Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie,
de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule nº 6 - Témoignages du 21 avril 2016
OTTAWA, le jeudi 21 avril 2016
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 43 pour étudier les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.
Le sénateur Grant Mitchell (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.
[Français]
Je suis Grant Mitchell, je représente la province de l'Alberta au Sénat et je suis vice-président de ce comité. Le président du comité, le sénateur Richard Neufeld, regrette de ne pouvoir assister à la réunion d'aujourd'hui.
[Traduction]
J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs, aux membres du public qui sont dans la salle, ainsi qu'aux téléspectateurs de partout au pays. Je rappelle d'ailleurs à ceux qui nous regardent que les séances du comité sénatorial sont ouvertes au public et qu'elles sont accessibles par webdiffusion sur le site web du Sénat. Vous trouverez plus de renseignements sur le calendrier de comparution des témoins sur le site web, à l'onglet Comités du Sénat.
J'aimerais vous présenter notre personnel, à commencer par la greffière, qui se trouve à ma gauche, Lynn Gordon. Voici aussi nos deux analystes de la Bibliothèque du Parlement : à ma droite immédiate, Marc LeBlanc, et à ses côtés, Sam Banks.
Je demanderais maintenant aux sénateurs assis à la table de se présenter, à commencer par mon collègue à ma droite.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.
[Traduction]
Le vice-président : Merci.
Nous tenons aujourd'hui notre cinquième séance dans le cadre de notre étude sur les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, pour atteindre les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu'a annoncées le gouvernement du Canada.
Nous recevons aujourd'hui John Barrett, président et premier dirigeant de l'Association nucléaire canadienne. Bienvenue, monsieur Barrett. Nous sommes très heureux de vous accueillir. Je vous prie de nous présenter votre exposé, après quoi, comme toujours, il y aura une période de questions et de réponses.
John Barrett, président et premier dirigeant, Association nucléaire canadienne : Merci infiniment, monsieur le président. Bonjour à tous les honorables sénateurs.
L'Association nucléaire canadienne est une association industrielle nationale créée en 1960 en vue de sensibiliser la population aux nombreux bienfaits qu'apporte la technologie nucléaire civile aux Canadiens.
Ces retombées transparaissent dans notre vie quotidienne, sous forme de diagnostics et de traitements médicaux, de fournitures médicales stériles, d'aliments plus sûrs, d'une ingénierie et d'une fabrication de meilleure qualité, de matériaux plus solides et de produits de consommation améliorés; plus particulièrement, 20 p. 100 de l'électricité propre du Canada provient de l'énergie nucléaire.
Réduire les émissions de gaz à effet de serre n'a rien de facile. Selon les projections d'Environnement et Changement climatique Canada, les émissions de GES du Canada en 2030 dépasseront de 55 p. 100 la cible de l'administration antérieure. Nous ne pouvons douter que l'administration actuelle fixera des cibles de réduction des GES beaucoup plus ambitieuses. Comme l'a exprimé Catherine McKenna, ministre de l'Environnement, « ... nous devons en faire davantage pour combler l'écart entre où nous sommes et où nous devons être. »
Les aspirations sont élevées, monsieur le président. C'est pourquoi il faut mettre sur le tapis toutes les technologies énergétiques à faibles émissions de carbone et les examiner avec équité — non seulement pour évaluer leurs promesses d'avenir, mais avant tout, pour ce qu'elles offrent dès aujourd'hui, parce que le défi du carbone se présente dans l'immédiat. Nous ne pouvons nous permettre de favoriser des technologies au détriment d'autres par préjugé ou préférence.
L'Association nucléaire canadienne souhaite donner un aperçu des façons dont la technologie nucléaire peut aider le gouvernement à atteindre ses ambitieux objectifs en matière d'énergie propre et de changement climatique, en route vers une économie à faibles émissions de carbone.
En premier lieu, le nucléaire produit environ 15 p. 100 de l'électricité au Canada, et comme je l'ai déjà dit, 20 p. 100 de son électricité à faibles émissions de carbone. C'est dire que la capacité du nucléaire de produire de l'énergie à faibles émissions de carbone est une réalité. Tous les jours, le nucléaire fournit à peu près 60 p. 100 des besoins en électricité propre de l'Ontario. Sans cet apport, l'Ontario n'aurait pu se classer parmi les meilleures provinces sur le plan de la production d'énergie propre et n'aurait pas la capacité de production voulue pour remplacer le charbon par l'énergie propre. Sans l'énergie nucléaire, les centrales à combustibles fossiles polluants seraient encore présentes, viciant l'air de la région du Grand Toronto et du Sud de l'Ontario. La prépondérance de l'Ontario en matière d'énergie propre serait remise en question.
Par ailleurs, l'uranium de Cameco, la plus grosse entreprise d'extraction d'uranium au Canada, alimente 1 foyer sur 18 aux États-Unis et 1 sur 10 au Canada. Cela représente une immense économie d'émissions de GES.
Dans l'état actuel des choses, l'Ontario a annoncé le plus fort investissement ponctuel dans l'énergie propre en Amérique du Nord — et dans la plupart des autres régions du monde (sauf peut-être la Chine). Les 25 milliards consacrés au reconditionnement de 10 réacteurs assureront une forte alimentation en électricité propre jusqu'en 2040 et au-delà. Ainsi, non seulement l'Ontario mais aussi le reste du Canada pourront être sûrs que les 20 p. 100 d'électricité propre provenant de l'énergie nucléaire demeureront une pierre d'angle, une fondation, pour l'évolution de l'économie à faibles émissions de carbone au Canada.
En deuxième lieu, la technologie nucléaire appuie l'intégration croissante dans le réseau électrique des autres options à faibles émissions de carbone, par exemple l'éolien et le solaire, comme l'illustre le réseau électrique de l'Ontario. À l'avenir, l'innovation aux centrales nucléaires aidera à rendre cette source de base davantage « à charge appelée », avec la capacité d'amplifier ou de réduire son activité en fonction de la fluctuation dans l'approvisionnement de sources renouvelables.
L'apport nucléaire demeurera indispensable, étant donné qu'à l'heure actuelle, et pour autant qu'on puisse le prédire, l'apport de l'éolien et du solaire aux besoins énergétiques de l'Ontario sont des plus modestes. La fiabilité des sources renouvelables et leur capacité d'entreposage ne sont pas au rendez-vous et il risque de falloir encore bien du temps avant qu'ils atteignent les 60 p. 100 occupés actuellement par le nucléaire, s'ils y parviennent un jour.
En troisième lieu, l'énergie nucléaire en Ontario peut être appelée à jouer un grand rôle de soutien aux différentes modalités de collaboration convenues entre les trois ministres de l'Énergie de l'Amérique du Nord à la rencontre de Winnipeg, en février 2016, et entre le président Obama et le premier ministre Trudeau à Washington, en mars 2016. Le nucléaire peut se combiner avec d'autres sources, comme l'hydroélectricité, pour alimenter en électricité propre d'autres provinces ou États, comme le Nord-Est des États-Unis. Si la demande en électricité propre des Américains grandit, la capacité du Canada aiderait à alimenter ces marchés; l'Ontario exporterait de l'énergie propre produite par le nucléaire et l'hydroélectricité, tandis que le Manitoba et le Québec pourraient s'appuyer sur leur capacité hydroélectrique.
Quatrièmement, la construction, les activités et le reconditionnement nucléaires engendrent de bons emplois et des retombées économiques. La chaîne d'approvisionnement est canadienne; les connaissances exigées sont grandes. Des études réalisées par Manufacturiers et Exportateurs du Canada, par KPMG et par d'autres ont établi les importantes retombées économiques dont bénéficient les communautés locales de l'Ontario et l'ensemble de la province. Le combustible provient de mines canadiennes, la plupart en Saskatchewan, et il est affiné et fabriqué en grappes de combustible en Ontario. Tout cela, allié à la construction, au reconditionnement, à l'exploitation et à l'entretien, est garant d'un succès économique « 100 p. 100 canadien », au contraire d'autres sources de technologie énergétiques, où la fabrication (avec les revenus et les avantages sociaux qui s'y rattachent) se fait à l'étranger.
Cinquièmement, la technologie nucléaire joue un rôle dans d'autres aspects importants des politiques gouvernementales sur l'énergie propre, en particulier à l'échelle internationale. Nulle autre source d'énergie propre canadienne ne peut se targuer d'exercer la même influence internationale que le nucléaire. Pour commencer, l'expertise canadienne en technologie nucléaire confère de la crédibilité et de l'influence aux politiques canadiennes sur la non- prolifération, la sûreté et la sécurité nucléaires. Il représente un atout stratégique pour notre politique étrangère et permet au Canada de participer et de se faire entendre relativement à une série de questions de sécurité internationales, depuis le programme nucléaire de l'Iran jusqu'aux rencontres d'experts de l'ONU sur le contrôle des armes et la vérification du désarmement, sans oublier l'arrêt de production de matières fissiles.
En outre, l'exportation et l'entretien à l'étranger de la technologie nucléaire CANDU du Canada est un élément important des relations bilatérales. Les relations du Canada avec les pays qui font usage de la technologie nucléaire canadienne — la Chine, l'Inde, la Corée du Sud, le Pakistan, l'Argentine, la Roumanie — sont sous-tendus par la longue durée de la coopération nucléaire. Au cours des 30 dernières années, la technologie du réacteur nucléaire et les exportations d'uranium du Canada ont contribué au total à un remplacement du combustible fossile correspondant à au moins un milliard de tonnes de CO2 — un apport unique et durable à l'atténuation globale du changement climatique, auquel ne peut prétendre aucune autre source d'énergie canadienne.
Enfin, deux autres aspects des objectifs du gouvernement fédéral en matière d'énergie propre pourraient être atteints avec le soutien de la technologie nucléaire.
Le premier est la possibilité de fournir de l'électricité et de l'énergie à des communautés autochtones éloignées, que ce soit dans le Nord du Canada ou dans des lieux très éloignés du réseau de transport. Ces communautés ont besoin de ressources énergétiques non fossiles qui soient suffisantes pour répondre aux besoins en électricité aussi bien que pour purifier l'eau et assurer la santé publique. Un réacteur nucléaire modulaire et très petit, intrinsèquement sûr et à fonctionnement simple, serait une option véritable. Cette possibilité pourrait bientôt devenir réalité, à mesure que la technologie du petit réacteur modulaire (PRM) se développe partout au monde et ici même au Canada.
Le deuxième est issu lui aussi du développement du PRM, en l'occurrence dans le secteur de l'extraction des ressources. L'exploitation minière (en cours et potentielle) se produit souvent loin des lignes de transport d'électricité. De même, l'industrie des sables bitumineux repose, pour l'extraction du bitume, sur de vastes quantités de vapeur. À l'heure actuelle, l'immense énergie dont l'industrie a besoin provient de la production de combustibles fossiles, engendrant les plus forts taux d'émissions de GES au pays tout entier. La situation changerait du tout au tout si la vapeur était produite au moyen d'une source d'électricité propre, à partir d'un PRM sur place, et les cibles canadiennes de réduction des émissions deviendraient plus réalisables. Les sables bitumineux se transformeraient en des « sables propres ».
Le dernier point concerne l'extraction de l'uranium. Quand l'industrie extrait cet élément de la terre, l'affine et en place des grappes dans un réacteur nucléaire, elle apporte le cobalt 60 au monde; elle apporte l'imagerie médicale et le traitement du cancer à des millions de patients. Elle permet aux chercheurs d'explorer en profondeur les structures inframoléculaires du tissu vivant ou de nouveaux matériaux composites, ou la solidité des ailettes de rotor dans les moteurs à réaction. Et ce ne sont que quelques-uns des tests non destructifs de la technologie nucléaire qui profitent aux Canadiens et au monde entier. De plus, notre entreprise minière la plus importante, Cameco, est le premier employeur industriel des Autochtones au Canada.
Dans tous les domaines décrits ici (l'extraction d'uranium, le reconditionnement des réacteurs de l'Ontario, l'application aux utilisations énergivores comme l'approvisionnement des communautés éloignées ou l'extraction des ressources), la caractéristique commune est l'innovation. Dans cette optique, l'industrie met la dernière main à un « programme d'innovation nucléaire » qui énonce à quoi aspire l'industrie pour la production d'énergie propre au Canada.
Pour accélérer le rôle et l'apport de l'industrie nucléaire relativement à l'avenir des faibles émissions en carbone au Canada, nous proposons la création d'un conseil en innovation nucléaire, tribune à laquelle participeraient l'industrie, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Voici quels pourraient être les buts du conseil en innovation nucléaire : rassembler les principaux intervenants en vue de faire correspondre le programme d'innovation de l'industrie nucléaire avec la Stratégie canadienne de l'énergie et avec le cadre pancanadien en matière de croissance propre et de changement climatique décrit dans la Déclaration de Vancouver sur la croissance propre et les changements climatiques, et avec les investissements dans l'innovation relative à la technologie propre.
Une autre fonction du conseil serait de discuter des priorités et des installations habilitantes du programme, y compris des modèles de financement, des sources et des partenariats.
Par ailleurs, le conseil pourrait s'inscrire dans le cadre d'un « conseil de l'innovation relative au changement climatique » national, lequel regrouperait des technologies novatrices provenant de différentes sources d'énergie à faibles émissions de carbone et aiderait à imprimer une orientation stratégique aux instruments de financement et d'investissement fédéraux et provinciaux, par exemple la Mission Innovation du gouvernement fédéral et le nouveau Fonds pour une économie à faibles émissions de carbone.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, l'heure est venue où le monde doit mettre la main à la pâte pour atteindre les cibles internationales et nationales relatives aux GES. Ne laissons pas de côté ce qu'apporte la technologie nucléaire au Canada (dans les faits aussi bien que potentiellement) afin, comme l'a exprimé la ministre McKenna, de « combler l'écart entre où nous sommes et où nous voulons être ».
Merci. Je serai heureux de répondre à toutes vos questions ou encore d'explorer plus minutieusement les nombreuses innovations de la technologie nucléaire canadienne qui contribuent à l'énergie propre de notre pays et à sa prospérité.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Barrett. Passons maintenant aux questions.
Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur Barrett, d'être parmi nous aujourd'hui.
Il y a quelques questions que j'aimerais aborder. Vous êtes probablement en mesure de nous parler des derniers développements. Vous avez fait mention du réacteur CANDU. Il fait la fierté des Canadiens. Malheureusement, la dernière fois que j'ai vérifié, j'ai constaté que nous n'en avons pas vendu depuis de nombreuses années. Ce réacteur appartient depuis environ deux ans à une société privée, SNC-Lavalin. Quelles sont les nouvelles? Avons-nous vendu de nouveaux réacteurs dans un secteur, pourquoi ou pourquoi pas?
M. Barrett : Pour mettre le comité au courant des dernières nouvelles, comme le sénateur l'a demandé, SNC-Lavalin Énergie nucléaire est dépositaire de la technologie CANDU et participe à diverses discussions qui ont un potentiel d'exportation. D'après ce que je comprends, ces discussions sont très près d'aboutir, et nous espérons qu'en 2016, je pourrai me faire porteur de bonnes nouvelles à ce sujet.
Par exemple, SNC-Lavalin est en pourparlers avec le Royaume-Uni, parce que le Royaume-Uni a des réserves de plutonium issues de ses activités nucléaires civiles. La technologie CANDU est unique. Contrairement à toute autre technologie de réacteurs, elle peut utiliser diverses sources de combustible. Pour se débarrasser de plutonium, on peut le transformer chimiquement en un mélange d'oxydes pour en faire un combustible pouvant alimenter un réacteur CANDU. Il est donc possible d'extraire encore de l'énergie de stocks de matières considérées comme des déchets, tout en désarmant, pour ainsi dire, la matière dangereuse que constitue le plutonium. Il y a des pourparlers en cours, et le Royaume-Uni doit maintenant prendre une décision finale et choisir une technologie. CANDU Énergie et SNC- Lavalin sont vraiment dans la course.
Pour ce qui est de la Roumanie, la Roumanie a pris sa décision. Elle possède déjà deux réacteurs CANDU, dont elle est très satisfaite, et elle en voudrait deux de plus. Ce sera important pour réduire le recours au pétrole et aux combustibles fossiles dans ce pays. Ce serait notre forme de contribution afin d'éviter des émissions de GES, cette fois- ci en Roumanie.
Elle en voudrait deux de plus, et il y a un partenariat avec la Chine. La Chine participe au financement de l'accord et assume une grande partie du risque financier. C'est de cette façon que la Chine investit de plus en plus les marchés d'exportation. Mais les Roumains sont très satisfaits de la technologie CANDU et de la marque canadienne, donc on peut parler actuellement d'un accord trilatéral, pour ainsi dire, et la décision ultime incombe à la Roumanie. C'est à elle de décider si elle veut aller de l'avant. Elle a décidé de se lancer. Elle aura des discussions avec les Chinois sur le financement. La technologie CANDU, le cœur du réacteur CANDU, qui est la clé, et la propriété intellectuelle de cette technologie appartiennent à SNC-Lavalin.
Ce sera un accord important (et c'est l'élément principal) parce que le gouvernement chinois souhaite la participation du gouvernement canadien. C'est politique, mais c'est aussi financier. Il veut que le gouvernement du Canada appuie cette technologie, il souhaite également avoir une garantie de certains crédits d'exportation, comme nous en avons déjà accordés, soit dit en passant. Quand nous avons vendu les deux premiers réacteurs à la Roumanie, il y a 15 ans, le gouvernement du Canada avait accordé une garantie de prêt qui a très bien fonctionné. Nous avons reçu les primes. Cet accord a parfaitement bien fonctionné et a créé de l'emploi au Canada. C'est la même chose cette fois-ci. Si le gouvernement du Canada utilisait les comptes du Canada, qui se veulent un filet de sécurité, pour offrir une garantie de prêt comme la dernière fois, pour donner l'impression qu'il vaut la peine de prendre ce risque, cela aiderait beaucoup l'entreprise à signer le contrat.
Sur ce, j'ai entendu des dirigeants de SNC-Lavalin dire que cela pourrait rapporter des emplois d'une valeur d'environ un milliard de dollars dans la chaîne d'approvisionnement canadienne. Si nous ne le faisons pas, quelqu'un d'autre en profitera.
Le sénateur Massicotte : Utiliser les comptes du Canada pour garantir le prêt, le prêt de qui?
M. Barrett : C'est une garantie souveraine. Elle serait offerte pour que les exportateurs canadiens puissent embarquer et se joindre à la chaîne d'approvisionnement. Pour ce qui est de l'aspect purement économique de l'accord, je vous renvoie au personnel d'Exportation et développement Canada, EDC, ou à d'autres spécialistes.
Le sénateur Massicotte : EDC garantit le paiement quand elle vend un service. Est-ce ce que vous recommandez? Serait-ce comme une forme de subvention? C'est ce que je veux dire.
M. Barrett : Non. D'après ce que je comprends — et je dois préciser que je ne suis pas un spécialiste de la finance internationale — la garantie souveraine est une forme d'assurance que les acteurs respecteront leurs obligations de paiement, les acteurs canadiens. Si les obligations de paiement sont respectées, que le produit voulu est fourni et que l'accord est mis en œuvre en bonne et due forme, cette garantie ne sert jamais.
Le sénateur Massicotte : Ce serait donc une garantie que le gouvernement de la Roumanie paiera SNC-Lavalin pour l'achat du réacteur?
M. Barrett : En gros, oui, mais j'aimerais avoir un avis d'expert...
Le sénateur Massicotte : Une autre question : vous avez parlé dans votre exposé d'aujourd'hui de la technologie du PRM, soit du petit réacteur modulaire. Notre propre comité s'est penché sur la question il y a probablement un an, parce que la Russie avait fait une proposition. Au Canada, les défis sont grands pour les collectivités nordiques. En gros, elles tirent toutes ou presque leur électricité du diesel, particulièrement dans la région du Nunavik. Le nucléaire serait peut-être une solution pour elles. Mais quand nous nous sommes penchés sur la question, la technologie n'était pas encore au point. Il était difficile de la transporter, de l'installer, et il faillait essentiellement des techniciens qu'il n'y a pas dans le Nord. Êtes-vous en train de nous dire que les peuples autochtones et l'industrie minière pourraient maintenant avoir accès à cette technologie?
M. Barrett : La technologie n'est pas disponible dès maintenant, mais je dirais que mes observations m'ont amené à comprendre que la technologie des petits réacteurs modulaires évolue presque partout dans le monde. La Corée fait des progrès à cet égard, de même que la Chine. Vous avez parlé de la Russie. En effet, il y a ce pays, de même que les États- Unis et le Royaume-Uni. C'est considéré comme l'une des technologies viables qui verront le jour. Le Royaume-Uni examine la façon dont il peut la déployer le long de ses côtes, mais près des centres urbains, pour fournir du chauffage tout en répondant aux besoins locaux en électricité. Il réfléchit sérieusement à la question.
Nous sommes présentement dans une situation où dans un certain nombre de pays, on fait progresser l'idée en se penchant sur les façons de l'appliquer. C'est le cas du Canada, comme vous l'avez mentionné, pour les collectivités éloignées, mais il existe d'autres possibilités. De petits pays ou des pays qui veulent utiliser l'énergie nucléaire pour combler leurs besoins en électricité souhaiteront peut-être voir tout d'abord un petit réacteur, qu'il s'agisse de la Malaisie, de l'Indonésie ou du Vietnam. Ces pays évaluent cette possibilité.
Le sénateur Massicotte : Qu'entend-on par « petit », à peu près?
M. Barrett : Il y a « petit », et « très petit », parce que la norme utilisée par l'AIEA, l'Agence internationale de l'énergie atomique, est d'environ 300 mégawatts. La production énergétique d'un réacteur CANDU varie entre 800 et 900 mégawatts. Certains réacteurs ont une capacité de 1 200 ou de 1 300 mégawatts. Ce sont les gros réacteurs. Dans le cas du petit, on parle d'environ 300, mais on peut descendre encore plus bas, et il s'agirait d'un réacteur de 5 mégawatts.
Ce que le comité doit retenir principalement, c'est que, comme je l'ai dit, la technologie progresse. Un certain nombre de promoteurs et de concepteurs de technologie communiquent avec les Laboratoires Nucléaires Canadiens à Chalk River pour utiliser leurs installations d'essais afin de commencer à créer le prototype, de passer de la conception sur papier à la construction de quelque chose pouvant être mis à l'essai, car c'est uniquement les essais qui mènent à l'obtention de permis, et cetera. Des choses se dessinent. C'est la façon de passer par les procédures de sécurité, et cetera.
Le sénateur Massicotte : J'ai deux autres questions brèves, et on m'interrompra. Si vous pouvez me donner des réponses courtes, je ne serai pas puni.
Concernant le conseil en innovation nucléaire, vous dites qu'il est temps d'aller de l'avant. Je dirais, « passez à l'action ». Pourquoi voulez-vous que le gouvernement y participe? À mon sens, c'est simplement une façon de demander au gouvernement de payer pour quelque chose. Le gouvernement n'accordera rien pour l'innovation. C'est l'industrie qui le fera. Pourquoi ne passe-t-on pas à l'action?
M. Barrett : Entre autres, c'est parce qu'il y a eu des changements dans l'industrie. Vous avez parlé de SNC-Lavalin. Au cours des trois ou quatre dernières années, la technologie du réacteur CANDU a été privatisée. Énergie atomique du Canada, Chalk River, a été restructurée et est maintenant gérée dans le cadre d'un modèle différent, un modèle gouvernemental exploité par un entrepreneur, qui est entré en vigueur l'an dernier.
Ce que je veux dire, c'est que certaines composantes principales de la structure de l'industrie nucléaire ont changé. Il est maintenant temps de regarder vers l'avenir. Du côté de l'industrie, nous travaillons pour mettre de l'avant la feuille de route dont j'ai parlé, et c'est presque terminé. Lorsqu'on parle d'innovation, on veut savoir de quelles installations on dispose pour mener des initiatives, car ces types de laboratoires et d'installations spécialisées sont nécessaires; nous en avons certains au Canada, mais il pourrait nous en manquer d'autres. Par exemple, certains secteurs de notre industrie peuvent constater qu'il serait avantageux d'avoir un réacteur de recherche, après la fermeture du réacteur national de recherche de Chalk River.
Il faut discuter du type de réacteur, qui ne serait pas exactement comme le NRU, mais un réacteur offrant d'autres possibilités et capacités. Il en est question. C'est la première chose. Nous terminerons bientôt, pour ce qui est de mettre les choses de l'avant.
La deuxième chose, c'est que concernant les aspects pour lesquels l'industrie est disposée à offrir du financement, dans tous les autres pays concepteurs, exportateurs et fournisseurs de technologie, comme le Canada avec la technologie CANDU — environ sept ou huit d'entre eux mettent de l'avant leur propre technologie — le gouvernement participe.
Le sénateur Massicotte : Autrement dit, des fonds gouvernementaux?
M. Barrett : Dans certains volets. Or, c'est considéré comme une contribution à la technologie qui est essentielle à une économie moderne. J'ai parlé de certaines des applications qui découlent de la technologie. Il y a un rôle.
Je vais terminer en disant ce qui suit : au Canada, nous constatons que certaines provinces portent un intérêt à cet égard — surtout l'Ontario et le ministre de la Recherche et de l'Innovation de la province, M. Mordi. Nous en discutons parce qu'ils sont conscients de l'importance qu'a l'innovation en Ontario, et ils ont acquis de l'expérience dans les partenariats publics-privés. Un autre modèle existe.
Le sénateur Massicotte : Où se situent le nucléaire, la technologie CANDU? Quel est le prix du kilowattheure? Par rapport à l'hydro, à quel point est-il concurrentiel?
M. Barrett : En Ontario, parce que c'est le meilleur exemple à utiliser, car nos données sont assez claires, Bruce Power produit environ 60 p. 100, et donc 30 p. 100 de l'énergie nucléaire provient de Bruce Power. Il a toujours été annoncé publiquement à environ 6 ¢ le kilowattheure. C'est ce qu'ils obtiennent pour la production d'électricité.
Le sénateur Massicotte : S'agit-il d'une comparaison valable? Bruce Power a été privatisée il y a quelques années et l'achat s'est fait à un prix bien inférieur au coût de remplacement. Que dire d'un nouveau réacteur nucléaire aujourd'hui — de l'établissement d'une nouvelle centrale CANDU quelque part? Quel est le coût du kilowattheure?
M. Barrett : Je devrai vous revenir là-dessus et essayer de faire des prévisions avec les gens qui sont meilleurs à cet égard, car il faut beaucoup...
Le sénateur Massicotte : Que se passe-t-il dans d'autres pays?
M. Barrett : Grosso modo, le coût s'appliquant à l'énergie nucléaire se situe à peu près au même niveau que celui s'appliquant à l'énergie éolienne.
Le sénateur Massicotte : C'est-à-dire?
M. Barrett : On m'a dit que c'est 11 ¢ le kilowattheure pour l'éolien, 8 ¢ pour le nucléaire, 18 ¢ pour le solaire et environ 11 ¢ pour le gaz naturel. Il s'agit d'un coût très concurrentiel.
Le sénateur Massicotte : Et qu'en est-il de l'hydro?
M. Barrett : C'est environ 6 ou 7 ¢ le kilowattheure. Ce sont des chiffres approximatifs. Si vous voulez vous en servir, je devrai vous revenir là-dessus.
Le président : Vous pourriez le faire. Le sénateur Massicotte a posé une très bonne question. Concernant Bruce, il s'agit d'anciens coûts. Quel sera le coût pour la nouvelle centrale? Afin de pousser l'analyse plus loin, du côté de l'hydro, il s'agit d'anciens coûts également. Quelle est la comparaison entre une nouvelle centrale hydroélectrique et une nouvelle centrale nucléaire et, s'il devait y en avoir une, une nouvelle centrale au charbon? Pourriez-vous nous donner une idée de cela, au moins du côté du nucléaire?
M. Barrett : Je me souviens qu'en ce qui concerne Bruce Power, lorsque l'annonce a été faite en Ontario en décembre, un prix un peu plus élevé avait été examiné, environ 8 ¢ le kilowattheure, avec le programme de remise à neuf. C'est un coût qui apparaît en quelque sorte.
La sénatrice Ringuette : Bienvenue, monsieur Barrett. Bien entendu, il y a trois ans, SNC-Lavalin a été payée par le gouvernement fédéral pour la question du réacteur CANDU. À l'époque, on nous avait dit que l'idée derrière tout cela, c'était de retirer au gouvernement fédéral la responsabilité de financer de futures ventes, et ainsi de suite. Vous nous dites ce matin que ce n'est pas vraiment le cas, car on demande à EDC d'aider à financer la vente de la technologie CANDU de SNC-Lavalin en Europe. Le principe sur lequel reposait la transaction il y a trois ans ne s'est pas concrétisé.
Concernant votre recommandation de financement pour la création d'un conseil en innovation nucléaire, combien SNC-Lavalin investit-elle actuellement en recherche et innovation dans le volet nucléaire de ses activités?
M. Barrett : Pour ce qui est de la dernière question, je devrai vérifier auprès de SNC-Lavalin, car je n'ai pas les chiffres. Je devrai donner l'information au comité plus tard.
Ce qu'il faut retenir, c'est que ce n'est pas financé par les garanties des crédits à l'exportation; on fournit une garantie. Cela fait partie de règles du jeu à l'échelle internationale. Je ne pense pas qu'il s'agit d'une subvention directe, si l'on voit les choses de cette façon. Nous devrions être un peu prudents. Je recommanderais qu'EDC vienne expliquer cet élément. Je comprends votre point de vue.
La sénatrice Ringuette : Je ne veux pas vous interrompre, mais je veux préciser les choses. Le gouvernement du Canada n'a jamais financé de réacteur CANDU. Il l'a fait en partie, et je crois qu'il s'agissait du premier CANDU en Chine. Peut-être qu'à ce moment-là, il y avait du financement fédéral.
Vous avez parlé également de la concurrence mondiale dans le secteur nucléaire. Nous savons qu'aux États-Unis, le gouvernement américain a toujours soutenu financièrement les ventes de GE. Les arguments sont encore là.
Je vais m'en tenir à l'innovation dans le secteur nucléaire; les avancées pour les petits réacteurs modulaires sont très importantes. Vous avez dit que le Royaume-Uni est très dynamique à ce chapitre, et cetera. Il y a deux ans, notre comité a constaté, à juste titre, que c'était nécessaire au Canada. Combien SNC-Lavalin investit-elle présentement dans la recherche et le développement d'un petit réacteur modulaire?
M. Barrett : Je crois comprendre — et encore une fois, je devrai vérifier auprès de SNC-Lavalin, car je ne suis pas toujours au courant de ses programmes de R-D —, que comme n'importe quelle entreprise, elle examine de très près ce qui se passe. Elle peut envisager d'établir des partenariats avec d'autres entreprises, mais elle ne semble pas vendre un produit. Des entreprises canadiennes présentent différentes technologies pour les petits réacteurs modulaires, et des entreprises américaines le font également.
Ce que nous voyons vraiment pour le Canada, c'est plutôt l'établissement d'un partenariat pour leur développement plutôt que l'idée de partir de zéro et de se rendre jusqu'à l'étape finale. Les industries peuvent collaborer avec d'autres dans le développement de ce type de réacteur.
La sénatrice Ringuette : J'ai une dernière question au sujet du conseil en innovation nucléaire. Quel type de financement fédéral souhaite-t-on obtenir pour le conseil?
M. Barrett : Il appartiendrait au conseil de déterminer les éléments financiers. Le plus important, c'est d'amener les joueurs clés à la table. À l'heure actuelle, nous n'avons pas de tribune permettant aux acteurs de l'industrie de parler avec les intervenants du gouvernement et les décideurs du domaine de l'innovation industrielle, de la technologie, et cetera; ils peuvent porter un intérêt particulier aux dimensions et aux retombées économiques d'une technologie pouvant être proposée.
En même temps, certaines provinces — et j'ai parlé de l'Ontario où l'industrie est très importante compte tenu de la situation économique — veulent connaître l'avenir de l'industrie. Il y a des idées novatrices et nous pouvons parler de certaines d'entre elles. Comme nous l'avons entendu, la province est disposée à engager des fonds, mais elle ne mettra pas tout l'argent sur la table, car elle veut entendre ce que l'industrie a à dire. Elle pose deux questions. Pouvons-nous trouver un modèle de financement dans lequel chacun a une part? Où se situe le gouvernement fédéral dans tout cela? C'est de ce type de collaboration et de discussion qu'il s'agit, ce que nous n'avons pas en ce moment. Le conseil serait en grande partie axé sur l'innovation.
La sénatrice Ringuette : Je reste sur ma position concernant l'argument que j'ai défendu, il y a trois ans, contre l'idée de donner l'industrie nucléaire canadienne au secteur privé.
Le sénateur MacDonald : Je veux seulement préciser quelque chose. Le sénateur Massicotte a posé une question sur le coût relatif du kilowattheure. D'après l'information que nous avons ici, dans le cas de l'Ontario, c'est 50 ¢ le kilowattheure pour le solaire, 13,5 ¢ pour l'éolien, 11 ¢ pour le gaz, 5,6 ¢ pour le nucléaire et 3,5 ¢ pour l'hydro. Les secteurs de l'hydroélectricité et du nucléaire se font concurrence. Bien entendu, le premier est plus néfaste à l'étape de la préparation de toute centrale hydroélectrique.
Ma première question porte sur la façon dont le Canada a géré le programme de réacteur CANDU au cours des dernières décennies. Nous parlons de son exportation et de toutes les retombées et de la création d'emplois au Canada, mais nous n'en construisons pas d'autres ici au pays.
Le nucléaire est une excellente source d'énergie. Nous avons un très bon bilan, et de toute évidence, la technologie ne fera qu'évoluer et que s'améliorer sur le plan de l'efficacité et de la sécurité. L'industrie nucléaire canadienne réussit-elle à convaincre les gouvernements au Canada d'investir plus de ressources dans l'énergie nucléaire? Nous voulons exporter cette technologie, mais nous ne sommes pas prêts à construire de nouvelles centrales.
M. Barrett : C'est une très bonne question. Commençons par la situation ici.
Une partie de la situation est à l'image de la demande. En 2010, le gouvernement de l'Ontario examinait la possibilité d'ajouter un nouveau réacteur sur le complexe de Darlington, mais à l'époque, la récession de 2008 et de 2009 commençait à faire sentir ses effets. Lorsqu'il a examiné la situation et a essayé de faire des projections sur la situation à venir de la demande, comme il le fait toujours, il a constaté que la situation resterait stable et qu'il n'y aurait pas de hausse. Par conséquent, le gouvernement de l'Ontario a déterminé que compte tenu de la situation de la demande, la meilleure décision à prendre à ce moment-là, c'était de remettre à neuf les réacteurs existants pour qu'ils continuent à fonctionner pendant au moins 30 ans. C'est le premier élément.
Le deuxième, c'est le coût moins élevé du gaz naturel utilisé pour le chauffage. Cela a eu une incidence réelle aux États-Unis parce que là-bas, le coût relativement faible que nous avons — il s'agit d'un secteur où les prix sont volatils, comme nous le savons tous. Nous avons vu les prix du gaz naturel monter et descendre pour le chauffage.
Aux États-Unis, les services publics passent à ce qui est le combustible le moins cher pour eux en ce moment. Par conséquent, lorsque le prix du gaz naturel est très bas, cela crée des problèmes pour l'industrie nucléaire parce que les services publics fournissent une sorte de source stable d'énergie continue. Cela a des effets, et la situation est difficile sur les marchés.
Nous pouvons imaginer une situation dans laquelle la demande augmentera. Les gens parlent maintenant de collaboration avec les États-Unis sur l'électricité propre, et ils n'ont pas nécessairement les sources, car ils utilisent une grande quantité de charbon et doivent utiliser le gaz naturel. S'ils se tournent vers l'électricité propre, les industries hydroélectriques et nucléaires canadiennes auront peut-être devant eux un marché d'approvisionnement, et l'augmentation de la demande pourrait faire en sorte qu'un nouveau réacteur entrerait en jeu.
À l'échelle internationale, je pense que la réponse que je vous donnerais, à la base, c'est que si les ententes sont conclues, la Corée fournit maintenant des réacteurs aux Émirats arabes unis. Du côté canadien — CANDU Énergie — une possibilité s'est présentée en Jordanie, mais ce sont les Russes qui ont obtenu le contrat. La Chine est sur le point d'entrer sur le marché des exportations, et on peut parier que dans tous les cas, des subventions gouvernementales sont versées.
Que pouvons-nous faire dans ce contexte? D'une part, nous possédons une technologie unique qui ne nécessite pas d'enrichissement, et d'autre part, cette technologie est tellement novatrice qu'elle permet de récupérer le combustible du réacteur à eau légère puis, de l'employer à nouveau comme combustible du réacteur canadien à deutérium uranium, ou CANDU. Voilà pourquoi la Chine fait la queue afin d'acheter un réacteur CANDU pour chaque trois ou quatre réacteurs à eau légère qu'elle possède. Je ne l'ai pas mentionné, mais c'est un autre secteur qui pourrait être intéressant sur le plan des ventes et des exportations. Il s'agit d'un caractère unique.
À l'instar de tous les autres fournisseurs, nous avons bel et bien besoin de l'aide du gouvernement canadien. Il s'agit de bâtir une relation. Voilà ce que j'essayais de dire dans mon exposé. Le gouvernement doit démontrer son soutien. Même s'il ne dépense pas des sommes faramineuses à l'appui de l'industrie, il doit reconnaître que c'est une technologie importante sur le plan politique qui fait partie de la relation. Il doit passer à l'action.
Voilà pourquoi tout cela fait partie de notre relation fondamentale, en ce qui concerne l'Argentine, l'Inde de demain, j'en suis persuadé, et maintenant la Chine.
Le sénateur MacDonald : Mais encore ici, permettez-moi de dire que tout dépend de l'exportation de la technologie et de l'acquisition de marchés d'exportation.
Pour revenir à l'Ontario, vous avez dit que la demande est relativement stable, mais que la province est en train de retirer certains modes de production de son réseau, comme l'ensemble de la production à partir du charbon. Vous avez parlé du gaz naturel, mais la province a abandonné deux usines de production de gaz naturel au profit de l'hydroélectricité et de l'énergie solaire, après quoi les coûts de l'électricité ont atteint des sommets. Le vérificateur général dit que nous avons payé quelque 30 milliards de dollars en trop pour l'énergie.
Je ne comprends pas pourquoi nous ne construisons pas plus de centrales nucléaires au pays. À qui la faute? Les responsables sont-ils les politiciens ou les joueurs de l'industrie nucléaire canadienne? Est-ce une combinaison des deux? Il s'agit d'une énergie propre et d'une technologie éprouvée.
M. Barrett : C'est une excellente question, et une question sérieuse avec laquelle je suis aux prises quotidiennement. On peut constater le potentiel de cette énergie propre et de cette technologie, de même que son bilan en matière de sécurité. Nous possédons cette technologie depuis 60 ans, et il n'y a jamais eu d'accident mortel dans aucune des installations nucléaires canadiennes. Pourtant, une partie de la population dit que ce n'est pas ce qu'elle veut, et qu'elle souhaite avoir autre chose.
À une époque où nous sommes tous aux prises avec le défi du changement climatique, toute technologie ayant quelque chose à offrir doit être examinée, comme je l'ai mentionné dans mon exposé. Faisons preuve d'un esprit analytique et pratique sur la question. Comme vous l'avez dit, sénateur, l'industrie nucléaire fait partie des sources d'énergie, mais elle n'est malheureusement pas souvent mentionnée.
Si je dis que 60 p. 100 de l'électricité de l'Ontario provient de l'énergie nucléaire, je parie que 9 personnes dans la rue sur 10 ne me croiront pas. Ils pensent que la proportion est plutôt de 3 p. 100, ou quelque chose du genre. Les gens ne s'en rendent pas compte. Ils ne sont pas au courant.
Comment pouvons-nous porter l'information à leur attention? Nous essayons de le faire, mais sur les plans de la politique et du soutien, la relation ne fonctionne pas vraiment comme il se doit. Les gens trouvent l'information intéressante, mais ils demandent plus d'énergies renouvelables. Bien, vous pouvez en avoir, mais pour l'instant, ces sources ne permettent pas de répondre à l'ensemble de la charge minimale, étant donné que les technologies renouvelables ne sont pas prêtes. Soyez pratiques : continuons d'approvisionner la charge minimale au moyen de l'énergie nucléaire puis, intégrons progressivement des énergies renouvelables, comme le font l'Ontario et d'autres pays. Nous avons un bon modèle dans la province qui montre comment intégrer les sources efficacement, étant donné qu'il y aura des répercussions sur les coûts. Vous avez parlé du coût de l'électricité nucléaire en Ontario. Les autres sources sont plus coûteuses, de sorte que si vous souhaitez effectuer cette intégration, les gens devront payer davantage étant donné qu'il ne s'agit pas de l'énergie la plus économique.
Le sénateur MacDonald : On nous a dit qu'il y a actuellement 45 modèles de réacteurs en conception dans le monde. Le Canada participe-t-il indépendamment à la mise au point de l'un d'entre eux? Si des réacteurs nucléaires sont conçus, je préfère qu'il s'agisse de scientifiques canadiens, de technologies canadiennes et de normes de sécurité canadiennes, étant donné que nous avons fait nos preuves. Où nous situons-nous à l'heure actuelle dans l'évolution de l'industrie? Où en sommes-nous dans la création de ces petits réacteurs modulaires?
M. Barrett : Je suis tout à fait d'accord avec vous quant à la norme et à la marque canadienne; c'est vraiment important pour notre industrie, mais aussi pour notre positionnement international dans la filière nucléaire. Les gens se tournent vers le Canada pour cette raison, de sorte que nous devrions en tirer parti.
Pour ce qui est des petits réacteurs, une partie de cette technologie ne date pas d'hier. Il s'agit de la technologie qui a permis aux sous-marins et aux porte-avions de bénéficier de l'énergie nucléaire. Les forces navales américaines et britanniques le savent. Ils ont composé avec cette technologie. Il s'agit donc d'une variation de celle-ci.
Mais à vrai dire, la question est la suivante : comment faire pour mettre en marché une application commerciale de cette technologie? À ce sujet, j'ai assisté à des conférences et j'ai entendu les propos de différents fournisseurs, qu'il s'agisse de Westinghouse ou de Terrestrial Energy, au Canada, qui travaille d'ailleurs à ce qu'on appelle un réacteur à sels fondus. C'est un matériau modérateur et un combustible très novateur qui alimente le réacteur, et nous pourrons vous donner plus d'information distincte là-dessus.
Il existe différents types de modèles. Ils doivent tous être mis à l'essai, mais le problème et le défi consistent à trouver un marché pour ces technologies. Si vous dites que 10 collectivités éloignées pourraient vraiment en bénéficier, je vous dirais que d'ici 10 ans, nous commencerons à assister à un véritable déploiement de certains réacteurs. Les réacteurs passeront par le processus d'octroi de permis et de vérification, et si ce n'est pas fait au Canada, ce sera fait ailleurs dans le monde.
Certains gouvernements sont très actifs, et les fournisseurs surveillent quel sera le premier pays ou la première industrie qui sera en mesure de produire ces réacteurs, de les faire autoriser, de les soumettre aux contrôles de la qualité, d'obtenir des assurances et la confiance du public puis, de commencer à trouver un marché. Au fur et à mesure que ce marché s'ouvrira, les possibilités commenceront à se multiplier étant donné que la technologie sera alors déployée à l'échelle internationale. Voilà pourquoi tous ces pays attendent. Ils ne cherchent pas à déployer la technologie à l'échelle nationale, mais ils surveillent le reste du monde en se disant que c'est la voie de l'avenir.
Dans ce cas, comment pouvons-nous y participer? Certains concepteurs de technologie cherchent à proposer un modèle. Certains d'entre eux discutent avec Chalk River et d'autres joueurs de l'industrie afin de déterminer quelles sont les étapes subséquentes. Ils discutent aussi avec la Commission canadienne de sûreté nucléaire, ou CCSN, pour entamer le processus, étant donné que cet organisme de réglementation a désormais affaire à un contexte quelque peu différent et qu'il doit rejoindre le mouvement.
Pour répondre à votre question, les gens vont discuter du fait que ces réacteurs peuvent fournir une énergie propre, fonctionner simplement et approvisionner en énergie des collectivités qui n'ont tout simplement pas accès au réseau. Cette énergie remplacerait aussi les combustibles fossiles. Les fournisseurs de la technologie sont convaincus que celle- ci est tout à fait sécuritaire, et ainsi de suite.
Mais comment peut-on donner un coup d'envoi aux commandes commerciales? Les fabricants refusent de produire trois ou quatre réacteurs seulement étant donné que cela n'en vaut pas la peine, à moins que le gouvernement ou une organisation paie. Pour soumettre une proposition commerciale, ils veulent être assurés de se rendre à la 20e ligne du carnet de commandes, et même aux 50e et 100e lignes. C'est le genre de discussion initiale, mais définitive que nous entendons. Ces fournisseurs donnent l'impression d'être prêts à mettre en marché la technologie, mais ils attendent une percée. On a l'impression que celui qui réussira commencera à pénétrer un grand marché.
Le vice-président : Les sénateurs font la queue pour poser des questions. Je ne vais accepter aucune question complémentaire.
Le sénateur Mockler : Monsieur le président, dans un esprit de collaboration, j'aimerais beaucoup entendre ce que mon collègue souhaite dire.
Le vice-président : Je sais, mais je vous demande de collaborer avec le président et de continuer.
M. Barrett : Veuillez m'excuser. Je suis emballé par le sujet et les questions.
Le vice-président : C'est merveilleux. J'ai horreur de devoir vous bousculer, mais je n'ai pas le choix. Sénateur Mockler, allez-y s'il vous plaît.
Le sénateur Mockler : Je suis grandement en faveur des réacteurs CANDU. Une des plus belles réussites de ce réacteur se trouve dans ma province du Nouveau-Brunswick.
J'aimerais poser quelques questions sur le rôle des gouvernements à l'égard de ces réacteurs — je parle aussi des gouvernements provinciaux. J'en ai été témoin lorsque j'étais ministre des Affaires intergouvernementales de la province du Nouveau-Brunswick, en 2004 et en 2006. En ce qui concerne la Roumanie, j'étais là lorsque les premiers ministres de l'époque y sont allés; ils avaient parlé du rôle du gouvernement et des réacteurs CANDU.
Regardez la situation des réacteurs CANDU. La centrale nucléaire de Point Lepreau a été créée en 1981, et sa construction a débuté en 1972, 1973 et 1974, après quoi la centrale est entrée en fonction. Il s'agit du premier réacteur nucléaire CANDU à avoir vendu de l'électricité aux États-Unis. Lorsque nous examinons le rendement du réacteur, nous constatons que c'était aussi le seul réacteur à voir le jour dans le Canada atlantique.
Il y a d'autres réacteurs CANDU en Argentine, en Corée du Sud, en Inde, au Pakistan, en Roumanie et en Chine. D'ailleurs, le gouvernement canadien a joué un rôle important du côté de la Roumanie. C'était en 2004. Je sais qu'avant cela, dans les années 1990, notre gouvernement a joué un rôle important quant à la démonstration du bien- fondé, à la stabilité, à la sécurité et à la création d'une certitude économique. En fait, la concurrence ne vient pas de l'Île-du-Prince-Édouard dans l'industrie nucléaire, mais plutôt du reste du monde.
Ma question est la suivante : la société d'État fédérale Énergie atomique du Canada limitée, ou EACL, a conclu une entente contractuelle avec la Canadian National Energy Alliance concernant la gestion et l'exploitation des Laboratoires Nucléaires Canadiens. Pourriez-vous nous décrire votre relation avec ces organismes? Je connais les rôles de SNC-Lavalin et de l'alliance à ce chapitre. Qu'en pensez-vous?
M. Barrett : EACL a toujours été au cœur de la technologie nucléaire et de son développement au Canada, qu'il s'agisse des expériences entourant la diffusion du faisceau de neutrons réalisées au grand réacteur de recherche de Chalk River, ou des installations abritant les réacteurs CANDU, comme vous l'avez dit.
Le gouvernement précédent a décidé de restructurer la division des réacteurs, principalement située à Toronto et à Mississauga, et de s'en départir — SNC-Lavalin a fini par la racheter. Puis, il y a les laboratoires de Chalk River.
L'étape suivante de cette restructuration consistait à faire en sorte qu'EACL, désormais très modeste, demeure une sorte de société de portefeuille. Autrement dit, la société d'État est encore à Chalk River sous la forme d'EACL, mais elle est beaucoup plus petite. Comme vous l'avez dit, sénateur, la nouvelle entente prévoit que les installations demeurent la propriété du gouvernement, mais qu'elles soient exploitées par un entrepreneur. C'est ici qu'entre en jeu la Canadian National Energy Alliance dont vous avez parlé, qui a été sélectionnée parmi un certain nombre de soumissionnaires. Chacun a fait l'objet d'une évaluation, et l'alliance est le consortium qui a été retenu.
L'alliance est sur les lieux depuis septembre dernier pour prendre connaissance de la réalité et évaluer divers volets. Elle a le mandat de remplir un certain nombre de fonctions pour le gouvernement. Elle effectue aussi des travaux dans des domaines novateurs, mais l'essentiel, c'est qu'elle est davantage axée sur les activités commerciales.
S'il y a une chose que je souhaite faire valoir, c'est que ces gens intègrent le développement commercial à leurs travaux. Ils s'intéressent à des clients autres que la clientèle habituelle. Je sais qu'ils souhaitent pouvoir fournir, à un coût convenable, des services de laboratoire et des installations aux fournisseurs de technologie qui ont des réacteurs à eau bouillante — ou des réacteurs à eau légère —, qu'on retrouve au Royaume-Uni, aux États-Unis et ailleurs. Il s'agit de différentes technologies nucléaires connexes. Ces gens sont donc dans le milieu des affaires.
Ce sera un très bon pas en avant, car je crois que c'est le meilleur des deux mondes. Nous avons un établissement reconnu à l'échelle internationale. Lorsque j'étais ambassadeur à l'Agence internationale de l'énergie atomique de Vienne, de nombreuses personnes qui provenaient de divers gouvernements et de l'agence elle-même connaissaient Chalk River. C'est un véritable fleuron en raison du talent qui s'y trouve. J'ai entendu les gens du consortium — de la Canadian National Energy Alliance — s'étonner à leur arrivée de toutes les compétences et de tous les talents qu'on retrouve à Chalk River.
Ce qu'ils souhaitent maintenant faire, c'est de s'attarder aux considérations commerciales — ils souhaitent utiliser les installations pour générer de véritables recettes, tout en remplissant le mandat du gouvernement canadien. Voilà ce qui se passe à l'heure actuelle. Ils n'en sont qu'à leurs débuts, mais les résultats sont déjà positifs.
Le sénateur Mockler : Le Nouveau-Brunswick devrait-il se doter d'un deuxième réacteur nucléaire?
M. Barrett : Bien sûr. À l'heure actuelle, la centrale nucléaire de Point Lepreau dont vous avez parlé produit environ le tiers de l'énergie de la province. Comme vous l'avez dit, il pourrait éventuellement y avoir plus d'exportations vers les États-Unis. Encore une fois, c'est attribuable à la demande croissante pour les énergies propres qui proviendra non seulement du Canada, mais des États-Unis aussi. Sommes-nous prêts à y répondre, et capables de le faire? Voilà qui doit entrer en ligne de compte dans la décision de construire ou non un deuxième réacteur au Nouveau-Brunswick.
Je sais qu'il y a déjà eu des discussions sur le sujet. L'idée n'est pas tout à fait nouvelle, et c'est une bonne chose. Ce n'est pas la première fois qu'il est question d'ajouter une autre centrale nucléaire. Je pense qu'il incombe aux gens du Nouveau-Brunswick d'examiner le dossier et de décider de l'orientation qu'ils souhaitent prendre sur le plan des énergies propres, mais il y a des possibilités. Je pense donc qu'une autre centrale pourrait faire partie de la solution.
La sénatrice Ringuette : Monsieur Barrett, vous avez convenu de chercher à obtenir de l'information de SNC- Lavalin concernant l'investissement de la société dans l'innovation d'aujourd'hui et de demain, éventuellement.
Mon autre question est la suivante : avez-vous envisagé d'analyser un scénario permettant de comparer le risque pour l'environnement que représentent les différentes sources d'énergie possibles que nous examinons, et qui tient compte non seulement des phases d'exploitation ou de production, mais aussi de la phase de construction? Il arrive que nos chiffres sur l'hydroélectricité soient seulement basés sur la phase de production. Il va sans dire que l'incidence sur l'environnement des projets est beaucoup moins importante une fois que la production est lancée qu'au moment de la construction. Avez-vous ce genre d'analyse?
M. Barrett : Il s'agit vraiment d'une question de premier ordre étant donné que nous n'en parlons pas assez, selon moi. Au fond, il faut s'intéresser aux répercussions sur l'ensemble du cycle de vie, et pas seulement sur le coût, de même qu'aux émissions de gaz à effet de serre et à l'incidence environnementale globale d'une source d'énergie. Je conviens que l'énergie nucléaire doit faire partie de cette analyse, mais d'autres filières énergétiques aussi.
Par exemple, nous avons demandé à Hatch, une société d'ingénierie internationale au Canada, d'étudier les émissions de gaz à effet de serre du cycle de vie de l'énergie nucléaire. Cette étude montre que les émissions sont très faibles. Voilà pourquoi nous pouvons affirmer avec certitude que la production d'énergie au moyen de réacteurs nucléaires ne dégage pratiquement aucune émission, ce qui comprend l'ensemble du cycle de vie, comme la construction des centrales, l'exploitation et le déclassement. Ce genre d'exercice est important.
Quant à l'impact environnemental, les sites de réacteur ont une empreinte très modeste et ils ne sont pas très nombreux en ce moment. Leur nombre pourrait augmenter à l'avenir, mais les sites eux-mêmes n'occupent pas beaucoup d'espace.
L'environnement est également pris en compte dans le contexte des déchets qui sont produits. Nous savons où se trouvent tous les déchets. Ils sont gérés et leur coût est pris en charge. D'ailleurs, la quantité de déchets est moindre que ce que croient la plupart des gens. Beaucoup s'imaginent qu'il y a des tonnes de déchets partout à cause des réacteurs. Ce n'est pas le cas. Nous avons calculé qu'on pourrait remplir six ou sept patinoires de hockey, sans dépasser la hauteur de la bande, si l'on rassemblait tous les déchets produits par tous les sites au fil des ans.
La sénatrice Ringuette : Ils seront peut-être réutilisables grâce à la nouvelle technologie.
M. Barrett : La technologie pourrait effectivement nous permettre de les réutiliser. C'est très important.
Les autres modes de production de l'énergie sont-ils assujettis à un examen aussi minutieux? Je ne le pense pas. Vous avez parlé de l'hydroélectricité. C'est un point qui vaut d'être mentionné. Quand on construit un barrage — on n'a qu'à regarder ce qui se passe actuellement en Colombie-Britannique — il y a toujours des gens qui hésitent, car il y a un véritable impact sur la flore et la faune. Tout cela doit être pris en compte dans la décision.
C'est la même chose pour le solaire et l'éolien. Personne ne parle des déchets, mais qu'arrivera-t-il lorsque les éoliennes et les panneaux solaires de la première génération ne seront plus bons? Où iront-ils? Qui payera? Contiennent-ils des substances toxiques? Oui, quelques-unes sont dangereuses. Va-t-on simplement les mettre dans un dépotoir? Nous devons connaître les réponses à ces questions, c'est primordial.
La sénatrice Ringuette : Essentiellement, il y a des études sur l'impact environnemental du cycle de vie nucléaire, mais, à votre connaissance, on ne soumet pas les autres sources d'énergie à la même analyse?
M. Barrett : Si de telles analyses existent, je n'en suis pas très au courant. Mais vous mettez le doigt sur une importante lacune de notre savoir.
Le vice-président : Nous devrons y revenir, car ce point demande à être approfondi.
Le sénateur Mockler : Monsieur Barrett, vous avez très bien répondu à la question de la sénatrice Ringuette. Pour promouvoir le nucléaire devant les autres sources d'énergie, il nous faudra examiner la question de l'impact des déchets — et vous l'avez très bien dit. Il faudra l'expliquer aux gens si nous voulons que le monde et les Canadiens puissent bénéficier de la technologie. Je le dis avec prudence, mais il faut rassurer les gens partout dans le monde en ce qui concerne la gestion et la manipulation des déchets nucléaires. Cela devrait figurer au premier plan lorsqu'on négocie nos réacteurs. Je ne sais pas si vous voulez ajouter quelque chose, mais vous l'avez très bien expliqué en réponse à la question précédente.
M. Barrett : Oui, très brièvement. J'ai mentionné que CANDU Energy et SNC-Lavalin travaillent avec le combustible avancé. On recycle et réutilise le combustible épuisé provenant d'autres types de réacteurs au lieu de l'entreposer comme on le ferait normalement. Cela réduit la toxicité et la quantité de déchets. C'est très innovateur.
Le sénateur MacDonald : L'eau lourde a toujours été un enjeu majeur à Cape Breton. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, on y a construit deux usines de production d'eau lourde, la technologie de pointe. Puis, on apprend qu'elles sont désaffectées et démantelées. Je suppose que CANDU utilise les nouveaux réacteurs. Alors, dites- moi, est-ce que tous les réacteurs dans le monde fonctionnent à l'eau lourde?
M. Barrett : Non, seulement les réacteurs CANDU. Ils fonctionnent à l'eau lourde sous pression. Les Indiens ont leur propre version, mais c'est essentiellement une technologie mise au point par CANDU.
Le sénateur MacDonald : Par curiosité, d'où provient maintenant l'eau lourde qui sert à alimenter les réacteurs?
M. Barrett : Je crois qu'elle est en partie produite — je crains de vous induire en erreur. Elle était produite — puis-je vous revenir là-dessus? Je m'apprêtais à dire que...
Le sénateur MacDonald : Est-ce qu'on la trouve au Canada?
M. Barrett : Oui.
Le sénateur MacDonald : Est-ce qu'on la produit au Canada?
M. Barrett : À ma connaissance, oui.
Enfin, il faudrait que je vérifie.
Le vice-président : Si vous pouviez vérifier, ce serait formidable. Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous sommes inspirés par votre enthousiasme, par ce que vous nous dites. C'est une discussion des plus captivantes.
J'ai deux questions rapides à vous poser. Je ne suis pas spécialiste, mais des milliers de personnes vivent et travaillent dans des sous-marins nucléaires et sur des porte-avions nucléaires, où un générateur fait fonctionner les moteurs et toutes les composantes électriques et techniques. Pourquoi ne pas simplement utiliser l'un de ces générateurs pour concevoir une sorte de système local et organique de distribution de l'énergie qui servirait à alimenter les habitants dans certains endroits?
M. Barrett : Cela s'explique en partie par le fait qu'ils ont été conçus dans le secteur militaire, comme c'est le cas en particulier aux États-Unis. Je signale que l'amiral Rickover, qui est le père de la marine nucléaire aux États-Unis, a grandement facilité l'intégration de cette technologie aux premiers types de réacteurs.
En dehors de l'armée, l'électricité était produite par des réacteurs à eau ordinaire qui ressemblaient aux réacteurs militaires, sauf qu'ils étaient plus gros et scellés. C'étaient les réacteurs de Westinghouse et d'autres géants américains. Ils ont percé le marché mondial dans les années 1970 et 1980. C'est ce qui était fabriqué et vendu à l'époque.
Mais pourquoi ne pas en fabriquer de plus petits? On voulait de grandes centrales comme source d'énergie de base pour alimenter l'économie, vu sa taille et sa complexité considérables. La principale préoccupation, dans le secteur civil, c'était de produire à grande échelle.
Certaines des technologies américaines conçues dans les années 1950 ont ensuite été mises au rancart parce qu'elles n'avaient aucune utilité commerciale. On s'est amusé puis, on est passé à autre chose, mais l'intérêt est en train de renaître. Les réacteurs d'alors faisaient appel à une technologie qui permet une utilisation optimale des déchets produits — nos « réacteurs à neutrons rapides ». On a inventé cette technologie à l'époque puis, on l'a délaissée au profit d'une autre. Mais aujourd'hui, on se tourne à nouveau vers elle.
Le potentiel peut intéresser les communautés éloignées ou les zones de sables bitumineux. Auparavant, on ne se souciait pas trop des émissions de gaz à effet de serre attribuables à l'utilisation du gaz naturel pour produire la vapeur servant à extraire le bitume. Cependant, on réalise aujourd'hui que c'est une importante source d'émissions. Que faire alors? Comment peut-on produire de la vapeur sans les émissions de gaz à effet de serre, compte tenu de la puissance nécessaire? L'une des réponses, c'est l'énergie nucléaire.
En Saskatchewan, on songe à adopter le nucléaire. C'est aussi le cas ailleurs. Cette option n'est pas écartée. On l'envisage comme solution, car on est conscient de son utilité. Les priorités évoluent — il y a toute la question de l'énergie propre et la nécessité d'alimenter les systèmes de purification d'eau dans les collectivités éloignées ou minières hors réseau. Les gens sont de plus en plus sensibilisés à ces besoins et cherchent des moyens de les combler.
Le vice-président : L'une des inquiétudes en ce qui concerne le coût du nucléaire — et croyez-moi, j'examine toutes les options possibles pour remplacer les sources qui émettent des gaz à effet de serre — ce ne sont pas les coûts permanents, mais plutôt la difficulté apparente à contrôler les coûts de construction. Cette impression est en partie due au fait qu'il est difficile de contrôler le coût de la modernisation, de la réparation et de l'entretien, comme nous l'avons vu lors de plusieurs projets. N'y a-t-il pas moyen de mieux concevoir les choses dès le départ, avant d'entreprendre la construction, afin de mieux contrôler les coûts et de mieux respecter les budgets?
M. Barrett : C'est un très bon point que vous soulevez. Bien entendu, tous les projets n'accusent pas des retards et des dépassements de coûts, mais ce ne sont pas ceux-là qui retiennent notre attention. En Chine et en Corée du Sud, par exemple, ces objectifs sont toujours respectés.
Mais deux choses comptent par-dessus tout. La première, c'est qu'il faut apprendre de ses erreurs. Ce que je constate, à l'heure des préparatifs en vue de la réfection en Ontario, et ce sera déterminant, c'est que l'industrie est très consciente qu'elle doit absolument réussir. Elle sait que le gouvernement de l'Ontario refusera toute réfection future s'il estime que l'échéancier ou le budget n'ont pas été respectés. C'est ce qu'on appelle une porte de sortie. Il est donc impératif de réussir. L'industrie fera appel à l'innovation pour assurer son succès ou, à tout le moins, mettre toutes les chances de son côté.
Par exemple, l'Ontario Power Generation a installé un réacteur maquette à la centrale de Darlington pour pouvoir simuler la réfection. Elle a aussi innové dans le domaine de l'outillage et de la robotique, et je vous épargne les nombreuses améliorations techniques que seul un expert pourrait vous expliquer. Ils entendent recourir à l'innovation pour réduire le temps et les sommes nécessaires à la réfection, pour respecter les échéanciers et les budgets. Je vous garantis que lorsqu'ils auront réussi, la confiance sera restaurée.
La sénatrice Ringuette : Je ne voulais pas aborder le sujet, mais la présidence a parlé des budgets et des échéanciers, et vous avez évoqué dans ce contexte le projet de réfection en Ontario.
Le Nouveau-Brunswick a servi de cobaye pour la réfection des réacteurs CANDU en Ontario. Les contribuables néo-brunswickois payent encore la facture parce qu'on s'est servi d'eux pour évaluer les chances de succès de l'Ontario en ce qui a trait au respect des échéances et des budgets. J'aimerais savoir ce que fait votre association pour aider le Nouveau-Brunswick à se remettre du rôle de cobaye qui lui a été imposé?
M. Barrett : Je n'y ai jamais songé de cette façon puisque je n'étais pas présent à l'époque de la réfection, mais d'après ce que je comprends, il y avait eu une erreur humaine. Quelqu'un avait commis une erreur dont on ne s'est pas immédiatement aperçu. Lorsque l'erreur a été découverte — ce qui était inévitable —, le processus de réfection s'est poursuivi au lieu d'être interrompu. Malheureusement, l'erreur s'était répercutée sur tout le travail qui avait été accompli et il a fallu recommencer pour garantir le respect à la lettre des normes de qualité et de sécurité. La surveillance et le contrôle de la qualité ne connaissent aucun compromis. Lorsqu'on décèle une erreur ou un problème, même mineur, on y remédie immédiatement. Nous le comprenons très bien maintenant, car nous avons tiré des leçons de ce qui s'est passé à la centrale de Point Lepreau.
La sénatrice Ringuette : Comptez-vous leur venir en aide? Cela faisait partie intégrante du contrôle de la qualité pour le projet de réfection en Ontario. En fait, je pense que cela compromet le potentiel de l'industrie tout entière au Canada atlantique et ailleurs. Pendant qu'on se félicite d'avoir amélioré nos méthodes, les contribuables du Nouveau- Brunswick, eux, portent le fardeau de cette énorme erreur.
M. Barrett : J'ai bon espoir que la province pourra être indemnisée d'une partie des pertes que vous évoquez. La réfection a prolongé la vie de ce réacteur, qui pourra continuer de produire de l'électricité bon marché durant encore de nombreuses années au Nouveau-Brunswick. Les effets bénéfiques se feront sentir année après année. Peut-être que dans 10 ans, nous verrons que le prix de l'électricité a augmenté partout sauf au Nouveau-Brunswick grâce au réacteur CANDU qui continue de produire de l'électricité bon marché.
Le sénateur Massicotte : Permettez-moi de féliciter le Nouveau-Brunswick d'avoir joué le rôle de cobaye au profit du reste du Canada. Nous débordons de gratitude. Quand je me réveille chaque matin, je vous dis merci. Combien coûte un kilowattheure d'hydroélectricité au Nouveau-Brunswick, compte tenu de cette mauvaise expérience?
M. Barrett : Il faudra d'abord que je m'en informe, si vous le permettez.
La sénatrice Ringuette : Je vais vous montrer ma facture, sénateur Massicotte, et vous comprendrez peut-être — vous qui êtes du Québec.
Le vice-président : Merci beaucoup à tous. Monsieur Barrett, ce fut une excellente discussion. Nous vous remercions de votre présentation et de vos interventions, qui nous ont grandement enrichis.
M. Barrett : Je vous en prie.
Le vice-président : La séance est levée.
(La séance est levée.)