Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et
du commerce international
Fascicule no 61 - Témoignages du 9 avril 2019
OTTAWA, le mardi 9 avril 2019.
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 heures, pour mener une étude sur les relations étrangères et le commerce international en général.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Je suis heureuse de vous annoncer que la ministre Chrystia Freeland est parmi nous aujourd’hui. Nous lui avons demandé de venir nous parler des différents enjeux relevant de son portefeuille auxquels le Canada est confronté à l’heure actuelle. Nous savons qu’elle traite d’autres enjeux en collaboration avec d’autres ministres, mais nous tenions à ce que la ministre des Affaires étrangères et ses représentants nous parlent des questions qui occupent les Canadiens, le gouvernement et surtout notre comité. Elle joue un rôle de surveillance et pourrait très bientôt avoir à composer avec les répercussions politiques, si je puis les appeler ainsi, occasionnées par les mesures prises par d’autres pays et qui pourraient avoir des conséquences sur le Canada.
Par exemple, nous suivons de près la situation du Brexit et ses conséquences sur l’Accord économique et commercial global et sur l’Europe. Nous surveillons également de très près les négociations relativement à ce que j’appelle « le nouvel ALENA », parce que c’est ainsi que les Canadiens le perçoivent. Évidemment, nous nous intéressons aussi à ce qui se passe en Chine, dans la région de l’Asie-Pacifique et au Venezuela, entre autres. Des fonctionnaires nous ont livré leur témoignage et nous élaborons actuellement un rapport sur notre évaluation de la situation au Venezuela.
J’invite maintenant les sénateurs à se présenter.
Le sénateur Housakos : Leo Housakos, du Québec.
Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l’Ontario.
La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.
Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.
La présidente : Je suis Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.
Je tiens également à souhaiter la bienvenue à Son Excellence Andreï Chevtchenko, ambassadeur de l’Ukraine au Canada, qui voulait être présent à la réunion d’aujourd’hui. Nous sommes heureux que ses représentants et lui soient parmi nous. Nous allons peut-être parler de questions qui touchent l’Ukraine, mais il revient aux membres du comité et à vous, madame la ministre, de décider quels sujets nous pouvons aborder.
Nous éprouvons des difficultés techniques. La Chambre des communes a dû annuler en raison de votes, et la même chose pourrait se produire ici. Les greffiers nous ont confirmé que nous pouvions poursuivre jusqu’à 17 heures. Toutefois, il y aura des interruptions. Ne vous en faites pas si vous voyez des membres du comité quitter la salle. Comme vous le savez, les travaux au Sénat et au Parlement se poursuivent comme d’habitude.
Madame la ministre et monsieur l’ambassadeur, je vous souhaite la bienvenue au comité. J’espère que vous nous ferez part des sujets que vous souhaitez porter à notre attention dans votre déclaration d’ouverture, mais je vous prie de laisser un peu de temps pour les questions. La dernière fois, nous avons dû mettre un terme à la réunion à cause d’un vote. Les sénateurs étaient très déçus de ne pas pouvoir poser les questions qui leur tiennent à cœur. En passant, je n’ai aucune idée de quelles questions il s’agit. Elles porteront sur des sujets qui sont importants pour eux. Votre présence ici est indispensable aux travaux du Sénat, et nous vous remercions de vous être déplacés dans la tempête de neige. Les déplacements à Ottawa sont difficiles aujourd’hui, alors merci.
Madame la ministre, vous avez la parole. Si vous le souhaitez, vous pouvez nous présenter les fonctionnaires qui sont avec vous.
L’honorable Chrystia Freeland, C.P., députée, ministre des Affaires étrangères : Merci beaucoup, madame la présidente. C’est un honneur et un plaisir pour moi d’être ici aujourd’hui et d’avoir l’occasion de m’entretenir avec vous.
Je vous présente brièvement les représentants qui sont avec moi, puis j’enchaînerai avec ma déclaration d’ouverture. Ensuite, je me ferai un plaisir d’essayer de répondre à vos questions.
La première personne se passe de présentation. Il s’agit de Steve Verheul, négociateur en chef du Canada dans le dossier de l’ALENA.
Merci infiniment, Steve, pour tout ce que vous faites pour le Canada.
Ensuite, il y a Heather Jeffrey, qui s’occupe des Services consulaires, sécurité et gestion des urgences. C’est avec beaucoup de tact, de savoir-faire et d’efficacité qu’elle aide des Canadiens à l’étranger à se sortir de situations très difficiles.
Merci beaucoup, Heather.
Je suis également très heureuse d’être accompagnée de Mark Gwozdecky, sous-ministre adjoint de la Sécurité internationale. J’ai aussi beaucoup de peine, parce que Mark prendra bientôt sa retraite après 37 ans de service. J’ai surtout appris à le connaître l’an dernier, lorsqu’il a brillamment aidé le Canada dans le cadre de sa présidence du G7, travail qu’il a effectué en étroite collaboration avec le sénateur Boehm. D’ailleurs, nous revenons tout juste d’un voyage en France. Ceux d’entre vous qui sont d’anciens diplomates savent que l’un des meilleurs indicateurs de la qualité d’un diplomate, c’est la manière dont il est traité par les autres diplomates. Lorsque je vois tout le respect dont les représentants d’autres pays font preuve à l’égard de Mark lorsqu’ils lui parlent ou lui demandent conseil, surtout lorsque la situation devient très délicate, je suis très fière d’être Canadienne.
Merci beaucoup, Mark. Je vous suis infiniment reconnaissante.
Des voix : Bravo!
Mme Freeland : J’essaie de culpabiliser Mark afin qu’il repousse sa retraite un peu, et je vous invite à faire pareil si cela vous dit.
[Français]
Pour commencer, j’aimerais souligner que nous sommes sur le territoire traditionnel du peuple algonquin.
Madame la présidente, honorables membres du Sénat, je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international pour discuter des priorités du gouvernement en matière de politique étrangère et du travail important que nous continuons de faire pour relever les défis auxquels sont confrontés le Canada et le monde.
[Traduction]
Il y a 70 ans, la communauté internationale s’est rassemblée pour créer un système de lois, de normes et d’institutions. Ce système était ouvert à tous. Aujourd’hui, cet ordre international fondé sur des règles est plus menacé qu’il ne l’a jamais été depuis sa création. Bien des gens se demandent dans quelle mesure ces enjeux auront des répercussions sur nos institutions, nos relations et le bien-être des Canadiens. Le Canada se le demande aussi.
[Français]
La semaine dernière, j’ai pu représenter le Canada aux réunions des ministres des Affaires étrangères de deux des plus grandes institutions multilatérales dont le Canada fait partie, l’OTAN et le G7.
La semaine dernière, nous avons souligné le 77e anniversaire de la fondation de l’OTAN et de l’Alliance transatlantique. Il s’agit d’un moment très important et historique. Pendant la réunion du G7, nous avons parlé de la façon de travailler davantage ensemble pour défendre cet ordre et, de fait, protéger les démocraties libérales des menaces d’ingérence internes et de désinformation et de la montée de l’autoritarisme à l’étranger.
Dans le monde entier, nous assistons à une tendance croissante où l’on voit des dirigeants qui remettent en cause la valeur de l’ordre international fondé sur des règles et qui souhaitent que leur pays se retire, en partie ou totalement, de l’ordre international.
[Traduction]
Je voudrais féliciter particulièrement nos partenaires du G7, soit l’Allemagne, la France et le Japon, avec qui j’ai poursuivi la discussion, notamment en France la semaine dernière, au sujet d’une alliance de pays qui adhèrent au concept du multilatéralisme.
Nous convenons que les plus grands défis de l’heure — à savoir les changements climatiques, les inégalités de revenu, la gestion du pouvoir des plateformes technologiques mondiales, le maintien d’un commerce mondial fondé sur des règles et les migrations de masse — sont de véritables enjeux internationaux. Aucun pays ne peut à lui seul résoudre ces problèmes. Ils pourront être résolus seulement si nous travaillons ensemble.
Le Canada est fier de faire partie des plus grands défenseurs de l’idée selon laquelle le multilatéralisme revêt une importance cruciale à l’heure actuelle, et il est fier de collaborer étroitement avec ses meilleurs alliés sur cette question. Les mots ne suffisent pas. Nous savons que si nous tenons à appuyer l’ordre international fondé sur des règles, nous devons prouver à quel point ces institutions jouent un rôle essentiel dans notre vie quotidienne.
J’aimerais parler brièvement de certains secteurs importants où le Canada prend des mesures concrètes pour défendre l’ordre international fondé sur des règles et pour veiller à ce qu’il soit adapté aux besoins du XXIe siècle.
Premièrement, le commerce. Le commerce fondé sur des règles ne garantit pas la paix entre les pays et ne rend par le système multilatéral parfait ou infaillible, mais cela aide grandement. C’est pourquoi nous devons faire front commun pour défendre le commerce libre et équitable.
L’automne dernier, le Canada a conclu les négociations sur le nouvel ALENA avec les États-Unis et le Mexique. Nous avons ensuite signé l’accord en marge du Sommet du G20, en Argentine. Tout au long des intenses négociations, nous n’avons jamais perdu de vue les priorités des Canadiens : les emplois, la croissance et l’expansion de la classe moyenne. Nous avons insisté sur le fait que nous ne nous contenterions pas de n’importe quel accord. Nous avons attendu qu’il soit à la hauteur de nos attentes, et nous avons réussi.
Madame la présidente, ce qui est encore plus important, c’est que nous avons réussi à conserver l’accès des entreprises canadiennes au premier marché d’exportation du Canada : les États-Unis.
[Français]
Nous avons insisté sur le fait que nous voulions un bon accord, et pas n’importe lequel. Nous avons lutté fort pour conclure cet accord et pour tout ce que nous avons obtenu. Plus important encore, madame la présidente, nous avons préservé l’accès des entreprises canadiennes à notre plus grand marché.
[Traduction]
De plus, le Canada a réussi à conserver des éléments importants de l’ALENA, notamment le chapitre 19 et l’exception culturelle. Nous suivons de près les processus de ratification aux États-Unis et au Mexique. Je me suis entretenue à plusieurs reprises avec l’ambassadeur Lighthizer sur cette question et je l’ai rencontré il y a moins de deux semaines. J’ai également rencontré des hauts dirigeants du Congrès des partis démocrate et républicain, et je maintiens une étroite communication avec la secrétaire à l’Économie du Mexique.
Je m’en voudrais de ne pas parler d’un problème majeur d’ordre commercial qui perdure entre le Canada et les États-Unis, c’est-à-dire les droits de douane illégaux et injustifiés sur l’acier et l’aluminium du Canada imposés en application de l’article 232.
Madame la présidente, je vous assure, ainsi qu’à tous les membres du comité, que le Canada mène une véritable lutte pour abolir ces droits de douane. Nous sommes heureux de constater que des membres du Congrès des deux partis, ainsi que les principaux groupes des secteurs des affaires, du commerce et de l’agriculture de même que des associations de travailleurs des États-Unis, continuent d’exhorter le gouvernement américain à prendre la décision qui s’impose, la décision la plus logique et la plus avantageuse pour tous, soit éliminer ces droits de douane très néfastes.
Si nous défendons l’ordre international fondé sur des règles, nous devons intervenir lorsque ces règles sont enfreintes. Le mois dernier, nous avons souligné avec tristesse le cinquième anniversaire de l’invasion et de l’annexion illégales de la Crimée par la Russie.
[Français]
Depuis le début de l’occupation, des agents russes ont commis de graves violations des droits de la personne en Crimée, notamment des arrestations arbitraires, des actes de torture, des détentions et des disparitions forcées, ainsi que des mauvais traitements infligés à la population tatare de la Crimée et la destruction de leurs lieux historiques. Au moment de l’invasion russe, notre gouvernement a annoncé plusieurs mesures visant à soutenir le peuple ukrainien, sa souveraineté et son intégrité territoriale. Nous avons nommé un éminent homme d’État canadien, Lloyd Axworthy, pour diriger notre délégation d’observateurs électoraux.
[Traduction]
Madame la présidente, vous êtes bien placée pour comprendre ces mesures, puisque c’est vous qui avez dirigé la mission en 2014.
[Français]
En plus de l’appui accordé aux observateurs électoraux, le Canada fournit un financement afin de combattre la désinformation organisée pour des acteurs malveillants.
[Traduction]
Le 15 mars, le Canada, de concert avec l’Union européenne et les États-Unis, a annoncé que de nouvelles sanctions seraient imposées contre 129 personnes et organismes en réponse aux actions très agressives de la Russie dans la mer Noire et le détroit de Kertch, et en réponse à son annexion illégale de la Crimée.
Le mois dernier, j’ai été très heureuse d’annoncer que notre mission de formation en Ukraine, l’opération Unifier, a été prolongée de deux ans. Les Forces armées canadiennes ont déjà participé à la formation de plus de 10 000 soldats ukrainiens. Même si la Russie poursuit ses actions agressives en Crimée, dans l’Est de l’Ukraine et dans le détroit de Kertch, le gouvernement et la population de l’Ukraine ont démontré leur engagement ferme à l’égard de la démocratie et des réformes. Nous les félicitons des efforts continus qu’ils déploient pour mettre en œuvre un vaste programme réformiste. Il s’agit d’une étape de plus dans leur cheminement vers l’adhésion à l’OTAN.
C’est pour cette raison que le Canada sera l’hôte de la troisième Conférence sur les réformes en Ukraine, qui aura lieu à Toronto du 2 au 4 juillet 2019 après le second tour des élections présidentielles. Il sera très important à ce moment-là que la communauté internationale appuie le nouveau président de l’Ukraine, qui sera élu démocratiquement, et qu’elle soutienne l’Ukraine dans sa mise en œuvre de réformes.
Lundi prochain, je serai à Santiago, au Chili, pour parler d’un autre enjeu important avec les partenaires du Canada du Groupe de Lima. Depuis deux ans, le monde entier constate avec grande préoccupation la descente aux abîmes du Venezuela, sous la dictature de Maduro. Des millions de personnes ont fui le pays et des millions d’autres sont aux prises avec de graves pénuries de nourriture, de médicaments et de produits de première nécessité. Le Canada, ainsi que 50 autres pays, a reconnu Juan Guaido comme président intérimaire.
En février, le Canada a accueilli les partenaires du Groupe de Lima de l’Argentine, du Brésil, du Chili, de la Colombie, du Costa Rica, du Guatémala, du Guyana, du Honduras, du Panama, du Paraguay, du Pérou et de Sainte-Lucie. Des partenaires d’autres pays se sont joints à nous, notamment de l’Équateur, de l’Union européenne, de la France, de l’Allemagne, des Pays-Bas, du Portugal, de l’Espagne, du Royaume-Uni et des États-Unis.
Le Canada et ses partenaires du Groupe de Lima veulent une chose pour le Venezuela : une transition pacifique vers la démocratie, avec des élections libres et équitables, ainsi qu’un retour à la responsabilité politique, à la transparence et au respect des droits de la personne et des libertés fondamentales pour tous les Vénézuéliens.
Protéger l’ordre international fondé sur des règles consiste notamment à défendre les personnes qui souffrent lorsque les forts s’en prennent aux faibles. L’automne dernier, la Chambre des communes a reconnu que la violence faite aux Rohingyas par les forces de l’ordre du Myanmar constitue un génocide. Cette violence, y compris la violence sexuelle, a obligé près de 740 000 Rohingyas à fuir leur pays et à se réfugier dans le pays voisin, le Bangladesh.
[Français]
Le Canada a joué un rôle de chef de file dans la réponse à cette crise. Nous avons dégagé 300 milliards de dollars sur trois ans pour l’aide humanitaire, le développement, la paix et la stabilisation. Le Canada continuera de travailler avec ses alliés et partenaires, y compris le Bangladesh, pour résoudre la crise et permettre aux victimes de ce génocide d’obtenir justice.
[Traduction]
Nous travaillons avec des partenaires aux vues similaires pour élaborer un mécanisme de reddition de comptes afin que les responsables de ces atrocités soient traduits en justice.
Madame la présidente, le Canada ne peut garder le silence lorsque de telles violations des droits de la personne sont commises. Je vais conclure sur un sujet difficile, mais important. Je suis sûre que les membres de votre comité, comme tous les Canadiens, sont très préoccupés par les détentions arbitraires de Canadiens en Chine. Je tiens à souligner que c’est un dossier d’une importance prioritaire pour le premier ministre, pour le gouvernement et pour moi personnellement.
Nous continuons de réclamer la libération immédiate de Michael Kovrig et de Michael Spavor. Pour ce qui est du Canadien Robert Schellenberg, le Canada demande à la Chine de faire preuve de clémence. Nous nous opposons au recours à la peine de mort, quel que soit le crime et quel que soit le lieu. J’ai parlé aux familles de ces Canadiens; j’éprouve beaucoup de compassion pour ces personnes et je les assure de mon soutien. Elles travaillent d’arrache-pied pour leur frère, leur fils ou leur époux et elles le font avec beaucoup de courage.
Plus de 140 membres de la société civile, y compris des spécialistes et d’anciens diplomates, ont exprimé publiquement leurs préoccupations au sujet de ces détentions et leur appui au Canada.
Un nombre remarquable de pays — les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Australie, la Lettonie, l’Estonie, le Danemark, l’Espagne, les Pays-Bas et la République tchèque — ainsi que l’Union européenne et le secrétaire général de l’OTAN ont exprimé leur appui à l’égard du Canada dans ce dossier. Ces détentions ont fait l’objet de discussions à la réunion plénière ministérielle de l’OTAN à Washington, la semaine dernière, et à la rencontre des ministres des Affaires étrangères du G7.
Nous sommes très reconnaissants à tous ces pays de leur appui et nous continuerons de soulever ces questions auprès de nos alliés et de nos partenaires, ainsi qu’auprès du gouvernement chinois. Le Canada est un État de droit. Nous sommes de fervents défenseurs de l’ordre international fondé sur des règles et des institutions multilatérales qui le sous-tendent. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
La présidente : Merci. J’entends la sonnerie d’appel, et les lumières clignotent. Notre temps sera donc un peu limité, mais, avec la coopération de tous, je pense que nous pourrons entendre toutes les personnes qui veulent poser une question.
Le sénateur Housakos : Je vous remercie, madame la ministre, d’être parmi nous aujourd’hui. Le 11 mars dernier, le Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption s’est dit préoccupé par les récentes allégations d’ingérence dans la poursuite visant SNC-Lavalin dont il était question lors des délibérations du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
Le groupe de travail s’est dit encouragé de voir qu’une enquête parlementaire avait été lancée. Toutefois, madame la ministre, seulement quelques jours plus tard, votre gouvernement a coupé court à cette enquête.
Étant donné que la Chambre n’a pas su effectuer un examen impartial de cette question et que l’OCDE espérait la tenue d’un examen très approfondi, et compte tenu de l’importance de la réputation internationale de notre pays, à laquelle nos partenaires tiennent beaucoup, quelles mesures avez-vous prises pour remédier à la situation? Pour la première fois, nous ne pouvons plus affirmer haut et fort que le Canada est un pays qui croit fermement en la primauté du droit. Comment traiter avec nos amis, alliés et partenaires commerciaux, comme les Chinois, qui s’interrogent actuellement sur la position morale supérieure qu’occupait le Canada? Quelles mesures avons-nous prises pour donner l’assurance aux organisations comme l’OCDE que le Canada est toujours un État de droit?
Mme Freeland : Eh bien, je vais d’abord parler de la question de l’OCDE, puis plus généralement du Canada comme pays qui est un fervent défenseur de l’ordre international fondé sur des règles et où nous respectons au plus haut point la primauté du droit.
Au sujet de l’OCDE, j’ai parlé directement au président du groupe de travail. Je lui ai garanti personnellement que le gouvernement et moi appuyions les travaux du groupe de travail et que nous ferions tout en notre pouvoir pour collaborer avec lui.
C’est précisément ce que j’ai demandé à mes fonctionnaires de faire. Nous sommes fiers que notre pays soit membre de l’OCDE, et il est très important pour nous de collaborer avec cette organisation.
Cela dit, je pense qu’il est essentiel pour nous, en tant que législateurs canadiens et représentants de notre pays, de ne pas ajouter foi à l’idée que le Canada peut être comparé aux dictatures sur le plan de la démocratie et de la primauté du droit. Le Canada peut certainement garder la tête haute au sein des organisations multilatérales, et c’est ce qu’il fait. Nous sommes l’une des grandes démocraties libérales du monde, et tous les Canadiens peuvent et doivent en être fiers.
Dans un pays démocratique, les débats ne sont pas, comme le diraient certains ennemis de la démocratie, un signe de faiblesse. Cela ne signifie pas que notre démocratie est déficiente, bien au contraire : la tenue de débats animés au Canada prouve la solidité de notre démocratie, et il importe que nous soyons tous très clairs à ce sujet lorsque nous faisons face aux dictatures de ce monde.
Le sénateur Greene : Je vous remercie de votre présence. Je suis ravi de vous revoir.
Dans le contexte de la relation tendue qu’entretient actuellement le Canada avec la Chine, je remarque que notre relation avec Taïwan est très solide, et l’une des raisons qui l’expliquent, c’est que ce pays a des valeurs très semblables aux nôtres, notamment sur le plan de la primauté du droit.
J’aimerais savoir si des discussions sont en cours au sein d’Affaires mondiales afin de soutenir Taïwan dans ses démarches pour se joindre à la communauté internationale, par exemple en appuyant sa participation à l’Assemblée mondiale de la Santé, en mai.
Mme Freeland : Je vous remercie de la question, sénateur. Je vais d’abord parler un peu plus de nos relations avec la Chine. J’ai mentionné tout à fait intentionnellement la détention arbitraire de Michael Kovrig et de Michael Spavor. Il s’agit d’un dossier qui doit demeurer prioritaire pour le Canada; nous devons continuer d’en parler avec nos partenaires internationaux. Je crois qu’ils soulèvent cette question auprès de la Chine chaque fois qu’ils en ont l’occasion, et nous devons aussi continuer d’en discuter avec les Chinois.
Nous devons également nous rappeler que nous avons avec la Chine une relation étroite, multidimensionnelle et de longue date. Après tout, la Chine est le deuxième partenaire commercial du Canada et la deuxième économie mondiale. Nous devons garder à l’esprit le rôle que joue la Chine dans l’économie mondiale et le commerce mondial, et c’est ce que nous faisons également.
Je pense qu’il est aussi important, quand nous parlons de notre relation avec la Chine, de nous rappeler les liens très étroits que bon nombre de Canadiens entretiennent avec ce pays. Étant Canadienne d’origine ukrainienne, je suis tout à fait consciente de la valeur des rapports humains dans nos relations avec les autres pays du monde, et selon moi, cela s’applique également très bien à notre relation avec la Chine.
En ce qui concerne Taïwan, nous continuons d’entretenir des liens étroits et croissants avec le peuple taïwanais dans le cadre de la politique d’une seule Chine. Ces liens comprennent indéniablement de solides rapports humains.
Nous sommes déterminés à renforcer ces liens en misant, comme vous l’avez souligné, sénateur, sur nos valeurs communes et la vaste diaspora présente au Canada. Nous continuons d’appuyer la pleine participation de Taïwan aux forums multilatéraux internationaux, où sa présence contribue grandement à l’intérêt public mondial.
La sénatrice Bovey : Je vous remercie, madame la ministre, d’être encore une fois parmi nous. Je voudrais que nous parlions du Brexit, si vous le permettez. Personne ici n’a de boule de cristal pour prédire ce qui arrivera et quand cela arrivera, mais je me demande si vous pourriez nous dire quels conseils le Canada donne aux entreprises désireuses d’établir des liens avec la Grande-Bretagne et, par ailleurs, aux étudiants diplômés qui souhaitent aller étudier dans ce pays ou sur le continent. Évidemment, cela se rattache aux collaborations internationales en recherche qui pourraient, je le crains, être compromises à la suite du Brexit. Pourriez-vous nous éclairer au sujet des conséquences possibles pour les Canadiens?
Mme Freeland : Merci, sénatrice Bovey. C’est une excellente question, et c’est une chose sur laquelle nous travaillons beaucoup et qui nous intéresse de très près.
Le Canada entretient actuellement des liens commerciaux étroits avec le Royaume-Uni par le truchement de l’AECG, qui est en vigueur et s’applique à ce pays. Le Royaume-Uni est présentement l’un des 28 pays membres de l’Union européenne; il participe donc à nos relations commerciales dans le cadre de l’AECG.
Notre ministère, tant sur le plan des traités internationaux que du commerce, s’est appliqué à préparer la transition pour tous nos traités, y compris l’AECG, pour passer de l’inclusion du Royaume-Uni en tant que pays membre de l’Union européenne à une Grande-Bretagne post-Brexit.
Cependant, je crois qu’il serait juste de dire que nous négocions en tenant compte d’une cible mobile qui repose, on le comprend, sur de graves difficultés au Royaume-Uni. Il y a une très grande volonté, tant au Canada qu’en Grande-Bretagne, de maintenir les liens les plus étroits possible, peu importe comment la Grande-Bretagne choisira de mener ce processus et peu importe ce qu’elle finira par faire.
Il importe aussi de souligner que nous entretenons des liens extrêmement étroits avec l’Union européenne — Je ne me rappelle pas qu’ils aient déjà été plus étroits — et qu’il est prioritaire pour nous de conserver également ces liens très solides. En ce qui concerne le Brexit, j’ai parfois l’impression que le Canada est dans une situation où il a deux très bons amis qui sont mariés et qui connaissent des difficultés. Ils ne semblent pas avoir encore décidé où ils aboutiront, mais ce que nous disons à l’Union européenne et à la Grande-Bretagne — et c’est très bien reçu —, c’est que nous demeurerons de bons amis tant pour l’un que pour l’autre, peu importe ce qu’il adviendra.
Il vaut aussi la peine de mentionner que j’ai eu la chance de passer beaucoup de temps avec Jeremy Hunt, le ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni, quand j’étais en France. En effet, nous avons mis sur pied conjointement une initiative canado-britannique très importante, soit une conférence sur la liberté des médias qui sera coprésidée par le Royaume-Uni et le Canada. Elle aura lieu à Londres, en Grande-Bretagne, en juillet prochain, et le Canada s’est engagé à accueillir la deuxième conférence annuelle sur la liberté des médias chez nous l’an prochain. Cela montre bien à quel point nous collaborons étroitement en fonction de nos valeurs communes et de notre engagement à maintenir nos liens étroits. J’ai eu également une excellente rencontre avec Federica Mogherini, haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. En terminant, je dois dire que c’est mon très compétent collègue Jim Carr, qui est responsable de l’aspect commercial du dossier. Je sais que Jim, Steve et leurs équipes travaillent très fort dans ce dossier.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Merci beaucoup, madame la ministre, de votre présence et de votre grande contribution envers nos intérêts dans le monde entier. J’aimerais parler de notre relation avec la Chine. Je regarde ce qui se passe entre le Canada et les États-Unis. Quand il y a eu un conflit avec les Américains, on se disait qu’il fallait diversifier davantage nos échanges commerciaux. On a constaté que le fait d’être indépendant avec un client n’est pas très avisé. On visait la Chine. Malgré nos liens très étroits avec la Chine, on a appris quelques leçons depuis six mois, c’est-à-dire que ce n’est peut-être pas le partenaire idéal. C’est un partenaire qui joue plus dur que nos règles et nos valeurs. Qu’est-ce que cela veut dire sur le plan de notre stratégie internationale? On fait affaire avec le monde. Évidemment, le Canada est le pays qui a conclu le plus d’ententes de libre-échange dans le monde. On a une belle plateforme, mais qu’est-ce qu’on fait avec tous ces changements, avec ces énormes défis à l’échelle internationale? Les Américains sont nos partenaires, mais pas toujours nos meilleurs amis. La Chine nous fait un peu peur. L’Europe est toujours très bien, mais un peu en conflit avec les Américains. Quelle est la stratégie que vous anticipez avec tous ces changements, tous ces défis?
Mme Freeland : J’ai deux réponses. Premièrement, je crois que les Canadiens ont beaucoup d’expérience en matière de négociations, surtout sur le plan du commerce international. Nous ne sommes pas un petit pays, nous sommes un moyen pays, mais, au niveau de nos fonctionnaires, nous savons comment nous pouvons optimiser notre situation. Il s’agit d’un élément très important et très utile pour le Canada.
Deuxièmement, je suis absolument d’accord avec vous. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde où l’ordre international fondé sur des règles est menacé. Certaines personnes croient qu’il serait préférable que les pays les plus puissants puissent contrôler les autres pays ou peut-être négocier entre eux, et laisser les autres vivre avec leurs décisions. À mon avis, cela ne donnerait pas de bons résultats pour le Canada. Pour cette raison, nous tentons d’organiser des coalitions multilatérales autour de nombreux enjeux. Le Canada peut faire beaucoup, mais il peut faire beaucoup plus avec ses alliés et ses partenaires. Parmi ces coalitions multilatérales, il y a le Groupe de Lima et le PTP. C’est un partenariat que nous avons conclu, sans les États-Unis, afin de poursuivre nos négociations dans le cadre de l’entente de libre-échange. Il s’agit là d’une décision très importante. Il en est de même avec l’Accord de Paris. D’autres pays se sont même unis pour nous appuyer sur le dossier des Canadiens qui ont été arrêtés en Chine. J’ai mentionné une alliance multilatérale, qui est une initiative sur laquelle nous travaillons en étroite collaboration avec l’Allemagne, la France et le Japon. Nous en avons discuté encore une fois avec la France. Ce sont des exemples de pays qui comprennent le multilatéralisme et qui croient qu’un ordre international fondé sur des règles défendrait le mieux nos intérêts. C’est ainsi que nous réussirons, ensemble, à bâtir quelque chose. Voilà.
[Traduction]
Le sénateur Boehm : Je vous remercie de votre présence aujourd’hui. Vous avez récemment parlé publiquement de l’ingérence électorale de divers pays, ingérence qui vise à miner la démocratie. Cela a fait l’objet de discussions parmi les dirigeants et les ministres des Affaires étrangères des pays du G7 au cours de la dernière année. Un mécanisme a été créé — que le Canada était censé présider, si je ne m’abuse — afin que les pays du G7 puissent communiquer les uns avec les autres à mesure que des renseignements leur parviennent, que ce soit ou non au sujet d’un processus électoral.
Ce mécanisme fonctionne-t-il? Les pays du G7 y participent-ils tous? Envisage-t-on d’inclure quelques pays de plus, pour que cela devienne une alliance beaucoup plus vaste et que les gens et les gouvernements puissent se consulter sur cet enjeu important?
Mme Freeland : Merci de votre question, monsieur le sénateur. Sans vouloir vous reprendre, je tiens à préciser, à l’intention de vos collègues, qu’il s’agit du Mécanisme de réponse rapide, que le Canada a inauguré lors du Sommet du G7 de l’année dernière. On peut dire que votre collègue a joué un rôle important dans sa création. C’était vraiment une bonne idée. Je suis particulièrement enthousiaste, comme Mark, je crois, lorsque je vois nos partenaires se servir abondamment de ce mécanisme.
Je crois que nous savions tous, l’année dernière, que nous devions nous organiser pour mieux réagir, dans nos pays, à l’ingérence étrangère malfaisante. Nous avons tous compris que la collaboration était l’un des moyens à prendre pour nous améliorer. C’est exactement ce que nous permet de faire le Mécanisme de réponse rapide. Nous en avons discuté lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays du G7, et tous les pays s’y sont montrés très favorables. Ils ont manifesté le désir d’investir leurs énergies dans le mécanisme et de trouver des façons de le rendre encore plus utile.
En outre, vous avez raison, monsieur le sénateur, de parler des autres pays. Certains pays démocratiques qui partagent nos vues, mais qui sont trop petits pour faire partie du G7 ont commencé à discuter avec nous de la possibilité de prendre part au Mécanisme de réponse rapide, ce qui me semble être un bon indice de son efficacité. C’est une question tout à fait raisonnable, et nous devrions l’examiner.
Compte tenu des ramifications de votre question et de la présence de l’ambassadeur Shevchenko, je tiens à souligner deux choses. Premièrement, l’ingérence étrangère malfaisante dans notre démocratie nous inquiète à juste titre, au Canada. Nous observons déjà cette ingérence et nous devons nous employer à trouver des moyens de la combattre à l’approche des élections qui doivent avoir lieu chez nous. L’Ukraine mérite des félicitations, vu les pressions beaucoup plus importantes qui menacent sa démocratie, pour avoir réussi à tenir le premier tour de son élection présidentielle à l’issue d’une course vraiment démocratique. Deuxièmement, au sujet de l’Ukraine encore, je tiens à dire que nous aidons ce pays parce que nous sommes attachés à l’ordre international fondé sur des règles et que l’Ukraine est l’un des endroits où cet ordre est violé.
Notre engagement en Ukraine nous apporte beaucoup. Un haut placé du gouvernement des États-Unis m’a dit que l’Ukraine était le laboratoire d’ingérence malfaisante de la Russie. Pour lui et son gouvernement, participer de près aux événements en Ukraine est une façon de comprendre ce qui s’y passe et de recueillir des connaissances pouvant être utilisées un jour pour protéger leur pays. Le Canada constate que c’est effectivement le cas.
Alors, notre relation avec l’Ukraine aide les deux pays à bâtir et protéger leur démocratie.
Le sénateur Ngo : Merci, madame la ministre, de votre présence.
Depuis quelques années, on m’informe de l’intensification des pressions du gouvernement chinois sur les Chinois opposés au régime communiste qui immigrent au Canada. Les Tibétains, les Taïwanais et les ouïghours sont souvent victimes de campagnes de cyberattaques, de harcèlement téléphonique et de propagande haineuse commanditées par l’État chinois. Ces personnes se font suivre et surveiller au cours des manifestations pour la défense des droits de la personne. Des Canadiens sont détenus et subissent de l’intimidation lorsqu’ils vont en Chine.
Êtes-vous au courant de cette campagne commanditée par l’État chinois qui prend de l’ampleur et qui vise des groupes politiques, ethniques et confessionnels considérés comme des opposants au gouvernement chinois? Dans l’affirmative, que fait le gouvernement pour protéger les communautés et les universités du Canada contre les efforts croissants de la Chine pour imposer ses objectifs politiques au Canada?
Mme Freeland : Merci de cette question. Permettez-moi de vous assurer, monsieur le sénateur, que le gouvernement prend très au sérieux la vulnérabilité particulière des membres des diasporas au Canada, devant l’ingérence étrangère malfaisante. C’est une vulnérabilité très importante et particulière qui concerne un nombre passablement élevé de communautés ethniques dans notre pays à la formidable diversité.
Je tiens à donner à tous les Canadiens, peu importe leur origine ethnique, l’assurance que le gouvernement du Canada prend très au sérieux la liberté que doivent avoir les gens de s’associer, de s’exprimer et de manifester. Nous surveillons certainement ce dossier.
Les universités canadiennes font certainement partie des endroits qui retiennent notre attention. Je suis députée de la circonscription de University—Rosedale, dont le nom inclut le mot « université » en anglais, parce qu’elle comprend l’Université de Toronto, l’Université Ryerson et l’Université George Brown. Les étudiants et les associations étudiantes peuvent être particulièrement visés.
Il est très important que les Canadiens puissent jouir de la liberté totale d’association et d’expression que leur garantit leur pays, peu importe qu’ils soient d’origine ukrainienne, chinoise, ouïghoure, tibétaine, sikhe, lettone, estonienne, vietnamienne ou d’une autre origine. Il est très important qu’ils sentent que le gouvernement les protège et les défend entièrement, car c’est bel et bien le cas.
Le sénateur Dean : Merci, madame la ministre, pour le travail considérable et fructueux que vous faites pour les Canadiens.
Vous parlez constamment des dangers qui menacent l’ordre international basé sur des règles. Effectivement, vous défendez bien le Canada dans ce domaine.
Quels sont les deux ou trois principaux dangers dans ce domaine? Qu’est-ce qui vous inquiète le plus?
Mme Freeland : Dois-je me limiter à deux? C’est une excellente question. Je me permets de vous donner une première réponse qui vous étonnera, compte tenu du champ d’activité qui intéresse votre comité et du poste que j’occupe. Le plus grand danger se trouve probablement au pays. C’est le danger que nous perdions confiance en nous-mêmes, nous qui vivons dans un pays prospère, au passé et aux traditions solidement ancrées dans le modèle de la démocratie libérale. Le plus grand danger est le risque que nous perdions confiance en ce modèle et que nous ne le considérions plus comme valable.
Voilà pourquoi je pense vraiment que, pour défendre la démocratie, le gouvernement et le pays doivent, avant toute chose, veiller à ce que les Canadiens se sentent à l’aise et en sécurité.
Selon moi, la dimension économique de la sécurité est très importante. Les Canadiens doivent être convaincus que leurs enfants auront une vie meilleure que la leur et qu’ils pourront prendre leur retraite dans la dignité et le confort. Les étudiants doivent se dire qu’après avoir travaillé sans relâche pour obtenir leur diplôme, ils pourront trouver un emploi. Les familles qui ont des enfants doivent se sentir épaulées.
Les démocraties libérales occidentales qui tolèrent l’érosion de leur classe moyenne deviennent vulnérables à un affaiblissement de leur caractère démocratique, et c’est un phénomène que nous observons déjà.
Je crois vraiment, d’une certaine manière, que nos politiques économiques nationales constituent le meilleur rempart contre l’érosion de la démocratie libérale. C’est l’une des raisons pour lesquelles, selon moi, nous devons aider la classe moyenne au Canada.
Le deuxième danger, qui est lié au premier, est celui de se laisser gagner par le désabusement qui amène les gens à se demander si la démocratie fonctionne et si l’ordre basé sur des règles est utile et nous apporte des bienfaits. À l’époque de l’Union soviétique, on y employait le « whataboutisme » comme technique de propagande. Chaque fois que l’Occident pointait du doigt un problème en Union soviétique, celle-ci répliquait avec de la propagande commençant par l’expression anglaise « what about », c’est-à-dire qu’elle demandait en retour ce qu’il en était de telle ou telle chose que l’Occident ne faisait pas à la perfection. Les Soviétiques laissaient entendre de cette façon que tout le monde était pareil et avait des problèmes, donc qu’il n’y avait pas de différence entre une démocratie et une dictature.
J’ai cette ferme conviction, et je dois profiter de cette importante occasion de le dire. Il est essentiel que nous ne tombions pas dans le désabusement et que nous nous rappelions bien la nette différence entre la démocratie et la dictature. Nous devons comprendre que les démocraties sont particulièrement vulnérables aux attaques par le « whataboutisme » justement parce qu’elles sont démocratiques. Nous pouvons débattre. Nous pouvons discuter comme le fait un comité sénatorial qui pose des questions aux ministres, ce qu’on n’a pas la liberté de faire dans une dictature.
Par conséquent, nos débats exposent nos divisions, nos lacunes et nos cicatrices beaucoup plus que si nous étions dans une dictature. C’est l’essence même de la démocratie, mais nous devons absolument éviter que l’ouverture, la transparence et la volonté de débattre aient pour effet de réduire l’importance que nous attachons à la démocratie.
Des voix : Bravo!
La présidente : Nous allons poser une deuxième série de questions. J’en ai quelques-unes, mais je voudrais que le sénateur Housakos prenne la parole avant.
Le vote qui a lieu dans l’enceinte du Sénat ne nous empêche pas de poursuivre notre réunion. Nous sommes libres de continuer. C’est aux sénateurs qu’il revient de décider s’ils veulent aller prendre part au vote ou s’ils préfèrent continuer le débat.
Le sénateur Housakos : Je préfère continuer.
Madame la ministre, j’ai entendu la réponse que vous avez donnée au sénateur Dean et, au cours des derniers jours, je vous ai entendue répondre à la même question de manière plus catégorique. Vous avez dit que le suprémacisme blanc posait l’un des risques les plus importants pour les démocraties occidentales. Malgré tout le respect que je vous dois, madame la ministre, je vous dirais que cette opinion est contredite par la réalité des deux décennies qui viennent de s’écouler. Les gens qui vivent dans les démocraties libérales occidentales, un peu partout dans le monde, vous diront que, en fait, le plus grand danger qui nous menace est l’extrémisme intégriste. Les valeurs des démocraties libérales occidentales ont été attaquées de manière organisée et concertée par le terrorisme. Notre sécurité a été ébranlée de même que nos économies et notre mode de vie, au point où, bien entendu, nous avons été obligés de consacrer des efforts et des ressources considérables, avec nos alliés occidentaux, pour combattre ce danger pendant une vingtaine d’années, aux quatre coins du monde. Grâce à Dieu, c’est une guerre que nous sommes en train de gagner et à laquelle notre pays a énormément participé. Le gouvernement canadien actuel et celui qui l’a précédé ont fermement combattu ce terrible danger qui menace les démocraties occidentales. J’ose croire que nous saurons demeurer vigilants à cet égard. En revanche, je ne connais pas un seul pays dans le monde où le gouvernement vient en aide aux mouvements suprémacistes blancs. Je ne connais pas un seul gouvernement d’un pays démocratique qui est favorable à ce genre de comportement, et ce n’est certainement pas le cas au Canada. Il me semble troublant qu’une politicienne canadienne puisse considérer le suprémacisme blanc comme un danger pour notre mode de vie, au Canada, un danger pour nos collectivités et notre démocratie. Alors, j’aimerais que vous précisiez votre pensée à ce sujet, madame la ministre.
Mme Freeland : Je suis tout à fait convaincue que les mouvements suprémacistes blancs constituent un danger grave et bien réel pour les démocraties libérales occidentales. Je pense que ces mouvements sont un danger grave et bien réel ici même, au Canada, et qu’ils le sont aussi dans beaucoup d’autres pays. Les fusillades de Christchurch en sont un exemple effroyable. La fusillade de la mosquée de Québec en est un exemple tragique chez nous, au Canada. Alors, je suis convaincue que nous devons appeler ce danger par son nom, que nous devons en être conscients et que nous ne devons ménager aucun effort pour trouver des façons de protéger la société et la population contre ce danger.
Permettez-moi toutefois d’ajouter, monsieur le sénateur, que le terrorisme issu de l’extrémisme islamique représente évidemment un grand danger que le Canada combat, notamment lorsque des hommes et des femmes portant l’uniforme de notre pays partent lui livrer bataille à l’étranger. Si des attentats terroristes sont commis par des extrémistes islamiques, il est raisonnable de s’attendre à ce que les chefs de file des communautés musulmanes et les dirigeants des pays à majorité musulmane condamnent ces attentats et dissocient très clairement leurs croyances et leur foi religieuse de l’horreur et de la violence issues de l’extrémisme. En ce qui concerne le suprémacisme blanc, je suis convaincue que, dans un pays où les Blancs et les chrétiens constituent la majorité — je suis moi-même chrétienne —, il incombe particulièrement à une ministre comme moi de dénoncer cette idéologie et ces attentats.
Puisque vous abordez la question, je veux en profiter pour m’adresser aux Canadiens de confession musulmane et leur dire qu’ils peuvent avoir l’assurance que le gouvernement est déterminé à lutter contre l’islamophobie. Le gouvernement tient à ce que tous les Canadiens, qu’ils soient religieux — musulmans, juifs, chrétiens, sikhs, hindous ou de toute autre confession — ou athées, se sentent parfaitement en sécurité au Canada. Nous sommes conscients de la menace qui pèse sur les Canadiens musulmans à l’heure actuelle. Il est crucial qu’ils se sentent protégés par le gouvernement, qu’ils sachent que le gouvernement se soucie sincèrement d’eux, tout autant que des Canadiens de n’importe quel autre groupe confessionnel.
Je veux revenir sur cette assertion voulant que la suprématie blanche ne représentera jamais une idéologie dangereuse. Je reviens de Washington, où l’OTAN fêtait son 70e anniversaire. Cette organisation a bien sûr vu le jour au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Je pense que les nazis nous ont montré les effets dévastateurs d’une idéologie fondée sur la supériorité raciale. En l’occurrence, c’est le peuple juif qui était visé directement.
Les tueries commises en Nouvelle-Zélande et au Canada sont on ne peut plus réelles. Pareils événements se produisent près de nous. Il s’agit d’une menace réelle dont nous devons tenir compte. C’est ce que fait le gouvernement.
Le sénateur Ngo : Je veux revenir sur ma question de tout à l’heure. Pouvez-vous nous décrire les mesures que vous prenez pour protéger notre communauté et les immigrants contre les efforts du gouvernement chinois pour exercer son influence politique? Pensez-vous qu’il est temps que le gouvernement du Canada durcisse le ton avec la Chine, comme il le fait avec la Russie, par exemple?
Mme Freeland : Il y a plusieurs questions dans ce cas-ci. Je vais y répondre une par une. Permettez-moi de commencer par la Russie.
Si le Canada a imposé des sanctions liées à la Russie, c’est en raison de très récentes violations très graves et très précises de l’ordre international fondé sur des règles. De manière générale, le Canada est une démocratie libérale qui entretient des relations préférentielles avec d’autres démocraties libérales. Ces démocraties se soutiennent les unes les autres et appuient l’ordre international fondé sur des règles et l’idée de la démocratie libérale. Toutefois, nous entretenons des relations avec bon nombre de pays qui ne sont pas des démocraties libérales. Ce qui a brisé nos liens avec la Russie, c’est l’invasion et l’annexion de la Crimée et la guerre qui perdure dans le Donbass. C’est une atteinte sérieuse à l’ordre international fondé sur des règles. On n’altère des frontières par la force.
C’est la gravité des gestes posés qui a poussé non seulement le Canada, mais d’autres pays qui partagent nos vues, comme ceux de l’Union européenne et les États-Unis, à prendre des mesures énergiques. Comme je l’ai dit, l’invasion et l’annexion de la Crimée remontent à plus de cinq ans, mais notre position est restée inchangée. D’aucuns pensaient que le régime de sanctions ne durerait pas, que les gens perdraient patience, que l’Occident flancherait. Ce fut un sujet de discussion à la réunion des ministres des Affaires étrangères du G7 et à la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN. Tous comprennent très bien que l’invasion d’un pays européen et les efforts pour modifier les frontières de l’Europe par la force — les gestes de la Russie représentaient une première depuis la Seconde Guerre mondiale — ne doivent pas demeurer sans riposte. La Russie se retrouve donc dans une catégorie à part, et ce, pour une raison bien évidente. Il n’est pas prévu que l’ambassadeur de l’Ukraine au Canada témoigne aujourd’hui, mais si vous lui posez des questions, je suis certaine qu’il peut vous fournir des précisions.
J’en arrive à nos relations avec la Chine. Je pense l’avoir mentionné, mais je le réitère : le Canada a fait clairement savoir qu’il est un État de droit et qu’il honore les accords internationaux auxquels il est partie. C’est la raison pour laquelle nous avons respecté le traité d’extradition entre le Canada et les États-Unis. Nous défendons également avec vigueur les Canadiens détenus de façon arbitraire en Chine. Je crois aussi que nous avons réussi — plus efficacement que certains ne le pensaient — à convaincre une coalition de pays à se prononcer publiquement en faveur des Canadiens détenus.
ll a été question de la détention de ces Canadiens à la réunion plénière des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN et à la réunion des ministres des Affaires étrangères du G7. Ce n’est pas négligeable.
On ne peut nier que la Chine est la deuxième économie du monde. C’est une réalité du monde actuel. C’est une caractéristique du XXIe siècle. C’est une réalité, et elle n’est pas sans effet sur les négociations commerciales qui se déroulent entre les États-Unis et la Chine et sur les rencontres entre l’Union européenne et la Chine.
Le Canada entretient une relation étroite et de longue date avec la Chine, à bien des égards. Il existe des liens entre nos universités, des liens entre les populations, des liens économiques et des liens commerciaux. De toute évidence, notre relation avec la Chine est loin d’être au beau fixe. Cela ne fait aucun doute. Toutefois, nous savons que cette relation ne date pas d’hier et qu’elle est durable. Il faut qu’elle perdure.
Permettez-moi de dire une chose sur la Chine et une chose sur les étudiants.
Je crois fermement que des politiques efficaces sur la scène mondiale reposent sur une collaboration et un partenariat étroits avec nos alliés, et cela vaut pour les difficultés auxquelles nous nous heurtons avec la Chine. Un sénateur d’en face, le sénateur Massicotte, a d’ailleurs posé une question là-dessus. La conjoncture mondiale nous a forcés à prendre conscience qu’il fallait trouver de nouvelles approches créatives pour défendre l’intérêt national et l’ordre international fondé sur des règles. Nous forgeons des alliances avec des pays qui partagent les mêmes idées que nous et avec lesquels nous pouvons collaborer dans des dossiers précis. C’est une façon pour le Canada d’être plus efficace. Cela s’applique à notre relation avec la Chine.
En ce qui concerne les étudiants canadiens, dans ma réponse au sénateur Boehm, j’ai parlé d’ingérence étrangère malfaisante dans notre pays. L’ingérence peut venir de plein d’endroits différents et nous prenons des mesures. Ma collègue, la ministre Gould, est chargée de ce dossier. Elle veille à protéger notre pays contre l’ingérence étrangère malfaisante durant les prochaines élections.
Plus globalement, je pense qu’il incombe au gouvernement de veiller à ce que tous les Canadiens puissent vivre, travailler, réfléchir, participer à la vie politique, manifester en paix et en toute sécurité, quel que soit l’enjeu et quelle que soit la communauté à laquelle ils appartiennent. Merci.
La présidente : Sénateur Massicotte, avez-vous une brève question?
[Français]
Le sénateur Massicotte : J’aimerais faire suite à vos commentaires, madame la ministre. En tant que petit pays ou pays de taille moyenne, du point de vue de l’économie et de la population, nous dépendons fortement de l’ordre international basé sur lds règles. Sinon, on devient un couloir ou un bloc de pays, ou peu importe.
On voit la façon dont se comporte la Chine et le point de vue de l’Organisation mondiale du commerce. D’ailleurs, les Américains contestent continuellement la perspective de cette organisation — ils le font peut-être moins aujourd’hui, étant donné qu’ils ont gagné leur dernière bataille sur certains points. Comment voyez-vous la situation? On constate que des pays très importants ne sont pas prêts à respecter les décisions de l’OMC. Si c’est le cas, nous serons plutôt mal pris. Nous avons appuyé récemment la tenue d’une réunion pour promouvoir la crédibilité de cette organisation. Comment voyez-vous la situation dans 5 ou 10 ans? Les choses vont-elles s’améliorer ou est-ce que ce sera un brouhaha total?
Mme Freeland : Je ne veux pas faire de pronostics. Je suis d’accord avec vous, la situation est complexe et nous vivons une période complexe. C’est une des raisons pour lesquelles nous travaillons en étroite collaboration avec d’autres pays pour lesquels un ordre international fondé sur des règles est essentiel. J’ai parlé de cette alliance sur le multiculturalisme sur laquelle nous travaillons avec l’Allemagne, la France et le Japon, car ces pays se trouvent dans la même position que nous. Ils dépendent, comme nous, de l’ordre international fondé sur des règles, et ensemble nous ne sommes pas si petits.
Je ne veux pas dire que ce défi est facile et que tout sera réglé d’ici une semaine ou un mois. Je crois que c’est un des défis fondamentaux de notre génération. Il sera nécessaire de travailler sur cet enjeu chaque jour. Il faudra chercher et trouver de nouveaux alliés.
Malgré tout, je suis optimiste, car, au fond, pour le Canada, en tant que 10e économie au monde, un ordre international fondé sur des règles est essentiel. Nous ne tenons pas de débat sur la question, car c’est évident. Même pour les plus grands pays, au bout du compte, il sera évident que l’ordre international fondé sur des règles est dans leur intérêt. Je crois que ce sera le cas pour deux raisons. Premièrement, nous avons un pays de règles. Nous savons, en tant que Canadiens, qu’il est préférable de vivre dans un pays fondé sur des règles, et c’est partout pareil. Il existe toutefois une raison plus pragmatique qui explique mon optimisme vis-à-vis des plus grands pays. Nous vivons aujourd’hui à une époque où aucun pays à lui seul ne peut être dominant. Pour cette raison, je pense qu’il est dans l’intérêt de tous les pays du monde d’avoir un ordre international fondé sur des règles.
Nous devons toutefois faire valoir nos arguments. Nous devons aussi chercher et trouver des exemples et en faire la démonstration. Il ne s’agit pas seulement de preuves historiques, mais de démontrer, par un travail multilatéral avec des groupes d’alliés, qu’il est possible, nécessaire et plus facile de travailler ensemble. Je peux vous donner un autre exemple très important. Prenez le Groupe de Lima. Fait très intéressant, nos partenaires américains appuient le travail du Groupe de Lima. Ils n’en sont pas membres, mais ils appuient chaleureusement ce que nous faisons. À mon avis, c’est là un éllément important, parce que cela montre que nos voisins comprennent que le multilatéralisme peut être très utile.
[Traduction]
La présidente : Madame la ministre, je souscris moi aussi au principe de l’ordre fondé sur des règles. Votre personnel m’a dit à deux reprises que vous deviez partir. Je vais donc me plier à ses ordres et pas aux vôtres.
Je tiens néanmoins à faire valoir quelques arguments. Nous avons rarement assez de temps pour aller au fond des choses et avoir un véritable échange. Nous posons une question et obtenons une réponse. Ce n’est guère idéal pour traiter de politique étrangère. Nous souhaitons que vous reveniez nous voir pour poursuivre le débat. Vous voilà avertie.
Je veux rectifier vos propos sur l’Ukraine et l’Est. Il n’y a pas eu juste un facteur qui a changé. Je vous rappelle que nous avons abandonné les pays Baltes. Je vous rappelle que la Géorgie a été envahie. Il y a eu une progression, puis on s’est entendu pour dire qu’assez, c’était assez.
Il en va de même de la Chine. Il y a eu une progression. Nous avons passé des choses sous silence, nous avons fait des mises en garde, puis nous avons été choqués. Comme ministre, vous vous êtes mise à tenir un discours complètement nouveau. J’ai lu vos communiqués de presse. Comme d’anciens ministres l’ont dit, je ne croyais jamais voir des termes comme « profondément troublé ». Or, il est temps d’agir. La crise du canola frappe de plein fouet. Vous avez affirmé que l’économie nationale était d’une extrême importance. C’est vrai. C’est la raison pour laquelle la politique étrangère n’est plus ce qu’elle était. Elle fait partie intégrante de la politique nationale.
Je vous demande d’examiner l’équilibre entre politique nationale et politique internationale. Ce qui compte, ce n’est pas seulement ce que fait la Chine et comment nous réagissons. Il faut aussi tenir compte des effets sur le quotidien des Canadiens. La démocratie, c’est la capacité de regarder vers l’avenir et de dégager des consensus, de déterminer quand cela est possible et quand un gouvernement doit intervenir.
J’espère que nous ne réduisons pas l’extrémisme à une seule définition. Nous subissons des cyberattaques. Nous nous rendons compte que les alliés d’hier ont fait place à d’autres alliés. Les pays changent.
J’espère que vous écouterez la voix de chaque Canadien en formulant vos politiques. Je n’ai pas le luxe ni la possibilité de me lancer dans un débat avec vous ici, mais je voulais exprimer ces quelques pensées. Il faut réfléchir à la place à accorder aux Canadiens.
Merci d’avoir amorcé le débat. Comme je vous l’ai dit, j’espère que le comité aura bien d’autres occasions de vous recevoir. Nous devrons examiner les décisions que vous prendrez relativement au nouvel ALENA et au Brexit. On nous demandera d’agir vite. Nous avons besoin de connaître vos orientations et vous avez besoin d’entendre notre point de vue. Nous avons eu une heure avec vous, mais j’espère que nous aurons d’autres communications et d’autres occasions à l’avenir.
Avant de conclure, je veux m’adresser à Mme Jeffrey une petite minute. J’ai pris part à la délégation qui s’est rendue en Éthiopie. Ce fut difficile, très difficile. Toutefois, la fierté que j’ai ressentie à l’ambassade canadienne est remarquable. Merci.
Mme Freeland : Puis-je répondre à une des remarques de la sénatrice Andreychuk? Vous avez raison. L’invasion et l’annexion de la Crimée ont marqué un tournant. Il est impossible de passer outre à l’énormité de la chose. La communauté internationale, l’Occident, l’OTAN, personne ne le peut.
Je vous félicite vivement d’avoir mentionné la Géorgie, sénatrice Andreychuk. Je ne faisais pas de la politique en 2008, mais il m’était apparu à l’époque que le conflit avec la Géorgie ne représentait pas un changement d’orientation, mais que c’était plutôt la cristallisation des efforts de Poutine pour aller encore plus loin. Nous devons réagir avec force aux comportements répréhensibles. Sinon, nous envoyons le message qu’il est acceptable de continuer à mal se conduire. Je crois que l’Occident a failli à son devoir en ce qui concerne la Géorgie. Hélas, nous récoltons en Ukraine le fruit de notre inaction. Merci d’avoir apporté cette précision.
La présidente : Je veux revenir là-dessus pour la gouverne du comité. Nous avons commencé à sonner l’alerte au sujet du Venezuela. Si nous, comme communauté, avions réagi plus vite, les Vénézuéliens ne vivraient peut-être pas le traumatisme qu’ils vivent actuellement. Les pays touchés dans cet hémisphère ont trop tardé à réagir à la crise vénézuélienne. Maintenant, nous ne pouvons évidemment pas faire fi de la situation. ll y a tant d’autres facteurs dans le monde que nous ne pouvons pas ignorer. Nous portons un jugement de valeur sur la pertinence d’intervenir ou non.
À un autre moment, j’espère que nous pourrons discuter du Mali, du Nord de l’Afrique et des nombreuses autres régions où le Canada pourrait et devrait jouer un rôle. Toutefois, c’est un autre débat. Je vous remercie, madame la ministre.
(La séance est levée.)