LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 24 octobre 2017
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 17 h 1, pour étudier les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.
Le sénateur Richard Neufeld (président) occupe le fauteuil.
Le président : Bonsoir, chers collègues. Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Richard Neufeld. J’ai l’honneur de présider le comité, et je suis sénateur pour la Colombie-Britannique.
J’aimerais souhaiter la bienvenue aux gens ici présents et à ceux de partout au pays qui nous regardent, à la télévision ou en ligne. Je rappelle à nos auditeurs que les audiences du comité sont publiques et accessibles en ligne sur sencanada.ca, le nouveau site web du Sénat. Vous y trouverez toute l’information concernant les travaux du comité, dont ses rapports, les projets de loi étudiés et les listes de témoins.
J’aimerais maintenant demander aux sénateurs de se présenter. Je vous présente tout d’abord le vice-président du comité, le sénateur Paul Massicotte, du Québec.
Le sénateur Black : Sénateur Doug Black, de Calgary.
La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
Le président : Je tiens aussi à vous présenter les membres de notre personnel : notre greffière, Mme Maxime Fortin; et nos analystes de la Bibliothèque du Parlement, M. Marc LeBlanc et Mme Sam Banks.
En mars 2016, le Sénat a chargé notre comité de réaliser une étude approfondie des effets, des défis et des coûts de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Le gouvernement du Canada s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30 p. 100 par rapport aux niveaux de 2005, d’ici 2030. C’est une entreprise colossale.
Notre comité a adopté une approche par secteur pour cette étude. Nous étudions cinq secteurs de l’économie canadienne qui, ensemble, sont responsables de plus de 80 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre de notre pays. Il s’agit de la production d’électricité, des transports, du pétrole et du gaz, des industries à forte intensité de carbone exposées aux fluctuations des échanges commerciaux et des bâtiments.
Notre premier rapport provisoire sur le secteur de la production d’électricité a été publié le 7 mars, et le deuxième, sur le secteur des transports, a été publié le 22 juin.
Pour la 54e séance consacrée à notre étude, je suis ravi d’accueillir des représentants de la Fédération canadienne des municipalités : le chef de la direction, M. Brock Carlton, et le conseiller en politiques, M. Matt Gemmel.
Messieurs, je vous remercie de votre présence. Veuillez maintenant présenter votre déclaration préliminaire. Nous passerons aux questions par la suite.
Brock Carlton, chef de la direction, Fédération canadienne des municipalités : Je vous remercie beaucoup de l’invitation.
[Français]
Merci beaucoup. Je suis très heureux d’être ici avec vous aujourd’hui.
[Traduction]
C’est la deuxième fois que la FCM comparaît devant le comité au sujet de son étude sur la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Il n’y a pas tellement longtemps, notre ancien président, M. Clark Somerville, a comparu devant vous au sujet des questions liées aux transports. Je suis ravi d’avoir l’occasion de parler du rôle essentiel que les municipalités joueront dans la transition vers une économie à faibles émissions de carbone au Canada.
Pour ceux d’entre vous qui l’ignorent, la FCM est la porte-parole des municipalités. Elle compte 2 000 membres, qui représentent 91 p. 100 de la population canadienne, ce qui fait qu’elle représente chaque région et chaque collectivité du pays. Nul doute que nos villes et nos collectivités sont directement touchées lorsqu’il s’agit des changements climatiques, des phénomènes météorologiques extrêmes et des solutions durables.
Ensemble, nos membres gèrent 60 p. 100 des infrastructures du Canada. Par conséquent, il est clair que la transition vers une économie à faibles émissions de carbone ne va pas sans une transformation de l’infrastructure locale. Il ne s’agit pas seulement des bâtiments qui, selon nous, font partie de réseaux d’infrastructures et d’énergie complexes. Autrement dit, pour construire un avenir à faibles émissions de carbone au pays, nous devons transformer la façon dont les villes et les collectivités sont bâties et fonctionnent, ce qui nécessitera d’importants investissements publics à long terme.
Pour cela, il faut investir dans la modernisation des bâtiments existants, ce qui inclut les logements abordables, et construire de nouveaux bâtiments en fonction de normes supérieures, comme des maisons passives et des habitations à consommation énergétique nette zéro. Ensuite, il faut décarboniser le panier d’énergies du Canada et investir dans d’autres sources de production d’électricité et de chaleur renouvelables, comme la géothermie, la biomasse et le biogaz. Il faut également investir dans l’amélioration de l’accès aux services à large bande, surtout dans les régions rurales et nordiques, pour permettre l’application des technologies liées aux réseaux intelligents et aux villes intelligentes. Enfin, il faut investir dans le transport en commun et le transport actif pour réduire les émissions liées aux tendances actuelles concernant l’utilisation et l’aménagement des terres.
La bonne nouvelle, c’est que les municipalités sont déjà à l’avant-garde des solutions à faibles émissions de carbone. À titre d’exemple, la Ville de Vancouver a adopté un plan ambitieux visant à n’utiliser que des sources d’énergies renouvelables d’ici 2050, ce qui inclut l’utilisation de sources renouvelables pour le chauffage de tous les nouveaux immeubles. D’ici 2031, la Ville de Guelph, en Ontario, est déterminée à réduire de 50 p. 100 la consommation d’énergie dans ses immeubles, dans l’industrie et les transports. Toronto utilise des outils de financement novateurs pour aider les propriétaires-occupants et les propriétaires-bailleurs à payer les coûts initiaux de l’amélioration du rendement énergétique, qui seront remboursés grâce aux économies d’énergie que feront les propriétaires, et Halifax a adopté un processus similaire.
[Français]
Au Québec, le Fonds municipal vert de la FCM a financé la première bibliothèque municipale du type « net zéro » au Canada. Le bâtiment de la Ville de Varennes produira autant d’énergie qu’il en consommera sur une base annuelle.
[Traduction]
Depuis l’an 2000, le Fonds municipal vert, le FMV, de la FCM a appuyé plus de 1 000 projets à l’avant-garde en matière de durabilité, et de plus en plus, le FMV renforce la capacité des municipalités de concevoir et de mettre en œuvre des immeubles à consommation énergétique nette zéro qui réduisent la consommation d’énergie. À l’aide de fonds fédéraux, le programme Municipalités pour l’innovation climatique de la FCM renforce la capacité locale d’intégrer la résilience climatique dans les activités municipales et d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies de réduction des émissions de GES.
La mise en œuvre à plus grande échelle de solutions locales qui ont fait leurs preuves peut contribuer grandement à l’atteinte de nos objectifs nationaux relatifs au climat. La FCM a examiné les plans de réduction d’émissions de 23 municipalités et a constaté que le financement de ces plans permettrait de réduire de 51 millions de tonnes les émissions de GES d’ici 2030. Cela représente le quart des cibles actuelles que le Canada doit atteindre. Les solutions locales sont extraordinairement rentables. Pour bon nombre d’entre elles, les coûts de réduction sont faibles, voire même négatifs, par rapport à d’autres secteurs pour lesquels, selon l’évaluation du directeur parlementaire du budget, les options de réduction coûtent entre 30 et 100 $ par tonne de CO2. Les municipalités sont déjà des chefs de file. Comment le gouvernement fédéral peut-il appuyer ces efforts?
Les collectivités à faibles émissions de carbone ne se bâtiront pas toutes seules. Pour faire avancer les choses, il faut qu’un partenariat entre le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités soit établi. Les municipalités ont une influence pour plus de 50 p. 100 des émissions de GES du pays. Il y a un immense potentiel. Or, nous ne recueillons que de 8 à 10 cents par dollar perçu, de sorte que nous nous heurtons à un mur fiscal lorsque nous proposons des solutions. Le gouvernement fédéral le reconnaît de plus en plus, et il commence à agir à cet égard dans le cadre du plan Investir dans le Canada, un plan sur 11 ans. S’il est bien conçu, ce plan d’infrastructure peut se traduire par une réduction importante des émissions de GES tout en favorisant une croissance durable et en améliorant notre qualité de vie. Or, tellement de choses dépendent des négociations fédérales avec chaque province et chaque territoire. Il faut que dans le cadre des ententes bilatérales intégrées, les détails soient bien fignolés. À cet égard, il faut d’abord veiller à ce que les contributions des gouvernements provinciaux et territoriaux soient justes.
Nous avons proposé un modèle de partage des coûts à 40-40-20 : 40 p. 100 pour le gouvernement fédéral, 40 p. 100 pour les provinces et 20 p. 100 pour les municipalités. Réaliser cela à l’échelle nationale fera en sorte que les projets de transport en commun et d’infrastructure verte iront de l’avant. Un montant de 9,2 milliards de dollars en fonds pour l’infrastructure verte est à négocier avec les provinces et les territoires. Le gouvernement fédéral a dit que les fonds verts devraient favoriser un équilibre entre les priorités provinciales et les priorités municipales, mais cela doit être négocié.
En plus des fonds pour l’infrastructure verte qui seront versés aux provinces et aux territoires dans le cadre des ententes bilatérales, il y aura également des programmes nationaux liés au Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques que le gouvernement fédéral mettra en œuvre directement, comme le Défi pour une économie à faibles émissions de carbone. Il faut que les municipalités soient des partenaires clés dans la mise en œuvre du cadre pancanadien. Pour favoriser l’innovation locale sur une plus grande échelle, les municipalités doivent pouvoir accéder aux programmes nationaux qui ont été annoncés dans le budget de 2017, dont le Défi pour une économie à faibles émissions de carbone.
Notre message est le suivant : un accès prévisible aux investissements dans les infrastructures vertes fait en sorte que les administrations locales sont prêtes à déployer à grande échelle les innovations vertes. Les critères d’admissibilité et les processus doivent fonctionner pour les municipalités, surtout les petites collectivités qui peuvent être exclues trop facilement. Il sera essentiel de mesurer les émissions de GES et d’en faire rapport, mais la soi-disant optique des changements climatiques doit refléter la capacité municipale et les réalités locales et doit être uniforme dans l’ensemble du Canada.
Enfin, si nous cherchons un bon point de départ pour commencer à réduire les émissions dans le secteur du bâtiment, concentrons-nous sur la modernisation des logements sociaux abordables. La FCM mène de grands efforts pour façonner la future stratégie nationale du logement, et nos premières recommandations concernent la réparation et la modernisation de 600 000 logements sociaux. Ce parc immobilier existe depuis 30 à 50 ans et son entretien souffre d’un sous-financement chronique; il présente un déficit annuel de 1,3 milliard de dollars en moyenne sur le plan des réparations.
La FCM propose qu’il y ait un fonds dédié d’au moins 615 millions par année pour des travaux de réparation et de rénovation. En ciblant des investissements destinés à l’efficacité énergétique pour des logements sociaux abordables, nous pouvons favoriser l’inclusion sociale et atteindre nos objectifs en matière d’énergie et de climat.
Je termine en soulignant que la transition vers une économie faible en carbone résiliente exigera de la part des gouvernements et des administrations municipales un travail de collaboration sans précédent. Nous sommes ici pour vous dire que les villes et les collectivités du Canada sont prêtes à collaborer pour l’accomplissement de ce travail.
Je vous remercie beaucoup d’avoir écouté mes observations, et nous serons ravis de répondre aux questions.
Le président : Je vous remercie beaucoup de votre exposé.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Merci beaucoup de votre présentation. C’est très apprécié.
Votre enthousiasme et votre conviction que les municipalités ont un rôle majeur à jouer sont importants, car c’est la réalité.
Aussi, vous avez donné plusieurs exemples où il était rentable, d’un point de vue financier, de procéder avec les rénovations sans l’aide du gouvernement fédéral. Vous accordez beaucoup d’importance aux sommes consenties par le gouvernement fédéral et provincial. Est-ce absolument nécessaire? Dans vos calculs sur la rentabilité, vous soumettez l’hypothèse d’un coût par tonne de CO2. Quels sont vos calculs?
Lorsqu’on reçoit des fonds, il est facile de décider de ne pas faire de calculs, car il s’agit d’argent obtenu gratuitement. Toutefois, cet argent est toujours celui des contribuables. Qu’il s’agisse de taxes foncières, de la taxe de vente provinciale ou fédérale, ces fonds proviennent des citoyens. Comment fait-on le calcul pour déterminer si c’est rentable ou pas, et ensuite décider de débourser ces sommes?
M. Carlton : Il n’y a pas de prix précis associé à la réduction des gaz à effet de serre pour les municipalités. Toutefois, nous devrions être partenaires avec le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux afin de créer des stratégies pancanadiennes pour réduire les gaz à effet de serre. Les municipalités doivent jouer leur rôle. Comme je le disais dans mes commentaires liminaires, le partage des coûts à 40-40-20 est important, parce que les municipalités ne disposent pas de l’argent nécessaire pour subventionner les projets à plus de 20 p. 100.
[Traduction]
Je vais devoir poursuivre en anglais, car ma connaissance du français est limitée ici.
Dans ces projets, lorsque nous parlons d’une contribution de 20 p. 100 de la part des municipalités pour l’atteinte des objectifs, c’est parce que les municipalités assument la totalité des coûts du cycle de vie d’un projet.
Ce que nous disons, c’est que si les municipalités contribuent aux objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il faut que le partage des coûts soit approprié, de sorte que les municipalités, les provinces et les territoires puissent contribuer, et de sorte qu’ensemble, les gouvernements et les municipalités puissent atteindre les objectifs avec l’argent disponible.
En ce qui concerne précisément les émissions de gaz à effet de serre, les municipalités doivent collaborer dans la conception des projets qui se traduiront par des réductions d’émissions de gaz à effet de serre, de sorte qu’elles puissent adapter leurs programmes à ces objectifs.
Le sénateur Massicotte : N’importe qui peut facilement dire « Donnez-moi 80 p. 100 de l’argent et je le dépenserai avec plaisir », mais permettez-moi de passer à un autre sujet.
Vous avez également parlé des logements. Comme vous le savez, la plupart des habitations ont été construites il y a 20 ou 30 ans et existent déjà, et une grande partie de nos habitations ne sont pas parmi les plus efficaces sur le plan de la consommation d’énergie, et cetera. Vous en avez parlé dans votre exposé, et vous avez parlé des logements sociaux également.
Comme vous le savez, nous avons eu un débat récemment. On travaille actuellement à l’élaboration d’un nouveau code du bâtiment pour les logements et les tours d’habitation, par exemple, y compris les immeubles commerciaux, et cela fonctionne. Comme vous le savez, il appartient aux provinces de décider dans chaque cas dans quelle mesure elles veulent adopter ces procédures. On laisse même entendre que des directives pourraient être mises en place selon lesquelles dans 15 ans, il faudra moderniser sa maison et la rendre plus efficace, ou au moment de la vente ou dans certaines circonstances, mais au bout du compte, ce sont les municipalités qui prennent les décisions sur ces questions. C’est la ville qui dit : « Si vous faites ces rénovations, vous devez moderniser votre infrastructure, les systèmes électriques et de chauffage, et cetera. »
Quel est votre point de vue à cet égard? Cela effraie beaucoup de gens, c’est-à-dire que nous pouvons tous être contraints de dépenser des sommes considérables pour moderniser nos habitations, et pour votre part, vous êtes aux commandes.
M. Carlton : Eh bien nous sommes aux commandes dans les limites des politiques et des cadres des gouvernements provinciaux et territoriaux. Il est nécessaire qu’il y ait une harmonisation entre les gouvernements et les administrations municipales, et il n’est pas juste de laisser cela entre les mains des municipalités, en fait, parce que les provinces doivent aussi participer aux discussions sur l’élaboration de cadres stratégiques efficaces et les ressources.
Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous sommes certainement d’avis qu’il nous faut faire les choses autrement. Nous devons changer notre façon de bâtir les villes et revoir la façon dont les villes sont gérées. Dans ce contexte, avec le changement de cadre pour la construction, la rénovation des logements, et cetera, il est des plus approprié que des considérations relatives aux changements climatiques soient prises en compte.
En ce qui a trait au logement social, au cours de l’automne, le ministre annoncera une stratégie nationale du logement, et des précisions seront fournies concernant un montant de 15 milliards de dollars qui a été annoncé dans le budget de 2017, de sorte que nous saurons de quelle façon l’argent sera versé. Ce que nous disons, c’est qu’il s’agit d’une excellente occasion de nous assurer que l’argent qui sera investi dans les réparations du parc actuel de logements le sera de façon à accroître l’efficacité énergétique des bâtiments qui seront réparés.
Comme j’ai commencé à le dire, je pense qu’il y a de nouvelles façons de travailler à l’échelle municipale, mais il faut aussi qu’il y ait une intervention provinciale et des cadres provinciaux de politiques et de programmes plus efficaces pour que les travaux à l’échelle locale puissent être effectués.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie beaucoup de comparaître devant le comité aujourd’hui.
Ces dernières semaines, des représentants de Ressources naturelles Canada et du Conseil national de recherches ont comparu devant le comité au sujet des nouvelles exigences minimales en matière de rendement énergétique pour les bâtiments existants. Je vais revenir sur la question qu’a soulevée le sénateur Massicotte de façon plus précise.
Les nouvelles exigences s’appliqueraient à tous les bâtiments à une étape principale du cycle de vie, comme la rénovation, la vente ou le changement d’occupants. Par exemple, cela signifie qu’un Canadien qui prévoit vendre sa maison pourrait devoir payer une facture salée pour des rénovations avant de pouvoir la mettre sur le marché, et il en va de même pour les condos et les immeubles d’habitation. La semaine dernière, des représentants de Ressources naturelles Canada nous ont dit que les coûts des travaux à faire pour que l’habitation réponde à la nouvelle norme pourraient atteindre 35 000 $ et que la mise en application de ces nouveaux codes de construction à consommation énergétique nette zéro relèverait des provinces et des municipalités.
J’aimerais savoir si vos membres ont été consultés sur ces changements au code du bâtiment proposés et si les municipalités ont ce qu’il faut pour rendre les bâtiments conformes aux nouvelles exigences de rendement énergétique coûteuses en seulement cinq ans.
M. Carlton : Non, nous n’avons pas participé aux discussions. C’est la première fois que j’entends parler de ces données. Je ne sais pas d’où elles viennent exactement, mais on ne nous a pas consultés. Nous ignorons si nos membres, en tant que municipalités, individuellement, ont été consultés.
La sénatrice Seidman : Des représentants de Ressources naturelles Canada et du Conseil national de recherches sont venus témoigner, et ce sont eux qui nous ont parlé des codes et qui ont avancé les coûts, environ 35 000 $ pour la réalisation de travaux avant la vente d’une maison, par exemple. Vous dites qu’on ne vous a pas consultés sur les changements au code du bâtiment proposés?
M. Carlton : Non.
La sénatrice Seidman : Non. D’accord. Pensez-vous que les municipalités ont ce qu’il faut pour rendre les bâtiments conformes aux nouvelles exigences de rendement énergétique coûteuses en cinq ans?
M. Carlton : La réponse directe à votre question directe est non, je ne crois pas. Toutefois, j’aurais peut-être quelque chose de pertinent à ajouter. Certains cadres stratégiques permettent aux contribuables de trouver des façons d’innover dans leurs maisons. J’ai déjà parlé de Toronto et de l’exemple d’Halifax, où, en vertu des lois provinciales, la municipalité peut prêter de l’argent pour couvrir les futurs paiements d’impôts fonciers, ce qui permet d’étaler les coûts. Je ne sais pas si ce mécanisme pourrait servir dans ce cas-ci.
La sénatrice Seidman : Avez-vous quelque chose à ajouter?
Matt Gemmel, conseiller en politiques, Fédération canadienne des municipalités : Je vais relier les deux dernières questions. Le rôle des municipalités à l’égard du code du bâtiment varie. En réalité, c’est seulement en Colombie-Britannique que les municipalités approuvent l’adoption du code modèle national. Bien sûr, les municipalités sont des intervenantes importantes et elles participent à l’élaboration des prochains codes du bâtiment. Par exemple, nous collaborons avec Ressources naturelles Canada et RNCan dans le but d’améliorer le prochain modèle national du code du bâtiment sur le plan de la résistance aux inondations. Nous sommes en communication avec eux, mais pas par rapport au sujet en question.
En ce qui concerne le rôle du gouvernement fédéral, nos membres nous disent que les ordres supérieurs du gouvernement pourraient prendre des mesures qui inciteraient à rénover les bâtiments existants. Comme vous le savez, cela représente une bonne partie des émissions de gaz à effet de serre du Canada. Par exemple, nous avons eu une réunion la semaine dernière avec des représentants de The Atmospheric Fund, un organisme qui a été créé par la Ville de Toronto pour réduire les émissions de la ville, mais dont le mandat vise maintenant aussi la région du Grand Toronto et Hamilton. Selon eux, même s’il est rentable pour les propriétaires d’immeubles commerciaux et pour les propriétaires bailleurs de rénover leurs bâtiments afin d’en accroître l’efficacité énergétique, ils ne le font pas. Le Canada est un des plus grands consommateurs d’énergie par habitant au monde. The Atmospheric Fund, qui surveille la situation de près pour les immeubles commerciaux et résidentiels de Toronto, a constaté que les gains d’efficacité sont réalisés trop lentement pour atteindre les cibles dont nous parlons.
Même si les rénovations sont rentables, ils sont convaincus que le gouvernement fédéral pourrait instaurer des mesures incitatives. Une partie de la réponse concerne donc la réglementation et les codes du bâtiment — et les municipalités participent à ce processus de manières diverses dans les différentes provinces —, mais le gouvernement fédéral doit aussi jouer un rôle sur le plan financier.
La sénatrice Seidman : Juste pour préciser, évidemment, c’est un fardeau, par exemple, pour un couple âgé souhaitant vendre sa maison dans le but d’emménager dans un logement en copropriété, qui découvre soudain que sa maison n’est pas conforme au code du bâtiment et qu’il doit la rénover avant de pouvoir la vendre. Puis, selon ce que nous avons entendu, on ajoute à cela que c’est aux provinces et aux municipalités de faire respecter cette obligation. Ce que je cherche à comprendre, c’est comment une telle chose peut se produire.
M. Carlton : Tout ce que je peux vous répondre, c’est que ce n’est pas la première fois que les municipalités se grattent la tête en se disant : « Nous devons faire telle chose, sans ressources, parce qu’un autre ordre de gouvernement en a décidé ainsi. »
La sénatrice Seidman : En effet. Cela renforce ce que vous avez dit à plusieurs reprises durant votre exposé : qu’il faut absolument que les trois ordres de gouvernement travaillent bien ensemble.
M. Carlton : Oui.
La sénatrice Seidman : Merci pour vos réponses.
La sénatrice Griffin : Merci. Nous sommes ravis d’accueillir à nouveau des représentants de la fédération. Comme vous l’avez dit, vous parlez au nom d’un autre ordre de gouvernement, celui qui doit mettre en pratique nombre des théories relatives aux enjeux dont nous discutons ici, surtout en ce qui touche les logements.
Durant votre exposé, vous avez repris plusieurs sujets que vous aviez abordés lors de votre participation aux consultations prébudgétaires du Comité des finances de la Chambre des communes, qui est présidé par un autre parlementaire de l’Île-du-Prince-Édouard, M. Wayne Easter. Vous avez posé les mêmes questions, à savoir comment le gouvernement établira un juste équilibre entre les projets sélectionnés par les provinces et ceux sélectionnés par les municipalités pour le Fonds pour l’infrastructure verte, en négociant des ententes bilatérales avec les provinces, et comment il veillera à ce que les fonds soient attribués de manière transparente une fois les négociations terminées.
J’ai deux questions à ce sujet. Premièrement, pouvez-vous me donner plus de détails concernant vos préoccupations? Deuxièmement, avez-vous reçu des réponses de la part des gouvernements provinciaux ou fédéral?
M. Carlton : Par rapport aux ententes bilatérales?
La sénatrice Griffin : Oui.
M. Carlton : Il y a deux préoccupations générales liées aux discussions sur les ententes bilatérales intégrées. La première, comme je l’ai déjà dit, c’est le partage des coûts. Le gouvernement fédéral a déclaré qu’il paierait 40 p. 100 du coût d’un projet. Nous demandons aux provinces d’assumer, elles aussi, une part pleine et équitable des frais afin que les municipalités ne soient pas obligées de débourser des sommes démesurées. Voilà une des préoccupations.
La deuxième préoccupation, comme vous l’avez entendu à maintes reprises, c’est la nécessité que les ordres de gouvernement travaillent ensemble. Il faudrait absolument que les municipalités participent aux discussions, à l’échelle territoriale et provinciale, concernant le travail accompli, les projets financés et les mécanismes de prise de décisions. Plus les municipalités peuvent participer aux discussions à titre de partenaires, le mieux c’est pour les collectivités; à notre avis, cela permet de mieux choisir les projets, notamment en fonction des besoins des collectivités.
Je dirais que ce sont les deux préoccupations principales : le partage des coûts, ainsi que le mécanisme de prise de décisions et la participation des municipalités aux discussions.
Comment les choses se passent-elles? Les négociations ont été amorcées. Il y a eu une réunion aujourd’hui. La fédération ne demande pas de participer aux discussions entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires. Notre place n’est pas là. Nous demandons au gouvernement fédéral de continuer à nous tenir au courant des progrès des négociations afin que nous comprenions comment les choses se déroulent.
Ces conversations ont lieu. Le ministère fédéral de l’Infrastructure et des Collectivités nous a beaucoup aidés à comprendre quels progrès ont été réalisés durant les négociations et quelles sont les pierres d’achoppement, en ne dévoilant aucune information confidentielle.
En outre, les associations provinciales et territoriales sont toutes membres de la fédération. Ainsi, en même temps que nous exerçons une pression sur le gouvernement fédéral pour faire en sorte que les ententes bilatérales intégrées respectent les besoins des municipalités et les obligations des divers ordres de gouvernement, les associations provinciales et territoriales s’entretiennent avec leur gouvernement respectif. Il y a donc de l’influence de ce côté-là aussi, dans l’espoir que le gouvernement fédéral et les provinces et territoires concluront une entente qui prévoit un partage efficace des coûts et qui permet aux gouvernements municipaux de participer à la prise de décisions concernant les projets qui seront financés par les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux.
Le sénateur Black : J’essaie de faire en sorte que les choses soient aussi simples que possible, ce qui n’est pas tellement difficile, en fait.
Nous savons tous, comme vous l’avez souligné, que la grande majorité des Canadiens vivent en ville. Nous savons que notre pays est vaste et froid, et que le gouvernement du Canada a pris des engagements en matière d’émissions de carbone que nous espérons pouvoir remplir relativement vite. C’est ce que nous savons.
Ce que j’aimerais que vous m’appreniez, c’est ce que nous devons faire maintenant. Vous avez tout à fait raison lorsque vous affirmez que les villes n’ont pas les moyens d’amasser des fonds. Elles n’en ont pas les moyens; c’est la réalité. Dans ce cas, que faut-il faire maintenant? Si le gouvernement tient réellement à remplir ses engagements, que faut-il faire pour permettre aux villes d’accomplir le nécessaire?
M. Carlton : Cela revient à deux ou trois choses, y compris la formule de partage des coûts que j’ai déjà mentionnée à quelques reprises.
Le sénateur Black : Mais où en sommes-nous dans la conversation?
M. Carlton : Nous avons présenté nos attentes et nos demandes aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Ils ont amorcé les négociations et ils prévoient de les clore d’ici la fin mars, je crois. Nous ignorons ce qui se passe dans chacune de ces négociations, mais nous savons que le gouvernement fédéral pousse les provinces à inclure leur contribution pleine et équitable au partage des coûts des projets. Nous savons également que le gouvernement fédéral soutient l’attente que les municipalités auront un rôle à jouer à l’échelle provinciale dans les décisions concernant l’allocation des fonds dans les territoires et les provinces.
Le sénateur Black : Présumons que tout se passera bien. À votre avis, les villes seront-elles en mesure de contribuer aux efforts afin que nous atteignions nos objectifs dans les délais prévus?
M. Carlton : Oui.
Le sénateur Black : Votre réponse est très encourageante.
M. Carlton : J’ai donné une réponse simple, mais je ne sais pas exactement de quels délais et objectifs vous parlez.
Le sénateur Black : Des objectifs de l’Accord de Paris.
M. Carlton : Des objectifs de l’Accord de Paris, d’accord.
Le sénateur Black : Désolé.
M. Carlton : Je comprends. Lors de son congrès annuel, qui a eu lieu à Winnipeg, la fédération a voté pour l’adoption des objectifs de l’Accord de Paris par le pays, en reconnaissant que les municipalités ont un rôle à jouer. Je le répète, plus de 50 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre du Canada sont sous le contrôle direct ou indirect des villes. Elles sont prêtes à agir, et si la formule de partage des coûts pour le financement des infrastructures est adéquate et si les cadres stratégiques le permettent, alors oui, à notre avis, les villes pourront contribuer aux efforts.
Le sénateur Black : C’est excellent. Et atteindre les objectifs dans les délais prévus?
M. Carlton : Oui.
Le sénateur Black : Très bien.
Le week-end dernier, j’ai lu que Google lançait à Toronto un projet appelé « ville Alphabet ». Êtes-vous au courant de ce projet?
M. Carlton : Non. Une personne plus jeune que moi le serait peut-être.
Le sénateur Black : Vous ne pouvez donc rien dire à ce sujet?
M. Gemmel : Pas en détail.
Le sénateur Black : Très bien. Merci.
M. Carlton : Vous avez piqué ma curiosité.
Le sénateur Black : C’est pour cette raison que je vous posais la question. Je suis curieux, moi aussi. L’idée est de créer une ville entièrement intégrée, moderne et écoénergétique. Toronto a été choisie, à ce qu’il paraît, comme site de démonstration. J’aimerais beaucoup en savoir plus.
M. Carlton : Je ne suis pas du tout au courant.
Le sénateur Black : C’est sur votre liste de choses à faire.
M. Carlton : Pour répondre à la question sous un autre angle, je pense que le gouvernement fédéral a annoncé ou annoncera sous peu son Défi des villes intelligentes, qui ressemble au genre d’objectif que vous venez de décrire. Je crois qu’il y a 300 millions de dollars dans la caisse, et les villes déposeront des demandes en vue d’obtenir des ressources qu’elles utiliseront pour mettre en œuvre des initiatives de création de villes intelligentes. Il y a des similarités entre ce projet et ce que vous venez de décrire, de façon générale.
Le concours n’a pas encore été lancé, mais je sais que nombre de nos membres se préparent et forment leurs coalitions et leurs partenariats. Les villes canadiennes sont très intéressées et motivées à travailler en ce sens. Elles sont à la recherche de mesures incitatives et d’occasions leur permettant de mener de tels projets. Certaines agissent indépendamment. D’autres cherchent des mesures incitatives externes pour atteindre un but précis.
Le sénateur Black : C’est très encourageant. Merci, monsieur.
La sénatrice Galvez : Je vous prie de pardonner mon retard.
Durant votre exposé, vous avez déclaré : « Autrement dit, pour construire un avenir à faibles émissions de carbone au pays, nous devons transformer la façon dont les villes et les collectivités sont bâties et fonctionnent. Pour cela, il faut investir dans la modernisation des bâtiments existants, ce qui inclut les logements abordables, et construire de nouveaux bâtiments en fonction de normes supérieures. »
Nous savons que les codes du bâtiment ne sont pas des normes supérieures. Ils représentent plutôt le bas de l’échelle. Nombre d’autres pays ont des normes plus strictes.
Pour revenir à la question de ma collègue, la sénatrice Seidman, vous n’avez pas été consultés au sujet des codes du bâtiment. Toutefois, le mandat de RNCan stipule clairement que quiconque s’intéresse aux codes du bâtiment peut cogner à sa porte et participer à la discussion.
Actuellement, le code du bâtiment canadien est une norme élémentaire. Il contient des dispositions sur la santé, la sécurité, les incendies et l’efficacité énergétique, mais il n’y a aucune mention de l’utilisation efficace de l’eau, des matériaux recyclables, des analyses du cycle de vie, de la durabilité ou de la résistance des infrastructures. Aucune.
Beaucoup de mesures peuvent être prises dans le secteur du bâtiment. Quelle est votre position? Vous avez dit que les gouvernements fédéral et provinciaux devraient déployer plus d’efforts herculéens, pour employer un mot…
M. Carlton : Pouvez-vous répéter le mot?
La sénatrice Galvez : Herculéens.
M. Carlton : D’accord.
La sénatrice Galvez : Quel rôle voulez-vous jouer pour uniformiser le processus et instaurer des normes supérieures?
M. Carlton : Cela nous ramène à la déclaration générale concernant la collaboration entre les trois ordres de gouvernement, ou les quatre ordres si vous considérez aussi les collectivités autochtones comme un ordre de gouvernement. Il faut vraiment que les quatre ordres de gouvernement du pays travaillent ensemble, que les quatre éléments constitutifs de la fédération se parlent.
La question qui nous occupe est d’ordre très technique, mais d’après moi, les municipalités peuvent jouer un rôle très important dans les discussions : elles peuvent parler des réalités des codes du bâtiment, de la construction et des règlements municipaux, et de la façon de les intégrer dans les cadres stratégiques et les programmes fédéraux et provinciaux.
Permettez-moi de vous donner un exemple qui n’est pas lié à la question, mais qui porte sur la notion de la participation des municipalités. Il y a environ cinq ans, le gouvernement fédéral a annoncé que toutes les installations de traitement des eaux usées devaient maintenant faire un traitement secondaire. Il s’agissait d’un mandat fédéral qui visait à atteindre un objectif environnemental que nous soutenions tous. Or, jusque-là, les municipalités n’avaient pas été consultées sur la réglementation en matière de traitement des eaux usées, sur les nouvelles règles, sur la mise en application des nouvelles règles ou sur le financement de la mise en application. Nous avons donc eu une discussion politique à l’échelle du personnel. Nous avons réuni des experts techniques de municipalités des quatre coins du pays, qui ont collaboré avec les experts techniques d’Environnement Canada pour récrire le règlement et pour mettre en place un régime permettant d’instaurer le traitement secondaire.
Les eaux usées n’ont rien à voir avec les codes du bâtiment, mais mon argument est le même : en réunissant des personnes qualifiées et en permettant à l’ensemble du pays de participer aux discussions visant à résoudre des problèmes techniques, vous arriverez à mettre en place de nouvelles règles et de nouvelles exigences, ainsi que des processus, des mécanismes et des échéanciers raisonnables pour la mise en application de ces nouvelles règles.
Trente-cinq mille dollars par maison pour un nouveau bâtiment? Nous ne savons pas de quoi il est question. Or, si vous procédiez de la même façon que dans l’affaire du traitement des eaux usées, vous réussiriez peut-être à élaborer des règles techniques raisonnables, ainsi qu’à établir une stratégie, un échéancier et un plan de mise en œuvre.
La sénatrice Galvez : Pourquoi l’énergie vient-elle après la santé et la sécurité? C’est parce que nous avons des compteurs d’énergie dans chaque maison et que vous pouvez facturer à chaque ménage sa consommation d’électricité, exactement comme pour Internet et d’autres choses. Vous avez mentionné quelque chose d’intéressant — l’eau, les eaux usées et les déchets. Nous ne voyons pas cela sur nos factures. Nous ne voyons pas cela tous les mois, mais la municipalité paie une fortune. Le coût se situe entre 50 $ et 100 $ la tonne de déchets, et entre 10 $ et 25 $ le litre d’eau. Si nous ne facturons pas cela aux gens ou que nous ne leur disons pas combien cela coûte, ils vont continuer.
Cela se produit donc à l’échelon de la maison. C’est la municipalité. La municipalité dit : « Je n’ai pas d’argent », mais la municipalité ne dit pas aux gens combien il en coûte de se débarrasser de leurs déchets et de leurs eaux usées. Que faites-vous, concrètement, à ce sujet?
M. Gemmel : En ce qui concerne la vision à l’échelon municipal, le rôle premier de la FCM est de défendre les intérêts de nos membres auprès du gouvernement fédéral. C’est vraiment au moyen de plans d’action relatifs aux changements climatiques à l’échelle locale que les municipalités font avancer la vision de leur rôle en matière de réduction des émissions.
Par exemple, Toronto et Vancouver, deux de nos plus grandes villes, ont des plans comportant une cible de réduction des émissions de 80 p. 100 d’ici 2050. Ils mettent en place une démarche de réduction profonde du carbone et adoptent maintenant des politiques qui auront pour effet de rediriger l’exploitation et l’utilisation d’énergie en fonction de ce genre de démarche.
L’un des programmes de développement des capacités de la FCM est appelé Partenaires dans la protection du climat, et nous l’exécutons de concert avec ICLEI Canada. Ce réseau compte 300 membres — 300 municipalités — qui ont tous créé des plans d’action relatifs aux changements climatiques et qui franchissent une série d’étapes afin de réaliser leurs ambitions et d’améliorer le degré de détail de leurs plans d’action.
Quand vous consolidez les résultats obtenus, vous commencez à voir que la contribution des municipalités pourrait être énorme. Nous avons notamment analysé 23 de ces plans et avons constaté que si ces plans étaient entièrement financés de concert avec d’autres ordres de gouvernement et à l’aide des outils de financement qui existent à l’échelon municipal, y compris l’établissement d’un prix pour la gestion des déchets, par exemple, la contribution pourrait correspondre à plus du quart de l’engagement total du Canada dans le cadre de l’Accord de Paris, soit ce qu’il manque actuellement.
Nous pouvons voir que cela n’est pas qu’un objectif ambitieux. C’est un plan qui est conçu de concert avec la collectivité et le secteur privé, qui est sur papier et qui est déjà mis en œuvre. Nous pouvons intensifier cette innovation locale et mettre ces plans en œuvre. Ce faisant, nous pouvons atteindre l’objectif de l’Accord de Paris. Je pense que c’est la vision plus globale de la FCM concernant le rôle des municipalités.
Le sénateur Wetston : Je n’étais pas là au début de votre exposé; j’en suis désolé. Mais je suis de Toronto.
Le sénateur Massicotte : Ça va quand même.
Le sénateur Wetston : Je suis habitué à cela.
Je voulais vous poser une question de nature générale. Vous ne discutez peut-être pas de cela, mais je crois qu’environ 80 p. 100 des Canadiens vivent à l’intérieur de 100 milles environ de la frontière américaine. C’est peut-être 85 p. 100, ou 78 p. 100, mais c’est autour de cela. Bon nombre de ces personnes vivent dans des villes situées un peu partout au Canada, de toute évidence, et certaines sont les plus grandes villes. Si vous pensez aux 100 milles, si le chiffre est bon, et à ce qui se trouve au sud de la frontière — et il y a de très grandes villes situées très près du Canada —, je dirais que les villes font l’objet de beaucoup de travail et d’efforts, comme ce que fait votre organisation, en ce qui concerne la réduction des émissions de carbone. Cependant, comme vous le savez, les États-Unis se sont retirés de l’Accord de Paris, alors que nous y sommes engagés.
Parlez-vous de cela, à la fédération, et de ce que cela signifie du point de vue des efforts du Canada? Vous réalisez d’autres choses en travaillant à l’écologisation de notre économie, et je comprends cela. Cependant, avez-vous des idées là-dessus?
M. Carlton : J’étais à Marrakech pour la COP22, la 22e Conférence des Parties. Ce dont on parlait constamment, autour de cet événement… C’est lié à votre question, en passant.
Le sénateur Wetston : Je me demandais où vous alliez avec cela.
M. Carlton : Ce dont on parlait constamment, autour de cet événement, c’était bien sûr la préoccupation extrême suscitée par les résultats de l’élection. Cependant, ce qu’on disait en général, c’était : « Eh bien, les maires vont nous sauver. » Aux États-Unis, de très nombreux maires se sont manifestés et ont dit : « Nous allons quand même chercher à atteindre la cible de l’Accord de Paris. Nous allons le soutenir. Oubliez ce que dit Washington. » Il y a donc un solide engagement, une grande attention portée à cela, dans les villes des États-Unis, en ce qui concerne les objectifs en matière de durabilité environnementale et la réduction des émissions de GES, peu importe la politique fédérale ou les perspectives fédérales.
Nous entretenons, à la FCM, des liens très étroits. Aux États-Unis, il y a en fait trois fédérations de municipalités. Il y en a une pour les grandes villes, une pour les villes de taille moyenne et une pour les petites villes. Nous communiquons très étroitement avec deux des trois fédérations, soit celle des grandes villes et celle des villes de taille moyenne, sur divers sujets, notamment sur les plans relatifs aux changements climatiques. Nous faisons une solide mise en commun de nos expériences, de nos connaissances et de nos perspectives avec les villes de l’autre côté de la frontière.
De plus, outre ce que vous me demandiez à propos de la situation aux États-Unis, je vous dirai que nous sommes relativement actifs dans les réseaux mondiaux d’administrations municipales. Le Global Covenant of Mayors for Climate and Energy émerge en ce moment — un pacte mondial des maires pour le climat et l’énergie —, et c’est une combinaison d’initiatives nord-américaines et européennes. Le Canada y joue un rôle très actif en contribuant à en établir les priorités et à concevoir les mécanismes qui nous permettront de faire une mise en commun et d’apprendre les uns des autres, à l’échelle mondiale. Nous parlons des Américains et avec les Américains, mais c’est plus vaste que cela. Il y a à l’échelle mondiale des priorités qui ont des répercussions sur les villes.
Le sénateur Wetston : Comment le Fonds municipal vert est-il organisé? D’où vient l’argent? Aussi, les projets d’immobilisations ne s’orientent pas toujours comme vous le voudriez. De toute évidence, il faudrait peut-être du financement additionnel. Est-ce qu’il arrive que le Fonds municipal vert serve de prêteur de dernier recours pour ces projets d’immobilisations?
M. Carlton : Le Fonds municipal vert a été créé en 2000. L’investissement initial, d’environ 500 millions de dollars, est venu du gouvernement fédéral, à titre de dotation pour la FCM. Dans le langage d’Ottawa, c’est maintenant « cumulatif ». On estime que c’est l’argent de la FCM. On ne considère pas cela comme du financement fédéral de programmes. L’actuel gouvernement a ajouté 125 millions de dollars à ce fonds. Nous n’avons pas encore apposé notre signature au contrat, mais tous les avocats en ont fini avec les documents, alors nous y arrivons.
Le fonds sert à verser des subventions et à consentir des prêts aux municipalités et à leurs partenaires pour des initiatives environnementales qui présentent des intérêts concernant les économies d’énergie, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la régénération de terrains en friche et le transport en commun. Il y a divers thèmes. Nous versons des montants aux promoteurs municipaux. Parfois, nous consentons des subventions pour la réalisation d’études, pour des analyses de base ou pour la préparation de projets. Parfois, nous consentons des prêts pour la mise en œuvre de projets d’immobilisations plus importants. Cependant, nous sommes toujours l’un des nombreux prêteurs, car normalement, les projets sont nettement plus importants par rapport aux montants que nous pouvons prêter. Je ne crois pas que nous ayons déjà été le prêteur de dernier recours. Nous sommes souvent le premier à être là et à favoriser l’accès à d’autres montants qui s’ajouteraient à celui du Fonds municipal vert pour qu’il soit possible d’atteindre le montant nécessaire à la construction de ce que la ville propose de bâtir.
Le sénateur MacDonald : Merci, monsieur, de votre exposé. Vous avez présenté dans votre exposé des suggestions au nom de la FCM concernant le partage des coûts futur avec le gouvernement fédéral. J’aimerais prendre un peu de recul par rapport à cela. En ce qui concerne les choses que vous contrôlez directement, comme le transport en commun, dans la plupart des municipalités et collectivités, l’une des formes les plus visibles d’émissions de carbone est le transport en commun — les autobus et les autobus scolaires. Je suis curieux. Concernant la conversion au gaz naturel ou à d’autres formes de transport en commun, est-ce que la FCM conseille les municipalités, et est-ce que vous pouvez me faire une mise à jour, s’il y a lieu, sur la mesure dans laquelle il y a déjà eu conversion à d’autres carburants que le diesel, pour le transport en commun, dans les grandes municipalités du pays?
M. Carlton : Je ne peux pas vous faire une mise à jour. Nous ne conseillons pas directement aux municipalités d’opter pour une conversion ou une autre. Ce que nous faisons, c’est établir les meilleures pratiques. Les expériences d’apprentissage prennent diverses formes — webinaires, séminaires, ateliers, et cetera. Les meilleures pratiques peuvent y être démontrées, et les personnes qui ont vécu les expériences peuvent en parler et conseiller aux autres de suivre la même démarche.
Par exemple, en ce qui concerne la dernière question, la ville de Banff a opté pour des carburants renouvelables, pour son système de transport en commun. Le Fonds municipal vert a versé une partie du montant requis initialement pour réaliser l’étude de faisabilité et surmonter certaines difficultés, puis nous avons présenté Banff comme un exemple de système qui fonctionne maintenant, en expliquant comment cela fonctionne et comment ils se sont rendus là, de sorte que d’autres municipalités puissent faire de même si elles le désirent.
Nous ne sommes pas là à dire : « Renoncez au diesel. Faites ceci, et faites cela. » Notre travail comporte deux volets : parler au gouvernement fédéral au nom des villes, et diffuser les meilleures pratiques pour que les villes puissent apprendre les unes des autres et développer leurs capacités afin de prendre localement des décisions se fondant sur d’autres expériences et pratiques.
M. Gemmel : Il y a quelques années, la FCM avait le programme des Parcs automobiles verts, qu’elle appliquait de concert avec Ressources naturelles Canada. Ce programme visait le transport en commun, mais également tous les véhicules du parc municipal. C’est un programme qui a remporté beaucoup de succès dans la mesure où les municipalités allaient déjà de l’avant avec l’intégration de véhicules hybrides, notamment de véhicules hybrides rechargeables, et maintenant de véhicules entièrement électriques, ainsi que de véhicules utilisant des biocarburants — bien que ce soit moins le cas maintenant —, alors on peut dire qu’il y a eu une certaine pénétration de ce côté.
Je crois que ce sont les gros services de transport en commun et leur électrification qui offrent de bonnes possibilités. Nous l’avons demandé, et nous sommes ravis de constater que l’électrification du transport collectif est un coût admissible à la phase 2 du programme de financement de l’infrastructure. C’est la nouvelle entente sur 11 ans. De plus, selon ce que nous savons en ce moment, le financement du transport en commun pourra s’ajouter au volet de l’infrastructure verte du plan Investir dans le Canada. Une municipalité pourrait donc maximiser l’investissement dans l’électrification de la flotte de véhicules.
Enfin, on peut penser à divers exemples excitants de municipalités qui, comme Vancouver, Winnipeg et Montréal, se sont associées à des établissements de recherche et des sociétés de transport pour mettre la charge rapide à l’essai et pour en faire la démonstration. En effet, un autobus pourrait être entièrement rechargé en 10 minutes, à peu près, ce qui est très prometteur pour l’avenir.
M. Carlton : Il y a un élément vraiment important concernant les coûts relatifs à l’admissibilité. Quand le gouvernement met en place un programme d’infrastructure, ou dans ce cas, un programme de transport en commun, nous devons en partie nous efforcer de veiller à ce que les critères d’admissibilité soient tels qu’ils permettent la transformation dans les municipalités. Comme Matt le disait, l’habilitation, l’électrification du transport en commun fait partie des coûts liés au Fonds pour le transport en commun, et il s’agit d’un élément vraiment important pour nous, pour la création d’un contexte propice à la réalisation de ces transitions.
Le sénateur MacDonald : J’ai eu l’occasion d’aller dans la Silicon Valley avec le ministre des Transports, il y a deux semaines. Nous sommes allés à Tesla et aussi à Proterra, une société qui produit des autobus entièrement électriques. Le coût de production de ces autobus équivaut au coût d’achat d’un autobus fonctionnant au diesel, mais c’est le coût de l’exploitation et de l’entretien de ces autobus qui change la donne. Parce qu’ils n’ont pas de moteur à combustion, vous économisez environ un quart de million de dollars sur la vie utile du véhicule. C’est une technologie qui est maintenant opportune, et j’aimerais que les municipalités, plutôt que de crouler sous ce coût majeur, s’assurent de suivre ces nouveaux développements. Je pense qu’elles devraient y regarder de plus près maintenant.
M. Carlton : Il y a d’excellentes possibilités en ce moment au pays, avec l’argent qui est investi dans le transport en commun par le gouvernement fédéral, selon le budget de 2017. C’est tout à fait nouveau; c’est sans précédent. Cela donne aux municipalités un peu de place, alors qu’avant, le transport en commun au Canada était cruellement sous-financé. Regardez les comparaisons avec les pays de l’OCDE. Nous ne sommes même pas là, en ce qui concerne les comparaisons avec les autres membres de l’OCDE pour le financement du transport en commun. Il n’y avait pas d’autre possibilité que d’essayer désespérément de maintenir le statu quo sans épuiser complètement les capacités financières des municipalités.
Avec le gouvernement fédéral qui intervient très fortement dans le système, il y aura plus de place pour l’innovation, en partie grâce à l’argent offert, mais aussi parce que nous parlons de financement stable à long terme. Plutôt que d’essayer de trouver, année après année, des moyens de rassembler assez d’argent pour continuer de faire fonctionner OC Transpo par exemple, les municipalités peuvent voir que les ressources sont là à long terme, ce qui leur permet de faire des plans et de penser à long terme.
Ce sont des aspects vraiment importants de la participation du gouvernement fédéral à l’infrastructure en général et au transport en commun — cette possibilité de penser à long terme. Onze ans, c’est aussi sans précédent, pour du financement fédéral. Avoir une si longue période pour penser à ce que vous faites et pour faire des plans est un facteur vraiment important qui fait que nous pouvons contribuer à transformer ce qui se passe dans les municipalités.
Le président : J’aimerais une explication. À la page 13, vous parlez de « … décarboniser le panier d’énergies du Canada… ». Vous dites que cela signifie qu’il faut « investir dans l’amélioration de l’accès aux services à large bande, surtout dans les régions rurales et nordiques, pour permettre l’application des technologies liées aux réseaux intelligents et aux villes intelligentes ». Veuillez m’expliquer ce que vous entendez par cela.
M. Gemmel : En gros, nous pouvons maintenant répondre à la question du sénateur Black au sujet de l’annonce à Toronto, qui a été faite par Sidewalk Labs, une filiale d’Alphabet, qui est aussi la société mère de Google.
Je crois que c’est devenu un terme à la mode. Le gouvernement actuel aime « villes intelligentes ». C’est l’intégration des technologies de l’information et des communications, soutenue par un service Internet à large bande et haut débit, pour intégrer ces technologies dans l’infrastructure et dans les services publics et les services municipaux.
Les résultats sont très variés. Il y a certainement des résultats liés à l’environnement et on peut réduire la consommation d’énergie au moyen de la tarification en fonction de l’heure de la consommation, des compteurs intelligents et ce genre de choses, mais on peut également améliorer la communication avec le public, grâce aux données ouvertes, et aussi obtenir de meilleurs résultats d’ordre social.
Nous voyons un lien très étroit entre les investissements dans la large bande et la transition vers une économie à faible émission de carbone à long terme.
Il y a d’autres applications, comme la réduction du temps consacré au transport si vous avez plus de télétravail et ce genre de choses. Fondamentalement, il ne fait aucun doute que le Canada rural sera incapable de participer à l’économie de l’avenir sans une connectivité Internet à large bande. C’est donc important sur bien des plans.
Lorsqu’on regarde l’environnement bâti, on constate facilement les liens entre les technologies des villes intelligentes, l’énergie et les émissions.
Un des aspects intéressants qu’on observe ces dernières années à l’échelle municipale, c’est qu’au lieu d’avoir diverses mesures distinctes — comme une stratégie sur le climat, un budget d’immobilisations, une stratégie en matière de travaux publics, un plan de gestion des immobilisations et une stratégie de développement économique —, toutes ces choses sont maintenant liées, en particulier dans les grands centres urbains. L’idée de villes intelligente est le mortier qui lie toutes ces choses.
Nous considérons que c’est très prometteur; nous nous réjouissons de voir que le gouvernement fédéral reconnaît l’innovation qui se fait à l’échelle locale et qu’il appuie l’innovation par l’intermédiaire du Défi des villes intelligentes dont Brock a parlé.
Le président : Merci. Je sais que le service à large bande est extrêmement important dans les collectivités nordiques, mais ce service n’est pas nécessaire pour la mise en place de réseaux intelligents. Cela existe déjà; je le sais d’expérience. Je n’arrivais simplement pas à saisir le lien, mais je comprends ce que vous dites.
La sénatrice Galvez : Vous avez certainement vu ces dernières années une multitude d’inondations et de phénomènes météorologiques extrêmes qui ont détruit les infrastructures des villes. En avez-vous calculé les coûts? Pourriez-vous nous donner des chiffres? Comment les municipalités se préparent-elles pour l’an prochain, lorsque cela se produira de nouveau?
M. Carlton : Nous cherchons les chiffres exacts. Nous n’avons pas fait d’étude globale sur l’ensemble des phénomènes météorologiques extrêmes et leurs répercussions sur les municipalités, mais de toute évidence, cela représente des milliards de dollars.
Les municipalités utiliseront inévitablement les nouveaux fonds pour l’infrastructure pour moderniser les systèmes de façon à les rendre plus résistants, comparativement à ce qui se faisait auparavant. Comme on ne parle plus d’inondations à récurrence de 100 ans, les réseaux d’égouts, les conduites d’évacuation des eaux et certaines plateformes routières, et cetera, sont modernisés en fonction de ces nouvelles contraintes.
La sénatrice Galvez : Construit-on aux mêmes endroits?
M. Carlton : La cartographie des zones inondables du pays et l’incidence que cela pourrait avoir sur les municipalités et sur les plans d’aménagement du territoire font actuellement l’objet de discussions. Je ne sais pas si cela a mené à des conclusions, mais les discussions portent sur ces aspects précis. On évoque la possibilité d’aménager — par exemple pour une maison située sur la rive de la rivière Bow — une berme entre la rivière et le quartier de façon à le protéger des inondations, ou encore de modifier le zonage pour empêcher qu’on y construise des bâtiments. À titre d’exemple, la municipalité de High River, en Alberta, a modifié certains règlements de zonage résidentiel à la suite des inondations survenues il y a quelques années.
La cartographie des zones et des plaines inondables, les zones où la construction de bâtiments assurables est permise et les mesures que pourraient prendre les municipalités pour réduire les risques d’inondations futures ou les répercussions des phénomènes météorologiques extrêmes font l’objet de discussions continues entre les villes et le Bureau d’assurance du Canada, et probablement le gouvernement fédéral, même si je ne suis pas certain qu’il y participe.
La sénatrice Galvez : Pouvez-vous nous envoyer ces renseignements?
Le président : Si vous pouviez nous transmettre ces renseignements par l’intermédiaire de la greffière, nous veillerions à les fournir à tous.
Merci, messieurs. Nous vous en sommes reconnaissants.
Pour la deuxième partie de la réunion de ce soir, nous avons le plaisir d’accueillir Mme Nathalie St-Pierre, présidente et directrice générale de l’Association canadienne du propane; M. Greg Thibodeau, gestionnaire du marketing à la Pembina Pipeline Corporation; M. Guy Marchand, président et directeur général de Budget Propane 1998 Inc.; M. Taylor Granger, responsable du développement des affaires chez SLEEGERS Engineered Products Inc.
Je ne sais pas si plusieurs d’entre vous feront un exposé ou s’il n’y en aura qu’un, mais lorsque vous aurez terminé, nous passerons aux séries de questions. La parole est à vous.
Nathalie St-Pierre, présidente-directrice générale, Association canadienne du propane : Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, bonjour. C’est un plaisir de comparaître au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles aujourd’hui. Nous vous sommes reconnaissants de l’occasion de vous parler de la manière dont le propane contribue à changer la donne pour le Canada.
[Français]
Mon nom est Nathalie St-Pierre. Je suis accompagnée de Guy Marchand, président-directeur général, Budget Propane 1998 inc., et président sortant de notre conseil d’administration.
[Traduction]
M. Greg Thibodeau est directeur général au marketing à la Pembina Pipeline Corporation, tandis que M. Taylor Granger est responsable du développement des affaires chez SLEEGERS Engineered Products Inc.
L’ACP est l’association nationale de l’industrie du propane au Canada. Elle représente plus de 400 entreprises membres situées dans toutes les régions du pays : producteurs, grossistes, détaillants, spécialistes de la commercialisation et transporteurs. Notre association représente environ 90 p. 100 de l’industrie.
Nous considérons que le propane représente actuellement une occasion d’investissement et un instrument de changement pour le pays. Aujourd’hui, nous souhaitons faire valoir que le propane a un rôle à jouer dans la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. À notre avis, le propane peut contribuer à la réduction des GES dans quatre secteurs : les milieux rural et résidentiel; les collectivités éloignées et autochtones, les secteurs du transport et de la fabrication; les exportations.
Permettez-moi d’abord de vous donner des informations sur le produit bien connu qu’est le propane. Tous savent ce que c’est; vous avez tous un barbecue au propane. Ce carburant est considérablement sous-évalué. Des témoins précédents ont beaucoup parlé de l’électricité et d’autres types de carburants, mais je pense que le propane est l’un des carburants les plus propres et les plus polyvalents qui soient. La Loi sur les carburants de remplacement reconnaît d’ailleurs qu’il s’agit d’un produit à faible impact sur l’environnement. Plus précisément, le propane émet 60 p. 100 moins de monoxyde de carbone et génère 98 p. 100 moins de particules que le diesel, et ne contient pratiquement pas de soufre.
Lorsqu’on prend en compte les émissions totales du cycle de vie, on constate que le propane est beaucoup plus avantageux que le gaz naturel. Contrairement au gaz naturel, le propane ne génère pas d’émissions fugitives de GES ou d’émissions de méthane, qui sont 25 fois plus élevées que les émissions de CO2, avant combustion. Environ 85 p. 100 du propane est un sous-produit du traitement du gaz naturel. Le Canada a une extraordinaire capacité de production qui permettrait un approvisionnement abondant en propane, un produit facilement transportable partout au pays et aux États-Unis par camion, par train ou par pipeline. Selon les estimations actuelles, le potentiel total de la ressource est de près de 15 milliards de barils, ou environ 400 ans d’approvisionnement au taux actuel de consommation.
Ressource facilement transportable, sûre et abondante, le propane est appelé à jouer un rôle important dans la réduction des émissions de GES dans le secteur résidentiel et dans les collectivités rurales et éloignées, où le gaz naturel ou l’électricité propre ne seront probablement jamais accessibles ou ne seront jamais une source d’énergie à faibles coûts pour les propriétaires.
Selon Statistique Canada, 9 p. 100 des ménages — plus d’un million de ménages canadiens — utilisent toujours du mazout. Le remplacement des appareils ménagers par des appareils au propane et la conversion du mazout au propane équivaudrait, par tranche de 1 000 ménages, au retrait de 661 automobiles de la circulation. La transition au propane est une solution facilement applicable.
En outre, la transition au propane exigerait peu d’investissements en infrastructures du gouvernement, étant donné que les entreprises du secteur investissent dans leurs propres installations de stockage et de distribution. Personne ne sait avec précision quelles seront les caractéristiques du marché de l’énergie dans 40 ans. Par conséquent, la question que doivent se poser les décideurs est la suivante : est-il logique d’investir plusieurs millions de dollars dans des infrastructures dont l’avenir est incertain et qui pourraient devenir obsolètes? Alors que nous effectuons la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, investir dans l’industrie du propane est une option logique.
Le propane peut aussi aider les collectivités autochtones et éloignées à délaisser les carburants classiques comme le diesel. Le propane permettrait d’améliorer la qualité de l’air, de réduire la pollution sonore et le nombre de pannes de courant, d’atténuer les problèmes d’approvisionnent et d’éviter les déversements de carburant. Lorsque d’autres sources d’énergie seront disponibles, le propane pourra servir de source d’appoint, ce qui assurerait la fiabilité de l’approvisionnement en énergie. L’inclusion du propane dans les programmes de financement fédéraux pour les infrastructures du Nord est tout à fait logique.
[Français]
Le propane peut également transformer le secteur du transport, qui est le deuxième émetteur de gaz à effet de serre. Le propane offre un rapport coûts-avantages qui est apprécié à travers le monde. Aujourd’hui, il y a plus de 26 millions de voitures dans le monde qui roulent au propane. Quant aux voitures électriques dont on a parlé plus tôt, on n’en fabrique pas encore ici, et nous n’avons pas encore de camions électriques disponibles pour transporter les marchandises.
Il faudra prévoir encore d’importants investissements de fonds publics pour arriver à des réductions significatives dans le secteur des transports, alors que le propane pourrait jouer un rôle important. Dans une étude récente, l’Institut économique de Montréal affirmait que la pire façon de réduire nos émissions est d’accorder des subventions au secteur des voitures électriques, puisque les réductions qui en découlent ne sont pas assez importantes. Au Canada, il y a 50 000 voitures au propane sur la route. Investir dans le propane en matière de transports réduira immédiatement les émissions de gaz à effet de serre et permettra de créer des emplois.
[Traduction]
L’abondance de propane au Canada représente une source d’exportations potentielles qui pourrait aider à réduire les émissions totales de pays générateurs de fortes émissions de carbone, comme la Chine. Notre industrie peut jouer un rôle sur les plans de la fabrication et des exportations.
Chaque année, selon l’Organisation mondiale de la Santé, environ 4,3 millions de personnes meurent prématurément d’une exposition à la pollution de l’air à l’intérieur des habitations en raison de l’utilisation de carburants conventionnels. Le propane est une solution viable; il est sécuritaire, efficace et sans résidus de combustion. Au Canada, des terminaux d’exportation de propane — les premiers au pays — sont en construction sur la côte Ouest. En fait, cela changera complètement la donne pour le Canada. Ces nouvelles installations nous permettront de rivaliser avec les États-Unis, qui tirent actuellement parti de l’exportation d’un important pourcentage de notre propane vers les marchés de l’Asie.
Le bassin de l’Asie-Pacifique figure parmi les plus importantes régions consommatrices d’énergie et en croissance rapide au monde. Pour le Canada, il est temps d’intensifier les efforts et d’investir dans les initiatives de réduction des émissions de GES à l’échelle mondiale tout en créant des emplois ici, au Canada.
Le propane peut jouer un rôle dans nos principaux secteurs économiques. Soyons réalistes; les sources d’énergie de remplacement ne suffisent pas encore à assurer un approvisionnement adéquat, fiable et abordable en énergie pour divers secteurs : mines, commerce, institutions, fabrication, agriculture et construction. Des politiques favorables à l’utilisation du propane dans ces secteurs pourraient aider le Canada à réduire considérablement ses émissions de GES.
Au pays, les usines pétrochimiques projetées dans les comtés de Sturgeon et de Strathcona, en Alberta, sont aussi d’excellents exemples de la façon dont le Canada peut ajouter de la valeur. Ces usines serviront à la transformation du propane en polypropylène, un produit à valeur plus élevée qui est une importante composante des plastiques que l’on utilise pour tout de nos jours — au point d’exporter la totalité de notre production —, des pièces d’automobiles à nos billets de banque en polymère. Cela représente une valeur ajoutée de 700 p. 100 par rapport à la matière première. Ces projets créent des milliers d’emplois dans le secteur de la construction et entraîneront la création de plus de 1 400 emplois directs et indirects lors de la mise en service. Ces usines changeront la donne tant pour l’Alberta que pour l’économie canadienne.
Ce que je viens de vous dire ne représente qu’un aperçu des avantages considérables du propane sur les plans environnemental et économique, et sa valeur importante pour la population canadienne. Comme je l’ai indiqué, le propane change la donne et peut contribuer à l’essor du pays. Il est essentiel, pour que le Canada puisse optimiser les occasions offertes et le potentiel du propane, que tous les ordres de gouvernement, à commencer par le gouvernement fédéral, collaborent avec nos membres et misent sur notre expertise.
Pour ce faire, il conviendrait de créer des mécanismes favorisant les partenariats entre l’industrie du propane, le gouvernement et les collectivités, en fonction des objectifs suivants : miser sur le propane pour réduire les émissions dès maintenant, tant au Canada qu’à l’étranger; reconnaître l’incidence de la transition au propane pour le chauffage résidentiel sur l’offre d’énergies de remplacement abordables et durables pour les Canadiens — beaucoup de gens habitent toujours en milieu rural —; reconnaître les effets positifs du propane à combustion propre dans les collectivités autochtones et rurales pendant que s’effectue la transition du diesel au propane.
Nous pouvons continuer de nous appuyer sur nos succès et sur notre compréhension du rôle important et immédiat que peut avoir le propane dans le secteur du transport, public comme privé, pour la transition vers des flottes de véhicules à faibles émissions, jusqu’à ce que des solutions de rechange soient offertes. Enfin, nous devons tirer parti des ressources en propane que nous avons au Canada pour créer de la valeur dans des secteurs clés comme l’industrie pétrochimique afin de réduire notre empreinte tout en créant des emplois pour les Canadiens.
Merci.
Le président : Merci. Nous passons aux questions.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Merci, madame St-Pierre, et merci à vous tous de votre présence à notre comité. Si je comprends bien, vous dites que le propane est un carburant à plus faible teneur en carbone qui est considéré par les gouvernements comme un carburant propre. Il est moins polluant que le méthane et même le gaz naturel. Ce sont là des arguments très forts. Si c’est aussi avantageux, comment se fait-il qu’on parle de l’exploitation du gaz naturel? On tient pour acquis que le gaz naturel est le comparatif favorable. Pourtant, selon vous, le propane est encore plus efficace et moins polluant que le gaz naturel. Pourquoi n’arrive-t-on pas à transmettre ce message?
Mme St-Pierre : C’est la première affirmation que j’ai faite : le propane n’est pas connu comme carburant au Canada. De nombreuses discussions ont lieu sur la décarbonisation de l’économie, et le propane peut y jouer un rôle.
[Traduction]
M. Granger pourrait parler du rôle potentiel du produit.
Taylor Granger, responsable du développement des affaires, SLEEGERS Engineered Products Inc., Association canadienne du propane : Le gaz naturel est composé de méthane à 95 p. 100. Les émissions fugitives — le rejet accidentel du produit lors de la manutention — comportent donc 95 p. 100 de méthane, un gaz dont le potentiel de réchauffement de la planète est 25 fois plus élevé que le CO2 sur un horizon de 100 ans.
On peut comparer cela aux émissions sur le cycle de vie du propane, qui ne contient pas de méthane. Les émissions fugitives de propane n’entraînent pas le rejet de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, car le propane émet des gaz à effet de serre uniquement lors de la combustion et, comme nous l’avons indiqué, cette combustion est beaucoup plus propre, soit 26 p. 100 plus propre que la combustion de l’essence.
Le sénateur Massicotte : Je crois comprendre que le propane a une densité plus forte que le gaz naturel. Par conséquent, toute fuite se retrouvera au sol, tandis que le gaz naturel est plus léger, de sorte qu’il s’évapore et monte dans l’atmosphère. Certains avancent que le propane est plus dangereux pour un usage domestique, parce qu’il est alors emprisonné dans le logement, tandis que le gaz naturel se dissipe plus facilement, soit par une ouverture, lorsqu’on utilise un ventilateur, et cetera; il s’évapore. Est-ce exact?
M. Granger : Sur le plan chimique, le propane est plus lourd que l’air; il va donc décanter. Le propane est unique; il a une zone d’inflammabilité étroite et il se dissipe ou s’évapore rapidement. Il est difficile d’obtenir les conditions idéales pour la combustion du propane. En cas de fuite, il s’évapore et se dissipe rapidement.
Le sénateur Massicotte : Est-ce une promesse? C’est dangereux; il y a un risque d’explosion. C’est ce qui préoccupe les gens.
Mme St-Pierre : C’est comme pour tout autre type de carburant que vous pourriez utiliser chez vous. Si vous ne faites pas l’entretien de votre chaudière, si vous chauffez à l’huile, il peut y avoir des déversements. Vous devez assurer l’entretien de votre réservoir et le remplacer au besoin. Peu importe le type de carburant que vous utilisez, si vous ne faites pas le nécessaire, il y a un risque. Le risque n’est jamais nul, mais il n’est pas plus élevé pour le propane que pour tout autre carburant existant.
Le président : Si vous ne produisez pas de gaz naturel ni de pétrole, vous n’aurez que du propane; donc, tout cela est lié. Il s’agit d’un sous-produit du gaz naturel et, dans une certaine mesure, du pétrole.
Le sénateur Dean : Permettez-moi d’abord de préciser qu’il n’y a rien que j’aime plus, dans mon camp situé dans une région éloignée du Nord, que mon réfrigérateur au propane. Il est d’une efficacité incroyable.
J’ai deux ou trois questions. Premièrement, quels sont les obstacles? Je pense à la conversion des génératrices. Quel est le coût par mégawatt du propane, comparativement au diesel? Comment se compare le rendement d’une génératrice au propane par rapport à une génératrice au diesel, par unité de production équivalente?
Guy Marchand, président-directeur général, Budget Propane 1998 Inc., Association canadienne du propane : L’industrie n’a pas la réponse à votre question. Les seules informations que je pourrais vous donner sont liées aux émissions de gaz à effet de serre; une génératrice au diesel ou à essence génère 50 p. 100 plus d’émissions qu’une génératrice au propane.
Mme St-Pierre : Je peux vous donner deux exemples. Nous avons déjà discuté des autobus. Selon les données actuelles que nous avons, le prix d’achat d’un autobus à moteur conventionnel au diesel est de 100 000 $. Un autobus électrique coûte 300 000 $, contre 110 000 $ pour un autobus au propane. On parle d’autobus conçus pour ce carburant. Vous économiserez toutefois beaucoup sur le carburant, de sorte que vous récupérez la différence en moins d’un an. Évidemment, du point de vue d’un mandataire, on préférera probablement investir dans des écoles plutôt que dans des autobus.
Pour la conversion d’une automobile, il pourrait vous en coûter de 4 000 $ à 5 000 $. Ce serait un peu plus dans le cas d’un camion, soit de 10 000 $ à 12 000 $. On pourrait dire que c’est à peu près 10 p. 100. Nous estimons à environ 6 500 $ le coût de conversion d’une chaudière au mazout pour qu’elle puisse être alimentée au propane, un combustible beaucoup plus écoénergétique. Le consommateur voit en effet sa facture de chauffage diminuer d’environ 40 p. 100, en plus d’une réduction de 38 p. 100 des émissions. Voilà qui vous donne une idée des coûts à engager.
Le sénateur Dean : Avons-nous un exemple d’une localité nordique éloignée qui aurait effectué le virage du propane, et quels enseignements pourrions-nous en tirer? Y a-t-il des problèmes de transport? Est-ce que les coûts sont trop élevés? Dans le même ordre d’idée, compte tenu de la prévalence du diesel dans ces localités éloignées du Nord, que peut faire le gouvernement fédéral pour favoriser ce genre de conversion? Que demandez-vous aux ministères fédéraux?
M. Marchand : Je dirais qu’il faudrait d’abord que l’on cesse de subventionner le diesel. Il faut que toutes les sources d’énergie puissent se livrer concurrence sur un pied d’égalité. En traversant la rue pour me rendre ici aujourd’hui, j’ai vu ces trois voitures de police dont on laisse tourner le moteur au ralenti en tout temps. Je trouve cette pratique plutôt étrange de la part du gouvernement fédéral ou même de la ville, d’autant plus qu’il y a des risques pour la sécurité. Si le moteur de ces véhicules devait être arrêté, leur batterie aurait un maximum de 10 minutes d’autonomie pour permettre toutes les communications et les manœuvres nécessaires. C’est un exemple de situation où l’on pourrait à la fois réduire les émissions et réaliser des économies si les mêmes véhicules étaient alimentés au propane.
Mme St-Pierre : Churchill, au Manitoba, est un bon exemple d’une localité éloignée qui est connectée à un réseau local de distribution de propane, comme cela se fait pour le gaz naturel. Il y a certains problèmes qui se posent effectivement au chapitre des transports pour ce cas particulier, car la voie ferrée a besoin de réparations. Les gouvernements devraient consentir les investissements nécessaires pour veiller à ce que les localités éloignées du Nord et les communautés autochtones soient desservies par des moyens de transport adéquats, ce qui leur donnerait accès au propane.
Il importe aussi bien évidemment, comme le soulignait M. Marchand, de placer tout le monde sur le même pied. Si le diesel est subventionné, le propane devait l’être également. Ce serait une solution beaucoup plus écologique qui permettrait au gouvernement et à nous tous de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, tout en offrant assurément une meilleure qualité de vie.
Le sénateur Dean : Merci beaucoup.
La sénatrice Galvez : Je suis d’accord avec les comparaisons que vous avez établies entre le propane et les autres combustibles comme le pétrole, le méthane et le gaz naturel. Là où passe le diesel, le propane peut passer également. C’est simplement l’un ou l’autre. Que ce soit par camion ou par train, le propane peut être du voyage. Je conviens aussi avec vous qu’il faut une approche plus équilibrée et que les subventions versées pour certains types de combustibles sont inéquitables. J’ai aussi vécu en Europe où la cuisson au gaz est toujours agréable, sans parler du confort du chauffage au gaz. C’est tellement efficace.
J’ai une question d’ordre technique. Comme les gazoducs sont mieux construits, je sais qu’ils peuvent permettre le transport du pétrole, mais pouvez-vous me dire si le propane peut être pompé dans un oléoduc?
Greg Thibodeau, gestionnaire, Marketing, Pembina Pipeline Corporation, Association canadienne du propane : L’oléoduc doit pouvoir résister à une pression correspondant à celle du gaz naturel. Il s’agirait de faire des tests pour déterminer si l’oléoduc peut effectivement permettre le transport du gaz ou du propane.
La sénatrice Galvez : Est-ce que cela exigerait des investissements considérables?
M. Thibodeau : Tout dépend de la longueur de l’oléoduc et de son âge. Il y a de nombreux facteurs à considérer, mais c’est effectivement possible. Les liquides gazeux que notre entreprise transporte jusqu’à l’usine de Sarnia pour qu’ils soient fractionnés sont en fait des mélanges constitués principalement de propane et de butane, deux substances dont la pression de vapeur est à peu près la même. On utilise pour ce faire le même pipeline que pour le pétrole brut livré aux raffineries de Sunoco, Shell et Imperial. C’est le pipeline de la ligne 5 d’Enbridge qui arrive de l’Ouest à partir d’Edmonton. On transporte 500 000 barils par jour. Nos envois s’intercalent entre ceux de pétrole brut. Pour répondre à votre question, je dirais donc que c’est possible pour autant que l’oléoduc en soit capable.
Le sénateur Wetston : J’essaie de mieux comprendre. Nous nous sommes donné comme cible de réduire d’ici 2030 nos émissions de gaz à effet de serre dans une proportion de 30 p. 100 par rapport aux niveaux de 2005, et vous nous faites valoir que l’utilisation du propane pourrait nous aider à atteindre cette cible. Je me demande toutefois pourquoi les gens ne sont pas naturellement portés à se tourner vers le propane à cette fin, comme en convenait la sénatrice Galvez avec laquelle je me dois d’être d’accord étant donné ses vastes connaissances en la matière. D’après vous, qu’est-ce qui empêche les gens de se convertir au propane?
J’ai peut-être d’ailleurs un élément de réponse à vous suggérer. Serait-ce parce que l’industrie pétrolière et gazière s’est montrée plus efficace dans la promotion et la mise en service de ses produits? Est-ce parce que les gouvernements voient le pétrole et le gaz naturel d’un meilleur œil que le propane?
Je vais laisser le sénateur Patterson vous faire part de ses préoccupations quant à la situation dans le Nord, car il voudra peut-être vous interroger au sujet du diesel. C’est un cas particulier. Étant donné les arguments très convaincants que vous nous avez soumis en faveur de l’utilisation du propane, j’aimerais mieux comprendre les difficultés auxquelles vous vous heurtez, y compris, bien évidemment, le fait qu’il soit si peu utilisé, comme vous nous l’avez expliqué.
M. Thibodeau : Je suis tout à fait d’accord avec vous; nous avons failli à la tâche. J’ai travaillé dans le secteur pétrolier pendant une vingtaine d’années, et je peux vous dire que le propane et le butane ont été longtemps considérés comme de véritables déchets, surtout dans le contexte des raffineries. Il s’agissait de sous-produits par rapport à tous les autres, comme le diesel et l’essence, que la raffinerie souhaitait pouvoir offrir.
Guy et moi avons été administrateurs pour différentes associations de l’industrie du propane, car il y avait à l’époque aussi bien une association canadienne qu’une association ontarienne. Il y a donc eu en quelque sorte un clivage est-ouest au sein du secteur. C’est un marché arrivé à maturité. Il y a beaucoup de détaillants. Au cours des dernières années, l’Association canadienne du propane est mieux parvenue à s’acquitter de son mandat national en devenant la voie unique de l’industrie pour faire savoir aux gens que le propane est un combustible de choix. Nous n’avons pas été efficaces à ce niveau par le passé. Vous avez donc tout à fait raison de dire que les autres secteurs, dont celui du gaz naturel, ont été meilleurs que nous dans leurs efforts pour promouvoir leurs produits respectifs.
Mme St-Pierre : Dans une perspective plus générale, l’énergie est au cœur des discussions depuis bien des années déjà, mais les gens veulent que son coût demeure raisonnable. C’est ce qui comptait en définitive; on cherchait des solutions à moindre coût. Les gens ont maintenant aussi des préoccupations quant à la qualité de l’air et recherchent donc des produits plus écologiques. Ils se tournent vers les combustibles de remplacement, mais ils veulent tout de même que le prix soit abordable.
Nous avons pu constater que des sommes gigantesques étaient investies. Qu’adviendrait-il si le gouvernement fédéral et bon nombre des gouvernements provinciaux décidaient tout à coup d’imposer l’électricité à tout le monde? Eh bien, comme l’électricité n’est pas toujours produite de façon très propre, l’électrification des transports n’est pas nécessairement une bonne solution dans certaines provinces. Mais on continue tout de même à investir dans ce domaine. On investit également beaucoup dans le développement du gaz naturel.
Nous croyons que notre produit est aussi bon que le gaz naturel. Nous pouvons le transporter. Il y a une grande partie du Canada qui ne pourra jamais avoir accès au gaz naturel à un prix abordable. Dans le contexte des investissements consentis par tous les gouvernements pour réduire l’empreinte carbone de notre pays, nous estimons que les résidants des secteurs ruraux, et particulièrement ceux des collectivités éloignées, devraient avoir le choix entre plusieurs options. Il y a différentes possibilités qui se présentent, et nous pourrions certes jouer un rôle dans ce contexte.
Le sénateur Wetston : À la lumière de votre expertise, croyez-vous que le propane pourrait être une source d’énergie aussi efficiente, économique et accessible que le gaz naturel?
M. Marchand : C’est assurément ce que nous croyons. En fait, il l’est déjà, et ce, depuis longtemps. De plus, c’est une ressource typiquement canadienne. Nous n’avons pas à l’importer.
Le sénateur Wetston : Merci.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup. Je veux moi aussi vous parler de l’utilisation peu répandue du propane. Je dois avouer pour ma part que je connais uniquement du propane ces bonbonnes que nous utilisons tous pour nos barbecues et la crainte que nous inspire ce produit inflammable dont nous ne nous approchons qu’avec maintes précautions. Il y a sans doute un effort de relations publiques et de sensibilisation à faire au sujet du propane. Voilà pour ma petite histoire à moi; passons maintenant à un autre aspect.
Madame St-Pierre, on peut lire dans votre mémoire :
En sa qualité de combustible de remplacement le plus populaire au monde, le propane offre déjà partout sur la planète des solutions écoénergétiques, avec notamment quelque 26 millions de véhicules alimentés au propane sur nos routes.
Je trouve que c’est plutôt intéressant. J’ai d’abord été étonnée d’apprendre que le propane était le combustible de remplacement le plus populaire au monde. Vous pourriez peut-être nous en dire plus long à ce sujet. J’aimerais aussi savoir dans quels pays les gens sont davantage portés à utiliser des véhicules au propane.
M. Marchand : Disons d’abord que le propane est le combustible secondaire le plus utilisé partout dans le monde. Cette émergence est probablement due au fait que les pays du tiers monde, et notamment ceux du marché asiatique, prennent le virage du XXIe siècle et ont désormais besoin de tous ces nouveaux appareils. Pour revenir aux observations faites tout à l’heure par la sénatrice Galvez, je suppose qu’elle a connu l’époque des poêles à bois et qu’il lui est maintenant possible de bénéficier du propane, un combustible facilement accessible que l’on peut transporter et utiliser partout.
C’est dans les pays de l’Union européenne que le propane est le plus populaire en raison des préoccupations environnementales, notamment quant aux émissions de gaz à effet de serre. Les Européens semblent être davantage sensibilisés que les Canadiens à ces questions et à l’importance de léguer un monde meilleur à la prochaine génération.
S’il y a autant de véhicules au propane en Europe, c’est simplement en raison des pénuries d’essence et du fait que chacun est bien conscient du niveau de pollution extrêmement élevé dans à peu près tous les pays, surtout pour ce qui est des particules. Si vous voulez aujourd’hui louer ou acheter un véhicule en Europe, il fonctionnera au propane. C’est le carburant par défaut. Qu’il s’agisse d’une Mercedes, d’une Lada ou d’une Jaguar, tout le monde s’attend à ce qu’un véhicule soit alimenté au propane. C’est ainsi que ces véhicules sont désormais conçus. L’Europe est sans doute le marché le plus important et le plus ouvert aux carburants de remplacement.
M. Granger : Pour vous donner quelques exemples plus précis, soulignons que la Pologne est l’un des pays où le propane est le plus couramment utilisé. Quelque 2,5 millions de véhicules alimentés au propane circulent sur les routes polonaises. Ce chiffre grimpe à près de 2,6 millions ou 2,7 millions dans le cas de la Corée du Sud. Chose intéressante, le marché sud-coréen a été développé à partir d’une technologie canadienne. Dans les années 1960, Richard Webb considérait que le propane n’avait pas suffisamment la cote au Canada, et il a décidé d’exporter cette technologie. Vous pouvez donc constater toute l’expansion qu’a connue ce marché à la faveur d’un carburant tout à fait écologique issu d’une technologie conçue au Canada.
J’en reviens à vos interrogations concernant le faible taux d’utilisation. On pourrait l’attribuer essentiellement à trois facteurs principaux. Il y a d’abord le fait que les gens ne sont pas suffisamment sensibilisés à cette réalité, comme vous l’avez vous-même fait valoir. Il faut aussi savoir que les gestionnaires de parcs de véhicules — car la solution propane cible expressément ce segment de l’industrie des transports — sont généralement peu enclins à prendre des risques. Ils ne connaissent pas bien le propane. Ils ne savent pas comment entretenir des véhicules fonctionnant au propane. Voilà plus de 50 ans qu’ils s’occupent de véhicules au diesel. Ils ne savent pas comment manutentionner le propane et ont donc généralement tendance à s’en éloigner.
Troisièmement, il y a actuellement une prime à payer pour avoir accès à cette solution technologique. Un moteur au propane est plus coûteux qu’un autre au diesel ou à l’essence, car il est impossible d’amortir les coûts du développement de cette technologie en raison d’un volume de ventes encore insuffisant.
Tous les grands constructeurs automobiles des États-Unis ont des plateformes pouvant être consacrées à la fabrication de véhicules alimentés au propane. Cela comprend notamment General Motors, Ford et les autobus Navistar, Thomas Built et Blue Bird. Ces plateformes existent donc déjà. Le taux d’utilisation augmente aux États-Unis surtout en raison des incitatifs offerts pour le propane dans quelque 48 des 50 États. Nous sommes donc en voie de surmonter cet obstacle. Les gestionnaires de parcs de véhicules considèrent désormais l’option propane, et ils n’ont pas nécessairement de coût supplémentaire à assumer pour acheter un véhicule alimenté au propane. C’est une transformation en profondeur que nous sommes à même d’observer aux États-Unis.
La sénatrice Seidman : Vous m’amenez justement vers la prochaine question que je souhaitais vous poser quant aux incitatifs qui peuvent être offerts aux constructeurs automobiles. Vous venez de nous dire que c’est ce que l’on fait aux États-Unis. Comment est-ce que cela fonctionne? Qu’est-ce qu’on offre exactement? C’est d’autant plus important dans le contexte de cette réticence à prendre des risques que vous n’êtes pas le premier à évoquer, soit dit en passant.
M. Granger : En fait, les constructeurs installent de nouvelles plateformes pour les véhicules au propane parce qu’ils voient la part de marché de ces véhicules augmenter en raison de toutes les initiatives visant la réduction des émissions aux États-Unis, ainsi que des incitatifs qui favorisent grandement cette transition.
Mme St-Pierre : En guise d’incitatif, vous pourriez réduire la taxe sur le carbone dans le cas du propane, car c’est un combustible plus écologique. À l’heure actuelle, il est traité sur le même pied que tous les autres, comme le pétrole et le gaz. Certains États offrent une telle réduction pour le propane, ce qui s’inscrit dans l’éventail des mesures pouvant être prises pour en favoriser l’utilisation. Les propriétaires de parcs de véhicules pourraient quant à eux bénéficier par exemple d’une ristourne à l’égard de certains de leurs investissements. Même si un incitatif financier est toujours agréable, ce n’est pas nécessairement la seule option qui s’offre; il faut juste une approche différente. Dans le cas des entreprises à forte intensité d’émissions, on pourrait offrir des crédits pour l’utilisation du propane. Il y a bien des façons de s’y prendre.
Le sénateur MacDonald : J’aurais tellement de questions à vous poser. Je me demande vraiment pourquoi le propane est si peu populaire sur le marché canadien. Est-ce strictement une affaire de prix? Vous avez noté par exemple que le diesel est subventionné dans le Nord, mais est-ce seulement le prix qui pose problème ou y a-t-il aussi des difficultés du point de vue du transport? Faut-il considérer certaines réalités liées à la manutention et l’utilisation du propane qui ne s’appliquent pas à certains autres produits?
M. Marchand : Si nous continuons de subventionner le gaz naturel, le propane va automatiquement être supplanté. Il faut savoir que les marchés actuellement desservis par le gaz naturel l’étaient auparavant par le propane. Si le gaz naturel a réussi à s’implanter, c’est en raison des subventions versées pour les gazoducs et les réseaux de distribution, alors que je dois de mon côté investir mon propre argent dans mon entreprise. Je n’emprunte rien à qui que ce soit. Lorsque je me rends à la banque, c’est moi le cosignataire, et personne d’autre.
Le sénateur MacDonald : Je comprends, et je suis d’accord avec vous, mais ce n’est pas ce que j’ai demandé. Je suis simplement curieux. Je n’arrive tout simplement pas à comprendre comment il se fait que des gens, surtout dans des localités isolées, utilisent le diesel, alors qu’ils pourraient avoir recours au propane qui est un combustible beaucoup plus propre. Y a-t-il un problème de logistique quant à la manutention et à la gestion du propane qui favoriserait ainsi le diesel dans les collectivités nordiques?
Mme St-Pierre : Le diesel doit aussi être acheminé jusqu’aux collectivités nordiques. Comme le diesel est subventionné, pourquoi voudrait-on changer pour le propane? Tant qu’il n’y aura pas de subventions pour le propane…
Le sénateur MacDonald : Je ne parle pas des subventions. J’ai compris de quoi il en retourne. Je vous parle de la manutention et de l’utilisation du propane d’un point de vue logistique. Est-ce qu’il y a quoi que ce soit qui le rend plus coûteux?
M. Marchand : Non. Absolument pas. Le propane peut facilement être expédié. En fait, Churchill est le meilleur exemple qui soit d’une transition qui a vu notre industrie se retrouver à approvisionner toute une ville dans l’espace de quatre ou cinq mois à peine. Il n’y a absolument aucun problème logistique associé à l’acheminement du propane vers le nord.
Mme St-Pierre : On peut le faire par bateau, par voie ferrée; tout est possible.
Le sénateur MacDonald : Nous avons vu l’utilisation du gaz naturel prendre de l’expansion au fil des dernières décennies. Est-ce uniquement en raison des subventions versées pour le gaz naturel que le propane a été incapable de percer ce marché? Combien coûte actuellement le propane par rapport à la situation d’il y a 10 ans? Le propane était-il il y a 10 ans beaucoup plus cher que le gaz naturel?
M. Marchand : Non, pas du tout.
Le sénateur MacDonald : Je veux m’assurer de bien comprendre. Ai-je raison de présumer qu’il faut effectuer un fractionnement pour obtenir du propane? Il faut passer par une usine de fractionnement comme celle que nous avons à Port Hawkesbury. Le propane qui y est produit est expédié vers la côte Ouest. Est-ce que le transport se fait par train ou par camion?
M. Thibodeau : Le propane qui circule en Ontario passe par les installations de Sarnia pour être fractionné. Le produit brut arrive d’Edmonton par pipeline.
Mme St-Pierre : Et il s’en va par la suite…
M. Thibodeau : Il est ensuite acheminé par camion ou par train jusqu’à la destination voulue.
Le sénateur MacDonald : Mais le gaz qui va…
M. Thibodeau : D’Edmonton à Sarnia?
Le sénateur MacDonald : Le gaz qui va être expédié sur la côte Ouest du Canada, vient-il d’Edmonton ou de Sarnia?
M. Thibodeau : Ce qui va être expédié dans l’Ouest? Ça vient d’Edmonton, ce qui fait qu’il y aura supplantation en Alberta.
Mme St-Pierre : Ce phénomène de supplantation dont Guy parle, c’est le remplacement du propane en raison de l’expansion du gaz naturel. C’est le propane qui était accessible là-bas auparavant. C’est en raison des subventions injustes et du soutien gouvernemental au développement du secteur du gaz naturel que le propane n’est plus accessible dans ces localités rurales où on l’utilisait auparavant. C’est un combustible abordable et de bonne qualité dont personne n’entendait parler.
Il y en a qui se plaisent à soutenir que le gaz naturel devrait être accessible partout parce qu’il représente la meilleure solution. Il est même question d’acheminer du gaz naturel liquéfié vers les localités éloignées du Nord, ce qui n’a aucun sens en raison des ressources technologiques et énergétiques que l’on devrait utiliser simplement pour le refroidir, le transporter et le décompresser. C’est carrément impensable. Le propane est prêt à être consommé. On peut l’expédier dès maintenant et l’utiliser directement sans qu’il y ait de frais supplémentaires comme pour le gaz naturel liquéfié.
M. Thibodeau : J’ajouterais que, dans les endroits qui ne sont pas desservis par le gaz naturel, il y a de nombreuses chaudières au mazout qui sont maintenant converties au propane. En l’absence du gaz naturel, c’est donc le secteur du propane qui enlève des clients à celui du mazout — un combustible que les compagnies d’assurance veulent éviter à tout prix. Lorsque le gaz naturel est accessible, cela complique toutefois les choses.
Le sénateur MacDonald : Si l’on pense à la production d’énergie au moyen de génératrices, au secteur des transports et à tous les modes d’utilisation possibles, y en a-t-il pour lesquels le propane est nettement supérieur? Est-ce qu’il y aurait des secteurs où il serait peut-être moins efficient? Ou bien constituerait-il dans tous les cas une solution valable pour remplacer toutes les formes de combustibles fossiles?
M. Thibodeau : Que venez-vous de dire? Il y a mille façons de l’utiliser?
M. Marchand : Il y a mille façons d’utiliser le propane, pour la cuisson à l’eau chaude, le chauffage des piscines, les restaurants, le chauffage des bâtiments industriels…
Le sénateur MacDonald : Comme cet édifice?
M. Marchand : Bien sûr.
Mme St-Pierre : Les tondeuses.
M. Marchand : Le transport. N’importe quoi.
Mme St-Pierre : Les réfrigérateurs. Nous l’avons entendu.
M. Marchand : Si le propane avait été commercialisé avant l’essence, dans les années 1900, il serait le principal carburant accessible aujourd’hui. Il se trouve que l’essence a pris le propane de vitesse. Le propane a été découvert par pure chance. Quelqu’un s’est dit : « Wow! C’est un bon carburant, nous pourrions l’utiliser! », mais l’essence était déjà sur le marché.
Le sénateur Patterson : J’aimerais remercier mes collègues de leurs questions sur le Nord d’où je viens; je viens du Nunavut.
J’aimerais parler un peu plus en détail de la conversion. Pouvez-vous nous expliquer comment se transporte le propane par navire vers les collectivités? Quelle est la taille des conteneurs? De plus, que faut-il faire pour convertir une fournaise résidentielle ou un gros chauffe-eau? Enfin, le propane ne se liquéfie-t-il pas au froid? Est-ce un problème? Est-ce que je me trompe?
M. Marchand : Non, ce n’est pas un problème. Premièrement, le propane est transporté par bateau. Il entre dans le même genre de conteneur que ceux qu’on voit un peu partout au pays. Nous les remplissons. Ce sont de très grands conteneurs, qui peuvent contenir de 6 000 à 20 000 litres. Ils sont ensuite placés sur des navires, qui quittent Montréal pour remonter jusque dans la baie James, à Resolute. Les conteneurs sont ensuite ramenés vides. Ils reviennent à leur point d’origine, sont remplis de nouveau, puis réexpédiés.
Pour convertir au propane un système de chauffage au mazout, il suffit de remplacer la fournaise au mazout par une fournaise au propane, puis de remplacer le réservoir de mazout par un réservoir de propane. Cela représente un investissement d’environ 3 500 $. C’est à peu près ce qu’il en coûte pour la maison moyenne.
Le propane est effectivement liquide, vous avez raison. Il a la propriété chimique de se transformer en vapeur dès que la température monte au-dessus de moins 45, et c’est cette pression qui alimente tous les appareils. Bref, nous nous trouvons à transporter le propane sous sa forme liquide jusque dans les territoires nordiques. Après, c’est la propriété naturelle du propane de se transformer en vapeur, et c’est ce qui alimente tous les appareils, que ce soit pour la cuisson à l’eau chaude ou le chauffage de la maison.
Le sénateur Patterson : Il ne gèlera donc que sous la barre des moins 45 degrés Celsius?
M. Marchand : Il ne gèle jamais. Il se liquéfie. Il n’y aura pas de pression, mais il se trouvera toujours à l’état liquide. Dans un vaporisateur de grande capacité, pour alimenter un générateur ou un hôpital, par exemple, on utilise du propane à l’état liquide puis un vaporisateur, parce qu’une once de propane correspond à 270 onces de vapeur. C’est ce qui crée l’énergie, c’est ce qui permet d’en créer autant à partir d’une si petite quantité.
Le sénateur Patterson : Peut-on convertir un générateur diesel au propane? Ou faut-il plutôt acheter un nouveau groupe électrogène?
M. Marchand : Non, il faut acheter le générateur adapté pour l’essence ou le propane, plutôt que le diesel. Il faut donc acheter un nouveau groupe électrogène.
Le sénateur Patterson : Si vous me le permettez, vous parlez dans votre exposé d’inclure le propane dans les programmes fédéraux de financement de l’infrastructure du Nord. Pouvez-vous nous expliquer un peu comment le gouvernement fédéral pourrait inclure le propane dans ses programmes de financement de l’infrastructure du Nord?
Mme St-Pierre : À l’heure actuelle, à notre connaissance, le propane ne figure pas parmi les carburants inclus, si bien qu’un village ne peut pas utiliser ce fonds pour se doter d’un système au propane. Ce n’est pas couvert. On parle constamment des sources d’énergie de remplacement, de la biomasse et d’autres sources, mais il faudrait inclure le propane, ne serait-ce que comme source d’appoint, mais ce n’est pas prévu dans le programme à l’heure actuelle.
Le sénateur Patterson : Avez-vous dit que Churchill s’est converti au propane? Il y a 25 communautés qui dépendent totalement du diesel au Nunavut. Churchill est-il un exemple de conversion?
Mme St-Pierre : Churchill a un réseau électrique. Nul besoin d’un tel extrême si vous voulez seulement changer un générateur pour produire de l’énergie pour la communauté. Il y a différentes options possibles, mais c’est un bon modèle pour…
M. Thibodeau : C’est un modèle plus élaboré.
Mme St-Pierre : Oui, c’est un modèle qui va plus loin, qui nécessite plus d’engagement. Il procure une source de chauffage à beaucoup plus de maisons directement, plutôt que de simplement produire de l’énergie.
Le sénateur Patterson : Comment se fait-il que ce modèle ait été adopté à Churchill? Est-ce seulement l’œuvre d’un maire illuminé?
M. Marchand : Tout a commencé il y a quelques années, parce que c’était le carburant le plus accessible pour l’approvisionnement énergétique des maisons, de l’hôpital et des écoles, et la ville gardait le diesel pour la production d’électricité parce que les groupes électrogènes fonctionnaient déjà à plein régime. Ils ont donc eu l’idée de trouver une deuxième forme d’énergie adaptée à tous les besoins pour alimenter la ville, et c’est ce qui est arrivé.
Le sénateur Patterson : Merci.
Le président : J’ai grandi sur une ferme, dans le Sud de l’Alberta. Mon père a commencé à vendre du propane alors que les gens utilisaient toujours des lampes à gaz. Je suis donc habitué. En fait, mon père était agriculteur, et ses tracteurs étaient alimentés au propane, mais il construisait ses propres systèmes pour l’alimentation de ses tracteurs parce qu’il n’était pas facile d’en trouver en magasin. Vous me replongez dans ce monde. C’était gros. C’était à la toute fin de l’époque des glacières, exactement comme vous le disiez. On s’en servait pour la cuisson. Mon père l’a vendu, comme il a vendu toutes sortes de poêles. C’était le changement.
Ensuite, l’accès au gaz naturel s’est libéralisé parce qu’il était transporté par oléoduc, plutôt que par camion, donc il n’était plus nécessaire d’avoir un réservoir à la maison et de le faire remplir. C’était commode, je dirais, et cela a changé la donne, parce que tous les villages de la région d’où je viens sont approvisionnés en gaz naturel aujourd’hui.
Quand j’ai construit ma maison, j’ai dû payer pour être relié au réseau d’électricité; je n’ai pas reçu de subvention pour cela. Cela apparaît sur ma facture de gaz naturel. Je ne crois pas que votre argument s’applique tant au gaz naturel qu’au diesel.
Une personne qui n’a pas déjà le gaz naturel ne s’équipera pas pour utiliser le propane. Le propane ne sort pas tel quel du sol. Il est dérivé du gaz naturel et du pétrole par fractionnement et tout et tout, à Sarnia, en Alberta, en Saskatchewan ou en Colombie-Britannique. C’est de là que vient le propane. C’est un sous-produit de beaucoup de produits dérivés du gaz naturel.
Je dirais un peu comme Dennis. Nous avons réalisé une étude sur la production d’électricité dans le Nord canadien. Certaines centrales datent de 50 ans. Pouvez-vous vous l’imaginer? La plupart ont largement dépassé leur durée de vie dans de nombreux villages que nous avons visités.
Si vous voulez faire du marketing quelque part, vous devriez peut-être aller voir les gens d’Affaires autochtones Canada ou quiconque fournit le service dans ces communautés. C’est là où vous devez aller, et vous pourrez peut-être leur vendre vos services. Il y a des ouvertures en ce moment. Je pense que bien des communautés voudront remplacer leur infrastructure, et si elles se convertissent au propane, ce sera tant mieux pour vous. Vous avez dit que le marketing avait déjà été un problème pour vous. Je serais porté à vous dire que c’est la stratégie de marketing que vous devriez adopter.
Au Canada rural, le propane est utilisé abondamment. Je le sais, parce que j’y ai vécu. J’ai habité dans des camps ruraux, j’y ai travaillé, et le propane y est utilisé abondamment. Vous pourriez offrir vos services dans le Nord, sans parler de subventions ni vous prétendre meilleurs que les autres, mais votre produit est certainement préférable au diesel. Il produit moins de gaz à effet de serre pour faire la même chose. Cela ne fait aucun doute; il ne suffit que d’un peu d’information.
Le sénateur Massicotte : En toute transparence, j’utilise moi-même le propane pour chauffer ma maison. Elle ne se trouve pas très loin d’ici, dans une banlieue de Montréal. Le gaz naturel n’est pas toujours facilement accessible. Tout dépend des circonstances.
J’ai à peu près les mêmes questions. Le propane est un sous-produit du gaz naturel. Vous affirmez avoir de quoi nous approvisionner pendant 400 ans. Supposons que le propane devienne extrêmement populaire, et vous répétez que le propane est encore mieux que le gaz naturel, que fera-t-on du gaz naturel? Que fera-t-on des sous-produits du gaz naturel si l’on ne vend que du propane? Qu’arrivera-t-il? C’est une combinaison de tout cela.
Mme St-Pierre : La question n’est pas de savoir si le propane est mieux que les autres sources d’énergie. Le gaz naturel a son utilité, et comme vous le dites, c’est pratique, puisqu’il est transporté par oléoduc, mais les règles du jeu doivent être équitables pour tous.
En ce moment, on investit des fonds publics dans des expansions là où il y avait d’autres solutions possibles. Y avait-il un problème? Non. C’est pour cette raison que nous disons que ce n’est pas qu’une question de gaz naturel. Il n’y a aucun programme offert aux habitants des régions rurales qui voudraient laisser tomber le pétrole. Il faut tenir compte du portrait d’ensemble; il ne s’agit pas que de gaz naturel. C’est surtout que le gaz naturel est subventionné.
Le sénateur Massicotte : Subventionné? Je veux plus de détails. Ailleurs que dans le Nord? Dans le Nord, il y a certaines mesures, mais…
M. Thibodeau : Corrigez-moi si je me trompe, Guy, parce que vous travaillez dans le secteur du commerce de détail. J’ai une cliente à Uxbridge. Je suis allé rendre visite à quelques clients il y a quelques semaines. Elle a une entreprise de propane. Elle affirme ne pas réussir à obtenir de crédit. Tout son crédit doit venir, après analyse, d’Union Gas ou d’Enbridge, qui est la société gazière. Cette société n’a vraiment aucun avantage à accorder du crédit à l’entreprise de propane qui convertit au propane des fournaises au mazout. À l’inverse, si cette même société gazière fait affaire avec un consommateur de pétrole qui décide de convertir son alimentation au gaz, il y a une réduction de 2 500 $, si je ne me trompe pas, pour l’achat d’une fournaise.
Le sénateur Massicotte : Du gouvernement fédéral?
M. Thibodeau : Oui. En fait, c’est du gouvernement provincial.
Mme St-Pierre : C’est provincial. Mais il y a bien des programmes qui favorisent l’expansion du secteur. Le gouvernement de l’Ontario a investi 100 millions de dollars dans la promotion du gaz naturel. Au Québec, une partie des fonds verts serviront à financer l’essor du gaz naturel dans certaines régions. De plus en plus, il semble y avoir des investissements publics en ce sens.
Le sénateur Massicotte : Vous semblez avoir du marketing à nous faire. Vous avez un message à nous transmettre.
Mme St-Pierre : Eh bien, nous recevons plus d’appui.
M. Thibodeau : Cela fait partie de la donne. Les émanations de CO2 du propane sont comparables à celles du diesel, nous en parlions aujourd’hui.
Le sénateur Massicotte : Vous parlez du propane?
M. Thibodeau : Oui. De qui s’agit-il encore?
Mme St-Pierre : Le gouvernement de l’Ontario évalue que le propane est encore pire que le diesel.
M. Thibodeau : C’est absurde, mais bon.
Mme St-Pierre : Il n’y a pas d’information à ce sujet, vous avez raison.
La sénatrice Galvez : Je comprends votre préoccupation pour les subventions ou l’aide systémique, qu’elle vienne du gouvernement provincial ou fédéral. Je chauffe ma maison à moitié à l’électricité, à moitié au propane. Nous utilisons le propane pour le foyer et le poêle, et nous voulons également avoir accès à de l’eau chaude à la demande. Cela ne me pose aucun problème. Seulement, en ce moment, je n’ai pas d’argent pour cela. Vous prétendez que quelqu’un affirme qu’on ne peut pas utiliser de propane. Qui me dit que je ne peux pas utiliser de propane?
Mme St-Pierre : Non, nous affirmons qu’il n’y a pas beaucoup de programmes pour nous et que le seul programme qui existe à l’heure actuelle est celui de l’Ontario, mais qu’il est géré par Union et Enbridge. Bien sûr, ils n’ont pas beaucoup intérêt à appuyer une transformation, puisqu’ils vendent du gaz naturel, donc ils ne font pas beaucoup d’efforts pour promouvoir le propane. Il est permis d’en utiliser, mais quiconque souhaite modifier sa maison pour utiliser du propane ne recevra probablement pas d’appui ni d’incitatifs financiers.
La sénatrice Galvez : Il n’y a donc rien qui dit…
Mme St-Pierre : Non.
La sénatrice Galvez : C’est l’impression que j’avais eue.
Le président : Je vous remercie beaucoup de ce témoignage. C’était très intéressant, et il y a eu de bonnes questions et de bonnes réponses.
(La séance est levée.)