Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l'Arctique
Fascicule no 10 - Témoignages du 28 mai 2018
OTTAWA, le lundi 28 mai 2018
Le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique se réunit aujourd’hui, à 18 h 30, pour examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants et étudier, à huis clos, une ébauche de rapport sur la teneur des éléments de la section 9 de la partie 6 du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.
[Traduction]
Maxime Fortin, greffière du comité : Honorables sénateurs, à titre de greffière du comité, il est de mon devoir de vous informer de l’absence du président et de la vice-présidente et de présider à l’élection d’un président suppléant.
Je suis prête à recevoir une motion à cet effet.
Le sénateur Oh : Je propose que le sénateur Neufeld assume la présidence intérimaire de la réunion du comité.
Mme Fortin : Y a-t-il d’autres candidatures? L’honorable sénateur Oh propose que l’honorable sénateur Neufeld assume la présidence du comité. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Le sénateur Richard Neufeld (président suppléant) occupe le fauteuil.
Le président suppléant : Bonsoir et bienvenue à la réunion du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Je m’appelle Richard Neufeld. Je suis un sénateur qui représente la Colombie-Britannique et je suis aussi président du comité pour cette partie de la réunion.
Pour que nos invités comprennent, le président, le sénateur Patterson, est retenu par une autre réunion de comité, tout comme, si je ne m’abuse, la sénatrice Bovey. Nous allons tout simplement commencer, et le sénateur Patterson arrivera tôt ou tard.
Je demanderais maintenant aux sénateurs de se présenter.
Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.
La sénatrice Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.
La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de Toronto.
Le président suppléant : Ce soir, dans le cadre de notre étude sur les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants, je vous informe que nous allons consacrer quelques réunions aux sujets suivants: le développement économique et l’infrastructure.
Pour ce qui est de notre premier groupe de témoins, nous accueillons Adam Fritz, directeur, Mobilisation autochtone et coordination, et Jean-Pierre Gauthier, directeur général de la Direction des programmes autochtones d’Emploi et Développement social Canada.
Je vais vous remercier tous les deux de vous être joints à nous. J’invite chacun d’entre vous à présenter votre déclaration préliminaire, puis nous passerons à la période de questions et de réponses. Messieurs, la parole est à vous.
Adam Fritz, directeur, Mobilisation autochtone et coordination, Emploi et Développement social Canada : Bonsoir, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs. J’aimerais pour commencer vous remercier de nous avoir invités aujourd’hui afin de discuter avec vous et, plus précisément, de parler des programmes de formation axés sur les compétences et l’emploi destinés aux Autochtones qui sont soutenus par Emploi et Développement social Canada, EDSC, précisément dans la région de l’Arctique.
Je suis actuellement directeur général par intérim de la Direction des affaires autochtones d’EDSC, qui est chargée d’appuyer la création de programmes destinés aux Autochtones et de présenter des rapports sur ces programmes, de fournir de l’information sur le marché du travail, de coordonner la mobilisation des Autochtones, de fournir des conseils à cet égard, et de diriger le travail ministériel soutenant le programme fédéral de réconciliation.
Je suis accompagné ce soir de mon collègue, Jean-Pierre Gauthier, qui est directeur général de la Direction des programmes autochtones. Ensemble, nous avons partagé la responsabilité de la gestion des programmes de perfectionnement des compétences destinés aux Autochtones d’EDSC.
EDSC finance des organismes autochtones afin qu’ils conçoivent et exécutent des programmes de formation axés sur les compétences et l’emploi pour aider les Autochtones à se préparer au marché du travail et à trouver et à conserver un emploi. Nous y parvenons par l’entremise de deux programmes principaux, soit la Stratégie de formation pour les compétences et l’emploi destinée aux Autochtones, la SFCEA, qui fait actuellement l’objet d’un processus de renouvellement et deviendra le Programme de formation pour les compétences et l’emploi destiné aux Autochtones, le PFCEA, ce dont nous parlerons bientôt, et le Fonds pour les compétences et les partenariats, le FCP.
M. Gauthier et moi allons tous les deux vous présenter notre déclaration ce soir.
En quoi consiste la SFCEA? Il s’agit d’un vaste programme lié au marché du travail qui permet de financer un réseau de 85 organismes de prestation de services dirigés par des Autochtones comptant plus de 600 points de service et offrant une gamme complète de formation axée sur le perfectionnement des compétences et l’emploi, de l’acquisition de compétences essentielles, comme l’alphabétisation et le calcul, à une formation plus poussée pour les postes affichant une forte demande dans les industries en croissance.
Le FCP est quant à lui un programme axé sur les projets et les possibilités qui vise à préparer les travailleurs autochtones pour des postes vacants en partenariat avec les employeurs.
D’avril 2010 à mars 2018, soit au cours des huit dernières années, grâce à ces deux programmes, EDSC a investi 540 millions de dollars dans 32 organisations à l’échelle de l’Arctique, y compris 18 organismes de prestation de services qui fournissent directement des services de la SFCEA ainsi que 19 projets liés au FCP. Ensemble, au cours de cette même période de huit ans, ces deux programmes ont permis de servir environ 40 000 clients dans l’Arctique. Parmi ces derniers, plus de 19 000 ont trouvé un emploi et plus de 9 000 sont retournés aux études.
Un exemple de notre travail dans l’Arctique est le fructueux partenariat entre EDSC et la Mine Training Society des Territoires du Nord-Ouest. Ce projet a offert des occasions de formation, de perfectionnement des compétences et d’acquisition d’une expérience de travail dans le secteur minier aux Autochtones vivant dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut. La formation comprenait une introduction au cycle de vie minier, à la géologie minière, au traitement des minéraux et d’autres cours sur les mines. La Mine Training Society a été soutenue grâce à un important partenariat avec le gouvernement, l’industrie, les collectivités autochtones et les établissements d’enseignement, ce qui a mené au succès du projet qui s’est terminé en mars 2017, avec 1 593 clients servis, 420 clients employés et 49 clients retournés aux études. C’est là un exemple lié précisément à l’Arctique.
Un autre exemple que j’aimerais souligner est le projet pilote de camps de carrières en santé de l’École de médecine du Nord de l’Ontario, à Thunder Bay, qui a réalisé un projet pilote permettant de soutenir 18 étudiants provenant de six collectivités de partout au Nunavut afin qu’ils participent à un camp sur les carrières en santé à l’intention des étudiants du Nunavut qui a eu lieu à Iqaluit, en février 2018. Ce camp a aidé les étudiants à prendre conscience des perspectives de carrière dans le secteur de la santé et des exigences en matière d’éducation nécessaires pour y parvenir.
La particularité qui est vraiment unique dans le cadre des programmes soutenus par EDSC, c’est qu’ils sont réalisés par des organismes autochtones qui savent vraiment quels sont les besoins de leurs collectivités. Ils fournissent les ressources nécessaires pour saisir les nouvelles possibilités et tirer parti des économies en croissance, tout en intégrant les connaissances et les approches traditionnelles.
Je vais maintenant céder la parole à mon collègue, Jean-Pierre.
[Français]
Jean-Pierre Gauthier, directeur général, Direction des programmes autochtones, Emploi et Développement social Canada : Bonsoir, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs. À l’heure actuelle, nous travaillons avec des partenaires autochtones pour élaborer conjointement la mise en œuvre de la nouvelle Stratégie de formation pour les compétences et l’emploi destinée aux Autochtones. Cette nouvelle initiative comportera des stratégies distinctes pour chacun des quatre groupes autochtones en ce qui concerne le marché du travail. Ces stratégies distinctes permettront d’accroître la capacité et la souplesse nécessaires pour répondre aux contextes, aux besoins et aux circonstances uniques des Premières Nations, des Métis, des Inuits et des Autochtones qui vivent en milieu urbain ou qui sont non affiliés. Dans le budget de 2018, le gouvernement investira — lorsque nous aurons atteint le maximum d’investissement — 100 millions de dollars de plus par année afin d’appuyer ce nouveau programme.
De nouveaux investissements et une approche ciblée et souple répondront en partie aux défis sociaux et économiques auxquels font face depuis longtemps les collectivités autochtones de l’Arctique. Ces défis sont exacerbés par la géographie, le manque de débouchés, les coûts plus élevés pour faire affaire avec le Nord et le manque d’infrastructures.
[Traduction]
Dans l’Arctique, nous avons des organismes de prestation de services qui possèdent une vaste expérience de la prestation de services d’emploi et de formation. Même si le nouveau programme continuera d’être exécuté par ces organismes, des ententes particulières seront conclues avec les signataires des traités modernes qui disposent d’une autonomie gouvernementale afin de leur accorder une plus grande liberté quant à l’utilisation de ces fonds. Par exemple, nous avons eu des discussions avec les Premières Nations autonomes du Yukon afin de transférer une partie du financement par l’intermédiaire de leurs accords de financement budgétaire existants.
[Français]
Nous travaillons également avec le gouvernement du Nunatsiavut, signataire de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador, afin d’adopter une approche de financement semblable. Au cours des prochains mois, nous poursuivrons les discussions avec d’autres signataires de traités modernes afin de sonder leur intérêt.
Le ministère est tenu de respecter les obligations particulières de l’Accord du Nunavut. Nous sommes responsables d’amorcer une analyse de la main-d’œuvre inuite du Nunavut qui aidera le gouvernement à créer des plans d’emploi et de formation préalable à l’emploi destinés aux Inuits.
Ces actions sont importantes, puisqu’elles nous aideront à remplir nos obligations en vertu du traité et pour faire progresser la réconciliation. Elles sont tout aussi importantes pour soutenir l’économie de l’Arctique, car les gouvernements et les peuples autochtones assument davantage de responsabilités pour façonner l’avenir.
Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président suppléant : Merci beaucoup, messieurs. Nous allons passer aux questions.
La sénatrice Eaton : Vous nous avez donné des exemples du nombre de personnes servies et du nombre de personnes ayant trouvé un emploi ou étant retournées aux études. Faites-vous un genre de suivi pour savoir si une personne conserve un emploi dans un domaine précis ou poursuit ses études?
M. Gauthier : Nous travaillons actuellement, surtout dans le contexte du nouveau programme que nous mettons en place, à l’amélioration de notre capacité de faire un suivi de ce type d’information. À l’heure actuelle, nous avons une très bonne idée du nombre d’emplois fournis et du nombre de personnes qui retournent aux études. Nous voulons travailler avec nos partenaires dans le Nord pour faire un meilleur suivi de ces clients.
L’autre chose que nous constatons souvent, c’est que les gens ont tendance à faire l’aller-retour entre la formation de perfectionnement et le travail à mesure qu’ils perfectionnent leurs compétences.
[Français]
La sénatrice Eaton : Est-ce que cela se fera dans un contexte d’apprentissage?
M. Gauthier : Exactement. Cela se fera par étape. Les gens souhaitent progresser dans un contexte d’apprentissage afin de pouvoir occuper des emplois mieux rémunérés et plus stables.
[Traduction]
La sénatrice Eaton : Nous avons beaucoup entendu parler dans le passé de la frustration liée au fait qu’on n’utilisait pas une certaine langue, par exemple, en usage dans diverses régions. Combien d’idées d’emplois viennent des Inuits eux-mêmes, et est-ce que la plupart découlent d’employeurs dans le Nord qui disent: « Nous manquons de main-d’œuvre, veuillez nous aider à trouver du personnel »? Est-ce que les collectivités innues elles-mêmes viennent parfois vous voir pour vous dire: « Nous avons besoin d’enseignants. Nous avons besoin de personnel infirmier. Formez-nous pour que nous puissions répondre à ce besoin. Formez-nous pour que nous puissions le faire »?
M. Fritz : Les réalités du marché dans ces secteurs sont différentes d’une organisation à l’autre et d’une région à l’autre. Je dirais que nous rencontrons ces deux types de situations. Je n’ai pas les chiffres exacts en ce qui a trait aux quantités dans les différentes régions, mais il y a assurément des exemples d’entrepreneurs dans le Nord, au Nunavut et dans d’autres parties de l’Arctique canadien, qui s’adressent à nos signataires autochtones de la SFCEA et à nos fournisseurs de services autochtones afin que ceux-ci offrent des services liés à la stratégie afin d’obtenir un soutien en matière de planification d’entreprise et de pouvoir créer leurs propres entreprises touristiques ou peu importe le type d’entreprise dont il s’agit. Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec de grands employeurs, comme l’industrie minière et ainsi de suite. C’est une autre possibilité.
La sénatrice Eaton : Avez-vous constaté, par exemple, dans l’industrie de la construction, qu’il y a certaines façons de construire des bâtiments dans le Nord maintenant? Nous avons entendu d’un groupe de témoins précédent — je crois qu’il s’agissait du groupe du Labrador — qu’ils font des expériences sur la façon de construire des maisons et des fondations qui ne craquent pas, qui suivent la toundra. Y a-t-il des façons précises de former les gens dans le Nord, des façons de les former qui sont différentes de ce qu’on fait dans le Sud pour les mêmes emplois?
M. Gauthier : Je dirais que la formation est très personnalisée. C’est la raison pour laquelle nous passons par des agents de prestation locaux, lesquels offrent une formation qui tient compte des réalités de la région. Ces agents travaillent en collaboration avec les entreprises, les entrepreneurs et ainsi de suite qui cherchent des ensembles de compétences précis ou certaines aptitudes. C’est cette relation dynamique qui définit la formation et permet de l’adapter, dans la mesure du possible, aux conditions qui prévalent dans ces régions.
M. Fritz : Nos fournisseurs de services travaillent également en étroite collaboration avec les établissements d’enseignement locaux, qui possèdent aussi les connaissances nécessaires locales pour enseigner des compétences propres au Nord et à l’Arctique.
La sénatrice Eaton : Oui, parce qu’il doit y avoir des compétences très particulières au Nord.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup de votre exposé et de votre présence parmi nous ce soir.
Pour revenir rapidement aux questions de la sénatrice Eaton, j’ai trois questions. La première concerne les tendances. Que constatez-vous à l’heure actuelle? Je suis sûre que, durant la période dont vous faites état, les choses changent, et il y a de nouveaux domaines de perfectionnement des compétences et d’éducation qui pointent à l’horizon, des compétences que les gens dans les collectivités demandent eux-mêmes ou qui sont demandées par des employeurs potentiels. C’est ma première question. Je vous poserai les deux autres après votre réponse.
M. Gauthier : Je vais commencer, et Adam pourra ajouter quelque chose s’il le souhaite.
De la façon dont nous avons structuré le programme, de la façon dont il est exécuté, il répond vraiment aux conditions actuelles. Par conséquent, s’il y a un emploi accessible ou des occasions à saisir, par exemple, dans le secteur minier, c’est là-dessus que les agents de prestation ou les organisations de prestation tenteront de concentrer leurs efforts de formation un peu plus. Les efforts sont vraiment fondés sur une perspective locale qui tient compte des occasions qui se présentent à l’échelle locale. Par conséquent, le contexte économique global qu’on peut observer dans le Nord est un facteur clé lorsqu’il est question de trouver des emplois.
La sénatrice Coyle : Quels sont les secteurs très actifs ces jours-ci?
M. Gauthier : Le secteur de l’exploitation minière est très présent, très fort. Il y a aussi beaucoup d’efforts déployés pour assurer une formation axée sur les compétences fondamentales, par exemple, l’alphabétisation et les compétences liées au mode de vie en vue de permettre aux gens de pouvoir occuper un poste et composer avec toutes les contraintes et celles liées au milieu de travail. Il y a aussi un grand intérêt pour les métiers. Les métiers sont toujours populaires en ce qui concerne la formation.
Je ne sais pas si vous avez d’autres suggestions.
M. Fritz : Pour poursuivre sur cette lancée, je suis sûr que vous avez entendu qu’il y a de nombreux besoins dans le Nord et qu’on a besoin là-bas d’un renforcement des compétences à de nombreux égards. Traditionnellement, les ressources naturelles ont été et demeurent un élément clé de l’économie. Ce dont nous entendons parler au sujet des tendances par l’intermédiaire de notre réseau de fournisseurs de services autochtones, c’est du besoin d’améliorer l’éducation de base des adultes pour veiller à ce que les gens puissent ensuite acquérir différents types d’ensembles de compétences, qu’il s’agisse des soins aux aînés, des soins infirmiers, du secteur de la santé, du soutien à la gouvernance pour les nouvelles organisations qui deviennent autonomes, du tourisme et de pêche aussi, dans certaines régions de l’Arctique. Il est certain que les ressources naturelles restent encore le secteur fort.
La sénatrice Coyle : Merci.
Je vais poser assez rapidement mes questions restantes. Pouvez-vous parler des hommes et des femmes et du genre de différences que vous constatez et en ce qui concerne la participation aux programmes et la demande?
Je suis curieuse de connaître la capacité des organisations de prestation. Selon moi, elles sont absolument centrales à la réussite des programmes dans les régions locales. Soutenez-vous le perfectionnement des capacités des organisations qui assurent la prestation des services?
Et enfin, faites-vous quelque chose — et cela ne relève peut-être pas de votre compétence — pour fournir de la formation sur le travail autonome et la création de petites entreprises?
M. Fritz : Je n’ai pas les chiffres exacts sous les yeux, mais, pour ce qui est des hommes et des femmes qui ont accès à nos services, nous en sommes environ à 50/50. En fait, il y a peut-être un peu plus de femmes de façon générale. De plus, dans le cadre de certains projets du FCP qui sont sur le point d’être lancés ou qui l’ont été récemment, on a mis l’accent sur de nouveaux programmes pour attirer les jeunes et les femmes. C’est certainement un enjeu que nous gardons à l’œil.
Voulez-vous parler du renforcement des capacités?
M. Gauthier : Le renforcement des capacités est en fait l’un des principaux objectifs du nouveau programme dont nous discutons actuellement avec différentes organisations. Nous parcourons actuellement le pays pour parler à différentes organisations en ce moment. Nous étions à Vancouver tout juste la semaine dernière, et nous avons rencontré divers administrateurs de la SFCEA sur le terrain. Une réunion est prévue la semaine prochaine en Alberta pour parler aux partenaires des Territoires du Nord-Ouest, aussi. La réunion aura lieu à Edmonton.
Il s’agira d’une composante clé ou d’une préoccupation clé, parce que nous faisons les mêmes observations que vous: il faut s’assurer de renforcer les capacités de ces organisations, tant en ce qui a trait à la prestation qu’en ce qui concerne une gestion appropriée de leurs activités. Il y a des organisations très solides actuellement, mais il y en a d’autres qui pourraient bénéficier d’un peu d’aide. C’est assurément l’une des choses sur lesquelles nous concentrerons nos efforts lorsque nous mettrons en place le nouveau programme dont la mise en œuvre fait actuellement l’objet de discussions.
M. Fritz : À part le renforcement des capacités, nous avons financé des groupes de travail techniques fondés sur les distinctions — les Inuits, les Métis et les Premières Nations — et ce, pendant de nombreuses années afin de soutenir les leçons apprises et le renforcement des capacités aussi.
En ce qui concerne le travail autonome, l’une des choses qui ont été mentionnées concerne les services aux entreprises. L’une des mesures de soutien pouvant être fournies aux entrepreneurs, c’est un soutien pour les personnes qui veulent travailler à leur compte afin de les aider à planifier leurs activités, à avoir accès à des ordinateurs et à d’autres choses auxquelles tout le monde n’a peut-être pas accès dans l’Arctique. Je ne sais pas exactement combien de personnes ont accès à ce service, mais il s’agit assurément d’une dépense admissible, et certaines personnes l’utilisent.
La sénatrice Deacon : Je vous remercie, madame la sénatrice Coyle, de vos questions, parce qu’il n’y en avait qu’une de plus à ajouter au groupe.
J’essaie de comprendre la diversité dans les différentes régions et les caractéristiques pouvant être uniques à certaines d’entre elles. Vous avez parlé des coutumes, de la personnalisation et du fait de rencontrer les gens là où ils se trouvent. Pouvez-vous nous parler de la façon dont les programmes sont adaptés aux réalités des différentes régions ou, peut-être, nous donner un exemple?
M. Gauthier : Tout commence souvent lorsqu’une personne s’adresse à l’organisation pour acquérir des compétences ou une formation professionnelle. À ce moment-là, on procède à une évaluation de la personne pour voir quelles sont ses forces, ce sur quoi elle doit travailler et quels sont ses intérêts. Les responsables élaboreront alors un plan global en collaboration avec cette personne.
Parfois, il s’agit de s’assurer que la personne possède de bonnes compétences en ce qui a trait à l’alphabétisation et aux compétences de base, de s’assurer qu’elle comprend bien le rythme qu’il faut maintenir en milieu de travail et de confirmer son niveau d’engagement. Tout dépend. Les mesures sont adaptées aux personnes, selon leur situation de départ. Au bout du compte, ces mêmes personnes poursuivront leur route pour apprendre un métier et poursuivre leur cheminement. Au bout du compte, on se retrouvera avec des personnes plus qualifiées qui ont des antécédents différents et qui veulent poursuivre des études collégiales ou universitaires.
Par conséquent, le plan est vraiment axé sur les personnes dans la mesure où il faut répondre à leurs besoins. C’est la raison pour laquelle ce travail est fait localement et près des collectivités, parce que c’est un grand pas pour beaucoup de ces personnes de s’engager dans ce genre de processus.
M. Fritz : En ce qui concerne certains des défis uniques aux différentes régions de l’Arctique, dans certaines régions, il y a beaucoup plus de routes et un meilleur accès en matière de communication que dans d’autres. Dans certaines régions, par exemple au Nunavut ou au Nunatsiavut et au Labrador, beaucoup de communications doivent se faire par courriel ou téléphone plutôt qu’en personne s’il n’y a pas toujours un agent de prestation de service dans chaque collectivité. Seulement certains carrefours peuvent aider les autres. De plus, les réalités des marchés ne sont pas les mêmes dans les différentes régions du pays. En outre, les relations sont elles aussi différentes lorsqu’il s’agit de travailler en collaboration avec d’autres éléments au sein de ces collectivités.
La sénatrice Deacon : Merci.
Le sénateur Oh : J’ai regardé certains des chiffres que vous avez fournis. D’avril 2010 à 2018 — on parle de huit ans — il y a un programme dans lequel EDSC investit 540 millions de dollars au profit de 32 organisations et 18 organisations de prestation de services. Quel est le financement total que vous obtenez du gouvernement chaque année?
M. Gauthier : En ce qui a trait au financement annuel total, le financement de base s’élevait à 292 millions de dollars durant cette période. Cependant, au cours des deux ou trois derniers exercices, il y a eu un investissement supplémentaire de 50 millions de dollars, et il y a maintenant une décision budgétaire grâce à laquelle nous obtenons 100 millions de dollars de plus. On finira par se rendre à 100 millions de dollars. Cette année, pour 2018-2019, nous commençons avec 66 millions de dollars, et le montant deviendra, dans environ cinq ans, 100 millions de dollars. Ces fonds s’ajouteront aux 292 millions de dollars.
Le sénateur Oh : Quelle est la taille de l’organisation? Combien d’employés comptez-vous?
M. Gauthier : Nous avons un réseau de 85 organisations qui offrent des cours de formation à l’échelle du pays. Il y a certaines organisations situées précisément dans le Nord. L’équipe utilise la liste des régions cernées dans le document qui sous-tend votre étude. Le cadre stratégique pour l’Arctique cerne les régions du Nord du Québec, du Nord du Manitoba ainsi que les trois territoires. Les responsables se sont appuyés sur ces régions et ont cerné tous les fournisseurs de services établis qu’il y avait là. C’est de cette façon qu’ils en sont venus à ces chiffres.
Nous avons aussi un autre programme, comme nous l’avons mentionné à deux ou trois reprises, c’est-à-dire le Fonds pour les compétences et les partenariats. C’est un programme d’investissement fondé sur les projets. Essentiellement, une entreprise du secteur privé peut se présenter avec l’aide d’un de nos fournisseurs de services ou d’une autre organisation et dire: « Nous voulons réaliser un projet spécial à l’appui du déménagement d’un site minier », par exemple. Il peut aussi y en avoir qui concernent une province, par exemple, l’électrification dans le Nord de l’Ontario, le fait d’installer des lignes électriques dans des zones éloignées. Différents projets se présentent. Ces projets constituent l’autre volet d’investissement. Dans ce cas-là, on procède en fonction de projets individuels qui ont un début et une fin et qui permettent d’atteindre un objectif.
Le programme de la SFCEA fournit une base, en fonction des personnes, et des projets sont ensuite réalisés, mais il y a un fonds spécial pour les projets, le FCP, le Fonds pour les compétences et les partenariats. Dans ce cas-là on parle d’environ 50 millions de dollars par année.
Le sénateur Oh : Et quelles sont les 18 organisations de prestation de services?
M. Gauthier : Elles figurent dans l’onglet.
M. Fritz : Je pense les connaître de mémoire. Il y en a deux au Yukon, le Conseil des Premières Nations du Yukon et l’Aboriginal Labour Force Alliance, l’ALFA. Pour ce qui est du Nord du Manitoba, il y en a une, Manitoba Keewatinowi Okimakanak. Dans le Nord du Québec, l’administration régionale Kativik, l’ARK. J’utilise habituellement les acronymes, alors je ne suis pas habitué de les dire à haute voix. Au Nunavut, il y a trois organisations régionales qui relèvent de NTI, Nunavut Tunngavik Incorporated. Il y en a sept dans les Territoires du Nord-Ouest qui représentent chacune des différentes Premières Nations et chacun des différents groupes inuits et métis: le gouvernement t’licho, le Conseil des Dénés du Sahtu, le Conseil tribal des Gwich’in, l’Inuvialuit Regional Corporation, le gouvernement du territoire de l’Akaitcho, la Northwest Territories Metis Nation et les Premières Nations du Deh Cho. Puis, à Terre-Neuve-et-Labrador, il y a quatre groupes, un qui représente les Inuits, et deux qui représentent deux communautés innues différentes ainsi que le NunatuKavut Community Council, l’ancien groupe des Métis inuits.
Le président suppléant : Nous avons deux autres intervenants, et un au deuxième tour, et il nous reste environ trois minutes. Je vais vous demander d’être le plus brefs possible dans vos questions et vos réponses, s’il vous plaît.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup d’être là. Vous avez dit travailler à l’amélioration du niveau de vie et de la qualité de vie de tous les Canadiens et à la promotion d’une main-d’œuvre hautement qualifiée. Dans le cadre de certains des autres exposés, les gens nous ont dit que les habitants du Nord ne peuvent pas atteindre leur plein potentiel en raison du manque d’écoles, d’écoles secondaires et de ressources. Offrez-vous des programmes pour les adultes afin qu’ils puissent rattraper leur retard et se joindre à la main-d’œuvre en tant que travailleurs hautement qualifiés? Avez-vous un moyen de les joindre afin qu’ils puissent devenir des travailleurs hautement qualifiés?
M. Gauthier : C’est l’un des objectifs fondamentaux de la SFCEA, le programme d’acquisition de compétences et de formation professionnelle que nous offrons. On procède au cas par cas. Nous prenons l’adulte là où il est dans sa vie personnelle et tenons compte de son expérience et de son niveau de scolarité, entre autres. Les responsables élaboreront alors un plan pour cette personne afin de lui permettre d’aller aussi loin qu’elle veut. Nous aiderons cette personne à progresser vers son objectif. Les gens qui s’adressent à l’organisation sont dans des situations différentes. Tout dépend de leurs antécédents, mais oui, nous travaillons certainement avec les adultes.
La sénatrice Jaffer : Leur apprenez-vous à étudier?
M. Gauthier : Oui.
La sénatrice Jaffer : Offrez-vous des initiatives visant précisément les Autochtones?
M. Gauthier : Les différentes organisations ont tendance à se spécialiser dans les services aux Premières Nations ou aux nations inuites et ainsi de suite. Alors, oui, les organisations ont tendance à servir une clientèle précise, des gens qui viennent des collectivités, et il s’agit d’un aspect pertinent du processus. Parfois, une bonne partie des choses avec lesquelles une personne a dû composer prennent racine dans la collectivité.
La sénatrice Jaffer : Je vais m’arrêter ici.
La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés. Je veux parler davantage de ce dont la sénatrice Jaffer a parlé. Ce qui m’intéresse, ici, ce sont les aptitudes à la vie quotidienne dont les gens ont besoin, parce que, au Manitoba, il y a eu des projets hydroélectriques, et on n’a pas donné suffisamment d’aptitudes à la vie quotidienne aux gens et pas non plus assez de soutien en ce qui a trait à la toxicomanie. Beaucoup de personnes ont bel et bien trouvé un emploi, mais pas à long terme. Rencontrez-vous ce genre de problème et de quelle façon le réglez-vous?
M. Gauthier : Nous avons parcouru le pays et avons consulté nos partenaires, et ils nous en ont beaucoup parlé. C’est ce qu’ils appellent le service fondé sur une approche enveloppante. Essentiellement, il ne s’agit pas seulement d’enseigner un métier à quelqu’un. Il faut s’assurer que cette personne pourra trouver un emploi, ce qui va de l’ébauche d’un curriculum vitæ au fait de régler les problèmes personnels de la personne, comme des problèmes de toxicomanie ou le besoin de services de garde pour les enfants, parce que la personne doit laisser ses enfants entre les mains des personnes en qui elle a confiance pour avoir l’esprit libre et poursuivre son perfectionnement. La question de la santé mentale a été mentionnée un certain nombre de fois dans nos discussions lorsque nous avons rencontré différentes organisations. C’est une réalité. Parfois, il faut commencer là. Avant de pouvoir montrer à quelqu’un à conduire un camion à 10 roues, il faut l’aider à régler d’abord certains de ces problèmes.
Il faut tout un engagement d’une personne pour qu’elle se présente pour une entrevue. C’est la raison pour laquelle les responsables préparent un plan personnalisé. Ils prennent le temps de parler avec la personne et de l’accompagner en fonction de ses besoins. Et, oui, toutes les choses que vous avez mentionnées, les aptitudes à la vie quotidienne... On nous dit qu’elles sont au cœur de beaucoup des activités et des interventions réalisées.
M. Fritz : Ce ne sont pas tous nos fournisseurs de services autochtones, qui offrent ce genre de formation. Souvent, ils s’adressent à d’autres établissements d’enseignement ou à des organismes communautaires, même si certains le font eux-mêmes. Ils adoptent une approche fondée sur les partenariats.
La sénatrice McCallum : Merci.
Le président suppléant : Merci, messieurs, d’avoir été là et d’avoir répondu à nos questions. Nous vous en sommes reconnaissants.
Dans la deuxième partie de la réunion, je suis heureux de souhaiter la bienvenue à Hilda Broomfield Letemplier, membre du Conseil national de développement économique des Autochtones, de même qu’Adam Fiser et Frances Abele. La parole est à vous. Après les déclarations, nous passerons aux questions.
Hilda Broomfield Letemplier, membre du conseil, Conseil national de développement économique des Autochtones : Bonjour à tous les membres du comité, et merci de votre invitation à venir vous parler aujourd’hui.
J’aimerais me présenter. Je m’appelle Hilda Broomfield Letemplier, et je suis ici au nom du Conseil national de développement économique des Autochtones. Je viens de Happy Valley-Goose Bay, au Labrador, et je suis heureuse d’être ici, à Ottawa.
Notre conseil est composé de gens d’affaires et de chefs de file des collectivités des Premières Nations, des Inuits et des Métis de partout au pays. Le conseil a pour mandat de conseiller l’ensemble du gouvernement fédéral sur les questions de développement économique des Autochtones.
Avant de commencer, j’aimerais souligner que nous nous trouvons sur le territoire ancestral des peuples algonquin et anishinaabe.
Je vais d’abord parler des infrastructures et du développement économique dans l’Arctique.
Le Nord du Canada est aux prises avec un déficit considérable en matière d’infrastructure, ce qui représente un obstacle important à l’amélioration de la qualité de vie dans les collectivités autochtones du Nord, et qui constitue le plus grand frein au développement de l’économie et des entreprises dans la région.
En 2016, le conseil a publié ses Recommandations sur le développement d’infrastructures nordiques à l’appui du développement économique. Notre principale conclusion, c’est que les dirigeants d’entreprises et les chefs de file des collectivités nordiques ont systématiquement considéré l’amélioration des infrastructures comme étant le plus important critère pour attirer les investissements et faciliter la création et l’expansion d’entreprises dans les collectivités éloignées.
Nous avons également constaté que les investissements publics dans l’infrastructure économique du Nord, en vue de soutenir les grands projets d’exploitation des ressources, engendraient d’importantes retombées économiques et financières. Plus précisément, pour chaque dollar investi dans les infrastructures de transport et l’infrastructure énergétique, on obtiendra en retour un rendement d’environ 11 $ en avantages économiques et 11 $ en avantages financiers.
Notre rapport a donné lieu à sept recommandations dans trois grands secteurs: la coordination des investissements dans les infrastructures de développement économique, l’accroissement du financement et des subventions destinées aux infrastructures et le soutien des capacités des collectivités du Nord, grâce au financement de la recherche et de la planification communautaire globale. Il faut dès maintenant des investissements audacieux dans les infrastructures du Nord afin de réaliser le grand potentiel économique de cette région.
Je vais maintenant aborder le sujet du marché du travail dans l’Arctique. En 2016, le conseil a publié un rapport intitulé Réconciliation: Stimuler l’économie canadienne de 27,7 milliards de dollars. Ce document comprenait une analyse des retombées économiques auxquelles le Canada pourrait s’attendre si, au chapitre des résultats économiques, l’écart entre les populations autochtones et non autochtones était comblé.
Contrairement au reste de la population canadienne, la population autochtone est jeune et croît rapidement. En effet, près de la moitié des Autochtones ont moins de 25 ans. Cela représente pour le Canada une importante occasion économique de mobiliser pleinement sa main-d’œuvre autochtone, particulièrement dans le Nord. Cependant, il existe d’importants écarts au chapitre des résultats économiques entre les populations autochtones et non autochtones du Canada, ce qui a de graves répercussions sur la participation des Autochtones au sein de la population active.
Nous sommes sur le point de publier le deuxième de notre série de trois rapports d’étape sur la situation des Autochtones. Les premières conclusions renforcent nos hypothèses selon lesquelles il reste encore beaucoup de travail à faire pour améliorer les résultats économiques des peuples autochtones.
Nos plus récentes constatations nous ont permis de conclure que, par rapport aux Canadiens non autochtones, le taux d’obtention d’un diplôme d’études secondaires est considérablement plus faible chez les Inuits, à 56,1 p. 100. En outre, les jeunes femmes inuites sont le seul groupe à avoir enregistré une hausse importante du taux d’emploi de 2006 à 2016. Cependant, le taux d’emploi des jeunes femmes inuites est toujours d’environ 15 p. 100 inférieur à celui de leurs pairs non autochtones. En outre, dans les cinq principales industries nordiques, les travailleurs autochtones gagnent de 31 p. 100 à 66 p. 100 du salaire de leurs collègues non autochtones.
Alors que les entreprises de partout dans le Nord ont du mal à attirer des employés et à les maintenir en poste, le renforcement des infrastructures communautaires et des infrastructures à grande échelle, de même que de véritables investissements dans une main-d’œuvre en croissance constitueront un élément essentiel du soutien en vue de préparer le Nord à bénéficier des investissements.
Je suis une femme dans un métier non traditionnel et une femme autochtone, et c’est donc avec tout mon cœur et toute mon expérience que j’aide à encadrer des femmes qui veulent partager leur propre entreprise.
Je vous remercie de m’avoir écoutée aujourd’hui.
Le président suppléant : Merci beaucoup.
Adam Fiser, chargé de recherche principal et coresponsable, Politiques du Nord et autochtones, Conference Board du Canada : Bonsoir à tous et merci de me donner l’occasion de participer. Je suis chargé de recherche principal pour le Conference Board du Canada et coresponsable, Politiques du Nord et autochtones.
Il y a en effet des changements importants et rapides dans l’Arctique, et les Premières Nations dans les territoires, à Churchill, au Manitoba, au Nunavik et au Nunatsiavut sont au premier rang. Aux fins de notre discussion et pour respecter le temps qui m’est alloué, je limiterai mes observations aux territoires du Canada.
Ce qui rend difficile une intervention nationale ou fédérale face aux changements dans l’Arctique, c’est l’importante diversité qu’on constate dans les régions habitées de l’Arctique et en ce qui concerne les Premières Nations. Les défis auxquels font face les régions et les collectivités arctiques varient, de même que les capacités et les occasions qui existent là-bas de relever ces défis.
Le dernier exercice de recherche et de prévision dans les territoires du Conference Board du Canada confirme ce que j’essaie de dire au sujet de la diversité dans l’Arctique. Commençons par le Nunavut, qui est sur le point de connaître un boum minier, avec une croissance du PIB prévue de 4,4 p. 100 en 2018 et de 9,1 p. 100 en 2019. D’ici 2021, cinq mines seront opérationnelles sur le territoire, et, malgré tout, la majeure partie des nouveaux emplois en question seront attribués à une main-d’œuvre permutante, faisant l’aller-retour à partir de régions à l’extérieur du territoire.
La situation démographique du Nunavut est unique au Canada. Le taux de fertilité est supérieur au taux de remplacement. Cependant, même si la population du Nunavut est jeune et en croissance, seulement 55 p. 100 de la population adulte âgée de plus de 20 ans possédaient au moins un diplôme d’études secondaires en 2016. Le taux de chômage dans le territoire, qui s’élève actuellement à plus de 14 p. 100 devrait demeurer supérieur à 13 p. 100 jusque durant les années 2030. Dans une économie fondée sur les salaires, un niveau de scolarité limité signifie des occasions limitées d’avancement et de perfectionnement professionnel.
C’est le cas dans le secteur minier, mais c’est aussi un défi dans le secteur public du Nunavut. Les Inuits occupent environ la moitié des postes au sein du gouvernement du Nunavut même s’ils représentent 86 p. 100 de la population. De plus, ils occupent seulement 36 p. 100 des postes de direction et 17 p. 100 des postes au sein de la haute direction au sein du gouvernement du Nunavut.
Pour les Nunavummiut, les déficits d’infrastructures dans les domaines du logement, de l’énergie propre, du transport maritime et de la connectivité signifient qu’un environnement bâti confortable et l’accès aux biens et à l’information coûtent beaucoup plus cher que dans la plupart des autres régions du Canada. De telles contraintes marquées nuisent aux possibilités d’apprentissage, à l’accès aux services et à la qualité de vie. Ces dures contraintes minent aussi la capacité du territoire de diversifier son économie et de favoriser la croissance dans d’autres secteurs, comme les pêcheries et les arts.
Comparativement à la croissance du secteur minier au Nunavut, les Territoires du Nord-Ouest sont confrontés à un déclin de leur industrie diamantaire phare. Au cours de la prochaine décennie, le produit intérieur brut des Territoires du Nord-Ouest devrait diminuer en moyenne de 3 p. 100 par année. D’ici 2035, les trois mines de diamants opérationnelles dans le territoire auront fermé leurs portes. D’ici là, on s’attend à ce que le chômage passe de 6,8 p. 100 en 2017 à plus de 10 p. 100. Étant donné le déclin de la production minière et le déclin des services connexes, les pertes d’emploi et l’exode au cours des 17 prochaines années devraient aussi contribuer à la réduction de la taille de la population active.
Même si ce sont des facteurs importants, les défis liés à la géographie, à la démographie et aux infrastructures dans les Territoires du Nord-Ouest ne sont pas aussi prononcés qu’au Nunavut. Le facteur prédominant dont nous avons entendu parler est de nature institutionnelle et est lié au besoin de repenser la façon dont le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et les gouvernements autochtones sur le territoire réglementent conjointement le secteur des ressources naturelles et partagent leur part des impôts et des redevances avec le gouvernement fédéral. Pourtant, en raison du déclin de l’industrie minière diamantaire et des secteurs des services connexes, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, comme le gouvernement du Nunavut, se préoccupe à juste titre de sa main-d’œuvre résidante et des occasions de promouvoir le perfectionnement des compétences et la diversification économique.
Enfin, en comparaison, le Yukon se démarque parmi les trois territoires, en ce qui a trait à sa main-d’œuvre résidante hautement qualifiée, ses investissements dans l’infrastructure et sa capacité de stimuler des partenariats avec le gouvernement fédéral et l’industrie privée. On s’attend à ce que cette capacité permette d’assurer une croissance de 8,1 p. 100 du PIB en 2018 et d’assurer une augmentation subséquente moyenne du PIB de 6,2 p. 100 de 2019 à 2025. On s’attend aussi à ce que le taux de chômage reste bas au cours des 10 prochaines années, à environ 4 p. 100.
Le secteur des ressources naturelles du Yukon entre dans une nouvelle phase de croissance, grâce à trois nouvelles mines de métaux dont l’ouverture est prévue au cours des 10 prochaines années. La récente annonce d’un projet d’accès aux ressources du Yukon devrait permettre de libérer un potentiel encore plus grand au sein du secteur des ressources en améliorant et développant les réseaux de transport dont on a grand besoin, mais la possibilité d’entreprendre un tel projet repose sur la géographie du Yukon, ses modèles d’établissement et ses investissements historiques connexes dans les routes, l’hydroélectricité, la connectivité et les autres formes d’infrastructure essentielles. Sa réussite à l’avenir dépendra aussi dans une large mesure de l’évolution des relations entre le Yukon et le gouvernement fédéral et les Premières Nations en cause.
Comparativement au Nunavut et aux Territoires du Nord-Ouest, la situation démographique du Yukon est aussi distincte en raison de sa plus grande proportion de résidants âgés de 65 ans et plus. Les dépenses en soins de santé représentent le plus important poste budgétaire du gouvernement du Yukon et, étant donné la croissance de la population des personnes âgées au sein du territoire, on s’attend à ce que le Yukon soit confronté à des demandes accrues en ce qui concerne l’infrastructure des soins de santé, comme la construction d’établissements de soins de longue durée.
Mon message lié à ces courtes vignettes est simple, même si les défis sont complexes. Il n’y a pas une seule intervention universelle pour composer avec les circonstances changeantes et les besoins socioéconomiques changeants dans les régions arctiques canadiennes. Peu importe les conclusions qu’on peut tirer de l’étude des régions arctiques diversifiées du Canada, au bout du compte, les interventions fédérales devront être élaborées en collaboration avec les régions arctiques et les localités là-bas en plus d’être adaptées à leurs réalités uniques.
Merci du temps que vous m’avez accordé.
Le président suppléant : Merci beaucoup.
Frances Abele, professeure, École de politique et d’administration publiques, Université Carleton, à titre personnel : Bonjour. Je suis professeure émérite de l’École de politique et d’administration publiques de l’Université Carleton. J’ai passé la majeure partie de ma carrière à essayer de comprendre le Nord et à travailler en collaboration avec les Autochtones là-bas. Même si j’ai vécu à Yellowknife pendant quelques années, j’ai surtout travaillé là-bas en tant que visiteuse venant du Sud. J’ai travaillé dans tous les domaines, du domaine politique à celui du développement économique en passant par la mise en œuvre des revendications globales, l’éducation, l’emploi et la formation.
Plus récemment, j’ai lu les délibérations de vos audiences, et je sais que vous avez rencontré des habitants du Nord et beaucoup d’autres personnes ayant beaucoup de connaissances à partager. J’ai pensé que, au lieu de vous fournir plus d’information, j’allais vous proposer quelques réflexions sur l’avenir dans le Nord.
Le premier des quatre points que je veux soulever, c’est que j’ai souvent l’impression que nous sommes coincés dans les années 1970 lorsque j’entends les gens parler du développement dans le Nord. Le faible niveau de scolarité, le besoin de perfectionnement et de formation des adultes afin qu’ils puissent occuper des emplois de col bleu liés à l’extraction des ressources non renouvelables… Ce sont toutes les choses dont on parlait lorsque j’étais dans la vingtaine, et vous pouvez le voir d’après mes cheveux gris et mes rides, je me souviens des années 1970, et notre façon de réfléchir au développement du Nord canadien n’a pas changé. Selon moi, nous n’avons plus le choix. Nous devons mettre à l’essai certaines de mes nouvelles idées et essayer de faire les choses différemment.
Cela m’amène à mon deuxième point. Je sais que des gens vous ont parlé des changements climatiques. J’aimerais vous parler de la possibilité que les changements climatiques changent tout dans l’économie du Nord et les sociétés nordiques.
Selon moi, l’adaptation aux changements climatiques deviendra le plus grand mégaprojet jamais vu dans le Nord. Il faut remplacer les routes et trouver de nouvelles façons de faire la construction et de concevoir tous les bâtiments nécessaires. Nous devons trouver et mettre en œuvre de nouvelles formes de pratiques de conservation afin que les collectivités nordiques ne perdent pas entièrement leur sécurité alimentaire, qu’ils obtiennent en récoltant les fruits de la terre. Il faudra trouver de nouvelles façons de gagner sa vie. Il me semble qu’il faudra porter attention au moyen terme — on devrait envisager un horizon de 50 ans — au sujet des interactions des diverses formes d’investissement. Les investissements dans l’infrastructure devraient aussi être des investissements dans le développement social et humain dans le Nord.
Il reste à savoir qui fera cette planification et qui assurera la coordination afin qu’on crée ce que les économistes appellent un cercle vertueux. À l’heure actuelle, il y a deux ou trois ordres de gouvernement qui gèrent — selon la façon de compter — de nombreux programmes différents et font de leur mieux pour coordonner l’incidence de ceux-ci. Parfois, on fait bien les choses, mais on ne le fait pas assez bien pour relever les défis qui nous attendent à l’avenir.
Après les changements climatiques, un autre aspect du défi concerne la croissance démographique des jeunes dans le Nord. Nous n’avons pas beaucoup amélioré le niveau de scolarité là-bas en 40 ans, et on se retrouve maintenant avec une importante population de très jeunes parents, des jeunes qui n’ont pas terminé leurs études et dont les enfants ont de la difficulté à réussir à l’école parce qu’ils vivent dans des logements surpeuplés et parce que, souvent, la famille éprouve d’autres difficultés. Si nous ne nous attaquons pas à ce problème de façon plus ciblée et délibérée que par le passé, la situation ne s’améliorera pas. Elle ne s’améliorera assurément pas toute seule, simplement parce que nous créons des emplois dans le cadre de projets miniers et de projets de construction. Il faut quelque chose de plus coordonné et de plus concerté que cela.
L’endroit idéal où on pourrait y arriver, c’est le domaine de l’éducation, en réfléchissant à la façon dont nous abordons l’éducation dans le Nord. Pour certaines des raisons dont M. Fiser a parlé, je ne veux pas faire de généralisation du système de maternelle à la 12e année dans le Nord. La situation varie beaucoup en fonction du territoire ou de la région, mais il y a une occasion de parler d’éducation, et je serais heureuse de le faire.
Il y a des modèles d’éducation qui fonctionnent bien, et ils ne ressemblent pas beaucoup au cadre scolaire que nous connaissons dans le Sud du Canada. Il y a un programme, ici, à Ottawa appelé Nunavut Sivuniksavut; vous en avez probablement tous déjà entendu parler. C’est un programme dans le cadre duquel on a trouvé la combinaison gagnante pour amener les jeunes diplômés du secondaire — ce sont déjà des personnes très accomplies — pour les préparer à occuper un autre emploi ou à entreprendre des études universitaires. En 30 ans, les responsables du programme ont trouvé une formule gagnante, qui inclut le fait de s’assurer qu’on répond aux besoins fondamentaux des jeunes adultes, afin qu’ils puissent bénéficier d’un soutien social, qu’ils aient l’argent dont ils ont besoin pour subvenir à leurs besoins et qu’ils bénéficient d’un soutien émotionnel lorsqu’ils en ont besoin.
Ce programme d’étude réunit l’éducation culturelle et linguistique et l’éducation plus générale. Les responsables consacrent beaucoup d’efforts à l’établissement de cohortes d’étudiants pouvant s’aider les uns les autres durant le programme d’étude. Ils ont créé des partenariats ciblés avec des établissements d’enseignement — comme le mien — afin que les étudiants puissent passer d’une petite collectivité du Nunavut à leur programme de deux ans, et bientôt trois ans, pour ensuite fréquenter l’université.
Presque toutes les personnes qui ont passé par le système du programme Nunavut Sivuniksavut retournent travailler dans le Nord. Très peu restent ici, et je crois que c’est lié en partie à la nature de l’éducation. J’ai le regret de dire qu’il y a très peu de choses dans le système d’éducation du Nunavut qui combinent les qualités affichées par le programme Nunavut Sivuniksavut et qui ont contribué à sa réussite.
Il y a un début. Il y a d’autres approches novatrices dans d’autres régions nordiques. Le Collège du Yukon a sa propre approche. Il deviendra bientôt l’Université du Yukon et il offre un baccalauréat en gouvernance autochtone qui réunit beaucoup de caractéristiques intéressantes de la pensée politique autochtone et de la façon de travailler dans le système de Westminster.
Le Centre de recherche et d’apprentissage Dechinta dans les Territoires du Nord-Ouest est un autre modèle. Les responsables du centre disent être une « université de brousse » et ils offrent des cours universitaires dans un gîte écologique, sur le territoire. Chaque cours est donné par un expert de la culture dénée ou métisse et un professeur d’université. Parfois, ils combinent ces éléments, mais il n’y en a pas beaucoup. Il y a donc ces deux éléments.
Ce sont là les débuts de ce qui pourrait être un système universitaire diversifié et novateur dans le Nord. D’autres personnes l’ont dit, mais c’est gênant: le Canada est le seul pays arctique qui n’a pas d’université dans le Nord. Selon moi, lorsque vous dites que la plupart des gens pensent à construire quelque chose comme une petite université Carleton, eh bien je ne crois pas que c’est nécessairement ce qu’il faudrait envisager. Nous avons probablement besoin d’un réseau d’établissements d’enseignement sensible à la diversité dans chaque région et au sein duquel il faudrait pouvoir au moins fonctionner de façon bilingue, y compris dans la langue locale. Il y a suffisamment de gens qui parlent inuktitut pour qu’on envisage une université où l’on parle inuktitut de taille décente, mais les gens devraient probablement apprendre l’anglais aussi. Nous avons de bons résultats en matière de bilinguisme au Canada et nous devons y réfléchir lorsqu’il est question de créer une université dans le Nord, ou encore réfléchir à la question du multilinguisme.
J’ai un dernier point à faire valoir. C’est lié, mais c’est aussi quelque chose de distinct. Mary Simon, dans son rapport à la ministre Bennett, a demandé qu’un plan d’adaptation soit une priorité nationale. Elle pensait aux changements climatiques et à la façon dont le Nord bénéficiera de l’engagement du Canada à l’égard des changements climatiques et peut participer aux efforts connexes.
Pour que nous ayons un tel plan, nous avons besoin d’un très bon système de coopération intergouvernementale. Il y a plusieurs gouvernements autochtones dans diverses régions du Nord à l’heure actuelle. Il y a les trois territoires, puis plusieurs gouvernements provinciaux, selon la façon dont on définit le Nord. Ces gouvernements et le gouvernement fédéral, bien sûr, qui a les poches les plus profondes et qui a la plus grande incidence, doivent tous travailler ensemble pour planifier l’adaptation aux changements climatiques d’une façon qui ne laisse pas de côté les enjeux liés au développement social et à la santé.
Je pense que c’est là notre défi. C’est vraiment un grand défi pour notre pays. Si nous ne le faisons pas, le coût sera très élevé, parce que la situation empirera dans le Nord plutôt que de s’améliorer en raison des pressions exercées par tous les autres changements qui s’en viennent.
En terminant, j’aimerais vous fournir un exemple concret. Une partie de mon travail à l’Université Carleton, c’est d’offrir un programme d’études supérieures en ligne sur les politiques et l’administration autochtones. Il y a énormément de personnes dans l’Arctique qui aimeraient participer à notre programme, et certaines d’entre elles le font, mais elles doivent composer avec un accès à large bande vraiment lamentable. C’est terrible. Les étudiants n’arrivent pas à présenter leurs travaux à temps et ils ne peuvent bien sûr pas participer aux tutoriels en ligne. Il y a beaucoup de problèmes liés à l’accès au service à large bande.
Un investissement public adéquat dans des services Internet à large bande permettrait d’améliorer l’accessibilité non seulement de notre programme, mais des programmes partout au pays. On réduirait ainsi les obstacles pour les étudiants dans les petites collectivités, en partie en facilitant leur accès, mais aussi en faisant venir l’université dans leurs collectivités, afin que les gens puissent voir à quoi ressemble un cours universitaire. Si nous avons une salle technique pour y arriver, nous pourrions offrir des tutoriels aux étudiants du secondaire afin de leur donner des exemples de ce qu’ils étudieraient à l’université. C’est quelque chose qu’on fait tout le temps dans le Sud, et certains de vos enfants en ont probablement déjà bénéficié. On ne le fait pas dans le Nord canadien. On ne peut pas envoyer des enfants de là-bas dans nos universités.
Je dois m’arrêter ici. D’accord.
Le président suppléant : Beaucoup d’intervenants veulent vous poser des questions.
La sénatrice Eaton : Madame Letemplier, je connais bien Happy Valley-Goose Bay et je vais pêcher sur la rivière Eagle chaque été. Je connais l’ambiance dans votre coin de pays.
Vous avez parlé d’éliminer certains des obstacles juridiques et réglementaires en matière d’accès aux capitaux. Pouvez-vous me donner un exemple précis de ce qu’on devrait faire? Je crois que c’est important pour les Innus de nous dire ce qu’ils aimeraient qu’on fasse et ce dont ils ont besoin plutôt que ce soit nous qui leur disions: « Voici ce dont vous avez besoin. »
Mme Broomfield Letemplier : Selon moi, et à la lumière de notre mode de vie, ce sont les choses que nous avons vécues. Nous avons tout vécu. Nous sommes là depuis le début. C’est là où nous vivons. C’est notre chez-nous.
Avec la réglementation, historiquement, on nous a toujours dit comment les choses devaient se passer. C’est important pour les gens de pouvoir dire ce qu’ils considèrent comme bénéfique pour l’avenir, parce que c’est notre vie. Il en a toujours été ainsi.
La sénatrice Eaton : Parle-t-on de littéracie financière? Est-ce qu’il manque de garanties? Selon vous, quels sont les obstacles auxquels les gens sont confrontés lorsqu’ils veulent avoir accès à des capitaux pour bâtir quelque chose ou créer quelque chose?
Mme Broomfield Letemplier : Nous avons lancé notre entreprise en 1991, et les choses ont été difficiles. Notre entreprise est maintenant l’un des cinq principaux fournisseurs miniers industriels de la mine de nickel Vale à Voisey’s Bay, au Labrador. Mais les choses ont été difficiles. Les banques et différentes organisations, des organisations gouvernementales, n’ont pas l’impression ou ne croient pas qu’on peut faire ce qu’on dit pouvoir faire. Elles nous voient nous débattre. On est au beau milieu de l’océan, et on se fait lancer un gilet de sauvetage, mais personne ne nous sort de l’eau. Ces organisations ne nous en ont pas donné assez ou ne nous ont pas assez soutenus. En fait, nous avons dû hypothéquer notre maison trois fois et littéralement manger du Kraft Dinner pendant six mois.
La sénatrice Eaton : Croyez-vous que c’est parce qu’il n’y a pas d’Autochtones qui participent au processus et prennent les arrangements et que les gens ne comprennent pas votre situation? Est-ce un problème de culture entre le Nord et le Sud, qui fait en sorte que vous parlez à des gens qui n’ont aucune idée de ce qui se passe dans le Nord?
Mme Broomfield Letemplier : Absolument. Nous avons lancé la toute première entreprise de fabrication au Labrador, et nous sommes là depuis 1991. Nous avons diversifié notre entreprise. Enfin, nous avons fabriqué des réservoirs de stockage pour le diesel utilisé dans les collectivités du Labrador.
Lorsque la mine a commencé à être exploitée, elle a été notre plus grande partisane. Les responsables nous ont épaulés et nous ont aidés à faire croître notre entreprise. Ils nous ont aidés à devenir des entreprises solides, indépendantes et confiantes qui embauchent des Autochtones. Nous formons ces Autochtones et nous travaillons avec eux durant leur processus d’apprentissage. Nous les voyons retourner travailler dans leur collectivité et lancer leur propre entreprise.
La sénatrice Eaton : Pensez-vous qu’il devrait y avoir une banque du Nord, une banque régionale, ou une institution qui fait des affaires dans les territoires et au Labrador, un endroit où les gens comprendraient ce à quoi vous êtes confrontés?
Mme Broomfield Letemplier : Je pense que oui. Avec tout l’argent que nous avons versé, même au gouvernement sous forme de frais d’intérêt, de pénalités et de droits, nous pourrions être à la retraite, maintenant. Nous aurions probablement pu embaucher beaucoup de gens.
Il y a énormément d’obstacles à surmonter pour essayer de satisfaire le gouvernement et les banques; il faut toujours essayer de prouver qu’on peut faire ce qu’on fait, alors qu’il faudrait plutôt nous laisser la marge de manœuvre nécessaire pour faire ce qu’il faut faire. Il y a beaucoup d’autres entreprises comme les nôtres qui ont des difficultés.
En tant que femme dans un métier non traditionnel et en tant que femme autochtone aussi, j’ai fait beaucoup de chemin. Lorsque nous avons lancé notre entreprise, j’avais seulement suivi un programme de deux ans. Depuis, j’ai suivi des cours de gestion de projet, et, maintenant, j’aimerais fréquenter l’Institut des administrateurs de sociétés.
Je suis une petite Innue du Labrador qui a lancé une entreprise et qui siège maintenant à un conseil national représentant les Premières Nations, les Inuits et les Métis de tout le Canada. C’est tellement rassurant de savoir qu’on peut être entendu et qu’on peut aller montrer à d’autres femmes qu’il est possible pour chacune d’entre elles de faire tout ce qu’elle veut.
Il faut du soutien. Il faut avoir fait les études nécessaires. Il faut compter sur des gens qui nous disent que, selon eux, on a fait du bon travail et qu’on est fort et indépendant.
Il faut certainement plus de soutien en ce qui concerne les banques. Des petites entreprises comme les nôtres enrichissent les banques. Je ne crois pas que nous ayons l’occasion de grimper les échelons, de prendre de l’expansion et de faire croître nos entreprises comme nous le devrions.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup d’être là.
Vous avez dit, si je ne me trompe pas, monsieur Fiser, que 50 p. 100 de la main-d’œuvre était inuite, mais que les autres travailleurs venaient du Sud ou d’autres endroits. Le défi, c’est la main-d’œuvre de passage. Pouvez-vous nous parler de cette situation? Les gens travaillent là-bas, mais ils n’ont pas l’impression d’appartenir à la communauté. Ils ne ressentent pas le lien d’appartenance. Ils viennent et ils partent. Qu’est-ce que cela fait à la collectivité?
M. Fiser : Je précise qu’environ 50 p. 100 de la main-d’œuvre du gouvernement du Nunavut est composée d’Inuits ou d’Autochtones. Pour ce qui est du maintien en poste dans le secteur minier, le pourcentage est probablement beaucoup plus bas. Nous estimons qu’environ le quart des effectifs sont des Inuits, tandis que les autres employés font partie de la main-d’œuvre permutante.
Votre question porte sur ce que nous pourrions faire pour les attirer ou pour leur permettre de s’installer?
La sénatrice Jaffer : Non. Ce que d’autres nous ont dit, c’est que les gens viennent pour une courte période, ils travaillent, puis ils partent. On bâtit des communautés grâce à des gens qui ont l’impression d’appartenir à l’endroit. Lorsqu’on vient seulement pour un court laps de temps, on ne fait pas cet investissement. Quel effet cela a-t-il sur le tissu social de la collectivité?
M. Fiser : De façon générale, si jamais vous avez l’occasion de visiter des camps miniers modernes, il s’agit essentiellement de collectivités autonomes. Les membres du personnel arrivent par avion dans les collectivités, et leurs besoins et leurs désirs sont comblés directement dans le camp. Ces personnes n’ont pas vraiment l’occasion de sortir et d’interagir avec les diverses collectivités du Nunavut, à part leurs collègues pouvant venir, par exemple, de Baker Lake, de Rankin Inlet ou de Cambridge Bay dans le cas de la mine de Hope Bay, par exemple. Il y a donc certainement un décalage. Ce n’est pas toujours le cas de tout le monde. Certaines personnes uniques tombent amoureuses du Nord et veulent s’y installer. Il y a beaucoup d’histoires du genre. Cependant, pour ce qui est du système de travail par rotation, c’est la nature même du secteur minier, malheureusement. Ce système n’offre pas beaucoup d’occasions de créer ces types de liens sociaux.
Par ailleurs, les compagnies minières comme Agnico Eagle, les entreprises minières de diamants des Territoires du Nord-Ouest, ont tissé des liens avec les collectivités autochtones. C’est grâce à des ententes sur les répercussions et les avantages fondés sur les droits issus de traités de ces collectivités et une, de leurs obligations, consiste à investir dans les collectivités et à tenir compte des besoins de ces dernières. Il y a l’exemple des mines Agnico Eagle qui invitent des aînés à venir conseiller les travailleurs inuits qui ont le mal du pays, parce que ces personnes font aussi partie de la main-d’œuvre permutante. Il y a des dispositions, dans l’établissement des horaires, qui permettent aux gens qui viennent des collectivités locales, les Nunavummiut, puissent retourner dans leur collectivité pour y pratiquer la chasse et le piégeage.
On voit encore ces genres de tentatives d’intégration de cette force économique majeure située dans les territoires avec les premiers habitants de ces endroits. Cependant, il y a toujours des défis lorsqu’on essaie de bien faire les choses, et je crois que les gens apprennent encore à bien faire les choses.
Mme Abele : Je pourrais peut-être ajouter quelques mots au sujet des familles des gens qui vivent là. Cette rotation, ces allées et venues — deux semaines de travail, puis deux semaines de congé —, est la même pour les Autochtones du Nord qui vont travailler dans les mines.
Imaginez une famille qui fonctionne sous la forme d’un ménage dans une collectivité. Les parents sont peut-être habitués de bénéficier d’un soutien mutuel, de se partager la garde des enfants et de profiter du territoire. Lorsqu’un des membres commence à travailler dans une mine, il part deux semaines par mois régulièrement. Cela change assurément la dynamique familiale et peut aussi mettre beaucoup de pression sur l’épouse, qui reste à la maison avec les enfants. De plus, de quelle façon peut-on gérer l’arrivée des fonds qui en découlent? Pour certaines personnes, certaines familles, les choses se passent bien, et ce n’est pas problématique. Toutes les collectivités nordiques ont besoin de revenus en espèces pour survivre maintenant, ne serait-ce que pour payer l’essence et aller chasser. Ce n’est pas facile de déterminer de quelle façon intégrer l’exploitation minière ou même un emploi dans un bureau gouvernemental, vu la façon dont les gens sont habitués de vivre dans les collectivités nordiques.
C’est cette même situation qui est en cause lorsqu’il est question de fréquentation scolaire, et c’est la raison pour laquelle il peut y avoir un problème lorsque des gens acceptent, ne serait-ce qu’un emploi gouvernemental offert dans leur collectivité. C’est parfois difficile d’intégrer tout cela à une vie familiale saine, ou encore la famille n’est pas assez saine pour réussir cette intégration. Il y a beaucoup de friction, mais l’exploitation minière est assortie de ces problèmes précis liés au fait que les hommes partent pendant deux semaines pour ensuite revenir.
Mme Broomfield Letemplier : Aussi, à Happy Valley-Goose Bay, Il y a autant de femmes que d’hommes qui font l’aller-retour pour aller travailler dans ces camps.
L’une des choses sur laquelle il faut insister, c’est que l’exploitation du nickel au Labrador se fait par avion. Il y a des gens qui viennent de partout au Canada, du Sud et de partout, et qui font l’aller-retour en avion pour occuper différents types de postes. Il est important que toutes les personnes, qui viennent dans ces endroits, peu importe la mine, et qui travaillent dans le Nord, suivent une formation culturelle. C’est parce que je vois un décalage. Je me suis rendue dans certains sites. Il y a les Autochtones assis d’un côté, et les membres des autres cultures, de l’autre, et il n’y a pas d’occasion de tisser des liens. Ce sont des sites de calibre mondial. On peut prendre du poids lorsqu’on va là-bas. Ils ont leur musique et leur nourriture culturelles. Il y a de la formation, aussi. Le perfectionnement et les services offerts aux employés qu’ils font venir sont extraordinaires. Selon moi, il est vraiment important d’offrir une formation culturelle à quiconque vient travailler au site par avion.
La sénatrice Jaffer : Je suis présidente du Comité sur la diversité du Sénat. Nous cherchons des façons d’encourager les jeunes du Nord à venir travailler, ici, pour le Sénat, où quelqu’un pourrait les encadrer, parce que nous croyons que le personnel du Sénat doit être diversifié aussi. C’est difficile. Devrait-on en faire venir trois? De quelle façon devrions-nous mettre tout cela en place? Vous n’avez peut-être pas les réponses maintenant, mais, si jamais vous pouvez nous aider, je crois que vous êtes la personne idéale pour cela. Le Sénat croit qu’il doit aussi compter sur un effectif diversifié, et il n’y a pas ici de jeunes ou de personnes qui viennent du Nord. Avez-vous une idée de la façon dont nous pourrions procéder?
M. Fiser : En effet, on en revient à la description que France a faite de Nunavut Sivuniksavut. Il y a un excellent modèle, ici même, à Ottawa, que vous devriez étudier, parce que je crois que vous pourriez obtenir de très bonnes idées sur la façon de travailler avec ces jeunes dirigeants afin de les amener au Sénat. C’est ce que je vous recommande de faire.
Mme Abele : Avant de passer à autre chose, il y a un autre modèle, à Toronto. La Walter and Duncan Gordon Foundation offre un programme de bourses Glasgow nommé en l’honneur de Jane Glasgow. Il s’agit d’un modèle différent, mais les responsables choisissent des jeunes de partout dans le Nord. Ils leur fournissent un encadrement, des choses à faire et du financement pour leurs recherches.
Je crois qu’un de ces deux modèles pourrait très bien fonctionner. Je vous conseillerais de ne pas tout simplement annoncer les postes et de faire venir les gens un par un.
La sénatrice Jaffer : D’accord.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup de cette conversation intéressante.
J’ai une certaine expérience dans le Nord. J’étais là en tant qu’ingénieure réalisant des évaluations d’impact environnemental pour le secteur minier, et je suis aussi professeure. Vous avez parlé tous les trois de l’environnement, des ressources humaines, de l’éducation et de la culture autochtone. Selon moi, ce sont les trois piliers sur lesquels doit reposer le développement, et je me demande si nous pouvons coordonner ces trois piliers.
À la lumière de mon expérience, pour motiver les étudiants autochtones en salle de classe, le choix des sujets enseignés est important. Je les ai vus être motivés par la foresterie et la biologie, mais pas nécessairement pas le génie. J’aime votre exemple, parce que vous êtes passés à travers toutes ces phases et que vous avez réussi. J’aimerais savoir quelle est votre motivation. Parce que nous devons fournir des incitatifs aux étudiants pour susciter leur passion et leur motivation, et pour leur permettre, ensuite, de faire preuve de cette même passion et de cette même motivation pour convaincre d’autres personnes de faire la même chose, afin qu’on bénéficie d’un effet domino et que nos efforts portent ses fruits. Sinon, comme vous l’avez dit, nous sommes encore dans les années 1970. Avec cette question prenante des changements climatiques, qui engendre des défis, mais génère aussi des occasions, on ne veut pas que cela devienne le Far West. Selon vous, quelle pourrait être la réponse, ici?
Mme Broomfield Letemplier : Quand je suis allée à l’école, je n’ai jamais pensé que j’allais aller un jour au collège ou à l’université, parce qu’il n’y avait personne autour de moi. Je crois que c’est important d’avoir des modèles de comportement et des mentors qui viennent parler aux étudiants. Il faut qu’une personne du Sénat se rende sur place pour parler aux étudiants.
Je suis membre du gouvernement du Nunatsiavut, et lorsque je suis allée à l’école, il n’y avait pas de financement, alors j’ai décroché en 11e année. Après mon décrochage, en 11e année, j’ai eu trois emplois. Je ne croyais pas qu’il était nécessaire pour moi d’aller à l’école. Je me suis fait enlever l’appendice, alors j’ai manqué beaucoup de jours d’école, et les études n’étaient donc pas très importantes pour moi.
Cependant, si j’avais eu un mentor ou quelqu’un à suivre à ce moment-là, il est évident que je serais restée à l’école. Je regarde mes amis qui sont allés à l’école et qui sont maintenant à la retraite. Ils sont devenus des enseignants et ce genre de choses, et je suis encore là, avec mon entreprise, à essayer de faire en sorte que cela fonctionne. À cette époque, cependant, il n’y avait pas de financement. Nous en avons maintenant pour l’éducation. Si je voulais retourner aux études pendant sept ans, je pourrais le faire, mais je ne crois pas que c’est ce que je veux à cette étape-ci de ma vie.
Je crois que c’est important que des gens viennent partager leurs connaissances. Je le fais tout le temps. Je viens tout juste de prendre la parole durant une conférence sur les STIM à St. John’s, il y a deux ou trois semaines. Il y avait 200 étudiants présents. Si je peux prendre la parole et enrichir, ne serait-ce, qu’une personne ou semer une graine dans l’esprit d’une personne afin qu’elle pense à ces choses à l’avenir, j’ai l’impression d’avoir fait quelque chose et d’avoir redonné quelque chose aux jeunes. C’est le genre de choses que j’aime faire. Je suis une personne visuelle et pratico-pratique, alors je veux écouter quelqu’un. Je veux être motivée par les gens. C’est ainsi que j’estime avoir la force d’aller de l’avant et de faire quelque chose.
C’est comme siéger au conseil national au cours des trois dernières années, et je viens d’être réintégrée. Je me sens à l’aise et confiante, mais je sais que je peux faire mieux, alors je veux fréquenter l’Institut des administrateurs de sociétés afin de faire du meilleur boulot au sein du conseil et réussir à mieux promouvoir le conseil et à en être une meilleure porte-parole.
M. Fiser : Madame la sénatrice Galvez, vous m’avez fait réfléchir à ce qui est vraiment important dans le cadre du travail et de l’éducation d’un jeune. Je crois qu’il faut souligner les liens avec sa culture et son tissu social afin qu’il comprenne son identité culturelle. Le simple fait de partir pour aller obtenir un diplôme en mathématique ou en génie ne signifie pas que les jeunes doivent dire adieu à ce qu’ils sont en tant que membre des Premières Nations. Ils ne seront pas séparés de leur communauté.
Pour ce qui est de la conception des programmes d’étude, il s’agit de mettre l’accent sur le biculturalisme et le multiculturalisme. Il faut aussi utiliser de façon significative les cultures autochtones et démontrer les principes physiques, par exemple, dans le domaine de la physique. C’est quelque chose qu’on constate, par exemple, dans le programme en Saskatchewan. L’Université de Lethbridge a été une pionnière relativement à certaines de ces approches. Il s’agit de nouer des liens significatifs et concrets. Il ne s’agit pas de se contenter de belles paroles et de dire: « Voici votre culture autochtone, c’est très important, mais voici ce que vous devez apprendre. » Il s’agit d’intégrer les deux et de les combiner.
L’autre élément consiste à mettre l’accent sur le leadership des jeunes, parce que c’est eux qui héritent de la responsabilité à l’égard de leurs collectivités. Lorsqu’ils retournent dans leur collectivité, ce n’est pas comme tout simplement revenir à Toronto. Ils reviennent dans leur terre natale. Tout cela est lié à leurs droits issus de traités en tant qu’Autochtones et jeunes dirigeants qui seront responsables d’amener leur collectivité au niveau supérieur sur le plan du développement social et économique. Il faut qu’ils comprennent ces choses et il faut leur présenter de façon concrète que ce qu’ils font à l’heure actuelle, au primaire et au secondaire et, on l’espère, dans le cadre d’études postsecondaires, eh bien c’est pour améliorer la qualité de vie de leur collectivité à l’avenir et pour tirer parti de ces possibilités.
Mme Abele : Je suis d’accord avec ce que mes collègues ont dit, mais j’aimerais ajouter quelque chose.
J’ai passé beaucoup de temps à regarder les étudiants autochtones venir à l’université. Nous en faisons tous beaucoup, maintenant. Il y a des centres pour étudiants, du counseling et des mesures d’aide supplémentaires. Cependant, tout de même, de grandes universités comptant 25 000 étudiants peuvent être très déroutantes pour tous les étudiants de première année, et particulièrement ceux qui viennent d’une collectivité où il n’y a pas d’ascenseur et où ils n’ont jamais vu comment fonctionne une grande bibliothèque. Ce que j’essaie de dire, ici, c’est qu’ils n’en ont jamais vu une. L’écart peut être très grand, mais pas partout et pas toujours. C’est l’une des raisons pour lesquelles, selon moi, il est si important de créer un système universitaire dans le Nord. Les gens peuvent s’habituer à voir ce qu’est un professeur: « C’est la voisine de ma mère. » On peut voir cette personne à l’épicerie. Si une personne commence des études universitaires et qu’elle échoue, elle n’a pas à faire un long trajet de retour et acheter un billet coûteux. Il se pourrait qu’elle ne ressorte jamais. Il est possible de prendre un semestre de congé puis de retourner à l’université. C’est ce genre de familiarité, de facilité d’accès et de connaissance personnelle des gens qui étudient… Je crois que toutes ces choses pourraient aussi aider, en plus de tout ce que les autres témoins ont dit.
La sénatrice Deacon : Il y a beaucoup de matière à réflexion. Merci d’être là. Je pense que nous avons tous entendu dire qu’on ne peut pas juger une personne tant qu’on n’a pas marché un mille dans ses souliers ou 10 000 milles, peut-être. Nous essayons de comprendre et de réunir toutes les pièces du casse-tête pour comprendre comment les choses se passent et ce que nous tentons d’accomplir.
Dans le passé, j’ai consacré beaucoup d’années à ce que j’appellerais l’apprentissage personnalisé et toutes sortes de programmes. Je connais bien le programme à Ottawa, mais, au bout du compte, la meilleure façon de réussir, c’est d’amener l’apprentissage là où les gens se trouvent. Nous le savons. Nous en avons parlé, et nous tentons de faire ce qu’il y a de mieux avec les gens qui viennent à Ottawa, Toronto et différents endroits, mais, comme vous l’avez dit — qu’il s’agisse de la formation hybride ou des différents termes utilisés ce soir —, il faut aussi amener l’apprentissage là où se trouve l’apprenant et l’adapter aux besoins de ce dernier.
J’y reviendrai encore une fois et je reviendrai aussi sur vos remarques préliminaires concernant l’éducation, et c’est ce dont nous parlons, évidemment. En gardant tout cela à l’esprit — pas le fait de partir, mais le fait de mieux adapter l’apprentissage aux besoins de la collectivité —, aimeriez-vous, justement, nous en dire plus à ce sujet? Nous avons aussi parlé un peu des études secondaires et postsecondaires. C’est en quatrième année que les jeunes filles trouvent la motivation pour continuer à travailler en classe, à participer à des activités parascolaires et à prendre les devants. Les garçons les suivent d’assez près. Je pense aux jeunes apprenants tandis que je vous écoute, ce soir, parce que c’est un aspect très important, aussi.
Pourriez-vous nous parler de ces jeunes apprenants et de cet espoir et de ce rêve au sujet de ce que tout cela signifie et nous dire ce que nous pouvons faire pour harmoniser les services et les mesures de soutien afin d’offrir cet apprentissage dans les collectivités?
M. Fiser : C’est absolument fondamental, et cela fait partie des autres mesures de soutien social offertes par la collectivité. Il s’agit aussi de s’assurer que l’environnement scolaire lui-même est intégré dans l’ensemble de la collectivité. Tout le monde sait que ce n’est pas seulement les parents qui aideront un enfant à réussir à l’école. C’est aussi la famille élargie, les voisins et tous les différents types d’événements survenant dans une collectivité éloignée qui sont des occasions d’apprentissage.
Je pense à certains des programmes intéressants qui enseignent aux jeunes ce en quoi consistent des modes de vie sains, comme dans le domaine de la sexualité, la façon de composer avec leurs hormones selon un point de vue culturel, puis apprendre ce que le programme scolaire général permet de leur enseigner. Tout cela doit avoir lieu non seulement à l’école, mais aussi à l’extérieur de l’école, dans la collectivité, auprès des aînés, et en faisant intervenir diverses personnes qui offrent des programmes sociaux.
C’est un peu comme l’école de brousse, par exemple, où l’on apprend beaucoup de choses sur le terrain. On peut appliquer toutes sortes de concepts, comme des concepts de biologie et de génie, tout comme on peut apprendre des choses sur les étoiles. Tout cela peut être réuni aussi, lorsqu’on va sur le terrain, qu’on fait partie de sa collectivité et qu’on vit sa culture de façon significative et tangible. Il s’agit de maintenir le lien entre l’école et la collectivité, ce qui est vraiment essentiel. C’est quelque chose qui est crucial qu’il faut commencer à faire très tôt.
Mme Abele : Si on regarde à l’échelle du Nord, on voit des collectivités où, selon moi, il y a une réelle crise relationnelle entre la collectivité et l’école. Il y a d’autres endroits où les choses semblent bien aller. C’est difficile de généraliser.
Je tiens à souligner qu’il y a beaucoup d’endroits où les parents participent en milieu scolaire. Quelqu’un m’a raconté l’histoire d’Alkali Lake, en Colombie-Britannique. Lorsque les gens là-bas ont commencé le processus de renouvellement, l’une des priorités des Aînés, c’était de veiller à ce que les enfants aillent à l’école. Si un enfant n’allait pas à l’école, l’Aîné se présentait chez la famille le jour suivant et demandait: « Qu’est-ce qui se passe? Est-ce que tout va bien? » C’est certainement un effort collectif.
Pour ce qui est des endroits où il y a une aliénation extrême, je crois que c’est difficile. Je ne crois pas qu’il y a une solution miracle qu’on peut rapidement mettre en place. Ces situations sont liées au fait que les enseignants ne sont que de passage dans la collectivité.
La sénatrice Deacon : C’est fou, oui.
Mme Abele : Ou encore c’est lié à l’inexpérience des enseignants. Ils ne restent pas très longtemps. Il faut un ensemble de mesures, comme le fait d’encourager davantage la formation d’enseignants locaux afin qu’ils poursuivent leur profession d’enseignant. Le gouvernement du Nunavut a pris beaucoup d’enseignants inuits parce qu’ils avaient fait les études nécessaires pour travailler là. Nous devons en produire plus, et il faut faire quelque chose au sujet de l’approvisionnement. Les collectivités doivent se réunir et trouver un moyen de prendre en main leur école. Je ne crois pas que la solution puisse venir de l’extérieur.
La sénatrice Deacon : Non.
Mme Broomfield Letemplier : De plus, du côté des sciences, des technologies et des mathématiques, maintenant, et avec les cinq séances qui ont eu lieu à l’échelle du Canada, des jeunes de 10, 11, 12, 13 et 14 ans mettent au point une technologie pour fournir en eau potable l’Afrique et ce genre de choses. Ce sont les types d’encadrement qu’il faut fournir dans les salles de cours. Les jeunes enfants ont besoin d’être motivés quant à ce qu’ils pourront accomplir à l’avenir.
Il faut aussi assurer la responsabilisation. J’ai vu tellement de cas d’enfants qui ne faisaient que suivre leur groupe d’âge. Ils ne pouvaient pas faire le travail, mais ils passaient au niveau suivant. Leur attitude, c’était que l’école n’avait pas d’importance et qu’ils pouvaient laver de la vaisselle. Il n’y a rien de mal à cela, chaque emploi a sa raison d’être, mais il n’y a pas de motivation, pas d’impulsion. Il faut motiver les jeunes et leur dire qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent, aller n’importe où et réussir dans tout. Ils peuvent devenir des médecins ou des astronautes ou peu importe. Beaucoup d’enfants n’ont tout simplement pas la motivation nécessaire. Parfois, les enfants sont si intelligents qu’ils s’ennuient. Il faut leur fournir cette motivation accrue.
Ma petite-fille aura 12 ans cet été, et, pour son anniversaire, elle veut aller suivre un cours en leadership féminin à Montréal. Elle attend de savoir si elle sera acceptée à l’école pour les doués. Cette situation prouve que l’éducation dans le Sud est beaucoup plus stimulante. Il y a tellement d’occasions pour les enfants. Dans le Nord, les enfants n’ont pas les mêmes possibilités. Si un jeune ne va pas à l’école, il n’y a pas de problème, il n’y va pas, et c’est tout. Il faut à coup sûr mettre plus l’accent sur les jeunes étudiants. Si leurs parents ou les membres de la famille ne les encouragent pas ou ne s’intéressent pas à leurs études, ces jeunes pensent pouvoir s’en sortir dans la vie et ne rien faire. Ils ne se rendent pas compte à quel point ils pourraient se sentir bien ou à quel point ils pourraient ressentir de l’estime de soi et de la fierté. Il faut assurément travailler sur ces genres d’enjeux.
La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés. J’apprends toujours tellement de choses des témoins qui viennent ici.
Je voulais changer de sujet et parler du rôle de l’éducation informelle dans l’apprentissage des Autochtones avant les pensionnats et de la façon dont cet apprentissage informel — je ne sais pas comment le dire autrement, c’est l’apprentissage fondé sur le territoire — faisait intervenir la spiritualité. C’est un mot qu’on n’entend pas très souvent. Cette spiritualité passe par la culture et la langue.
Je vous ai écoutée parler du fait que vous auriez aimé aller à l’école. Vous l’auriez fait. Il y a tellement de choses qu’on peut apprendre de façon informelle et qu’on ne peut pas apprendre dans un manuel. Selon moi, c’est la force que nous avons en tant qu’Autochtones. C’est ainsi que nous transmettons nos traditions et nos aptitudes à la vie quotidienne. Tout cela a été interrompu par les pensionnats, puis il y a eu le manque de structure familiale.
Lorsque vous pensez à rétablir les forces des Autochtones, de quelle façon envisagez-vous cela? Le simple fait de les amener sur le territoire ne signifie pas qu’ils vont apprendre tout cela. Je pensais au projet de loi linguistique qui a été présenté et pour lequel ils se sont vraiment battus, mais cela ne fonctionne pas en raison de la façon dont tout a été mis en œuvre. Les gens ont leurs solutions. Ils se sont battus pour cela, et, parfois, la mise en œuvre ne se passe pas comme eux l’avaient prévue.
M. Fiser : C’est un défi fondamental, et on le rencontre de plusieurs façons, étant donné la diversité des collectivités autochtones à l’échelle du Canada.
Au Nunavut, ils ont entrepris un énorme exercice d’édification de la nation. Nous n’avons jamais rien vu de tel. Ce qu’ils font là-bas et leur expérience en ce qui concerne la transformation des programmes scolaires, leur désir de miser sur un gouvernement représentatif, leur travail avec les compagnies minières, tout cela est très expérimental, non? Pour ce qui est de l’élaboration du programme scolaire, je crois que les gens veulent voir des changements peut-être plus rapidement que ce n’est possible à ce moment-ci. Ce sera difficile d’adapter toute une série, par exemple, de programmes non inuits, comme les sciences et les mathématiques, en inuktitut ou en inuinnaqtun. Il faut du temps. Il faut des enseignants. Il faut des ressources. Il faut mettre en place toutes sortes de choses. Le simple fait de comprendre ce que vivent les enfants lorsqu’ils doivent composer avec un mode d’éducation biculturelle, bilingue et multilingue, tout cela est encore assez récent, surtout au Nunavut.
Même s’il y a assurément des gens frustrés en raison des programmes et parce que les choses ne vont pas aussi vite qu’ils le voudraient, les gens apprennent et font un effort conscient pour comprendre ce qui fonctionne dans les différentes collectivités et régions du Nunavut. En outre, il n’y a pas un seul environnement monolithique. Chaque région est aussi assez distincte. Je crois que les gens font de leur mieux pour adapter le tout aux circonstances et pour continuer d’apprendre. J’espère que les choses avancent dans la bonne direction.
Pour ce qui est des ingrédients, que faut-il, quels sont les éléments qui existaient avant les pensionnats et qu’il faut rétablir et maintenir? Je crois que tout cela a beaucoup à voir avec la gouvernance du système scolaire. Au départ, nous avons parlé de l’importance de s’assurer que les écoles sont connectées aux collectivités, et c’est quelque chose qu’on peut faire, par exemple, en s’assurant que les aînés font partie des comités consultatifs des écoles et qu’ils peuvent prodiguer des conseils sur l’élaboration des programmes scolaires en plus de fournir du counseling aux jeunes qui ont peut-être de la difficulté et qui se demandent: « Pourquoi n’aborde-t-on pas nécessairement les dimensions spirituelles de mon processus d’éducation? » Il s’agit vraiment de créer des occasions de mobilisation des collectivités, des familles, des parents et des aînés, et il faut faire des liens avec la culture en tant que telle.
Il est évident que le Nunavut tente beaucoup de choses pour y arriver, mais c’est beaucoup de travail. Il y a beaucoup de travail à faire et les ressources sont limitées.
Mme Abele : Vous m’avez vraiment frappée avec vos commentaires, et je crois que ce dont Adam parlait doit se produire. Ce n’est pas une éducation autochtone traditionnelle. Les gens de ma génération — je suis née en 1950 — les leaders de la même génération que moi sont allés dans des pensionnats. J’imagine que je dois être plus précise sur le plan géographique. Je parle des Territoires du Nord-Ouest, de la vallée du Mackenzie. Les gens ont conservé leur langue, et ils possédaient des compétences liées au territoire, et ils sont devenus des dirigeantes et des dirigeants alors qu’ils étaient dans la vingtaine. Ce sont vraiment des personnes qui ont deux cultures. Ce sont des hommes et des femmes et demi. Comment cela s’est-il produit? Les gens que je connais ont été éduqués par leurs grands-parents. Ils ont reçu une éducation officielle, et leur famille, dans l’ensemble, pensait qu’ils devaient bénéficier d’une telle éducation parce qu’elle voyait les changements qui s’en venaient. Cependant, leur langue était importante pour eux, et ils ne voulaient pas la perdre, tout comme l’ensemble des autres connaissances liées à la vie sur le territoire, ces connaissances qui sont enchâssées dans la langue et auxquelles ceux qui ne parlent pas couramment la langue n’ont pas accès.
J’ai l’impression que cette génération et ces enfants-là vont bien, mais il y a beaucoup de personnes dont les parents ont perdu leur chemin et qui sont rendues deux ou trois générations plus loin. Dans ce cas-là, vous avez raison. Ils partent tout simplement sur le territoire pendant trois semaines dans le cadre de leur programme. Ce n’est pas la même éducation. À cet égard, je crois que le modèle du centre Dechinta est meilleur, parce qu’il réunit pendant une longue période les gens et les aînés et les enseignants de la culture. Ce ne sera pas comme avant, mais ce sera similaire, un cadre sain, dans la mesure où il est sain pour les gens et qu’il permet d’accroître l’estime de soi et la confiance.
C’est tout ce que je sais, à ce sujet, mais je crois que vous avez soulevé la question la plus fondamentale au sujet de ce qui se passe actuellement avec notre génération.
Mme Broomfield Letemplier : Je m’éloigne probablement un peu du sujet, mais en même temps c’est un peu la même chose. En 1941, mon père a déménagé du Nord du Labrador, dans la région de Rigolet. Il est né à Tikoralak. Il était guide, et il accompagnait les médecins et les missionnaires le long de la côte du Labrador à l’aide d’attelages de chiens. Lorsque la base a été créée en 1941, il a déménagé au Labrador, et c’est là qu’il a fondé notre famille. J’ai neuf frères et sœurs, mais nous avons échappé aux pensionnats. Nous avons donc été très chanceux, et mon père a travaillé très dur pour nous donner cette vie et nous permettre de la commencer au Labrador.
À ce sujet, pour les Autochtones, je crois que les enfants sont beaucoup touchés par ce qu’ils voient, et leurs objectifs le sont aussi, par ce qu’ils voient et par ce que leurs parents vivent. Partout, ils voient le bien-être social, et les Autochtones en ont assez d’avoir la main tendue. Ils veulent un coup de main. Ils veulent faire grandir leur famille. Ils veulent enrichir leur vie. Je vais vous donner l’exemple de la main-d’œuvre transportée par avion dans bon nombre d’opérations minières associées à différentes sociétés au Canada. Le milieu des affaires canadien a la responsabilité d’aider à enrichir la vie des gens qu’il embauche. Mais qu’est-ce que cela nous dit lorsqu’on apprend qu’on n’est pas assez bon pour être manœuvre et que, en fait, une entreprise fait venir des travailleurs du Sud et qu’on ne peut même pas obtenir un emploi de signaleur parce qu’il faut suivre un cours de deux jours et que l’entreprise en question ne veut pas investir pour fournir une formation de quelques jours à des gens du coin? Nous vivons ici. C’est notre chez-nous. Les gens ne s’en vont nulle part. Ils veulent faire grandir leur famille, participer à l’économie.
À cet égard, je pense que le milieu des affaires canadien doit se rendre compte qu’il doit redonner plus aux collectivités qu’il ne le fait. Il devrait soutenir les gens qui vivent là. Ces gens ne vont nulle part. C’est là qu’ils veulent être. Ce sera beaucoup mieux pour les enfants qui vivent là. Ils renoueront avec la fierté et l’estime de soi, comme je l’ai mentionné tantôt, en voyant leur famille grandir. S’il n’y a pas d’incitatif pour eux, ils se disent: « Je vais vivre la même chose toute ma vie durant, alors pourquoi me forcer? Pourquoi apprendre? Pourquoi aller à l’université pendant des années et des années si je ne suis pas reconnu? » Je veux juste pousser un peu plus loin ce que vous avez dit sur les pensionnats.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à vous tous et merci à mes collègues aussi. La discussion a été enrichissante. Il est évident lorsqu’on voit à quel point la discussion a porté sur l’éducation, l’éducation informelle ou officielle, les formes créatives, l’ajout de la spiritualité, la question des Autochtones et, comme vous l’avez dit, madame Broomfield Letemplier, les modèles de comportement, le fait de savoir d’où on vient et d’en être fier, mais aussi de voir les possibilités dont on ignorait peut-être l’existence et les possibilités pour les gens comme vous.
On a mis l’accent sur l’éducation. Nous réalisons actuellement une étude sur le développement économique et les infrastructures et tout ce dont j’entends parler, c’est d’éducation, encore et toujours. Il y a certains modèles qui ont été un succès, et nous devons les connaître. On nous dit qu’on a besoin de solutions diversifiées pour des environnements différents. C’est l’infrastructure humaine de base dont nous devons parler, et ce, avant tout le reste, que ce soit le développement économique ou peu importe les autres sujets dont nous parlons ici. Par conséquent, je vous en suis très reconnaissante et je ne m’étendrai pas sur le sujet parce que nous en avons déjà beaucoup parlé.
J’ai deux ou trois questions, monsieur Fiser et madame Broomfield Letemplier. Je suis très curieuse au sujet de vos organisations. Est-ce que vos organisations se parlent? Comment est-ce que tout cela fonctionne? Vous avez tous les deux parlé de solutions liées au développement économique pour les gens dans l’Arctique. De quelle façon est-ce que tout cela fonctionne, la collaboration, et avec qui d’autre travaillez-vous aussi? De plus, interagissez-vous avec le milieu des affaires du Canada ou le gouvernement canadien, ce dont nous sommes ici pour parler aujourd’hui?
Madame Abele, j’ai un million de questions à vous poser, mais je vais essayer de les ramener à l’essentiel. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Comme vous, j’entends toujours les mêmes rengaines, les mêmes vieilles solutions, et même certaines des choses dont nous avons parlé ici, ce soir, ce sont les mêmes vieilleries que l’on ressasse depuis les années 1970. Nous savons que l’Arctique change, et ce, de façon qu’on peut difficilement imaginer. Je m’intéresse à la question des scénarios qu’on peut établir à la lumière de ce qu’on sait sur la façon dont les choses se passent, pas seulement quelle mine ferme ses portes et ainsi de suite, mais les grands courants dans le Nord. Qui prépare de tels scénarios et en quoi est-ce que ce travail est lié au développement économique?
Vous dites que l’accès à large bande est un outil puissant pour l’éducation, mais je ne peux m’empêcher de penser que c’est aussi un outil puissant pour le développement économique. Je vis dans une ville de 5 000 habitants en Nouvelle-Écosse. Lorsque nous avons embauché une femme pour qu’elle vienne travailler à l’université avec moi, elle est venue avec son époux de Washington. Il n’a jamais quitté son travail à Washington. Il travaillait depuis Antigonish. Si nous avions des occasions économiques dans le Nord qui dépendent d’un accès à large bande, ne serait-ce pas formidable?
Mme Broomfield Letemplier : Nous avons fait beaucoup de travail en ce qui a trait à l’infrastructure, et l’une des choses que nous avons remarquées, c’est qu’on ne répond pas aux besoins fondamentaux des gens, comme l’eau potable, de bons aliments et un bon endroit où vivre. Et il y a aussi le manque d’accès à la large bande. Il y a beaucoup de travail à faire. Nous constatons que les besoins fondamentaux ne sont pas comblés. En fait, Adam a fait du travail pour nous au sein du conseil, il a réalisé la première étude. Elle est tout juste ici. En fait, nous avons travaillé en collaboration avec le Conference Board du Canada et des économistes, qui ont produit les statistiques. Et nous savons que les statistiques que nous fournissons renferment la preuve... Nous croyons vraiment avoir une incidence sur le gouvernement fédéral. Nous avons rencontré des ministres à plusieurs reprises. En fait, ils sont venus à Nain, en septembre. Cinq ministres sont venus à Nain, et il y avait aussi deux ou trois secrétaires parlementaires. Nous constatons que la qualité des aliments s’améliore dans le Nord. Ils envisagent de construire là-haut deux ou trois complexes à vocations multiples.
Nous constatons de toute évidence que nous avons une incidence, et nous espérons vraiment avoir une incidence encore plus marquée à l’avenir. L’un des dossiers sur lesquels je travaille actuellement, c’est la sécurité alimentaire. L’entrepreneuriat des femmes est très important dans mon profil, et l’approvisionnement l’est aussi beaucoup. En tant que propriétaire de petite entreprise, je sais que beaucoup des projets réalisés se chiffrent dans les milliards de dollars, mais on peut les fragmenter afin que des petites entreprises comme les nôtres puissent soumissionner.
Le gouvernement a le pouvoir, étant donné son désir actuel d’entretenir des relations de nation à nation et le soutien qu’il fournit aux collectivités autochtones, et il est formidable de voir que ces changements commencent à se produire. Il y a d’énormes possibilités pour l’avenir et, bien sûr, vous pouvez voir que je suis très enthousiaste au sujet des occasions d’apporter des changements à l’avenir.
Le gouvernement a tous les pouvoirs. Par exemple, l’une des choses auxquelles je vais penser relativement à la sécurité alimentaire, c’est l’argent qu’on y consacre et la réglementation qu’on impose. Il y a tellement de règlements qui peuvent être peaufinés et modifiés. En ce qui a trait à la sécurité alimentaire, s’il y a des aliments qui ont une certaine durée de vie, alors au lieu de les laisser aller au dépotoir et de laisser les choses aller et ces aliments se retrouver aux rebuts… Vous n’avez qu’à regarder la chaîne APTN pour voir des Autochtones qui fouillent dans les ordures à la recherche de nourriture ou d’autre chose. Pourquoi ne voit-on pas des non-Autochtones faire la même chose? C’est parce qu’ils n’ont pas à le faire. Mais si le gouvernement mettait en place un règlement précisant que deux ou trois semaines avant la date d’expiration des aliments, il conviendrait de donner ces aliments, qui se retrouveraient dans des congélateurs communautaires, qui seraient donnés dans le cadre du programme Kids Eat Smart! et ce genre de choses... Il ne faut pas laisser ces aliments aller jusqu’à ce qu’ils ne soient plus bons et qu’il faille s’en débarrasser. Il faut apporter ce genre de changements.
Mme Abele : En ce qui concerne l’élaboration de scénarios, il y a deux ou trois professeurs qui travaillent là-dessus. L’un des défis auquel nous sommes confrontés, c’est le défi intergouvernemental. Il s’agit de réunir et d’encadrer tous les bons esprits. Il y a de l’intelligence et des connaissances dans toutes les régions du Nord, mais la réunion ne se fera pas d’elle-même, parce que c’est difficile de communiquer et parce qu’il faut obtenir un soutien de la recherche et ce genre de choses. Cela dit, le Comité canadien des ressources de l’Arctique entreprend un nouveau projet visant à assurer un avenir durable dans le Nord, et j’écris un livre. J’ai pris une année sabbatique et j’essaie d’écrire un livre sur l’avenir de l’économie nordique. C’est parfait, et nous allons faire notre part, mais je crois qu’il faut une intervention gouvernementale aussi pour cibler l’attention et établir des plans durables, des plans qui ne se limitent pas à un seul programme, si bon soit-il, pas plus qu’à un seul mandat.
M. Fiser : En passant, sénatrice Coyle, le Conference Board du Canada possède une équipe qui s’occupe de la planification des scénarios, en plus des prévisions économiques. Je serai heureux de vous parler en privé de certains des travaux que nous faisons. Récemment, aussi, des gens de l’OCDE sont venus et ils s’intéressaient au développement, économique et régional et aux collectivités autochtones. Ces représentants posaient des questions semblables aux vôtres. C’est une autre ressource qui s’en vient. Ce travail a été fait, si je ne m’abuse, en collaboration avec des représentants d’AINC et certains organismes de développement régional.
Mme Abele : Je fais partie de ce projet, et j’ai oublié le projet de l’OCDE. Ce n’est pas encore très avancé, mais je serais heureuse de faire le lien.
Le président suppléant : Merci de votre témoignage. C’était très intéressant.
Mesdames et messieurs les sénateurs, le sénateur Patterson m’a envoyé un message. Il ne pourra pas venir à la réunion ce soir, mais nous avons deux questions à régler à huis clos, puis nous serons de retour en public. Il y a d’abord la question du budget, et l’autre concerne nos recommandations liées au budget.
Je vais suspendre la séance pour permettre aux témoins de partir, puis nous poursuivrons la séance à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)
(La séance publique reprend.)
Le président suppléant : Nous sommes de retour en séance publique, et j’ai besoin d’une motion pour adopter notre budget proposé en vue de la mission d’enquête dans l’Arctique de l’Ouest.
Il est convenu que la demande de budget proposée pour l’exercice se terminant le 31 mars 2019 soit approuvée aux fins de présentation au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration. Puis-je avoir cette motion?
La sénatrice Jaffer : J’en fais la proposition.
Le président suppléant : La motion est proposée. Tout le monde est d’accord? C’est parfait.
(La séance est levée.)
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