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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de l'Énergie,
de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 8 - Témoignages du 10 mai 2016


OTTAWA, le mardi 10 mai 2016

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 17 h 40, afin de poursuivre son étude sur les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

Le sénateur Paul J. Massicotte (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je m'appelle Paul Massicotte et je représente la province de Québec au Sénat. À titre de vice-président du comité, je vous souhaite tous la bienvenue au Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Je remplace le président du comité, le sénateur Neufeld, qui regrette de ne pouvoir être présent cette semaine.

J'aimerais également souhaiter la bienvenue aux membres du public qui sont ici présents ainsi qu'à tous les téléspectateurs. Je tiens à rappeler que les séances du comité sont ouvertes au public et qu'elles peuvent être visionnées en web diffusion à l'adresse www.sen.parl.gc.ca. Vous trouverez aussi des renseignements sur l'horaire de la réunion et sur les témoins sous l'onglet Comités du Sénat. J'invite maintenant les sénateurs à se présenter.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald de Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Bonsoir, je m'appelle Pierrette Ringuette, sénatrice du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Seidman : Bonsoir, je m'appelle Judith Seidman, sénatrice de Montréal, au Québec.

Le sénateur Mockler : Bonsoir, je m'appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Johnson : Janis Johnson du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Massicotte : J'aimerais également vous présenter notre personnel en commençant par notre greffière, Marcy Zlotnick, et nos deux analystes de la Bibliothèque du Parlement, Sam Banks et Marc LeBlanc.

Nous en sommes à notre huitième réunion sur l'étude des effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Il s'agit d'une transition nécessaire pour atteindre les objectifs annoncés par le gouvernement du Canada en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. C'est avec plaisir que nous accueillons les témoins qui comparaissent aujourd'hui. Dans la salle, ici présent, Mike Cleland, agrégé supérieur de l'Université d'Ottawa, comparaît à titre personnel. Par vidéoconférence, en direct de l'Alberta, Andrew Leach, professeur agrégé de l'Alberta School of Business, Université de l'Alberta, comparaît aussi à titre personnel. En outre, nous accueillons également par vidéoconférence, de l'école HEC de Montréal, M. Pierre-Olivier Pineau, professeur titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie.

Je constate que les témoins d'aujourd'hui, ont déjà comparu devant notre comité. Nous sommes heureux de vous accueillir de nouveau. Je vous invite à faire votre déclaration préliminaire. Par la suite, nous passerons à la période des questions. J'aimerais déposer une motion, étant donné que le discours de M. Cleland est seulement en anglais. Le document a été envoyé au service de la traduction. Je demande votre autorisation pour faire circuler la version anglaise.

Le sénateur Mockler : Je propose que l'on écoute le discours en anglais en attendant la traduction française du document que nous recevrons sous peu.

Le sénateur Massicotte : Êtes-vous tous d'accord? Oui. Monsieur Cleland, vous avez la parole.

[Traduction]

Mike Cleland, agrégé supérieur, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président, et je vous remercie pour cela. La chose importante que je mentionnerai, ce sont les diagrammes figurant dans ma présentation.

Merci de me donner l'occasion de discuter avec vous de cette affaire importante.

Les commentaires que je formulerai aujourd'hui, sont les miens. Je me présente à titre personnel, mais j'ai deux affiliations qui sous-tendent mes commentaires. La première est le titre d'agrégé supérieur à l'Université d'Ottawa, mais je suis aussi président du conseil d'administration du Canadian Energy Research Institute, ou CERI. Le personnel du CERI m'a aidé à rédiger ma déclaration.

Je veux présenter quatre points de vue. Premièrement, il est très logique qu'au départ on se concentre sur l'électricité, pour des raisons que j'expliquerai en détail dans une minute.

Deuxièmement, il est essentiel de tenir compte de l'électricité, en ce qui a trait à l'ampleur du défi que représente l'atteinte d'une réduction supplémentaire de 30 p. 100 à l'échelle de l'économie d'ici 2030 et au rôle que joue l'électricité dans le mélange d'énergies.

Troisièmement, la création d'une électricité sans carbone ne sera pas bon marché, et 2030 approche plus vite que nous le pensons.

Enfin, je veux formuler quelques commentaires sur les défis que présente ce qu'on appelle maintenant l'« électrification profonde », qui supposerait une énorme augmentation ou expansion du réseau électrique.

Pour revenir au premier élément, nous savons tous que le Canada est doté d'un réseau électrique à faibles émissions de gaz à effet de serre. Ce qui est important pour l'avenir, c'est l'éventail d'options qui permettront de les réduire encore davantage, et ces options sont nombreuses, quoique différentes dans diverses régions. Elles rendent les émissions plus susceptibles d'être réduites dans le secteur de l'électricité que dans d'autres secteurs et rappellent pourquoi l'électricité est un bon point de départ.

L'élément le plus important à long terme concerne la notion selon laquelle l'élimination de nombreuses sources de combustion distribuées dans les véhicules, les immeubles et l'industrie grâce à la conversion à l'électricité pourrait — et j'insiste sur le terme « pourrait » —, à long terme, être la voie la plus rentable vers une économie à très faibles émissions de carbone. Bien entendu, le secteur de l'énergie à faibles émissions deviendrait alors le fondement.

Voilà pour les bonnes nouvelles.

La mauvaise nouvelle, c'est que le défi reste de taille. Le tableau 1 montre la trajectoire des émissions du Canada au cours des trois dernières décennies et la prévision jusqu'en 2030 mises en comparaison avec nos engagements majeurs de Kyoto, de Copenhague et, hypothétiquement, de Paris. Une certaine tendance commence à ressortir.

Commençons par la base de référence. Ce dont bien trop de gens tenaient compte dans les années 1990, c'est le fait que les émissions de GES ne sont pas comme un polluant conventionnel; elles sont plutôt profondément ancrées dans l'économie et dans la société... omniprésentes, liées à pratiquement toutes les activités que nous menons et stimulées par un capital social qui a souvent une grande longévité, y compris les immeubles et même la conception de nos collectivités. Le fait que nous n'avons pas réussi à atteindre les cibles de Kyoto et de Copenhague reflète ce manque de sensibilisation et de bon sens.

La trajectoire sous-jacente ralentit en passant d'une moyenne annuelle de près de 2 p. 100 dans les années 1990 à quelque chose qui se rapproche davantage de 1 p. 100 au cours de la majeure partie de la dernière décennie, et c'est utile. Nous avons observé une réduction importante après 2008, mais il s'agissait d'un événement isolé provoqué par une profonde récession et par la conversion des centrales au charbon de l'Ontario.

Par contre, lors d'engagements successifs, le Canada a proposé de renverser brutalement cette tendance et de passer d'une croissance de 1 à 2 p. 100 à des réductions de 4,1 et de 1,2 p. 100 par année, à Kyoto et à Copenhague respectivement, et, si nous adoptons les 30 p. 100 de Paris, le chiffre correspondant est 3,1 p. 100.

Mon argument est aussi simple que malvenu. La probabilité que nous atteignions cette cible de 2030 en l'absence d'un ralentissement économique majeur ou d'un programme accéléré de remplacement des infrastructures est presque nulle. La question consiste à déterminer si c'est important. Notre véritable objectif devrait peut-être consister à pousser progressivement cette trajectoire de base vers une réduction et à accélérer éventuellement une réduction qui sera viable à long terme.

Il importe également de ne pas oublier que le rôle que joue l'électricité dans notre panier de sources d'énergie pour utilisation finale est en fait assez petit. Le tableau 2 montre que l'électricité compte pour un peu plus de 20 p. 100 de l'énergie produite au pays. Du point de vue des émissions, c'est moins : environ 10 p. 100. Autrement dit, un secteur de l'électricité à faibles émissions de GES est d'une importance cruciale, mais, à partir de là, il y a beaucoup de chemin à faire pour atteindre une économique à faibles émissions de GES.

Mon troisième argument est le suivant : même le fait d'obtenir une électricité à faibles émissions de carbone nécessitera un travail acharné. Bien entendu, il s'agit de la base de votre programme de travail immédiat, et vous entendrez de nombreux témoins qui s'y connaissent beaucoup mieux de moi quant aux détails vous le dire, mais il pourrait être utile de songer aux principales questions qui doivent être posées.

La question fondamentale est la suivante : jusqu'où devrions-nous aller et à quelle vitesse? Comme je l'ai laissé entendre il y a une minute, 2030 n'est qu'une date. Le problème tient à une trajectoire viable à long terme.

Il est possible d'agir rapidement, comme l'a montré l'Ontario avec son secteur de l'électricité. La question de savoir s'il s'agissait d'une sage décision est matière à débat. Quoi qu'il en soit, ce qui pourrait être intéressant, ce serait de savoir combien a réellement coûté cette mesure, quel est le prix implicite du carbone qui découle de cette politique, ce que cela coûtera aux consommateurs ontariens dans l'avenir et si les taux extraordinaires de subventions inscrits dans les programmes de l'Ontario constituaient une bonne politique publique. Il pourrait être intéressant de comparer divers profils de coûts, quand une centrale est retirée, quand elle est pleinement amortie par rapport à un retrait accéléré et quel gain une approche permet d'obtenir par rapport à l'autre du point de vue des GES mondiaux.

Il est important que l'on réfléchisse au temps qu'il faudra pour obtenir des résultats et aux périls qui nous attendent dans le cadre de tout grand projet. Vous voudrez peut-être étudier les progrès réalisés grâce à quelques projets électriques et évaluer quelle a été ou quelle sera la période définitive qui se sera écoulée entre la planification et la fourniture de l'électricité, tout cela en gardant fermement à l'esprit la courte période de 14 ans qui nous sépare de 2030.

Il importe que nous réfléchissions au fait que les réseaux énergétiques, et surtout les réseaux d'électricité, sont complexes et sujets à de nombreuses conséquences imprévues lorsque des modifications y sont apportées. C'est particulièrement vrai dans les cas d'équilibrage en temps réel de réseaux fondés sur des énergies renouvelables intermittentes. C'est probablement encore plus vrai dans le cas des réseaux distribués fondés sur de multiples ressources locales. L'utilisation de ressources locales pour créer des réseaux qui sont plus résilients et efficients offre un bon potentiel, mais elle est également beaucoup plus compliquée et sujette à de nombreuses surprises déplaisantes qui pourraient découler de mesures prises trop hâtivement. On pourrait soutenir qu'il faut se hâter lentement.

La plupart des technologies nécessaires à un réseau électrique à faibles émissions de GES existent; la plupart sont commerciales, et leurs coûts ont beaucoup diminué depuis l'époque où le débat sur le climat a commencé, dans les années 1990. La grande exception est le stockage à des fins commerciales, où il sera intéressant de tenir compte de la rapidité avec laquelle la technologique pourrait évoluer et de la mesure dans laquelle les grands projets de stockage pourraient être réalisables. Que ça vous plaise ou non, l'équilibrage du réseau pourrait continuer de reposer pour de nombreuses années sur un parc de turbines au gaz naturel.

Toutes les technologies de production d'électricité entraînent leurs propres conséquences environnementales. De par leur nature, les énergies renouvelables supposent une utilisation intensive des terres, et elles peuvent avoir des effets importants sur l'habitat et sur d'autres ressources. Compte tenu de l'échelle des changements nécessaires non seulement pour remplacer les centrales existantes, mais pour faire croître le réseau de manière à ce qu'il réponde aux besoins ultérieurs, surtout dans le cas où les autres 80 p. 100 des besoins en énergie sont électrifiés, les conséquences environnementales sont loin d'être négligeables.

Il importe également de réfléchir aux conséquences pour les réseaux de transmission. Ceux qui sont fondés sur des ressources éloignées des centres de consommation présentent certaines vulnérabilités, y compris une vulnérabilité face au climat changeant. Bien entendu, la fiabilité et la résilience sont les conditions indispensables des réseaux d'énergie, et nous devrions mûrement réfléchir à ce que devraient être les nouvelles configurations.

Ensuite, il y a la question de l'appui du public. Tous les projets, surtout les grands dont l'empreinte est importante et ceux qui exigent une nouvelle transmission, exigeront une mobilisation du public axée sur la plus grande prudence. Mes collègues et moi, à l'Université d'Ottawa, prenons part à des recherches portant sur la meilleure façon d'acquérir la confiance du public dans le cadre des processus d'approbation. Personne ne connaît vraiment la réponse, et il n'y a pas de bon processus, sauf au cas par cas, mais nous pouvons dire sans trop risquer de nous tromper que les processus d'approbation seront inévitablement plus coûteux, risqués et — si on garde l'objectif de 2030 à l'esprit — bien plus longs.

Mon quatrième argument concerne la poursuite de l'électrification de l'économie. Rappelez-vous que même l'élimination complète des émissions du secteur de l'électricité ne nous rapprocherait que d'une fraction de la cible de 2030... Environ d'un tiers, approximativement, ce qui nous amènerait à faire face en 2030 à un défi encore plus grand pour 2050 et au-delà.

Alors, quel est le potentiel de poursuite de l'électrification? Un exemple que je peux donner, c'est une chose sur laquelle mes collègues du CERI ont un peu travaillé dans le cadre d'une étude portant sur les façons dont diverses options d'hydroélectrification pourraient déplacer les émissions de GES des sables bitumineux, comme le montrent la carte 1 et le graphique 3.

Quelques éléments valent la peine d'être soulignés. Il y a premièrement une grande diversité d'options dans l'ouest du Canada, et, deuxièmement, un vaste éventail de coûts. Comparativement à un cas de base de source d'électricité par coproduction sur place, les diverses options viennent à des coûts marginaux de 20 à 100 $ le mégawatt/heure. Comme le montre le graphique 4, les coûts liés à la réduction des émissions de GES de toutes les options, selon l'équivalent en carbone, sont beaucoup plus élevés que toute taxe sur le carbone actuellement en vigueur, quoique, si la comparaison est faite par rapport à un cas de base de production au charbon déplacée, toutes ces options sont beaucoup plus attrayantes.

Le secteur des transports est un secteur qui semble attirer beaucoup l'attention, mais, à mesure que nous allons dans cette direction particulière, nous devrions être conscients de certaines réalités. Premièrement, le domaine où la croissance est importante en ce qui a trait aux émissions provenant des transports, c'est celui des véhicules lourds utilisés pour le transport de fret, qui, dans la plupart des cas, ne se prête pas à l'électrification. Deuxièmement, les rapports faisant état de la mort du moteur à combustion interne sont très exagérés ou, du moins, prématurés. Il est très probable que les gains en efficience des moteurs et des véhicules qu'ils propulsent, y compris les technologies hybrides, traceront la voie des réductions d'émissions. Les combustibles de rechange, y compris le gaz naturel, et, peut-être, les biocarburants, apporteront également une contribution. Dans tous les cas, en ce qui concerne les véhicules électriques, le Canada suivra la technologie, à mesure que les grands marchés et les grands pays fabricants de véhicules façonneront l'avenir.

Enfin, je veux vous laisser sur une mise en garde concernant l'utilisation de l'électricité pour le chauffage, dans le secteur des bâtiments ou dans le secteur industriel. Dans un reportage récent du Conseil des académies canadiennes, auxquelles j'ai contribué à titre de membre d'un groupe d'experts, nous avons conclu qu'à long terme, à mesure que les bâtiments atteindront des taux d'efficience élevés, l'électricité deviendra une option viable pour le chauffage d'espaces. Ces types d'immeubles sont encore rares et continueront de l'être pour un certain temps dans l'avenir. Le chauffage électrique de bâtiments classiques ne serait réalisable qu'à un équivalent du prix du carbone qui serait économiquement déraisonnable, c'est le moins qu'on puisse dire.

En conclusion, laissez-moi ajouter un point crucial, encore une fois, qui concorde avec le rapport du Conseil des académies canadiennes. Même les petites mesures pour l'atteinte de la cible de 2030 seront difficiles à prendre sans une politique obligatoire stricte, et cela veut dire soit par l'établissement de prix, comme dans le cas de la taxe sur le carbone, ou sous la forme de réglementation, avec ou sans plafonnement et échange.

Les taxes sur le carbone de la Colombie-Britannique — et, bientôt, de l'Alberta — sont de bonnes mesures qui vont dans la bonne direction pour ce qui est de placer ces administrations près de la tête du peloton mondial en ce qui a trait à l'effort pondéré, mais, à mesure que vous approfondirez le problème, vous vous rendrez compte qu'un prix de 30 $ la tonne est bien inférieur à l'effort pondéré qui pourrait nous mener à un taux de 30 p. 100 inférieur à celui de 2005 d'ici 2030.

Un prix sur le carbone devrait également être accompagné de bien d'autres mesures réglementaires que celles que nous avons été disposés à demander aux Canadiens d'encaisser jusqu'ici et de dépenses bien plus importantes que ce que les contribuables pourraient être disposés à soutenir. En outre, n'oubliez pas tout le temps, dans la période qui nous sépare de 2030, qui pourrait être absorbé par la simple mise en place de règlements et de programmes de dépenses, et il nous en resterait encore bien moins pour les mettre en œuvre. Enfin, une mosaïque hâtive de mesures fédérales et provinciales non coordonnées serait beaucoup moins efficiente qu'un effort bien coordonné, et la coordination prend du temps.

Le poids des mesures nécessaires pour atteindre la cible théorique de 2030 nous placerait bien en avant de la plupart des autres pays du monde. Il n'est pas évident que le poids de nos mesures puisse ou doive être bien plus important que celui d'autres pays, quand leur effet sur les émissions mondiales serait, au mieux, négligeable, surtout lorsque la possibilité d'atteindre la cible de 2030 est minime. À mes yeux, la question cruciale en ce qui concerne le rang du Canada dans le monde est non pas de savoir où nous nous situons par rapport à la cible de 2030, mais plutôt si le poids de nos efforts est comparable à celui des meneurs, s'il est crédible dans le contexte de notre économie axée sur les ressources et encore dépendante aux hydrocarbures et s'il correspond à l'adoption d'une trajectoire viable à long terme relativement aux émissions.

Depuis 1990, la politique climatique du Canada est marquée par des engagements à l'égard de cibles excessives et par une situation presque inversement proportionnelle du point de vue des mesures prises. Si votre étude peut nous amener à nous concentrer sur des mesures qui sont physiquement, économiquement et politiquement pratiques au lieu d'être encore une autre cible hors d'atteinte, alors vous aurez apporté une grande contribution.

Andrew Leach, professeur agrégé, Alberta School of Business, Université de l'Alberta, à titre individuel : Merci de m'avoir invité aujourd'hui. Je suis ravi de prendre la parole devant vous.

Je voudrais vous parler de chacun des quatre volets du mandat de votre étude. Je pense être raisonnablement bien placé, maintenant, pour commenter ces aspects, surtout compte tenu de mon rôle récent de président du groupe consultatif sur le leadership en matière de climat du gouvernement de l'Alberta, mais veuillez interpréter ma déclaration comme étant celle d'une seule personne, car elle ne reflète pas le travail de ce groupe consultatif ni la position du gouvernement de l'Alberta sur ces sujets.

En ce qui concerne le premier élément de votre mandat, c'est-à-dire les conséquences de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, j'indiquerais qu'elle est, selon moi, la question la plus importante pour les entreprises et les ménages canadiens, c'est-à-dire si nous préparons une transition qui est harmonisée avec celle d'autres pays. M. Cleland a déjà souligné cette question, mais les politiques qui poussent le Canada vers une empreinte plus faible en carbone sont susceptibles d'être beaucoup plus coûteuses pour notre économie —, et, en parallèle, moins efficaces pour ce qui est d'atténuer les changements climatiques — si elles ne sont pas égalées par des politiques semblables dans d'autres administrations. Ces politiques serviraient simplement à faire passer les émissions à d'autres administrations, pas à les réduire.

Même si vous considérez le coût de ce que nous appelons les « conséquences de la fuite des émissions » comme étant relativement peu élevé, en moyenne, pour l'économie canadienne, il importe de souligner qu'il y a des distributions régionales et locales très distinctes de ces conséquences qui sont éclipsées par l'utilisation de moyennes. Des travaux récents de la Commission de l'écofiscalité du Canada ont montré, en particulier, que des politiques strictes auraient des conséquences disproportionnées sur l'Alberta et sur la Saskatchewan que sur d'autres provinces canadiennes du fait que leurs industries sont plus exposées au commerce et qu'une plus grande partie de ce commerce est liée à une production industrielle à forte intensité d'émissions.

Je voudrais mettre en relief, pour vous et pour les Canadiens, le fait que, oui, c'est vrai si nous n'examinons que les moyennes provinciales, mais, à l'intérieur de chaque province, il y aura également des conséquences régionales et des conséquences à l'échelon sous-provincial qui reflète ces conséquences perturbatrices à l'échelon national. Je m'inspirerai de Sarnia comme exemple d'endroit où l'économie locale dépend d'industries qui sont considérées à tous points de vue comme étant à forte intensité d'émissions, dans les secteurs du raffinage de pétrole et des produits pétrochimiques exposés au commerce. Même si, en soi, l'Ontario pourrait se présenter comme ayant une portée limitée relativement aux conséquences dues à l'exposition au commerce, certaines de ses régions ressentiront certainement ces efforts.

Le deuxième élément que je voudrais aborder concernant la transition de l'économie mondiale en est également un que M. Cleland a évoqué plus tôt : la façon dont nous jugeons les politiques crédibles. Selon moi, la norme en fonction de laquelle nous devrions nous pencher sur cette question, que ce soit pour l'Alberta ou pour le pays, consiste à déterminer si nous envisageons d'imposer au pays des politiques qui, si elles étaient imposées dans d'autres administrations du monde, mèneraient à l'atteinte des buts mondiaux, qu'il s'agisse d'un but comme celui des deux degrés Celsius ou d'un but plus ambitieux, comme celui du 1,5 degré Celsius.

Il y a deux ou trois éléments qui, selon moi, valent la peine d'être développés, alors laissez-moi essayer de le faire. La première chose que nous voulons faire lorsque nous comparons des politiques, c'est de faire attention pour nous assurer d'étudier les mesures graduelles imposées au pays et ailleurs dans le but de lutter contre les changements climatiques. Nous ne voulons pas étudier précisément des politiques qui sont déjà en place, dont nous avons changé l'étiquette ou des cas où nous remplaçons des politiques existantes par de nouvelles politiques sous prétexte de prendre des mesures contre les changements climatiques. Nous voulons en fait nous pencher sur l'ensemble de l'économie et sur les mesures graduelles que nous avons prises dans le but de régler ce problème stratégique.

Le deuxième élément de cette déclaration, c'est la question de savoir si nous fondons notre analyse sur le caractère strict des politiques ou sur les réductions d'émissions obtenues ou pouvant être obtenues grâce à l'imposition de ces politiques. Si l'effet de politiques imposées à l'échelle mondiale est facile à mesurer, il est beaucoup plus difficile de trouver une réponse exacte à la question de savoir quelles cibles chacun des pays devrait atteindre parce que cette question touche beaucoup plus que l'économie, les émissions et les modèles énergétiques. Il s'agit de questions de morale, d'éthique et de distribution mondiale, auxquelles il est beaucoup plus difficile de répondre, même si nous ne pouvons pas les éviter complètement.

L'exemple que j'ai porté à votre attention, ce sont des travaux comme le scénario des 450 parties par million de l'Agence internationale de l'énergie, qui pose la question suivante : quelles politiques faudrait-il qu'on nous impose, à l'échelle planétaire, pour que l'on puisse atteindre ce but? Dans le cas des politiques dont nous avons recommandé la mise en œuvre en Alberta, notre point de mire a toujours été de nous demander si nous pouvons nous fonder sur des études comme celle-là pour trouver une justification qui dirait : si le monde mettait en œuvre ces politiques, serions- nous sur la voie d'atteindre les buts mondiaux? Même si le prix sur le carbone imposé à l'Alberta n'est pas tout à fait aussi élevé qu'il serait nécessaire pour atteindre ces buts, d'autres mesures comme la réduction importante des émissions de méthane ainsi que l'élimination graduelle de l'électricité au charbon, contribueraient grandement à l'atteinte des buts mondiaux, si ces mesures étaient mises en œuvre à l'échelle planétaire.

La prochaine partie de votre mandat pose la question au sujet de la façon la plus viable d'y parvenir. Il y a un moyen facile de s'en sortir pour un économiste, qui consiste à dire que l'on a besoin de tarifer le carbone. Malheureusement, nous avons beaucoup eu recours à cette solution, un peu comme une panacée, pour deux raisons. La première est que nous l'avons utilisée comme un substitut de politiques directes. Lorsqu'une personne affirme qu'on devrait tarifer le carbone, elle veut souvent dire fixer un prix strict ou un prix plus élevé sur le carbone que celui que nous avons déjà établi. Il importe de se rappeler qu'en réalité, la simple tarification du carbone ne suppose pas du tout de rigueur. L'autre chose importante qu'il faut se rappeler, c'est que le prix sur le carbone n'est pas une panacée, même du point de vue de l'économiste standard, car il y a de nombreux cas où, à lui seul, le prix du carbone ne transmettra pas de signal tarifaire aux consommateurs, ou bien il interagira de façon négative avec d'autres politiques déjà en vigueur dans l'économie.

M. Cleland a déjà beaucoup parlé au sujet de l'électricité, alors je ne vais pas trop m'étendre sur ce sujet, mais je veux parler un peu du pétrole et du gaz, car vous faites face à un problème en deux volets. Le premier, c'est comment réduire les émissions de notre secteur pétrolier et gazier, au pays, mais le plus important, c'est comment préparer notre secteur pétrolier et gazier à être concurrentiel et à pouvoir obtenir sa part du marché dans un monde où les émissions de carbone sont limitées. Cela illustre une partie du débat que nous avons entendu au sujet des réserves qui sont laissées dans le sol, et cetera. Le fait que certaines ressources physiques ne seront pas produites est essentiellement une conséquence inévitable de la politique mondiale stricte en matière de gaz à effet de serre. Il y en aurait probablement un grand nombre qui ne se serait pas produit de toute manière en raison des forces du marché.

Au Canada, nous devrions être préoccupés non seulement au sujet des émissions découlant de notre production, mais aussi pour ce qui est de savoir si nous sommes bien placés ou non du point de vue des ressources à faible coût et des ressources à faibles émissions pour être concurrentiels et pour obtenir notre part du marché mondial. Cela signifie qu'il faut concevoir des politiques qui encouragent la mise en valeur des ressources produisant les émissions les plus faibles, pas simplement toutes les ressources en tout temps.

Je veux accélérer un peu la cadence, car je suis conscient du temps qui s'écoule. La dernière partie de votre mandat concerne l'utilisation d'études de cas d'autres administrations. Je veux aborder un peu notre expérience à cet égard en Alberta pour vous adresser une mise en garde. Je vais utiliser un exemple à cette fin, puisqu'il porte sur le sujet des études de cas.

Durant nos délibérations, le comité sur le climat du Royaume-Uni a publié un rapport qui montrait, dans son libellé, et sans équivoque, que l'utilisation de l'énergie renouvelable en complément de l'électricité au gaz naturel présentait une source d'électricité à moindre coût pour le Royaume-Uni. Même si ce rapport est instructif d'un point de vue britannique, il n'ajoute pas grand-chose à la discussion au Canada pour une très simple raison : l'analyse qu'il contient a été effectuée à l'aide d'un prix de 9 $ par gigajoule pour le gaz naturel. Aujourd'hui, le prix du gaz naturel est d'environ 75 ¢, en Alberta. Quand on utilise une analyse effectuée en fonction de la situation dans une administration, on ne peut pas nécessairement l'appliquer à d'autres. Le prix du gaz n'est qu'un exemple. Il peut aussi y avoir des différences du point de vue de la structure des marchés ou de l'accessibilité de solutions de rechange, ou bien même simplement des effets du taux de change qui rendent une étude moins applicable à une autre administration qu'elle le serait autrement.

Votre mandat vous demande d'étudier les aspects qui suscitent des préoccupations. Je pense que je me ferai l'écho du commentaire final de M. Cleland. Depuis que j'ai commencé à travailler sur ce sujet — et je m'attends à ce que nous soyons tous d'accord là-dessus —, les premiers ministres canadiens, de Chrétien à Trudeau, en passant par Martin et Harper, se sont essentiellement très bien entendus pour établir des cibles très ambitieuses. Là où chacun d'entre eux a échoué, jusqu'ici, c'est en ce qui concerne l'établissement de politiques qui correspondent à ces cibles, ou même le fait de fixer des attentes pour les Canadiens à l'égard de la rigueur des politiques requises pour atteindre ces cibles.

Oui, nous avons établi un tarif sur le carbone dans de nombreuses provinces ainsi qu'en Alberta; toutefois, la modélisation est très claire : la tarification du carbone à 15 à 30 $ par tonne et les autres politiques que nous avons mises en place ne nous permettront pas d'atteindre nos cibles de 2030. Elles ne nous en approcheront même pas. Il faut que nous ne commencions pas nécessairement par simplement évoquer la possibilité d'adopter des politiques plus strictes. Nous ne devons pas non plus parler autant des cibles. Comme l'a aussi affirmé M. Cleland, commençons par discuter de ce que sont nos politiques et de leur situation par rapport à celles d'autres administrations puis, mettons en place au Canada des politiques qui répondent au critère de la crédibilité : si elles étaient appliquées dans le monde entier, permettraient-elles au monde d'atteindre les buts mondiaux?

Merci beaucoup de votre travail sur cet important sujet et de m'offrir la possibilité de prendre la parole devant vous aujourd'hui.

Pierre-Olivier Pineau, professeur titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie, HEC Montréal : Merci de m'avoir invité. Mon exposé portera essentiellement sur trois grandes questions.

Premièrement, je ferai valoir que la transition vers une économie à faibles émissions de carbone peut enrichir le Canada, surtout dans le secteur de l'électricité. Deuxièmement, les habitudes et l'inertie sociale actuelles sont les principaux obstacles, pas la technologie ni les coûts. Troisièmement, je conclurai en disant que l'argument que je formule concernant l'électricité peut également être utilisé dans le cas des secteurs des transports, du bâtiment et de l'agriculture.

Dans le secteur de l'électricité au Canada, il existe un grand fossé. Il y a de nombreuses façons de diviser les provinces au Canada, et l'une d'elles est leur accès à l'hydroélectricité. Comme vous le savez, trois provinces — le Québec, le Manitoba et la Colombie-Britannique — ont beaucoup d'hydroélectricité, et les prix y sont bas et la consommation y est élevée. En effet, comme il s'agit d'hydroélectricité, ces provinces ont des émissions de gaz à effet de serre extrêmement basses. À l'autre bout du spectre, quatre provinces — l'Alberta, la Saskatchewan, le Nouveau- Brunswick et la Nouvelle-Écosse — ont relativement peu d'hydroélectricité, des prix beaucoup plus élevés, habituellement une consommation plus faible d'électricité et des émissions de gaz à effet de serre importantes.

Par exemple, en Alberta et en Saskatchewan, 20 p. 100 de leurs émissions viennent du secteur de l'électricité. Au Québec, en Colombie-Britannique et au Manitoba, ce pourcentage est près de zéro. Au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, plus de 30 p. 100 de leurs émissions de gaz à effet de serre totales viennent du secteur de l'électricité. C'est différent en Ontario parce que celle-ci possède de l'hydroélectricité, mais a un réseau de centrales nucléaires coûteux qui réduit la consommation à un faible niveau. Étant donné qu'elle utilise le nucléaire et l'hydroélectricité, son niveau d'émissions est très bas.

Le fossé de la production d'électricité au pays est extrêmement inefficace, car le réseau a été établi pour que les provinces productrices d'hydroélectricité s'alimentent principalement elles-mêmes et ne vendent pas leur hydroélectricité aux autres provinces. Elles se la vendent à elles-mêmes à un prix réduit, fondé sur le coût de production. Pourquoi est-ce inefficace? Eh bien, vous vous souvenez tous du Programme énergétique national, qui consistait pour l'essentiel à vendre du pétrole au Canada à un prix inférieur à celui du marché international. Bien entendu, tout le monde était contre cette politique inefficace parce qu'on diminue ainsi les revenus des producteurs et on encourage la consommation à l'endroit où l'accès à cette énergie à bas prix est offert. C'est exactement ce qui se passe avec l'hydroélectricité au Canada.

Ces provinces privilégiées qui possèdent d'énormes quantités d'énergie hydroélectrique surconsomment cette énergie. Cela crée une dépendance exagérée à la production par terminaux dans les provinces n'ayant pas d'hydroélectricité. L'avantage de l'hydroélectricité, qui peut essentiellement être utilisée pour compenser une production intermittente au moyen d'une réserve d'énergie hydroélectrique ne peut pas être partagé de façon égale partout au Canada, parce que l'équilibrage de l'énergie éolienne au Québec est établi en fonction des besoins du Québec et non de ceux de l'Ontario. L'Ontario ne peut pas comme le Québec compenser une production d'énergie éolienne intermittente.

C'est la même chose pour l'Alberta et la Colombie-Britannique. On ne peut pas utiliser les réserves d'énergie hydroélectriques de la Colombie-Britannique pour compenser une production éolienne intermittente en Alberta. Tous ces avantages des réseaux hydroélectriques ne sont pas partagés, et cela va au-delà du fait que l'énergie dans ces provinces où il y a de l'hydroélectricité n'est pas partagée.

Essentiellement, la réforme du secteur de l'électricité serait bénéfique non seulement pour l'environnement, mais aussi pour les producteurs du Québec, du Manitoba et de la Colombie-Britannique, qui générerait de plus grands revenus. En plus, cela entraînerait une réduction du coût de l'électricité dans les provinces importatrices.

La semaine dernière, Don Wharton, de la TransAlta Corporation, a témoigné devant votre comité. Il a essentiellement dit que si on relie Manitoba Hydro à l'Alberta et on ajoute un prix du carbone, on abaisserait le prix en Alberta. Les producteurs des provinces qui ne comptent pas sur l'hydroélectricité savent très bien que si vous reliez les provinces entre elles, c'est une menace à leur propre marché parce que cela aura un impact défavorable sur les prix. Cela signifie que les prix baisseront dans ces provinces en raison des importations. Il peut y avoir un impact énorme sur les prix si on augmente ces importations.

Bien entendu, cela ferait grimper le prix dans les provinces exportatrices. C'est une des raisons pour lesquelles nous ne passons pas à un tel système. C'est parce que les consommateurs au Québec, en Colombie-Britannique et au Manitoba ne veulent pas des prix plus élevés. Il y a une explication politique très facile de la raison pour laquelle nous ne voyons pas un tel système, mais, d'un point de vue économique, les prix plus élevés payés par les consommateurs dans les provinces productrices d'hydroélectricité seraient plus que compensés par l'augmentation des profits que le producteur toucherait. C'est Hydro-Québec, Manitoba Hydro et BC Hydro. L'amélioration du commerce entre les provinces causerait un gain économique net et cela réduirait les émissions de gaz à effet de serre. J'ai écrit des articles à ce sujet. Je peux vous transmettre les articles universitaires parus dans des revues à comité de lecture qui illustrent ces gains. Il y a de réels gains économiques, et cela permettrait au Canada entier d'avoir un secteur de l'électricité à faibles émissions de carbone.

Alors, pourquoi ne changeons-nous pas? Pourquoi ne passons-nous pas à un tel système? Ce n'est pas en raison de lacunes dans la technologie ni des coûts, puisque, dans le cas présent, les coûts sont négatifs. Le Canada serait plus riche s'il passait à un secteur à faible émission de gaz à effet de serre. Bien qu'il y ait une immense résistance politique, bien sûr, comme je l'ai déjà mentionné, de la part des consommateurs dans les provinces productrices d'hydroélectricité et des producteurs dans les provinces qui ne produisent pas d'hydroélectricité, qui résistent aussi à un tel changement. Alors, on peut supposer que TransAlta Corporation, en Alberta, ne serait pas heureuse de voir l'arrivée d'importations moins chères. En Ontario, on a le lobby du nucléaire qui est aussi très influent et qui résiste à l'augmentation des importations du Québec. Même si vous examinez les chiffres pour la remise en état des centrales nucléaires en Ontario, ils sont élevés, et Hydro-Québec serait extrêmement heureuse de pouvoir vendre la même énergie, avec la même fiabilité, à un prix plus bas que ce que les Ontariens paient pour la remise en état des centrales nucléaires.

Bien sûr, au bout du compte, les politiciens voient qu'en ce qui a trait à cette réforme, le jeu n'en vaut pas la chandelle parce qu'ils ont un mandat à court terme, et ces luttes contre leurs propres consommateurs et les producteurs dans d'autres provinces, lorsqu'ils font le calcul, leur font simplement dire : « Nous ne ferons pas de tels changements. »

J'en suis déjà au deuxième volet de mon exposé, à savoir le fait que l'obstacle principal est le poids des habitudes et l'inertie sociale. Même lorsque nous changeons et essayons d'améliorer le système existant... Prenons les compteurs intelligents. Lorsqu'on met en œuvre les compteurs intelligents, on les utilise rarement pour gérer la charge. On les utilise à des fins de lecture, de lecture à distance et aussi pour parfois transmettre un signal de prix. Il y a très peu de gestion de la charge.

Si on se penche sur l'utilisation de l'électricité, on peut faire beaucoup de choses à ce chapitre pour avoir des charges plus flexibles et des charges intermittentes. Si on pense à des charges intermittentes qui peuvent être fermées sans aucun impact sur le consommateur, on pense aux chauffe-eau et même aux réfrigérateurs ou aux congélateurs. Ils conservent la chaleur ou le froid, et on peut les éteindre pendant une heure ou deux sans qu'il y ait un impact important sur l'utilisateur, et ce serait excellent pour le réseau, car si on a une production intermittente et on peut, en même temps, éteindre une partie de la charge avec les compteurs intelligents, alors on peut mieux équilibrer sa charge par rapport à sa production.

On ne fait pas cela pour nombre de raisons. Les distributeurs n'ont pas toujours avantage à gérer la charge de manière très efficace. Pourquoi? Parce que les distributeurs sont rémunérés en fonction de ce qu'ils investissent dans le réseau. Du point de vue des distributeurs, ils ont avantage à investir dans le réseau, dans une charge maximale qui est très élevée, afin de recevoir les sommes prévues par règlement à l'égard de leur l'investissement. On voit un blocage ici : les distributeurs ne mettent pas en place la technologie de gestion de la charge qui est disponible uniquement en raison de questions réglementaires et d'une absence d'incitatifs.

Il est très difficile de changer ces habitudes parce que les consommateurs sont heureux de conserver leurs habitudes actuelles. Ils ne sont pas vraiment disposés à avoir plus de technologies, mais tout cela se produirait, essentiellement, si ces changements étaient effectués pour rendre le service plus rentable. On serait en mesure d'assurer cette gestion de la charge d'une manière beaucoup plus efficace, et on pourrait suivre une production intermittente — l'éolien, par exemple — beaucoup plus facilement. En outre, si on relie cela à une province qui produit de l'hydroélectricité, alors, on peut essentiellement tirer parti de l'équilibre que procurent les réserves d'énergie hydroélectrique, et on peut faire cela de manière beaucoup plus efficace.

Permettez-moi seulement de dire, pour conclure, que des arguments similaires pourraient être appliqués aux secteurs du transport, du bâtiment et de l'agriculture.

Prenons le secteur du transport, où il y a eu une augmentation des émissions de 32 p. 100 au cours des 25 dernières années. Où les Canadiens dépensent-ils leur argent lorsqu'ils achètent une automobile? Lorsqu'on regarde les chiffres, les Canadiens achètent un nombre record d'automobiles. Ils dépensent des sommes d'argent records, non pas pour s'acheter des automobiles, en réalité, mais pour des camionnettes. Essentiellement, à ce moment-ci dans l'histoire, nous avons des Canadiens qui dépensent de plus en plus d'argent pour s'acheter des camionnettes, ce qui signifie qu'ils sont prêts à payer plus pour être en mesure de consommer plus d'essence parce qu'ils aiment leur camionnette.

Je n'ai rien contre les camionnettes, et je sais qu'ils sont confortables, mais du point de vue des politiques publiques et de la dette des ménages, ils ne représentent pas le choix le plus judicieux. Le fait d'avoir une réglementation ou d'imposer des frais supplémentaires à l'égard des camionnettes aiderait les Canadiens à maîtriser leur endettement. Cela les amènerait à dépenser moins d'argent pour l'automobile, et cela réduirait les émissions parce qu'ils achèteraient de plus petites automobiles qui émettraient tout simplement moins de gaz à effet de serre.

Pour ce qui est du transport de marchandises, lequel a connu une augmentation importante qui, selon M. Cleland, ne pourrait pas être électrifiée, il y a quelque chose que les Canadiens n'ont pas compris. Il existe une technologie qui peut être dix fois plus efficace que les poids lourds pour transporter la même quantité de marchandises sur un kilomètre. C'est la voie ferrée. Le transport ferroviaire utilise un dixième de l'énergie pour déplacer une tonne de marchandises sur un kilomètre, et il n'y a pas eu d'investissement majeur dans les corridors ferroviaires au Canada. La majeure partie de la croissance du transport de marchandises lourdes a été enregistrée par les camions lourds, et ce n'est pas la manière la plus efficace de transporter des marchandises d'un bout à l'autre du Canada et de l'Amérique du Nord.

Si le gouvernement mettait en œuvre des politiques pour avoir plus de voies ferrées et adoptait des politiques pour aménager ces corridors ferroviaires, nous pourrions rapidement, d'ici cinq à dix ans, faire passer au ferroviaire 50 p. 100 des marchandises lourdes transportées par camion sur de longues distances, et ce, à un dixième du coût en énergie. Sur le plan des coûts réels, le transport ferroviaire ne coûte pas plus cher que le transport par camion. Oui, il y aurait une certaine adaptation sur le plan logistique, mais on réaliserait des gains en efficacité dans l'ensemble du système.

Lorsque nous parlons des bâtiments et d'une augmentation de 20 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre au cours des 20 dernières années, si on parle aux entreprises qui gèrent la consommation d'énergie dans les bâtiments, elles vous diront toutes qu'on peut faire des gains importants seulement en adoptant un système proactif de gestion de l'énergie dans le bâtiment, ce que la plupart des entreprises n'ont pas. En adoptant une réglementation plus stricte et en gérant davantage l'énergie dans les bâtiments, on peut réduire sa consommation d'énergie dans les bâtiments de 15 à 20 p. 100, et ce serait à court terme. Bien sûr, à moyen et à long termes, il faudrait procéder à des rénovations majeures et avoir un code du bâtiment plus strict pour les nouveaux bâtiments.

Il est faux de dire que nous ne pouvons pas faire quelque chose avec le parc immobilier actuel. Nous pouvons faire beaucoup de choses. Il pourrait y avoir des mesures incitatives, et celles-ci offrent habituellement des façons efficaces de réduire la consommation d'énergie dans les bâtiments. Les gens ne font pas de rénovation parce que ce n'est pas leur priorité. Comme l'énergie est bon marché au Canada et qu'il est éprouvant psychologiquement de procéder à ce type de rénovation ou d'adaptation, les gens résistent habituellement à entreprendre la rénovation de leur bâtiment. Ils préféreraient plutôt rénover leur cuisine ou leur salle de bain, ce qui embellit leur maison et facilite sa vente au sein de la famille ou à des investisseurs, mais en matière d'efficacité énergétique, ces investissements importants ne sont pas judicieux sur le plan économique. On pourrait réaliser nombre de gains dans les secteurs du bâtiment.

Mon dernier exemple serait le secteur agricole, où les émissions ont connu une croissance de 28 p. 100 au cours des 25 dernières années. L'agriculture est un secteur qui est fortement subventionné. L'OCDE, chaque année ou tous les deux ans, publie des chiffres sur les subventions accordées au secteur agricole. C'est un secteur que nous finançons, et c'est un secteur, dans lequel, au moyen de différents types de subventions, nous réduisons le prix de la production. Cela entraîne essentiellement une surconsommation de la nourriture dans notre société. Nous subventionnons la production agricole, qui émet une part importante de nos émissions. Elle n'émet pas de CO2. Elle émet davantage de méthane et de N2O, qui sont le deuxième et le troisième gaz à effet de serre émis au monde qui contribuent aux changements climatiques.

Nous vivons à une époque où tous les médecins disent que nous devons avoir une alimentation plus équilibrée. Nous souffrons d'obésité. Nous continuons de subventionner le secteur de l'agriculture, qui est une source importante — 10 p.100 — des émissions de gaz à effet de serre au Canada. De même, nous avons au Canada un secteur, où nous subventionnons les émissions. Le fait de diminuer ces subventions réduirait essentiellement les gaz à effet de serre et renforcerait le Canada parce que nous cesserions de gaspiller les deniers publics pour la production subventionnée.

Bien sûr, je suis tout à fait conscient des défis politiques reliés à ce que je dis, mais le message principal que je veux transmettre à votre comité est que les principaux obstacles ne sont pas les coûts. Ce ne sont pas les lacunes de la technologie. Ce sont l'inertie et l'absence de courage politique pour ce qui est d'instaurer des réformes qui enrichiraient le Canada et réduiraient également les gaz à effet de serre. Elles ne nous assureraient pas à coup sûr une économie exempte d'émissions de gaz à effet de serre, mais nous ferions les premiers pas vers l'atteinte de la réduction de 30 p.100 que nous visons pour 2030, et cela se ferait en réalisant un gain économique pour les Canadiens.

Merci beaucoup de votre attention

Le vice-président : Passons maintenant aux questions. Nous commencerons avec la sénatrice Seidman.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de vos exposés.

Monsieur Cleland, vous avez dit dans votre exposé que c'est une question de soutien public et que vos collègues et vous-même à l'Université d'Ottawa menez des recherches afin d'examiner la meilleure façon de renforcer la confiance du public dans les processus d'approbation.

À ce propos, je vais vous demander de parler plus en détail, au-delà de la meilleure manière de renforcer la confiance et les processus d'approbation, de l'idée d'informer les Canadiens relativement à ce nouveau projet que nous sommes sur le point d'entreprendre, qui a clairement un impact et a probablement — au bout du compte — un impact sur le portefeuille des Canadiens. Un récent article dans Policy Magazine, intitulé « Reducing Carbon : Are Canadians Willing to Pay for their Good Intentions », a révélé que, même si la plupart des Canadiens sont d'accord avec les mesures nécessaires pour combattre les changements climatiques et réduire les émissions de carbone, ils ne sont pas prêts à en assumer le coût. En fait, les changements climatiques étaient une priorité pour seulement 6 p. 100 des Canadiens.

Veuillez nous faire bénéficier des fruits de votre recherche afin que nous puissions comprendre comment nous allons convaincre les Canadiens.

M. Cleland : Si vous me le permettez, je tenterai de vous l'expliquer. C'est une grande question. Vous avez parlé du fait d'informer les Canadiens. Je dirais qu'il s'agit d'un élément important de la solution. Nous devons y consacrer du temps.

Tout commence par la disponibilité de l'information sur l'énergie. À mon avis, c'est un domaine où le Canada pourrait investir et à l'égard duquel il accuse un certain retard. Dans le domaine de l'information sur l'énergie mise à la disposition du public, selon les normes mondiales, le Canada ne s'en sort pas particulièrement bien. C'est probablement un aspect auquel nous devrions porter attention. Mais nous ne devrions pas nous attendre à grand-chose à cet égard.

Les données probantes, puisque vous m'avez demandé de parler de notre recherche, montrent de façon assez convaincante qu'il existe de nombreux obstacles au changement de comportement des gens — et, d'ailleurs au changement de leurs attitudes —, même lorsqu'ils reçoivent plus d'information ou lorsqu'ils ont accès à d'autres explications. Nous avons tous divers préjugés, et ceux-ci tendent à saper même les efforts bien intentionnés relativement à l'éducation et à l'information.

La réponse courte est que nous devons en faire davantage à ce chapitre. Cela va aider à faire avancer les choses, mais je crois que nous ne devrions pas nous attendre à faire évoluer les choses de manière spectaculaire, peu importe le scénario.

La sénatrice Seidman : Toutefois, vous dites que votre recherche vise à déterminer la meilleure façon de renforcer la confiance du public dans les processus d'approbation. Pouvez-vous nous éclairer un peu à ce sujet?

M. Cleland : Laissez-moi vous expliquer brièvement notre position à la lumière des travaux que nous avons effectués. Nous venons tout juste de publier un rapport d'étape sur ce projet, il y a environ trois ou quatre semaines, auquel vous pouvez accéder. Nous menons actuellement six études de cas. Nous étudions en profondeur six collectivités différentes et examinons six projets différents, et il reste à voir ce qui en ressortira.

Dans le rapport d'étape, nous réfléchissons à quatre conditions fondamentales essentielles. Premièrement, le processus d'approbation, qui comprend le travail du promoteur, doit reposer sur une compréhension profonde du contexte, c'est-à-dire la collectivité où il travaille. En un sens, cela semble évident, mais ça ne l'était pas dans de nombreux cas par le passé. On doit se rendre dans la collectivité et la comprendre et comprendre les besoins particuliers de celle-ci, comment elle est structurée et à quel point, par exemple, elle connaît les types de développement dont vous avez parlé.

Deuxièmement, les intérêts et les valeurs. Quelles sont les choses auxquelles les gens accordent vraiment une valeur? Quels sont les aspects culturels qui ne sont pas nécessairement négociables, en faisant attention à ne pas tenter de négocier des choses qui ne sont pas négociables tout en relevant les choses qui pourraient l'être?

Troisièmement, l'information. Comme je le dis, c'est un élément fondamental et un besoin.

Quatrièmement, la mobilisation. C'est le fait d'avoir des gens qui participent dès le début du processus décisionnel et tout au long de celui-ci, en tant qu'intervenants engagés si vous voulez, dans les types de projets dont nous parlons.

La sénatrice Seidman : Je ne sais pas si M. Leach ou M. Pineau ont d'autres commentaires à faire à ce sujet. Monsieur Pineau, vous avez parlé de l'inertie des gouvernements, mais on peut retrouver également de l'inertie chez les gens. Allez-y si vous avez quelque chose à ajouter.

M. Pineau : Il est vrai que l'on retrouve beaucoup d'inertie dans le comportement des gens, mais il ne s'agit pas ici de leur volonté de payer. Je ferais la comparaison avec le fait de cesser de fumer. Vous savez, les gens continuent de fumer non pas parce que le renoncement coûte cher, mais parce qu'il est difficile. Il y a un coût comportemental au fait de changer son comportement, et c'est à cela que nous faisons face. Le gouvernement, pour ce qui est de fumer, a informé les gens, a imposé des taxes sur les cigarettes et a pris des règlements. On pourrait secouer l'inertie en partie en ayant un signal de prix, des règlements pour limiter le comportement et de l'information pour expliquer pourquoi nous faisons cela.

Je crois que ce sont les éléments clés. Il ne suffit pas de fixer un prix à l'égard du carbone; il faut également promouvoir et réglementer ce qui peut être fait et ce qui ne peut pas être fait, tout en gardant à l'esprit que nous devons avoir la liberté de choix. On devrait décourager certaines choses, particulièrement en matière d'efficacité énergétique des appareils électroménagers et des bâtiments. On peut prendre des règlements pour favoriser des améliorations, parce que, les signaux de prix ne fonctionnent pas toujours, et puis, il faut informer la population.

Lorsqu'on achète une maison, il est très difficile de connaître exactement la consommation d'énergie de celle-ci. Les pays européens ont réalisé beaucoup de progrès en ce qui concerne l'information sur l'énergie des bâtiments. Celle-ci précise aux acheteurs la consommation d'énergie ainsi que les coûts que la maison engendrera.

Il y a beaucoup de travail à faire, mais nous devons avoir un message positif. Certains articles peuvent coûter plus cher, mais en général, nous nous enrichirons en tant que société et serons plus efficaces. Il y aura moins de congestion sur nos routes, et on aura des villes plus compactes. Cela augmentera l'efficacité de toute la société.

La sénatrice Johnson : Monsieur Leach, vous avez fait un travail incroyable en tant que président du comité d'experts sur les changements climatiques de l'Alberta. Parmi vos recommandations, celle relative à l'élimination de toutes les émissions de gaz à effet de serre provenant de centrales au charbon et au remplacement de leur capacité — au moins au deux tiers — par de l'énergie renouvelable d'ici 2030 a été jugée la plus faisable. Néanmoins, bien sûr, ce ne sera pas facile. À quoi le mélange d'éléments renouvelables ressemblera-t-il, et quelles sont les perspectives d'importation d'hydroélectricité de la Colombie-Britannique?

M. Leach : Ce sont deux très bonnes questions. Pour ce qui est de la première, sur la filière des énergies renouvelables, à court terme, la plupart des données probantes donnent à penser que les ajouts les moins coûteux seront du côté de l'éolien. Nous recommandons au gouvernement d'imposer une politique qui est neutre sur le plan technologique. Si on impose ce type de politique, alors l'éolien, à court terme, jouira d'un avantage important en matière de coût et de délai de production par rapport à certaines autres technologies.

À mesure qu'on s'approche de l'échéance de 2030, alors quelques autres éléments deviennent importants : premièrement, la baisse du coût de l'énergie solaire donnera des résultats différents selon les hypothèses à cet égard; et, deuxièmement, la conversion de centrales alimentées au charbon en centrales alimentées à la biomasse a un certain potentiel, et beaucoup de gens travaillent là-dessus. Nous n'avons pas encore vu ces usines à l'œuvre à un coût qui serait concurrentiel par rapport au gaz naturel, mais vu le type de délai, il y a des améliorations possibles, sur le plan tant des coûts de la matière biologique que de la technologie à utiliser.

Quant à BC Hydro, vu la façon dont notre marché fonctionne en Alberta, c'est un autre concurrent potentiel sur le marché. Je me ferais l'écho des préoccupations que M. Pineau a soulevées concernant la place de B.C Hydro. La réponse dépendra de quel côté on se trouve. Si on regarde la situation du point de vue d'un consommateur de la province de l'Alberta, le fait d'avoir plus de concurrents dans votre marché est avantageux presque sans condition. Toutefois, si on adopte le point de vue d'un producteur ou d'un investisseur potentiel dans d'autres technologies des énergies renouvelables — et c'est là que disparaît la dichotomie entre les énergies renouvelables et le charbon ou le gaz —, mais si on est un investisseur potentiel dans une nouvelle centrale éolienne en Alberta, on voudrait savoir le degré auquel la nouvelle énergie importée fera son entrée sur le marché, car cela influe sur les revenus potentiels en tant que producteur dans ce marché.

La sénatrice Johnson : J'ai une question pour chacun d'entre vous. Je félicite aussi M. Cleland d'avoir été nommé « Personnalité énergétique de l'année ». Ce prix est-il décerné chaque année?

M. Cleland : Ce prix est décerné par le Conseil de l'énergie du Canada, alors merci de vos félicitations.

La sénatrice Johnson : À votre avis, faut-il considérer comme un élément essentiel d'une stratégie pancanadienne de lutte contre les changements climatiques le développement du commerce interprovincial d'électricité de manière à ce que les provinces dotées de ressources hydroélectriques — je viens de la province du Manitoba, alors cela nous intéresse et nous touche particulièrement, car nous avons maintenant une toute nouvelle régie de l'hydroélectricité; elle a complètement changé au cours de la dernière semaine — puissent contribuer à déplacer la production de combustibles fossiles dans les provinces voisines? Quels sont les obstacles au commerce interprovincial d'électricité? Comment le gouvernement fédéral pourrait-il encourager le commerce interprovincial d'électricité?

M. Cleland : Manifestement, c'est beaucoup plus le domaine de M. Pineau que le mien, mais j'ajouterai peut-être un point supplémentaire avec lequel il ne sera pas tout à fait d'accord.

La question qui s'impose — à mon sens —, puisque les gaz à effet de serre sont un problème mondial, est de savoir quelle est la façon la plus économique pour l'énergie hydroélectrique canadienne de déplacer les émissions de gaz à effet de serre de marchés voisins?

Il s'avère que nous avons tous des liens avec les marchés du sud, que ce soit la Colombie-Britannique, le Manitoba ou le Québec. Il se pourrait que l'option la plus économique soit de déplacer la production de combustibles fossiles des États-Unis. Cela ne figurait pas dans les données du Canada, mais la planète n'a que faire des chiffres canadiens. Voilà un point de vue important.

Cela dit, le Canada s'en tirerait mieux si nous avions des marchés de l'électricité plus ouverts et une libéralisation des échanges. Cela contribuerait à un plus propre réseau d'électricité.

La sénatrice Johnson : La libéralisation est le point intéressant ici.

M. Cleland : Le Canada n'est pas très doué à ce chapitre.

M. Pineau : Il est extrêmement difficile de favoriser l'accroissement du commerce de l'électricité partout au Canada. Je suis d'accord avec Mike Cleland : le marché est en réalité un débouché que les provinces canadiennes exploitent déjà et qu'elles envisagent de plus en plus. Mais s'il y avait une stratégie fédérale, et s'il y avait une volonté ferme d'aider les provinces, particulièrement dans les Maritimes, où la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick comptent énormément sur les centrales thermiques, qui émettent des émissions très importantes. En Nouvelle-Écosse, 44 p.100 de ces émissions totales viennent du secteur de l'électricité. Au lieu de promouvoir l'aménagement d'un lien judicieux entre le Québec, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, le gouvernement fédéral fait la promotion d'un lien très cher et incomplet reliant le Labrador à la Nouvelle-Écosse, en passant par Terre-Neuve.

Il serait nécessaire de documenter tout cela et d'avoir d'autres discussions et études sur les avantages pour les Canadiens. Ensuite, le gouvernement fédéral pourrait aider en finançant ou en appuyant d'une quelconque façon les options de transport les plus rentables au Canada, ou aux États-Unis, sachant que, à long terme, cela nous enrichira parce que nous serons en mesure de vendre plus d'hydroélectricité.

Un autre point sur lequel nous devons mettre l'accent est la nécessité d'une réforme de la tarification dans les provinces produisant de l'hydroélectricité. Les consommateurs québécois paient un prix ridiculement bas pour leur électricité. Par conséquent, ils n'ont pas tendance à faire autant d'efforts en matière d'efficacité énergétique qu'ils le devraient. L'hydroélectricité se perd dans mon sous-sol, car je chauffe mon sous-sol, où personne ne vit. C'est le cas pour de nombreuses maisons partout au Québec. Étant donné que le prix de l'électricité est peu élevé, les gens ne gèrent pas la consommation d'énergie dans leur maison. Il est nécessaire de revoir la tarification à la hausse dans les provinces produisant de l'hydroélectricité.

C'est essentiellement de l'argent qu'Hydro Québec acheminera au gouvernement et qui pourrait être réinvesti dans l'économie pour en accroître l'efficacité. Tout cela doit être mieux expliqué aux consommateurs et aux producteurs, et le gouvernement fédéral doit mettre en place des incitatifs et étudier les liens clés qui pourraient être créés afin d'accroître les échanges là où ce serait le plus rentable.

La sénatrice Johnson : Avez-vous vu, dimanche dernier, quand l'Allemagne avait tellement d'énergie renouvelable qu'elle devait payer les gens pour l'utiliser?

M. Pineau : C'est ce qui est en train de se produire en Ontario. La nuit, en Ontario, le coût de l'électricité est négatif, et Hydro Québec fait des profits simplement en important de l'électricité de l'Ontario : autrement dit, elle est payée pour importer de l'électricité. Cela découle de l'incapacité à mieux équilibrer la charge et la production et à emmagasiner de l'électricité dans des réservoirs, comme il serait possible de le faire.

Le sénateur MacDonald : J'examine ces cibles d'émissions, et je pense que vous pouvez répondre à cette question au sujet de Kyoto, Copenhague et Paris. Un tas de politiciens se rassemblent devant un tas de photographes et font un tas de déclarations. Un an plus tard, cela ne veut plus rien dire et ce n'est pas applicable. Pendant la fin de semaine, j'ai passé du temps sur le Web à regarder des graphiques sur la coproduction et l'utilisation conjointe partout dans le monde — la Chine —, sur les courants d'eau et les vents. Nous essayons d'avoir une incidence à l'échelle nationale et internationale. L'utilisation du charbon à elle seule dans le monde a explosé.

Comment pouvons-nous avoir une incidence de façon réaliste à l'échelle internationale alors que j'ai l'impression que nous devons détruire notre économie pour parvenir à avoir une incidence à l'échelle nationale? Je ne comprends tout simplement pas. On dirait que tout est cloisonné partout dans le monde. J'observe ce qui se passe en Europe, et vous venez de parler de gens payés pour utiliser l'excédent d'énergie produite.

Je regarde le pourcentage d'énergie éolienne et solaire dans divers pays. C'est infime. Cela apparaît à peine sur les tableaux, mais nous payons une fortune pour les produire et les subventionner. En tant que Canadiens, sommes-nous en train d'emprunter cette voie trop rapidement? Devrions-nous ralentir un peu?

M. Pineau a parlé du transport ferroviaire. Je crois que nous manquons une belle occasion à ce chapitre. Si nous réduisions la circulation sur nos routes et la faisions passer au réseau ferroviaire, nous ferions des progrès, et en plus, les routes seraient plus sûres et dureraient plus longtemps. Je crois que l'idée du transport ferroviaire est bonne.

En outre, en ce qui concerne les énergies renouvelables, je doute de plus en plus que nombre de politiciens sachent ce qu'ils font.

M. Leach : Permettez-moi d'intervenir à ce sujet. La question du charbon est importante, et c'est un enjeu de taille en Alberta. En somme, vous avez raison. L'un des plus grands défis du monde est d'affranchir l'économie mondiale du charbon.

Le rôle du Canada en matière d'émissions est faible, mais que le Canada dise à d'autres pays — la Chine et l'Inde — qu'ils doivent éliminer le charbon, mais que nous — dans notre pays riche ayant un accès à de meilleures solutions de rechange — ne sommes pas prêts à le faire, mais aimerions qu'eux le fassent, pour régler ce problème mondial, c'est impensable; nous ne demanderions pas cela dans d'autres domaines d'action collective, comme les interventions militaires ou d'autres choses de la sorte. Nous dirions que nous sommes prêts à faire notre possible, étant donné les circonstances, et peut-être mieux que d'autres pays. Nous voulons montrer l'exemple.

Pour ce qui est du charbon, vous l'avez bien souligné. Mais vous avez raison de dire que nous nous sommes trop avancés dans beaucoup de cas en faisant des déclarations sur des cibles sans dire ouvertement quelles seraient les politiques nécessaires pour les atteindre, et c'est sur cela que je voulais mettre l'accent par mes commentaires. Il faudrait discuter des politiques. Il faudrait préciser ce que nous sommes prêts à faire en tant que gouvernement et comparer cela aux actions d'autres pays.

M. Pineau : Aucune de mes remarques n'était en faveur de l'énergie renouvelable, et je n'ai jamais dit que je voulais davantage d'énergie renouvelable dans le système énergétique. Toutes mes propositions reposent essentiellement sur le fait que nous devrions mieux gérer notre énergie, l'électricité et les systèmes de transport et que nous pourrions en tirer profit, principalement en réduisant la consommation, car nous sommes de gros consommateurs d'énergie au Canada.

Nos premiers efforts devraient consister à réduire notre consommation et à privilégier une approche plus rationnelle et optimale de la consommation d'énergie, et non à intégrer en priorité d'autres installations éoliennes ou solaires. Je suis d'accord avec vous pour dire que nous avons échoué en accordant la priorité à l'expansion des installations éoliennes ou solaires.

M. Cleland : Rapidement, j'ai trois commentaires. La filière des énergies renouvelables ne constitue qu'un petit morceau du casse-tête mondial, mais elle croît rapidement, et leurs coûts diminuent, alors il est indéniable que les énergies renouvelables occuperont une plus grande place dans l'avenir. Par contre, il y a encore beaucoup de chemin à faire.

En ce qui concerne les autres pays, malgré tout le bruit qu'on fait autour de Rio, Kyoto, Copenhague et plusieurs autres endroits, y compris Paris, les pays agiront surtout dans leur propre intérêt. Une chose à laquelle nous devons réfléchir, c'est que nous constatons que les pays réduisent les subventions pour le carburant. C'est une bonne chose. Ils doivent le faire pour des raisons financières, mais cela aura un effet positif. Nombre de ces pays ont des problèmes de qualité de l'air qui les mèneront — s'ils sont intelligents — à réfléchir aux façons de réduire la consommation de combustibles fossiles pour le transport ainsi que la production d'électricité fondée sur le charbon; par conséquent, je regarderais ce qu'ils décideront de faire dans leur propre intérêt.

Pour ce qui est du Canada, devrions-nous ralentir? Je ne crois pas. Nous devrions revoir nos attentes pour que nos cibles soient plus réalistes, mais pour ce qui est des actions à prendre, nous pourrions en faire pas mal plus que par le passé, et ce, sans nuire à notre économie.

Le sénateur Patterson : J'aimerais remercier les témoins. Je crois qu'ils nous ont aidés à rédiger notre rapport. Leurs commentaires étaient très pertinents par rapport à notre mandat, et j'ai trouvé les mémoires très utiles.

M. Pineau a vraiment attiré mon attention avec ses recommandations radicales de sevrer les Canadiens de leurs camionnettes, de cesser de subventionner l'agriculture, de faire passer le transport par camions au réseau ferroviaire et d'équilibrer l'accès à l'hydroélectricité à l'échelle du Canada. Ce sont des idées très intéressantes.

Monsieur Pineau, je crois vous avoir entendu dire que vous savez qu'il y a des implications politiques, mais vous y avez sûrement déjà pensé. Comment croyez-vous que nous pouvons promouvoir ces idées qui semblent très rationnelles? Comment pouvons-nous recommander d'en faire la promotion?

En vertu de la Constitution, le Canada n'a pas vraiment exercé de façon étendue ses pouvoirs en ce qui concerne la paix, l'ordre et le bon gouvernement. Pensez-vous que le gouvernement fédéral pourrait montrer l'exemple? Et, bien entendu, on parle d'une stratégie nationale de l'énergie. Qu'en pensez-vous?

M. Pineau : En tant que professeur d'université, il est facile pour moi d'énoncer des solutions rationnelles. Je ne suis pas responsable de les mettre en œuvre et je ne brigue pas les suffrages, alors c'est plus facile. Je crois tout de même qu'il y aurait des façons de faire accepter ces idées par les citoyens et les électeurs partout au Canada.

Il est évident que les électeurs pensent parfois que, s'il y a des coûts additionnels ou si les prix grimpent, c'est eux qui paient la note. Nous devons leur expliquer qu'ils peuvent essentiellement s'adapter au prix de l'électricité et rajuster leur consommation d'aliments et que cela se traduira par des économies, car si on coupe les subventions dans l'agriculture, les citoyens récupéreront cet argent autrement.

Au lieu d'investir dans des exploitations agricoles qui, d'autres façons, polluent la terre — car il y a beaucoup de pollution à la ferme — en diminuant l'intensité de l'agriculture, vous aidez l'environnement, vous économisez de l'argent, et cet argent peut être investi dans d'autres programmes.

Il faut expliquer que ces politiques nous enrichiront collectivement, comme pays, et que cet argent sera réinvesti dans des services que la population souhaite obtenir, comme l'éducation, des loisirs et plus d'espaces verts. Si nous pouvons leur expliquer cela de différentes façons, les électeurs pourraient se joindre au mouvement et appuyer de telles politiques. Bien sûr, il faut faire preuve de leadership. Le gouvernement fédéral doit jouer un rôle de meneur et s'adresser aux provinces. Les provinces doivent comprendre qu'elles tireraient profit de telles politiques.

Je recommanderais particulièrement de donner plus d'information, de la mettre en commun et de dire aux électeurs qu'ils tireront profit de ces politiques qui réduiraient les gaz à effet de serre et accroîtraient nos richesses.

Le sénateur Patterson : Peut-être que notre rapport pourrait faire cela.

Monsieur Cleland, vous avez mentionné que c'est une bonne chose que notre comité se penche sur l'électricité. Vous avez dit que l'ensemble bigarré de mesures provinciales et fédérales adoptées de façon précipitée et non coordonnée devrait faire place à un travail bien coordonné. L'Association canadienne de l'électricité a dit qu'elle souhaitait rassembler les intervenants et les gouvernements et mener une discussion sur une stratégie nationale de l'électricité. Est- ce que ce serait un bon moyen de parvenir à ce dialogue que vous proposez, ou avez-vous des idées sur la façon d'en arriver à une approche plus coordonnée et efficace?

M. Cleland : Monsieur, j'ai travaillé dans le milieu des politiques publiques au Canada pendant plusieurs décennies, et, peu importe ce que nous faisons, je doute que nous arrivions à une meilleure coordination. C'est difficile pour diverses raisons.

Il y a des choses à faire pour être plus efficace : par exemple, une approche de tarification du carbone mieux coordonnée serait un choix évident. Nous avons constaté qu'il y a beaucoup à faire pour en arriver là, mais c'est certainement l'une des choses sur laquelle je me pencherais.

Il serait bon de mieux coordonner nos réseaux d'électricité respectifs. Mais là où mon opinion diffère de celle de mes collègues de l'Association canadienne de l'électricité, c'est que je crois qu'une conversation à grande échelle portant seulement sur l'électricité ne serait probablement pas une bonne idée. Je reviens au fait que l'électricité compte actuellement pour environ 21 p. 100 de notre énergie totale et 10 p. 100 de nos émissions.

Si nous voulons nous attaquer aux émissions de gaz à effet de serre, nous devons discuter de l'ensemble de la filière énergétique, et je crois qu'il faut étudier la place de l'électricité dans la filière actuelle et déterminer sa place dans l'avenir et cerner les secteurs de l'économie où il serait très malavisé de se précipiter vers l'électrification.

Le sénateur Mockler : Le sénateur Patterson a parlé un peu de la question des 20 p. 100 par rapport aux 10 p. 100, mais je ne veux pas lancer un débat avec nos trois distingués témoins, car cela dépend de la personne à qui on s'adresse.

Monsieur Cleland, il y a beaucoup de rapports sombres qui brossent un portrait trompeur de la performance environnementale du Canada. Si vous parlez au Conference Board of Canada, il a son point de vue. Si vous parlez à l'Institut Fraser, il a aussi son point de vue. Quand j'examine leur exposé, il est fondé sur la pollution de l'air, les déchets, la gestion de l'eau douce et les changements climatiques.

La question qui s'impose à l'esprit est donc la suivante : qu'en est-il de Fred et de Martha, les contribuables canadiens? Quels programmes le gouvernement mettra-t-il en place pour aider les plus vulnérables? Nous avons toujours des défis à surmonter, et, comme vous l'avez si bien dit dans vos commentaires, notre secteur de l'énergie est d'une importance primordiale, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire avant que nous arrivions à une économie à faibles émissions de gaz à effet de serre.

M. Cleland : Monsieur, permettez-moi de m'attacher à votre question concernant l'aide aux plus vulnérables, car je crois que vous venez de mettre le doigt sur un élément important de cette transition dont nous parlons. Nous avons parlé — et je crois que M. Leach en a parlé aussi — des répercussions potentielles sur les industries tributaires du commerce et à forte intensité d'émissions, et celles-ci font partie des plus vulnérables.

Les autres qui font partie de cette catégorie sont les consommateurs, les consommateurs à faible revenu, qui subiraient un préjudice réel face à une augmentation importante du coût de l'énergie. Voilà une situation où quelque chose comme une taxe sur les émissions carboniques, assortie d'options appropriées d'utilisation des recettes, pourrait s'avérer très judicieuse. Certaines mesures peuvent être prises pour atténuer les conséquences pour les consommateurs à faible revenu; par exemple, en Colombie-Britannique, on réaffecte les recettes fiscales.

La bonne mesure à prendre n'est pas toujours la plus avantageuse pour tout le monde. Il n'y a pas de solution parfaite, mais il y a moyen de trouver des façons d'atténuer les conséquences pour les plus vulnérables.

Le sénateur Mockler : Je sais que la Colombie-Britannique est un chef de file en Amérique du Nord dans ce domaine, car son programme n'a pas d'incidence sur les recettes. De quelle façon cela pourrait-il s'inscrire dans votre vision de l'avenir?

M. Cleland : Cette expression — « sans incidence sur les recettes » — a de très nombreuses significations; je crois qu'elle ne nous aide pas beaucoup. L'important, c'est la façon dont on utilise cet argent. Nous disposons d'arguments solides en faveur de l'investissement de ces sommes dans l'avancement de la technologie, par exemple. Cette décision serait-elle sans incidence sur les recettes? Je ne sais pas. Cela dit, je dirais que nous disposons d'arguments plus convaincants pour ce qui est, d'abord, de nous soucier des consommateurs vulnérables, et, ensuite, nous préoccuper d'une aide à la transition pour les industries tributaires du commerce et à forte intensité d'émissions. C'est après la prise en considération de ces deux aspects qu'une réduction générale de l'impôt sur le revenu constituerait probablement une mesure appropriée.

[Français]

Le sénateur Mockler : Professeur Pineau, vous avez dit qu'on devrait se diriger vers le transport par rails.

[Traduction]

Si c'est le cas, quels seraient vos commentaires sur les pipelines?

Le vice-président : C'est une question très logique.

M. Pineau : Naturellement, les pipelines sont importants du point de vue de la production. Le pétrole doit être transporté vers les marchés, et les pipelines sont la meilleure option au Canada. Dans le contexte canadien, les pipelines sont simplement la meilleure option.

Le débat sur les pipelines n'a rien à voir avec la consommation. Certaines personnes s'opposent aux pipelines ou aux sables bitumineux, mais elles ne se rendent pas compte que cela ne changera rien à leur consommation ni au fait que les Canadiens achètent un nombre record de camionnettes, ni que ceux-ci fonctionnent au pétrole de l'Ouest canadien, sinon d'Arabie saoudite. Je n'ai rien contre les pipelines, et ils font indéniablement partie du système de transport dont nous avons besoin.

Le vice-président : Le sénateur Mockler sera très content de cette réponse.

Le sénateur MacDonald : Je n'ai qu'un seul commentaire, monsieur Pineau. Je suis plutôt d'accord avec votre opinion sur le transport de marchandises par voie ferrée plutôt que par camions lourds. Je ne suis pas convaincu que les Canadiens verraient d'un bon œil l'imposition de pénalités à l'achat d'une camionnette. Celle-là pourrait être plus difficile à vendre.

J'ai deux questions rapides concernant l'électricité. J'aimerais en savoir un peu plus sur les domaines où, selon vous, nous devrions faire preuve de prudence concernant le recours à l'électricité comme source d'énergie; ensuite, j'aimerais entendre un peu plus d'explications de votre part. Je ne m'y connais pas beaucoup, mais d'après ce que je comprends, plus l'électricité doit parcourir une longue distance, plus on en perd. Dans un monde idéal, on pourrait mettre à profit 100 p. 100 de l'hydroélectricité produite et n'avoir aucune perte, mais nous ne sommes pas dans un monde idéal. En étant réaliste, quelles régions du pays pourraient s'approvisionner principalement d'hydroélectricité? Nous savons que le Québec pourrait le faire.

Le vice-président : À qui s'adresse votre question?

Le sénateur MacDonald : Surtout à M. Cleland, je crois.

M. Cleland : Pour ce qui est de nommer les régions, je crois que M. Pineau pourrait répondre mieux que moi à la dernière question, mais nous savons où se trouvent les ressources hydroélectriques au Canada. Comme il l'a dit, elles se trouvent surtout... En fait, j'ajouterais Terre-Neuve aux trois autres régions qu'il a mentionnées. On retrouve des ressources hydroélectriques partout au pays, mais l'expansion du réseau électrique a des limites bien réelles si l'on tient compte des répercussions environnementales, et des limites encore plus réelles pour ce qui est de l'acceptation par la population, et nous devons en tenir compte.

Pour ce qui est de l'avancement de l'électrification, le domaine le plus évident à viser serait le système de transport urbain, où il semblerait que les véhicules électriques commencent à gagner en popularité, mais je n'essaierais pas de forcer les choses. Nous ne serons pas les instigateurs de ce mouvement. Ce sont les États-Unis, le Japon et la Chine qui lanceront ce mouvement.

Chargeons-nous de mettre en place un prix du carbone approprié et peut-être de prendre d'autres règlements afin d'inciter les gens à aller dans la bonne direction, et nous verrons où cela nous mène. Comme je l'ai déjà dit, je crois toujours que nous disposons d'un très grand nombre d'options de transport qui demeureront plus intéressantes que l'électricité pour encore un bon bout de temps.

Je ne m'empresserais pas de me pencher sur la question des bâtiments, compte tenu du niveau actuel de l'efficacité énergétique; pour ce qui est des utilisations industrielles et agricoles, je laisserais la fluctuation des prix mener la situation. C'est trop variable et trop diversifié. Je crois que c'est une très mauvaise idée de forcer les choses.

Le sénateur MacDonald : En repassant les discussions des derniers mois, il me semble que l'électricité n'est peut-être pas toujours la meilleure option... Je pense aux camions lourds, aux trains, aux traversiers et à l'électrification du Nord. Il semblerait que la meilleure option, même si elle n'est pas écologique, serait la conversion du diesel au gaz naturel, lorsque c'est possible.

M. Cleland : Je ne sais pas quels sont les chiffres à l'heure actuelle, mais oui, on a étudié cet aspect, et des progrès ont été réalisés sur la question du GNL pour le transport sur de longues distances. Il a également été étudié sous l'angle du transport ferroviaire ainsi que des traversiers. À ce que je sache, ces propositions sont raisonnablement économiques. Elles ne nous permettent pas d'arriver à zéro émission de GES, mais elles représentent tout de même un progrès.

Le sénateur MacDonald : Il est difficile d'obtenir des mesures incitatives du gouvernement à ce sujet.

M. Cleland : On demande au gouvernement des mesures incitatives pour un nombre incroyable de choses, et notre expérience diversifiée de ces mesures nous a appris qu'elles ne sont pas efficaces. Le travail que j'ai fait sur le progrès de l'efficacité énergétique, par exemple, a fait la démonstration que ce que l'on appelle les « bénéficiaires sans contrepartie » — autrement dit, l'argent gaspillé dans le programme — peut représenter entre 30 et 70 p. 100 des bénéficiaires de ces mesures, alors il faut être prudent. Les programmes peuvent parfois être utiles, mais ils ne sont pas très efficaces, et les gouvernements doivent composer avec des contraintes. Il faut faire très attention au moment de décider où mettre en œuvre un programme de mesures incitatives.

Le vice-président : Merci beaucoup à vous trois. Merci, monsieur Leach.

[Français]

Merci beaucoup, monsieur Pineau.

[Traduction]

Merci, monsieur Cleland. J'ai trouvé vos conseils et commentaires très utiles. Ils étaient en tout point liés à notre mandat.

Merci beaucoup à tous. C'était une excellente réunion. La séance est levée.

(La séance est levée.)

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