mêmes extrêmement subventionnés par la France. Je pense aux grands théâtres, aux ballets, aux orchestres, aux centres d’art et ainsi de suite.

Il faut parler maintenant du cœur de cette architecture. Le cœur, c’est tout simplement l’humain et ses compétences. L’humain et ses compétences autour d’un projet commun, partagé à l’échelle nationale et qui est répercuté dans chacune des ambassades en fonction du contexte de l’ambassade. C’est donc un réseau très fourni de femmes et d’hommes, détenteurs d’expertise et surtout connectés avec l’écosystème français de leur domaine. Ils sont capables d’analyser un autre écosystème et d’envisager les points de croisement et de convergence avec le nôtre.

Dans le service que je dirige, par exemple, tous les agents sont des professionnels venus de leur secteur, recrutés pour leurs compétences pendant une période allant de deux ans à cinq ans. Je suis la seule diplomate, et encore diplomate d’adoption extrêmement récente, puisque je viens des milieux privés et professionnels de la culture. Cela favorise un très grand renouvellement des réseaux professionnels et un ajustement régulier, pointu et nécessaire pour l’évolution permanente en fonction de ce qui se passe dans le monde.

Nous captons, grâce à cela, les talents qui captent, à leur tour, d’autres talents qui vont entrer en interconnexion avec le pays où nous sommes. C’est le système général qui est valable bien sûr dans le domaine de l’art, mais aussi dans les industries culturelles, la science, la recherche, et dans tous les prismes qui nous concernent.

Cette mobilité et ce renouvellement régulier nous permettent aussi d’être le plus en phase possible avec toutes les innovations dans tous les secteurs et de dégager et de valoriser les expressions propres et originales, car c’est bien ce qui nous importe, on touche aux questions d’identité. Qu’est-ce qui fait que nous sommes bons dans certaines matières, que nous pouvons compléter avec les connaissances d’autre pays? Donc, cela nous distingue bien évidemment des produits de grande consommation tout à fait formatés. C’est l’un des enjeux. On peut dire que dans les services de coopération et d’action culturelle des ambassades, nous sommes, en fait, des avant-postes exploratoires, souvent aussi pour des entités très spécialisées. Par exemple, en recherche, nous sommes les relais du Centre national de la recherche scientifique, de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique, des laboratoires de recherche pour l’agriculture, les océans, et cetera. De plus, nous jouissons d’une souplesse annuelle et pluriannuelle en matière de stratégie pertinente, que nous pouvons renouveler en fonction de l’état du monde, des avancées politiques et des aléas politiques, bien évidemment, en tenant compte de la sociologie et du contexte politico-économique humain de chaque pays. Nous recherchons des spécificités qui s’articuleraient avec nos propres spécificités.

Nous nous fondons sur la coopération, sur la coproduction, sur les valeurs et les stratégies partagées pour exister plus fortement dans notre monde global. Prenons par exemple l’intelligence artificielle, qui est un sujet d’actualité, où le Canada et la France développent la même approche, en particulier concernant l’éthique et le développement en faveur de l’humain. Face à un défi aussi considérable et mondial et vis-à-vis d’autres puissances qui prennent, disons-le de façon un peu légère, des orientations que l’on peut qualifier de divergentes, ce rapprochement franco-canadien d’expertise et de valeur est plus que jamais souhaitable. Les chercheurs et les experts de nos deux pays nous permettent grandement d’avancer dans ce sens, grâce à leur mobilité également.

Le soft power que l’on développe ainsi par la diplomatie culturelle a, par ailleurs, des effets directs sur l’économie et sur ce que j’appelle les « marchés intelligents », ce qui permet à des produits culturels de haute qualité de se tailler la part du lion en termes de pénétration de marché et d’éviter la standardisation des biens qui devient, bien évidemment, la standardisation des esprits. C’est ce que l’on pourrait qualifier, au sens propre, de service au public, tout en dynamisant les systèmes économiques.

Nous travaillons aussi avec des réseaux internationaux constitués qui nous permettent de nous renforcer mutuellement et qui ouvrent encore des possibilités. C’est le cas, par exemple, de l’Organisation internationale de la Francophonie, puisque nous avons la chance de partager cette langue. Il s’agit de réseaux qui apportent des effets hautement démultiplicateurs.

J’ajouterais que, ce qui nous anime et nous rassemble, ce qui se complète, ce qui nous rend différents et intéressants et ce qui se croise génère proprement l’innovation. C’est une diplomatie adaptée au contexte, qui agit dans un continuum où la culture, les arts, les sciences, l’éducation et l’économie sont intimement liés et s’interpénètrent.

Je vous remercie beaucoup.

La présidente : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Merci à tous les témoins, et bienvenue au comité. Je vous suis grandement reconnaissante de vos perspectives et, dans votre cas, monsieur Burnett, de vos longues années à travailler sur le dossier à l’étranger.

J’aimerais résumer ce que j’ai entendu et en faire une question. J’ai l’impression, messieurs Dupré et Burnett, que vous parlez tous les deux d’un chaînon manquant. Nous pouvons nommer de nombreux autres organismes et artistes qui ont présenté leurs œuvres à l’étranger et qui ont certainement connu du succès. Je pense à l’exposition des œuvres d’Emily Carr, à l’exposition des œuvres de David Milne à la Dulwich Picture Gallery, aux concerts dans le cadre d’une tournée, et cetera. Ce qui m’inquiète, c’est que vous semblez tous les deux faire valoir que nous, les Canadiens, le gouvernement canadien ou la diplomatie canadienne ne savons pas comment tirer profit de ces réussites individuelles pour élaborer un programme global en vue de souligner notre identité en tant que nation ou peuple et que nous ne savons pas non plus comment profiter des liens économiques dont a parlé Mme Proucelle par rapport à ce que la France fait.

Quelle est la meilleure façon d’établir de tels liens? Je sais que l’Université Emily Carr a réalisé de nombreuses initiatives dans le domaine du design international, qu’elle a collaboré avec des entreprises et qu’elle a joué avec les matériaux et que vos étudiants et votre corps professoral ont grandement contribué au succès économique du Canada. Pouvez-vous tous les deux nous expliquer un peu plus comment nous pouvons créer cet élément manquant? Comment rectifier le tout pour que la réalité de ce qui se passe avec les arts, les artistes et la diplomatie culturelle soit vraiment comprise dans la présence économique du Canada à l’étranger?

M. Burnett : Merci, sénatrice Bovey. C’est un plaisir. Je dirais qu’il y a diverses manières de répondre à cette question.

J’apprécie vraiment ce dont Brigitte parlait au sujet de la France. En échangeant surtout avec certains pays européens, mais aussi certains pays asiatiques, je trouve étonnant de constater à quel point leur compréhension de la diplomatie culturelle est avancée et à quel point leurs attitudes sont profondément ancrées du point de vue de la structure et de l’infrastructure.

Prenons par exemple ce que fait le consulat français à Vancouver; c’est assez extraordinaire. C’est la même chose avec le consulat italien. Ces consulats appuient des activités locales en vue de promouvoir la culture locale tout en ajoutant une touche internationale en faisant la promotion dans leur pays, en invitant des citoyens de leur pays respectif à venir et en finançant leur participation.

Des processus similaires existent au Canada; il y a des exemples, mais cela dépend grandement de l’ambassadeur en poste dans un pays donné à un moment précis. J’ai connu et côtoyé bon nombre de nos grands ambassadeurs et j’ai pour eux le plus grand respect, mais il est très difficile de soutenir le processus si nous n’avons pas l’infrastructure en place pour le faire. Au Canada, nous avons probablement besoin d’un organisme comparable à l’Alliance française, ou il faut renforcer de manière comparable chaque consulat et ambassade. Cela signifie des gens qui connaissent très bien la culture canadienne et les liens entre la culture et les activités économiques et surtout qui ont une profonde compréhension de la manière dont les idées sont échangées sur la scène internationale.

Voici mon principal point : vous ne pouvez pas vous attendre à une solution rapide. Brigitte a mentionné que le tout a débuté en 1918, et cela en dit long. Cela prend des décennies pour construire cette infrastructure et façonner ces attitudes, mais nous devons commencer à le faire. Compte tenu de la variété, de l’étendue, de la richesse et de la grande beauté des œuvres canadiennes, je trouve honteux que nous ne sachions pas comment expliquer notre identité à nos partenaires, à nos amis et même dans certains cas à ceux qui ne sont pas très sympathiques à notre égard et que nous ne sachions donc pas comment les intéresser à ce que nous faisons.

Cependant, ce ne sera pas possible d’y arriver sans infrastructure, sénatrice Bovey. Je ne vois rien dans les récents rapports de Patrimoine canadien ou du Conseil des arts du Canada qui m’indique une compréhension suffisamment profonde de la manière de mettre en commun le financement local, national et international.

M. Dupré : Merci de votre question. Je crois que vous avez très bien résumé ce que j’ai essayé de faire valoir dans mon exposé.

Nous devons tout d’abord comprendre que nous pouvons, comme pays, nous définir par notre culture. Malheureusement, nous ne tirons pas suffisamment profit de nos nombreux talents culturels au pays. Ces talents sont exportés de diverses manières, comme M. Burnett l’a expliqué et comme j’ai essayé de l’illustrer en utilisant l’exemple de l’orchestre.

En ce qui a trait aux priorités de financement, le Conseil des arts du Canada doit revoir ses priorités. Comme j’ai essayé de l’expliquer, ce ne sont pas les priorités du milieu culturel canadien; ce sont les priorités du gouvernement. La culture doit s’arrimer aux priorités du gouvernement, ce que nous considérons comme contre-productif. Ce n’est pas sans danger; cela peut dénaturaliser notre culture.

Pour ce qui est de la façon de mieux tirer profit de nos ambassadeurs canadiens qui servent d’ambassadeurs culturels lorsque nous nous rendons à l’étranger pour faire connaître des talents canadiens, il devrait y avoir un lien entre le Conseil des arts du Canada et Affaires mondiales Canada pour faire comprendre que, dans un pays comme le nôtre, il y a actuellement des talents canadiens. Comment pouvons-nous mieux tirer profit de cette vitrine pour notre culture dans un endroit précis dans le monde où se produisent nos talents? Voilà ce que j’aimerais ajouter à ce sujet.

La sénatrice Bovey : Madame la présidente, j’aimerais proposer que nous soulignions que l’exemple français est en croissance depuis 1918. Si nous regardons les exemples canadiens, comme l’ont mentionné MM. Burnett et Dupré, nous semblons alterner entre le frein et l’accélérateur.

La présidente : Merci de votre commentaire. Je ferai peut-être un commentaire à la fin pour stimuler les échanges, mais j’aimerais que les autres sénateurs aient l’occasion de s’exprimer.

Le sénateur Cormier : J’ai beaucoup de questions, mais je vais me retenir.

La présidente : Je suis persuadée que vous choisirez les meilleures.

Le sénateur Cormier : Oui. Absolument.

[Français]

J’aimerais d’abord vous remercier pour le formidable travail que vous faites. Je tiens notamment à souligner le travail extraordinaire que fait l’OM et le maestro Nézet-Séguin. Il est l’un des grands ambassadeurs de la culture canadienne dans le monde. Il faut s’appuyer, comme vous l’avez dit, sur ces initiatives.

On essaie ici de déterminer comment la diplomatie culturelle peut se structurer au Canada. On parle beaucoup de notre relation avec les pays à l’étranger. Toutefois, je vous demanderais de regarder à l’intérieur de notre pays, en prenant appui sur la politique culturelle de la France avec les directions régionales de la culture. J’essaie de comprendre et de mettre en lumière comment doit s’organiser la culture ici, au Canada, à l’interne, pour qu’elle puisse rayonner à l’extérieur dans toute sa diversité.

[Traduction]

Monsieur Burnett, vous avez parlé de décentralisation.

[Français]

Nous savons que, en France, toutes ces régions sont organisées. Ma question rejoint celle de la sénatrice Bovey. Comment doit-on faire pour s’assurer que les créateurs provenant des différentes régions de notre pays, par exemple, puissent être interreliés pour diffuser à l’échelle internationale et agir dans le domaine de la diplomatie internationale? Comment doit-on structurer notre culture ici, au Canada?

Ma question complémentaire est la suivante. Vous avez une longue tradition en France. Quelle est la relation du ministère des Affaires étrangères avec les régions de la France en ce qui a trait à la diplomatie culturelle? Comment se fait le lien entre les régions et le ministère des Affaires étrangères?

Mme Proucelle : Je tiens à préciser une chose. Cette organisation ne s’est pas faite en un jour, comme on le dirait pour Rome. Les choses ont démarré en 1918. On a dû fixer des objectifs et, à partir de ceux-ci, on a créé l’outil, qui a été officialisé en 1922. Ce n’est pas par hasard qu’un chef d’orchestre et musicien en a pris la tête, justement pour rassembler les talents en France afin de leur permettre de montrer leurs créations à l’extérieur des frontières et de commencer à établir des contacts culturels.

Grâce aux moyens modernes, il y a une accélération du temps, ce qui nous permettrait d’aller bien plus vite si on commençait aujourd’hui du côté de la France. Nous étions en 1918, époque où il n’y avait pas de téléphone portable ni d’Internet.

Pour ce qui est de la relation entre les régions et le ministère des Affaires étrangères, ce dernier regroupe toutes les compétences des ministères français. Il travaille avec l’ensemble des ministères français. Les régions sont connectées à l’ensemble de la gouvernance française. Plus encore, elles ont des relations contractualisées avec l’État pour certaines parties de leurs actions, que ce soit, notamment, pour l’université ou pour la culture.

J’étais auparavant directrice générale des affaires culturelles de la municipalité de Bordeaux, qui est un énorme service. Dans cette ville, je gérais 1 200 personnes qui s’occupaient de la culture pour la seule ville de Bordeaux, qui compte 235 000 habitants. Son opéra, qui est énorme et l’un des premiers de France, était contractualisé entre l’État, la région et la ville. Les objectifs communs s’élaboraient à l’échelle régionale, nationale et internationale, chacun abondant économiquement et faisant partie du conseil d’administration qui gère la gouvernance de cet opéra. L’opéra comprenait orchestre, ballet et chœur.

[Traduction]

Le sénateur Cormier : Monsieur Burnett, comment pouvons-nous le faire au Canada? Il y a des régions en France, et nous avons des provinces au Canada. Comment pouvons-nous mettre en place ce chaînon manquant qu’évoquait la sénatrice Bovey?

M. Burnett : J’ai parlé de l’infrastructure et de la structure. J’ai étudié très attentivement le modèle français, parce qu’il est très impressionnant.

Dans mes discussions avec le gouvernement de la Colombie-Britannique, j’ai beaucoup insisté au fil des ans sur l’importance des relations internationales et du rôle connexe de la culture. Il n’y a aucune infrastructure précise en Colombie-Britannique pour soutenir cet aspect.

Au sein du gouvernement fédéral, je crois qu’il faut mettre sur pied un conseil multiministériel qui regroupe Patrimoine canadien, Affaires mondiales Canada et Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Ce conseil multidisciplinaire se définirait de manière à permettre aux gens et aux employés qui ont à cœur la culture canadienne d’acquérir une expertise et de la renforcer au fil du temps. Ce serait une expérience sur 20 ou 30 ans. Cela ne se fera pas en criant ciseau.

Son objectif serait notamment de dresser un portrait des effets de l’art, du design, de la musique, des spectacles et du théâtre canadiens dans le monde. Cela irait au-delà d’un simple rapport; cela prendrait la forme d’un véritable conseil dont l’objectif serait la promotion de la culture canadienne dans toutes les régions où nous avons une présence et où nous souhaitons avoir une présence.

Je ne crois pas que nous pouvons y arriver autrement qu’en investissant vraiment de l’argent. Nous avons énormément fait preuve d’amateurisme jusqu’à présent.

[Français]

Le sénateur Cormier : Monsieur Dupré, êtes-vous d’avis que le fait que l’OM et son chef sont mieux connus à l’extérieur du Canada qu’à l’intérieur du Canada ait une incidence sur le financement et l’appui que vous recevez de la part du gouvernement canadien?

M. Dupré : Tout à fait. Je pense qu’il faut être conscient qu’il y a des iniquités dans le système actuel. Vous n’êtes pas sans savoir que les orchestres fonctionnent de trois grandes façons dans le monde. Il y a le modèle européen où les musiciens sont des employés de l’État. Il y a le modèle américain, où il y a seulement des mécènes et où le gouvernement n’est pas impliqué dans la culture. Au Canada, on a un modèle hybride où on dépend beaucoup du mécénat. Comme je l’ai mentionné plus tôt, si on n’avait pas reçu, sous forme de dons, 46 p. 100 de l’enveloppe de 1,4 million de dollars, on n’aurait pas pu réaliser cette tournée. Le gouvernement doit jouer un rôle important.

Comme l’a mentionné M. Burnett, il serait fantastique d’avoir une plateforme de promotion et d’exportation du talent. Cependant, comment fait-on, à l’intérieur du Canada, pour être mieux reconnu? Par l’entremise d’institutions comme le Conseil des arts du Canada, il faut s’assurer que nos talents canadiens sont bien reconnus ici, avant tout.

Le sénateur Massicotte : Merci à vous tous de votre présence parmi nous. Vos témoignages sont très pertinents pour notre étude. Comme vous le savez, notre étude traite de l’aspect particulier de la diplomatie culturelle, soit les bienfaits sur le plan artistique et en ce qui concerne l’exportation de nos produits culturels.

Madame Proucelle, à cet égard, on a beaucoup parlé de l’étendue et de l’impact de tous vos efforts, qui sont importants. Vous avez abordé brièvement la question des gains et du soft power. Vous avez fait référence aux aspects économiques. Selon votre vaste expérience, quels sont les bienfaits de ces efforts? Du point de vue culturel, c’est facile à cerner, mais sur le plan financier, de la perspective du citoyen français, quels sont les avantages pour votre pays d’investir autant d’efforts un peu partout dans le monde?

Mme Proucelle : J’ai aussi parlé des parts de marché. Il s’agit aussi de cela.

Par exemple, avec tout ce qui est audiovisuel, soit les contenus cinématographiques et télévisuels et les musiques actuelles, on peut avoir accès à tout ce qui concerne le marché avec un mainstream — pardonnez-moi l’anglicisme —, qui est une espèce de standardisation internationale avec les mêmes sons. Il y a également une politique culturelle qui permet la différenciation et la création et qui est très attendue par les citoyens et les consommateurs de musique ou de contenus audiovisuels. C’est à cet égard que nous travaillons à l’échelle nationale. Nous repérons les talents qui apportent une voix différente et qui sont véritablement dans la création et l’innovation. Bien sûr, nous travaillons avec le système privé et économique. Nous travaillons avec les maisons de disque, avec les producteurs de cinéma et de télévision, et nous avons des instances où l’ensemble se connecte de façon à pouvoir organiser des rencontres à l’étranger. D’ailleurs, c’est ce que fait Le Bureau Export de la musique. Lorsqu’il y a un artiste ou un groupe d’artistes talentueux français en termes de musique actuelle, c’est-à-dire sur l’économie de marché, nous travaillons ensemble, parce que nous croyons que le son et la qualité de cet ensemble peuvent être intéressants, par exemple, pour le Canada.

Ce qui est intéressant aussi, c’est lorsque ces artistes viennent se déployer au Canada. Ils en profitent, et nous essayons de le faire, par exemple, à Calgary, grâce au Centre national de musique de Calgary. Nous faisons en sorte qu’il y ait des rencontres et des productions communes entre la France et le Canada, ce qui génère énormément d’économies pour les citoyens canadiens et français. De plus, cela permet à nos artistes de travailler et de faire partie d’un cercle vertueux d’économie positive.

Il y a aussi des zones d’excellence dans l’Ouest du Canada pour tout ce qui relève de la créativité liée aux arts numériques, à la vidéo, aux jeux vidéo, c’est-à-dire tout ce qui est extrêmement exploité sur la côte Ouest du Canada et des États-Unis. À l’origine de toute cette économie numérique, ce sont des artistes et des experts qui arrivent dans le champ économique, s’ils en ont la possibilité, s’ils ont eu le coup de pouce nécessaire pour accéder à l’économie de marché et au développement de leurs produits créatifs industrialisables.

C’est ce que nous faisons aussi. On fait très clairement le lien entre la démarche artistique de création et d’innovation. On donne le coup de pouce économique aux artistes pour les aider à créer leur entreprise et à se développer en complicité avec d’autres entreprises en démarrage au Canada. Il s’agit d’une façon d’investir une part de marché complètement innovante et créative.

J’espère avoir répondu à votre question avec ces deux exemples.

Le sénateur Massicotte : Oui, merci, c’est très pertinent pour notre rapport.

Il y a trois mois, j’ai eu l’occasion d’apprécier le talent de Yannick Nézet-Séguin à l’opéra de New York. J’ai passé une très belle soirée. Vous avez fait une tournée américaine et, maintenant, vous faites une tournée européenne. L’aide financière que vous avez reçue de la part du gouvernement canadien et des gouvernements provinciaux dans le cadre de votre tournée américaine — je crois que j’étais présent le soir même où vous étiez à Washington — est-elle comparable à ce que vous recevez pour votre tournée européenne?

M. Dupré : Pour rétablir les faits, c’était notre première tournée internationale. On n’a pas fait de tournée nord-américaine encore. L’OSM a fait une tournée nord-américaine l’an passé, qui l’a amené à Washington. Je ne peux pas parler de ce que l’OSM reçoit comme financement. Toutefois, si on regarde les programmes actuellement en place, le niveau de financement ne serait pas différent. Il serait à la même hauteur qu’à l’heure actuelle, ce qui est un peu aberrant.

Le sénateur Massicotte : Quel est le pourcentage de vos revenus? Est-ce 6 p. 100 ou 3 p. 100?

M. Dupré : Pour l’Orchestre Métropolitain, on reçoit du Conseil des arts du Canada 3 p. 100 de tous nos revenus, contrairement aux autres grands orchestres du Canada qui reçoivent entre 8 p. 100 et 10 p. 100. C’est le point que je voulais soulever.

Le sénateur Massicotte : D’autres compagnies canadiennes reçoivent de 8 à 10 p. 100 et vous recevez 3 p. 100.

M. Dupré : Oui.

Le sénateur Massicotte : Quel était le pourcentage il y a cinq ou dix ans?

M. Dupré : C’était 1 p. 100. Avant l’an dernier, c’était 1 p. 100.

Le sénateur Massicotte : Il y a eu une augmentation importante, mais c’est encore très bas.

M. Dupré : Un taux de 2 p. 100, ce n’est pas grand-chose.

Le sénateur Massicotte : Quelle réponse vous donne le gouvernement? Vos arguments sont assez solides.

M. Dupré : On nous répond que les priorités du gouvernement sont différentes et ne prévoient pas le rattrapage historique d’une iniquité qui existe par rapport à notre orchestre.

Le sénateur Massicotte : Même si les autres orchestres bénéficient d’un pourcentage beaucoup plus élevé.

M. Dupré : Tout à fait.

Le sénateur Massicotte : Effectivement, ce n’est pas très logique.

M. Dupré : C’est pour cette raison que j’essayais de souligner cet aspect aujourd’hui. Il faut tenir compte de ces réalités.

Le sénateur Massicotte : Merci.

M. Dupré : Avec plaisir.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation aujourd’hui. Je crois que c’est important d’en discuter; c’est une bonne chose pour les Canadiens qui nous écoutent d’entendre ces discussions.

L’un des défis que d’autres témoins nous ont mentionnés et que vous avez réitérés aujourd’hui est le problème que nous avons par rapport à la visibilité des artistes, de la culture et des arts au Canada et surtout des Canadiens qui se rendent à l’étranger.

Monsieur Burnett, vous avez mentionné que l’autopromotion n’est pas vraiment la force du Canada, et je suis d’accord avec vous. Vous avez également dit qu’un petit nombre de médias canadiens mentionnent les réalisations canadiennes à l’étranger dans les domaines des arts et de la culture. Nous avons également entendu de précédents témoins affirmer que les Canadiens qui reçoivent des récompenses en argent ou qui connaissent du succès à l’étranger jouissent d’une grande publicité en Europe, mais les médias canadiens n’en parlent pratiquement pas ou n’en parlent pas du tout, alors que ce sont des artistes canadiens.

Vous avez parlé de bonifier le financement, d’avoir des investissements plus ciblés et d’adopter une approche différente, mais je me demande si nous avons besoin d’attachés culturels dans les ambassades, comme c’était le cas par le passé.

Madame Proucelle, je crois que vos connaissances dans les arts et la culture ont certainement beaucoup aidé la France, de même que la présence de votre ambassade ici au Canada. Cela dépend maintenant apparemment des intérêts de l’ambassadeur en poste, et je crois que M. Dupré ou Mme Proucelle ont parlé des rapports qu’entretiennent entre eux les artistes. Nous semblons dépendre des intérêts des ambassadeurs et des rapports qu’entretiennent les artistes entre eux plutôt que d’une position générale du gouvernement canadien concernant la promotion des arts et de la culture.

M. Burnett : Je peux rapidement répondre à la question sur les attachés. J’ai travaillé dans les années 1970 et 1980 à l’Université McGill. L’établissement entretenait à cette époque des rapports étroits avec les attachés, et j’étais particulièrement actif dans le dossier.

Je peux vous dire que le système des attachés culturels utilisé en France et surtout en Italie et aussi dans d’autres pays asiatiques est essentiel et qu’il sert en quelque sorte de fondation sur laquelle peut s’appuyer l’ambassade. Ces divers attachés s’intéressent vivement à la culture où ils se trouvent et ils cherchent activement une manière d’établir des liens entre les Canadiens et cette culture et vice versa.

Je crois que vous abordez un enjeu beaucoup plus vaste et beaucoup plus profond dont nous n’avons évidemment pas tendance à débattre; il s’agit du manque de cohérence au pays de nos politiques culturelles en ce qui a trait à la promotion et à la reconnaissance. L’orchestre de Montréal en est un bon exemple dans la mesure où nous ne soutenons pas nos propres institutions.

Ce que je trouve pour le moins paradoxal, c’est que le secteur de la création représente environ de 3 à 5 p. 100 de notre PIB; si vous incluez les technologies, cela représente environ de 7 à 9 p. 100 du PIB. Je vous donne ces fourchettes, parce que Statistique Canada est tellement en retard dans ses données pour les activités culturelles au pays que nous n’avons pas les statistiques pour 2018. En fait, sur le site web de Statistique Canada, cela se fonde sur les données de 2010 à 2015.

L’importance de la contribution au PIB des activités culturelles dans un pays laisse entendre que nous passons à côté de la plaque en ce qui a trait à ce que nous pouvons faire du côté du commerce et de l’industrie; nous passons aussi à côté de belles occasions dont sont conscients de nombreux autres pays, c’est-à-dire que la culture peut profiter à tout le monde sur le plan financier et évidemment sur les plans culturel et humain.

Je crois que nous avons beaucoup de pain sur la planche, mais j’ai très bon espoir que nous pourrons y arriver. Il y a beaucoup de talents au pays qui peuvent vraiment en tirer profit.

[Français]

Mme Proucelle : Je me permets d’ajouter que la coopération culturelle scientifique, éducative et économique est une feuille de route que le gouvernement français donne à chaque ambassade, et cela, depuis de très longues années, comme je l’ai souligné.

D’autre part, la très bonne connaissance de l’écosystème de notre propre pays est absolument essentielle pour aller à la rencontre de l’écosystème de l’autre pays. C’est ce que je souhaitais préciser. Merci.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Monsieur Burnett, vous avez mentionné que la culture au Canada est divisée en régions. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire par cela? Nous avons entendu des témoins autochtones nous dire qu’il n’y avait pas une seule culture canadienne et qu’il y avait en fait une culture autochtone et une culture francophone. Vous avez parlé des éléments régionaux. Y a-t-il ce que nous appellerons une culture canadienne ou est-ce que la culture canadienne est, à l’instar du Canada, une mosaïque de nombreux peuples? Nous ne sommes pas un creuset. En fait, je crois que nous respectons les différences culturelles et les aspects multiculturels du Canada. Comment pouvons-nous exporter une culture canadienne?

M. Burnett : Eh bien, c’est une question très importante. Je vous en remercie.

À mon avis, le Canada se définit en grande partie par la tension entre les régions et non par les similitudes ou l’homogénéité de notre culture. Les peuples autochtones sont un bon exemple de cette tension. Nous avons diverses approches selon les contextes culturels et les provinces et au sein même des provinces et des régions.

Néanmoins, si nous partageons un objectif commun au Canada, ce serait en fait de promouvoir cette diversité et l’harmonie que le Canada a développée entre ses régions et ses différents groupes de créateurs culturels. Cette harmonie, que nous ne retrouvons pas souvent dans d’autres pays, est quelque chose que nous pouvons faire valoir pour souligner ce que nous avons en fait réussi à accomplir. Nous avons trouvé le moyen de maintenir un certain équilibre, qui n’est pas toujours parfait, malgré toutes nos différences. Ces différences se manifestent par la façon dont nos divers créateurs culturels s’expriment. C’est un arc-en-ciel, et nous devrions le faire de manière systématique.

Premièrement, je crois que le problème est que nous avons tendance à définir la culture canadienne de manière très limitée. Comme vous pouvez le voir par la façon dont la France le fait, les Français définissent leur culture en fonction d’une variété de secteurs différents. Deuxièmement, en raison de ces limites, nous ne sommes pas conscients de la diversité et nous ne savons pas comment en parler. Le système d’éducation n’en fait honnêtement pas suffisamment en la matière. C’est un véritable problème systémique au pays pour ce qui est de l’enseignement de l’histoire de la culture au Canada.

Je vais vous donner un exemple concret. Nous venons tout juste de procéder au vernissage d’une exposition sur le design canadien, et c’est l’une des premières fois dans l’Ouest canadien que nous avons vraiment une exposition sur le design canadien. Cette exposition est interculturelle, pancanadienne et historique. Elle se trouve en ce moment à l’Université Emily Carr. Lorsque j’ai essayé d’avoir une certaine couverture médiatique pour cette exposition en Colombie-Britannique, c’était peine perdue. Je n’arrive même pas à convaincre le Globe and Mail, qui est censé être un journal national, de s’intéresser à l’exposition.

Il y a donc un certain problème au Canada au sujet de la reconnaissance et de la compréhension de la diversité et de la façon dont cela fonctionne, mais il y a aussi un problème de compréhension quant à la façon dont nous devons réorienter nos outils de communication et nos divers médias sociaux — et c’est là où le gouvernement intervient — pour exprimer la diversité au pays. J’appuie cette diversité et je veux cette diversité, mais je ne pense pas que le monde réalise à quel point nous sommes en fait très bons dans ce que nous faisons.

La présidente : Le temps est écoulé; nous avons même pris un peu plus de temps. Je remercie nos témoins de leur présence. Vous avez permis d’ouvrir un dialogue, et il faudra à un moment donné répondre à la question suivante : dans quelle mesure devrions-nous demander au gouvernement canadien de définir la diplomatie culturelle par opposition à la communauté culturelle et aussi aux Canadiens en général?

Je sais que c’est l’un des enjeux auxquels les gouvernements sont pratiquement allergiques, et je crois que c’est quelque peu unique au Canada. Je pense que c’est également le cas dans d’autres pays. C’était excellent d’avoir l’exemple français. Les Français ont abordé à leur manière leur diplomatie culturelle, et c’est instructif; c’est bon d’entendre au comité des sources canadiennes qui vous font éprouver une certaine fierté par rapport à ce que vous faites. Cela éclaire nos réflexions. Votre présence a aussi donné à la population l’occasion de vous entendre, mais je crois que vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion. Nous devrons peut-être communiquer de nouveau avec vous pour vous poser d’autres questions. Merci d’avoir accepté notre invitation aujourd’hui.

Pour la prochaine partie, nous accueillons M. Alain Chartrand, directeur général et artistique de Coup de cœur francophone. Bienvenue au comité. Nous savons que la greffière vous a expliqué que notre étude porte sur la diplomatie culturelle. Nous cherchons à entendre vos points de vue par rapport à vos expériences particulières. Merci d’avoir accepté de témoigner devant le comité. Si vous avez un exposé, vous pouvez le faire. Les sénateurs vous poseront ensuite des questions.

[Français]

Alain Chartrand, directeur général et artistique, Coup de cœur francophone : Tout d’abord, je tiens à remercier les membres du comité de m’avoir invité à témoigner dans le cadre de cette étude. Comment pourrais-je alimenter cette réflexion, sachant que le sujet est vaste? Sans doute en partageant mon expérience sur le terrain, dans le domaine de la diffusion du spectacle sur la scène internationale.

Mon témoignage s’articule autour d’une expression artistique spécifique, soit la chanson francophone. Art populaire par excellence, la chanson nous ressemble et nous rassemble. Tel un caméléon sur une jupe écossaise, elle adopte tous nos motifs. Porte-étendard et complice des accents et de notre culture, la chanson sera toujours l’une des plus redoutables gardiennes. « C’est un miroir de poche », nous rappelle Gilles Vigneault.

Pour situer mon intervention, permettez-moi un petit retour en arrière. Après avoir connu une période plutôt faste, la chanson francophone connaît, au début des années 1980, un moment difficile. Soucieux d’inventer le vent lorsqu’il ne souffle pas, je participe alors à la création de Coup de cœur francophone, le premier festival montréalais consacré à la chanson francophone. En novembre 2018, nous présenterons notre 32e édition de ce festival.

Grâce à la mise en place de son réseau national, le festival se déplace aujourd’hui dans plus de 45 villes canadiennes, au cœur des communautés francophones. Basé sur une culture d’alliances et de partenariats, il vise à mettre en valeur la richesse de cette expression artistique, en facilitant la circulation des artistes canadiens sur l’ensemble du territoire.

Notre implication sur la scène internationale remonte à plus de 20 ans. Au fil des ans, elle s’est traduite par la participation à différentes initiatives qui visent à favoriser la diffusion des artistes canadiens à l’international, initiatives basées sur le principe de la réciprocité et du partage d’une vision commune. Parmi elles, je donnerais l’exemple de notre participation à l’Association des réseaux d’événements artistiques internationaux, l’AREA International, qui regroupe la France, la Belgique, la Suisse et le Canada, et dont la mission consiste à favoriser la circulation des artistes sur les différents territoires.

De 2006 à 2016, j’ai eu le privilège de présider l’AREA, qui s’avère être le plus grand regroupement de diffuseurs et de programmateurs de l’espace francophone. J’évoque cet exemple pour mettre l’accent sur l’importance de développer et d’entretenir des communautés de pratique, tant sur la scène nationale qu’internationale. C’est la nature même des réseaux de réunir des organismes et des intervenants qui partagent une vision et des projets communs pour y arriver. Peu importe l’expression artistique, la chaîne qui mène de la création à la diffusion est constituée de plusieurs intervenants qui travaillent en interaction afin que la création atteigne le public.

Dans le domaine de la diffusion sur la scène internationale, un de ces maillons, soit les structures qui programment les artistes, joue un rôle de premier plan à ce chapitre. S’assurer d’offrir les ressources nécessaires au développement et au maintien de cet écosystème, constitué notamment de réseaux et de communautés de pratique entre le Canada et l’étranger, m’apparaît important à considérer dans l’élaboration d’une politique axée sur la diplomatie culturelle.

L’expérience m’a appris qu’au-delà des meilleurs protocoles signés entre les partenaires, les relations humaines jouent un rôle déterminant dans la réussite et la pérennité des collaborations à l’international. En ce qui a trait à la diplomatie culturelle, j’adhère à la définition qu’en donne Cynthia P. Schneider, citée dans le rapport intitulé La place des arts et de la culture dans la politique étrangère du Canada, publié en 2007 par la Conférence canadienne des arts. C’est l’utilisation d’expressions créatives et l’échange d’idées, d’information et de personnes pour favoriser la compréhension mutuelle. Permettre de mieux se comprendre, c’est ce que la culture, qui représente et rapproche les gens de manière bien singulière, permet de faire.

En 2006, à propos de Coup de cœur francophone, la journaliste Anne Richer écrivait ce qui suit dans le quotidien La Presse :

L’événement annuel consacré à la chanson francophone a réussi là où la politique échoue parfois : transmettre des valeurs francophones d’un océan à l’autre.

Cette observation illustre l’impact d’un projet culturel sur une communauté. Si ces valeurs naviguent d’un océan à l’autre, elles naviguent tout aussi bien d’un continent à l’autre.

En plus du soutien au développement des réseaux d’intérêts et des communautés de pratique, le principe de réciprocité participe également à constituer une stratégie efficace pour la diplomatie culturelle. Cette réciprocité se traduit par notre capacité d’accueil du spectacle étranger au Canada. Celle-ci est en partie tributaire d’une volonté politique quant à la mise en place de programmes qui favorisent cet accueil.

Il m’apparaît également important que la politique extérieure du gouvernement canadien en matière culturelle, tout particulièrement à l’égard de la francophonie, tienne compte des politiques des provinces et des initiatives régionales, et qu’elle s’harmonise le mieux possible avec elles, afin d’optimiser son impact. Il arrive parfois que nos interlocuteurs à l’international s’y perdent.

En conclusion, tel qu’il a été avancé dans le document que j’ai cité précédemment, je dirais que la représentation de la culture à l’étranger ne peut être forte que dans la mesure où la culture canadienne l’est au pays. En ce qui concerne la chanson francophone, l’objet de mon intervention, il ne fait aucun doute qu’au Canada elle est forte de tous ses accents, et qu’une politique extérieure doit en tenir compte. Merci de votre écoute.

[Traduction]

La présidente : Merci. J’ai une liste de sénateurs. Le premier intervenant est le sénateur Massicotte.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Monsieur Chartrand, merci d’avoir accepté de comparaître devant le comité ce matin, c’est très apprécié. Vous avez beaucoup de connaissances et d’expérience dans le domaine artistique. Vous nous avez donné une définition de la diplomatie culturelle qui, je pense, est toujours d’actualité. D’après vous, quels sont les avantages de l’exportation de la culture canadienne sur le plan économique et social? Avez-vous des exemples plus concrets qui démontrent que cela a été très positif?

M. Chartrand : Je pense que nous avons cette capacité de transmettre à l’international notre réalité et notre imaginaire grâce à la vision des différents artistes, et que c’est une façon de faire en sorte que les peuples puissent se comprendre. La culture véhicule des valeurs plurielles qui appartiennent au pays qu’on habite et, à mon avis, c’est un témoignage puissant de ce que représente le Canada à l’international.

Concrètement, en ce qui me concerne, sur le terrain, on travaille beaucoup avec plusieurs réseaux au niveau de la diffusion du spectacle. Il y a donc un effet multiplicateur à travailler ainsi qui permet de faire en sorte que, lorsqu’on positionne un artiste sur la scène internationale dans le cadre de ces réseaux, cet artiste puisse se produire devant un parterre de diffuseurs étrangers venant de différents pays qui peuvent par la suite le représenter.

Après cela, je pense qu’il y a quelque chose d’universel dans la culture qui fait écho à ce qu’on est et, à mon avis, c’est une manière très efficace de brosser le portrait de ce qu’est la société canadienne.

Le sénateur Massicotte : Vous parlez d’efficacité, vous êtes très impliqué dans le domaine de la chanson. Il y a plusieurs moyens de communiquer notre image et notre réalité, que ce soit par la musique ou le sport. La chanson est-elle une façon plus efficace que les autres pour diffuser notre image?

M. Chartrand : Toutes les expressions culturelles sont efficaces. La chanson a la particularité d’être un art populaire par excellence qui voyage léger, qui voyage bien et qui atteint tout le monde. Certains parmi vous aiment beaucoup la musique contemporaine ou le théâtre expérimental, ce qui n’est pas nécessairement le cas de tout le monde, car ce sont des arts plus recherchés. Par contre, tout le monde est abonné à la chanson, tout le monde a son petit air. Et quand je dis « art populaire », c’est un art qui rejoint tout le monde d’une certaine façon, ce que ne font pas certaines expressions artistiques qui sont plus exclusives.

Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur Chartrand.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation aujourd’hui. C’est très intéressant.

J’aimerais particulièrement que vous nous expliquiez ce que vous vouliez dire lorsque vous avez mentionné — et je paraphrase — que les arts réussissent là où la politique échoue. Pouvez-vous nous en dire davantage en ce qui a trait au rôle que vous croyez que pourrait jouer la diplomatie culturelle pour renforcer la compréhension du Canada par les autres et stimuler notre économie?

[Français]

M. Chartrand : C’est une grande question. Une journaliste de La Presse disait que notre initiative arrive parfois à réaliser des choses que la politique ne peut faire, dans le contexte de la francophonie. Dans le cadre du projet qu’on a élaboré, ce qui est magnifique, selon moi, c’est qu’on a réussi à réunir toutes les communautés francophones autour d’un projet commun. Évidemment, ce projet commun, c’est la chanson, c’est la diffusion sur le territoire.

Il y a un dénominateur commun de cette expression qui est la chanson, mais qui rejoint également la diversité des expressions, des accents et des histoires de chaque communauté, et le fait que cela réunit la francophonie canadienne autour d’un projet commun, qui est né d’un organisme du Québec, notamment.

Au début, il y avait peut-être une certaine incompréhension à savoir ce qu’on recherchait exactement en tendant la main à tous nos partenaires à travers le Canada. C’était une volonté carrément liée à la diffusion de la chanson, mais cela m’a permis, au fil des ans, de connaître toute cette réalité. Il y a une francophonie plurielle; tout comme il n’y a pas deux chansons pareilles, il n’y a pas deux francophonies tout à fait pareilles au Canada.

Ce travail, qui a été fait au Canada et qui nous unit depuis plus de 25 ans au sein du réseau, ce filon par rapport à la francophonie, nous aide à créer des liens avec différents pays de l’espace francophone, sous le thème de la francophonie. Il est clair que cela crée un couloir de circulation et d’échanges avec les autres pays à l’international autour de ce petit trésor qu’est la langue française.

Je ne pourrais pas vous dire exactement comment le Canada peut en bénéficier d’un point de vue économique ou social. Cependant, je peux dire que cela nous réunit autour d’une communauté qui permet aussi un échange de valeurs et qui permet de dresser un portrait de ces différentes communautés.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Merci de votre réponse. Je crois que c’est très positif et très utile.

Vous avez parlé de la culture à l’étranger, mais je ne me rappelle pas le mot que vous avez utilisé; vous l’avez comparée à la culture au pays. Convenez-vous qu’il y a des musiciens francophones — et je sais qu’il y a des musiciens anglophones — qui jouissent d’une plus grande renommée à l’étranger qu’au Canada?

[Français]

M. Chartrand : Vous parlez d’artistes canadiens?

La sénatrice Bovey : Oui.

M. Chartrand : Dans le domaine de la chanson, en général, pour qu’un artiste puisse rayonner à l’extérieur, il doit commencer par faire son bout de chemin au Canada. Cette reconnaissance lui permet souvent d’aller à l’étranger.

Je poursuivrais en disant que, de façon très pratique, j’ai constaté la perception des collègues à l’international quant à la francophonie canadienne, qui était évidemment souvent strictement associée au Québec et à l’Acadie. La diversité et le fait que la francophonie se décline à travers tout le Canada avec ses particularités, c’est quelque chose que nos collègues ignoraient.

Je remarque maintenant, notamment dans le cadre des réseaux avec lesquels nous travaillons, toute la communication qui se fait autour d’un artiste francophone, qu’il vienne de l’Alberta ou du Manitoba, et cetera. La provenance de l’artiste est vraiment bien spécifiée, et il y a un petit côté éducatif pour le public de l’étranger qui, ainsi, comprend mieux la diversité de la francophonie canadienne.

La sénatrice Bovey : Merci. Ai-je raison de dire que plusieurs des artistes visuels sont bien connus à l’extérieur du Canada, mais pas ici?

M. Chartrand : Je vous dirais que c’est semblable dans le domaine de la danse, et dans plusieurs autres domaines, d’ailleurs. En ce qui a trait à la chanson particulièrement, il m’apparaît très rare qu’un artiste qui n’a aucun rayonnement ici connaisse une explosion sur la scène internationale.

La sénatrice Bovey : C’était très intéressant. Merci beaucoup.

Le sénateur Cormier : Madame la présidente, je tiens tout d’abord à dire que ne serai pas objectif dans mon commentaire, puisque je connais extrêmement bien Coup de cœur francophone. Je connais la force de ce réseau, je connais son rayonnement, j’ai abondamment participé, dans ma vie précédente, à des activités de Coup de cœur francophone. Je veux donc bien situer cela au départ pour préciser que j’ai une profonde connaissance à la fois de la capacité de cet organisme d’entrer en réseau ici, sur le territoire canadien et, ensuite, sur la scène internationale.

Ma question est la suivante, et je ne veux pas vous coincer, monsieur Chartrand. On a un peu l’impression que Coup de cœur francophone n’a pas besoin de l’appareil diplomatique canadien pour fonctionner, parce qu’il fonctionne aisément, qu’il a établi des réseaux solides et qu’il lance des activités à l’international qui sont solides et qui rayonnent. D’abord, est-ce que l’appareil politique ou diplomatique canadien est présent à vos activités? Le cas échéant, est-ce que cela a un impact? Et s’il ne l’est pas, quelle différence pourrait avoir pour votre réseau la présence des ambassades, des attachés et des représentants politiques dans d’autres territoires?

M. Chartrand : Je perçois deux volets à votre question. D’une part, sans nécessairement parler de diplomatie culturelle, la capacité d’exporter la culture au Canada est aussi liée à la mise en place de programmes qui le permettent. Au niveau de la chanson, Patrimoine canadien est assez actif, tout comme Musicaction. On l’a vu, au cours des 20 dernières années, et je pense notamment à Musicaction qui a mis en œuvre des programmes très précis qui s’adressaient aux communautés francophones dans un contexte où on parle d’une industrie musicale qui existe au Québec, mais pas nécessairement à l’extérieur du Québec. Ce sont plutôt des mouvements associatifs.

Par rapport à la diplomatie culturelle, je ferais peut-être allusion à des projets qu’on mène avec différents partenaires dans le cadre d’événements qui offrent une visibilité, soit des événements contacts ou des événements qui regroupent tout le marché sur un territoire. Je pense, par exemple, à la Biennale internationale du spectacle qui se tient à Nantes pendant deux jours, tous les deux ans en janvier. Là, il y a une opération qui se fait, qui est menée par le gouvernement du Canada en collaboration avec le gouvernement du Québec et en rotation. Les deux organismes collaborent notamment avec la Société Nationale de l’Acadie, comme cela a été le cas la dernière fois, ou avec le gouvernement de l’Ontario.

La mise en commun de ces ressources, c’est aussi la mise en commun des ressources diplomatiques, qui sont présentes sur place et travaillent ensemble. Il est important que le travail se fasse en harmonie, parce que le Canada élabore des programmes, tout comme le Québec et l’Acadie. À un moment donné, il y a intérêt à faire converger ces programmes pour avoir un maximum d’impact.

Pour répondre à votre question sur la diplomatie culturelle, oui, la présence et la participation soit de l’ambassade du Canada ou de la délégation du Québec contribuent réellement à favoriser l’exposition des artistes canadiens à l’étranger. Je donne un exemple bien précis qui était cette manifestation, mais il existe plusieurs manifestations de ce genre qui se déclinent dans différents créneaux aussi. Lorsqu’on parle de chanson, il y a le métal, la chanson à texte, et cetera. Il y a des réseaux différents. Chose certaine, oui, la diplomatie culturelle y joue un rôle et, si elle ne s’y impliquait pas, il n’y aurait pas, à mon avis, autant de possibilités de positionnement.

Le sénateur Cormier : Si vous deviez mettre en place un programme qui réunissait les acteurs dont vous venez de parler, quelles seraient les trois priorités de ce programme?

M. Chartrand : Je ne sais pas si je mettrais en place un programme, mais j’organiserais certainement une réunion. Cela se fait évidemment entre tous les acteurs pour qu’ils puissent parler d’une même voix. Quand je disais que, parfois, les interlocuteurs à l’international s’y perdent, au fil de mon expérience qui date de l’époque où j’avais les cheveux bruns, il m’est arrivé d’avoir l’impression qu’il y avait une petite guerre des drapeaux. J’avoue que nos collègues à l’international s’y perdent.

Il est tout à fait normal aussi que le Québec élabore ses propres programmes. Le Canada le fait aussi. On connaît l’effervescence de la Société Nationale de l’Acadie quant au positionnement, mais je pense qu’il faut au maximum harmoniser les efforts. Je ne crois pas qu’un seul programme doive chapeauter le tout. Il faut laisser la latitude à chacune des provinces et des cultures de décider comment elles veulent se positionner sur la scène internationale. Mais en fin de compte, quand un artiste de la chanson francophone se présente dans un événement vitrine ou dans le cadre d’une grande manifestation, il demeure un artiste canadien qui a cette particularité de provenir d’une région ou d’une autre.

Rapidement, j’entendais l’intervention du témoin précédent qui parlait de la diversité et de la difficulté à réunir tout cela. Je travaille beaucoup en France. En France, quand on vient de Toulouse ou de Lille, oui, il s’agit d’une culture francophone, mais chacune a ses particularités. Les Français sont très attachés à leurs particularités. Donc, évidemment, nous, dans notre pays des grands espaces, il est tout à fait normal que nos divers accents aient leurs particularités, mais tout en étant unis autour d’une expression qui se fait en français.

Le sénateur Cormier : Je vous remercie. Je profite de l’occasion pour remercier M. Chartrand de son incroyable travail et de son sens de l’humour, qu’il n’a pas beaucoup manifesté aujourd’hui, mais qui est l’une de ses grandes qualités. Merci, monsieur Chartrand.

[Traduction]

La présidente : Nous parlons de la façon d’inclure le Canada et sa culture ou ses cultures dans notre politique étrangère. Nous avons entendu une possibilité, et c’est que la meilleure manière serait peut-être d’accroître le nombre d’échanges d’artistes à tous les échelons — professionnel, amateur, et cetera — avec d’autres pays et que cela permettrait d’améliorer la compréhension internationale et que cela permettrait au Canada de générer de la prospérité. Ce serait la manière d’aborder la question plutôt que d’essayer de diffuser une image de marque du Canada.

Qu’en pensez-vous? Croyez-vous que la valeur se trouve dans les échanges et que ce n’est par conséquent pas ce que le Canada essaie de projeter? Il faut comprendre que l’autre pays en profite aussi et acquiert des connaissances; cela se veut une compréhension et une croissance mutuelles.

[Français]

M. Chartrand : Multiplier les échanges entre artistes, évidemment, et il faut comprendre qu’il y a différents types d’expression artistique. Il y a des coproductions au théâtre, il peut y avoir des arrimages pour les arts visuels. C’est certainement intéressant, mais je reprendrais un peu mon propos en disant que la chaîne qui mène de la création à la diffusion, c’est-à-dire la rencontre entre l’artiste ou sa production et le public, implique différents intervenants. On aura beau multiplier les rencontres entre artistes, mais, dans le cas de la chanson, cela restera un échange humain intéressant.

À mon avis, ce n’est pas nécessairement ce qui pourra donner la possibilité aux artistes canadiens d’avoir accès à un public sur la scène internationale. Il y a beaucoup d’autres intervenants, et c’est un peu le cœur de mon intervention. Je parle des réseaux de programmeurs de spectacle. La création est là, mais comment arrive-t-elle à atteindre le public? Comme je vous l’ai dit, du côté humain, il est sûr qu’il y a un aspect intéressant à ce type de rencontres. Dans certains domaines, par exemple, dans le milieu du rock alternatif, ce principe est à la base de la collaboration.

Je parlais de réciprocité. À titre d’exemple, une équipe française dira : « On va travailler avec ces artistes et cette équipe, on l’invitera à faire la première partie de notre tournée et, en échange, au Canada, on fera la même chose. » J’ai vécu la réciprocité et j’en ai été témoin dans certaines communautés. Je pense notamment à nos amis de Wallonie-Bruxelles. Depuis quelques années, ils ont l’impression qu’il y a un déficit en termes de circulation. Selon eux, il y a plus de possibilités pour un artiste canadien de se produire en Belgique que le contraire. Quant au public, cette capacité de réciprocité est importante pour permettre l’échange entre les deux communautés.

Depuis qu’on m’a demandé de participer au débat, j’entends toujours cette question de l’image du Canada et des outils liés à la politique extérieure. On est dans un domaine universel d’expression artistique. C’est là que les peuples, éventuellement, vont mieux se connaître et se comprendre. À mon avis, l’expression artistique ne peut pas être utilisée comme un élément de propagande. Il faut favoriser une circulation naturelle pour arriver à une compréhension mutuelle et à une rencontre des valeurs communes. Il faut donc laisser couler la rivière. On ne peut pas encadrer l’expression artistique pour en faire un outil de propagande.

[Traduction]

La présidente : C’est une bonne note pour clore nos discussions, mais nous garderons ce commentaire à l’esprit comme un avertissement que nous devrions éviter que le gouvernement utilise de manière inappropriée nos ressources culturelles au Canada. Merci de votre travail et merci également de votre témoignage devant le comité.

Mesdames et messsieurs les sénateurs, je présume que nous n’aurons pas de réunion la semaine prochaine, mais ce sont les leaders qui décideront si nous resterons ici encore longtemps. Si jamais nous n’avons pas d’autres réunions, je vous souhaite à tous de profiter de votre pause bien méritée et de vivre de beaux moments en compagnie de votre famille et des autres. Après une pause revigorante, nous reviendrons terminer notre étude.

(La séance est levée.)

Haut de page